Sources
Concerne : | ARIZONA : un « boys club », aveugle à la réalité des femmes |
La spécificité des carrières des femmes est totalement ignorée par l’ARIZONA et pire encore, elle est sanctionnée. Les femmes sont les victimes de la flexibilisation accrue du marché du travail et de l’accent mis aveuglément sur le travail.
- Très peu de femmes dans le gouvernement
Le gouvernement N-VA-MR ne compte que 4 femmes sur 15, qui sont en plus dans l’ombre des hommes. L’équilibre entre homme et femme est totalement inexistant et n’est donc pas non plus un objectif pour ce gouvernement.
De plus, aucune femme ne siège au Kern alors que le Conseil des ministres restreint est l’organe décisionnel du gouvernement fédéral. Les décisions seront donc prises entre hommes sur des mesures telles que l’avortement, la pension minimum ou les périodes assimilées.
Cette situation montre une fois de plus l’importance des quotas pour atteindre l’objectif d’une représentation égale.
- Enumération des mesures
Ci-dessous, vous trouverez une énumération des principales mesures concernant, entre autres, le marché du travail, les pensions et le chômage qui touchent les femmes de plein fouet.
1 Marché du travail
En raison de l’accroissement de la flexibilisation et de la réduction simultanée des mécanismes de protection et de contrôle concernant le travail à temps partiel, les femmes sur le marché du travail courent un risque encore plus grand d’exclusion, de traitement inégal et de discrimination.
Saviez-vous que ?
- L’écart salarial entre les hommes et les femmes est de 20% [1].
- Les femmes sont de plus en plus présentes sur le marché du travail : l’évolution du taux d’activité des femmes est passée de 56% en 2000 à 68,3% en 2023 [2].
Ce qui est prévu ?
- La condition de base qu’un contrat à temps partiel ne peut jamais être inférieur à 1/3 d’un contrat à temps plein est supprimée.
- 40% des femmes travaillent à temps partiel, contre 12% des hommes.
- Plus de la moitié des femmes travaillant à temps partiel ne le font pas par choix, mais parce que :
- elles prennent en charge les soins de leurs enfants ou d’autres personnes dépendantes (25,8%),
- pour d’autres raisons familiales (11,2%),
- elles ne trouvent pas un temps plein ou encore, parce que seul un temps partiel leur est proposé (17,0%)[3].
- Les femmes dans les ménages composés de jeunes enfants consacrent 33 heures[4] par semaine aux tâches ménagères et de soins (= « 2ème shift »).
- Le travail de nuit : interdiction supprimée
Dans la distribution et les secteurs connexes, le travail de nuit ne débutera qu’à minuit (au lieu de 20 heures) alors qu’il est scientifiquement prouvé que l’impact sur la santé est néfaste. Le secteur de la distribution est un secteur essentiellement féminin. En raison de ces adaptations, les femmes perdront en outre, directement ou à terme, les primes de compensation existantes alors que le travail de nuit implique des coûts supplémentaires en termes de transport et de garde. 11,5% de l’ensemble des travailleuses en Belgique sont occupées dans un travail en équipes[5].
- Suppression du jour de fermeture obligatoire prévu par la loi. De ce fait, la pression au travail continuera à augmenter alors que les femmes sont déjà, actuellement, surreprésentées dans les malades de longue durée (54,7%)[6].
- L’élargissement du travail étudiant bon marché a également un impact non-négligeable sur les secteur féminins, tels que le commerce ou le nettoyage. Des jobs ou les heures supplémentaires seront plus souvent réalisées par des étudiants. Ceci aura notamment pour conséquence de rendre l’accès au temps plein plus difficile et il sera plus difficile d’assurer l’application de la CCT35.
- La généralisation des flexi-jobs à tous les secteurs risque d’avoir un impact important dans des secteurs tels que les soins, l’enseignement et l’accueil de l’enfance. Cela aura un impact sur la qualité des soins, de l’enseignement et de l’accueil. Ceci aura notamment pour conséquence de rendre l’accès au temps plein plus difficile et il sera plus difficile d’assurer l’application de la CCT35.
- La condition de carrière pour ouvrir le droit à un emploi de fin de carrière passe de 25 à 35 ans alors que les femmes ont déjà actuellement plus de difficultés à entrer dans un emploi de fin de carrière en raison du fait que les conditions sont alignées sur la carrière des hommes et les secteurs masculins (35.000 hommes contre 20.000 femmes)[7]. On sait par ailleurs que près de 4 femmes sur 10 n’arrivent même pas à rencontrer la condition de 35 ans de carrière à l’âge de 65 ans[8].
- Détricotage de l’interruption de carrière dans le secteur public : 68,5% des bénéficiaires sont des femmes[9].
- Introduction d’un « crédit familial » en remplacement des régimes existants de crédit-temps et congés thématiques. Il semble que l’intention soit de faire un « pot » avec l’ensemble des jours de congés existants et ayant un lien avec le soins aux enfants. Le pot devra être partagé. Ainsi, le congé parental serait élargi aux parents d’accueil « dans le respect du cadre budgétaire actuel ». Les différentes formes d’interruption (crédit-temps, congés thématiques, interruption de carrière) sont prises à 2/3 par des femmes [10]. On peut craindre que la réforme ne résulte en une opération d’économies, même si à partir de 2026, 25 millions € de conditions supplémentaires sont prévues chaque année.
- Une nouveauté également mentionnée est la création d’un congé grand-parental.
- Loin de répondre aux difficultés de conciliation, cette réforme des congés familiaux ne garantit pas le maintien de la durée et de la rémunération de ceux-ci.
- Combinaison possible du congé de maternité avec du bénévolat, ce qui implique le risque que ce congé, un repos obligatoire pour protéger la santé et la mère et de son (futur) enfant, sera encore plus affaibli.
- Limitation du nombre d’indemnités de protection en cas de licenciement. Risque de rendre le licenciement moins coûteux en cas de grossesse par exemple.
- Simplification des obligations administratives pour les employeurs en cas de travail à temps partiel. Risque de miner les possibilités de contrôle du respect des conditions de travail des travailleurs à temps partiel. (40% des femmes travaillent à temps partiel).
- Suppression de l’obligation d’inclure tous les horaires de travail applicables dans le règlement de travail si les limites de la flexibilité y sont clairement définies.
Ceci réduit les possibilités de contrôler le respect des conditions de travail, plus particulièrement en cas de travail à temps partiel (40% des femmes travaillent à temps partiel).
- Est envisagé aussi également des horaires de travail « accordéon »(annualisation). Une vendeuse à mi-temps pourra travailler 12 heures pendant une semaine calme, puis 28 heures la semaine suivante. Les entreprises pourront répartir les heures sur l’année. Pour celles qui pourraient combiner plusieurs temps partiel, cette combinaison sera quasi impossible car les horaires seront moins prévisibles.
2 Pensions
- Dans de précédents textes, il était prévu que l’accès à la pension minimum serait durci. Ce n’est plus le cas dans la version définitive.. Il reste néanmoins de l’ambigüité sur ce qui est mis dans l’accord de gouvernement par rapport à la pension minimum : L’accès à la pension minimum sera calculé sur base de prestations effectives. Nous savons qu’ainsi, les femmes sont la victime.
- Suppression de la pension de survie et la pension de conjoint divorcé.
- En janvier 2023, 16% des pensions en cours étaient des pensions de survie – représentant au total 667.086 pensions de survie.[11] Près de 95% des bénéficiaires de la pension de survie sont des femmes. Parallèlement, en 2022, on comptait 168.477 pensions de divorce. Près de 8 bénéficiaires sur 10 de ces pensions étaient des femmes.
- Durcissement de la retraite anticipée : il faudra avoir travaillé au moins 6 mois (ou assimilé) pour pouvoir faire compter une année, contre 1/3 actuellement. 4 travailleurs sur 10 devront de ce fait partir plus tard à la retraite, dont 54% de femmes. Pour les personnes qui ont 58 ans ou moins cette année, cela peut impliquer de devoir travailler jusqu’à 7 ans de plus.
- Suppression/diminution du coefficient d’augmentation pour les métiers pénibles dans le secteur public/enseignement et services actifs. Les pensions des fonctionnaires ne seront plus calculées sur le montant moyen touché au cours des 10 dernières années, mais seront progressivement calculées sur l’ensemble de la carrière.
- Les périodes de coups durs (périodes assimilées) durant la carrière sont limitées à maximum 1/5 de la carrière pour le calcul de la pension (on débute avec 40% en 2027, ensuite + 5% par an pour arriver à 20% maximum en 2031) : en moyenne, 34% de la carrière de pension des salariés est composée de périodes assimilées[12], Pour les femmes, ce pourcentage passe à 39%. Sans périodes assimilées, l’écart de pension homme-femme serait de 43% au lieu de 31%. Les périodes de maladie seraient cependant prises en compte.
- Malus si la condition de 35 années avec des prestations effectives à mi-temps au moins ET 7020 jours de travail effectifs sur la carrière n’est pas atteinte. Selon les estimations, 26,7% des travailleurs n’ont pas 35 ans de travail effectif au moment du départ à la retraite[13]. Il s’agit en grande majorité de femmes. Au niveau de la retraite anticipée, près d’un travailleur sur 10 n’a pas 35 ans de travail effectif et se verra donc dorénavant appliquer un malus de pension. Les périodes de maladie dans la carrière ne sont pas prises en compte pour le malus.
3 Chômage
La Belgique a un taux de chômage plus élevé chez les hommes que chez les femmes (5,8% contre 5,3%). Mais le secteur chômage est fortement tributaire de la distribution genrée des rôles sur le marché du travail.
- Les allocations d’insertion sont limitées de 3 à un an. Plus de 8.000 personnes perdent de ce fait leur revenu (dont la moitié sont des jeunes femmes ayant terminé l’école), mais aussi le suivi dont elles bénéficient. Elles retombent éventuellement sur le CPAS, mais lors des précédentes réformes, ceci n’a pas semblé être le cas au vu des conditions d’octroi du revenu d’intégration social (RIS).
- AGR : Le travail à temps partiel avec allocation de garantie de revenu concerne bien plus les femmes (18.815 sur un total de 25.532 pour 2023). Le Gouvernement veut assouplir les règles sociales et fiscales relatives au cumul d’une partie des allocations avec un revenu du travail à temps partiel (dans la partie sur les malades de longue durée – donc pas chômage – mais cela donnerait le signal, peut-être que l’AGR sera modifié ?).
- Limitation dans le temps des allocations de chômage.
- Les exceptions prévues pour les mesures d’économies dans le chômage imposent des conditions de carrière élevées, de sorte que les femmes peuvent très difficilement retomber sur ces exceptions.
- Renforcement de la dégressivité des allocations de chômage. Les femmes ont des carrières professionnelles statistiquement moins longues que les hommes (en 2019, la carrière active durait en moyenne 31,6 ans pour les femmes et 35,4 ans pour les hommes (respectivement 28,1 et 34,6 ans en 2005).
Les chômeuses de longue durée (c’est-à-dire, de plus de deux ans) jugées peu actives ont travaillé au cours des deux dernières années, mais pas suffisamment pour obtenir des droits sociaux ou pour sortir du chômage. Elles sont finalement prises au piège par les contrats courts et précaires, que la réforme entend encore multiplier.
Le problème se situerait davantage sur la question de la conciliation des vies…et donc l’accès au travail. Si l’on prend en compte les mesures liées au marché du travail (la flexibilisation, horaires accordéons, temps partiel…), elles devront refuser des emplois car la combinaison de plusieurs temps partiel sera quasi impossible ou incompatibles avec les tâches de soins aux personnes dépendantes surtout pour les familles monoparentales. Par ce que la pénurie de place de crèche ou de lieu d’accueil collectif adapté est réel.
Comme les charges de soin et d’éducation reposent sur les femmes, qu’elles soient seules ou dans un ménage, elle perdrait leur allocation sans possibilité de retrouver un revenu au travers d’un emploi.
4 Santé
L’accord de gouvernement prévoit un renforcement des obligations de réintégration et des mécanismes de contrôle.
Ces mesures pousseront de nombreuses femmes à reprendre le travail alors qu’elles ne sont pas prêtes, ou à subir une perte de revenus supplémentaire.
Les femmes représentent 60 % des malades (troubles musculosquelettique, burnout) de longue durée en Belgique. Cela s’explique par leur forte occupation dans les secteurs pénibles mais aussi par la double charge travail-famille.
5 Fiscalité
- Quotité exemptée identique pour chaque enfant à charge : cela pourrait constituer une perte de revenu plus importante pour les familles nombreuses.
- Quotient conjugal : la décision finale serait de la diviser par deux pour les actifs. Selon le SPF finance, ça concernerait 513.730 déclarations communes. Réduire de moitié, c’est +/- 1240 euros par an et 100 euros par mois.
- Réduction d’impôt pour frais de garde ne pourrait être accordé qu’aux actifs, ce qui rendra la présence sur le marché du travail plus compliqué (perte de place d’accueil).
- Le gouvernement prévoit de réduire de 80 à 50% la déductibilité des pensions alimentaires. Ce mécanisme constituait un avantage fiscal très important et incitait le débiteur à payer les pensions alimentaires.
6 Migration
- Mesures inhumaines pour les familles, les femmes et les enfants.
- Les femmes migrantes pourraient se voir plongées dans l’exploitation au travail ou l’exploitation sexuelle.
- Avec le parcours d’intégration obligatoire, il faut savoir que l’approche genrée est inexistante dans les centres fermés. Et sans garderie, l’apprentissage du français ou du néerlandais semble difficile.
7 IVG
En ce qui concerne la réforme de la loi de dépénalisation de l’avortement, c’est mis au frigo.
« Nous poursuivons le débat sociétal sur l’interruption volontaire de grossesse sur la base du rapport du comité d’experts. Nous modifions la législation actuelle sur l’avortement après consensus au sein des partis de la majorité. » Cela signifie-t-il que les parlementaires ne pourront plus voter en leur âme et conscience, mais devront suivre la ligne du parti ? Rappelons-nous que le CD&V était contre l’extension du délai à 18 semaines.
[1] Institut pour l’égalité des femmes et des hommes
[2] Statbel
[3] https://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/marche-du-travail/le-travail-temps-partiel
[4] Tijdsbestedingsonderzoek (Etude sur l’emploi du temps) TOR VUB
[5] Eurofound
[6] INAMI
[7] ONEM
[8] Sigedis
[9] ONEM, décembre 2024
[10] ONEM
[11] Types de pension | PensionStat.be
[12] https://www.plan.be/sites/default/files/documents/REP_Pension_202201_NL.pdf
[13] Source: chiffres Sigedis.
Ce qui est en train de se passer avec les pensions est un véritable carnage, avec des mesures dont de nombreuses personnes ne peuvent pas encore exactement mesurer l’impact. Ce n’est pas un slogan : il faudra travailler plus longtemps pour moins de pension. 4 travailleurs sur 10 devra travailler au moins un an de plus à la suite du durcissement de la pension anticipée. Et ceux qui souhaitent malgré tout arrêter plus tôt que l’âge légal de la pension (66 ou 67 ans en 2030), verront leur pension réduite du malus de pension, s’ils ne peuvent pas justifier suffisamment de jours effectifs. Les femmes sont visées parce que les périodes assimilées en dehors des congés pour soins et périodes de maladie sont limitées à 20% de la carrière. Le chômage temporaire n’est pris en compte (presque) nulle part pour le travail effectif. La pension de survie (avant la première date de pension possible) est également supprimée . Les fonctionnaires perdent quasiment tout ce qui était avantageux pour eux. A terme, les pensions de la fonction publique seront calculées sur la base de 75% du traitement barémique moyen sur l’ensemble de la carrière statutaire et diminueront de ce fait d’environ 20%. Une pension de salarié est calculée sur la base de 60% du salaire moyen durant toute la carrière. Comme chez les salariés, le pécule de vacances et la prime de fin d’année sont aussi pris en compte pour la calcul de la pension (ce qui n’est pas le cas chez les fonctionnaires) l’opération revient à une énorme harmonisation vers le bas. |
Dans les 4 prochaines années, la coalition Arizona souhaite économiser pas moins de 2,4 milliards € sur les dépenses de pension, en plus d’une économie de plus de 1,6 milliard sur l’enveloppe bien-être pour la branche Pensions. Pour le volet pensions, les 4 axes suivants sont repris dans l’accord gouvernemental :
- Un durcissement des conditions pour la pension anticipée.
- Moins de droits de pension pour les personnes qui ont eu un « coup dur » durant leur carrière, en raison d’une diminution des périodes assimilées, qui est une réforme à la mesure des « bien- heureux ». Et une réforme qui touche particulièrement les femmes.
- Coup de sabre dans la liaison au bien-être des pensions, par la suppression de l’enveloppe bien-être et de la péréquation et via le plafonnement de l’indexation des pensions en cours des fonctionnaires.
- Harmonisation vers le bas des régimes de pension : coup de sabre dans les pensions des fonctionnaires, par d’augmentation de la cotisation (minimale) des indépendants.
Ci-dessous, nous approfondissons les mesures concrètes. Pour plus d’informations sur l’impact négatif sur les femmes (impact plus large que les pensions), nous vous renvoyons à l’annexe 10 « Arizona : un « boys club » aveugle à la réalité des femmes ».
1 Durcissement des conditions de la pension anticipée
Pension anticipée aujourd’hui | Réforme Arizona | Analyse politico-syndicale |
Pension anticipée possible après : 44 ans de carrière à 60 ans43 ans de carrière à 61/62 ans42 ans de carrière à 63/64/65 ans Pension possible sans condition de carrière à partir de 66 ans (67 ans à partir de 2030) Coefficient d’augmentation de 1,05 pour certains fonctionnaires (avec tantièmes préférentiels) | Nouvelle définition de l’année de carrière : 156 jours de travail (ou assimilés) au lieu de 104 jours Nouvelle porte d’accès : Pension anticipée à partir de 60 ans, après 42 ans de « travail effectif » (234 jours de travail/an) Malus de pension en cas de prise de la pension avant l’âge légal de la pension si < 35 ans de travail effectif Suppression du coefficient d’augmentation, pour l’enseignement et les « services actifs » ,le coefficient diminue à 1,025. | La nouvelle définition de l’année de carrière a un impact énorme sur la première date possible de pension pour de nombreux travailleurs (impact notamment année du diplôme) En raison des conditions strictes, la nouvelle porte d’accès ne profite qu’à une petite partie des travailleurs Le nouveau malus de pension est particulièrement néfaste pour : Les temps partielsLes travailleurs qui ont de nombreuses périodes assimilées, comme la maladie ou le chômage temporaire Les peu qualifiés parce que le malus pension s’applique par année de sortie anticipée par rapport à l’âge légal de la pension (et non sur la base de la longueur de la carrière) Les mesures transitoires sont trop courtes. Le relèvement de l’âge de la pension pour les militaires et le personnel de la SNCB d’un an, par année, est tout simplement absurde. |
- A partir de 2027, une année de carrière serait prise en compte pour la pension anticipée à partir de 6 mois prestés (ou assimilés), au lieu de 4 mois actuellement.[1] Avec cette adaptation, selon les estimations, 4 travailleurs sur 10 devraient travailler un an de plus. De nombreux travailleurs risquent de perdre l’année de leur diplôme. Parallèlement, la nouvelle définition est également défavorable pour les temps partiels. Celui qui a 60 ans en 2025 devra travailler maximum un an de plus, celui qui a 59, maximum 2 ans de plus.
- Le coefficient d’augmentation (1,05) de certains fonctionnaires statutaires disparaîtra à partir de 2027. De ce fait, les fonctionnaires concernés devront travailler environ deux ans de plus avant de pouvoir partir à la pension anticipée. L’enseignement et les « services actifs » (tels qu’ils sont définis aujourd’hui, notamment les facteurs, les douaniers et les pilotes) conservent un coefficient d’augmentation de 1,025. Grâce à ce coefficient, ils arriveront, à l’avenir, un peu plus tôt à la condition de carrière pour la pension anticipée.
- Augmentation des âges de pension spécifiques pour les militaires (à partir de 56 ans) et le personnel de la SNCB (à partir de 55 ans). A partir de 2027, leur âge de la pension augmentera « progressivement » d’un an par année (en concertation avec la fédération du secteur). L’Accord gouvernemental reconnaît également « la spécificité du statut militaire, où leur participation à des missions extérieures et à des unités opérationnelles est valorisée positivement et prise en compte ».
- Ceux qui remplissent malgré tout encore les conditions de la pension anticipée risquent, à partir de 2026 de se voir appliquer un malus de pension (= une sanction financière) en cas de prise de pension avec moins de 35 ans de travail effectif (chaque fois 156 jours de travail effectif par an) et 7.020 jours de travail effectif. Le malus de pension s’élève à 2% par année de départ anticipé par rapport à l’âge légal de la pension (jusqu’en 2030). À partir de 2030, il sera de 4% par an et à partir de 2040, de 5% par an. Près de 3 personnes en pension anticipée sur 10 n’arrivent pas actuellement aux 35 années de travail effectif. L’actuel bonus de pension sera réformé et deviendra un bonus en pourcentage, soumis à ces mêmes conditions.
Les partenaires sociaux peuvent rendre un avis sur une enveloppe de 500 millions €/an (montant 2029) pour « des mesures transitoires destinées aux personnes proches de la pension »’. Dans ce cadre, l’accord gouvernemental demande explicitement d’élaborer un régime pour la première année de carrière.
Remarque : pour la pension anticipée, il y aura une nouvelle porte d’accès à partir de 60 ans après 42 années de carrière « effectives » (avec, chaque année, 234 jours de travail effectif). En raison des conditions préalables strictes, selon les estimations, à peine 3% des hommes et 1% des femmes pourraient utiliser cette possibilité.
Nouvelle définition d’année de carrière : exemple
Rita a 58 ans en 2025 et une carrière de 40 ans comme employée dans le commerce et comme aide-ménagère. Elle a travaillé 20 ans à temps plein et 20 ans à temps partiel (2 jours par semaine). Selon les règles actuelles, elle pourrait partir à 61 ans à la pension, après 43 ans de carrière. Avec la réforme, elle ne peut prendre sa pension qu’à l’âge de 67 ans.
Malus de pension : exemple
Monique aura 63 ans en 2026 et 42 années de carrière. En raison de ses nombreuses années de travail à temps partiel comme aide-ménagère, à un faible pourcentage d’occupation, et après quelques années de maladie, elle ne pourra pas justifier 35 ans de « travail effectif ». Si elle part à la pension anticipée, sa pension légale diminuera de 6%, car elle partirait 3 ans plus tôt que l’âge légal de la pension de 66 ans. Pour une pension moyenne, cette intervention entraîne une perte de près de 115 euros (bruts) par mois. A partir de 2040, le malus de pension augmentera à 5%/année de départ anticipé (!), ce qui peut mener à une perte de pension de plus de 250 €.
2 Moins de pension pour ceux qui ont eu un « coup dur » durant leur carrière (réduction des périodes assimilées)
Périodes assimilées actuellement | Réforme Arizona | Analyse politico-syndicale |
Plusieurs périodes non-prestées sont prises en compte pour la constitution de pension. Principalement : Le chômage involontaireLe RCC/prépensionLa maladie & l’invaliditéLe congé de maternité, de paternité, d’adoption et d’accueil Le congé parental (congé thématique)Le crédit-temps (dont les emplois de fin de carrière)Le congé pour soins palliatifs, pour assistance médicale, pour aidants proches (congé thématique)Les vacances annuellesLa grèveLes périodes de service militaire ou d’objecteur de conscience Selon la période, il y a une assimilation à un « salaire fictif normal » ou à un « salaire fictif limité » (droit annuel minimum) Droit à la pension minimum garantie après 30 ans de carrière et 20 ans de « travail effectif » (5000 jours critère strict, 3120 jours critère souple) | Le malus et le bonus de pension sont liés à 35 ans de travail effectif D’ici 2031, plafond de 20% de périodes assimilées pour la constitution de pension Chômage et régimes de fin de carrière désormais assimilés à un « salaire fictif limité » [2] | Réforme qui sert les « bien-heureux ». Ceux qui ont un coup dur durant leur carrière risquent de le payer cash au moment de leur prise de pension. Les périodes de maladie et de chômage temporaire sont généralement prises en compte comme du travail effectif. Néfaste pour les femmes qui ont généralement plus de périodes assimilées et moins de jours de travail effectif. Plafond de 20% d’assimilations = mesure qui a un effet rétroactif sur les droits de pension acquis. |
- Introduction de conditions de « travail effectif » pour le malus et le bonus de pension. La nouvelle porte d’accès à la pension anticipée (60 ans / 42 ans de travail effectif) est liée à une condition de travail effectif (provisoirement sans assimilation !). D’après les informations que nous avons reçues oralement, la condition d’accès à la pension minimum resterait à « 20 ans de travail effectif ».
- D’ici 2031 un « plafond » de maximum 20% de périodes assimilées sera d’application pour la constitution de pension. Cette limitation sera introduite progressivement : 40% à partir de 2027, puis diminution de ce plafond de 5 points de pour cent chaque année, pour arriver à 20% en 2031.
- Le chômage et la fin de carrière (RCC et emplois de fin de carrière) qui prennent cours à compter de la date de l’Accord de gouvernement sont assimilés à un « salaire fictif limité » (= droit annuel minimum).
Ci-dessous, nous tentons de schématiser les différentes définitions de « travail effectif »
Malus/bonus de pension | Repos de maternité et congés pour soins pris en compte comme du travail effectif |
Plafond de 20% d’assimilations | Non pris en compte pour les périodes de maladie, le repos de maternité et les congés pour soins |
Pension minimum | La condition d’accès resterait à « 20 ans de travail effectif » Le repos de maternité, les congés pour soins (sauf crédit-temps avec motif enfant) & le chômage temporaire sont pris en compte comme du travail effectif |
Nouvelle porte d’accès à la pension anticipée (60 ans et 42 ans de carrière) | L’accord gouvernemental ne prévoit pas d’assimilations, la question est à clarifier au sein du gouvernement Selon la lecture littérale, seuls les jours avec paiement du salaire sont pris en compte (comme les jours de vacances et de maladie avec paiement du salaire) |
Plafond de 20% pour les périodes assimilées : exemple
Céline a travaillé 15 ans à temps plein, 20 ans avec une AGR et les 10 dernières années dans un emploi de fin de carrière à 4/5ème. A sa prise de pension en 2031, elle comptabilise au total 12 années d’assimilations sur sa carrière (= 20 ans x 50% AGR + 10 ans à 4/5ème), ce qui implique qu’elle perd 3 ans d’assimilations pour sa pension au total. Sa pension pourrait diminuer de 6,67%. Pour une pension moyenne, il est question d’une perte de 130 € par mois.
Assimilation à un « salaire fictif limité » : exemple
Jos a travaillé durant toute sa carrière à temps plein, à un salaire médian (3.850€/bruts/mois). A l’âge de 60 ans, il lève le pied et travaille à mi-temps pendant 5 ans dans le régime Emploi de fin de carrière. Les périodes non-prestées dans le cadre de l’Emploi de fin carrière seront dorénavant assimilées à un « salaire limité ou fictif », ou à ce que l’on appelle un « droit minimum annuel » (32.122,36 €/par an). Sa pension finale sera de près de 58€ inférieure.
3 Coup de sabre dans la liaison au bien-être des pensions
Liaison au bien-être actuellement | Réforme Arizona | Analyse politico-syndicale |
Les pensions en cours sont liées à l’indice-santé (indexation le mois suivant le dépassement de l’indice-pivot) Salariés: enveloppe bien-être bisannuelle prévue par la loi Statutaires: système de la « péréquation », les pensions en cours des fonctionnaires étant ainsi liées aux échelles salariales des fonctionnaires en âge actif (limitation de la péréquation à 0,3%/an) | Indexation plafonnée pour les pensions supérieures à 4.329 €/bruts 0% de liaison au bien-être pour toute la législature Suppression de la péréquation | L’intervention dans l’indexation des pensions en cours constitue un précédent important. La suppression des liaisons au bien-être prévues (notamment la pension minimum) annule partiellement les augmentations obtenues par la coalition Vivaldi. |
- 0% d’octroi del’enveloppe bien-être pour toute la législature, y compris pour la branche pensions. Les liaisons au bien-être suivantes qui étaient prévues, n’auront pas lieu :
- +2% pension minimum au 1er juillet 2025/2027/2029 ;
- +2% pour les pensions ayant pris cours depuis exactement 5 ans, au 1er juillet 2025/2027/2029 ;
- +1% pour les pensions en cours depuis au moins 15 ans, au 1er juillet 2025/2027/2029.
En juillet 2029, la pension minimum sera de 6% inférieure par rapport à ce qu’elle serait à politique inchangée. Pour l’avenir, l’enveloppe bien-être sera fondamentalement révisée (en fonction de la croissance de la productivité réalisée).
- Suppression de la péréquation (= liaison au bien-être des pensions des fonctionnaires.
- « Harmonisation » du timing de l’indexation : dorénavant, les pensions ne seraient indexées qu’au cours du 3ème mois suivant le dépassement de l’indice-pivot (au lieu d’une indexation le mois qui suit, actuellement). Les moments d’indexation seront harmonisés pour les allocations sociales, les pensions, les traitements des fonctionnaires et le salaire minimum interprofessionnel (RMMMG).
- Indexation « plafonnée » pour les pensions des fonctionnaires supérieures au plafond des salariés (d’après les informations orales que nous avons obtenues, les indexations plafonnées s’appliqueraient aux pensions à partir de 4.329€/bruts[3]).
Suppression de la liaison au bien-être : exemple
Jean a droit à la pension minimum garantie de 1.809 €/bruts par mois (montant février 2025). Avec la suppression des liaisons au bien-être prévues par la loi, Jean passera à côté de trois liaisons au bien-être : +2% le 1er juillet 2025, +2% le 1er juillet 2027 et +2% le 1er juillet 2029. De ce fait, en juillet 2029, sa pension sera de 6,1% inférieure (soit de 110 € inférieure) par rapport à ce qu’elle aurait été à politique inchangée.
Suppression de la péréquation : exemple
Monique était enseignante et est maintenant à la pension. Sa pension légale s’élève à 2.400 €/nets (3.500 €/bruts) par mois. Comme sa pension ne suivra plus l’évolution des traitements des fonctionnaires actifs (péréquation), elle évoluera moins au fil du temps. Dans le pire des cas, après 20 ans, la pension de Monique sera inférieure de plus de 300 euros (bruts) .
4 Coup de sabre dans les pensions des fonctionnaires, harmonisation vers le bas
Régimes de pension actuellement | Réforme Arizona | Analyse politico-syndicale |
Pension légale salariés = total du salaire revalorisé / 45 X 60% (isolé) ou 75% (ménage) Pension légale des fonctionnaires = nombre d’années de service admissibles X fraction de carrière X traitement de référence | Suppression progressive de la pension de ménage Le traitement de référence des fonctionnaires statutaires ne correspond plus aux 10 dernières années de carrière. Pour les futures années de carrière, il est tenu compte du traitement durant toute la carrière Examen d’une revalorisation des revenus professionnels pour la constitution de la pension (pour les années de carrière à venir) | Harmonisation vers le bas des droits de pension, pas d’augmentation de la cotisation (souvent minimale) des indépendants |
- Coup de sabre dans les pensions des fonctionnaires
- Pour les futures années de carrière, les pensions des fonctionnaires seront calculées sur l’ensemble des traitements perçus au cours de la carrière statutaire. Cette mesure d’économies sera introduite progressivement et arrivera à vitesse de croisière en 2062. Les pensions des futurs fonctionnaires nommés diminueront de ce fait considérablement (de 20% selon les estimations). Les pensions des fonctionnaires se rapprocheront ainsi de celles des salariés et dans certains cas, elles seront même inférieures. Ceci s’explique par le fait que pour les fonctionnaires, le traitement de référence ne tient compte que du traitement barémique – contrairement à ce qui est le cas pour les salariés – et non du pécule de vacances et de l’éventuelle prime de fin d’année. L’accord de gouvernement vise l’introduction d’un 2ème pilier pour les fonctionnaires statutaires, mais celui-ci ne pourra jamais compenser la perte subie.
- Les « tantièmes préférentiels » ou fractions de carrière disparaissent, impliquant que – notamment – les « services actifs » et les enseignants pourraient subir (subiront) une perte de pension supplémentaire.
- Dès 2026, plus aucune entrée dans l’ITF (inaptitude temporaire des fonctionnaires) (ancienne pension maladie).
- Négociations avec les interlocuteurs sociaux sur la disparition progressive du système NAPAP pour les fonctionnaires de police.
- Presqu’aucune mesure pour renforcer les pensions des salariés. Il est simplement question d’un « examen » afin de mieux valoriser les futures années de carrière qui sont prises en compte pour le calcul de la pension .
- Il n’est nulle part question de cotisations plus élevées pour les indépendants, malgré l’augmentation vers la pension des salariés. La majorité des indépendants paient la cotisation minimum légale.
Formule de pension enseignement: exemple
En 2025, une institutrice maternelle de 61 ans peut partir à la pension anticipée à l’âge de 61 ans, avec 41 années de service au compteur. Elle touchera alors une pension nette de 2.664,87€/mois (4.021€/bruts). L’institutrice maternelle qui commencera à travailler en 2025, devra justifier au moins 42 années de service, pourra partir à la pension au plus tôt à 62 ans et touchera une pension nette de 2.332,92€/mois (3.194,57€/bruts).
Régimes préférentiels indépendants : exemple
Sylvie a le statut de conjointe aidante depuis 2003 à raison de 90 jours/an. Elle aide ainsi son mari à gérer son affaire. Pour ce faire, son mari paie chaque trimestre la cotisation minimum (379,62€/trimestre). Les conjointes aidantes ont un accès préférentiel à la pension minimum : leurs années de carrière sont comptées différemment et il n’y a pas de conditions de travail effectif. Après 45 années, Sylvie ouvrira l’accès à la pension minimum complète garantie de 1.809 €/bruts/mois (montant février 2025). Le régime est diamétralement opposé à celui des travailleurs à temps partiel. Un travailleur qui a travaillé durant 45 ans sur la base d’un contrat à mi-temps (50%) ne recevra que la moitié de la pension minimum, soit grosso modo 900 €/bruts/mois.
5 Mesures diverses
- Profonde refonte de la dimension Ménage des pensions :
- La pension au taux ménage (75%) disparaîtra – à moyen terme – sauf pour les minima de pension. En 2023, 10,6% des pensions des salariés et des indépendants étaient des pensions au taux ménage.
- A moyen terme, la pension de divorce disparaîtra progressivement. Le gouvernement prévoit une communication pour encourager le « splitting de la pension » dans les contrats de mariage ou de cohabitation légale.
- Dès 2026, l’âge minimum de la pension pour la pension de survie augmentera progressivement. Le but est que pour la première date de pension possible du conjoint survivant, une allocation de transition de 2 à 4 ans remplace la pension de survie. Le choix entre les deux restera possible durant une période transitoire.
- Renforcement des pensions complémentaires (2ème pilier). Le gouvernement vise une cotisation patronale minimale de 3%, y compris pour les contractuels de la fonction publique.
- Cotisation de solidarité plus élevée sur les capitaux de pension complémentaire (2ème pilier) supérieurs à 150.000 €.
- Plusieurs adaptations techniques (mais importantes) dans le contrôle du seuil Wynickx et du plafond fiscal de 80% (cotisations 2ème pilier déductibles seulement si le total de la pension reste inférieur à 80% du revenu professionnel). Ces mesures doivent contrer l’utilisation inappropriées au niveau des indépendants.
[1] La mesure est vendue comme une « harmonisation de la condition de carrière pour la pension anticipée » puisque les indépendants doivent déjà cotiser durant deux trimestres pour pouvoir faire prendre une année de carrière en compte. La comparaison ne tient toutefois pas la route, puisqu’il n’y a pas de temps partiel chez les indépendants. Le paiement de la cotisation minimum suffit pour faire prendre en compte un trimestre complet à temps plein.
[2] Dans plusieurs cas, il y a déjà actuellement une assimilation à un « salaire fictif limité »
[3] Ceci correspondrait à 75% du plafond de calcul pour les salariés (77.924 €), exprimé sur base mensuelle.
Très vague ; alors que d’autres domaines dans l’accord de gouvernement contiennent des données chiffrées et des mesures concrètes, il s’agit souvent ici de promesses vagues et de principes généraux dont l’élaboration doit encore être largement définie.
1 Climat
Positif
- L’accord de gouvernement ne remet pas en cause les objectifs climatiques européens 2030 & 2050 et la nécessité d’une transition durable (+ réduction progressive de la dépendance aux combustibles fossiles).
- L’accord de gouvernement affirme vouloir examiner la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles (mais sans doute très limitée dans la pratique car « sans générer d’impact économique négatif et sans avoir d’impact négatif sur le pouvoir d’achat ou sur les charges des entreprises »).
- Quelques mesures incitant à intégrer des critères de développement durable dans les marchés publics (encouragement du circuit court dans l’agriculture, « en tenant compte » des critères ESG).
Négatif
- Pas de confirmation de l’objectif (européen) de -47 % de CO2 d’ici 2030 pour les secteurs non-ETS-1, encore moins de l’objectif imposé par la justice (Affaire Climat) de -55 % de CO2 d’ici 2030 par rapport à 1990.
- L’accord de gouvernement semble même remettre implicitement en question l’objectif belge de -47%, notamment (1) en n’y faisant nullement référence, mais aussi (2) en affirmant que la Belgique respecte « les objectifs européens en matière de climat et d’énergie approuvés pour notre pays », alors que la Belgique s’est abstenue lors de l’adoption de la législation européenne sur les objectifs nationaux et ne les a donc pas « approuvés », et (3) en faisant référence au « contexte budgétaire et aux capacités de nos citoyens et de nos entreprises », qui « déterminent comment nous pouvons réaliser nos ambitions ».
- Peu voire pas de mesure concrète.
- Rien concernant « la Transition Juste » & la participation des travailleurs à la transition = ces 5 prochaines années, aucune avancée dans le dialogue social sur la transition climatique au niveau sectoriel et interprofessionnel si les employeurs continuent de refuser.
- Accent très marqué sur les « technologies » : la technologie et l’innovation sauveraient le climat. Mais rien au sujet des travailleurs ou de l’importance de la concertation sociale alors qu’il s’agissait d’une priorité pour la présidence belge…
- Comme à l’Europe, tout est placé sous le signe de l’économie, de la compétitivité, de la déréglementation, la fameuse « charge administrative » :
- Pas de surrèglementation (ou « goldplating », ce qui signifie que la législation belge en matière de durabilité ne peut aller plus loin ou être plus stricte que les règles européennes) ;
- La déduction pour investissement sera simplifiée, rendue plus accessible, transférable indéfiniment et peut-être, à terme, revue à la hausse ;
- Réduction de la taxe sur l’emballage ;
- Maintien au moins partiel des restitutions d’accises sur le diésel routier professionnel.
- Principale mesure = la réforme fiscale. On peut s’attendre à des effets de répartition inéquitables et à des effets Matthieu importants, d’autant plus qu’elle ne s’accompagne pas d’une aide supplémentaire aux ménages vulnérables :
- Taux de TVA de 6 % sur la démolition et la reconstruction (pas forcément positif pour le climat, vu l’impact climatique des matériaux) ;
- Taux de TVA de 6 % sur les pompes à chaleur pendant les 5 prochaines années ;
- La TVA sur les chaudières à mazout et au gaz naturel et la TVA sur le charbon passent de 6 % à 21 % ;
- Taxe d’embarquement de 5 euros pour les vols (ridicule quand on sait que la consommation de l’aviation est très inégalement répartie).
- Pas de plan climatique social alors que cela représente tout de même 2,2 milliards d’euros (en partie en provenance d’un Fonds européen, en partie co-financé par la Belgique).
- Rien concernant l’impact du changement climatique sur les travailleurs (mesures concernant les inondations, les vagues de chaleur…).
- La Belgique rejoint les pays qui remettent en question la vente exclusive de voitures à zéro émissions à partir de 2035 au niveau de l’UE (en mettant l’accent sur des fausses solutions telles que l’hydrogène et les carburants synthétiques).
2 Énergie
Positif
- Renforcement de la position des consommateurs (contrats plus transparents, obligation de proposer un contrat de fourniture standard, mécanisme de filet de sécurité à la fin d’un contrat à tarif fixe).
- Ambitions en matière d’énergie offshore plus ou moins confirmées.
- Annonce d’un pacte énergétique interfédéral.
- Le gouvernement veille à ce qu’aucun coût supplémentaire de la politique fédérale ne vienne s’ajouter aux factures d’électricité des ménages et des entreprises. (Question : cela vaut-il également pour les tarifs de transport croissants ?).
Négatif
- La propriété publique dans le secteur de l’énergie est totalement absente. Au contraire, il semble que l’on s’oriente vers une privatisation plus poussée des réseaux d’énergie.
- Rien concernant des mesures contre la pauvreté énergétique (à part une collaboration avec les régions pour les personnes bénéficiant du tarif social).
- Attaque envers le tarif social :
- Limitation des avantages sociaux en général ;
- « Réforme budgétairement neutre » du tarif social de l’énergie vers une intervention forfaitaire et avec le souci d’éviter le « piège du chômage ».
- Le renforcement de la position des consommateurs reste dans la logique du marché, selon laquelle les consommateurs « informés » doivent comparer les fournisseurs privés (et continuent à payer des prix différents pour le même bien de base, à savoir l’énergie).
- Il semble que l’on s’oriente vers une « tarification dynamique » (imposée) pour les consommateurs. « afin de favoriser une consommation flexible », ce qui risque de renforcer considérablement les inégalités.
- Nouveau Haut Conseil de l’approvisionnement énergétique : lien avec la CREG ? Place pour les syndicats ?
- Beaucoup plus de mesures concrètes concernant le prix de l’énergie pour les entreprises que pour les consommateurs (sans condition en termes d’emploi/de concertation sociale concernant la transition) :
- Le taux d’accises sur l’électricité pour nos entreprises sera abaissé au minimum européen ;
- Abaissement des tarifs du réseau de transport de l’électricité pour les industries à forte consommation d’énergie.
- Pas clair : en ce qui concerne la norme énergétique, accent aussi sur le gaz naturel (nouvelles subventions aux énergies fossiles) ?
- Accent très marqué sur l’énergie nucléaire (4 gigawatts, alors que les deux centrales nucléaires prolongées de Doel 4 et Tihange 3 produisent seulement 2 gigawatts) avec la prolongation des centrales existantes et l’intention de construire des nouvelles centrales nucléaires, ce qui constitue une solution très coûteuse et un exemple typique de coûts publics/profits privés, en outre dangereux au cœur de l’Europe, dans une situation géopolitique instable et sans solution sérieuse pour les déchets radioactifs à long terme.
3 Mobilité
Positif
- Les objectifs d’un transfert modal et la sécurité routière sont mentionnés (mais en respectant la liberté de choix).
- Confirmation du contrat de service public avec la SNCB, du contrat de performance d’Infrabel et des plans d’investissements pluriannuels de la SNCB et d’Infrabel.
- Début prudent d’intégration des transports publics (SNCB + opérateurs de transports publics régionaux) :
- Coordination de l’offre de la SNCB avec celle de De Lijn, du TEC et de la STIB ;
- Mesures pour introduire des produits combinés sous la forme d’un billet combiné ou d’un abonnement (avec un « tarif attractif » convenu entre les prestataires de service).
- Examen de la manière dont des investissements pourront être planifiés pour élargir la capacité de passage à travers Bruxelles.
- Examen d’un mécanisme de soutien pour le leasing social de véhicules électriques, ciblant les travailleurs dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil.
- Encouragement du retrofitting des véhicules à moteur à combustion vers un moteur électrique.
Négatif
- Danger de régionalisation larvée des chemins fer ( « également possible que des investissements régionaux supplémentaires soient réalisés sur les lignes ferroviaires » ).
- Libéralisation et privatisation des chemins de fer très fortement présentes :
- Possibilité clairement laissée ouverte et préparation à la libéralisation du transport intérieur de passagers d’ici 2032 (fin de l’attribution directe) ;
- Privatisation possible de parties du réseau ferroviaire servant uniquement au transport de marchandises ;
- Barrières d’entrée dans les grandes gares et contrôles de billets à l’intérieur des gares.
- Rien concernant la précarité liée au transport.
- Pas de réduction des tarifs pour le transport intérieur de voyageurs, au contraire :
- la SNCB conserve sa liberté de tarification ;
- Pas de retour en arrière sur la suppression prévue des billets seniors et jeunes ;
- «Rationalisation du nombre d’exemptions de paiement ou de remises » ;
- Que va-t-il advenir de la réduction ciblée pour les bénéficiaires d’intervention majorée, compte tenu du plafonnement général des avantages sociaux prévu dans l’accord de gouvernement ?
- Signaux ambigus concernant l’augmentation de l’offre de la SNCB :
- Limitation du nombre d’arrêts dans des lieux à « faible demande » ;
- Plan de transport « réaliste » ;
- Possibilité de fermer d’« anciens arrêts » ;
- L’accent sur l’offre « en fonction des besoins » n’augure rien de bon, comme le montre l’expérience en Flandre avec De Lijn (surtout une économie réalisée sur l’offre).
- Investissement dans des connexions TGV avec l’aéroport de Zaventem = infrastructure coûteuse et profitable aux personnes à revenus élevés qui voyagent beaucoup en avion
- Le statut du personnel SNCB devient moins attrayant (hausse de l’âge de la pension…), alors que la SNCB rencontre déjà des difficultés pour attirer suffisamment de personnel.
- Un droit de grève encore limité par l’« assurance du service garanti sur l’ensemble du réseau ».
- Retour des voitures de société fossiles (hybrides) + frais de carburant (retour en arrière partiel sur l’électrification des voitures de société voulue par le gouvernement Vivaldi).
- Trajet domicile-travail : « budget mobilité pour tous » :
- optimisation parafiscale des salaires ?
- Remplacement d’une série de CCT sectorielles et interprofessionnelles : impact sur la durabilité, sur les recettes de la SNCB, sur les allocations pour les travailleurs, sur le budget de l’État ?
- Point positif, le budget mobilité devient un droit pour les travailleurs pouvant bénéficier d’une voiture de société.
En bref Le gouvernement Arizona a décidé : De limiter la durée du chômage complet indemnisé à 2 ans maximum, avec une exception très restreinte pour les + 55 ans qui ont 30 ans de carrière/35 ans en 2030 ; De revoir les conditions d’admissibilité : une année de travail complète au cours des 3 dernières années ouvre le droit à 1 an maximum d’allocations, prolongeable d’1 mois par 4 mois travaillés (il faut donc avoir travaillé 5 ans de suite pour bénéficier des 2 années max.) ;De renforcer et simplifier la dégressivité : un montant plus élevé durant la première période (augmentation du taux et/ou du plafond salarial), sauf pour les travailleurs qui ont un certains nombres d’années de passé professionnel, relevé graduellement pour aboutir à 35 ans en 2030 ;Retarder l’indexation de deux mois après le dépassement de l’indice-pivot (au lieu du moins suivant actuellement)Laisser une grande marge d’autonomie aux entités fédérées (suivi, contrôle, sanctions) ;Fusion de l’ensemble des disponibilités pour ne conserver que la disponibilité active. Une économie de 1,917 milliards (à relativiser puisqu’il y aura un transfert d’une partie vers la protection sociale) serait réalisée d’ici la fin de la législature sur un budget total aux alentours de 6 milliards[1]. Le nombres de personnes visées par l’exclusion (qui sont déjà à plus de 2 ans) : 113.586 personnes au chômage (ou 121.700 si on inclut les artistes et l’allocation de sauvegarde) ; 10.726 bénéficiaires de l’allocation d’insertion. Attention ! Les exemples fournis dans cette note se basent sur un accord encore très généraliste dont les mesures seront précisées par la suite, il se peut donc que les exemples ne soient plus d’actualité une fois que des projet de textes modificatifs seront déposés. |
1 Ce que prévoit l’accord
1.1 Allocations de chômage
Aujourd’hui | ARIZONA |
a. Allocations illimitées dans le temps. | Limitation dans le temps : 2 ans maximum, sauf (conditions cumulatives) :Pour les travailleurs de + de 55 ans ; etQui ont une carrière 30 ans (en 2025) et 35 ans en 2030 (augmentation graduelle) avec au moins 156 jours de travail/an. ! Interruption du compteur en cas de « courtes périodes de travail interrompu » (formulation sans doute erronée : plutôt question de « courte période suspensive ou d’interruption). Ex. : un travailleur qui, compte tenu de son passé professionnel, a droit en théorie à 2 ans (24 mois) de chômage complet, commence une mission intérim ou un CDD d’un mois lorsqu’il se trouve à son 18ième mois de chômage. Ce mois de travail ne sera en théorie pas comptabilisé dans la durée des 2 ans, de sorte qu’en comptant cette interruption, le travailleur sera a 25 mois dans les chiffres du chômage (24 mois + 1 mois de travail). ! Les chômeurs pourront donc déjà être exclus avant d’atteindre la limite des deux ans de chômage (entre les 1 et 2 ans). Ex. : un travailleur a travaillé 3 ans de manière ininterrompue, il a donc droit en théorie à un an et 6 mois de chômage complet (1 an de travail donne droit à un 1 de chômage complet et 24mois de travail/4 : 6 mois de chômage supplémentaire). Après cette période, il sera exclu car son « compteur » est épuisé, sans avoir atteint la limite des 2 ans. |
b. Conditions d’admissibilité : avoir travaillé en tant que salarié un nombre de jours minimum sur une période de référence : Moins de 36 ans Soit 312 jours/21 mois précédant la demandeSoit 468 jours/33 mois précédant la demandeSoit 624 jours/42 mois précédant la demande De 36 à 49 ans Soit 468 jours/33 mois précédant la demandeSoit 624 jours/42 mois précédant la demande Soit 234 jours/33 mois + 1.560 jours dans les 10 ans qui précèdent les 33 moisSoit 312 jours/33 mois / pour chaque jour qui manque pour arriver à 468, 8 jours dans les 10 ans qui précèdent les 33 moisÀ partir de 50 ans Soit 624 jours/42 mois précédant la demandeSoit 312 jours/42 mois précédant la demande + 1.560 jours dans les 10 ans qui précèdent ces 42 mois Soit 416 jours/42 mois + pour chaque jour qui manque pour arriver à 624, 8 jours dans les 10 ans qui précèdent ces 42 mois. Prolongement des périodes possibles. | Conditions d’admissibilité : une année de travail (312 jours) au cours des 3 dernières annéesDonne droit à maximum 1 an d’allocations Chaque période de 4 mois de travail supplémentaire donne droit à 1 mois d’allocations supplémentaires (donc 5 ans de travail minimum pour avoir droit aux 2 ans maximum de chômage). ! Pour le reste de la carrière : 1 an travaillé sur les 3 dernières années + les mois « épargnés » (sans précision sur la période de référence, le moins pire serait de prévoir un « crédit » sans limite de temps). ! « Simplification » de la dégressivité. Ex. : un travailleur qui a une carrière de 3 ans aura droit à des allocations de chômage durant 1 an et demi, celui qui a 5 ans de carrière bénéficiera d’allocations de chômage durant maximum 2 ans, de même qu’un travailleur qui a 10, 15 ou 20 ans d’ancienneté. |
c. Dégressivité actuelle : Première période : 12 mois 3 mois : 65 % du dernier salaire (plafond salarial supérieur)3 mois : 60 % du dernier salaire (plafond salarial supérieur)6 mois : 60 % du dernier salaire (plafond salarial moyen)Deuxième période : max. 36 mois 2 mois : 60 %, 55 % ou 40 % en fonction de la catégorie familialeProlongation de 2 mois par année de passé professionnel, avec calculs spécifiquesTroisième période : après 48 mois maximumAllocation forfaitaire dépendant de la situation familiale. 4 plafonds salariaux (supérieur, moyen, inférieur et spécifique) | Dégressivité renforcée : allocations plus élevées (combien ?) durant la 1ière période (12 mois ?) par une augmentation du taux de remplacement et/ou du plafonds de revenus et ensuite diminution plus forte qu’actuellement, sauf[2] : Pour les travailleurs qui justifient de 25 ans de carrière actuellement (« aujourd’hui » dans l’accord) ; 30 ans en 2025 (sans doute pour l’avenir) ; 35 ans en 2030. |
- Autres éléments :
- Retard de l’indexation de deux mois après le dépassement de l’indice-pivot (dépassement + 2 mois)
- Droit à la démission : peut prétendre à maximum 6 mois de chômage si 10 ans de carrière au moins avec « des années » de travail effectif[3].
- Les entités fédérées pourront à l’avenir déterminer de manière autonome les critères d’un emploi convenable, la disponibilité et son éventuelle dispense, les niveaux de sanction et le contrôle.
- Fusion de l’ensemble des disponibilités (active, passive, adaptée) en une seule disponibilité active, y compris pour les RCC.
- Tous les demandeurs d’emploi sont censés rester disponibles pour un nouvel emploi jusqu’à l’âge de la pension légale.
- Inscription des malades avec un potentiel de travail comme demandeur d’emploi et obligation pour les services régionaux de leur faire une proposition.
- L’afflux de bénéficiaires exclus vers les CPAS sera compensé par une augmentation du financement du RIS par l’autorité fédérale, conditionnée par la conclusion d’un PIIS[4] et des résultats liés au nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration qui trouvent un emploi durable. Le tableau budgétaire parle d’un budget de 527 millions d’euros pour les pouvoirs locaux (alors que l’économie au fédéral est de 1,9 milliards) pour compenser les réformes marché du travail et pensions dans leur globalité.
- Suppression de la prime temporaire pour les chômeurs de longue durée qui commence à travailler dans un métier en pénurie ou dans une autre Région.
- Suppression de l’enveloppe bien-être[5] qui a permis depuis de nombreuses années de limiter l’érosion des allocations sociales, dont les allocations de chômage, dont les minimas pour un isolé ont par exemple augmenté de 20% (en plus des indexations). Ce mécanisme permet, entre autres, de réduire la différence existante entre les minimas des allocations de chômage et le seuil de pauvreté. Les allocations de chômage, malgré une dégressivité renforcée avec une première période plus élevée (taux de remplacement et/ou plafonds plus haut(s)) rapporteront (bien) mois qu’actuellement et les certains travailleurs feront face à une précarité encore plus grande qu’avec une « simple » limitation dans le temps des allocations de chômage.
1.2 Allocations d’insertion
Aujourd’hui | ARIZONA |
a. Stage d’insertion professionnelle : 310 jours, 2 évaluations positives par le SRE et être âgé de moins de 25 ans (25 ans – 310 jours donc). L’obligation de diplôme, d’un certificat ou d’une attestation ne vaut que si la personne a moins de 21 ans. | Stage d’attente : 156 jours après l’obtention d’un diplôme[6], maintien des 2 évaluations positives par le SRE et demande avant avoir atteint 25 ans (donc 24 ½ maximum à l’avenir). |
b. Durée des allocations : 36 mois maximum, prolongeable sous certaines conditions. | Durée des allocations : une année maximum, avec suspension en fonction du nombre de jours travaillés. |
1.3 Réduction d’impôt pour les allocations de chômage[7]
Le volet fiscal de l’accord prévoit la suppression de la réduction d’impôt pour les allocations de chômage. Cette suppression aura un impact sur ce que percevra réellement le bénéficiaire des allocations. Ce dernier est en effet supposé bénéficier d’allocations plus élevées qu’actuellement en 1ière période (voir point 2.1, a. de la note) mais cette augmentation sera en partie neutralisée par cette suppression de réduction d’impôt.
Le service économique a procédé à diverses simulations en prenant la situation d’un travailleur isolé, avec un salaire moyen de 3.800 EUR, en imaginant un passage en première période à 70 % (au lieu de 65-60% actuellement) et un calcul d’impôt pour les revenus 2023 (avec additionnel communal de 7%). Voici deux scénarios :
- Pour une situation de 6 premiers mois au travail suivis de 6 mois au chômage :
- Actuellement, réduction d’impôt annuelle de 954,75 EUR ;
- En cas d’augmentation des allocations 1ier période à 70 % :
- L’augmentation des allocations entraînerait un gain de 970,83 EUR sur base annuelle ;
- La réduction d’impôt annuelle serait de 845,51 EUR.
- Résultat net : 125,32 EUR
L’augmentation est donc presque totalement neutralisée en raison de la suppression de la réduction d’impôt.
- Pour une situation de 3 mois au chômage (mois 4 à 6) + 9 mois au travail :
- Actuellement, réduction d’impôt annuelle de 199,62 EUR ;
- En cas d’augmentation des allocations 1ière période à 70 % :
- L’augmentation des allocations entraînerait un gain de 465,96 EUR sur base annuelle ;
- La réduction d’impôt annuelle serait de 181 EUR.
- Résultat net : 284,96 EUR
L’augmentation est donc neutralisée à concurrence d’environ 40 % en raison de la suppression de la réduction d’impôt.
2 Personnes impactées
2.1 Personnes potentiellement exclues
Pour novembre 2024, on parle de 113.586 personnes bénéficiaires d’allocations de chômage après prestations de travail à temps plein et à temps partiel (demandeurs d’emploi et non demandeurs d’emploi[8]) et 10.726 allocataires d’insertion qui pourront être exclues directement.
Certains calculs parlent de 85.000 personnes qui seraient exclues du chômage sur 130.000 personnes qui sont bénéficiaires actuellement des allocations de chômage depuis plus de 2 ans[9]. Il faut cependant affiner ces données car sur ces 130.000, divers bénéficiaires doivent être exclus : allocataires d’insertion (impactés par la limitation à 1 an, voir ci-dessous) et RCC.
L’accord reste peu clair pour certaines allocations : allocations de sauvegarde et allocation du travail des arts. Il ne s’agit pas à proprement parler d’allocations de chômage, nous avons donc prévu 2 scénarios : le premier où ils ne sont pas concernés par la limitation, le deuxième où ils sont également visés.
Chômage (prestations temps plein/temps partiel) | Allocations d’insertion | Total | |
Wallonie | 47.704 | 7.627 | 55.331 |
Bruxelles | 30.765 | 1.268 | 32.033 |
Flandre | 35.117 | 1.831 | 36.948 |
Belgique | 113.586 | 10.726 | 124.312 |
121.700* | 132.426* |
* Si on inclut dans le calcul les bénéficiaires d’allocations du travail des arts et d’allocations de sauvegarde.
2.2 Mesure pour les 55 +
Sur ce total des chômeurs exclus, 1.506 bénéficiaires satisfont aux conditions d’exclusion de la limitation (voir point 2.1.a)[10]. L’accord parle, pour l’exemption, de « 30 ans de passé professionnel avec au moins 156 jours travaillés/an » or l’ONEm converti les jours et heures d’emploi en années de passé professionnel, il se pourrait donc que le chiffre soit différent mais cela nécessiterait que l’ONEm calcule les années différemment pour l’exemption.
2.3 Les exclusions impossibles à calculer
L’accord prévoit bien que pour bénéficier des allocations de chômage pendant 1 an maximum, il faut avoir travaillé 1 an sur une période de 3 ans, et ce maximum est prolongeable d’1 mois par 4 mois travaillé (la période de référence n’est cependant pas précisé). Des personnes qui seront entrées dans le système du chômage pourront donc être exclues bien avant le terme théorique des 2 ans.
Exemple : un travailleur qui a travaillé 3 ans aura droit à 1 an et 6 mois de chômage à l’avenir mais sera exclu après cette période. À ce stade, il est impossible de faire de projection chiffrées sur le nombre de personnes qui, actuellement pourraient se retrouver dans cette situation à l’avenir, mais c’est une réalité à prendre en compte.
Les tableaux budgétaires annexés à l’accord gouvernemental mentionnent les économies suivantes en ce qui concerne le chômage :
2025 | 2026 | 2027 | 2028 | 2029 | |
Limitation dans le temps et dégressivité renforcée | – 26 | 902 | 1.803 | 1.860 | 1.917 |
Allocations d’insertion | |||||
Suppression de la prime temporaire pour métier en pénurie ou emploi dans une autre Région | 0,5 | 0,5 | 0,5 | 0,5 | 0,5 |
Responsabilisation des CPAS | / | 16 | 33 | 59 | 65 |
Soutien aux collectivités locales : compensation des réformes du marché du travail et des pensions | – 50 | – 50 | – 361 | – 465 | – 527 |
Suppression de la réduction d’impôt | / | 265 | 265 | 265 | 265 |
Total | – 75,5 | 1.133,5 | 1.740,5 | 1.719,5 | 1.720,5 |
Il faudra également prendre en compte l’impact sur l’augmentation des personnes en maladie-invalidité (coût fédéral) ainsi que sur les économies d’échelle réellement réalisées : la Revue Belge de Sécurité Sociale indiquait déjà que la dégressivité renforcée via une augmentation des allocations lors des premiers mois pouvait produire des effets contre-indiqués car ces dépenses (plus élevées) dépendront fortement de la conjoncture économique. L’ONEm lui-même indique, au sujet de la réforme de 2012 sur la dégressivité, que « la dégressivité renforcée a permis de dépenser 147.997.773 EUR de moins au cours de ces dix dernières années [2012 – 2022] que dans l’hypothèse d’un maintien de la politique précédente, soit une économie de 0,5 % [par rapport à une politique inchangée] ».
3 L’impact sur les entités fédérées et les communes
Davantage d’autonomie, de responsabilisation et de coopération avec les entités fédérées et renforcement des politiques régionales « sur mesure » au niveau de la réglementation. À cette fin, le texte de l’accord est ambigu car il parle de cadre normatif fédéral clair tout en laissant toujours plus de largesses aux entités fédérées. Mais pas un mot sur la manière d’y arriver.
3.1 Les Régions
L’accord comprend un volet « collaboration interfédérale » afin d’aligner ses politiques et celles des entités fédérées et ce « dans le respect des compétences de chacun, de la Constitution et du droit européen et international contraignant ». Sans surprise, l’une des mesures phares de ce volet concernant la politique d’activation, via la mobilité interrégionale, le suivi, le contrôle et les sanctions.
La refonte de la disponibilité ainsi que la volonté de donner davantage d’autonomie aux Régions en matière de critères d’emploi convenable (AM 26/11/1991), de disponibilité, de son éventuelle dispense, des niveaux de sanction et de contrôle est, d’une part, une tentative de toujours plus régionaliser certains pans de la sécurité sociale et, d’autre part, de passe outre la répartition légale des compétences entre les différentes entités.
Pour rappel, ce sont les Régions qui sont chargées du contrôle de la disponibilité de manière générale : elles doivent évaluer périodiquement (en déterminant elles-mêmes les modalités, la périodicité et le timing des évaluations) la disponibilité du travailleur au chômage et prendre une décision suite à l’évaluation. Si à la suite de ces évaluations, une sanction est prononcée, elle doit l’être dans les limites prévues par la réglementation chômage (AR 25/11/1991) et une communication doit être faite à l’ONEm. Dans la pratique, la politique de sanction a pris le dessus sur la politique de médiation, ce qui se vérifie dans l’augmentation des sanctions à travers les années : pour 2023, il y a eu 33.618 sanctions et exclusions (tous types confondus)[11], contre 29.922 en 2022. Il y a donc une augmentation des sanctions et des exclusions, qui doit être mise en parallèle avec la baisse constante et structurelle du nombre de bénéficiaires des allocations de chômage.
Conformément à l’article 6, §1ier, 5°, al. 2 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 08 août 1980, « l’autorité fédérale reste compétente pour le cadre normatif en ce qui concerne la réglementation en matière d’emploi convenable, de recherche active d’un emploi, de contrôle administratif et de sanctions, ainsi que pour l’exécution matérielle des sanctions […] ». Si le Gouvernement voulait bouleverser cette répartition des compétences (et (faire) appliquer une politique asymétrique), il faudrait dès lors modifier la loi spéciale, ce qui nécessiterait un vote à la majorité renforcée par le Parlement fédéral[12]. Il faudrait de même que cette différentiation se fasse sur base de critères objectifs et les modifications ne devraient pas violer les article 10 et 11 de la Constitution.
Les Régions seraient théoriquement également impactées dans leur organisation, puisque davantage de compétences leurs seraient attribuées (via les services régionaux de l’emploi, via un encadrement et une activation bien plus stricts des personnes au chômage), ce qui a un coût financier mais également humain et logistique.
Les Régions étant garantes de la santé financière des communes, les augmentations du nombre de bénéficiaires des CPAS auront également un impact conséquent sur elles.
3.2 Les communes
La réforme des allocations de chômage aura un impact sur les localités et le texte de l’accord prévoit également que les entités fédérées obtiennent la possibilité de « simplifier » le paysage administratif en adaptant la législation sur les CPAS pour qu’une intégration totale CPAS-commune puisse être réalisée.
L’étude de septembre de la FGTB[13] démontrait dans une large mesure pourquoi la limitation dans le temps des allocations de chômage ne produirait pas les économies escomptées. Une des raisons principales est l’impact de l’exclusion sur les CPAS, leur fonctionnement, leur structure, leur organisation, leur logistique et leur financement. Nous notions également que l’impact ne se ferait pas seulement sentir via une augmentation du nombre de bénéficiaire du RIS mais aussi via l’ensemble des autres coûts possibles : aide sociale, frais (médicaux, d’hospitalisation, pharmaceutiques, d’hébergement des personnes âgées, etc.). Pour illustrer notre propos, nous avions simulé un transfert « maximal » des bénéficiaire des allocations de chômage vers les communes et nous avions illustré l’impact budgétaire pour quelques grandes villes : + 15.393.920,38 EUR à Mons, + 43.982.682,73 EUR à Anvers, + 8.827.051,71 EUR à Uccle.
Globalement, en extrapolant les chiffres du nombre de bénéficiaire actuels du RIS en y ajoutant le nombre de personnes au chômage susceptibles d’être prochainement exclues si les intentions de certains partis venaient à se réaliser, nous étions arrivés à un manque d’environ 600 millions d’EUR (les notes prévoyaient alors 200 millions pour les communes pour gérer cet afflux).
Une étude récemment publiée par Dulbea[14] va dans le même sens : la plus grande partie des personnes exclues du bénéfice des allocations de chômage après deux ans, plutôt que de retourner à l’emploi, risquent plutôt de basculer vers les CPAS ou vers l’invalidité, voire carrément de sortir des radars (comme cela avait été le cas lors de la limitation dans le temps des allocations d’insertion). Sur les un peu moins de 90.000 personnes considérées pour l’étude, un tiers (30.122) basculerait vers le RIS, plus d’un tiers (33.557) vers les indemnités de maladie ou d’invalidité/incapacité de travail et moins d’un tiers (25.433) retourneraient effectivement à l’emploi.
Comme nous l’indiquions dans notre étude, les économies annoncées sont en réalité en grande partie un transfert de charges vers d’autres niveaux de pouvoirs. Il faut d’ailleurs également ne pas seulement avoir une analyse purement chiffrée et courtermiste de cette réforme : il faut également l’envisager au niveau de l’organisation et de la qualité des services, de la capacité des différentes institutions à gérer ces changements, de l’impact sur la santé et le bien-être des chercheurs d’emploi impactés, etc. Certaines communes verraient purement et simplement le nombre d’allocataires sociaux doubler, voire parfois tripler.
4 Conclusions
Il reste encore de nombreuses inconnues mais nous pouvons déjà tirer quelques conclusions temporaires :
- Porte atteinte à la mission première du régime des allocations de chômage, à savoir fournir une assurance contre la perte de revenus après la perte d’un emploi.
- Promesse d’un « différentiel de 500 EUR entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas » : le futur gouvernement y parviendra en appauvrissant les personnes sans emploi, pas en augmentant le revenu des travailleurs. Un argument supplémentaire qui montre que les travailleurs ne verront donc pas leur situation améliorée sous cette politique[15].
- Il y a bel et bien une violation de l’obligation de standstill et des projets de dossiers types seront préparés en vue de la réunion des secrétaires régionaux du 18 février. D’autres pistes doivent également être envisagées, comme un recours devant le Conseil d’État.
- Les allocations plus élevées en première période (dégressivité renforcée) seront largement neutralisées par certaines mesures fiscales.
- Les volontés de régionaliser de nombreux aspects de la réglementation chômage semble douteuse juridiquement parlant mais aura également un effet négatif sur les demandeurs d’emplois qui seront potentiellement davantage contrôlés et sanctionnés (cf. les chiffres des sanctions ci-dessus), et ils pourraient peut-être à l’avenir devoir accepter des emplois qui sont considérés comme non-convenable à l’heure actuelle.
- Sur la question des sanctions, il faudrait également revoir entièrement les niveaux de sanction puisque pour la disponibilité passive (évaluée par le VDAB, le FOREM, ACTIRIS) et pour l’exclusion en cas de licenciement pour attitude fautive du travailleur, d’abandon d’emploi, d’absence de déclaration obligatoire, de déclaration incorrecte ou tardive, d’usage de documents inexacts ou d’usage incorrect de la carte de contrôle (point évalués par l’ONEM), la fourchette va de 4 à 52 semaines d’exclusion.
[1] Montant à relativiser : nous avions calculé, en interne, que pour 2023, les dépenses pour le chômage complet indemnisé (seul) s’élevait à 3,908 milliards. Même ce montant est à relativiser dès lors qu’une partie de ce montant est affecté aux interruptions volontaires de carrière, aux mesures de soutiens aux travailleurs mais aussi aux frais de fonctionnement de l’institution.
[2] Quid des autres catégories actuellement exemptée de la dégressivité : incapacité de travail de 33% et + de 55 ans + certaines formations ? Quid aussi des catégories pour lesquelles il n’y a actuellement pas de dégressivité : chômage temporaire, jeunes sortant des études, RCC, etc. ? Ou celles pour lesquelles il n’y a pas de dégressivité pour autant que le statut est maintenu : les marins, horeca, travailleurs des arts, travailleurs portuaires, demandeurs d’emploi non mobilisables ?
[3] Prolongeable une fois de 6 mois en cas de formation « réussie » (donc droit rétroactif ?) vers un emploi en pénurie et si cette formation a été démarrée dans le premier trimestre de l’allocation de chômage.
[4] Projet Individualisé d’Intégration Sociale
[5] Formulation assez peu claire et des disparités existent avec la version NL : « Au lieu de l’enveloppe bien-être, nous fournirons à cette législature une enveloppe spécifique pour augmenter les allocations pour les groupes les plus vulnérables tels que les personnes handicapées, malades et invalides. Il est également examiné comment, en plus des enveloppes distinctes pour le régime des salariés, le régime des indépendants et les régimes d’assistance, une alternative similaire au système de péréquation peut être prévue pour les fonctionnaires ».
[6] Assouplissement (156 jours) et durcissement (obligation de diplôme).
[7] Voir le tableau de synthèse en annexe (seules les données utiles à la lecture ont été retranscrites mais d’autres variables ont bien sûr été prises en compte lors des calculs).
[8] Travailleurs âgés, aidants-proches et travailleurs à temps partiel volontaires.
[9] https://www.demorgen.be/nieuws/85-000-mensen-verliezen-straks-hun-uitkering-krijg-je-zo-langdurig-werklozen-ook-weer-aan-de-slag~b154d97c/?referrer=https://statics.teams.cdn.office.net/
[10] À ceci près que nos calculs incluent les personnes de 55 ans alors que l’accord parle des personnes de « plus de 55 ans » et que les chiffres sur lesquels on se base sont une moyenne de 2024 au mois de novembre.
[11] Flandre : 22.578 ; Wallonie : 8.033 ; Bruxelles : 3.007.
[12] 1° à la majorité des deux tiers des membres, à la Chambre des représentants comme au Sénat ; 2° à la majorité des suffrages de chaque groupe linguistique, français et néerlandais, de la Chambre des représentants et du Sénat ; 3° à la condition que la majorité des membres de chaque groupe linguistique se trouve réunie lors du vote, à la Chambre comme au Sénat (condition de quorum).
[13]https://fgtb.be/sites/default/files/2024-09/2453%231%20FGTB%20%C3%A9tude_exclusions%20cho%CC%82mage%20.pdf
[14] https://dulbea.ulb.be/wp-content/uploads/2024/12/POLICY-BRIEF-N%C2%B024.07.pdf
[15] Aussi pour contrebalancer les articles de presse qui laissent croire qu’une majorité de la population est pour la limitation dans le temps des allocations de chômage : https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/01/27/ugent-bevraging-supernota-maatregelen-pensioenen-arbeidsmarkt-be/
1 En bref
Cette fiche met le focus sur :
- Le fait que le nouveau gouvernement remet en question les obligations de rapportage imposées aux entreprises par les directives européennes.
- Les modifications des taux de TVA qui vont toucher les consommateurs.
- Plusieurs éléments relatifs à la numérisation de la société.
2 Contenu de la déclaration gouvernementale
Situation actuelle | Arizona | Réaction |
Informations à fournir par les entreprises | ||
Les entreprises belges doivent se conformer à la législation européenne | Volonté de réduire les obligations de rapport existantes ou nouvelles, en particulier pour les PME. | Négatif Les travailleurs auront potentiellement accès a moins d’informations dans les organes de dialogue social dans les entreprises. |
TVA | ||
TVA des pompes à chaleur passera de 21% à 6%. TVA pour l’installation d’une chaudière à combustibles fossiles (gaz, mazout, etc.) sera augmentée de 6% à 21% dans le cadre d’une rénovation (pour les logements de plus de 10 ans). La TVA sur le charbon passe de 12% à 21%. La taxe sur l’emballage sera réduite pour l’eau et les emballages réutilisables. De même, les accises sur les boissons sans sucre, le thé et le café seront supprimées. Pour soutenir une politique de rénovation, la démolition et la reconstruction bénéficient d’un taux de TVA à 6 % s’appliquant à tous. | Positif car stimulation consommation verte mais quel impact pour ceux qui ne savent pas se « payer » l’énergie verte ? | |
Numérisation | ||
Taxe numérique | ||
Les grandes multinationales du numérique seront imposables même sans présence physique en Belgique. Sans accord européen, la Belgique instaurera unilatéralement une digitaxe au plus tard à partir de 2027. | Positif Recettes estimées : 70 000 000 d’euros de 2027 à 2029 | |
Numérisation des services publics | ||
Tendance à « tout au digital » | Les services publics doivent également rester garantis et accessibles physiquement et téléphoniquement, même en présence de services numériques. Les services publics doivent organiser des permanences et être en mesure de parler aux citoyens sur rendez-vous au moins une fois par semaine. | Positif Accessibilité des services publics en physique ou téléphone. Cependant, l’administration devrait également être financée de manière adéquate (ce qui n’est pas garanti en raison de l’austérité qui frappera le secteur public). |
Le gouvernement encourage les services essentiels (énergie, télécom, assurances, banques, etc) à adopter le principe de « l’inclusion dès la conception ». | Positif | |
E-box | L’utilisation de l’e-Box sera rendue obligatoire pour toutes les administrations. L’objectif est d’avoir une synergie maximale entre l’e-Box citoyen et l’e-Box entreprise. Le gouvernement s’engage à mettre en œuvre l’arrêté royal concernant la mise en œuvre de la loi E-Box. | Négatif Numérisation « contrainte » et sans tenir compte de la fracture numérique et des groupes vulnérables (citoyens analphabètes, seniors, personnes porteuses de handicap, etc) |
3 Conclusion
En ce qui concerne les informations à fournir par les entreprises aux travailleurs, à l’avenir, celles-ci pourraient être réduites, ce qui limiterait l’accès à certaines informations pour les travailleurs (ex : rapport durabilité).
En ce qui concerne les aspects numériques, la digitax est une bonne « intention » même si son implémentation reste un défi, que ce soit au niveau européen ou national.
L’attention accordée à la fracture numérique est plutôt positive. Nous regrettons que dans ce même accord, la volonté du gouvernement est de renforcer la e-box alors que cet instrument a déjà fait l’objet de beaucoup de critiques.
En bref
Dans la présente note, nous tentons de réaliser une analyse générale de la partie « marché du travail » de l’accord de coalition Arizona, en mettant plus particulièrement l’accent sur les aspects liés à la flexibilité, le temps de travail et les régimes de soins.
Le chapitre sur le marché du travail semble être le reflet du programme électoral du MR ou de la N-VA. Il contient juste encore plus de flexibilité qui risque de pousser les travailleurs vers l’assurance-maladie. Alors que c’est le « core business » des interlocuteurs sociaux, l’Accord s’immisce – sans aucun scrupule – dans les accords sociaux existants, avec des mesures en faveur des entreprises, sans aucune contrepartie qui profiterait aux travailleurs.
De plus, les mesures négatives touchent l’essence même des conditions de travail et enlèvent parallèlement la possibilité aux représentants syndicaux de fixer des modalités à ce sujet et/ou d’exiger des compensations (tant au niveau de l’entreprise que du secteur et au niveau interprofessionnel) en raison d’un renforcement de la tendance à évoluer de plus en plus vers des accords individuels entre l’employeur et le travailleur.
Enfin, n’oublions pas non plus la suppression du statut de fonctionnaire nommé.
1 Analyse schématique de la partie marché du travail (flexibilité / durée du travail / droit du travail / régimes de soins) de l’Accord de coalition fédérale Arizona
Actuellement | Arizona | Réaction |
Dans le secteur privé, les congés existants sont : le congé pour assistance médicale, le congé parental, le congé pour soins palliatifs et le congé pour aidants proches. A côté de cela, dans le crédit-temps avec motif, il y a le crédit-temps pour soins à son/ses enfant(s) de moins de 8 ans, soins palliatifs, soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade, soins à son/ses enfant(s) de moins de 21 ans atteint d’un handicap et aide ou soins à son/ses enfant(s) mineur(s) gravement malade ou à un enfant mineur gravement malade faisant partie de son ménage. Enfin, il y a encore le congé de maternité, comprenant notamment un congé post-natal et le droit aux pauses d’allaitement. | Introduction du « crédit familial » (actuels congés pour soins de naissance et de soins à un enfant), valable pour les salariés, les indépendants et les fonctionnaires. Marge pour des modalités nouvelles ou adaptées (prise de congé par les grands-parents, encouragement de la prise de congé par les deux parents). Pour les enfants n’ayant plus qu’un seul parent : ce dernier a droit à l’intégralité du crédit familial | Pas de délai ni de mention indiquant que le regroupement de ces congés pour soins doit se faire dans un cadre budgétairement neutre sauf pour l’élargissement du congé parental aux parents d’accueil qui doit se faire « dans le respect du cadre budgétaire actuel ». Dans le tableau budgétaire, 25 millions € de moyens supplémentaires sont prévus à partir de 2026. Pas d’obligation/de garantie que l’introduction de ce « crédit familial » doit effectivement être réalisée/sera effectivement réalisée. Le congé de maternité et les pauses d’allaitement ne relèveront sans doute pas de la mesure. |
On connait le télétravail structurel et occasionnel. En cas de télétravail structurel, il faut déterminer par écrit à quel(s) endroit(s) le télétravailleur effectuera son travail. En cas de télétravail occasionnel, ceci ne doit pas obligatoirement être déterminé. | Examen pour voir si le « téléTRAINvail » peut être stimulé (dès que les trains seront mieux équipés). | Les heures de « téléTRAINvail » se substitueront au temps de déplacement et au temps de travail. Parallèlement toutefois, aucune mention concernant la garantie que la réglementation sur la durée du travail s’appliquera intégralement aux télétravailleurs (qu’ils télétravaillent dans le train ou dans un autre lieu), ce qui est le problème le majeur en matière de télétravail. Se pose aussi la question de la reconnaissance et de l’indemnisation des accidents survenus pendant le « téléTRAINvail ». |
Exceptions pour prise à partir de 50 ans : Entreprises en difficulté/restructuration/Métier lourd (en ce compris une carrière de 28 ans, à raison de 285 jours, jours assimilés partiellement inclus). Droit aux allocations à partir de 60 ans et à partir de 55 ans dans 5 situations d’exception (dont une carrière professionnelle de 35 ans). L’exception de 35 années de carrière est calculée à raison de 312 jours, jours assimilées compris. Condition du passé professionnel pour avoir droit aux allocations : 25 ans à raison de 312 jours, jours assimilés inclus. | Emploi de fin de carrière à partir de 55 ans, si au moins 30 années de passé professionnel (au moins 156 jours de travail par an). Augmentation graduelle à minimum 35 années d’ici 2030. | La note laisse paraître un droit général aux allocations à partir de 55 ans. Compte tenu du tableau budgétaire, il en est peu probable 2025 2026 2027 2028 2029 8,0 9,2 10,9 12,3 14,1 156 jours de travail, cela revient à une diminution de moitié, mais par contre exclusion de tous les jours assimilés. |
Le crédit-temps et l’interruption de carrière sont des systèmes différents. | Nouvelle harmonisation du crédit-temps et de l’interruption de carrière sur la base du régime du secteur privé. | Dans le tableau budgétaire, on part du principe que des économies seront réalisées à partir de 2028 grâce à l’harmonisation des régimes – en d’autres termes, cela signifie, à terme, une harmonisation vers le bas. |
Congé parental possible pour : La mère biologique et le père légal de l’enfantLa personne qui a reconnu l’enfant, de sorte que la filiation paternelle est établieL’épouse ou la compagne de la mère biologique de l’enfant qui est devenue co-mère ;les parents adoptifs | Congé parental également rendu possible pour les parents d’accueil dans le respect du cadre budgétaire actuel. | Positif pour les parents d’accueil, mais le fait que ceci doive se faire « dans le respect du cadre budgétaire actuel » signifie inévitablement que les allocations seront plus basses ou que le droit au congé parental pour tous les parents sera limité (y compris pour les parents d’accueil). |
Le congé de maternité n’est pas combinable avec du bénévolat ni avec l’exercice d’un mandat politique. | Congé de maternité combinable avec du bénévolat et l’exercice d’ un mandat politique. | Le fait de ne plus considérer le repos de maternité comme une « période de repos » et d’activer – in fine – le repos de maternité constitue un dangereux précédent. D’un autre côté, le congé de naissance est combinable avec des formes de bénévolat et un mandat politique. |
Possibilité de démissionner et d’ouvrir le droit aux allocations. Allocations qui ne seront obtenues en moyenne qu’après une période de sanction (de 8 à 13 semaines en moyenne), si aucun motif de licenciement licite ne peut être prouvé par rapport à l’ONEM (par exemple harcèlement au travail, victime d’une agression par un supérieur hiérarchique…). Si un motif de licenciement licite peut être prouvé, le droit aux allocations peut directement être ouvert. Ceci est possible plusieurs fois durant votre carrière, quelle que soit la durée de celle-ci. Le perte du droit aux allocations n’est possible que si vous commettez le même fait dans l’année. (répétition légale) | Si 10 années de travail effectif, possibilité unique de démissionner et maximum 6 mois d’allocations de chômage. Prolongeable une fois de 6 mois, dans le cas d’une formation réussie vers un emploi en pénurie et si cette formation a été démarrée dans le 1er trimestre de chômage. | Cette mesure contient certainement des éléments positifs en soi, mais soulève également de nombreuses questions. Une analyse et discussion plus approfondies sont nécessaires pour déterminer notre position sur le fond (ceci sera réalisé par le biais d’une note séparée). |
Chaque travailleur à temps plein a droit à au moins 5 jours de formation par an (une CCT sectorielle peut modifier le nombre de jours, sans passer à moins de 2 jours de formation ou à moins que le nombre de jours précédemment octroyés). Formation : aussi bien la formation formelle qu’informelle. Les entreprises de moins de 10 travailleurs sont dispensées. Les entreprises d’au moins 10 travailleurs, mais de moins de 20 travailleurs, ne doivent prévoir qu’un seul jour de formation. Si le préavis est remplacé totalement ou partiellement par le paiement d’une indemnité de rupture, le solde du crédit-formation est considéré comme un avantage acquis découlant du contrat de travail. Aucune catégorie de travailleurs n’est exclue. | Plus grande flexibilité du droit à la formation et collectivisation partielle. En concertation avec les partenaires sociaux, accent sur les TR qui en ont le plus besoin et exclusion des travailleurs saisonniers, des étudiants et des flexi-jobs notamment. Pas de droit à une rémunération sous forme de salaire. Formation informelle dans les PME prise en compte. Maintien des exemptions et des exceptions existantes (< 10 ou < 20 TR). | La « collectivisation partielle » du droit individuel à la formation revient à vider de sa substance le droit individuel à la formation. Toute une série de travailleurs sont exclus, même si les travailleurs saisonniers par exemple, peuvent travailler jusqu’à 4 mois dans une entreprise. Ou encore, les étudiants qui peuvent travailler 4 mois à temps plein dans le cas des 650 heures de travail étudiant. Pas de paiement du droit de formation : quid si le droit à la formation ne peut pas être exercé ? Pas de sanction prévue pour les employeurs. |
Un régime d’horaires flottants est un régime de travail dans lequel le travailleur détermine lui-même le début et la fin de ses prestations de travail et de ses pauses dans le respect des plages fixes et mobiles. La CCT n° 162 accorde au salarié le droit, sous certaines conditions, de demander un régime de travail flexible à des fins de soins (par exemple, télétravail, aménagement de l’horaire de travail,…). | Le gouvernement réfléchit aux mesures supplémentaires qui pourraient accroître la flexibilité du travailleur, comme la flexibilité dans l’organisation de la journée de travail en fonction de la vie scolaire. | Positif, pour autant que ce soit une réelle décision/un réel droit du travailleur. Mais la formule de l’accord de gouvernement est ambiguë. S’agit-il d’ajouter des conditions à l’exercice de ce droit par le travailleur ou d’élargir les possibilité pour le travailleur ? |
Pour responsabiliser les utilisateurs du travail intérimaire qui font un usage inapproprié de contrats de travail journaliers successifs (CJS), une cotisation spéciale ONSS est prévue lorsqu’un travailleur intérimaire dépasse par semestre auprès d’un même utilisateur un certain nombre de contrats de travail journaliers successifs. | Après évaluation par les partenaires sociaux de la cotisation de responsabilisation, on vérifie si des mesures complémentaires doivent être prises pour lutter contre les abus liés aux contrats journaliers successifs. | Seule l’évaluation de la cotisation de responsabilisation actuelle reste entre les mains des partenaires sociaux. Après l’évaluation, on vérifiera si des mesures supplémentaires doivent être prises. Il ressortira de chaque évaluation que des mesures supplémentaires doivent être prises, mais leur description permet au gouvernement de prendre seul une décision à ce sujet, sans les partenaires sociaux. |
Annualisation déjà possible par une modification du règlement de travail . S’il y a des heures supplémentaires, un sursalaire et un repos compensatoire sont normalement dus. Il y a déjà actuellement le choix entre repos compensatoire/paiement pour 91 heures supplémentaires (augmentation à 130h ou encore 143h déjà possible via une procédure spécifique). Pour les travailleurs à temps partiel occupés dans le cadre d’un horaire variable, le règlement de travail doit plus particulièrement mentionner : la plage journalière dans laquelle des prestations de travail peuvent être fixées; les jours de la semaine pendant lesquels des prestations de travail peuvent être fixées; la durée de travail journalière minimale et maximale ainsi que la durée de travail hebdomadaire minimale et maximale si le régime de travail à temps partiel est aussi variable; les modalités et le délai suivant lesquels les travailleurs à temps partiel sont informés par un avis de leurs horaires de travail. Pour les travailleurs à temps partiel qui travaillent avec un horaire fixe, l’horaire de travail doit être mentionné dans le règlement de travail. | Après concertation avec les partenaires sociaux, un nouveau cadre légal sera introduit avant le 30/06/2025, permettant l’annualisation du temps de travail pour les travailleurs à temps plein et à temps partiel. Accord individuel. Sans perte de pouvoir d’achat. Avec libre choix entre repos compensatoire/paiement. Lorsque cela est possible, introduction de l’enregistrement du temps de travail. Suppression de l’obligation que les contrats à temps partiel correspondent à 1/3 d’un contrat à temps plein. Tous les horaires applicables ne doivent plus être inclus dans le règlement de travail à condition que les limites de la flexibilité y soient clairement définies. Des garanties sont à mettre en place pour que cela n’entraîne pas plus de stress lié au travail. Maintien des délais d’avertissement | Cela signifie-t-il la suppression de l’encadrement par A.R. ou une CCT ? L’accord individuel seul sera-t-il suffisant ? S’agit-il d’une condition supplémentaire en plus de l’encadrement par AR ou CCT ? La condition supplémentaire d’un accord individuel est positive, mais dans la relation individuelle TR-EMPL, le TR ne peut pas dire « non ». Sans perte de pouvoir d’achat : c’est une illusion. L’annualisation du temps de du travail implique de regarder sur une période de référence d’un an si la durée moyenne hebdomadaire du travail a été respectée. Ce qui implique que des dépassements durant une période déterminée de l’année peuvent être compensés en travaillant moins durant une autre période de l’année. De ce fait, il y aura d’office moins de possibilités de prester des heures supplémentaires (avec le sursalaire qui y est lié). Dans les faits, l’annualisation mènera donc d’office à une perte de pouvoir d’achat. Le libre choix entre repos compensatoire/paiement n’a rien à voir avec l’annualisation du temps de travail : l’annualisation du temps du travail revient uniquement à regarder si, sur une période de référence d’un an, la durée du travail hebdomadaire moyenne a été respectée. Le libre choix entre repos compensatoire/paiement porte sur les heures supplémentaires. Sur quelle(s) (quantité d’) heures supplémentaires la disposition de l’accord de gouvernement du « libre choix entre repos compensatoire/paiement » porte-t-elle ? L’enregistrement du temps de travail est positif, mais malheureusement conditionné en raison de la disposition : « lorsque cela est nécessaire ». Le point des contrats à temps partiel de moins d’1/3 d’un contrat à temps plein est extrêmement négatif. Ceci ouvre la voie à l’arbitraire absolu et implique, pour le TR, une obligation de combiner 3 contrats à temps partiel différents ou plus pour obtenir un revenu décent. La suppression de l’obligation d’inclure les horaires de travail d’application dans le règlement de travail est d’office un point négatif. Moins de possibilités de contrôle des délégués et des services d’inspection. Prévoir que ce ne soit possible qu’à condition que les limites de la flexibilité y soient clairement définies est une boîte vide. Le règlement de travail peut simplement mentionner que dans l’entreprise, le travail peut être effectué de 5h à 23h, du lundi au dimanche inclus sans mention des horaires. Dans quelle mesure cela peut-il mener à moins de stress lié au travail ? Les délais d’avertissement portent sur l’application de l’horaire au travailleur individuel, et non sur la reprise dans le règlement de travail. |
475 heures de travail étudiant avec des cotisations sociales réduites par an. Age fixé à au moins 16 ans et à 15 ans si plus soumis à l’obligation scolaire à temps plein. L’obligation scolaire à temps plein prend fin lorsque le jeune a accompli les 2 premières années de l’enseignement secondaire (leur réussite n’est pas requise), et au plus tard à l’âge de 16 ans. | Travail étudiant : 650 h de façon permanente. Age abaissé à au moins 15 ans. Combiné à un doublement de la défiscalisation | 650 heures = 81,25 jours de travail de 8 heures. Cela revient à 4 mois ( !) d’occupation à temps plein. Cette suppression de la condition de ne plus être soumis à l’obligation scolaire à temps plein pour les jeunes de 15 ans est un recul incroyable dans la protection des mineurs |
Interdiction du travail de nuit, avec de nombreuses dérogations. Tous les commerçants sont soumis au jour de repos hebdomadaire. Par jour de repos hebdomadaire, on entend : une période de fermeture ininterrompue de 24 heures, commençant le dimanche soit à 5h, soit à 13h et prenant fin le lendemain à la même heure. Les commerçants sont également soumis à des heures de fermeture. La plupart des magasins (qui sont ouverts durant la journée de manière classique) doivent être fermés : avant 5h et après 20havant 5h et après 21h le vendredi et les jours ouvrables qui précèdent un jour férié légal. Si le jour férié légal est un lundi, la prolongation jusque 21h est accordée pour le samedi qui précède. | Suppression de l’interdiction du travail de nuit. Suppression du jour de fermeture obligatoire. Assouplissement des heures d’ouverture. | Avec cette mesure, le travail de nuit (malgré tous les effets négatifs sur la santé) est vu comme une (période d’) occupation normale. L’assouplissement des heures d’ouverture et suppression du jour de fermeture obligatoire mettra les travailleurs du commerce, principalement des femmes, encore plus sous pression |
Le travail de nuit (prestations entre 20h et 6h) peut être introduit par une simple modification du règlement de travail. Si syndicats présents, CCT avec l’ensemble des syndicats. Excepté les « services logistiques et de soutien » liés à l’e-commerce : CCT avec un seul syndicat suffit. La CCT 49 prévoit une indemnité pour les TR qui effectuent des prestations avec prestations de nuit pour les heures effectuées dans un tel régime de travail. | Travail de nuit dans la distribution et les secteurs connexes à partir de minuit. Sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20h et 24h. Simplification des procédures. Les primes existantes telles que définies dans les conventions collectives de travail (CCT) de divers secteurs et entreprises, continueront de s’appliquer. | Définition de « distribution et secteurs connexes » : stricte ou large ? La garantie concernant le pouvoir d’achat des TR ne porte que sur les travailleurs qui travaillent déjà aujourd’hui entre 20h et 24h. Elle n’existe donc pas pour toutes les nouvelles embauches ni pour les nouvelles filiales ou entreprises en faillite dont l’activité est relancée. Qu’en est-il par ailleurs des contrats temporaires : considérés comme de « nouveaux TR » ? La « simplification » revient à la suppression de l’obligation de signer une CCT si une DS est présente dans l’entreprise. Les primes existantes telles que définies dans les CCT de divers secteurs et entreprises restent d’application, pour autant évidemment qu’il ne soit pas question de CCT à durée déterminée. Plus important : il n’est pas question des CCT nationales ! |
Préavis à respecter en cas de licenciement par l’employeur : de 0 à < 3 mois d’ancienneté : 1 semainede 3 à < 4 mois d’ancienneté : 3 semainesde 4 à < 5 mois d’ancienneté : 4 semainesde 5 à < 6 mois d’ancienneté : 5 semainesde 6 à < 9 mois d’ancienneté : 6 semaines En cas de démission du travailleur, le préavis est de 2 semaines à partir de 3 mois d’ancienneté et de 3 semaines à partir de 6 mois d’ancienneté. Actuellement, il ne peut être mis fin anticipativement et sans motif grave à un CDD que durant la 1ère moitié (avec un maximum de 6 mois) du contrat, par la notification d’un préavis. Jusqu’à la fin de l’année 2013 (avant le statut unique), la loi sur le contrat de travail prévoyait la possibilité d’une clause d’essai. La clause d’essai pour les ouvriers était d’un minimum de 7 jours et d’un maximum de 14 jours. Après la première semaine, l’employeur ou bien le travailleur pouvait résilier le contrat sans préavis ni indemnité. Pour les employés, la période d’essai durait de un à six mois ou au maximum 12 mois pour les revenus élevés. Après le premier mois, les deux parties ont été autorisées à mettre fin à la collaboration de manière anticipée, sous réserve d’un préavis d’une semaine. | Réintroduction de la période d’essai pour le 31/12/2025 au plus tard : une semaine de préavis au cours des six premiers mois du contrat (aussi bien pour le TR que pour l’EMPL). | Positif en cas de démission du travailleur (car amélioration par rapport à la situation actuelle), clairement négatif en cas de licenciement par l’employeur. Cette disposition sera-t-elle également valable en cas de CDD de 7 mois par exemple ? Les délais de préavis raccourcis prévus par la loi sur le statut unique dans le cadre d’une ancienneté limitée étaient destinés à remplacer la période d’essai. Une période d’essai de 6 mois est disproportionnée pour certains postes. Les employeurs ont également d’autres alternatives à leur disposition. |
Le prêt de personnel avec transfert de l’autorité patronale est interdit en Belgique, sauf les exceptions prévues par la loi. Les exceptions légales sont : le travail intérimaire ;la mise à disposition autorisée pour une durée limitée ;la mise à disposition dans le cadre d’un trajet de mise au travail approuvé par la Région ;le groupement d’employeurs ;Dérogations spécifiques pour le secteur public;Trajet de transition. | Elargissement des possibilités de prêt de personnel. Base utilisée comme point de départ = cadre légal du travail intérimaire. | La base utilisée comme point de départ – le cadre légal du travail intérimaire – ne garantit pas que les protections (qui sont loin d’être parfaites) intégrées dans la réglementation sur le travail intérimaire seront conservées. Ceci facilitera d’office les abus, réduira les possibilités de contrôle de l’inspection et augmentera l’incertitude chez les travailleurs. |
Le travail intérimaire à durée indéterminée nécessite l’établissement d’une CCT sectorielle au sein de la CP pour le travail intérimaire, qui établit un modèle pour un tel contrat de travail. Jusqu’à présent, de telles CCT n’ont encore jamais vu le jour. | Demande aux partenaires sociaux de mettre en pratique le travail intérimaire à durée indéterminée. . | Travail intérimaire à durée indéterminée = « no-go ». Fort heureusement, il s’agit simplement d’une « demande » aux partenaires sociaux. Pas d’obligation de résultats |
Revenus annuels fiscalement avantageux de max. 12.000 euros. Actuellement, on travaille avec max. 150% du salaire de base minimum au niveau du secteur (sauf dans l’Horeca où un salaire forfaitaire minimum de 12,29 euros par heure est d’application). Interdiction de travailler dans des entreprises liées. Liste exhaustive de secteurs où des flexi-jobs sont possibles. Opt-out possible par les secteurs. | Augmentation du revenu annuel maximum pour les flexi-jobs à 18.000 euros et du salaire horaire maximum à 21 euros + indexation des deux montants. Les TR à temps plein peuvent travailler dans des entreprises liées. Possible dans tous les secteurs. Régulation et opt-out possibles par les secteurs. Demande aux administrations compétentes de mieux surveiller les données enregistrées et, en cas d’abus accru, de proposer des mesures pour y remédier. | Augmentation à 18.000 euros à un tarif fiscal avantageux – Impact négatif au niveau fiscal + indexation. Salaire horaire maximum de 21 euros règles anti-abus et en soit, partiellement positive 150% du forfait Horeca = 18,44 euros/heure. 21 euros/heure = environ 160% du salaire minimum forfaitaire dans l’Horeca. Mais dans d’autres secteurs, ce montant peut être inférieur à 150% du salaire minimum de base minimum. Mais indexation du montant. On ne sait pas clairement d’où viennent les 17 euros. Autoriser les TR à temps plein à travailler dans une entreprise liée revient à faciliter les abus, malgré la limitation aux TR à temps plein. Un point positif est qu’il est explicitement indiqué qu’une régulation par le secteur est possible. Il faut attendre de voir si cela signifie que les secteurs peuvent fixer un pourcentage maximum de flexi-jobbers. Le fait que l’administration doive proposer des mesures anti-abus ne garantit aucunement que ces mesures seront effectivement mises en œuvre. Nous y serons attentifs lors des discussions au comité de gestion de l’ONSS. |
130 heures supplémentaires par an donnent droit à une exonération partielle de paiement du précompte professionnel pour les employeurs et à une diminution du précompte professionnel pour les travailleurs. Jusqu’au 30 juin 2025 (en exécution du cadre d’accords 2023-2024), ce nombre sera porté à 180 heures supplémentaires pour tous les secteurs. Tout travailleur peut prester 100 heures supplémentaires « volontaires » par an sans condition de motivation ou d’accord de la délégation syndicale ou de l’inspection. Ces heures supplémentaires n’ouvrent pas de droit à un repos compensatoire. Les heures supplémentaires volontaires donnent droit à un sursalaire (50% en semaine, 100% les dimanche et jours fériés). Depuis les accords pris en exécution du projet d’AIP 2019-2020, ce nombre a été porté à 120 heures via la CCT 129 du 23 avril 2019. Ce nombre peut être porté à max. 360 heures via une CCT sectorielle (ou interprofessionnelle). Pas de distinction entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein. Spécifiquement pour l’Horeca, depuis 2018, le nombre de 100 heures (à l’époque) a été porté par une loi à 360 h par pour les employeurs qui utilisent un système de caisse enregistreuse. En dérogation à la règle générale : ces 360 heures supplémentaires « volontaires » sont, en ce qui concerne les travailleurs, exonérées de cotisations ONSS et fiscales (brut = net) ;ces 360 heures supplémentaires « volontaires » ne donnent pas droit à un sursalaire. La prestation d’heures supplémentaires « volontaires » requiert un accord écrit préalable entre l’employeur et le travailleur. | Généralisation des 180 heures supplémentaires fiscalement avantageuses. Généralisation des 360 heures supplémentaires « volontaires » dont 240 heures pour lesquelles brut = net et sans sursalaire. Horeca : 450 heures supplémentaires « volontaires » dont 360 sans sursalaire + système rendu plus simple et plus flexible. Accord écrit TR-EMPL. Pas de conséquences négatives pour les TR qui refusent. Heures supplémentaires « volontaires » réservées aux TR à temps plein ou aux TR à temps partiel qui travaillent depuis au moins 3 ans à temps partiel et à condition qu’il soit question d’un surcroit d’activité temporaire. | Exclusion totale de la concertation sociale, exclusion totale de la possibilité d’obtenir une compensation et/ou un encadrement au niveau du secteur ou de l’entreprise. Actuellement, CCT sectorielle requise pour 360 heures supplémentaires « volontaires ». Système plus flexible/plus simple ? Positif, mais surtout de manière surtout symbolique : l’absence de conséquences négatives en cas de refus du TR En principe, les salariés à temps partiel ne peuvent effectuer des heures supplémentaires volontaires que s’ils dépassent la limite journalière (9 heures par jour) ou la limite hebdomadaire normale (en principe 38 heures) qui s’appliquent à leurs collègues à temps plein. La mesure de l’accord de coalition signifie-t-elle que les employés à temps partiel seront également plus susceptibles d’ouvrir le droit à la rémunération des heures supplémentaires en cas d’heures supplémentaires « involontaires » ? Combiné à la suppression de la durée minimale de travail de 1/3 des salariés à temps plein, cela signifie une optimisation pour les employeurs du coût salarial des travailleurs à temps partiel (contrat « plus petit » pour le travail à temps partiel complété par des heures supplémentaires volontaires) -> perte de pouvoir d’achat (calcul du pécule de vacances, de la prime de fin d’année, etc.) |
Le délai de préavis de 52 semaines correspond à une ancienneté de 16 à 18 ans de service. Indemnité de licenciement déjà activée via l’art.39ter. | Activer l’indemnité de licenciement et la limiter pour les nouveaux engagés, délai de préavis limimité à maximum 52 semaines. Limiter le nombre d’indemnités spéciales qui peuvent être obtenues dans le cadre d’un licenciement. | Extrêmement négatif. La limitation du nombre d’indemnités de protection facilite les licenciements et compromet le caractère dissuasif des protections. |
Pas d’encadrement des clauses de non-engagement . | Création d’un cadre sur l’utilisation des clauses de non-engagement dans le secteur intérimaire, tout en préservant la viabilité et la juste rétribution des entreprises du secteur intérimaire et en supprimant les clauses manifestement abusives. Décourager l’utilisation du « projectsourcing » dans le secteur de la santé. | L’encadrement des clauses de non-engagement est important. Toutefois, limité à « l’abus manifeste » et à condition que la « viabilité » et la « juste rétribution » des entreprises du secteur intérimaire soient préservées. Le fait de décourager le « projectsourcing » dans le secteur de la santé est un point positif mais la formulation est trop faible. Pas de mesures claires. |
Il reste encore des différences entre les statuts des ouvriers et des employés sur les points suivants : Chômage temporaire Salaire garanti Pécule de vacances et son paiement Paiement du salaire Commissions paritaires Pension complémentaire | Demande aux partenaires sociaux d’élaborer des propositions pour achever le statut unifié ouvriers-employés. | Simple « demande », pas de délai. |
La CCT 35 comprend une disposition qui donne priorité aux travailleurs à temps partiel pour l’obtention d’un emploi à temps plein et des dispositions relatives à l’augmentation du nombre d’heures de travail hebdomadaire à prester, reprises dans le contrat de travail. La loi-programme du 22 décembre 1989 prévoit que les travailleurs à temps partiel qui en ont fait la demande à leur employeur, sont prioritaires pour les heures vacantes dans une fonction similaire. La loi-programme du 25 décembre 2017 prévoit une cotisation de responsabilisation par travailleur à temps partiel avec maintien des droits qui bénéficie d’une allocation de garantie de revenus et pour lequel cela n’a pas été respecté. | Evaluation des règles concernant l’emploi à temps partiel involontaire en vue d’une application plus stricte et plus facilement exécutable. | Pas de mesures claires. |
Les employeurs sont tenus d’enregistrer les formations suivies par leurs travailleurs dans l’application numérique FLA. | Supprimer l’application FLA et examiner ensuite un système moins contraignant sur le plan administratif. Veiller au principe du « only once » pour les employeurs. | Simple « examen » en vue d’un système moins contraignant sur le plan administratif. Aucune obligation de résultats. L’utilisation de l’application FLA, seul système de contrôle du respect du droit individuel à la formation, est supprimée sans garantie d’alternative. |
Par convention de premier emploi, on entend toute occupation d’un jeune âgé de moins de 26 ans dans les liens d’un contrat de travail ordinaire à mi-temps au moins ou dans les liens d’un contrat d’apprentissage ou d’une convention de stage ou d’insertion. Dans le secteur privé, tout employeur qui, au 30 juin de l’année précédente, avait au moins 50 travailleurs en service (exprimés en unités), doit occuper un nombre de jeunes équivalant à 3% de l’effectif du personnel du deuxième trimestre de l’année précédente, exprimé en équivalents temps plein (ci-après « ETP »). Cette obligation doit être respectée au niveau de l’entité juridique (= personne physique ou morale qui a la qualité d’employeur). En plus de l’obligation individuelle, tous les employeurs du secteur privé dans leur ensemble doivent occuper un nombre supplémentaire de jeunes à concurrence de 1 % de l’effectif global du personnel, exprimé en ETP, occupé pendant le deuxième trimestre de l’année précédente par les employeurs qui ont une obligation individuelle. | Suppression de l’obligation de premier emploi. | Suppression de la mesure de soutien en faveur de l’emploi des jeunes . |
Les « obligations administratives » des employeurs occupant des travailleurs à temps partiel impliquent de tenir un registre de dérogations (ou système d’enregistrement du temps de travail) et un règlement spécifique pour la publication des horaires. Certains régimes de travail (notamment la prestation d’heures supplémentaires « volontaires ») nécessitent un accord écrit préalable du travailleur. Un accord qui peut s’appliquer pour une durée maximale de 6 mois. | Les obligations administratives des employeurs pour le travail à temps partiel sont simplifiées. Là où un accord avec le travailleur est requis tous les 6 mois, obligation remplacée ou complétée par la possibilité de conclure un accord à durée indéterminée (rétractation possible). | La suppression de ce registre de dérogations et des obligations spécifiques de publication empêche le contrôle du respect des conditions de travail et ne fait qu’accroître les incertitudes pour les TR à temps partiel. Remplacer l’accord avec le TR tous les 6 mois par un accord à durée indéterminée, cela signifie que l’EMPL n’aura qu’à mettre une seule fois le TR suffisamment sous pression pour qu’il accepte de signer l’accord, plutôt que tous les six mois. Une rétractation plutôt qu’un renouvellement, cela implique qu’une démarche active est attendue du TR à titre individuel plutôt que d’imposer à l’EMPL une obligation d’agir. |
La directive sur la transparence des rémunérations (encore à transposer en droit belge), entre autres, impose des obligations de rapport. | Examiner les directives (existantes ou nouvelles) de l’UE de manière à réduire les obligations de rapport, notamment pour les PME | Il convient de faire preuve d’une vigilance extrême à cet égard. Cela pourrait conduire à un black-out complet en ce qui concerne les obligations de rapport pour les PME (plus de 90% des entreprises en Belgique). Quelle définition pour une PME ? Belge (jusqu’à 50 TR) ou européenne (jusqu’à 250 TR) ? |
Le registre central du personnel, le registre spécial du personnel, le compte individuel et les annexes éventuelles (copies des feuilles de paie…) doivent être conservés pendant cinq ans. En outre, la réglementation relative à la semaine de travail compressée de 4 jours et aux semaines alternées, entre autres, exige que la demande du travailleur de travailler dans le cadre d’un tel régime soit conservée pendant 5 ans. | Réduire le délai de conservation obligatoire de 5 ans pour les documents les moins importants | Disparition des éléments de preuve en cas d’actions en justice liées aux droits des TR. |
Il existe tant des commissions paritaires pour les ouvriers que des commissions paritaires pour les employés et des commissions paritaires mixtes. | Demande aux partenaires sociaux de réduire le nombre de commissions paritaires d’ici le 01/01/2027. | Simple demande, avec un délai certes, mais sans obligation de résultats. |
Il y a 10 jours fériés légaux. Si un jour férié coïncide avec un dimanche ou un jour d’inactivité ordinaire dans l’entreprise, un jour de remplacement est fixé à un jour d’activité ordinaire dans l’entreprise. La fixation du jour de remplacement revient à la commission paritaire, à défaut au conseil d’entreprise, à défaut à la délégation syndicale, à défaut directement aux travailleurs, à défaut accord individuel. Si aucun jour de remplacement n’est fixé, il tombe le premier jour d’activité ordinaire suivant le jour férié. | Pour les Régions qui le veulent et le demandent, nous modifions la législation fédérale afin que le jour de fête régional devienne également un jour férié officiel, sans affecter la compétitivité. | L’ajout de la mention « sans affecter la compétitivité » implique qu’un autre jour de remplacement à fixer collectivement pour un jour férié qui coïncide avec un jour d’inactivité ordinaire de l’entreprise sera obligatoirement échangé pour le jour férié régional en question. Cela ne revient donc plus à un élargissement du nombre de jours fériés mais, au contraire, à une limitation de la concertation sociale sur les jours fériés. |
2 Conclusion
Les points positifs (extrêmement rares) en termes de durée du travail sont formulés de façon très conditionnelle et sans engagement, de sorte que pour quasiment toutes ces mesures, il y a anguille sous roche.
Il est question d’ « évaluer » les règles relatives au travail à temps partiel involontaire, d’instaurer un cadre pour lutter contre le recours « manifestement » abusif aux clauses de non-engagement dans le secteur intérimaire (tout en préservant parallèlement la « viabilité » et la « juste rétribution » des entreprises du secteur intérimaire), et après évaluation, de lutter contre les abus liés aux contrats journaliers successifs, de réfléchir à des mesures supplémentaires qui pourraient accroître la flexibilité du travailleur, d’examiner si le téléTRAINvail peut être stimulé et de rendre le congé parental possible pour les parents d’accueil « dans le respect du cadre budgétaire actuel ».
D’un autre côté, une série de mesures très poussées, fondamentalement négatives, expliquées en détail, réduisent à néant les quelques rares points positifs.
De plus, les mesures négatives touchent l’essence même des conditions de travail et enlèvent parallèlement la possibilité aux représentants syndicaux de fixer des modalités à ce sujet et/ou d’exiger des compensations (tant au niveau de l’entreprise que du secteur et au niveau interprofessionnel) en raison d’un renforcement de la tendance à évoluer de plus en plus vers des accords individuels.
Pour ce qui est des accords individuels entre travailleur et employeur, nous pouvons renvoyer à un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 décembre 2024 qui précise ceci :
« A cet égard, il convient de rappeler que le travailleur est considéré comme la partie faible dans la relation de travail, de telle sorte qu’il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits ».
Parmi les mesures extrêmement négatives, nous relevons notamment la suppression de l’interdiction du travail de nuit (qui n’est plus à considérer comme tel qu’à partir de minuit), la limitation importante de la possibilité de prendre un emploi de fin de carrière, l’annualisation du temps de travail, la suppression de la limite inférieure – pour les contrats à temps partiel – d’1/3 d’un contrat à temps plein, la généralisation des 360 heures supplémentaires « volontaires » (450h dans l’Horeca), la limitation (du cumul) de(s) l’indemnité(s) de protection en cas de licenciement et le fait que le droit individuel à la formation et son contrôle aient été vidés de leur substance.
Enfin, l’Accord de gouvernement contient des dispositions préoccupantes sur les obligations de rapport dans les PME, la conservation des documents sociaux et l’assouplissement des « obligations administratives » en cas de travail à temps partiel.
L’effort est examiné à plein régime, donc l’impact potentiel sur le budget de 2029, exprimé en millions d’euros.
1 Modifications dans la sécurité sociale et l’aide sociale
Limitation de la durée du chômage et renforcement de la dégressivité | 1.917 |
Travailler plus longtemps de manière faisable (Plus de nouveaux régimes de prépension (RCC), suppression des « congés de fin de carrière », harmonisation des interruptions de carrière et crédit-temps ) | 158 |
Pensions (Plafonnement des périodes assimilées, limitation des pensions anticipées, plafonnement de l’indexation des pensions élevées, suppression de la péréquation, extinction des pensions d’invalidité, convergence entre systèmes + suppression progressive de la réduction d’impôt pour les pensions les + élevée – 47) | 2.458 |
Enveloppe Bien-être ((Suppression générale : 2 836 + Maintien du bien-être pour les groupes vulnérables : -100)) | 2.736 |
Indexation des allocations avec un délai de 3 mois (+2) après dépassement de l’indice pivot | 220 |
Soins de santé (limitation de la norme de croissance + autres mesures ) | 523 |
Revenu d’intégration (allongement du délai d’attente pour les demandeurs d’asile + conditionnalité liée à l’intégration) | 724 |
Total | 8.736 |
2 Modifications dans la fiscalité des personnes physiques
Augmentation de la quotité exonérée d’impôt | 3.507 |
Suppression progressive de la cotisation spéciale de sécurité sociale | 415 |
Bonus à l’emploi | 357 |
Réduction des déductions fiscales | -62 |
Suppression de la réduction d’impôt pour allocations de chômage | -265 |
Extinction progressive du quotient conjugal | -34 |
Autres modifications dans l’impôt des personnes physiques (62 + 15) | -77 |
Total | 3.546 |
3 Contribution des épaules les plus larges
Taxe sur les plus-values | 500 |
Déductions des RDT ( Revenus Définitivement Taxés) | 350 |
Taxe sur les comptes-titres | 50 |
Limitation de la déduction des intérêts hypothécaires et autres | 340 |
Déduction Cooreman De Clerq-bis & Réforme de la taxe boursière | -50 |
Total | 1.190 |
4 Enveloppe pour la compétitivité et l’entrepreneuriat
Enveloppe compétitivité (réduction ciblée des coûts salariaux, plafonnement des cotisations sociales, …) | 1.492 |
Indépendants & PME – Récompenser l’entreprenariat (Mesures spécifiques pour les PME && indépendants) | 227 |
Total | 1.719 |
5 Constats
- Les économies sont principalement supportées par la sécurité sociale et l’aide sociale, pour un total de pour un total de plus de 8,7 milliards €.
- Si l’on compare les différents groupes sociaux :
- Les travailleurs et bénéficiaires d’allocations supportent 8,7 milliards €.
Pour les actifs, cela est en partie compensé par une réforme fiscale qui augmente le salaire net de 3,5 milliards € de revenus nets… pour l’ensemble des contribuables (y compris les indépendants et dirigeants d’entreprises), mais pas pour les allocataires sociaux (retraités, chômeurs, malades)
Résultat : Les travailleurs et allocataires sociaux supportent 8,7 milliards € d’économie,. Les travailleurs sont partiellement compensés par la réforme fiscale.
- Les entreprises reçoivent 1,72 milliard € sous forme d’enveloppes d’aides et réductions.
- Les grandes fortunes contribuent à hauteur de 1,19 milliard €, sous le couvert de contribution de solidarité des épaules les plus larges.
6 Conclusion
- Les demandeurs d’emploi contribuent davantage que grandes fortunes et les épaules les plus larges : 2,3 milliards € à charge des chômeurs via la réglementation et la suppression de la réduction d’impôt, contre 1,42 milliard € de contribution pour les grandes fortunes et les épaules les plus larges ( à qui on permet en outre de bénéficier d’une amnistie fiscale pour le fait d’avoir plombé les recettes de l’Etat depuis des années en fraudant )
- Les économies issues de la limitation des allocations de chômage sont reversées aux entreprises sans aucune exigence de garantie de création d’emplois.
En bref L’accord de coalition ne prévoit pas encore d’intervention radicale dans les négociations salariales. Il n’y a pas de réforme de la loi sur la norme salariale, ce qui implique que des négociations salariales libres sont impossibles. Le pouvoir d’achat des personnes actives augmentera en outre par le biais d’une trajectoire fiscale peu claire. Le salaire minimum sera également augmenté. Il s’agit de bonnes mesures, mais l’augmentation de la quotité exemptée d’impôts pour tous est une mesure coûteuse qui profite également aux hauts salaires. Tant en ce qui concerne l’indexation automatique que la loi sur la norme salariale, il est demandé aux partenaires sociaux de rendre un avis d’ici fin 2026. Étant donné qu’en l’absence d’avis, ce dossier reviendra sur la table du gouvernement, une intervention unilatérale du gouvernement dans l’index n’est pas à exclure. En outre, une mesure sera prise concernant le niveau de l’index pour les pensions des fonctionnaires qui sont supérieures aux pensions des salariés et l’indexation de toutes les prestations sociales (pensions, malades, demandeurs d’emploi, revenu d’intégration, etc.) ne sera appliquée que trois mois après le dépassement de l’indice pivot (+2 mois), de même que pour les traitements des fonctionnaires (+1 mois). |
Analyse détaillée
Situation actuelle | Accord de coalition Arizona | Evaluation |
Indexation automatique | ||
L’indice santé est calculé sur une moyenne quadrimestrielle mobile.Les méthodes et les moments d’indexation varient considérablement selon le secteur ; les prestations sont augmentées un mois après le dépassement de l’indice pivot et le traitement des fonctionnaires, deux mois après . L’indice est généralement accepté comme un stabilisateur automatique important. | Le principe de l’indexation automatique est maintenu, mais les partenaires sociaux sont invités à rendre un avis en la matière, ainsi que sur la norme salariale, d’ici le 31/12/26. En l’absence d’avis, l’index risque de se retrouver à nouveau sur la table du gouvernement. L’indexation des prestations et des traitements des fonctionnaires sera harmonisée au 3e mois qui suit le dépassement de l’indice pivot. | (+/-) Il n’y aura pas d’ajustement du système d’indexation automatique avant 2027, mais ce n’est pas une garantie pour la période d’après. Négatif concernant le report de l’indexation des traitements des fonctionnaires et de l’indexation des allocations sociales |
Loi de 1996 | ||
Réforme drastique en 2017 qui a rendu la marge salariale impérative et manipulé le calcul (sans compter le tax shift). | Pas de réforme comme nous l’avons demandé à plusieurs reprises. Demande d’avis des partenaires sociaux sur la norme salariale (ainsi que sur l’index – voir plus haut – d’ici le 31/12/26) en tenant compte « d’une définition plus large des coûts salariaux et du handicap salarial historique ». | (-) la demande d’avis sur la réforme est liée à l’index. D’une part, cela offre une ouverture pour inclure toutes les mesures de réduction des coûts salariaux, d’autre part, « le handicap salarial historique » renvoie au handicap qui existait avant 1996. Un accord sur la définition de handicap historique n’a jamais pu être trouvé au CCE, les employeurs le définissant comme le handicap absolu (+/- 11 %). |
Augmentation du salaire minimum | ||
Le salaire minimum est désormais de 2.070 euros par mois. Le cadre d’accords de juillet 2021 stipule que dans une 3e phase (01/04/2026), le salaire minimum sera augmenté de 35,7 euros. Une 4e phase dépend du benchmarking avec les pays voisins. | L’accord stipule que le salaire minimum sera augmenté en 2 phases : au 01/04/2026 (+35 euros) et au 01/04/2028 (+35 euros). L’accord de coalition prévoit un mécanisme de compensation pour que tout se fasse sans augmentation du coût salarial. Au niveau du salaire minimum, le salaire net sera égal au salaire brut. | (+/-) L’accord de coalition interfère dans l’accord social existant de 2021. Le RMMMG est défini par les partenaires sociaux dans la CCT 43. En soi, le gouvernement n’a rien à dire à ce sujet, mais cela a bien un impact sur le mécanisme de compensation. Ce point devra être redéfini au CNT. |
Chèques-repas | ||
La valeur d’un chèque-repas est de max. 8 €, dont un minimum de 1,09 € à charge du travailleur. | Les partenaires sociaux sont invités à augmenter l’intervention maximale légalement autorisée pour les chèques-repas de deux fois 2 euros au cours de la prochaine législature + augmentation de la déductibilité du coût pour l’employeur + élargissement des possibilités d’utilisation + suppression progressive des autres types de chèques. | En tant que FGTB, nous ne sommes en principe pas demandeurs d’une augmentation de la valeur des chèques-repas. L’augmentation du salaire brut constitue une priorité, mais vu le blocage des salaires sur base de la loi ’96 cela constitue clairement une des seules possibilités pour augmenter le pouvoir d’achat. |
Adaptation de la fiscalité sur les salaires | ||
À partir de 2026 : adaptation de la fiscalité pour les plus bas salaires via un relèvement de la quotité exemptée d’impôt, la suppression progressive de la cotisation spéciale pour la sécurité sociale et le renforcement du bonus à l’emploi social. | L’augmentation du montant de la quotité exemptée profite aussi aux salaires plus élevés, et représente un coût élevé. La trajectoire pour l’adaptation de la fiscalité manque de clarté. |
Cette partie de l’accord Arizona couvre les dossiers internationaux, européens et de coopération.
Remarques générales :
- Les seuls éléments concrets en termes budgétaires sont la réduction de 25% du budget de la coopération et la hausse annoncée des dépenses militaires pour atteindre 2% du PIB en 2029 et 2,5% en 2034.
- Pas de grand changement dans les engagements européens et internationaux traditionnels de la Belgique. La note reprend les positions habituelles en faveur de la construction européenne et du multilatéralisme, avec cependant une importance très grande accordée à l’OTAN.
- On notera aussi un fléchissement important vers une vision moins sociale et plus libérale en termes économiques (dérégulation, rejet du goldplating, libre-échange). La note développe aussi une vision plus orientée sur la sécurité et la défense pour répondre aux « tensions géostratégiques » créées essentiellement par la Russie et l’Iran, et dans une moindre mesure par la Chine.
- Point positif : la note réaffirme à plusieurs reprises la nécessité de respecter et promouvoir les valeurs démocratiques, les droits humains et l’Etat de droit. De même, elle parle à certains endroits de travail décent, de lutte contre le dumping social ou de droits des travailleurs. Mais ces notions n’apparaissent pas comme des priorités annoncées. On remarquera aussi que le document parle du rôle des partenaires sociaux mais le complète par la notion de « représentants du secteur privé ».
- Ce qui caractérise finalement le plus cette partie de l’accord gouvernemental, c’est sa formulation fort générale et peu détaillée dans les mesures concrètes. Beaucoup dépendra dès lors de la manière dont il sera mis en application par le Ministre de tutelle, Maxime Prévot (Les Engagés).
- Politique de coopération :
- Réduction de 25% par rapport au budget actuel (réduction de 318 millions à l’horizon 2026 pour un budget annuel de 1,3 milliard). Par rapport aux coupes budgétaires annoncées lors des discussions de ces derniers mois (on parlait de coupes allant de 35 à 60%), on peut se réjouir que le pire soit évité mais les restrictions budgétaires annoncées n’en sont pas moins très importantes.
- De plus, un scénario en deux temps n’est pas à exclure avec les discussions budgétaires qui auront lieu en 2026 pour l’établissement du prochain programme de la DGD pour les années 2027-2031 !
- Il reste surtout de nombreuses inconnues :
- Comment se réalisera cette coupe budgétaire de 25% ? Uniformément sur les différents types de coopération ou est-ce que les réductions seront ciblées ? Le texte laisse penser qu’il impacterait surtout la coopération institutionnelle (universités) sur base des compétences déjà régionalisées (compétences dites « usurpées »). A voir donc.
- Risque de défédéralisation accrue de la coopération.
- La proposition de monter l’apport de fonds propres à 30% n’est plus retenue mais le texte laisse la porte ouverte à des mesures restrictives ou pénalisantes, ainsi qu’à un renforcement du rôle du secteur privé.
- Comment la politique de coopération va réussir à garder sa spécificité face à la volonté de l’intégrer dans une stratégie dite des 3D (défense, coopération au développement, diplomatie) ? La note développe une vision plus « utilitariste » de la coopération. Celle-ci doit d’abord être au service des intérêts nationaux. C’est particulièrement le cas en matière de migration, vue comme un thème transversal de la coopération.
- Europe :
- Très unilatéral sur le plan économique
- Quasi uniquement adapté au monde de l’entreprise, en fonction de la compétitivité et de la productivité
- Problématique : compétitivité, concurrence et productivité déclinées uniquement en fonction du rapport Draghi et de la dérégulation à tous les niveaux (sans garanties quant à la protection des droits des travailleurs).
- Fonds et subventions pour les employeurs, sans conditionnalité sociale.
- Accent très prononcé sur la défense et l’élargissement de la défense
- Très limité sur le plan social
- Positif bien sûr : « Nous approuvons et mettons en œuvre les objectifs du pilier européen des droits sociaux et nous nous efforçons d’améliorer la convergence et le progrès social dans l’Union » ; mais pas d’élaboration concrète, ni de proposition d’initiative pour y parvenir. Aucune valorisation, par exemple, de la déclaration de La Hulpe sous la présidence belge (seul le rapport Draghi est mentionné, et même pas le rapport Letta, par exemple) ;
- Ils n’est question que de maintien de l’emploi, mais pas de création d’emplois de qualité en général, ni de transition juste ;
- Rien sur les investissements (sociaux) propres pour atteindre les objectifs du pilier européen des droits sociaux, comme l’éducation et la formation par exemple ;
- Rien sur l’approche globale de la crise de l’énergie, de la crise du logement, de l’importance des services publics et, par conséquent, rien sur l’approche de la crise du pouvoir d’achat et de la pauvreté ;
- Lutte contre le dumping social et renforcement de l’autorité européenne du travail : positif bien sûr, mais ce n’est possible que si l’on investit également dans les services publics et en particulier dans les services d’inspection au niveau fédéral.
- Très unilatéral sur le plan économique
Pour une analyse plus approfondie de l’augmentation du nombre de malades de longue durée, nous faisons référence à l’Echo: https://fgtb.be/echo/augmentation-du-nombre-des-travailleuses-malades-de-longue-duree
Les travailleurs malades seront très rapidement appelés à entamer des trajets de réintégration. Un nouveau concept de potentiel de travail sera mis en place, qui aura de nombreuses conséquences. Le travailleur malade présentant un potentiel de travail mais n’ayant pas de contrat de travail devra par exemple s’inscrire comme demandeur d’emploi. Les sanctions seront également à nouveau renforcées. La vision des travailleurs malades est claire : des sanctions, moins de pension pour les périodes de maladie et ce, alors que le nombre de malades ne fera qu’augmenter en raison du durcissement des mesures de fin de carrière, de la dégradation des conditions de travail et de l’augmentation de la charge de travail. La chasse aux malades semble ouverte. L’accord de gouvernement MR-NVA adopte la même vision des malades que celle de la droite à l’égard des chômeurs depuis des années. Ils doivent retravailler le plus rapidement possible parce qu’ils ne sont rien d’autre qu’un coût. Pourtant, pour les malades de longue durée la priorité se porte sur la guérison et la réintégration durable. Souvent, les personnes sont tombées malades à cause de leur travail, par exemple dans le cas d’un burn-out. Au contraire, les forcer à reprendre le travail aggravera leur maladie. Les mesures principales sont les suivantes : Les employeurs peuvent lancer un trajet de réintégration dès le premier jour de maladie, moyennant l’accord du travailleur.Licenciement pour force majeure médicale après 6 mois au lieu de 9.En cas de rechute, droit au salaire garanti seulement après 8 semaines de reprise du travail.Pour les travailleurs dans un système de reprise progressive, il n’y a plus de salaire garanti en cas de rechute pendant un retour au travail progressif.Des sanctions plus lourdes pour les travailleurs et mutuelles. Adaptation de la sanction pour les employeurs.Soutien aux employeurs dans le cadre des trajets de réintégration qui doivent être lancés après 8 semaines. Introduction d’un certificat d’aptitude (ou “fit note”) par le médecin traitant.Réduction de l’absence en cas de maladie sans certificat médical de 3 jours à 2 jours.En cas de potentiel de travail, un travailleur malade qui n’est plus lié par un contrat de travail est tenu de s’inscrire comme demandeur d’emploi auprès du VDAB-FOREM-ACTIRIS.Responsabilisation du médecin traitant et des mutualités. Les travailleurs en incapacité de travail qui se sentent prêts et parviennent à reprendre rapidement le travail seront pénalisés s’ils retombent à nouveau dans les huit semaines. Pour épargner les entreprises, ils n’auront pas de garantie de rémunération. Par conséquent, le nombre de personnes qui reprennent le travail diminuera. Le travail des médecins sera alourdi par d’innombrables actions obligatoires et hâtives – un plan de réintégration dès le premier jour ! – pour forcer le retour des malades de longue durée sur le marché du travail. Plus les médecins devront consacrer de temps à ce genre de tâches inutiles, moins ils auront de temps à consacrer à la prévention effective, ce qui est préjudiciable à la qualité de nos soins de première ligne. Responsabilisation des médecins : toute personne malade qui consulte un médecin qui a déjà délivré trop de certificats médicaux risque de devoir aller travailler même malade, faute de quoi le médecin sera pénalisé financièrement. Les mutuelles « responsabilisées » seront obligées d’orienter les malades de longue durée vers le travail alors qu’ils ne sont pas encore prêts afin d’éviter de devoir les licencier eux-mêmes. Le temps qu’un service régional de l’emploi très affaibli doit consacrer à des « actions » pour les malades de longue durée qui ne sont pas encore prêts à travailler se fait au détriment de l’accompagnement des demandeurs d’emploi qui sont bel et bien en mesure de travailler. De plus en plus de malades de longue durée sont poussés dans la pauvreté en raison de l’extension et de l’augmentation des sanctions financières infligées à ce groupe. |
Actuellement | ARIZONA | Réaction |
EMPLOYEURS | ||
Les analyses de risques font partie du système dynamique de gestion des risques (l’un des systèmes en matière de bien-être les plus avancés au monde), qui exige des employeurs qu’ils identifient en permanence les risques sur le lieu de travail et qu’ils adaptent leurs politiques de bien-être à ceux-ci. Formellement, les différentes analyses de risques mènent à l’élaboration d’un plan global de prévention pour cinq ans et de plans d’action annuels. | Les analyses de risque qui sont imposées par la législation sur le bien-être, ne doivent pas être renouvelées chaque année, si les circonstances de travail n’ont pas changé. | Cette disposition n’est pas correcte, tant d’un point de vue juridique que dans les faits et elle n’a dès lors pas de sens. La législation sur le bien-être ne prévoit pas d’’analyses des risques annuelles obligatoires. Il n’est pas clair non plus comment l’employeur peut assurer, autrement que par une analyse des risques, que les conditions de travail sont inchangées (p. ex. pas de nouveaux risques psychosociaux, etc.). Ceci risque d’ébranler l’ensemble du système en matière de bien-être basé sur le système dynamique de gestion des risques; |
L’obligation de définir une politique générale de bien-être (dont la politique d’absentéisme peut faire partie) est reprise dans les principes généraux de la législation sur le bien-être. | En tenant compte des caractéristiques de l’entreprise (par exemple la taille ou le secteur, …) nous encourageons les employeurs et leurs services de prévention à mener une politique active en matière d’absentéisme en créant un environnement de travail où l’absentéisme de longue durée est évité autant que possible et où les employés malades sont contactés et suivis régulièrement. Nous ancrons cette approche dans la loi sur le bien-être et la loi sur les règlements de travail. La loi sur le bien-être sera en outre évaluée du point de vue de sa complexité administrative et de son efficacité. | Indirectement, cela est déjà inclus dans la politique générale de bien-être ; en outre, une approche trop formaliste aurait l’effet inverse. La politique de réintégration reste également une politique sur mesure pour laquelle il n’existe pas de solutions toutes faites. L’évaluation de la loi sur le bien-être est un exercice permanent. |
La loi du 27 décembre 2021, modifiée par la loi du 20 novembre 2022, prévoit une cotisation de responsabilisation, perçue par le biais l’ONSS, sur une base trimestrielle pour les employeurs chez qui le flux d’entrée des travailleurs en invalidité est 2 fois supérieur à celui des entreprises appartenant au même secteur d’activité et 3 fois supérieur à celui des entreprises du secteur privé en général. Les cotisations perçues sont envoyées aux fonds de sécurité d’existence des CP concernées, qui peuvent utiliser ces ressources pour la prévention. | Nous responsabilisons les employeurs afin qu’ils s’investissent davantage dans la réintégration de leurs travailleurs malades de longue durée âgés de 18 à 54 ans. Pendant les deux premiers mois d’incapacité de travail primaire suivant la période de salaire garanti, nous demandons aux employeurs (qui ne sont pas des PME) une contribution de 30% de l’indemnité à charge de l’INAMI pour ce groupe. Pour eux, cela remplace les sanctions actuelles prononcées à l’égard des entreprises comptabilisant un nombre relativement élevé de travailleurs malades de longue durée. | Il est cependant positif d’avoir une responsabilisation directe des employeurs. Bien que l’exclusion des PME et des personnes âgées de plus de 55 ans correspond aux conditions actuelles de la cotisation de responsabilisation, il est toujours déplorable que l’employeur ne soit pas responsabilisé pour un groupe important de personnes en incapacité de travail. La raison pour laquelle cette exclusion est maintenue n’est pas claire selon nous. Dans le système précédent, il était encore possible d’arguer que pour les petites entreprises, l’absence d’un travailleur produirait des écarts statistiques ne justifiant pas une sanction, ce qui n’est plus à l’ordre du jour pour cette mesure-ci. |
Sur la base des règles actuelles, il est possible de chercher un emploi adapté que ce soit auprès de son propre employeur (ou au sein du groupe d’entreprises) qu’auprès d’un autre employeur (par exemple, via des coordinateurs Retour au Travail). | Les trajets de réintégration par le biais de l’employeur font l’objet d’une réforme pour y inclure aussi des possibilités d’emploi auprès d’autres employeurs. Grâce à une coopération renforcée entre les services régionaux pour l’emploi et les services de prévention et à un dossier d’invalidité commun auquel toutes les parties concernées (mutualité, médecin du travail, médecin traitant, etc.) ont accès, le médecin du travail et le service de prévention ont davantage de possibilités pour mener une politique active de réintégration. | Le cadre légal existant permet déjà de chercher un nouvel emploi auprès d’un autre employeur. Le dossier d’incapacité au travail renvoie à la nouvelle plateforme TRIO pour laquelle le travailleur doit donner son accord. |
Un échange d’informations entre les différents médecins est déjà possible aujourd’hui. Il n’existait, jusqu’à la nouvelle loi (plateforme TRIO), aucune plateforme numérique centralisée pour cet échange (il avait tout de même lieu dans la pratique par d’autres moyens), et l’accord du travailleur est toujours obligatoire. Cette loi entre en vigueur le 19 février. Cependant, il n’y a pas d’obligation de fournir le certificat médical directement au médecin du travail, et aucun délai n’est déterminé. | Le médecin traitant communique, après un mois d’incapacité de travail, le certificat d’incapacité de travail via la plateforme TRIO au conseiller en prévention- médecin du travail, au médecin-conseil et à d’autres acteurs ayant accès à la plateforme TRIO. De cette manière, le conseiller en prévention-médecin du travail obtient directement des informations sur l’existence de l’incapacité de travail ainsi que sur la nature du problème de santé. Cela permet de prendre des mesures plus rapidement et de détecter plus tôt les incapacités de travail liées à la situation et au travail. | Les points suivants sont inquiétants: – un délai stricte pour l’envoi du certificat médical – le travailleur est davantage mis sous pression pour donner son accord puisque le médecin traitant “doit” transmettre le certificat médical. – les services régionaux de l’emploi appartiennent notamment au groupe « d’autres acteurs ». Seuls les médecins doivent obtenir accès à la plateforme TRIO, pas les « régisseurs » du marché de l’emploi tels que le VDAB, le FOREM et ACTIRIS compte tenu du critère de protection des données médicales. |
Pour l’instant, le conseiller en prévention-médecin du travail doit prendre contact avec le travailleur malade après 4 mois d’incapacité de travail, sur la base des informations fournies par l’employeur. L’objectif de ce contact est d’informer le travailleur sur les possibilités pour reprendre le travail (trajet de réintégration formel/informel). L’objectif de ce contact n’est pas de faire pression sur le travailleur en question ou de contrôler la légitimité de son état de santé (pas de médecin-contrôle), mais simplement de fournir des informations. | Le conseiller en prévention-médecin du travail doit entreprendre une action pour chaque salarié qui est absent depuis au moins 1 mois en raison de problèmes de santé (et pour lequel un certificat d’incapacité de travail a été établi), allant de l’envoi d’information à l’invitation à une entrevue. Nous examinons si l’envoi des ‘15 questions’ figurant dans le questionnaire quick-scan peut en faire partie. | Le médecin du travail est cependant poussé à agir de manière concrète, ce qui risque de conduire à une approche formaliste et à une pression supplémentaire sur l’état de santé du travailleur. Compte tenu de la pénurie aiguë de médecins du travail actuellement, ceci n’est pas réaliste. Ceci place une pression administrative inutile sur les médecins du travail dans le but de contrôler les travailleurs malades. Il convient fondamentalement de miser sur la prévention. |
Actuellement, le trajet de réintégration est toujours enclenché volontairement soit par le travailleur (éventuellement à partir du premier jour de maladie), soit par l’employeur (éventuellement après 3 mois d’incapacité de travail). Cette différence de temps permet au travailleur de prendre lui-même l’initiative, en évaluant lui-même son état de santé. Le lancement d’un trajet de réintégration se fait via le médecin du travail. | Pour inciter les employeurs à poursuivre efficacement la réintégration, nous les soutenons dans l’élaboration de plans de réintégration. Les employeurs sont tenus de faire évaluer le potentiel de travail de leur employé par le service de prévention externe après huit semaines d’incapacité de travail et, le cas échéant, d’entamer un processus de réintégration. Pour les employeurs avec plus de 20 travailleurs, nous prévoyons une sanction si un processus de réintégration n’est pas entamé pour les personnes ayant un potentiel de travail dans les six mois suivant le début de la maladie. | Après 8 semaines, ce trajet ne sera pas concluant car aujourd’hui, après 3 mois, 65% des trajets aboutissent à une décision C (lorsqu’une évaluation médicale n’est pas possible, en partie parce que l’état de santé ne s’est pas encore suffisamment stabilisé pour prendre une décision définitive). La législation relative à l’AMI ou au bien-être ne connaît pas le terme « de potentiel de travail », ce qui pourrait donner lieu à confusion. |
Actuellement, la procédure spéciale de force majeure médicale ne peut être déclenchée qu’après 9 mois d’incapacité de travail ininterrompue en tant qu’aucun projet de réintégration n’est en cours. À partir du 1er avril 2024, tout employeur utilisant la force majeure médicale pour mettre fin au contrat de travail doit en informer l’INAMI et verser ensuite une cotisation de 1 800 euros au Fonds Retour Au Travail (créé au sein de l’INAMI). | L’approche préventive des maladies de longue durée et l’effort renforcé de réintégration des travailleurs malades de longue durée se concentrent d’abord sur l’organisation interne du travail et la mobilité interne au sein de l’entreprise, et seulement dans un deuxième temps sur la mobilité externe. Cette politique de réintégration renforcée ne vise donc pas à licencier les travailleurs concernés. Ce n’est que si, après examen dans le cadre du processus de réintégration, il s’avère que les travailleurs sont définitivement inaptes médicalement à reprendre leur emploi dans une entreprise, que celle-ci peut à nouveau rendre cet emploi vacant et procéder à un nouveau recrutement sans frais supplémentaires. Nous raccourcissons le délai d’attente actuel de neuf à six mois d’incapacité de travail ininterrompue avant que le contrat de travail ne puisse être résilié pour raison médicale de force majeure. | Le licenciement pour force majeure médicale après 6 mois au lieu de 9 mois est un pas en arrière. Cette condition est en vigueur depuis le 28 novembre 2022 et il faudrait d’abord évaluer le système avant de pouvoir l’adapter. Le licenciement pour raison médicale est une manière ‘à bon marché’ de mettre des travailleurs à la porte sans être redevable d’une indemnité de licenciement. Un délai raccourci pour la procédure de force majeure médicale aura probablement aussi un impact négatif sur la motivation de l’employeur à chercher un travail adapté ou autre. |
Le Fonds ReAT est un système de financement pour l’obtention de services spécialisés et personnalisés tel que l’accompagnement de carrière ou le coaching personnalisé entre autres, pour les personnes reconnues en incapacité de travail et dont le contrat de travail a été rompu pour cause de force majeure médicale à l’initiative de l’employeur (à partir du 1er avril 2024) ou pour les personnes en incapacité de travail depuis plus d’un an en tant que travailleurs ou demandeurs d’emploi (uniquement à partir du 1er avril 2025). | La contribution au fonds « Retour au Travail » est toujours due lors de la résiliation du contrat. L’utilisation des moyens dans le fonds Retour au Travail sera évaluée et améliorée par une simplification administrative, et les conseillers Retour au Travail seront également encouragés à utiliser ces fonds plus fréquemment. | Étant donné le lancement récent du fonds ReAT et ses critères stricts, l’utilisation est aujourd’hui trop faible. L’amélioration de l’utilisation est positive, tant que l’intention reste de soutenir les travailleurs et qu’elle n’est pas détournée au profit des employeurs. |
Aujourd’hui, seuls les travailleurs peuvent démarrer un trajet de réintégration à partir du premier jour de maladie, l’employeur devant attendre au moins 3 mois pour cela. | Au lieu de la période d’attente obligatoire actuelle de 3 mois, il sera possible (mais pas obligatoire) pour les employeurs d’entamer un processus formel ou informel de réintégration au travail dès le premier jour de maladie de leur employé moyennant l’accord de ce dernier. | Cela est déjà possible aujourd’hui, à condition d’avoir l’accord du travailleur. Dans la pratique, cela ne se produit évidemment pas car, dans la plupart des cas, il est pratiquement impossible d’évaluer les perspectives de retour dès le premier jour de maladie. En outre, le risque est grand que l’accord du travailleur soit obtenu sous la pression. |
TRAVAILLEURS | ||
Depuis le 28 novembre 2022, tout travailleur est dispensé de l’obligation de présenter un certificat médical pour le premier jour d’incapacité de travail trois fois par année civile. La dispense s’applique non seulement en cas d’incapacité de travail d’un jour, mais aussi s’il s’agit du premier jour d’une période d’incapacité de travail plus longue. Si le travailleur a recours à cette dispense, il reste tout de même tenu d’en informer immédiatement l’employeur. | Dans le cadre d’une politique de lutte contre l’absentéisme, la possibilité de prendre un jour de maladie jusqu’à deux fois par an sans certificat médical sera réformée jusqu’à 2 fois par an. | Il n’y a pas de raison de limiter le nombre de jours de 3 à 2 (pas d’enquêtes systématiques, d’évaluation, etc.). Une étude d’impact réalisée par l’UHasselt à la demande de Jong Domus a révélé que la suppression du certificat médical pour un jour qui serait étendue à trois jours (il s’agit de jours calendrier), et ce au maximum trois fois par an permettrait d’économiser 68 millions d’euros pour les soins de santé chez les médecins généralistes. Du côté des travailleurs et des employeurs, cela permettrait d’économiser environ 100 millions d’euros. Maintenant, ils veulent faire l’inverse, ce qui représentera un coût pour les soins de santé. |
Il n’existe actuellement aucune obligation d’inscrire les malades de longue durée auprès d’un service régional de l’emploi. | Grâce à la loi du 20 décembre 2023, les malades de longue durée voient leurs droits aux indemnités pour cause de maladie réévalués régulièrement. Si cette analyse révèle un potentiel de travail et qu’ils ne sont plus liés par un contrat de travail, une inscription obligatoire auprès du service régional pour l’emploi (Forem, VDAB, Actiris) s’en suivra. Le manquement ou le non-respect de cette obligation sera communiqué à l’INAMI et aux mutualités pour une évaluation de l’incapacité de travail. Les personnes malades de longue durée (> 1 an) qui sont toujours liées par un contrat de travail verront également leur droit aux indemnités de maladie réévalué régulièrement. Si cette analyse révèle un potentiel d’emploi, elles se verront proposer un parcours obligatoire de réintégration professionnelle. | Il semblerait que les médecins-conseils devront déterminer si une personne a un « potentiel de travail ». Cela pourrait donner lieu à des discussions dans la mesure où cette notion n’est pas utilisée dans la législation AMI. |
Aujourd’hui, une absence sans motif valable peut déjà entraîner la perte de l’allocation (article 134 de la loi AMI), mais uniquement pour la convocation du médecin-conseil/coordinateur Retour Au Travail (et non pour le médecin du travail). Une sanction est également prévue, à savoir une réduction de 2,5 % de l’indemnité de maladie. Elle peut être appliquée à ceux qui refusent de répondre à la convocation d’un médecin-conseil ou d’un coordinateur Retour Au Travail dans le cadre d’un trajet Retour Au Travail. Le salaire garanti peut également être suspendu à la suite d’un contrôle effectué par le médecin de contrôle envoyé par l’employeur. | Pour les travailleurs qui ne coopèrent pas suffisamment ou pas du tout à leur trajet de réintégration au travail (tant par l’intermédiaire de l’employeur que des mutualités), nous introduisons respectivement une sanction et renforçons la sanction existante. Nous prévoyons une réduction de l’indemnité de 10% pour les personnes qui ne respectent pas leurs obligations administratives (remplir un questionnaire par exemple). Une absence sans justification valable à une convocation d’un médecin (médecin du travail et médecin-conseil) dans le cadre de la réintégration entraîne une suspension du droit aux indemnités/salaire garanti pour le salarié. En cas d’absence non justifiée à une convocation d’un coordinateur «Retour au Travail» ou d’un médiateur du service pour l’emploi, une sanction de 10% est appliquée sur l’indemnité. | Nous sommes contre le fait de sanctionner des malades. Plusieurs avis du CNT mettent l’accent sur le volontariat. L’extension des sanctions au refus d’accepter la convocation du médecin du travail est dangereuse – ce dernier est en pratique le plus proche de l’employeur. De même, l’élargissement de la sanction au refus d’accepter la convocation du service régional d’emploi met à mal le caractère volontaire. En outre, il n’existe aucune preuve que les sanctions déjà introduites conduisent à une réintégration durable et efficace des malades de longue durée. Il n’y a jamais eu non plus d’évaluation de cette mesure. |
Aujourd’hui, les personnes en incapacité de travail qui recommencent à travailler ont à nouveau droit à un salaire garanti après seulement 2 semaines (14 jours). Pour les malades de longue durée, c’est après 20 semaines de reprise du travail autorisée. | Pour éviter un « effet tourniquet » au sein de l’assurance maladie, où les salariés ont droit à 30 jours de salaire garanti à chaque rechute, nous stipulons que la reprise du travail ne donne droit aux 30 jours de salaire garanti qu’après huit semaines de reprise du travail. Pour les bénéficiaires qui reprennent partiellement le travail avec une notification au médecin-conseil, l’entreprise qui leur offre cette possibilité de reprise partielle ne sera pas tenue de verser un salaire garanti en cas de rechute pendant cette période de travail. | Aujourd’hui, les travailleurs en incapacité de travail qui reprennent le travail ont à nouveau droit à un salaire garanti après seulement 2 semaines. Augmenter ce délai à 8 semaines coûtera donc de l’argent tant au travailleur qu’au système de sécurité sociale (par ailleurs, il n’y a aucune justification scientifique ou autre pour la période de 8 semaines). Dans tous les cas, les personnes qui tombent malades et reprennent le travail ne peuvent pas être sanctionnées pour leur retour au travail. Cela va également à l’encontre de l’idée de faire revenir les gens au travail le plus rapidement possible. |
Aujourd’hui, il incombe déjà aux employeurs de prendre les mesures préventives nécessaires pour éviter les incapacités de travail. | Le travailleur qui n’est pas encore malade, mais qui risque de l’être, peut demander à son employeur et au médecin du travail d’entamer un trajet préventif de réintégration. L’employeur n’est pas obligé d’accéder à cette demande. | Cela est déjà possible aujourd’hui grâce à une lecture cohérente de la loi sur le bien-être et du Code du bien-être au travail. |
– | En assouplissant les règles sociales et fiscales relatives au cumul d’une partie des allocations avec un revenu du travail partiel, nous rendons le choix d’un travail rémunéré suffisamment rémunérateur, y compris pour les malades de longue durée. Nous réduisons les obstacles administratifs à la reprise partielle du travail, tant pour l’employeur que pour le travailleur et les mutualités | Ce n’est évidemment pas une mauvaise chose en soi, mais on ne sait pas très bien comment cela se passera dans la pratique. |
La reprise temporaire sur base volontaire doit être autorisée par le médecin-conseil de la mutuelle. Cela permet au travailleur de combiner (avantageusement) son indemnité de maladie avec son salaire. | Dorénavant, l’autorisation du médecin traitant ou du médecin du travail est équivalente à celle du médecin-conseil, pour permettre au salarié de reprendre le travail. Le début de la reprise partielle du travail doit être immédiatement signalé par l’employeur et le salarié au médecin-conseil de la mutuelle, afin de permettre un calcul correct de l’indemnité. De plus, nous soutenons la combinaison d’une partie d’une allocation avec un revenu partiel provenant du travail en mettant en place une forme automatique et administrativement simple de volontariat fiscal, en concertation avec les institutions de paiement. | Ceci est difficilement compatible avec l’indépendance du médecin du travail et la pénurie actuelle de médecins du travail/médecins traitants (y compris les médecins généralistes – cf. « refus de nouveaux patients »). Cette mesure conduit à un démantèlement du rôle des mutuelles. Afin d’éviter que les malades de longue durée qui reprennent le travail aient à payer un montant élevé aux autorités fiscales l’année suivante, il faudra que les organismes de paiement retiennent suffisamment de précompte professionnel. |
LES MEDECINS TRAITANTS | ||
Pour l’instant, seul le médecin du travail (sur la base, entre autres, de l’évaluation du médecin traitant) peut déterminer ce qui est possible pour le travailleur concerné, en tenant compte des éléments suivants : la situation individuelle du travailleurla politique de réintégration collective de l’entreprise | Les médecins traitants examinent désormais la possibilité d’un travail adapté ou différent lors de la rédaction ou de la prolongation du certificat médical ou d’un certificat d’incapacité de travail. À cette fin, dans certains cas, nous transformons le certificat médical en un certificat d’aptitude (ou « fit note ») dans lequel le médecin peut, de manière facultative, indiquer ce que le travailleur malade peut encore faire pendant la période de maladie. Le médecin traitant peut consulter le médecin du travail sur le contenu de la « fit note». Ce dernier peut évaluer les possibilités concrètes d’un travail adapté ou différent dans l’entreprise concernée. Dans ce cas, cette suggestion sera partagée avec les autres médecins via la plateforme TRIO et, si nécessaire, discutée. | Le médecin traitant ignore souvent les possibilités d’un travail adapté ou différent, car c’est le médecin du travail qui joue un rôle central pour tout ce qui a trait au contexte de l’entreprise. Une concertation entre différents médecins (dans le respect de la vie privée – et avec l’accord du travailleur) peut toutefois favoriser une approche holistique et intégrée. Entre-temps, cela est déjà prévu dans le cadre de la plateforme de concertation TRIO (qui sera lancée en 2025). |
Actuellement, il n’y a pas de délai pour la réintégration (elle reste volontaire). C’est également le médecin du travail qui joue (à juste titre) un rôle central dans la réintégration auprès de l’employeur, puisqu’il est le mieux informé du contexte spécifique de l’entreprise. | En cas d’incapacité de travail de plus de deux mois, le rôle de « médecin traitant responsable » est créé. Ce médecin joue un rôle de coordination dans le suivi et l’accompagnement des patients en incapacité de travail de longue durée et sert de premier point de contact pour la communication avec le médecin-conseil et le médecin du travail. Idéalement, il s’agit du médecin généraliste, mais si souhaité, ce rôle peut être transféré à un spécialiste. Ce « médecin traitant responsable » fournit un Dossier Médical Global pour chaque patient pour lequel il soumet un certificat d’incapacité de travail ou une prolongation pour une période totale de plus de deux mois. | Cela n’est pas réaliste compte tenu de la pénurie de médecins généralistes et il n’est pas clair non plus pourquoi le médecin généraliste devrait exercer le rôle de coordination et non le médecin du travail dans le contexte du travail. |
N’existe pas pour le moment. | Sur la base du datamining, les médecins qui prescrivent des périodes d’incapacité nettement plus nombreuses et/ou plus longues sont suivis, abordés et responsabilisés financièrement en ce qui concerne leur manière de prescrire. Les données nécessaires sont collectées à cet effet, notamment auprès des secrétariats sociaux. Nous mettons l’accent sur des outils d’autogestion pour les médecins, en leur permettant de comparer leur comportement de prescription avec des « standards » fondés sur des bases scientifiques et avec le comportement de prescription de leurs confrères dans la même région. Pour les employeurs, un point de signalement électronique pour les employeurs pour les certificats médicaux suspects et les attestations d’incapacité de travail sera mis en place au sein du SIRS. Les sanctions à l’encontre des médecins qui délivrent des certificats médicaux frauduleux seront renforcées en concertation avec l’ordre des médecins | Cela va à l’encontre de la déontologie médicale et de l’indépendance (liberté thérapeutique) des médecins. De plus, cela n’a pas de sens étant donné que l’employeur a déjà la possibilité d’envoyer un médecin-contrôle s’il a des doutes sur la cause réelle de l’absence du travailleur. |
LES MUTUALITES | ||
Les mutuelles sont déjà responsabilisées maintenant par rapport à leurs frais administratifs. Dans la méthode de calcul actuelle, le montant est réparti en fonction des résultats obtenus. En outre, dans la partie variable des frais administratifs, des millions d’euros sont également conditionnés par les résultats et, enfin, une mutualité n’obtient que 1/12e du remboursement pour un affilié qui est malade de longue durée. C’est beaucoup moins que pour un membre en bonne santé, alors que ces membres malades entrainent justement plus de travail. | Les mutualités disposent de l’expertise et de l’expérience nécessaires pour accompagner les personnes atteintes d’une maladie de longue durée et les aider à reprendre le travail. Nous voulons en faire des partenaires pour activer ce groupe, en travaillant avec les employeurs, les médecins et d’autres acteurs pour mettre en place des trajets visant à la réintégration. Nous responsabilisons financièrement les mutuelles sur la mise en place d’actions pour chaque personne reconnue en incapacité de travail (à moins que la situation médicale ne l’empêche). Nous subordonnons davantage le financement de leurs frais de fonctionnement à la mesure dans laquelle elles parviennent effectivement à réintégrer les malades de longue durée sur le marché du travail. Tant la formule des paramètres (qui détermine le budget global) que les formules pour la répartition de cette enveloppe globale entre les mutuelles sont modifiées dans ce sens. La présomption légale d’incapacité de travail en cas de formation ou d’accompagnement est abrogée. | Il ne s’agit pas d’un nouveau paragraphe, mais il est dangereux puisqu’il pourrait conduire à des dérapages dans lesquels les médecins-conseils subiraient des pressions pour obliger les personnes en incapacité de travail à s’adresser au coordinateur ReAT (ce qui augmenterait la pression sur le système de sécurité sociale à long terme). |
LES SERVICES REGIONAUX DE L’EMPLOI | ||
Depuis 2016, il existe des accords entre l’INAMI et les services régionaux de l’emploi permettant aux mutualités de rediriger les malades de longue durée auprès des services régionaux de l’emploi par l’intermédiaire du coordinateur ReAT. Ces trajets sont financés par l’INAMI. | Pour réintégrer au maximum et durablement le grand groupe de malades de longue durée sur le marché du travail, il est nécessaire d’améliorer la coordination et la coopération entre le niveau fédéral et les entités fédérées et entre les domaines politiques de la santé et du travail. En l’occurrence, l’accent est mis non plus sur une approche essentiellement médicale mais sur une approche multidisciplinaire et davantage axée sur le marché de l’emploi via les services régionaux de l’emploi (Forem, VDAB, Actiris, Arbeitsambt) et leurs organisations partenaires. Le médecin du travail et le service de prévention se voient également attribuer un rôle plus important en vue d’une orientation structurelle vers les services pour l’emploi régionaux, qui auront également accès à la «plateforme trio» du médecin traitant, du médecin-conseil et du médecin du travail à cette fin. | Les problèmes médicaux nécessitent un suivi médical. La réintégration des malades de longue durée est impossible sans l’intervention d’un médecin, car le travailleur en question ne peut pas toujours évaluer objectivement son état de santé. L’accès à la plateforme TRIO est également inapproprié pour les médiateurs du VDAB, car les informations médicales ne devraient (en principe) être partagées qu’avec des médecins tenus au secret médical et formellement indépendants de l’employeur. |
Aujourd’hui, les accords de coopération prévoient déjà un montant forfaitaire de 4 800 euros et (du moins avec le VDAB) une offre concrète doit être faite après quatre semaines, mais cela n’est pas réalisé. | Nous concluons de nouveaux accords de coopération avec les services régionaux pour l’emploi, avec un objectif ambitieux et une trajectoire de croissance sur le plan de la sensibilisation active et de la réintégration au travail des travailleurs malades de longue durée. Il est stipulé que les demandeurs d’emploi reconnus en incapacité de travail, inscrits auprès des services régionaux de l’emploi, seront activement contactés avec une proposition concrète (par exemple, une invitation à un entretien) au plus tard un mois après leur inscription. Le service pour l’emploi est en outre obligé de proposer un trajet (sur mesure) à toute personne inscrite. Dans cet accord de coopération, nous concluons également des accords sur l’échange de données nécessaire et le financement Pour chaque inscription, le service pour l’emploi reçoit un financement basé sur l’effort de X euros (pour entamer un trajet ou justifier pourquoi un trajet n’est pas entamé pour une personne inscrite) et un financement basé sur le résultat de Y euros (= emploi complet ou partiel pendant au moins X mois dans les Y mois suivant le début d’un trajet) | Compte tenu des économies prévues dans les services régionaux de l’emploi, il est difficile d’imaginer qu’ils puissent faire plus avec moins d’argent. Les services régionaux de l’emploi pourraient accompagner les malades de longue durée, mais sur la base du budget élevé non utilisé de la prime de reprise du travail (pour les employeurs qui embauchent des malades de longue durée), nous pouvons conclure que très peu d’employeurs sont disposés à embaucher des malades de longue durée. Par ailleurs nous sommes opposés également au transferts de moyens de financement de la sécurité sociale vers l’emploi, tâche qui est attribuée aux régions. L’accompagnement débouchera finalement sur une chasse à l’homme, ainsi que c’est déjà le cas aujourd’hui pour les demandeurs d’emploi (avec par ailleurs les sanctions qui y sont liées). |
INDEPENDANTS | ||
– | Nous examinerons les moyens de geler la situation administrative d’un travailleur indépendant en incapacité pendant une longue période afin d’éviter qu’il ne doive payer des amendes ou des majorations administratives alors qu’il n’est pas en mesure de gérer ses activités. Ces mesures pour les indépendants sont examinées et élaborées en collaboration avec le Comité Général de Gestion pour statut social des travailleurs indépendants et le comité de gestion de du service des indemnités des travailleurs indépendants de l’INAMI. | Une mesure favorable pour les indépendants, le contraste avec l’enfer et la damnation des travailleurs ne pourrait être plus grand. |
– | Nous étudions un système d’incapacité de travail partielle pour les travailleurs indépendants, afin d’éviter leur incapacité totale. Nous demandons au Comité général de Gestion d’examiner la possibilité et le financement d’une indemnité de maladie proportionnelle pour les indépendants. Elle serait ainsi calculée sur la base du dernier revenu, avec l’introduction d’un montant minimum et d’un montant maximum. Le montant minimum serait fixé au niveau des indemnités de maladie forfaitaires existantes. | Une fois de plus, il s’agit d’une mesure de faveur pour les indépendants qui n’est pas prévue pour les salariés et qui est de surcroît particulièrement propice à la fraude, car qui peut contrôler si un indépendant ne travaille qu’à temps partiel ? |
– | La charge administrative tant d’un indépendant que d’un travailleur reconnu incapable de travailler est réduite afin qu’il puisse se concentrer sur son rétablissement. La notification de l’incapacité de travail par le médecin traitant à la mutualité se fait par le biais d’un certificat électronique. | En soi, ce n’est évidemment pas une mauvaise chose, mais on ne sait pas comment cela fonctionnera dans la pratique. Cela est également contradictoire par rapport à d’autres propositions qui justement menacent de mener à une approche plus formaliste. En outre, les travailleurs doivent toujours donner leur accord pour le traitement de leurs données médicales et doivent pouvoir retirer cet accord. |
Un indépendant qui est malade pendant une plus longue période peut lui-même demander à l’ONSS de ne plus devoir payer de cotisations sociales (assimilation pour maladie). | Il sera étudié la manière d’implémenter une notification de l’incapacité de travail par la mutualité à la caisse d’assurances sociales et à l’INASTI afin d’examiner le droit à l’assimilation pour maladie ou à la dispense de cotisations sociales | Simplification administrative pour les indépendants |
Nous renforçons la fourniture d’informations dans le cadre de la déclaration d’incapacité de travail et de la (possibilité de) reprise du travail chez les travailleurs indépendants et les travailleurs. | Voir point précédent. | |
Actuellement, un budget fédéral structurel permet déjà aux Caisses d’Assurances Sociales, sous le contrôle de l’INASTI, de proposer des services supplémentaires pour promouvoir le bien-être mental des indépendants. | Nous évitons que les travailleurs indépendants ne tombent malades pendant une longue période en élargissant la politique de prévention via un soutien financier associé au niveau du régime de la sécurité sociale. L’objectif est de renforcer le volet préventif au niveau de la sécurité sociale des travailleurs indépendants. | Un budget spécifique supplémentaire est prévu pour les politiques de prévention pour les indépendants. |
Conséquences budgétaires
Malades de longue durée | |||||
Mesure | 2025 | 2026 | 2027 | 2028 | 2029 |
Services (de prévention) | pm | pm | pm | pm | pm |
Responsabilisation des employeurs | 61 | 122 | 122 | 122 | 122 |
Réforme des trajets de réintégration | pm | pm | pm | pm | pm |
Stimulation du processus de réintégration | 0,6 | 0,6 | 0,6 | 0,6 | 0,6 |
Rupture du contrat de travail | pm | pm | pm | pm | pm |
Trajet de réintégration possible dès le premier jour | pm | pm | pm | pm | pm |
Certificat médical | pm | pm | pm | pm | pm |
Inscription obligatoire auprès du service régional de l’emploi + réintégration | pm | pm | pm | pm | pm |
Responsabilisation des travailleurs | 3,75 | 10 | 15 | 20 | 25 |
Effet de « porte tournante » | -26,25 | -35 | -35 | -35 | -35 |
Projet de réintégration préventive | pm | pm | pm | pm | pm |
Retour partiel au travail | pm | pm | pm | pm | pm |
Certificat d’aptitude | pm | pm | pm | pm | pm |
Médecin traitant responsable | pm | pm | pm | pm | pm |
Responsabilisation du médecin – data mining | 18,75 | 50 | 75 | 100 | 125 |
Point de contact | pm | pm | pm | pm | pm |
Responsabilisation des mutualités | 37,5 | 77 | 134 | 191 | 248 |
Meilleure coordination | pm | pm | pm | pm | pm |
Accords de coopération entre l’INAMI et les services régionaux de l’emploi | pm | pm | pm | pm | pm |
Le nouveau système est également largement fondé sur la responsabilisation d’un point de vue financier des différents acteurs. Il n’y a guère de moyens de potentiel de travail qui soient prévus dans le tableau budgétaire pour mener une politique préventive de réintégration dans les entreprises. Toutefois, il est difficile de mesurer les effets de retour réels à long terme, y compris le risque de rechute, etc.
- Introduction
Pour déterminer le Jour de l’égalité salariale f/h, nous nous basons, depuis déjà quelques années , sur le rapport sur l’écart salarial de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes qui se base sur les données plus complètes de l’Office National de Sécurité Sociale (ONSS) et prend également en compte les services publics et les plus petites entreprises.
- L’écart salarial en général
Pour 2022 (les chiffres les plus récents), l’écart salarial f/h sur base annuelle en Belgique (sans correction pour la durée du travail) s’élève à 19,9% ou arrondi 20% (-1,1% par rapport à 2021).
En ETP ou en équivalents temps plein (avec correction pour la durée du travail), l’écart salarial f/h est de 7% (-1% par rapport à 2021).
Il s’agit d’une légère diminution par rapport à l’année précédente (2021).
Dans le secteur privé, l’écart salarial sur base annuelle (24,7%) est plus élevé que dans le secteur public (14%). En ETP, l’écart salarial s’élève à 10,2% dans le secteur privé et à 4,2% dans le secteur public.
1.2. L’écart salarial selon le statut
Le plus grand écart salarial concernent les ouvriers ..ères du secteur privé : 41,9% sur base annuelle et 19,3% en ETP. Viennent ensuite les employé..e.s avec un écart salarial de 30,2% sur base annuelle et de 17,9% en ETP.
1.3. L’écart salarial entre les travailleur-se-s à temps partiel et à temps plein
Il existe également un écart salarial entre les travailleur-se-s à temps plein et les travailleur-se-s à temps partiel. En ETP, il est de 4,7% pour les travailleur-se-s à temps plein et de 5,3% sans correction pour la durée du travail. Pour les travailleur-se-s à temps partiel, l’écart salarial est de 6,6% (en ETP) et de 8,9% sans correction pour la durée du travail.
- L’écart salarial selon la taille de l’entreprise
Pour ce qui est des ETP, on constate que l’écart salarial f/h est supérieur à 10,7% dans les entreprises à partir de 50 travailleurs et il atteint 15,5% dans les entreprises de 500 à 999 travailleurs. Sans correction pour le temps de travail, l’écart salarial atteint 25,8% dans les entreprises de 50 travailleurs ou plus et s’élève à 27,8% dans les entreprises de 500 à 999 travailleurs.
La loi belge sur l’écart salarial de 2012 concerne précisément ces entreprises. D’où notre revendication répétée d’un renforcement de la loi sur l’écart salarial, par de meilleurs contrôles, des sanctions effectives et une plus grande transparence des salaires comme prévu dans la directive européenne.
- La Journée de l’écart salarial tombe le 14 mars 2025
La journée de l’égalité salariale f/h = journée jusqu’à laquelle les femmes doivent travailler pour gagner autant que ce qu’ont gagné les hommes en un an.
Selon nos calculs:
En moyenne, les femmes gagnent 20% en moins par an que les hommes
↓
Pour gagner ce qu’un homme gagne en un an, les femmes doivent donc travailler plus longtemps
↓
20% de 365 jours = 73 jours en plus
↓
Les femmes travaillent donc 2 mois et 14 jours gratuitement
→ Cette année, la journée de l’égalité salariale tombera le vendredi 14 mars
- Campagne FGTB 2025
En regard des nombreuses actions programmées en mars :Journée internationale pour le droit des femmes et grève féministe le samedi 8 mars, grève générale contre les mesures d’austérité le 31 mars, journée pour l’égalité salariale f/h, manifestations contre le racisme et le génocide à Gaza où les femmes et les enfants sont en grand nombre les victimes,…, les membres du Bureau Fédéral des Femmes indiquent que mobiliser pour la journée de l’égalité salariale f/h le 14 mars n’est pas faisable.
Pour l’avenir : comme nous n’avons pas pu mener ces dernières années de véritable campagne de visibilité pour la Journée de l’égalité salariale f/h , les membres du Bureau fédéral des femmes proposent d’ouvrir le débat au sein des bureaux interrégionaux des femmes et de la commission genre en Flandre. Les membres suggèrent d’ organiser la journée de l’égalité salariale f/h (unequal pay day) en automne plutôt qu’au printemps. Comme cela se fait dans d’d’autres pays et au niveau européen. De plus amples informations sur les résultats de ce débat et la position du Bureau fédéral des femmes suivront.
Les membres du Bureau Fédéral des Femmes souhaitent mobiliser autant que possible pour la grève du 8 mars et pour des actions contre les mesures du gouvernement Arizona anti-femmes.
Depuis 21 ans l’écart salarial se résorbe trop lentement, nous estimons nécessaire de le dénoncer pour renforcer notre lutte.. Des posts sur les médias sociaux et un article sur le site web mettront en évidence l’inégalité salariale de 20%.
Oxfam – Accord de gouvernement : « L’Arizona est un gouvernement pour les riches », réagit Oxfam
Oxfam dénonce aujourd’hui un accord de gouvernement qu’elle juge favorable aux personnes les plus riches du pays. D’après Oxfam, la ligne politique du nouveau gouvernement va inévitablement creuser les inégalités et crée d’ores et déjà beaucoup d’incertitude quant au dossier climatique. « Il appartiendra aux forces tournées vers l’avenir au sein du gouvernement de prévenir toute dégradation supplémentaire », a déclaré Eva Smets, directrice d’Oxfam Belgique.
« S’il faut saluer le fait que Bart De Wever soit parvenu à former un gouvernement composé d’une série de partis hétéroclites, il n’y a cependant guère de raisons d’être optimiste du point de vue de la lutte contre les inégalités et pour un système économique juste. Cet accord de coalition ne répond pas de manière structurelle aux inégalités fiscales et climatiques croissantes dont nous sommes tous et toutes victimes », a déclaré Eva Smets.
« Une fois de plus, la réforme fiscale tant attendue ne s’est pas matérialisée. Il n’y a pas eu de transfert de la taxation des revenus du travail vers un impôt sur la fortune, bien au contraire. Pourquoi traque-t-on les malades alors que dans le même temps les très riches spécialistes de la fraude fiscale bénéficient d’un passe-droit. À cela s’ajoute la dérisoire contribution de solidarité, qui s’apparente davantage à une « contribution d’aumône ». Ces mesures indiquent que l’Arizona est essentiellement un gouvernement pour les riches ».
« 2024 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée. Si on lit entre les lignes, cet accord privilégie les profits à court terme des entreprises à une politique climatique ambitieuse. En l’absence d’un cadre clair, les investissements prévus dans l’industrie pourraient rapidement se transformer en une pure opération de greenwashing. L’Arizona choisit de ne pas s’attaquer de front aux problèmes climatiques », a déclaré Eva Smets.
« La réduction présupposée de 25% du budget dédié à l’Aide Publique au Développement aura des conséquences désastreuses pour les personnes les plus vulnérables de la planète à l’heure où les besoins humanitaires dans le territoire palestinien occupé, en République Démocratique du Congo ou encore au Soudan sont immenses.
« L’accord contient quelques éléments positifs, tels que le soutien accru à l’économie sociale et l’augmentation des salaires minimums. Cependant, derrière ces mesures se cachent des économies qui n’épargnent pas les citoyens, mais plutôt les grandes entreprises », a déclaré Eva Smets. « Avec tous ceux qui, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, se tournent vers l’avenir, nous veillerons à ce que la lutte pour une plus d’égalité se poursuive », a-t-elle conclu.
CNCD 11.11.11 – Malgré la mention du respect du droit international et européen et de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’accord de gouvernement Arizona défend une politique anti-migration visant à réduire le nombre de personnes migrantes en Belgique. Pour y parvenir, les mesures reposent principalement sur la dissuasion au départ, la diminution des voies légales d’entrées, la difficulté du maintien au séjour, le recul de la protection, la criminalisation voire la coercition pour l’éloignement.
Le gouvernement semble ignorer le droit international, notamment l’obligation d’accueillir les demandeurs d’asile et de leur assurer une protection contre la torture et les traitements inhumains. De plus, il ignore les décisions judiciaires et les valeurs de solidarité qui devraient guider les politiques migratoires.
Cet accord dévalorise également les contributions économiques des personnes migrantes, bien qu’elles soient reconnues à l’échelle mondiale. Au lieu de considérer les personnes migrantes comme un atout économique et culturel, le gouvernement les perçoit principalement comme un fardeau pour la sécurité sociale. Elles sont souvent présentées comme des abuseuses du système et représentant une menace pour la sécurité nationale voire l’identité des habitants.
Cette vision stéréotypée et négative alimente la criminalisation des personnes migrantes et les réduit à un problème à résoudre plutôt qu’à une opportunité à saisir. En somme, l’accord Arizona adopte une approche répressive qui nie les bénéfices de l’immigration et néglige les principes fondamentaux de solidarité et de respect des droits humains.
Renforcer l’externalisation pour limiter les arrivées et concrétiser les retours
Concernant la dimension externe de la politique migratoire belge, l’Accord de gouvernement soutient le renforcement des contrôles aux frontières et de l’externalisation de la gestion migratoire afin de limiter les arrivées et faciliter l’éloignement des personnes migrantes jugés indésirables. Il affirme que « pour que la migration redevienne socialement et économiquement positive », il faut « maitriser l’afflux de migrants ». Cette maitrise prend la forme d’un contrôle accru et d’un tri entre personnes désirables et non désirables.
Bien que l’accord souhaite lutter contre la migration irrégulière, c’est une attaque contre toutes les voies légales et sûres de migration qui s’y retrouve. Tout d’abord, le gouvernement durcira davantage l’accès au regroupement familial, y compris pour les bénéficiaires de protection internationale. Un test de langue de pré-intégration et des revenus plus conséquents seront notamment exigés. Il adoptera une politique de visa extrêmement sélective pour les personnes migrantes désireuses de travailler ou étudier. Enfin, il ne participera plus au mécanisme international de réinstallation pour les réfugiés et à celui européen de relocalisation pour les demandeurs d’asile.
Il y a un manque de cohérence dans cette approche : le gouvernement Arizona affirme d’un côté vouloir éviter les situations d’irrégularité des personnes migrantes, tout en rendant de l’autre l’arrivée régulière extrêmement difficile et en restreignant également le maintien du séjour.
Cette lutte contre les arrivées débutera au sein mêmes des pays d’origine, puisque la Belgique mènera davantage de campagnes de dissuasion au départ envers les personnes ressortissantes des pays tiers ayant un faible taux de reconnaissance du statut de réfugié. Ces mesures sont particulièrement condamnables au vu du droit international (droit de quitter son pays), de leur inefficacité prouvée (Etude de la VUB 2024) et du contexte de restriction budgétaire.
Le parcours des demandeurs d’asile s’intégrera dans la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile récemment adopté par l’UE (mais dont le plan belge d’application n’a toujours pas été rendu public). Ce pacte s’inspire de l’approche “hotspots” qui repose sur la détention, le tri et l’expulsion. Le gouvernement Arizona va plus loin en “étudiant l’opportunité d’ancrer le principe de force majeure dans la loi nationale”. Ainsi, en cas d’arrivées jugée ingérables, il pourra restreindre les procédures d’accueil, et potentiellement rétablir le contrôle de ses frontières intérieures.
En plus de limiter les arrivées en Belgique, l’Arizona développera « une politique de retour ferme et humaine » et ajoute que “l’accompagnement au retour débute(ra) après le dépôt de la demande de protection internationale”. Pour cela, il soutiendra la réforme au niveau européen de la Directive retour, qui a pour ambition de mener les Etats membres « à une action résolue à tous les niveaux pour faciliter, accroître et accélérer les retours depuis l’Union européenne, en utilisant l’ensemble des politiques, instruments et outils dont l’UE dispose” (Conseil UE du 17 octobre 2014). Dans la même veine, il augmentera le nombre de places en centre fermés, y compris et spécifiquement pour les personnes dites “dublinées” (c’est-à-dire ayant fait une demande d’asile dans un autre pays européens avec prise d’empreintes enregistrées dans EURODAC). Le déploiement d’un corps permanant de Frontex dès 2026 en Belgique participera à cet objectif.
De plus, le gouvernement Arizona négociera désormais des accords de réadmission bilatéraux en son nom, et non plus au nom du Benelux ou de l’UE. Afin de contraindre les pays tiers à signer ces accords de retour, il conditionnera d’une part l’aide publique au développement et la délivrance des visas (y compris celui délivré pour un Permis Unique).
Il est particulièrement préoccupant de constater que le volet de la coopération au développement de l’Accord de gouvernement comporte des dispositions qui semblent être davantage liées à la gestion migratoire qu’à son mandat, à savoir la lutte contre la pauvreté. Ainsi, l’accord stipule que la migration sera dorénavant un axe transversal de la politique de coopération au développement. Il mentionne qu’une attention sera portée aux partenariats que la Belgique entretient avec la Turquie, les pays africains et ceux de la rive sud de la Méditerranée, des régions d’origine des personnes migrantes en Belgique, au risque que cela se fasse au détriment des pays à faible revenu.
Une diminution de la protection des droits
L’accord présente la dissuasion de rester sur le territoire belge comme faisant partie de sa stratégie politique migratoire.
Le gouvernement continuera de renforcer sa politique de non-accueil, une approche démontrée comme étant totalement inefficace et fondée sur la lutte contre un soi-disant appel d’air.
Il prévoit tout d’abord la réduction des places d’accueil. Cette mesure est particulièrement problématique d’un point de vue humain et sociétal, puisqu’un nombre accru de personnes se retrouvent à la rue tandis que les centres d’hébergement d’urgence se retrouvent sous pression. Elle l’est également au niveau juridique. Pour rappel, la Belgique a été condamnée des milliers de fois pour non-respect de ses obligations d’accueil, et ce tant aux niveaux belge qu’européen.
D’autres mesures dans la même lignée y sont inscrites, comme le retrait dans la loi de la possibilité de répartition obligatoire de place d’accueil entre les communes. Or, répartir moins de 10 personnes par commune permettrait d’accueillir les plusieurs milliers de demandeurs d’asile abandonnés actuellement en rue. Y figure également la fin de la possibilité pour les demandeurs d’asile de travailler dans le centre où ils sont hébergés (malgré les difficultés financières que cela va provoquer pour le centre) ou la fin de l’accueil individuel dans les ILA, qui est pourtant comme le rappelle Myria et la Cour des Comptes moins couteux (entre 8 et 19 euros moins chers par jour) et offre une meilleure garantie de la dignité humaine et du droit à une vie privée. L’accueil sera “sobre” et harmonisé (vers le bas) avec celui des pays limitrophes. Aucune aide, sauf matérielle, ne sera octroyée. Sans surprise, aucune campagne de régularisation n’est prévue.
En parallèle, l’approche vise à réduire au maximum la protection des personnes migrantes, notamment en limitant l’aide juridique et en favorisant la protection subsidiaire, moins protectrice, au détriment du statut de réfugié.
Certaines mesures visent même à criminaliser davantage les personnes migrantes. Outre l’augmentation de places en centre fermés, une politique extrêmement couteuse, l’accord propose un retour des visites domiciliaires, l’obligation pour les exilés de “collaborer” et de rendre leur portable/ordinateur/tablette accessibles.
On a évité le pire, vraiment ?
Peut-on dire qu’on a évité le pire car ni le modèle australien, qui externalise dans des pays tiers toutes les demandes d’asile, ni le modèle britannique, qui refuse de prendre en compte les demandes d’asile des personnes arrivées par voie dite irrégulière, ne sont cités dans l’Accord final ? Le doute est là, car l’Accord stipule que le gouvernement explorera “d’autres voies jugées utiles” dans le cadre de la dimension externe de sa politique.
Que cela signifie-t-il concrètement ? La Belgique va-t-elle financer des centres hotspots dans des pays tiers et ainsi externaliser sa politique d’asile ? Ces possibilités étaient bel et bien présentes dans l’avant dernière version de l’Accord qui avait fuité en janvier. Elles ont été supprimées avant sa finalisation. Vont-elles réapparaitre dans la note politique à venir de la nouvelle ministre de l’Asile et de la Migration, Anneleen Van Bossuyt (N-VA) ?
Seules gouttes d’eau dans ce désert aride, le fait que la Loi sur l’interdiction de l’enfermement des enfants est maintenue (mais sera réévaluée dans deux ans) et que les conditions d’exercice du Permis unique, comprenant dorénavant le travail aux paires, seront simplifiées et veilleront à améliorer les droits des bénéficiaires. La mise en place d’un visa court séjour à entrées multiples est à saluer également.
Quelle conclusion ?
Malgré la mention dans l’Accord que la Belgique respectera le droit international et européen ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant, la mise en œuvre des mesures présentées dans l’accord de gouvernement créera inévitablement plus de vulnérabilités pour les personnes migrantes et leur entourage.
La diminution des voies légales et sûres va renforcer le nombre de morts sur les routes de l’exil et les violences sexuelles systématiques sur les femmes. La diminution des places d’accueil jettera et maintiendra à la rue, sans droit ni voix, nombre de personnes déboutées de l’asile ou s’étant vu retirer leur permis de séjour. La politique de retour basée sur le futur déploiement de Frontex en Belgique et la signature des accords de réadmission engendrera plus de détentions et de risques de torture pour les personnes renvoyées dans des pays peu respectueux des droits humains (Tunisie, Turquie, Lybie etc.).
La Belgique s’inscrit ainsi dans une évolution de plus en plus restrictive des politiques migratoires. L’Arizona rejoint ainsi le club des pays ayant les politiques migratoires les plus répressives d’Europe. Un politique qui n’offre aucune garantie d’efficacité mais qui risque d’être extrêmement couteuse et non respectueuse des droits fondamentaux.
Pourtant, des alternatives réalistes et durables existent, telle la Justice Migratoire. Basée sur le droit international et sur des données objectives, elle passe par la mise en œuvre d’accords de partenariats au service des Objectifs de Développement Durable, des voies légales et sûres de migration, une répartition solidaire de l’accueil, la régularisation et la fin des discriminations et amalgames sur les personnes migrantes. Ce n’est pas la voie empruntée par le gouvernement Arizona.
DOSSIER EXTREME DROITE 3 La Ligue des droits humains et son Conseil d’administration Prise de position : la Ligue des droits humains appelle à lutter contre les discours de haine Cette prise de position a été adoptée à l’unanimité par le Conseil d’administration de la Ligue des droits humains en sa séance du 21 novembre 2024. Au cours des derniers mois, la Ligue des droits humains a été interpellée à plusieurs reprises concernant des propos tenus par des responsables politiques ou des personnalités publiques, notamment pour des discours haineux ou populistes, de la désinformation ou des saillies contre les droits humains. Qu’il s’agisse de renvoyer un député à ses origines, de désigner les personnes précarisées d’« assistés » ou de « barakis », de prôner le recours aux push-back illégaux de personnes étrangères sans tenir compte de leur vie ou de leur sécurité, de légitimer l’antisémitisme ou l’islamophobie par le conflit entre Israël et la Palestine, de promouvoir des discours sexistes ou transphobes, la liste est malheureusement longue. La multiplication de ces discours dégrade le débat public et représente une menace concrète et réelle pour les sociétés démocratiques fondées sur les droits humains, en engendrant l’intolérance et la violence à l’égard de certains groupes de la population. Cette situation inquiétante fait l’objet de recommandations du Conseil de l’Europe et d’un Plan d’Action des Nations Unies. En Belgique, UNIA et l’Institut pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (IEFH) sont compétents pour lutter contre les discours et les délits de haine et recevoir des signalements. Dans ce contexte, la Ligue des droits humains : • condamne avec la plus grande fermeté les discours de haine portés à sa connaissance ; • appelle l’ensemble des acteurs·trices du débat public à s’abstenir de tenir, partager, promouvoir ou banaliser, directement ou indirectement, des discours de haine ; • appelle l’ensemble des acteurs·trices du débat public, y compris les partis politiques, à accorder une grande attention à la modération de leurs réseaux sociaux et à condamner publiquement, signaler ou supprimer les discours de haine sur ceux-ci ; • appelle les autorités à se conformer aux recommandations du Conseil de l’Europe et des Nations Unies et à adopter une stratégie globale pour lutter contre l’ensemble des discours de haine, en endiguant la désinformation, l’utilisation de stéréotypes négatifs et la stigmatisation de personnes ou de groupes et en promouvant la sensibilisation, l’éducation, la formation, les contre-discours, les discours alternatifs et le dialogue interculturel. DOSSIER EXTREME DROITE 4 Qu’est-ce qu’un discours de haine ? Plusieurs définitions coexistent. En 1997, le Conseil de l’Europe définissait les discours de haine comme « toutes formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration »1. 25 ans plus tard, le Conseil de l’Europe a ajusté sa définition en visant « tout type d’expression qui incite à, promeut, diffuse ou justifie la violence, la haine ou la discrimination à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes, ou qui les dénigre, en raison de leurs caractéristiques personnelles ou de leur statut réels ou attribués telles que la « race », la couleur, la langue, la religion, la nationalité, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le handicap, le sexe, l’identité de genre et l’orientation sexuelle»2. La Commission contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du même Conseil de l’Europe, pointait déjà en 2015, « le fait de prôner, de promouvoir ou d’encourager sous quelque forme que ce soit, le dénigrement, la haine ou la diffamation d’une personne ou d’un groupe de personnes ainsi que le harcèlement, l’injure, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation ou la menace envers une personne ou un groupe de personnes et la justification de tous les types précédents d’expression au motif de la « race », de la couleur, de l’origine familiale, nationale ou ethnique, de l’âge, du handicap, de la langue, de la religion ou des convictions, du sexe, du genre, de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle, d’autres caractéristiques personnelles ou de statut »3. Les Nations Unies définissent les mêmes discours comme étant « tout type de communication, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite ou de comportement, constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l’égard d’une personne ou d’un groupe en raison de leur identité, en d’autres termes, de l’appartenance religieuse, de l’origine ethnique, de la nationalité, de la race, de la couleur de peau, de l’ascendance, du genre ou d’autres facteurs constitutifs de l’identité »4. Ces définitions englobent largement l’ensemble des discours intolérants et dénigrants à l’égard de groupes de personnes en raison d’éléments de leur identité. Spécificité de l’incitation à la haine L’incitation à la haine est un type de discours de haine, d’une gravité particulière, qui justifie des poursuites et des sanctions pénales. En Belgique, dans le respect du droit international, les discours incitant à la haine font l’objet d’une répression pénale particulière, conformément à la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie et aux lois du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Ces discours d’incitation à la haine se caractérisent par trois éléments5. 1 Recommandation R (97) 20 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le « discours de haine », adoptée le 30 octobre 1997. 2 Recommandation CM/Rec(2022)16 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la lutte contre le discours de haine du 20 mai 2022. 3 Recommandation de politique générale de l’ECRI n°15 sur la lutte contre le discours de haine, du 8 décembre 2015. 4 Stratégie et plan d’action des Nations unies pour la lutte contre les discours de haine, mai 2019. 5 Arrêt de la Cour d’appel de Liège, 30 juin 2021. DOSSIER EXTREME DROITE 5 1° Le comportement ou le discours doit être susceptible d’inciter à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe, d’une communauté ou de leurs membres. 2° L’auteur doit avoir eu la volonté d’inciter à la haine ou à la violence. Cette condition est parfois difficile à apprécier. En effet, il n’est pas nécessaire, pour constater cet élément moral, que l’auteur·trice ait provoqué à poser des actes concrets et précis6. Toutefois, l’incitation doit aller au-delà de ce qui relève des informations, des idées ou des critiques7. 3° Le comportement ou les propos doivent avoir été tenus en public. La Ligue des droits humains, aux côtés de l’Institut Fédéral pour les Droits Humains, d’UNIA et de 37 autres organisations de la société civile, a appelé à une modification de la Constitution afin que tous les propos incitant à la haine tenus sur les réseaux sociaux puissent être sanctionnés par les tribunaux correctionnels, comme c’est le cas pour l’incitation à la haine raciale8. Ces comportements peuvent être punis par des peines d’amendes ou de prison. Comment identifier les discours de haine ? Il est crucial de réaffirmer que les discours de haine comprennent tant des propos punissables pénalement, que des propos non punissables. Ainsi, l’absence de condamnation en justice de certains propos ne signifie aucunement que ces propos ne sont pas des discours de haine ou qu’ils ne propagent pas la haine et l’intolérance. Des chercheurs·euses ont par exemple identifié, pour le compte d’UNIA, toute une série de discours en « zone grise », qui constituent des discours de haine et des opinions non punissables pénalement, émanant de responsables politiques francophones et néerlandophones9. Ces chercheur·euses ont mis en lumière plusieurs éléments caractéristiques de ces discours : « Les messages analysés contiennent très peu de stratégies incitant ouvertement à la haine mais se basent surtout sur un langage implicite et indirect. Ils suggèrent plus qu’ils n’affirment que certains groupes représentent un problème voire un danger. Pour ce faire, ils utilisent souvent les stratégies suivantes : • créer une opposition claire entre le propre groupe (endogroupe) et un autre groupe (exogroupe) en suggérant une composition homogène de chacun ; • représenter l’exogroupe de façon négative sur base de caractéristiques supposées en l’associant à des phénomènes ou actions négatives ; (…) Cette manière de faire passer des messages de manière implicite aux personnes qui partagent un même imaginaire est connue dans la littérature sous le nom de dog whistle strategy (‘stratégie du sifflet à chiens’) ». 6 Arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 1993, P.93.0110.F. 7 Arrêt de la Cour constitutionnelle 17/2009, §. B.67.4. 8 « Article 150 : mettons fin à une double discrimination dans notre Constitution », Carte blanche parue dans Le Soir le 25 avril 2024 et dont la Ligue des droits humains est signataire. 9 P. DUPRET et A. PIZARRO PEDRAZA, « Des messages à la frontière entre opinion et discours de haine – Une analyse de la communication des personnalités politiques belges francophones sur les réseaux sociaux », Rapport final de la recherche effectuée pour le compte d’Unia, 2020. 6DOSSIER EXTREME DROITE La lutte contre les discours de haine, punissables ou non punissables, est-elle conforme à la liberté d’expression ? La liberté d’expression vaut également pour les idées et les opinions qui heurtent, choquent ou inquiètent. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, cependant, « (…) [L]a tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste. [Il en ré sulte que] on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance (…), [du moment que] les “formalités”, “conditions”, “restrictions” ou “sanctions” imposées soient proportionnées au but légitime poursuivi »10. Il ne s’agit donc pas d’un droit absolu et la répression par les tribunaux de l’incitation à la haine ou encore le cordon sanitaire médiatique ne constituent donc pas une violation de la liberté d’expression, dès lors qu’ils ont pour objectif de protéger les droits d’autrui, que les sanctions sont prévues par la loi et qu’ils sont proportionnées par rapport à cet objectif. Faire usage de sa liberté d’expression pour prôner l’annihilation des droits fondamentaux des autres peut aussi constituer un abus de droit. Pour évaluer le degré de gravité d’un discours de haine, déterminer s’il constitue un délit d’incitation à la haine ou une forme non punissable de discours de haine, ainsi que la proportionnalité de la sanction qui lui est réservée, le Conseil de l’Europe, inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, recommande de prendre en compte la relation entre les facteurs suivants11 : • le contenu du discours; • le contexte politique et social au moment où le discours a été tenu; • l’intention de l’auteur; • le rôle et le statut de l’auteur dans la société; • la manière dont le discours est diffusé ou amplifié; • sa capacité à entraîner des conséquences dommageables, notamment l’imminence de celles-ci; • la nature et la taille de l’audience; • et les caractéristiques du groupe ciblé. La Cour européenne des droits de l’homme a, par exemple, déjà admis que la sanction d’un politicien qui n’avait pas modéré des propos haineux sur son profil de réseau social n’était pas disproportionnée, en tenant compte de plusieurs de ces facteurs12. En ce qui concerne les discours de haine non punissables par la loi, il convient de rappeler que le droit fondamental à la liberté d’expression n’entraîne nullement le droit, pour les auteurs·trices de ces discours, d’éviter la critique et la réprobation publique de leurs discours haineux ou d’être exonérés de leur responsabilité politique ou morale. 10 Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Erbakan c. Turquie, 6 juillet 2006, § 56. 11 Recommandation CM/Rec(2022)16, § 4. 12 Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Sanchez c. France, 15 mai 2023. DOSSIER EXTREME DROITE 7 Le Conseil de l’Europe recommande d’ailleurs aux Etats d’adopter une stratégie globale pour lutter contre l’ensemble des discours de haine, en adressant ses causes (la désinformation, l’utilisation de stéréotypes négatifs et la stigmatisation de personnes ou de groupes) et en promouvant la sensibilisation, l’éducation, la formation, le contre-discours, le discours alternatif et le dialogue interculturel13. Le Conseil de l’Europe adresse également des recommandations spécifiques aux médias et aux journalistes qui sont des observateurs critiques de la vie politique et doivent donc jouir de la liberté de rendre compte de la haine et de l’intolérance, ainsi qu’aux parlementaires et autres organes politiques, afin qu’ils mettent « en place des politiques spécifiques pour traiter et combattre le discours de haine, en particulier dans le cadre des campagnes électorales et des débats des assemblées représentatives. À cette fin, ils devraient adopter un code de conduite prévoyant une procédure interne de plainte et de sanction. Ils devraient également éviter toute expression susceptible de favoriser l’intolérance et devraient condamner ouvertement le discours de haine »14. Ainsi, par exemple, les partis politiques francophones signataires de la Charte de la démocratie se sont notamment engagés à modérer certains discours de haine sur leurs réseaux sociaux15. Les organisations de la société civile sont appelées à se coordonner et coopérer, ainsi qu’à se former pour combattre et prévenir les discours de haine. D’autres discours menacent-ils également les sociétés démocratiques ? Les discours de haine sont souvent portés par d’autres discours mettant en danger l’avenir des sociétés démocratiques, tels que la désinformation, le discrédit et le dénigrement des défenseurs des droits humains et des contre-pouvoirs (journalistes, juges, académiques, syndicats, etc.). Comme le rappelait récemment le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, « La « nouvelle normalité » (…) ne peut être la diffusion à tout va de la désinformation, étouffant les faits et notre capacité à faire des choix libres et éclairés. Une rhétorique enflammée et des solutions simplistes dénuées de contexte, de nuance et d’empathie. Ouvrant la voie aux discours de haine et aux conséquences désastreuses qui s’ensuivent inévitablement. (…) Ces personnes profitent des craintes et du désespoir de la population, en montant les groupes les uns contre les autres, et cherchent à semer le trouble et à diviser. L’histoire nous a montré que les discours haineux peuvent engendrer des actes haineux. Une direction politique fondée sur les droits humains et un débat reposant sur des preuves en sont l’antidote. C’est la seule façon de relever les véritables défis auxquels les citoyens sont confrontés dans des domaines tels que la santé, le logement, l’emploi et la protection sociale. »16. Il convient donc d’être attentif aux causes profondes des discours de haine, de les déconstruire, de refuser leur banalisation et de poursuivre la promotion des discours fondés sur le respect des droits humains et de l’Etat de droit. 13 Recommandation CM/Rec(2022)16, §§ 44-45. 14 Recommandation CM/Rec(2022)16, § 29. 15 Renouvellement de la Charte de la démocratie – 8 mai 2022, Code de bonne conduite entre partis démocratiques à l’encontre des formations ou partis qui manifestement portent des idéologies ou des propositions susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent notre système politique, § 10. 16 « Les droits humains sont notre rempart contre le pouvoir absolu », discours prononcé par Völker Turk, HautCommissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors de la 57ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies le 9 septembre 2024.
DROIT DE GRÈVE GUIDE PRATIQUE 30 QUESTIONS/ RÉPONSES 2 AVANTPROPOS Les grèves ont joué un rôle déterminant dans la construction de nos sociétés, pour faire progresser la démocratie et rendre justice aux travailleurs et aux travailleuses avec ou sans emploi, avec ou sans papiers. Le droit de grève et le droit d’action collective sont des droits fondamentaux reconnus et protégés par le droit belge et le droit international. Le droit de grève est essentiel pour défendre nos intérêts économiques et sociaux. Aussi, les autorités ne peuvent limiter ce droit qu’à certaines conditions. Les droits des grévistes et des manifestant·es posent de nombreuses questions en pratique car ils peuvent également dépendre des circonstances concrètes. Ce petit guide pratique donne un aperçu des droits et obligations des grévistes et manifestant·es lors d’une action. Il tente de répondre aux questions les plus courantes, sans être exhaustif. • L’ARRÊT DE TRAVAIL PERMET DE DÉMONTRER QUE CE SONT LES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS QUI CRÉENT LA RICHESSE D’UNE ENTREPRISE OU DE L’ÉCONOMIE D’UN PAYS. EXERCER SON DROIT DE GRÈVE PERMET DE FAIRE PRESSION SUR L’EMPLOYEUR OU LES DÉCIDEURS POLITIQUES. 3 4 QUESTIONS PRATIQUES 1. LE DROIT DE GRÈVE EST-IL PROTÉGÉ ? Oui. Le droit de grève est un droit humain fondamental protégé par des conventions internationales obligatoires, comme la Charte sociale européenne. Il ne se trouve ni dans la Constitution, ni dans la loi belge. Mais il a été reconnu par la Cour de cassation. 2. FAUT-IL SE PRÉPARER AVANT UNE ACTION DE GRÈVE ? Oui. Avant toute action, il est souhaitable de défi nir une feuille de route/un plan pour savoir comment se comporter et anticiper les diffi cultés éventuelles. Le droit de grève et le droit de manifester pacifi quement sont des droits fondamentaux. « Chaque travailleur, chaque travailleuse peut décider d’exercer son droit de grève pour défendre ses intérêts socio-économiques. Même celles et ceux qui ne sont pas syndiqués. » → 5 Conseils en toute circonstance Dialoguez autant que possible et expliquez les raisons de l’action. Tentez de convaincre un maximum de personnes de rejoindre le mouvement. N’hésitez pas à employer l’humour, qui peut toujours désamorcer les tensions. Prévoyez un tract d’explication et de sensibilisation sur les raisons de l’action. Dans tous les cas, restez calme et ne répondez pas aux provocations de l’employeur, de la direction, de tiers ou de non-grévistes. Evitez les actions visant à causer un dommage aux entreprises ou à quiconque : atteinte à l’outil de travail, destruction de marchandises, de meubles ou d’immeubles… 6 3. TOUT LE MONDE PEUT-IL DÉCIDER DE FAIRE GRÈVE ? Oui. Tous les travailleurs, toutes les travailleuses, syndiqué·es ou non, ont le droit de faire grève. En général, le syndicat dépose un préavis de grève. Celui-ci précise la période, le lieu, le niveau… pour lesquels il s’applique. Il peut viser une entreprise, un secteur, ou être interprofessionnel. Grève régulière, grève spontanée, grève politique Dans de nombreux secteurs privés, l’exercice du droit de grève est organisé par CCT (convention collective du travail). Certaines CCT prévoient, en plus du préavis, une conciliation préalable à la grève. En cas de respect de la procédure prévue, on parle de grève « régulière ». On parlera de grève « spontanée » ou « non reconnue » si aucun préavis n’a été déposé ou aucune conciliation organisée. Une grève « spontanée » suite à un événement soudain pourra être reconnue par un syndicat et soutenue par lui ultérieurement. Il est rarissime qu’une grève ne soit pas reconnue par le syndicat. Dans ce cas, elle ne donnera pas lieu au paiement de l’indemnité de grève. Mais elle n’en est pas moins légale, l’exercice du droit de grève étant un droit individuel. Les grèves de nature purement politique, c’est-à-dire qui s’adressent aux autorités sans viser les intérêts socio-économiques des travailleurs, n’entrent pas dans le champ de la liberté syndicale. Par contre, les syndicats peuvent recourir aux grèves de protestation, en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. Grève dans le service public Dans le secteur public, il existe des procédures qui doivent être respectées avant qu’une grève ne puisse être entamée. Par exemple pour le personnel de la SNCB, mais aussi pour le personnel des établissements pénitentiaires, les grévistes doivent se déclarer comme tels au moins 72h à l’avance. Dans d’autres secteurs publics, pour les militaires et les membres des services extérieurs de la Sûreté de l’Etat, le droit de grève est tout simplement interdit. 4. EST-CE QU’UN PIQUET EST PROTÉGÉ PAR LE DROIT DE GRÈVE ? Oui. Les piquets de grève pacifi ques font partie du droit de grève. Un piquet de grève est un rassemblement de travailleurs en → 7 grève à un endroit déterminé, le plus souvent devant l’entreprise ou l’entrée du zoning, afi n d’informer et d’encourager les autres personnes à participer à la grève. Selon la jurisprudence de l’Organisation internationale du travail (OIT), « le fait de participer à un piquet de grève et d’exhorter de manière convaincante mais pacifi que les autres travailleurs à ne pas se rendre sur leur lieu de travail ne doit pas être considéré comme une action illégale ». Le piquet de grève est une modalité centrale du droit de grève. Sans ce moyen d’action, l’impact de la grève serait faible vu la pression et l’intimidation exercées par certains employeurs sur les salariés pour les obliger à travailler un jour de grève. → 8 9 5. LES MEMBRES DU PIQUET PEUVENT-ILS S’ADRESSER AUX TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES NONGRÉVISTES OU AUX CLIENTS OU FOURNISSEURS POUR LES SENSIBILISER ? Oui. Les grévistes sont autorisés à s’adresser aux autres travailleurs, travailleuses ou aux clients et fournisseurs afi n de les convaincre et de les sensibiliser. Il est conseillé de rester calme, d’éviter la provocation et toute violence verbale ou physique, et d’informer immédiatement votre secrétaire ou permanent syndical de tout incident (arrivée d’huissier, de la police, etc.). 6. L’EMPLOYEUR PEUT-IL REMPLACER LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES GRÉVISTES PAR DES INTÉRIMAIRES ? Non. L’embauche de travailleurs pour briser une grève dans un secteur non essentiel constitue une violation grave de la liberté syndicale. Les secteurs dits essentiels sont ceux pour lesquels la grève pourrait constituer une menace pour la vie, la sécurité ou la santé des citoyens (soins de santé, énergie, chimie…). En Belgique, la CCT 108 interdit d’occuper des travailleurs intérimaires en cas de grève. L’interdiction ne vise que les sites et les groupes professionnels concernés par la grève. Il est également interdit de faire appel à des travailleurs temporaires sous contrat de remplacement. Si l’employeur remplace un travailleur gréviste par un intérimaire ou autre, avertissez votre secrétaire permanent. Si les travailleurs intérimaires restent employés dans une entreprise en grève, ils seront considérés de ce fait comme liés à cette entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée. Pour les étudiant·es, il n’existe pas d’interdiction explicite. 7. L’EMPLOYEUR PEUT-IL DEMANDER ET OBTENIR LES NOMS DES GRÉVISTES ? Non. Dans les entreprises avec délégation syndicale, celle-ci règlera la participation des travailleurs et travailleuses à la grève (information de l’employeur du préavis de grève, de la date prévue, du nombre potentiel de grévistes, etc.). Des règles particulières peuvent également exister au niveau sectoriel. Dans les entreprises sans délégation syndicale, tout travailleur voulant faire grève doit en informer l’employeur. Un avis préalable suffi t. L’employeur ne peut, en → 10 principe, pas s’opposer à l’absence du travailleur gréviste. Ce jour d’absence sera considéré comme un jour de grève non rémunéré et couvert par l’indemnité de grève, si la personne est syndiquée. En cas de question, l’employeur peut contacter le délégué principal, le permanent ou le secrétaire. 8. L’EMPLOYEUR PEUT-IL DEMANDER UNE PREUVE DE PARTICIPATION À LA GRÈVE ? Non. Un travailleur gréviste ne doit pas prouver sa participation à la manifestation ou à la grève. 9. L’EMPLOYEUR PEUT-IL ME LICENCIER PARCE QUE JE PARTICIPE À UNE GRÈVE ? Non. La participation à une grève ne peut jamais être un motif de licenciement, ni de sanction. L’employeur ne peut pas opérer des discriminations en matière de rémunération ou d’avantages sociaux entre grévistes et nongrévistes. Le contrat de travail est suspendu pendant la grève. Vous ne percevrez aucun salaire pour le jour de grève mais vous recevrez, en tant que membre de la FGTB, une indemnité de grève qui compensera en partie votre perte de salaire à condition que la grève soit reconnue. Contactez préalablement votre délégué qui vous demandera de remplir une carte de grève. 10. PUIS-JE ÊTRE RÉQUISITIONNÉ EN CAS DE GRÈVE ? En principe non. Cependant, dans certains secteurs, il est prévu que le droit de grève ne peut être exercé s’il met en péril le fonctionnement de l’entreprise et l’approvisionnement de la collectivité en biens et services ; certaines conventions sectorielles prévoient ainsi que, même en cas de grève, certains doivent exécuter leurs prestations de travail (hôpitaux, distribution de carburants…). Dans le secteur public, en vertu de la loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire, le personnel des établissements pénitentiaires peut, en cas de grève de plus de 48h, faire l’objet d’une réquisition. On trouve aussi une possibilité de réquisition dans la loi 15 mai 2007 relative à la sécurité civile ou encore dans la loi du 7 décembre 1998 sur les services de police intégré. → 11 11. LES GRÉVISTES PEUVENTILS OCCUPER L’ENTREPRISE ? En principe non. Pour la plupart des juges, les occupations d’entreprises sont en contradiction avec le droit de propriété de l’employeur, et constituent des voies de fait interdites. Toutefois, en 2009, la Cour du travail de Bruxelles a pu estimer que l’occupation d’entreprise qui s’inscrit dans le cadre d’un confl it collectif et qui vise à assurer l’eff ectivité du droit à la négociation, est une forme d’action sociale qui doit être admise, sauf si elle s’accompagne de dégradations de matériel ou de faits répréhensibles pénalement. Il est conseillé d’éviter toute violence et d’informer immédiatement votre secrétaire ou permanent syndical de tout incident (arrivée d’huissier, de la police, etc.). → « Le huissier peut demander votre identité mais ne peut pas vous obliger à la donner. Seule la police peut vous y contraindre. » 12 12. L’HUISSIER PEUT-IL CONSTATER CE QUI SE PASSE LORS D’UNE GRÈVE? Oui. L’huissier de justice est un agent de l’État assermenté. Il peut, à la demande de l’employeur ou des travailleurs, dresser un procès-verbal de constatations purement matérielles qu’il fait personnellement. Par exemple, le blocage d’un accès par des chaînes ou des objets, d’éventuels troubles, la distribution de tracts, un barrage fi ltrant, etc. Il n’intervient donc pas comme expert et ne peut ni donner d’avis, ni émettre de jugement. Il doit rester le plus objectif possible, sans jamais pratiquer aucune forme d’enquête. Ce procèsverbal pourra servir d’élément de preuve dans le cadre du confl it. 13. L’HUISSIER PEUT-IL REMETTRE UNE DÉCISION DE JUSTICE AUX GRÉVISTES ? Oui. L’huissier de justice est également compétent pour porter offi ciellement à la connaissance d’une personne la décision d’un juge, comme une ordonnance ou un jugement. Il en donne une copie au destinataire. On parle dans ce cas de « signifi cation ». Le plus souvent, la décision signifi ée prévoit une série d’interdictions sous peine d’astreinte (indemnité). La signifi cation permet d’exiger le paiement de l’astreinte qui accompagne la condamnation, si des comportements interdits sont adoptés. La date de la signifi cation est également le point de départ du délai de recours contre la décision. Il est dès lors conseillé de remettre le document au plus vite au secrétaire ou à un membre de la délégation syndicale de l’entreprise afi n qu’il puisse contester la décision (faire tierce opposition). 14. L’HUISSIER DE JUSTICE PEUT-IL ME REMETTRE CETTE DÉCISION À MON DOMICILE, À MA RÉSIDENCE OU EN TOUT LIEU OÙ JE ME TROUVE ? Oui. La décision doit prioritairement être remise en main propre au destinataire quel que soit le lieu où l’huissier le rencontre. Si ce n’est pas possible, l’huissier se rend au domicile du ou de la destinataire. S’il n’est pas chez lui/chez elle au moment de la signification, l’huissier peut également remettre une copie du document à un parent, allié ou préposé. Si personne n’est présent à l’adresse renseignée, l’huissier laisse le document dans la boîte aux lettres. Dans ce cas, l’huissier adressera une lettre recommandée à l’intéressé afi n de l’informer de la signification. → 13 → 15. L’HUISSIER DOIT-IL ME FAIRE LECTURE DU DOCUMENT ? Non. La signifi cation consiste en la remise du document. Toutefois, en pratique, l’huissier de justice informe la personne concernée sur le contenu du document en question et répond à ses questions éventuelles. 16. PUIS-JE REFUSER DE SIGNER OU DE RECEVOIR UN ACTE D’HUISSIER ? Oui, mais ce refus n’empêchera pas que l’huissier de justice signifi e valablement l’acte. Si vous refusez de signer, il en sera simplement fait mention dans l’acte sans que cela change sa valeur. L’huissier de justice étant assermenté, sa parole fait foi. Que vous signiez ou pas, il est souhaitable de prendre l’acte en question et de le transmettre au plus vite à un permanent ou au secrétaire syndical. 17. L’HUISSIER PEUT-IL M’OBLIGER À DONNER MON IDENTITÉ ? Non. Un huissier peut vérifi er l’identité d’une personne dans le cadre de la signifi cation d’une décision de justice. Cependant, s’il peut demander à des grévistes de présenter leur carte d’identité, il ne peut pas les y obliger. Il est conseillé de ne jamais donner le nom et l’adresse de quelqu’un d’autre. 18. L’HUISSIER PEUT-IL ÊTRE ACCOMPAGNÉ DE LA POLICE ? Oui. En principe, les huissiers ne peuvent se faire accompagner de policiers que s’ils estiment qu’il y a un risque pour leur intégrité physique. Cependant, le plus souvent, les juges autorisent les huissiers de justice à avoir recours à la force publique afi n de faire exécuter leurs ordonnances. Par exemple : faire lever un piquet de grève devant une entreprise suite à une requête unilatérale. 14 « La police ne peut recourir à la force que sous certaines conditions. L’arrestation administrative peut durer maximum 12 heures. » 15 19. LA POLICE PEUT-ELLE DEMANDER MA CARTE D’IDENTITÉ ? Oui. La police peut procéder à un contrôle d’identité dans les hypothèses prévues par la loi, telles que : en cas de commission d’un fait passible d’une sanction administrative ou pénale ; en cas d’arrestation ; lorsqu’une personne paraît suspecte, moyennant justifi cation ; s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne est recherchée, a commis un délit ou se prépare à en commettre un ; si la personne participe à des mouvements publics (notamment des manifestations) présentant une menace pour l’ordre public ou accède à des lieux présentant une telle menace; pour faire respecter la loi sur les étrangers ; afi n de garantir la sécurité publique. Dans ce cas, il est conseillé de collaborer en bonne intelligence avec la police, même si le contrôle ne semble pas toujours se justifi er. Par contre, ne communiquez jamais l’identité ou les coordonnées de quelqu’un d’autre. Certaines ordonnances autorisent également l’huissier à relever l’identité des personnes avec l’assistance de la force publique. Un contrôle de certaines personnes au hasard, sans raisons particulières est interdit. De même, un contrôle eff ectué principalement en raison d’un critère discriminatoire comme l’origine ethnique, les convictions politiques ou syndicales est interdit. 20. EST-CE QUE JE RISQUE DES SANCTIONS SI JE CACHE MON IDENTITÉ À LA POLICE ? Oui. Toute personne âgée de plus de quinze ans doit être porteuse d’une carte d’identité et est tenue de la présenter à toute réquisition de la police, sous peine d’amende. Si vous n’avez pas vos papiers, la police peut vous retenir « le temps nécessaire » à la vérifi cation de l’identité avec un maximum de 12 heures. Vous ne commettez aucun délit si vous refusez de répondre aux questions sur votre identité, votre origine ou que vous gardez le silence. Par contre, vous commettez une infraction si vous tentez de vous faire passer pour quelqu’un d’autre ou si vous possédez ou utilisez de faux documents. 21. LA POLICE PEUT-ELLE ME FOUILLER POUR MA SEULE PARTICIPATION À UNE GRÈVE ? Non. La fouille n’est autorisée que dans certaines circonstances → → 16 particulières, par exemple quand la police a un motif raisonnable de croire que vous portez une arme ou un objet lié à une infraction sur vous, en cas d’arrestation et pendant certains rassemblements publics qui menacent l’ordre public. En aucun cas une fouille de certaines personnes au hasard, sans raisons particulières n’est autorisée. 22. LA POLICE DOIT-ELLE S’IDENTIFIER ? En principe oui. Les policiers en service doivent pouvoir être identifi és en toutes circonstances et portent en principe une plaquette nominative qui peut être remplacée par un numéro d’intervention de 5 chiff res. S’ils interviennent sur vous en tenue civile, ou se présentent en uniforme à votre domicile, vous êtes en droit de demander à l’un des policiers qu’il vous présente sa carte de légitimation. Il est tenu de vous présenter celle-ci afi n de s’identifi er clairement (nom, grade et photo). Toutefois, le policier ne doit pas présenter sa carte si les circonstances de l’intervention ne le permettent pas. 23. LA POLICE PEUT-ELLE ME FILMER ? Oui. Dans le cadre d’une manifestation, la police peut vous fi lmer sans votre accord, dans un but de sécurité. Dans ces circonstances, elle ne peut pas constituer de fi chier ou recueillir des informations sur un individu qui ne commet aucune infraction ou trouble à l’ordre public. 24. PUIS-JE FILMER LA POLICE ? Oui. Selon le droit international, vous pouvez fi lmer une action policière. En eff et, une vidéo peut servir de preuve des événements et du comportement de la police. Toutefois, il est conseillé de ne pas les gêner notamment en vous tenant trop près des agents de police. Vous pouvez diff user les images sans fl outage systématique, à condition que cette diff usion relève de l’intérêt général. En cas d’actions en justice, c’est le juge qui décidera. Dès lors, si vous diff usez publiquement des images, par exemple sur les réseaux sociaux, il est conseillé de fl outer les visages et de rendre les protagonistes méconnaissables (pour des raisons de vie privée). La police n’est pas autorisée à eff acer les vidéos, ni à confi squer votre portable… sauf si → 17 elle a des indices qu’il est lié à une infraction (saisie judiciaire) ou s’il s’agit d’un objet dangereux pour l’ordre public (saisie administrative). 25. LA POLICE PEUT-ELLE PÉNÉTRER DANS MON DOMICILE SANS MON AUTORISATION ? En principe non. Sans votre autorisation, une décision de justice, un fl agrant délit, une situation urgente ou des appels à l’aide, les policiers n’ont pas le droit d’entrer. S’ils veulent entrer, ils doivent vous montrer qu’ils ont une décision d’un juge. Par contre, si vous vous trouvez dans un lieu public ou accessible au public (par exemple un centre commercial, un café, un restaurant, une gare, etc.) les policiers peuvent y pénétrer et le cas échéant vous interpeler . 26. LA POLICE PEUT-ELLE RECOURIR À LA FORCE LORS D’UNE GRÈVE ? Non, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles. Pour être légal, le recours à la force doit répondre aux trois critères suivants : • être prévu par la loi; • poursuivre un but légitime; • être nécessaire et proportionnel à la réalisation de ce but. En principe, la police doit vous avertir avant de recourir à la force. 27. LA POLICE PEUT-ELLE M’ARRÊTER ? Si je n’ai commis aucune infraction ? Oui, les fonctionnaires de police peuvent vous arrêter pour maintenir l’ordre public « en cas d’absolue nécessité ». Ces conditions ne sont pas clairement défi nies et dépendront de la situation concrète. Elles pourront justifi er une arrestation administrative. Celle-ci ne peut durer que le temps nécessaire au vu des circonstances qui la justifi ent avec un maximum de 12 heures, à partir du moment de la privation de la liberté d’aller et venir. Si ces conditions ne sont pas réunies, la police ne peut pas vous arrêter. Par ailleurs, avant de disperser un rassemblement, elle doit procéder à un avertissement afi n de vous permettre de partir sans subir d’arrestation. Si j’ai commis une infraction ? Oui. Il s’agit dans ce cas de l’arrestation judiciaire. La police peut procéder à votre arrestation en cas de fl agrant délit ou fl agrant crime. Dans ce cas, la police doit avertir le parquet qui décidera de maintenir ou pas la détention. → 18 En l’absence de fl agrant délit ou fl agrant crime, la police ne peut vous arrêter que sur ordre du parquet ou du juge d’instruction s’il y a des indices sérieux de culpabilité à votre charge. L’arrestation judiciaire peut durer au maximum 48 heures, à partir du moment de la privation de la liberté d’aller et venir. Si une arrestation administrative devient judiciaire, la durée de l’arrestation administrative est comptabilisée dans le délai de 48 heures. Au-delà de ce délai de 48 heures, seul un juge d’instruction peut décider de prolonger votre détention. Après vous avoir entendu, en présence de votre avocat, il peut vous décerner un mandat d’arrêt. 28. PUIS-JE MANIFESTER EN ÉTANT MASQUÉ ? Non. Se présenter dans des lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé constitue un délit sanctionné pénalement. La Cour constitutionnelle a estimé que la dissimulation du visage dans les lieux accessibles au public, même pour manifester sa liberté d’expression, empêche toute individualisation de la personne par le visage. Or, cette individualisation constitue un élément fondamental de l’essence même du sujet de droit. Pour la Cour, interdire pareille dissimulation répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique. Cela étant, les Lignes directrices du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifi que (tinyurl.com/mtz2ecv8) précisent que « Le port d’un masque à des fi ns expressives lors d’une réunion pacifi que ne devrait pas être interdit tant que le masque (ou le costume) n’est pas revêtu dans le but d’empêcher l’identifi cation d’une personne dont la conduite constitue un motif probable d’arrestation et tant que le port du masque ne crée pas un danger clair et présent d’une conduite illicite imminente ». Il pourrait dès lors y avoir matière à discussion en fonction de la situation concrète. 29. PUIS-JE REFUSER DE PARLER LORS D’UNE AUDITION PAR LA POLICE ? Oui. Vous avez le droit de garder le silence, n’hésitez pas à exercer ce droit. Par ailleurs, lors d’une audition par la police, vous avez le droit de recevoir des informations concises sur les faits sur lesquels vous serez interrogé.e. Si les faits → 19 pour lesquels vous êtes interrogé·e sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an (sauf infraction routière), vous avez aussi le droit à une consultation confi dentielle avec un avocat avant la première audition. 30. PUIS-JE REFUSER DE SIGNER LE PV D’AUDITION DE LA POLICE ? Oui. N’hésitez pas à refuser de signer le procès-verbal si vous estimez que vos déclarations ne sont pas correctement retranscrites ou si les heures de début et de fi n de l’interrogatoire ne correspondent pas à la réalité, ou en toute autre hypothèse. Ce refus ne peut entraîner aucune conséquence négative sur la procédure ou sur la durée de l’arrestation éventuelle. Le service juridique de votre centrale FGTB reste à votre disposition, votre permanent également. En cas de grève générale, la FGTB met en place une permanence juridique par téléphone, à laquelle vous pouvez recourir à tout moment. • 20 FGTB rue Haute 42, 1000 Bruxelles Tél.: +32 (2) 506 82 11 info@fgtb.be | www.fgtb.be Toute reprise ou reproduction totale ou partielle du texte de cette brochure n’est autorisée que moyennant mention explicite des sources. Éditeur responsable : Thierry Bodson © mars 2025 Deze brochure is ook beschikbaar in het Nederlands: www.abvv.be/brochures D/2025/1262/1
DROIT DE GRÈVE GUIDE PRATIQUE 30 QUESTIONS/ RÉPONSES 2 AVANTPROPOS Les grèves ont joué un rôle déterminant dans la construction de nos sociétés, pour faire progresser la démocratie et rendre justice aux travailleurs et aux travailleuses avec ou sans emploi, avec ou sans papiers. Le droit de grève et le droit d’action collective sont des droits fondamentaux reconnus et protégés par le droit belge et le droit international. Le droit de grève est essentiel pour défendre nos intérêts économiques et sociaux. Aussi, les autorités ne peuvent limiter ce droit qu’à certaines conditions. Les droits des grévistes et des manifestant·es posent de nombreuses questions en pratique car ils peuvent également dépendre des circonstances concrètes. Ce petit guide pratique donne un aperçu des droits et obligations des grévistes et manifestant·es lors d’une action. Il tente de répondre aux questions les plus courantes, sans être exhaustif. • L’ARRÊT DE TRAVAIL PERMET DE DÉMONTRER QUE CE SONT LES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS QUI CRÉENT LA RICHESSE D’UNE ENTREPRISE OU DE L’ÉCONOMIE D’UN PAYS. EXERCER SON DROIT DE GRÈVE PERMET DE FAIRE PRESSION SUR L’EMPLOYEUR OU LES DÉCIDEURS POLITIQUES. 3 4 QUESTIONS PRATIQUES 1. LE DROIT DE GRÈVE EST-IL PROTÉGÉ ? Oui. Le droit de grève est un droit humain fondamental protégé par des conventions internationales obligatoires, comme la Charte sociale européenne. Il ne se trouve ni dans la Constitution, ni dans la loi belge. Mais il a été reconnu par la Cour de cassation. 2. FAUT-IL SE PRÉPARER AVANT UNE ACTION DE GRÈVE ? Oui. Avant toute action, il est souhaitable de défi nir une feuille de route/un plan pour savoir comment se comporter et anticiper les diffi cultés éventuelles. Le droit de grève et le droit de manifester pacifi quement sont des droits fondamentaux. « Chaque travailleur, chaque travailleuse peut décider d’exercer son droit de grève pour défendre ses intérêts socio-économiques. Même celles et ceux qui ne sont pas syndiqués. » → 5 Conseils en toute circonstance Dialoguez autant que possible et expliquez les raisons de l’action. Tentez de convaincre un maximum de personnes de rejoindre le mouvement. N’hésitez pas à employer l’humour, qui peut toujours désamorcer les tensions. Prévoyez un tract d’explication et de sensibilisation sur les raisons de l’action. Dans tous les cas, restez calme et ne répondez pas aux provocations de l’employeur, de la direction, de tiers ou de non-grévistes. Evitez les actions visant à causer un dommage aux entreprises ou à quiconque : atteinte à l’outil de travail, destruction de marchandises, de meubles ou d’immeubles… 6 3. TOUT LE MONDE PEUT-IL DÉCIDER DE FAIRE GRÈVE ? Oui. Tous les travailleurs, toutes les travailleuses, syndiqué·es ou non, ont le droit de faire grève. En général, le syndicat dépose un préavis de grève. Celui-ci précise la période, le lieu, le niveau… pour lesquels il s’applique. Il peut viser une entreprise, un secteur, ou être interprofessionnel. Grève régulière, grève spontanée, grève politique Dans de nombreux secteurs privés, l’exercice du droit de grève est organisé par CCT (convention collective du travail). Certaines CCT prévoient, en plus du préavis, une conciliation préalable à la grève. En cas de respect de la procédure prévue, on parle de grève « régulière ». On parlera de grève « spontanée » ou « non reconnue » si aucun préavis n’a été déposé ou aucune conciliation organisée. Une grève « spontanée » suite à un événement soudain pourra être reconnue par un syndicat et soutenue par lui ultérieurement. Il est rarissime qu’une grève ne soit pas reconnue par le syndicat. Dans ce cas, elle ne donnera pas lieu au paiement de l’indemnité de grève. Mais elle n’en est pas moins légale, l’exercice du droit de grève étant un droit individuel. Les grèves de nature purement politique, c’est-à-dire qui s’adressent aux autorités sans viser les intérêts socio-économiques des travailleurs, n’entrent pas dans le champ de la liberté syndicale. Par contre, les syndicats peuvent recourir aux grèves de protestation, en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. Grève dans le service public Dans le secteur public, il existe des procédures qui doivent être respectées avant qu’une grève ne puisse être entamée. Par exemple pour le personnel de la SNCB, mais aussi pour le personnel des établissements pénitentiaires, les grévistes doivent se déclarer comme tels au moins 72h à l’avance. Dans d’autres secteurs publics, pour les militaires et les membres des services extérieurs de la Sûreté de l’Etat, le droit de grève est tout simplement interdit. 4. EST-CE QU’UN PIQUET EST PROTÉGÉ PAR LE DROIT DE GRÈVE ? Oui. Les piquets de grève pacifi ques font partie du droit de grève. Un piquet de grève est un rassemblement de travailleurs en → 7 grève à un endroit déterminé, le plus souvent devant l’entreprise ou l’entrée du zoning, afi n d’informer et d’encourager les autres personnes à participer à la grève. Selon la jurisprudence de l’Organisation internationale du travail (OIT), « le fait de participer à un piquet de grève et d’exhorter de manière convaincante mais pacifi que les autres travailleurs à ne pas se rendre sur leur lieu de travail ne doit pas être considéré comme une action illégale ». Le piquet de grève est une modalité centrale du droit de grève. Sans ce moyen d’action, l’impact de la grève serait faible vu la pression et l’intimidation exercées par certains employeurs sur les salariés pour les obliger à travailler un jour de grève. → 8 9 5. LES MEMBRES DU PIQUET PEUVENT-ILS S’ADRESSER AUX TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES NONGRÉVISTES OU AUX CLIENTS OU FOURNISSEURS POUR LES SENSIBILISER ? Oui. Les grévistes sont autorisés à s’adresser aux autres travailleurs, travailleuses ou aux clients et fournisseurs afi n de les convaincre et de les sensibiliser. Il est conseillé de rester calme, d’éviter la provocation et toute violence verbale ou physique, et d’informer immédiatement votre secrétaire ou permanent syndical de tout incident (arrivée d’huissier, de la police, etc.). 6. L’EMPLOYEUR PEUT-IL REMPLACER LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES GRÉVISTES PAR DES INTÉRIMAIRES ? Non. L’embauche de travailleurs pour briser une grève dans un secteur non essentiel constitue une violation grave de la liberté syndicale. Les secteurs dits essentiels sont ceux pour lesquels la grève pourrait constituer une menace pour la vie, la sécurité ou la santé des citoyens (soins de santé, énergie, chimie…). En Belgique, la CCT 108 interdit d’occuper des travailleurs intérimaires en cas de grève. L’interdiction ne vise que les sites et les groupes professionnels concernés par la grève. Il est également interdit de faire appel à des travailleurs temporaires sous contrat de remplacement. Si l’employeur remplace un travailleur gréviste par un intérimaire ou autre, avertissez votre secrétaire permanent. Si les travailleurs intérimaires restent employés dans une entreprise en grève, ils seront considérés de ce fait comme liés à cette entreprise par un contrat de travail à durée indéterminée. Pour les étudiant·es, il n’existe pas d’interdiction explicite. 7. L’EMPLOYEUR PEUT-IL DEMANDER ET OBTENIR LES NOMS DES GRÉVISTES ? Non. Dans les entreprises avec délégation syndicale, celle-ci règlera la participation des travailleurs et travailleuses à la grève (information de l’employeur du préavis de grève, de la date prévue, du nombre potentiel de grévistes, etc.). Des règles particulières peuvent également exister au niveau sectoriel. Dans les entreprises sans délégation syndicale, tout travailleur voulant faire grève doit en informer l’employeur. Un avis préalable suffi t. L’employeur ne peut, en → 10 principe, pas s’opposer à l’absence du travailleur gréviste. Ce jour d’absence sera considéré comme un jour de grève non rémunéré et couvert par l’indemnité de grève, si la personne est syndiquée. En cas de question, l’employeur peut contacter le délégué principal, le permanent ou le secrétaire. 8. L’EMPLOYEUR PEUT-IL DEMANDER UNE PREUVE DE PARTICIPATION À LA GRÈVE ? Non. Un travailleur gréviste ne doit pas prouver sa participation à la manifestation ou à la grève. 9. L’EMPLOYEUR PEUT-IL ME LICENCIER PARCE QUE JE PARTICIPE À UNE GRÈVE ? Non. La participation à une grève ne peut jamais être un motif de licenciement, ni de sanction. L’employeur ne peut pas opérer des discriminations en matière de rémunération ou d’avantages sociaux entre grévistes et nongrévistes. Le contrat de travail est suspendu pendant la grève. Vous ne percevrez aucun salaire pour le jour de grève mais vous recevrez, en tant que membre de la FGTB, une indemnité de grève qui compensera en partie votre perte de salaire à condition que la grève soit reconnue. Contactez préalablement votre délégué qui vous demandera de remplir une carte de grève. 10. PUIS-JE ÊTRE RÉQUISITIONNÉ EN CAS DE GRÈVE ? En principe non. Cependant, dans certains secteurs, il est prévu que le droit de grève ne peut être exercé s’il met en péril le fonctionnement de l’entreprise et l’approvisionnement de la collectivité en biens et services ; certaines conventions sectorielles prévoient ainsi que, même en cas de grève, certains doivent exécuter leurs prestations de travail (hôpitaux, distribution de carburants…). Dans le secteur public, en vertu de la loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire, le personnel des établissements pénitentiaires peut, en cas de grève de plus de 48h, faire l’objet d’une réquisition. On trouve aussi une possibilité de réquisition dans la loi 15 mai 2007 relative à la sécurité civile ou encore dans la loi du 7 décembre 1998 sur les services de police intégré. → 11 11. LES GRÉVISTES PEUVENTILS OCCUPER L’ENTREPRISE ? En principe non. Pour la plupart des juges, les occupations d’entreprises sont en contradiction avec le droit de propriété de l’employeur, et constituent des voies de fait interdites. Toutefois, en 2009, la Cour du travail de Bruxelles a pu estimer que l’occupation d’entreprise qui s’inscrit dans le cadre d’un confl it collectif et qui vise à assurer l’eff ectivité du droit à la négociation, est une forme d’action sociale qui doit être admise, sauf si elle s’accompagne de dégradations de matériel ou de faits répréhensibles pénalement. Il est conseillé d’éviter toute violence et d’informer immédiatement votre secrétaire ou permanent syndical de tout incident (arrivée d’huissier, de la police, etc.). → « Le huissier peut demander votre identité mais ne peut pas vous obliger à la donner. Seule la police peut vous y contraindre. » 12 12. L’HUISSIER PEUT-IL CONSTATER CE QUI SE PASSE LORS D’UNE GRÈVE? Oui. L’huissier de justice est un agent de l’État assermenté. Il peut, à la demande de l’employeur ou des travailleurs, dresser un procès-verbal de constatations purement matérielles qu’il fait personnellement. Par exemple, le blocage d’un accès par des chaînes ou des objets, d’éventuels troubles, la distribution de tracts, un barrage fi ltrant, etc. Il n’intervient donc pas comme expert et ne peut ni donner d’avis, ni émettre de jugement. Il doit rester le plus objectif possible, sans jamais pratiquer aucune forme d’enquête. Ce procèsverbal pourra servir d’élément de preuve dans le cadre du confl it. 13. L’HUISSIER PEUT-IL REMETTRE UNE DÉCISION DE JUSTICE AUX GRÉVISTES ? Oui. L’huissier de justice est également compétent pour porter offi ciellement à la connaissance d’une personne la décision d’un juge, comme une ordonnance ou un jugement. Il en donne une copie au destinataire. On parle dans ce cas de « signifi cation ». Le plus souvent, la décision signifi ée prévoit une série d’interdictions sous peine d’astreinte (indemnité). La signifi cation permet d’exiger le paiement de l’astreinte qui accompagne la condamnation, si des comportements interdits sont adoptés. La date de la signifi cation est également le point de départ du délai de recours contre la décision. Il est dès lors conseillé de remettre le document au plus vite au secrétaire ou à un membre de la délégation syndicale de l’entreprise afi n qu’il puisse contester la décision (faire tierce opposition). 14. L’HUISSIER DE JUSTICE PEUT-IL ME REMETTRE CETTE DÉCISION À MON DOMICILE, À MA RÉSIDENCE OU EN TOUT LIEU OÙ JE ME TROUVE ? Oui. La décision doit prioritairement être remise en main propre au destinataire quel que soit le lieu où l’huissier le rencontre. Si ce n’est pas possible, l’huissier se rend au domicile du ou de la destinataire. S’il n’est pas chez lui/chez elle au moment de la signifi cation, l’huissier peut également remettre une copie du document à un parent, allié ou préposé. Si personne n’est présent à l’adresse renseignée, l’huissier laisse le document dans la boîte aux lettres. Dans ce cas, l’huissier adressera une lettre recommandée à l’intéressé afi n de l’informer de la signifi cation. → 13 → 15. L’HUISSIER DOIT-IL ME FAIRE LECTURE DU DOCUMENT ? Non. La signifi cation consiste en la remise du document. Toutefois, en pratique, l’huissier de justice informe la personne concernée sur le contenu du document en question et répond à ses questions éventuelles. 16. PUIS-JE REFUSER DE SIGNER OU DE RECEVOIR UN ACTE D’HUISSIER ? Oui, mais ce refus n’empêchera pas que l’huissier de justice signifi e valablement l’acte. Si vous refusez de signer, il en sera simplement fait mention dans l’acte sans que cela change sa valeur. L’huissier de justice étant assermenté, sa parole fait foi. Que vous signiez ou pas, il est souhaitable de prendre l’acte en question et de le transmettre au plus vite à un permanent ou au secrétaire syndical. 17. L’HUISSIER PEUT-IL M’OBLIGER À DONNER MON IDENTITÉ ? Non. Un huissier peut vérifi er l’identité d’une personne dans le cadre de la signifi cation d’une décision de justice. Cependant, s’il peut demander à des grévistes de présenter leur carte d’identité, il ne peut pas les y obliger. Il est conseillé de ne jamais donner le nom et l’adresse de quelqu’un d’autre. 18. L’HUISSIER PEUT-IL ÊTRE ACCOMPAGNÉ DE LA POLICE ? Oui. En principe, les huissiers ne peuvent se faire accompagner de policiers que s’ils estiment qu’il y a un risque pour leur intégrité physique. Cependant, le plus souvent, les juges autorisent les huissiers de justice à avoir recours à la force publique afi n de faire exécuter leurs ordonnances. Par exemple : faire lever un piquet de grève devant une entreprise suite à une requête unilatérale. 14 « La police ne peut recourir à la force que sous certaines conditions. L’arrestation administrative peut durer maximum 12 heures. » 15 19. LA POLICE PEUT-ELLE DEMANDER MA CARTE D’IDENTITÉ ? Oui. La police peut procéder à un contrôle d’identité dans les hypothèses prévues par la loi, telles que : en cas de commission d’un fait passible d’une sanction administrative ou pénale ; en cas d’arrestation ; lorsqu’une personne paraît suspecte, moyennant justifi cation ; s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne est recherchée, a commis un délit ou se prépare à en commettre un ; si la personne participe à des mouvements publics (notamment des manifestations) présentant une menace pour l’ordre public ou accède à des lieux présentant une telle menace; pour faire respecter la loi sur les étrangers ; afi n de garantir la sécurité publique. Dans ce cas, il est conseillé de collaborer en bonne intelligence avec la police, même si le contrôle ne semble pas toujours se justifi er. Par contre, ne communiquez jamais l’identité ou les coordonnées de quelqu’un d’autre. Certaines ordonnances autorisent également l’huissier à relever l’identité des personnes avec l’assistance de la force publique. Un contrôle de certaines personnes au hasard, sans raisons particulières est interdit. De même, un contrôle eff ectué principalement en raison d’un critère discriminatoire comme l’origine ethnique, les convictions politiques ou syndicales est interdit. 20. EST-CE QUE JE RISQUE DES SANCTIONS SI JE CACHE MON IDENTITÉ À LA POLICE ? Oui. Toute personne âgée de plus de quinze ans doit être porteuse d’une carte d’identité et est tenue de la présenter à toute réquisition de la police, sous peine d’amende. Si vous n’avez pas vos papiers, la police peut vous retenir « le temps nécessaire » à la vérifi cation de l’identité avec un maximum de 12 heures. Vous ne commettez aucun délit si vous refusez de répondre aux questions sur votre identité, votre origine ou que vous gardez le silence. Par contre, vous commettez une infraction si vous tentez de vous faire passer pour quelqu’un d’autre ou si vous possédez ou utilisez de faux documents. 21. LA POLICE PEUT-ELLE ME FOUILLER POUR MA SEULE PARTICIPATION À UNE GRÈVE ? Non. La fouille n’est autorisée que dans certaines circonstances → → 16 particulières, par exemple quand la police a un motif raisonnable de croire que vous portez une arme ou un objet lié à une infraction sur vous, en cas d’arrestation et pendant certains rassemblements publics qui menacent l’ordre public. En aucun cas une fouille de certaines personnes au hasard, sans raisons particulières n’est autorisée. 22. LA POLICE DOIT-ELLE S’IDENTIFIER ? En principe oui. Les policiers en service doivent pouvoir être identifi és en toutes circonstances et portent en principe une plaquette nominative qui peut être remplacée par un numéro d’intervention de 5 chiff res. S’ils interviennent sur vous en tenue civile, ou se présentent en uniforme à votre domicile, vous êtes en droit de demander à l’un des policiers qu’il vous présente sa carte de légitimation. Il est tenu de vous présenter celle-ci afi n de s’identifi er clairement (nom, grade et photo). Toutefois, le policier ne doit pas présenter sa carte si les circonstances de l’intervention ne le permettent pas. 23. LA POLICE PEUT-ELLE ME FILMER ? Oui. Dans le cadre d’une manifestation, la police peut vous fi lmer sans votre accord, dans un but de sécurité. Dans ces circonstances, elle ne peut pas constituer de fi chier ou recueillir des informations sur un individu qui ne commet aucune infraction ou trouble à l’ordre public. 24. PUIS-JE FILMER LA POLICE ? Oui. Selon le droit international, vous pouvez fi lmer une action policière. En eff et, une vidéo peut servir de preuve des événements et du comportement de la police. Toutefois, il est conseillé de ne pas les gêner notamment en vous tenant trop près des agents de police. Vous pouvez diff user les images sans fl outage systématique, à condition que cette diff usion relève de l’intérêt général. En cas d’actions en justice, c’est le juge qui décidera. Dès lors, si vous diff usez publiquement des images, par exemple sur les réseaux sociaux, il est conseillé de fl outer les visages et de rendre les protagonistes méconnaissables (pour des raisons de vie privée). La police n’est pas autorisée à eff acer les vidéos, ni à confi squer votre portable… sauf si → 17 elle a des indices qu’il est lié à une infraction (saisie judiciaire) ou s’il s’agit d’un objet dangereux pour l’ordre public (saisie administrative). 25. LA POLICE PEUT-ELLE PÉNÉTRER DANS MON DOMICILE SANS MON AUTORISATION ? En principe non. Sans votre autorisation, une décision de justice, un fl agrant délit, une situation urgente ou des appels à l’aide, les policiers n’ont pas le droit d’entrer. S’ils veulent entrer, ils doivent vous montrer qu’ils ont une décision d’un juge. Par contre, si vous vous trouvez dans un lieu public ou accessible au public (par exemple un centre commercial, un café, un restaurant, une gare, etc.) les policiers peuvent y pénétrer et le cas échéant vous interpeler . 26. LA POLICE PEUT-ELLE RECOURIR À LA FORCE LORS D’UNE GRÈVE ? Non, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles. Pour être légal, le recours à la force doit répondre aux trois critères suivants : • être prévu par la loi; • poursuivre un but légitime; • être nécessaire et proportionnel à la réalisation de ce but. En principe, la police doit vous avertir avant de recourir à la force. 27. LA POLICE PEUT-ELLE M’ARRÊTER ? Si je n’ai commis aucune infraction ? Oui, les fonctionnaires de police peuvent vous arrêter pour maintenir l’ordre public « en cas d’absolue nécessité ». Ces conditions ne sont pas clairement défi nies et dépendront de la situation concrète. Elles pourront justifi er une arrestation administrative. Celle-ci ne peut durer que le temps nécessaire au vu des circonstances qui la justifi ent avec un maximum de 12 heures, à partir du moment de la privation de la liberté d’aller et venir. Si ces conditions ne sont pas réunies, la police ne peut pas vous arrêter. Par ailleurs, avant de disperser un rassemblement, elle doit procéder à un avertissement afi n de vous permettre de partir sans subir d’arrestation. Si j’ai commis une infraction ? Oui. Il s’agit dans ce cas de l’arrestation judiciaire. La police peut procéder à votre arrestation en cas de fl agrant délit ou fl agrant crime. Dans ce cas, la police doit avertir le parquet qui décidera de maintenir ou pas la détention. → 18 En l’absence de fl agrant délit ou fl agrant crime, la police ne peut vous arrêter que sur ordre du parquet ou du juge d’instruction s’il y a des indices sérieux de culpabilité à votre charge. L’arrestation judiciaire peut durer au maximum 48 heures, à partir du moment de la privation de la liberté d’aller et venir. Si une arrestation administrative devient judiciaire, la durée de l’arrestation administrative est comptabilisée dans le délai de 48 heures. Au-delà de ce délai de 48 heures, seul un juge d’instruction peut décider de prolonger votre détention. Après vous avoir entendu, en présence de votre avocat, il peut vous décerner un mandat d’arrêt. 28. PUIS-JE MANIFESTER EN ÉTANT MASQUÉ ? Non. Se présenter dans des lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé constitue un délit sanctionné pénalement. La Cour constitutionnelle a estimé que la dissimulation du visage dans les lieux accessibles au public, même pour manifester sa liberté d’expression, empêche toute individualisation de la personne par le visage. Or, cette individualisation constitue un élément fondamental de l’essence même du sujet de droit. Pour la Cour, interdire pareille dissimulation répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique. Cela étant, les Lignes directrices du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifi que (tinyurl.com/mtz2ecv8) précisent que « Le port d’un masque à des fi ns expressives lors d’une réunion pacifi que ne devrait pas être interdit tant que le masque (ou le costume) n’est pas revêtu dans le but d’empêcher l’identifi cation d’une personne dont la conduite constitue un motif probable d’arrestation et tant que le port du masque ne crée pas un danger clair et présent d’une conduite illicite imminente ». Il pourrait dès lors y avoir matière à discussion en fonction de la situation concrète. 29. PUIS-JE REFUSER DE PARLER LORS D’UNE AUDITION PAR LA POLICE ? Oui. Vous avez le droit de garder le silence, n’hésitez pas à exercer ce droit. Par ailleurs, lors d’une audition par la police, vous avez le droit de recevoir des informations concises sur les faits sur lesquels vous serez interrogé.e. Si les faits → 19 pour lesquels vous êtes interrogé·e sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an (sauf infraction routière), vous avez aussi le droit à une consultation confi dentielle avec un avocat avant la première audition. 30. PUIS-JE REFUSER DE SIGNER LE PV D’AUDITION DE LA POLICE ? Oui. N’hésitez pas à refuser de signer le procès-verbal si vous estimez que vos déclarations ne sont pas correctement retranscrites ou si les heures de début et de fi n de l’interrogatoire ne correspondent pas à la réalité, ou en toute autre hypothèse. Ce refus ne peut entraîner aucune conséquence négative sur la procédure ou sur la durée de l’arrestation éventuelle. Le service juridique de votre centrale FGTB reste à votre disposition, votre permanent également. En cas de grève générale, la FGTB met en place une permanence juridique par téléphone, à laquelle vous pouvez recourir à tout moment. • 20 FGTB rue Haute 42, 1000 Bruxelles Tél.: +32 (2) 506 82 11 info@fgtb.be | www.fgtb.be Toute reprise ou reproduction totale ou partielle du texte de cette brochure n’est autorisée que moyennant mention explicite des sources. Éditeur responsable : Thierry Bodson © mars 2025 Deze brochure is ook beschikbaar in het Nederlands: www.abvv.be/brochures D/2025/1262/1
BAROMÈTRE SOCIO-ÉCONOMIQUE 2024 2 Table des matières INTRODUCTION 5 1 POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES VERSUS PROFITS DES ENTREPRISES 6 L’inflation se stabilise : pas de spirale salaires-prix 7 Un pouvoir d’achat stable soutient l’économie belge 8 Problème structurel dans les salaires belges 10 Où va l’argent ? 11 Les coûts salariaux ne sont pas trop élevés 14 Une nouvelle inégalité sur le marché du travail : les rémunérations alternatives 17 Les salaires minimums méritent mieux 20 L’écart salarial entre les hommes et les femmes se réduit trop lentement 22 Revendications 26 2 TRAVAIL 27 Un taux d’emploi historiquement élevé 28 La qualité de l’emploi : faire un lien entre emploi et bien-être 31 Travailleurs étrangers : l’enjeu d’une meilleure intégration sur le marché du travail 34 L’enjeu de la formation professionnelle 36 3 Automatisation et intelligence artificielle (I.A.) : opportunités ou dangers pour le marché du travail ? 38 La pénurie sur le marché du travail : des nuances indispensables 40 Leviers financiers pour accepter un job 42 Les demandeurs d’emploi plus exposés au risque de pauvreté 46 La durée du temps de travail…une question sociétale 47 La course à la flexibilité des travailleurs 51 Les horaires atypiques 53 Le temps partiel, davantage subi que choisi 54 Les formes de travail atypiques augmentent le risque de pauvreté chez les travailleurs 57 Combinaison vie privée – vie professionnelle 58 Comment la détériotation du bien-être au travail affecte la santé des travailleurs 60 Les employeurs licencient plus souvent qu’ils ne réintègrent leurs malades de longue durée 62 Le télétravail structurel et ses impacts 64 Revendications 66 3 SÉCURITÉ SOCIALE 67 Le financement de la sécurité sociale présente des fuites 68 L’efficacité de la sécurité sociale peut être améliorée 72 Les adaptations des allocations sociales sont essentielles pour garantir l’efficacité des prestations 74 L’assurance chômage, de moins en moins une assurance 75 Revendications 76 4 FINANCES PUBLIQUES 77 Le cadre budgétaire européen néglige des investissements essentiels 78 Assurer une fiscalité équitable 81 Revendications 85 4 Genre Toute référence à des personnes ou à des fonctions (par exemple, travailleur) s’appliquent à toutes et tous sans distinction de genre (f/m/x). Les données de cette brochure s’arrêtent aux données disponibles en novembre 2024. 5 TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET POLITIQUE INDUSTRIELLE 86 La Belgique n’atteindra pas ses objectifs climatiques 87 Politique industrielle et transition écologique : un duo possible ? 89 Les investissements stratégiques en Belgique 93 L’économie circulaire, une économie tournée vers l’avenir 94 Transition juste et inégalités 97 Revendications 98 6 DIALOGUE SOCIAL ET LIBERTÉ SYNDICALE 99 La démocratie économique passe par le dialogue social dans les conseils d’entreprises 100 La durabilité des entreprises, encore un long chemin à parcourir 101 Libertés syndicales 102 Revendications 103 5 Le Baromètre socio-économique de la FGTB 2024 arrive à un moment où un changement politique majeur se profile à l’horizon. Les partis politiques autour de la table des négociations qui formeront le nouveau gouvernement fédéral ont des choix clairs à faire. N Le financement de la sécurité sociale est sous pression : mettra-t-on fin aux régimes d’exonération sur toute une série de statuts et de « cadeaux » aux employeurs ? N Les salaires ne suivent pas la productivité, ce qui a fait exploser les marges bénéficiaires ces dernières années : la loi sur les salaires sera-t-elle réformée pour que les interlocuteurs sociaux puissent négocier les salaires sans restrictions artificielles et injustes et répartir les richesses plus équitablement ? N De plus en plus de travailleurs quittent les entreprises épuisés et stressés : oserons-nous enfin prendre des mesures structurelles pour améliorer la qualité des emplois et donner aux gens plus de temps et d’espace pour respirer ? N Notre système fiscal est injuste. Les épaules les plus larges ne contribuent pas suffisamment. Met-on en place un système fiscal où tous les revenus sont taxés équitablement — progressivement, en mettant l’accent sur les grandes fortunes ? N La Belgique et l’Europe sont confrontées à un énorme défi écologique, technologique et démographique. Pour rendre la transition possible dans ces trois domaines, des investissements massifs devront être réalisés : un prochain gouvernement osera-t-il prévoir un espace budgétaire suffisant pour cela et remettre en question le cadre budgétaire européen drastique ? Ce ne sont là que quelques-uns des dilemmes sur lesquels un nouveau gouvernement fédéral devra trancher. Les choix socioéconomiques doivent tenir compte des intérêts légitimes des travailleurs et doivent donc également être le résultat d’une concertation sociale pleine et entière. Ce baromètre fournit du matériel pour indiquer les bons choix : des choix pour l’humain, la justice et la solidarité. INTRODUCTION 6 Lors de la crise énergétique qui nous a frappé ces dernières années, le pouvoir d’achat des ménages a été bien protégé par l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. Il reste néanmoins un problème structurel dans la formation des salaires. Les Belges, en effet, sont de plus en plus productifs, mais leur rémunération n’augmente pas en conséquence. Selon la Banque nationale, ce phénomène est la principale raison de la forte augmentation des marges bénéficiaires des entreprises ces dernières années. Cela prouve que la formation des salaires a besoin d’une réforme en profondeur. On observe également une augmentation des inégalités dans la pyramide des salaires : les hauts salaires, en effet, négocient plus facilement des rémunérations alternatives (avantages tels que voiture de société, options sur actions…). En cela, l’inégalité en termes d’options sur actions est aberrante. En revanche, les salaires les plus bas continuent d’être à la traîne : l’augmentation du salaire minimum belge est très inférieure à celle des autres pays industrialisés. Un rattrapage s’impose. 1 POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES VERSUS PROFITS DES ENTREPRISES 7 L’INFLATION SE STABILISE : PAS DE SPIRALE SALAIRES-PRIX —L’inflation — le rythme d’évolution du niveau des prix — dans la zone euro a atteint des sommets historiques à partir du second semestre 2021. En effet, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué un choc sur les marchés de l’énergie. Les prix de l’énergie ont fait grimper le niveau général des prix. En 2023 toutefois, l’évolution des prix de l’énergie a baissé très fortement dans l’indice des prix à la consommation belge. Jusqu’en mars 2024, l’inflation belge était constamment inférieure à celle du reste de la zone euro. On constate qu’il n’y a donc pas eu de spirale salaires-prix — le phénomène par lequel des salaires plus élevés entraînent des prix plus élevés —, ce contre quoi les économistes libéraux et les employeurs avaient pourtant mis en garde pendant des mois. L’inflation belge est actuellement légèrement plus élevée en raison de l’extinction des mesures de soutien qui étaient censées maintenir les factures d’énergie à un niveau supportable. Il s’agit d’un phénomène temporaire. L’inflation se stabilise Pas de spirale prix-salaires Source : Eurostat, IPCH – données mensuelles (taux de change annuel) — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas — Zone euro 20% 15% 10% 5% 0% -5% 2019-06 2019-07 2019-08 2019-09 2019-10 2019-11 2019-12 2020-01 2020-02 2020-03 2020-04 2020-05 2020-06 2020-07 2020-08 2020-09 2020-10 2020-11 2020-12 2021-01 2021-02 2021-03 2021-04 2021-05 2021-06 2021-07 2021-08 2021-09 2021-10 2021-11 2021-12 2022-01 2022-02 2022-03 2022-04 2022-05 2022-06 2022-07 2022-08 2022-09 2022-10 2022-11 2022-12 2023-01 2023-02 2023-03 2023-04 2023-05 2023-06 2023-07 2023-08 2023-09 2023-10 2023-11 2023-12 2024-01 2024-02 2024-03 2024-04 2024-05 2024-06 2024-07 2024-08 2024-09 8 UN POUVOIR D’ACHAT STABLE SOUTIENT L’ÉCONOMIE BELGE —L’explosion soudaine des prix de l’énergie fin 2021 a provoqué un choc sur le pouvoir d’achat des ménages. La hausse des prix a menacé d’éroder les salaires des travailleurs et travailleuses. Ce fut le cas dans de nombreux pays européens. En Belgique, l’indexation automatique a toutefois permis de limiter la perte. Bien que les salaires réels (c’est-à-dire après déduction de l’inflation) aient diminué en 2022, l’indexation a assuré un solide rattrapage en 2023. Évolution des salaires réels : le pouvoir d’achat belge mieux protégé Sur base annuelle Source : Ameco (Commission européenne), compensation nominale par travailleur IPCH, calculs propres g 2023 g 2022 g 2021 6% 4% 2% 0% -2% -4% -6% -8% -10% Belgique Luxembourg Portugal Pays-Bas Espagne Grèce Autriche Zone euro Union EUR Allemagne Danemark Finlande France Irlande Italie Suède 9 La stabilité du pouvoir d’achat des ménages belges a permis à notre pays de sortir plus rapidement de la contraction économique provoquée par le COVID-19. Notre situation économique est actuellement bien meilleure que celle de la plupart des autres pays de l’Union européenne. Croissance économique (Q1 2018 = 100) Source : Eurostat, namq_10_gdp 113 108 103 98 93 88 83 2018-Q1 2018-Q2 2018-Q3 2018-Q4 2019-Q1 2019-Q2 2019-Q3 2019-Q4 2020-Q1 2020-Q2 2020-Q3 2020-Q4 2021-Q1 2021-Q2 2021-Q3 2021-Q4 2022-Q1 2022-Q2 2022-Q3 2022-Q4 2023-Q1 2023-Q2 2023-Q3 2023-Q4 2024-Q1 2024-Q2 — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas — UE-27 pays (depuis 2020) — Zone euro-20 pays (depuis 2023) 10 PROBLÈME STRUCTUREL DANS LES SALAIRES BELGES —Pourtant, tout n’est pas rose. Il existe un problème structurel dans la formation des salaires. Comme l’indique la Banque nationale dans sa publication de novembre 2023, « les coûts salariaux ont augmenté beaucoup moins que la productivité du travail (ce qui coïncide avec une diminution de la part des salaires dans le revenu national). Cela est dû aux diverses mesures politiques visant à améliorer la compétitivité des coûts des entreprises belges, tant par le biais des normes salariales (qui limitent la croissance des salaires réels) que par des mesures ad hoc dans la période post-2014, telles que la suspension temporaire des mécanismes d’indexation et les réductions des cotisations de sécurité sociale payées par l’employeur. » En d’autres termes, les travailleurs et travailleuses belges rapportent de plus en plus à leur employeur, mais ne sont pas rémunérés équitablement pour leurs efforts. La productivité augmente d’année en année, mais la rémunération ne progresse pas de la même manière. L’une des raisons principales est évidemment la loi sur la norme salariale (loi de 1996). Elle limite l’augmentation des salaires en Belgique de manière anormale. Il faut absolument la réformer. * La rémunération réelle mesure le pouvoir d’achat en tenant compte de la hausse des prix (inflation). Les salaires ne suivent plus la productivité depuis longtemps (1995 = 100) Source : OECD Compendium of Productivity Indicators — Productivité — Rémunération réelle 140 130 120 110 100 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 11 La part des salaires se réduit Source : BNB, Principaux indicateurs des comptes de secteurs trimestriels OÙ VA L’ARGENT ? Lorsque les salaires n’évoluent pas au même rythme que la productivité, cela signifie que la part des salaires dans l’économie diminue. En d’autres termes, la part du gâteau revenant —aux travailleurs est de plus en plus mince. Le mouvement inverse est également vrai : la part des profits est en hausse depuis plus de deux décennies. — Part des salaires en pourcentage de la valeur ajoutée — Part du capital en pourcentage de la valeur ajoutée 70% 65% 60% 55% 50% 45% 40% 35% 30% 1999 Q1 2000 Q1 2001 Q1 2002 Q1 2003 Q1 2004 Q1 2005 Q1 2006 Q1 2007 Q1 2008 Q1 2009 Q1 2010 Q1 2011 Q1 2012 Q1 2013 Q1 2014 Q1 2015 Q1 2016 Q1 2017 Q1 2018 Q1 2019 Q1 2020 Q1 2021 Q1 2022 Q1 2023 Q1 2024 Q1 12 L’analyse qui précède est plutôt de nature macroéconomique. Si l’on examine les chiffres des bénéfices des entreprises elles-mêmes, on constate que les marges bénéficiaires ont systématiquement augmenté au cours des deux dernières décennies. Alors qu’au début de ce millénaire, les marges bénéficiaires se situaient autour de 35%, elles dépassent aujourd’hui systématiquement les 40%. La crise de l’énergie et les hausses de salaires n’ont donc en rien affecté ces marges bénéficiaires, malgré les déclarations catastrophistes des organisations patronales. Il y a donc une grande marge de manœuvre pour rémunérer les travailleurs en fonction de leur productivité accrue. Marges bénéficiaires* des entreprises en Belgique à la hausse * Comme indicateur de la marge bénéficiaire, l’excédent brut d’exploitation est comparé à la valeur ajoutée de l’entreprise (en %). Brut signifie : sans tenir compte des amortissements. Source : BNB 46% 44% 42% 40% 38% 36% 34% 1999 Q1 1999 Q4 2000 Q3 2001 Q2 2002 Q1 2002 Q4 2003 Q3 2004 Q2 2005 Q1 2005 Q4 2006 Q3 2007 Q2 2008 Q1 2008 Q4 2009 Q3 2010 Q2 2011 Q1 2011 Q4 2012 Q3 2013 Q2 2014 Q1 2014 Q4 2015 Q3 2016 Q2 2017 Q1 2017 Q4 2018 Q3 2019 Q2 2020 Q1 2020 Q4 2021 Q3 2022 Q2 2023 Q1 2023 Q4 2024 Q2 13 De plus, les entreprises belges n’ont pas à se plaindre sur le plan international, leurs marges bénéficiaires ayant tellement augmenté depuis le début des années 2000, qu’elles surpassent les pays voisins. Seules les marges bénéficiaires des entreprises néerlandaises se trouvent, depuis peu de temps, sur le même niveau élevé que les marges bénéficiaires belges. Marges bénéficiaires Comparaisons avec les pays voisins Source : Eurostat, Gross profit share of non-financial corporations 45% 40% 35% 30% 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas 14 LES COÛTS SALARIAUX NE SONT PAS TROP ÉLEVÉS —Malgré ces bénéfices élevés, les employeurs continuent de se plaindre du coût du travail en Belgique. De nombreux arguments suggèrent pourtant que les coûts salariaux belges ne sont en réalité pas problématiques pour la position concurrentielle de notre pays. Tout d’abord, la part des coûts salariaux dans les prix de production est très limitée : dans l’industrie, elle n’est que de 11% et suit une tendance à la baisse. Par rapport aux pays voisins, le coût salarial joue un rôle plus limité dans la fixation des prix. Part des coûts salariaux dans les prix de production Industrie Source : Eurostat, comptes nationaux agrégés par industrie, d’après le Think Tank Minerva 25% 20% 15% 10% 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas — Zone euro – 20 pays (depuis 2023) 15 Si l’on tient compte de la productivité et que l’on considère ce que l’on appelle le « coût salarial par unité produite » (coût salarial par valeur ajoutée produite), les coûts salariaux belges sont, selon les dernières données disponibles, inférieurs à ceux des trois pays voisins. Coût salarial par unité produite à la baisse En euros Source : BNB, BNB Economic Review 2023 No 8 0,67 0,65 0,63 0,61 0,59 0,57 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020‑2021 — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas 16 Un autre élément qui place les coûts salariaux dits « excessifs » dans une perspective différente est celui des subventions salariales. Celles-ci ont augmenté massivement ces dernières années. Et elles sont nombreuses en Belgique : pour le travail de nuit, les heures supplémentaires, le travail posté, la R&D… En 2022, ces subventions salariales s’élevaient à plus de 9 milliards d’euros. Ces subsides constituent l’aide économique la plus importante en Belgique. Dans les pays voisins, ils n’existent pratiquement pas, comme l’indique le graphique suivant. Lorsque l’on calcule la différence de coûts salariaux (le « handicap salarial ») entre la Belgique et les pays voisins, les subventions salariales ne sont pas incluses. Le handicap salarial est donc largement surestimé. Les subsides salariaux restent élevés En % masse salariale totale Source : Conseil Central de l’Économie, rapport 2023 sur le handicap salarial 6% 5% 4% 3% 2% 1% 0% 1996 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 — Belgique — Allemagne — France — Pays-Bas 17 UNE NOUVELLE INÉGALITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL : LES RÉMUNÉRATIONS ALTERNATIVES —Les rémunérations alternatives sont des avantages que les salariés reçoivent en plus de leur salaire normal. Dans les années 1990, les entreprises ont commencé à négocier de plus en plus d’avantages sociaux, tels que des chèques-repas et des voitures de société. Cette évolution a été encouragée par des allégements fiscaux et parafiscaux, qui ont rendu ces formes de rémunération plus attrayantes tant pour les employeurs que pour les salariés. Au cours des dernières décennies, on a assisté à une prolifération d’offres de rémunération alternatives telles que les warrants, les bonus et les plans cafétéria. Ces formes alternatives de rémunération posent deux problèmes. Tout d’abord, d’un point de vue fiscal et parafiscal, elles ne sont pas traitées de la même manière que le salaire brut. Elles ne permettent donc pas de se constituer des droits sociaux, comme la pension. Plus le glissement du salaire brut à des formes alternatives de rémunération se poursuit, plus le financement de la sécurité sociale et des services publiques est difficile, et plus les droits sociaux accumulés sont limités. Deuxièmement, les formes alternatives de rémunération sont inégalement réparties. Ce sont les classes salariales les plus élevées qui sont en sont majoritairement bénéficiaires. Il s’agit donc d’une inégalité supplémentaire dans la distribution des salaires. Les voitures de société, les primes de résultat et les primes collectives (convention collective 90) sont principalement réservées aux revenus les plus élevés. En outre, une différence importante entre les sexes peut être observée : la rémunération alternative est accordée relativement plus aux hommes qu’aux femmes. 18 Les revenus les plus élevés obtiennent plus facilement des rémunérations alternatives* Montant moyen pour l’ensemble des salariés sur base annuelle Source : ONSS, en collaboration avec SD Worx * Il convient de noter que l’analyse ci-dessus n’inclut pas les formes alternatives de rémunération suivantes en raison de différences méthodologiques : options d’achat d’actions, deuxième pilier de pension et budget de mobilité. Chèques sports et autres Téléphone et internet Allocations familiales Prime de bénéfice Chèques-repas CCT90 Éco-chèques Transport public Indemnité vélo Voiture propre Voiture de société 5.000 € 4.500 € 4.000 € 3.500 € 3.000 € 2.500 € 2.000 € 1.500 € 1.000 € 500 € 0 € Décile 1 Décile 2 Décile 3 Décile 4 Décile 5 Décile 6 Décile 7 Décile 8 Décile 9 Décile 10 (sans les 1% de salaire les plus élevés) 1% salaires les plus élevés 19 Outre les autres formes de rémunération mentionnées ci-dessus, l’inégalité la plus prononcée concerne les options sur actions/stock-options (une option d’achat d’actions ou un bon de souscription d’actions donne à son détenteur le droit d’acheter des actions au cours d’une période prédéterminée, à un prix déterminé à l’avance). Ce sont les plus hauts revenus qui reçoivent le plus d’options. Parce qu’elles sont souvent accordées individuellement, les options sur actions passent souvent entre les mailles de la loi de 1996. Autrement dit, les PDG qui applaudissent le carcan strict de la loi de 1996 s’accordent un avantage substantiel sous la forme d’options sur actions par des moyens détournés. Au cours de l’exercice 2022, 151.212 salariés se sont vu attribuer des options d’achat d’actions pour une valeur d’environ 1,7 milliard d’euros. Montant moyen des options sur actions par tranche salariale Sur base annuelle Source : ONSS, en collaboration avec SD Workx 140.000 € 120.000 € 100.000 € 80.000 € 60.000 € 40.000 € 20.000 € 0 € 1 € – 35.000 € 35.000 € – 44.000 € 44.000 € – 51.000 € 51.000 € – 60.000 € 60.000 € – 68.000 € 68.000 € – 77.000 € 77.000 € – 88.000 € 88.000 € – 105.000 € 105.000 € – 138.000 € 138.000 € – 316.000 € 316.000 € – 8.800.000 € Montant des options sur actions Tranches de revenus sur base annuelle 20 LES SALAIRES MINIMUMS MÉRITENT MIEUX —Fin 2022, l’Union européenne a adopté la directive sur le salaire minimum adéquat. Cette directive a pour ambition d’augmenter les salaires minimums dans les pays où il existe un salaire minimum légal. La directive cite deux références comme critères possibles, à savoir une comparaison avec le salaire médian (au moins 60% de celui-ci) et le salaire moyen (au moins 50% de celui-ci). En Belgique, au cours des dernières décennies, le rapport entre le salaire minimum et le salaire médian (le salaire situé au milieu de la distribution des salaires, la moitié gagnant plus, l’autre moitié gagnant moins) a diminué. Cela signifie que l’augmentation du salaire minimum est restée à la traîne par rapport aux autres salaires. La Belgique allait ainsi à l’encontre d’une tendance internationale : dans les autres pays industrialisés, le salaire minimum se rapproche du salaire médian. Heureusement, cette situation a changé. Grâce notamment à la campagne FGTB #fightfor14, les salaires minimums belges ont augmenté plus rapidement que les autres salaires au cours des trois dernières années. Le rattrapage est enfin en cours. Rapport entre le salaire minimum et le salaire médian Source : OCDE, Salaire minimum par rapport au salaire médian des travailleurs à temps plein — Moyenne pays OCDE — Belgique 55% 50% 45% 40% 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 21 Mais ce rattrapage est insuffisant pour atteindre les seuils européens de 60% (rapport au salaire médian) et de 50% (rapport au salaire moyen). Seuls trois pays atteignent actuellement l’un ou l’autre de ces deux seuils : le Portugal, la Slovénie et la France. La Belgique est dans la deuxième moitié du peloton. Rapport entre le salaire minimum vis-à-vis du salaire médian et du salaire moyen (2023) Source : OCDE, Salaire minimum par rapport au salaire médian des travailleurs à temps plein g % salaire moyen g % salaire médian 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% Portugal Slovénie France Luxembourg Pologne Espagne Allemagne Slovaquie Grèce Pays-Bas Belgique Irlande Hongrie Lituanie Rép. tchèque Estonie Lettonie 22 L’ÉCART SALARIAL ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SE RÉDUIT TROP LENTEMENT —Entre 2021 et 2022, il y a une baisse de l’écart salarial entre les hommes et les femmes tous secteurs confondus de 1,1%. En effet, il était de 21% en 2021. L’écart se réduit, mais très lentement, notamment grâce à l’attention syndicale depuis 20 ans. Évolution de l’écart salarial entre les hommes et les femmes Source : Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes — Écart salarial AVEC correction pour la durée de travail — Écart salatial SANS correction pour la durée de travail 25% 20% 15% 10% 5% 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 € € 23 Les causes de cet écart salarial sont diverses. Les filles suivent encore souvent des filières d’études qui mènent à des emplois et des secteurs moins rémunérateurs. De même, les femmes sont surreprésentées dans les professions et les secteurs qui ont des salaires bas. On trouve également plus de femmes dans des secteurs où seuls des contrats à temps partiel sont proposés. Les femmes sont plus souvent discriminées à différents stades de leur carrière, depuis le recrutement et la sélection jusqu’aux promotions. Ce plafond de verre les coince dans des postes inférieurs moins rémunérateurs. Une autre source d’accentuation de cet écart moyen se trouve dans la répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants et proches dépendants. Cette répartition inéquitable pèse bien souvent sur les femmes, qui se voient dans l’obligation de réduire leurs horaires de travail et donc de perdre en rémunération. L’écart salarial se creuse aussi si on tient compte des avantages extra-légaux qui sont plus souvent accordés aux hommes qu’aux femmes (voir point sur les rémunérations alternatives). Salaires annuels bruts moyens, sans correction pour la durée du travail (2022) Source : Institut pour l’égalité entre les hommes et les femmes 40.000 € 30.000 € 20.000 € 10.000 € 0 € 32.086 € 40.073 € 19,9% 24 DES PROPOSITIONS QUI VONT NUIRE AU POUVOIR D’ACHAT N « N’indexer les salaires nets que lorsque l’inflation est élevée » : en tant que travailleur, vous gagnez à court terme, mais vous perdez à long terme. Les droits sociaux sont calculés sur la base du salaire brut. Moins de salaire brut signifie moins de pension, moins d’indemnités de maladie et moins d’indemnités de chômage lorsque vous en avez besoin. De plus, c’est un cadeau pour les employeurs, car leurs cotisations sociales sont calculées sur la base des salaires bruts. N « Pas d’indexation pour les salaires élevés lorsque l’inflation est forte » : cela semble juste, mais cela sape l’objectif de l’indexation automatique. Pour la redistribution, notre système fiscal progressif existe : plus votre indexation est élevée (en argent), plus votre contribution fiscale est élevée. En n’accordant pas l’indexation aux salaires élevés, on risque de remettre en cause le système d’indexation dans son ensemble : une partie importante des travailleurs ne le soutiendraient plus. La solidarité entre les travailleurs est ainsi brisée. N « Un indice de durabilité » : retirer les combustibles fossiles de l’indice. L’indice est conçu de manière à ce que l’augmentation des dépenses moyennes des ménages soit compensée. Les combustibles fossiles représentent toujours une part importante des dépenses des ménages. Les retirer de l’indice signifie une forte baisse du pouvoir d’achat à l’avenir, car on s’attend à ce que les prix des combustibles fossiles augmentent fortement. N « Une réforme de la TVA » : l’augmentation du taux réduit de TVA sur les produits de base de 6% à 9% entraînera une augmentation directe du prix du panier des ménages: entre 10 et 20 euros de plus par mois pour l’alimentation ; 15 euros de plus par mois pour le gaz et l’électricité ; une moyenne de 30 euros de plus par an pour les médicaments. Cela revient à une augmentation de la facture pour une famille moyenne de près de 400 euros par an. 25 Dépenses moyennes des ménages Source : Enquête sur le budget des ménages et calculs propres Dépenses moyennes pour la totalité des ménages (par an en euros) si modification du taux de TVA Dépenses moyennes pour la totalité des ménages (par an en euros) 40.623 € +400 € € 40.223 € € 26 N Les travailleurs doivent avoir le droit de négocier collectivement leurs salaires, en fonction des critères qui comptent : productivité, augmentation des marges bénéficiaires, inflation. La loi sur la fixation des salaires — la loi de 96 — ne le permet pas actuellement. Cette loi doit être réformée en profondeur : la norme salariale doit devenir indicative et la différence salariale avec les pays voisins doit être calculée correctement. C’est à dire en tenant compte des subventions et des réductions de cotisations qui allègent les « coûts salariaux ». N L’indexation automatique doit être garantie dans sa forme actuelle, c’est la meilleure protection contre la perte du pouvoir d’achat. N Les formes alternatives de rémunération doivent être traitées, au niveau fiscal et parafiscal, de la même manière que la rémunération brute, pour ainsi contribuer au financement des services publics et de la sécurité sociale, et ainsi permettre au travailleur de se constituer des droits sociaux. N Les salaires minimums sont à la traîne par rapport au salaire médian. Ils doivent se rapprocher de 60% de ce dernier, à court terme. Notre revendication est d’atteindre en 2030, 17 euros l’heure et 2.800 euros par mois. N Combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes passe par une plus grande attention à la dimension de genre dans l’éducation et une plus grande participation des femmes au marché du travail. De même, davantage de structures d’aide sociale et de soin vont permettre à plus de femmes d’accéder au marché du travail, dans des emplois à temps plein. Une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et recrutement compensatoire pour tous les secteurs et toutes les catégories d’employés permettrait aussi de mieux distribuer le travail. N Dans ce contexte, rappelons qu’il est nécessaire de transposer de manière maximaliste et le plus rapidement possible la directive européenne sur la transparence des rémunérations, qui s’attaquent à la discrimination en matière de rémunération et plus précisément à l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Les États membres ont jusqu’en 2026 pour transposer la directive dans leur législation nationale. REVENDICATIONS 27 Le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé, depuis plus de 20 ans. Néanmoins, le bien-être physique et mental des travailleurs et travailleuses se détériore. Le nombre de malades de longue durée explose. On n’a qu’une santé ! Et aujourd’hui trop de personnes la perdent en travaillant. La prévention de la santé et sécurité au travail doit devenir une priorité sociétale, et les employeurs doivent prendre leurs responsabilités. La flexibilité accrue fragilise les travailleurs en créant des emplois précaires au détriment de contrats stables. La FGTB se bat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. 2 TRAVAIL 28 UN TAUX D’EMPLOI HISTORIQUEMENT ÉLEVÉ —Le marché du travail en Belgique se porte plutôt bien. Le constat est posé par le dernier Rapport de Conseil supérieur de l’emploi qui souligne que « la résilience du marché du travail durant la crise sanitaire et le dynamisme de la reprise ont largement surpassé les attentes. Les créations nettes d’emplois ont atteint des niveaux que le pays n’avait jamais connu. Elles se sont élevées à environ 100.000 unités en 2021 et 2022. On est revenu en 2023 à des valeurs proches de la moyenne historique qui se chiffre à 43.000 unités. » En effet, en 2023, le taux d’emploi général s’élève à 72,1%, avec des différences régionales. Néanmoins, il existe de grandes différences du taux d’emploi entre les hommes et les femmes, ainsi que selon le niveau d’instruction. Évolution du taux d’emploi des 20-64 ans entre 2000 et 2023 Source : Statbel — Hommes — Femmes — Total 2000 2005 2010 2015 2020 2025 80% 75% 70% 65% 60% 55% 50% 75,9 75,5% % 72,1% 65,8% 68,3% 56,0% 29 Bien que le taux d’emploi des femmes reste inférieur à celui des hommes, il a connu une croissance très importante ces 20 dernières années, +12,3%, en passant de 56% à 68,3%. Pendant cette même période, le taux d’emploi des hommes a progressé de 0,4%. Selon l’Enquête sur les forces de travail 2024, le taux d’emploi des personnes avec un niveau d’instruction faible s’élève à 47,2% contre 85,6% pour les personnes avec un niveau d’instruction élevé. Entre 2017 et 2024, tous les taux d’emploi ont augmenté mais à des rythmes différents (+ 2,9%) pour les personnes avec un niveau d’instruction faible, contre +3,3% pour celles avec un niveau d’instruction élevé. Cela démontre l’importance du niveau d’instruction et du diplôme sur le marché du travail en Belgique. Taux d’emploi selon le niveau d’instruction Source : Statbel Niveau d’instruction faible Niveau d’instruction moyen Niveau d’instruction élevé 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 3,5% 3,0% 2,5% 2,0% 1,5% 1,0% 0,5% 0% 10% 0% 47,2% 2,95% 1,03% 3,26% 68,1% 85,6% g Taux d’emploi n Évolution 2017-2024 30 Concernant les personnes âgées de 55 à 64 ans, on remarque une augmentation forte du taux d’emploi. Pour la Belgique, ce taux était de 26,3% en 2000 et de 56,6% en 2022. Ceci s’explique notamment par la remontée progressive de l’âge légal de la pension à taux plein et l’accès plus compliqué aux prépensions. En outre, il y a aussi un effet de génération. Aujourd’hui, il y a plus d’hommes et femmes actifs dans cette tranche d’âge. Les travailleurs actuels restent aussi actifs plus longtemps sur le marché du travail pour des raisons sociologiques (études plus longues, constitution d’une famille plus tardive, enfants aux études, etc.). Taux d’emploi des 55-64 ans en Belgique à la hausse Source : Statbel 60% 55% 50% 45% 40% 35% 30% 25% 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 31 LA QUALITÉ DE L’EMPLOI : FAIRE UN LIEN ENTRE EMPLOI ET BIEN-ÊTRE —La qualité de l’emploi, c’est quoi ? La définition comprend l’ensemble des caractéristiques de l’emploi qui ont une influence sur la santé et le bien-être. Une analyse de la qualité de l’emploi est nécessaire pour plusieurs raisons : N Au plus la qualité des emplois est élevée dans un pays, au plus celui-ci peut alors attirer de travailleurs qualifiés. Ce qui entraîne une augmentation de la productivité et de la croissance économique. N Des emplois de haute qualité permettent d’apporter une sécurité et une stabilité financières aux travailleurs et travailleuses, ainsi qu’à leurs familles, améliorant ainsi la qualité de vie globale. N Des emplois de haute qualité peuvent accroître la satisfaction au travail et la motivation des travailleurs et travailleuses. C’est bon pour la productivité et le moral au travail. Selon l’analyse du SPF emploi réalisée en 2023* (sur base de l’Eurofound de 2021), la situation s’est améliorée entre 2015 et 2021 au niveau des caractéristiques suivantes : les contrats à temps plein, les opportunités de carrière, la participation et la représentation des travailleurs. Les perspectives de carrière et la représentation des travailleurs se sont également améliorées. * Sur base de l’Eurofound de 2021, l’enquête 2024 est en cours de réalisation. 32 Caractéristiques de l’emploi et du travail des salariés en 2015 et 2021 Score entre 0 et 100 Note : une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Les lignes jaunes représentent le lieu de travail. Un score de 100 indique « toujours », un score de 0 signifie « jamais ». À l’exception des caractéristiques indiquées par le symbole « * » pour lesquelles le chiffre représente le pourcentage de répondants concernés. Source : SPF Emploi, basé sur EWCS 2015 et 2021, d’après les calculs de l’HIVA Figure 2. Caractéristiques de l’emploi et du travail des salariés en 2015 et 2021, score entre 0 et 100 Note : Une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Les lignes jaunes représentent le lieu de travail. Un score de100indique«toujours»,unscorede0signifie«jamais».Al’exceptiondescaractéristiquesindiquées62 59 58 31 38 9 12 23 29 45 60 11 19 11 21 20 30 63 82 24 31 15 22 15 37 7 8 85 90 71 72 42 49 48 50 16 47 56 56 62 59 66 76 77 68 71 3 9 2 11 13 0 20 40 60 80 100 Autonomie ordre des tâches Autonomie méthodes de travail Autonomie vitesse de travail Positions fatiguantes Soulever des personnes Porter des charges lourdes Mouvements répétitifs Exposition produits chimiques Exposition matériaux infectieux Travailler dans le bruit Travail dans locaux de l’employeur Travail chez les clients Travail dans un véhicule Travail à domicile Travail dans d’autres endroits Contrat permanent * Travail à temps plein * Formation sur le tas * Formation payée par l’employeur * Travail de nuit Opportunités de carrière Participation Représentation * Intimidation et harcèlement moral * Attentions sexuelles non désirées * Menaces ou violences verbales * Soutien des collègues Soutien du responsable hiérarchique ¢ 2015 ⚫ 2021 Autonomie ordre des tâches Autonomie méthodes de travail Autonomie vitesse de travail Positions fatiguantes Soulever des personnes Porter des charges lourdes Mouvements répétitifs Exposition produits chimiques Exposition matériaux infectieux Travailler dans le bruit Travail dans locaux de l’employeur Travail chez les clients Travail dans un véhicule Travail à domicile Travail dans d’autres endroits Contrat permanent* Travail à temps plein* Formation sur le tas* Formation payée par l’employeur* Travail de nuit Opportunités de carrière Participation Représentation* Intimidation et harcèlement moral* Attentions sexuelles non désirées* Menaces ou violences verbales* Soutien des collègues Soutien du responsable hiérarchique 33 Par contre, en ce qui concerne la santé et le bien-être des travailleurs, la plupart des marqueurs se sont détériorés, ou sont restés au même niveau. Bien-être psychologique et santé des salariés en 2015 et 2021 Score entre 0 et 100 Note : une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Un score de 100 indique « toujours », un score de 0 signifie « jamais ». Pour les caractéristiques indiquées par le symbole « * », le chiffre représente le pourcentage de répondants concernés. Pour l’insécurité de l’emploi (°) l’échelle est 0 pour « pas du tout d’accord » et 100 pour « tout à fait d’accord ». Source : SPF Emploi, EWCS 2015 et 2021, d’après les calculs de l’HIVA d’opportunités de carrière : ils peuvent choisir eux-mêmes d’adapter le poste et les tâches, de suivre de nouvelles opportunités, etc. Les indépendants travaillent souvent pour le compte de plusieurs clients et mandants. Cela se traduit par le fait de travailler souvent dans les locaux du client ou de la clientèle et par une plus grande flexibilité des horaires de travail (travail de nuit plus élevé par exemple), des conclusions qui ressortent également de l’enquête 2021. Afin de fournir une estimation du bien-être psychologique et de la santé des salariés et indépendants belges, nous procédons également, dans le chapitre 2, à une comparaison entre 2015 et 2021 sur la base de 11 caractéristiques. Figure 3. Bien-être psychologique et santé des salariés en 2015 et 2021, score entre 0 et 100 Note : Une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Un score de 100 indique « toujours », un score de 0 83 35 52 18 24 51 34 26 32 68 60 64 64 68 56 61 64 70 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Satisfaction au travail Présentéisme * Insécurité de l’emploi ° Epuisement physique Epuisement mental Impact négatif du travail sur la santé * Se sentir bien et de bonne humeur Se sentir calme et tranquille Se sentir plein d’énergie et vigoureux Se sentir frais et reposé au réveil Vie quotidienne remplie de choses intéressante ¢ 2015 ⚫ 2021 Satisfaction au travail Présentéisme* Insécurité de l’emploi° Epuisement physique Epuisement mental Impact négatif du travail sur la santé* Se sentir bien et de bonne humeur Se sentir calme et tranquille Se sentir plein d’énergie et vigoureux Se sentir frais et reposé au réveil Vie quotidienne remplie de choses intéressante 34 TRAVAILLEURS ÉTRANGERS : L’ENJEU D’UNE MEILLEURE INTÉGRATION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL —En Belgique, le taux d’emploi officiel des personnes de nationalité étrangère est systématiquement inférieur à celui des travailleurs de nationalité belge. Mais cela ne reflète que partiellement la réalité sur le terrain. De nombreux travailleurs passent en effet sous les radars des statistiques officielles. Pourtant, augmenter le taux d’emploi et les salaires des personnes nées à l’étranger serait une manière d’augmenter leur contribution positive aux finances publiques. Cela passe par une sortie du travail informel (travail au noir) et par des régularisations plus rapides pour les personnes sans droit de séjour. Taux d’emploi selon la nationalité Source : indicators.be — Belges — Citoyens UE27 hors Belges — Citoyens non UE 80% 70% 60% 50% 40% 30% 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 35 Selon les chiffres de l’OCDE et l’OIT, les immigrés (selon l’OCDE, les « ressortissants de pays tiers ») ne bénéficient pas de plus d’allocations sociales que les personnes nées dans le pays. Au contraire, ils contribuent plus qu’ils ne « coûtent ». En effet, selon la dernière étude de l’OCDE*, dans les 25 pays pour lesquels des données sont disponibles, en moyenne au cours de la période 2006-2018, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. * Source : Perspectives des migrations internationales 2021. La contribution fiscale des immigrés est supérieure aux dépenses consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation Source : OCDE, 2021 Autres Autres (n.c. services publics généraux & défense) Éducation Santé Vieillesse Contributions sociales des employeurs Impôts indirects (ex. TVA) Impôts & contributions sociales Protection sociale (autres) Recettes 2.500 milliards $ US* Dépenses 2.000 milliards $ US* La contribution budgétaire nette des immigrés reste positive dans tous les pays, à l’exception des pays baltes. Ceci implique que, dans presque tous les pays, les immigrés financent pleinement leur part des dépenses consacrées aux biens publics. L’OIT ajoute en outre que les travailleurs migrants contribuent à la croissance et au développement de leur pays de destination, tandis que les pays d’origine bénéficient de leurs envois de fonds et des compétences acquises au cours de leur expérience migratoire. * Inclut 25 pays de l’OCDE, 2017 36 L’ENJEU DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE —Les leviers pour accéder à l’emploi sont nombreux. Parmi ceux-ci, vu le lien important entre le taux d’emploi et le niveau d’instruction dans notre pays, la formation professionnelle est capitale. L’apprentissage tout au long de la vie était un élément principal de la stratégie de Lisbonne en 2000. Cette stratégie européenne avait pour objectif d’élever le niveau général de formation de la population et la structure des qualifications, en partant du constat que l’Union Européenne souffrait d’une insuffisance de main-d’œuvre qualifiée. Et ce, dans un contexte où la demande de travailleurs qualifiés augmentait fortement. Depuis cette date, peu de progrès ont été enregistrés en Belgique. En 2023, à peine 11% des travailleurs déclaraient avoir suivi une formation professionnelle — formelle ou informelle — payée ou non par l’employeur au cours des quatre dernières semaines. Cela reflète le peu d’investissement des employeurs en la matière, alors même que la Belgique se trouve en queue de peloton européen. En outre, entre 2000 et 2022, la Belgique est parmi les pays qui ont le moins progressé, soit +4,9%. Certains, comme la Suède, ont fait des avancées de +17%. La formation professionnelle relève d’une responsabilité collective. Les employeurs doivent notamment s’assurer que leurs travailleurs maintiennent des compétences en adéquation avec l’évolution des besoins de la société et du marché du travail. La formation continue au sein des entreprises et des secteurs doit impérativement être favorisée. Le compte individuel de formation qui garantit en moyenne à tous les travailleurs 5 jours de formation par an est un premier pas dans la bonne direction et ne peut être supprimé. Toutefois, ce mécanisme nécessite un contrôle pour éviter que cela ne devienne une boîte vide. 37 Participation des adultes à la formation au cours des quatre dernières semaines Source : Eurostat Suède Danemark Suisse Pays-Bas Islande Finlande Estonie Norvège Autriche Luxembourg Espagne France Portugal UE- 27 pays (àpd 2020) Irlande Italie Belgique Hongrie Pologne Allemagne Grèce g 2023 g 2000 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 38 AUTOMATISATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (I.A.) : OPPORTUNITÉS OU DANGERS POUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL ? —Quel sera l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi ? Bien que personne ne dispose de boule de cristal, certains indicateurs nous permettent de penser que l’impact sera moins dévastateur qu’annoncé il y a une dizaine d’années. À l’époque, certains (notamment Carl Frey et Michael Osborne, chercheurs à Oxford) estimaient que plus de 40% des emplois pourraient disparaître. Les études plus récentes sont plus nuancées. L’OCDE estime que dans la zone OCDE, 27% des emplois en moyenne sont très exposés au risque d’automatisation. Pourcentage d’emplois fortement exposés au risque d’automatisation En 2021 Source : OCDE Hongrie Rép. slovaque Tchéquie Pologne Lituanie Slovénie Lettonie Portugal Italie Estonie Allemagne Autriche Espagne Grèce France OCDE-27 Finlande Belgique Irlande Danemark Suisse Islande États‑Unis Norvège Pays‑Bas Suède Royaume‑Uni Luxembourg 40% 30% 20% 10% 0% 26,8 % 25,6 % 39 Une récente étude de l’OIT* suggère que la plupart des emplois et des industries ne sont que partiellement exposés à l’automatisation et sont plus susceptibles d’être complétés que remplacés par la dernière vague d’IA générative, telle que chatGPT. Par conséquent, l’impact le plus important de cette technologie ne sera probablement pas la destruction d’emplois, mais plutôt les changements potentiels de la qualité des emplois, notamment l’intensité du travail et l’autonomie. Ces impacts varient fortement selon les secteurs et les fonctions. Le travail de bureau s’avère être la catégorie la plus exposée aux technologies d’intelligence artificielle, avec près d’un quart des tâches considérées comme très exposées et plus de la moitié des tâches présentant un niveau d’exposition moyen. Dans d’autres catégories professionnelles — notamment les cadres, les professionnels et les techniciens — seule une petite partie des tâches est considérée comme très exposée, tandis qu’environ un quart d’entre elles présentent un niveau d’exposition moyen. L’étude, de portée mondiale, met en évidence des différences notables dans les effets sur les pays, en fonction du niveau de développement de ces derniers. Ces différences sont liées aux contextes économiques et aux écarts technologiques déjà existants. L’étude constate que 5,5% de l’emploi total dans les pays à revenu élevé est potentiellement exposé aux effets d’automatisation de la technologie, alors que dans les pays à faible revenu, le risque d’automatisation ne concerne qu’environ 0,4% de l’emploi**. L’IA est déjà utilisée dans beaucoup de secteurs et pour une multitude d’application (transports, soins de santé, construction, RH, etc.). Les enjeux qui y sont liés sont nombreux : la vie privée, la protection des données, l’exactitude des données, les systèmes de prise de décision algorithmique, la gestion algorithmique, la surveillance, etc. * Generative AI and Jobs : A global analysis of potential effects on job quantity and quality, août, 2023 ** Voir le classement des pays par revenu : https ://ilostat.ilo.org/fr/methods/concepts-and-definitions/classification-country-groupings/ 40 LA PÉNURIE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL : DES NUANCES INDISPENSABLES —Selon la définition d’ Eurostat*, au premier trimestre 2024, la Belgique a le 2e plus haut taux d’emploi vacant dans l’UE. Il s’élève à 4,4% après l’Autriche (4,5%). Le taux de vacance d’emploi est plus élevé en Région flamande (4,85%) qu’en Région de Bruxelles-Capitale (3,72%) et qu’en Région wallonne (3,54%). * Le taux d’emplois vacants mesure la proportion de l’ensemble des emplois qui sont vacants. Il est exprimé en pourcentage : nombre d’emplois vacants / nombre d’emplois occupés + nombre d’emplois vacants. Taux d’emplois vacants Ensemble de l’économie, 1er trimestre 2024 Données non corrigées des variations saisonnières Source : Eurostat Autriche Belgique Pays‑Bas Allemagne Tchéquie Malte Grèce Chypre Zone euro Suède Lettonie UE Slovénie Finlande Hongrie Croatie Lituanie Estonie Luxembourg Slovaquie Portugal Irlande Espagne Pologne Bulgarie Roumanie 5% 4% 3% 2% 1% 0% 41 Derrière ce chiffre, qui semblent indiquer une pénurie généralisée de main-d’œuvre, se cachent différentes réalités. De manière générale, le vieillissement de la population joue un rôle plus important que dans d’autres pays européens: l’offre de main d’oeuvre est plus limitée. Premièrement, il est plus difficile d’embaucher dans certains secteurs et professions que dans d’autres. Les causes en sont multiples et souvent, se combinent. En effet, il ressort de différentes études du FOREM et du VDAB que les conditions de travail (type de contrat, temps plein ou temps partiel, salaire, statut, horaire, difficultés de conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, distance par rapport au lieu de travail, pénibilité, cadre de travail…) et de recrutement (digitalisation accrue, entretien virtuel…) proposés pour ces métiers constituent un facteur déterminant dans l’existence de la tension, voire de la pénurie. Ensuite, ces études soulignent également qu’il existe une disproportion entre exigences patronales (en termes d’expérience, de connaissance des langues, de détention du permis ou d’un véhicule) et conditions de travail. Ces exigences peuvent bien entendu avoir leurs raisons d’être pour certaines fonctions, mais sont clairement injustifiées pour de nombreuses autres et constituent des freins pour beaucoup de candidats potentiels. De plus, certaines filières d’études n’attirent pas suffisamment de jeunes, en raison d’un manque de connaissance des professions qui y sont liées ou de l’image négative de certains secteurs. Finalement, certains secteurs n’anticipent pas suffisamment les changements dus aux transitions (climat, numérisation…), ce qui provoque un manque de main-d’œuvre. 42 LEVIERS FINANCIERS POUR ACCEPTER UN JOB —Les libéraux veulent lutter contre les supposés « pièges à l’emploi » qui « inciteraient » les travailleurs à rester dans l’inactivité plutôt que d’accepter un emploi. Pour ce faire, ils prétendent « créer » un différentiel de 500 euros entre le non-emploi et l’emploi. Or, aujourd’hui, la différence entre une allocation de chômage nette et le salaire minimum net est déjà de 545 euros pour une personne qui a le statut d’isolé (624 euros si l’on prend en compte le pécule de vacances). Grâce à la FGTB, au 1er avril, le salaire minimum net a augmenté de 50 euros, ce qui veut dire que la « promesse électorale » des libéraux — d’une différence d’au moins 500 euros nets entre une allocation de chômage et l’emploi, c’est promettre quelque chose qui existe déjà ! La majorité des chômeurs a un intérêt financier à travailler. La différence de revenu est substantielle. Et souvent, le travail donne accès à des avantages extra-légaux (chèques‑repas, assurances, etc.) qui ne sont pas pris en compte dans cette estimation. Une étude de l’université d’Anvers de mai 2024 ainsi qu’une autre de l’Institut pour un Développement durable* confirment ce constat. * L’emploi progressif dans divers systèmes de prestations, étude exploratoire des possibilités et des pièges, Johannes Derboven, Ive Marx & Gerlinde Verbist, mai 2024. 43 Différence entre allocation et travail Source : calculs propres sur base de données ONEM, INAMI et CPAS (mai 2024) Revenu d’intégration cohabitant Chômage cohabitant (M13-24) Chômage cohabitant (M1-3) Revenu d’intégration isolé Incapacité de travail travailleurs irrégulier isolé (à partir de M7) Chômage isolé Incapacité de travail travailleurs régulier isolé (à partir de M7) Chômage chef de ménage (parent isolé avec 2 enfants) Revenu d’intégration chef de ménage (parent isolé avec 2 enfants) g Allocation nette g Salaire minimum net 0 € 500 € 1.000 € 1.500 € 2.000 € 1.094 € 666 € 349 € 1.019 € 666 € 326 € 733 € 545 € 324 € 44 En conclusion, ce « slogan » des libéraux vise seulement à marginaliser, culpabiliser et pointer du doigt les personnes privées de travail et d’ainsi les opposer aux travailleurs et travailleuses intégrés sur le marché de l’emploi. La limitation dans le temps des allocations de chômage aurait de nombreuses conséquences à différents niveaux. Premièrement, au niveau national. Sachant que le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration social (RIS) en avril 2024 est de 165.620, si l’ensemble des chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi de plus de 2 ans (isolés et chefs de ménage) devaient basculer vers le RIS, le pays verrait une augmentation de 90.170 RIS, soit un total de 255.790 de personnes. Il y a une différence régionale comme l’indique le tableau ci-dessous. Impact de la limitation des allocations de chômage à 2 ans Chiffres : avril et juin 2024 Source : calculs propres RIS actuels (personnes) Augmentations (personnes) Total (personnes) Pourcentage d’augmentation Wallonie 75.318 38.091 113.409 50,57% Flandre 43.595 26.129 69.724 59,94% Bruxelles 46.707 25.950 72.657 55,56% Belgique 165.620 90.170 255.790 54,44% 45 Les CPAS (donc le niveau communal) en subissent aussi les répercussions. En effet, si l’on regarde la tendance dans le temps, on constate que le nombre de bénéficiaires du RIS ne fait qu’augmenter (il a doublé en 20 ans), passant d’un peu moins de 80.000 personnes en 2003 à un peu moins de 165.000 en mai 2024 (2,22% de la population belge en âge de travailler). Bénéficiaires du revenu d’intégration sociale Nombre moyen mensuel Source : baromètre de l’intégration sociale, Belgique, 2024 01-2007 05-2007 09-2007 01-2008 05-2008 09-2008 01-2009 05-2009 09-2009 01-2010 05-2010 09-2010 01-2011 05-2011 09-2011 01-2012 05-2012 09-2012 01-2013 05-2013 09-2013 01-2014 05-2014 09-2014 01-2015 05-2015 09-2015 01-2016 05-2016 09-2016 01-2017 05-2017 09-2017 01-2018 05-2018 09-2018 01-2019 05-2019 09-2019 01-2020 05-2020 09-2020 01-2021 05-2021 09-2021 01-2022 05-2022 09-2022 01-2023 05-2023 09-2023 01-2024 05-2024 180.000 160.000 140.000 120.000 100.000 80.000 60.000 Avec la simulation de basculement des exclus du chômage vers le RIS, on serait à 3,43% de cette population d’âge actif. Outre l’impact sur les dépenses des communes, cette mesure poserait aussi des défis organisationnels et logistiques : personnel supplémentaire, investissement dans du matériel pour accompagner l’augmentation des usagers, etc. Dans les grandes villes (celles qui, numériquement, seront le plus impactées par la limitation), un travailleur social de première ligne d’un CPAS gère en permanence 80 à 100 dossiers. Comment donc suivre l’afflux massif de nouveaux bénéficiaires et faire en sorte que personne ne disparaisse des radars ? 46 LES DEMANDEURS D’EMPLOI PLUS EXPOSÉS AU RISQUE DE PAUVRETÉ —Une limitation des allocations de chômage dans le temps ignore le fait que 4 demandeurs d’emploi sur 10 vivent dans la pauvreté. Une politique qui viserait à aggraver leur situation est une politique cynique. En Belgique, le taux de pauvreté est de 12,3%. Plus précisément, cela signifie que 12,3% de la population vit dans un ménage dont le revenu est inférieur à 1.450 euros nets par mois pour une personne seule ou à 3.045 euros nets par mois pour un ménage composé de deux adultes et de deux enfants (1 an) sont nombreuses. N Parmi les travailleurs invalides, 30.910 personnes sont retournées vers l’emploi ou le chômage en 2023 (et 23.907 sont parties à la retraite). N Tout en étant reconnu en invalidé, 78.572 travailleurs ont repris une activité, suite à une autorisation du médecin conseil, à temps partiel en 2023 (soit 15,95% des invalides). Ce pourcentage est en augmentation constante. Travailleurs malades longue durée qui reprennent une activité à temps partiel Source : INAMI 11,42% 2017 15,95% 2023 63 Le nombre de malades de longue durée qui entament volontairement un programme de formation via le VDAB ou le FOREM augmente également, passant de 5.612 en 2022 à 6.981 en 2023. Pour 2024, on constate que les chiffres des premiers mois sont presque deux fois plus élevés que ceux du premier semestre 2023. En 2022, la procédure de réintégration a été modifiée. Jusqu’en 2022, les entreprises ne pouvaient proposer à leurs employés malades de longue durée qu’un parcours de réintégration, qui conduisait parfois à un travail aménagé, et le licenciement n’avait lieu qu’en cas d’échec du parcours. Depuis 2022, deux voies existent : la procédure de réintégration ou la procédure de licenciement pour cause de force majeure médicale. Les derniers chiffres du SPF Emploi montrent qu’en 2023, sur les quelque 22.800 travailleurs malades de longue durée appelés à reprendre le travail, à peine 18% d’entre eux avaient entamé une procédure de réintégration pour retrouver un travail adapté au sein de leur entreprise. Plus de 80% d’entre eux ont été licenciés pour cause de « force majeure médicale ». Le nombre élevé de malades de longue durée est donc en grande partie dû au manque de volonté des employeurs de les réintégrer dans l’entreprise. 64 LE TÉLÉTRAVAIL STRUCTUREL ET SES IMPACTS —En 2023, le Service Public Fédéral Mobilité et Transports a mené une enquête sur le télétravail en Belgique. Il ressort de cette enquête qu’en 2018, 17% des Belges télétravaillaient au moins un jour par semaine. En 2022, ce pourcentage s’élevait à 32%. Soulignons d’emblée, que le télétravail n’est pas accessible à tous les travailleurs. Certains métiers exigent une présence physique sur le lieu de travail. Cela crée des nouvelles inégalités. Cette nouvelle réalité a des impacts en termes d’environnement et de mobilité, notamment. Le SPF estime que cela représente une économie de 36 millions de kilomètres par jour pour les déplacements domicile-lieu de travail qui ne sont pas effectués par les télétravailleurs en 2023. Salariés qui travaillent parfois ou habituellement à domicile En % des salariés Source : Statbel 40% 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 65 Les données de l’enquête montrent que la proportion de télétravailleurs progresse à mesure que la distance entre le domicile et le lieu de travail augmente. Au-delà de 50 km, plus de la moitié des répondants télétravaillent au moins un jour par semaine. Le SPF dit que, en principe, le télétravail réduit le trafic sur les routes, cause moins de nuisances sonores et moins de pollution atmosphérique, surtout en ville. Moins de kilomètres est synonyme de moins d’accidents. Le télétravail est également bénéfique pour la mobilité puisqu’il permet d’étaler certains déplacements sur la journée ou la semaine. Mais pour certains travailleurs, le télétravail rend plus difficile la séparation entre vie professionnelle et vie privée. De plus, il peut conduire à un manque de contact social et rendre la communication avec les collègues plus difficile. Télétravailleurs selon la distance domicile-travail En % des télétravailleurs Source : SPF Mobilité et transport 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 0-5 km 6-25 km 26-50 km 51-75 km >75 km 66 La mise en concurrence des travailleurs doit s’arrêter. Les formes d’emploi précaires et flexibles qui permettent aux employeurs de payer moins de cotisations sociales ont des répercussions sur le financement de la sécurité sociale et des services publics ainsi que sur la santé des travailleurs. Donc sur l’ensemble de la société. Afin d’améliorer la qualité des emplois et de réussir la transition vers une économie encore plus digitalisée, les investissements des employeurs dans la formation professionnelle des travailleurs sont indispensables. Ils doivent par ailleurs garder un caractère obligatoire et individualisé pour faire évoluer les compétences et/ou pour en développer de nouvelles. De plus, lorsque les technologies émergentes font partie de la vie quotidienne des travailleurs au sein de l’entreprise, elles doivent faire l’objet d’un dialogue social. D’un point de vue syndical, il faut s’approprier le thème de l’I.A. et développer le dialogue social autour de ce thème. Ceci nécessite que les employeurs mettent tout en œuvre afin que les travailleurs comprennent de quelle manière l’I.A. impacte leur travail. Pour garantir que le travail protège de la pauvreté, il doit assurer stabilité et revenu régulier décent. C’est pourquoi nous revendiquons des contrats à durée indéterminée et la possibilité de négocier des augmentations de salaire. En outre, l’accès à la formation, la création d’infrastructures publiques et collectives dédiées à la garde des enfants et de services d’accueil (garde d’enfants malades, accueil extrascolaire…) à prix abordables sont des leviers pour assurer l’accès à l’emploi à tous les citoyens. La limitation dans le temps des allocations de chômage est une mauvaise idée. Elle n’est pas un outil efficace pour activer les travailleurs, et affaiblit plus encore un groupe déjà vulnérable. REVENDICATIONS 67 Notre sécurité sociale tient encore debout. On ne répétera jamais assez l’importance qu’elle a eue lors des dernières crises. Elle en a été le principal amortisseur à plusieurs niveaux : non seulement elle a fourni à toutes et tous des soins de santé abordables et de qualité lors du Covid-19, mais le système de chômage temporaire mis en place a sauvé des dizaines de milliers d’emplois. Pourtant, malgré son efficacité maintes fois démontrée, ce système de sécurité sociale est soumis à de fortes pressions. Cette pression s’accroît depuis le début des années 90, surtout sur le plan financier. Les cotisations patronales sont systématiquement en baisse, tantôt à cause de diminutions du taux, tantôt par la mise en oeuvre de nouvelles formes de diminution des cotisations patronales. En outre, de plus en plus de rémunérations évoluent vers des formes alternatives de rémunération sur lesquelles les cotisations sociales sont moindres, voire inexistantes. Résultat : les pouvoirs publics doivent intervenir de plus en plus pour combler ces diminutions de recettes. Et par conséquent la sécurité sociale entre en ligne de compte lorsque, sous la pression européenne, le budget du gouvernement doit être réorganisé. À la FGTB, nous disons : « rétablissez les cotisations patronales, évaluez l’efficacité de toutes ces réductions. Veillez à ce que tout le monde contribue. » Mais la pression ne vient pas seulement du côté des revenus. Sur le plan politique, tout est mis en œuvre pour éroder les droits acquis des travailleuses et des travailleurs en matière de chômage et d’indemnités de maladie notamment. Tout cela sous le couvert d’économies et d’un gouvernement prétendument « efficace ». 3 SÉCURITÉ SOCIALE 68 LE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE PRÉSENTE DES FUITES —La principale source de revenus de la sécurité sociale est constituée des cotisations des travailleurs et des employeurs. Une partie du salaire brut — dans la plupart des cas, 13,07% — est affectée à la sécurité sociale. L’employeur verse une cotisation supplémentaire : la cotisation patronale. Toutefois, cette part a systématiquement diminué au cours des dernières décennies. Alors qu’à la fin des années 1990, les cotisations patronales représentaient encore environ 34% de la masse salariale, elles sont aujourd’hui 10% plus basses (soit 24%). Cette baisse est le résultat d’une série d’exemptions et du fameux tax shift du gouvernement Michel en 2014. Baisse des cotisations patronales de sécurité sociale Source : Bureau Fédéral du Plan, Prévisions à moyen et long terme 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 35% 30% 25% 20% 15% 10% — Cotisations patronales (en % de la masse salariale) — Cotisations des travailleurs (en % de la masse salariale) 69 Le budget de la sécurité sociale a été dilué ces dernières années. Dans le passé, lorsque les cotisations sociales diminuaient, une solution politique était recherchée en prévoyant un financement alternatif concluant (via la TVA et le précompte mobilier, par exemple). Le gouvernement Michel a supprimé ce principe en finançant insuffisamment le tax shift. Résultat : les cotisations sociales ont diminué, mais les nouvelles recettes ont été insuffisantes. Dès lors, via la dotation d’équilibre — un mécanisme destiné à couvrir des déficits temporaires limités — le gouvernement a dû combler des milliards. Par conséquent, la dotation d’équilibre sert principalement à financer un ensemble de mesures de soutien aux entreprises. Le déficit structurel du financement de la sécurité sociale doit être résolu, car il rend notre sécurité sociale politiquement vulnérable. Contribution aux revenus de la sécurité sociale En % des revenus totaux, régime salariés Source : ONSS 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Autres (transferts externes, investissements, fraude sociale, …) Financement alternatif Dotation d’équilibre Subventions publiques (hors allocation d’équilibre) Cotisations (salariés et employeurs) € 1995 2024 70 En revanche, si l’on visualise les aides et les réductions de cotisations accordées aux entreprises, celles-ci sont en hausse constante. L’aide aux entreprises, tant par le biais de la fiscalité (subventions salariales) que de la sécurité sociale (réductions des cotisations patronales), s’élève à plus de 15 milliards d’euros par an. Il convient de souligner le rôle joué par le tax shift. Depuis 2015, il a été omniprésent, avec une augmentation substantielle de l’aide chaque année. 71 Réduction de cotisations à la sécurité sociale et subsides salariaux au profit des entreprises En millions Source : BfP, Prévisions à moyen et long terme, juin 2024 – Mise en graphique Minerva 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 16.000 € 14.000 € 12.000 € 10.000 € 8.000 € 6.000 € 4.000 € 2.000 € 0 € Subsides spécifiques aux secteurs Subsides généraux Recherche et développement (entreprise) Heures supplémentaires Subsides pour le travail de nuit et en équipe Subsides salariaux pour les groupes cibles dans les régions Subsides salariaux pour les groupes cibles au fédéral Tax shift Réductions générales hors tax shift 72 L’EFFICACITÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE PEUT ÊTRE AMÉLIORÉE —L’efficacité d’une allocation sociale est déterminée par sa relation avec le seuil de pauvreté. En effet, une allocation sociale doit permettre aux bénéficiaires de disposer d’un revenu digne sans tomber dans la pauvreté. Les derniers chiffres montrent que l’efficacité (ou l’adéquation) des allocations minimales s’est améliorée ces dernières années. Un effort a été fait en particulier pour les personnes âgées en augmentant les pensions minimales et en portant la garantie de revenu (GRAPA) au niveau du seuil de pauvreté pour les personnes seules. Néanmoins, une proportion importante de familles bénéficiant d’allocations minimales doit encore se contenter d’un revenu (très) inférieur au seuil de risque de pauvreté. C’est notamment le cas pour le revenu d’intégration, l’allocation de remplacement du revenu (ARR) et l’assurance chômage. 73 0 20 40 60 80 100 120 Invalidité Allocation de remplacement de revenus Chômage Revenu d’intégration Invalidité Allocation de remplacement de revenus Chômage Revenu d’intégration Pension de retraite Garantie de revenus aux personnes âgées Invalidité Allocation de remplacement de revenus Chômage Revenu d’intégration Pension de retraite Garantie de revenus aux personnes âgées Chômage Revenu d’intégration Couple + enfant Couple sans enfant Isolé sans enfant Famille monoparentale Efficacité des allocations sociales minimales : insuffisantes En % du seuil de pauvreté Source : SPF sécurité sociale — 2024 — 2020 Seuil de pauvreté 74 LES ADAPTATIONS DES ALLOCATIONS SOCIALES SONT ESSENTIELLES POUR GARANTIR L’EFFICACITÉ DES PRESTATIONS —Les allocations sociales doivent être augmentées au-delà de l’indexation. C’est ce que l’on appelle « la liaison au bien-être » des allocations. Ce sont les interlocuteurs sociaux qui, depuis 2008, décident tous les deux ans des allocations qui seront augmentées et de leur montant. Sans l’adaptation de l’enveloppe bien-être, l’évolution des allocations seraient nettement inférieures à l’évolution des salaires et se situeraient en dessous du seuil de pauvreté (+/- 1.500 euros pour un isolé). Le graphique ci-contre montre la différence entre trois types d’allocations, avec et sans ajustement de l’aide sociale via l’enveloppe bien-être, pour les isolés. Les allocations de chômage seraient inférieures de 20% à ce qu’elles sont aujourd’hui, la pension minimale de 17% et les allocations de maladie de 16%. Prestations avec ou sans liaison bien-être Isolés Source : ONEM, calculs propres 1.800 € 1.600 € 1.400 € 1.200 € 1.000 € 800 € 600 € 400 € 200 € 0 € Pension min. garantie Incapacité de travail min. (travailleur régulier) Chômage min. g Montants mai 2024 g Montants sans liaison au bien-être Seuil de pauvreté 75 L’ASSURANCE CHÔMAGE, DE MOINS EN MOINS UNE ASSURANCE —Seule la moitié des demandeurs d’emploi perçoit effectivement des allocations. Autrement dit, ’assurance chômage n’est plus une assurance pour près de la moitié des demandeurs d’emploi. Le nombre de demandeurs d’emploi indemnisés a fortement diminué au cours des 15 dernières années. La forte création d’emplois en est la principale raison. Toutefois, une évolution tout aussi importante s’est produite chez les demandeurs d’emploi non indemnisés. Le renforcement de la durée d’insertion professionnelle des jeunes et la politique plus stricte en matière de sanctions en sont les principales raisons ainsi que la multiplication des petits contrats (interim, CDD, etc.). Niveau record du nombre de demandeurs d’emploi non indemnisés Source : ONEM — Chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi — Demandeurs d’emploi non indemnisés 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 700.000 600.000 500.000 400.000 300.000 200.000 100.000 76 N Reboucher les trous dans le financement de la sécurité sociale. Évaluer toutes les réductions de cotisations patronales qui ont été accordées au cours des dernières décennies. Les supprimer si leur efficacité n’a pas été prouvée, comme l’exonération pour une première embauche. N Limiter les (fausses) sociétés de gestion, afin que les employeurs payent des cotisations de sécurité sociale sur ces dizaines de milliers d’emplois. N Traiter les formes alternatives de rémunération de la même manière (para) fiscale qu’un salaire régulier. N L’adaptation au bien-être des allocations sociales est essentielle pour garantir le caractère assurantiel de celles-ci contre la pauvreté. L’enveloppe bien-être doit être allouée en totalité. Couper dans l’enveloppe bien-être ne ferait qu’aggraver la baisse déjà considérable des revenus en cas de maladie, de chômage temporaire et la pension. REVENDICATIONS 77 Le dogme de l’austérité est à nouveau au centre des préoccupations de nombreux chefs de gouvernement. Une réforme des règles budgétaires prévoit qu’à partir de 2025, de nombreux États membres de l’Union européenne devront serrer le frein budgétaire, avec toutes les conséquences négatives que cela implique pour l’économie européenne. Nos finances publiques doivent être assainies, mais ce n’est qu’en rétablissant notre système fiscal et en mettant tout le monde à contribution que nous pourrons redresser nos budgets. Pas en appauvrissant les gens et en les privant de services publics efficaces et de soins de santé de qualité. 4 FINANCES PUBLIQUES € 78 LE CADRE BUDGÉTAIRE EUROPÉEN NÉGLIGE DES INVESTISSEMENTS ESSENTIELS —Les économies européennes ont besoin de milliards d’investissements dans les années à venir. Les transitions en matière de climat, d’énergie et de technologie nécessiteront des milliards d’euros. Que propose l’Europe à la place de ces investissements nécessaires ? Une nouvelle campagne d’austérité budgétaire. Cette année, les règles budgétaires européennes ont été renforcées : les États membres devront réduire drastiquement leurs déficits budgétaires et accélérer le désendettement dans un délai et à un rythme imposé. L’impact de ces mesures se fait sentir en Belgique (effort budgétaire requis de 28 milliards d’euros) mais aussi dans certains grands États membres. Au total, plus de 430 milliards d’euros devront être comblés entre 2025 et 2031. Il ne fait aucun doute que cela aura un impact négatif sur la croissance économique, mais aussi sur le potentiel, sur la compétitivité de l’économie européenne. La Belgique se classe en deuxième position si l’on considère l’effort à faire par habitant. Effort par habitant Total période 2025-2031 Source : Commission Européenne, trajets de référence sur 7 ans, calculs propres Finlande Belgique France Italie Slovaquie Autriche Espagne Roumanie Pologne Hongrie Slovénie Grèce Portugal Allemagne 3.000 € 2.500 € 2.000 € 1.500 € 1.000 € 500 € 0 € 79 Des économies alors que des milliards d’investissements sont nécessaires. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’Allemagne, traditionnel moteur économique de l’Europe, a considérablement baissé ses investissements publics et que, selon les économistes, c’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’économie allemande ne se porte pas bien actuellement. Le modèle d’austérité que l’Allemagne a imposé au reste de l’Europe ces dernières années revient comme un boomerang. Investissements publics En % PIB en 2025 Source : Ameco, calculs propres Estonie Lettonie Croatie Slovénie Pologne Suède Tchèquie Luxembourg Roumanie Hongrie Finlande Slovaquie Grèce France Malte Lituanie Union Européenne Chypre Bulgarie Italie Zone euro ‑19 pays Portugal Autriche Danemark Pays-Bas Espagne Belgique Allemagne Irlande 7% 6% 5% 4% 3% 2% 1% 0% 80 Mais qu’en est-il de la dette nationale ? N’est-elle pas trop élevée ? Le gouvernement est un acteur économique important qui, comme les familles et les entreprises, doit pouvoir s’endetter. La viabilité de la dette ne dépend pas d’un pourcentage arbitraire, mais dépend de la croissance économique et de la richesse générée. Une étude du FMI montre que les opérations d’austérité menées dans un certain nombre de pays au cours des 30 dernières années n’ont jamais conduit à une diminution de la dette, mais à une augmentation, parce qu’elles ont paralysé la croissance économique. La dette publique s’élève à 105% du PIB. Cette dette est principalement apparue il y a 40 ans : entre 1979 et 1983, le taux d’endettement est passé de 66,6% à 106,8%, soit une augmentation de plus de 40%. La Belgique a enregistré des déficits budgétaires élevés au moment où les taux d’intérêt internationaux atteignaient des niveaux historiquement élevés. Depuis lors, le taux d’endettement de la Belgique n’est jamais retombé à son niveau d’avant 1980 malgré une politique budgétaire saine. La Belgique a affiché des excédents budgétaires continus de 1985 à 2009. Après une brève baisse (suite à la crise financière), la Belgique a de nouveau enregistré des excédents budgétaires jusqu’en 2019 (pré-Covid). Le mythe selon lequel le gouvernement belge dépensait sans compter n’est donc pas réel. Au cours des deux dernières décennies, la dette publique de la Belgique a augmenté en raison de la crise financière et du covid-19. Le gouvernement a joué son rôle d’amortisseur. Il n’y a donc pas lieu de céder à une panique aveugle. Nous devons éviter d’augmenter nos déficits primaires (déficits sans charges d’intérêts) dans le budget. Cela peut être évité en rendant enfin notre système fiscal équitable et en s’attaquant aux fuites dans les recettes de la sécurité sociale (voir chapitre 3). Dette publique belge 1940 – 2023 En % du PIB Source : Ameco (1980-2024) et finances publiques (André De Coster) pour 1940‑1980 140% 120% 100% 80% 60% 40% 1940 1943 1946 1949 1952 1955 1958 1961 1964 1967 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009 2012 2015 2018 2021 Deux chocs pétroliers ‘73 et ‘79 Crise financière : le sauvetage des banques COVID-19 : mesures d’aide Guerre en Ukraine 81 ASSURER UNE FISCALITÉ ÉQUITABLE —La fiscalité doit être rééquilibrée. Toutes les institutions internationales indiquent que le travail est trop lourdement taxé et le capital trop peu. Il faut donc travailler sur un impôt sur le patrimoine et les plus-values. L’inégalité des richesses a été gravement sous-estimée jusqu’à présent. Les 1% des Belges les plus riches possèdent environ 24% de la richesse nette (c’est‑à‑dire après endettement), soit autant que les 75% les plus pauvres réunis. Chaque individu faisant partie des 1% les plus riches dispose d’un patrimoine minimum de 4,8 millions d’euros. Celles et ceux qui disposent d’un patrimoine supérieur à 1,1 million d’euros font partie des 10% les plus riches de Belgique. Ces 10% les plus riches possèdent 54% de la richesse totale. Les chiffres de la Banque nationale montrent que ces 10% de Belges les plus riches possèdent environ 29% des habitations et 79% des actions. Nous pouvons écrémer cette richesse avec un impôt sur la fortune. La FGTB le préconise depuis des années et opte pour une contribution progressive : 0,5% à partir d’un patrimoine net d’un million d’euros (sans tenir compte de l’habitation propre), puis 2% à partir d’un patrimoine net de 10 millions d’euros, par exemple. Selon les simulations, une taxe de 1% sur les patrimoines supérieurs à 5 millions d’euros pourrait rapporter environ 6 milliards d’euros par an. Inégalité du patrimoine : les 1% les plus riches possèdent 25% des richesses totales Source : A one-off wealth tax for Belgium : 2 Revenue potential, distributional impact, and environmental effects, Arthur Apostel and Daniel W. O’Neill 50% 40% 30% 20% 10% 0% 4,5 Mio 4,0 Mio 3,5 Mio 3,0 Mio 2,5 Mio 2,0 Mio 1,5 Mio 1,0 Mio 1% les + riches 5% les + riches 10% les + riches g Part de la richesse totale (en %, échelle à gauche) — Richesse minima nette (en millions d’euros, échelle à droite) 82 Comme indiqué plus haut, le fait de posséder des actions est un élément majeur de l’inégalité des richesses : 79% de la valeur des sociétés cotées en bourse est détenue par les 10% les plus riches de notre société. Il est donc faux de prétendre qu’un impôt sur les plus-values des actions ferait peser une charge fiscale supplémentaire sur la classe moyenne. Il s’agit bien d’un impôt sur la fortune. Des simulations effectuées par le Bureau du Plan dans le cadre des programmes électoraux montrent qu’une taxe de 30% sur les plus-values pourrait rapporter 2,9 milliards. Sachant que la Belgique est l’un des rares pays à ne pas avoir de taxe sur les plus-values des actions, c’est presque une évidence. Actionnariat En total de la valeur des actions côtées en Bourse Source : BNB 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 10% les + riches Décile 9 Décile 8 Décile 7 Décile 6 50% des revenus les + bas 83 Les salaires belges ont un taux de taxation 50% plus élevés que les revenus du capital. Or, en Belgique, le déséquilibre est énorme. Les revenus du travail sont taxés plus de 50% plus lourdement que les revenus du capital (dividendes et plus-values). De tous les pays de l’OCDE, la Belgique est celui qui présente le plus grand déséquilibre à cet égard. Les salaires belges ont un taux de taxation 50% plus élevés que les revenus du capital Différence entre les taux de taxation (en pourcentage) effectif individuels des revenus du travail et des profits financiers Source : OCDE 40% 20% 0% Belgique Luxembourg Turquie Suisse Nouv.‑Zélande Corée Slovénie Slovaquie Grèce Canada Rép. tchèque Royaume‑Uni Lituanie Australie France Israël Italie Islande Hongrie Japon Portugal Allemagne Suède Finlande Mexico USA Espagne Autriche Irlande Pologne Norvège Chili Lettonie Danemark Costa Rica Estonie Colombie 84 Un problème majeur se pose à l’échelle mondiale. Les richesses sont de plus en plus concentrées au sommet. Les documents de recherche communiqués au G20 (les principales nations industrielles) en juin 2024 montrent que les ultra-riches (environ 3.000 milliardaires dans le monde) contrôlent près de 14% de l’ensemble des richesses. Il y a vingt-cinq ans, ce pourcentage était de 6%. Explosion des richesses des plus riches Richesses du top 0,0001% dans le monde en pourcentage du PIB mondial Source : G. Zucman (juni 2024) A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals 1985 1990 2000 2005 2010 2015 2020 2025 14% 12% 10% 8% 6% 4% 2% Entre 1987 et 2024, la croissance réelle de la richesse du top 0,0001% a été de +7,1% par an. Le revenu moyen des adultes a augmenté de 1,3% par an. 85 Le nouveau cadre budgétaire européen met à rude épreuve la croissance durable et le progrès social. Il doit être suspendu et réformé en profondeur. Il doit y avoir plus de place pour l’investissement public. Les dépenses sociales doivent être reconnues comme un facteur important de stabilité et de croissance économiques. Afin de permettre davantage d’investissements publics, un financement commun devrait être fourni au niveau européen par le biais d’un nouveau Fonds européen d’investissement (successeur du Fonds pour la reprise et la résilience). Celui‑ci devrait être financée par des prêts au niveau européen. Un impôt sur la fortune constitué d’un apport croissant : 0,5% à partir d’un capital net de 1 million d’euros (hors logement familial), augmentant progressivement à 2% à partir d’un capital net de 10 millions d’euros. Des simulations montrent qu’un impôt de 1% sur les actifs supérieurs à 5 millions d’euros peut générer environ 6 milliards d’euros par an. L’instauration d’un impôt sur les plus-values de 30% sur les produits financiers et sur les cryptomonnaies. REVENDICATIONS 86 Pour la FGTB, la transition climatique doit être une transition juste* autrement dit, elle ne doit pas accentuer les inégalités, ce qui risque d’arriver si la dimension sociale n’est pas prise en compte dans ce débat. Pour assurer une transition juste au service de l’ensemble de la société, nous revendiquons des investissements publics qui vont permettre cette transition. En outre, les réflexions sur une politique industrielle sont intimement liées à celles sur la transition climatique. Celle-ci ne sera réalisable qu’avec un dialogue social et une participation des travailleurs. Les compétences des travailleurs (d’aujourd’hui et de demain) sont un enjeu majeur pour une transition réussie. Or, la fuite des industries hors d’Europe entraine la disparition du know-how des travailleurs. Les employeurs doivent prendre des mesures afin de former et/ou assurer des reconversions. * Définition OIT : « Une transition juste signifie rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi juste et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne à l’écart. Une transition juste implique de maximiser les opportunités sociales et économiques de l’action climatique, tout en minimisant et en gérant les défis — notamment grâce à un dialogue social efficace parmi tous les groupes concernés, et le respect des principes et droits fondamentaux du travail. » 5 TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET POLITIQUE INDUSTRIELLE 87 LA BELGIQUE N’ATTEINDRA PAS SES OBJECTIFS CLIMATIQUES —La principale cause du réchauffement climatique est l’activité humaine (transport routier, agriculture, industrie, déforestation, etc.). En 2013, le GIEC a conclu que le réchauffement du système climatique ne fait aucun doute et que ce réchauffement est grandement lié aux émissions de gaz à effet de serre. Les signaux les plus évidents du réchauffement climatique sont les vagues de chaleur extrêmes, des épisodes de sécheresse et des inondations dévastatrices. Les conséquences affectent plusieurs domaines de la société : la biodiversité, la santé, l’économie, l’énergie, etc. La Belgique commence aussi à en sentir les effets (inondations, périodes de canicules, etc.). Afin de contenir la hausse des températures, l’Europe a décidé de poursuivre plusieurs objectifs climatiques et énergétiques pour 2030 : 1. Un objectif de réduction contraignant pour l’UE d’au moins 55% (par rapport à 1990) des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire de l’UE, réparti entre un objectif européen pour les secteurs relevant de l’ETS (Émissions Trading System càd le système européen d’échange de quotas d’émissions) et des objectifs nationaux contraignants pour les secteurs non-ETS (comprenant principalement le transport, les bâtiments et l’agriculture). 2. Au niveau européen, un accord politique a été conclu en faveur d’un objectif global de l’UE d’au moins 42,5% d’énergies renouvelables d’ici 2030. 3. Un objectif de réduction obligatoire pour les états membres d’au moins 1,49% par an en ce qui concerne l’utilisation de l’énergie pour 2024-2030. 4. Un objectif d’interconnexion (liaison entre des réseaux électriques de différents pays) de 15% dans le secteur de l’électricité. 88 Où en est la Belgique ? Selon les hypothèses du Bureau fédéral du Plan, la Belgique n’atteindra pas globalement les objectifs européens. Indicateurs sur les objectifs européens (horizon 2030) Source : Bureau fédéral du plan Réalisations Objectifs Réductions d’émissions dans les secteurs SER (par rapport à 2005) -32% -47% Part des énergies renouvelables 24,1% 34% Consommation finale d’énergie (par rapport à REF 2020) -7,9% -11,7% Dans le cadre des objectifs européens climat-énergie 2030, la Belgique s’est vu attribuer un objectif de réduction de 47% en 2030 par rapport à 2005, pour les émissions de gaz à effet de serre des secteurs non couverts par le système européen d’échange de droits d’émissions (secteurs dit « non-ETS »). Les secteurs non-ETS affichent une tendance à la baisse de leurs émissions, mais ne parviennent qu’à une réduction de 32% des émissions entre 2005 et 2030, ce qui est inférieur à l’objectif européen » (objectif = 47%). En ce qui concerne la part des énergies renouvelables, sur base de la compilation des projections des différentes entités, la part d’énergie renouvelable s’élève à 24,1% en 2030. La Belgique n’atteint pas l’objectif de 34%. Pour ce qui est de la consommation finale d’énergie, la Belgique doit la réduire de 11,7% par rapport à 2020. Selon les projections du Bureau fédéral du Plan, la Belgique n’atteindra pas cet objectif. 89 POLITIQUE INDUSTRIELLE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE : UN DUO POSSIBLE ? —Une politique industrielle et d’innovation efficace est essentielle pour maintenir les secteurs stratégiques en Europe. Cela est possible en se concentrant simultanément sur la durabilité, l’augmentation de la productivité et le renforcement de l’inclusion sociale. Ce faisant, nous devons jouer sur nos points forts, tels que : la haute qualification des travailleurs, les produits de qualité et les points forts (dialogue social, présence d’autorités bien développées). La transition écologique (durabilité) et le renouvellement de la politique industrielle vont de pair. La valeur ajoutée de l’industrie dans l’économie belge ne cesse d’augmenter. En revanche, il y a une baisse de l’emploi. Alors qu’en 1995, l’industrie représentait encore 18,6% de l’emploi, en 2023, sa part n’était plus que de 11%. Indice de la production industrielle Évolution en volume de la valeur ajoutée (2021 = 100) Source : Statbel 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 110 100 90 80 70 60 50 (2021=100) 90 Cependant, il y a des nuances à apporter. L’industrie connaît un fort mouvement d’externalisation : les emplois dans le nettoyage et l’administration, mais aussi les emplois techniques sont sous-traités vers des entreprises externes. Ces entreprises se retrouvent dans le secteur des services, il y a donc aussi un biais statistique. Dans l’ensemble, le nombre d’emplois ne diminue pas, principalement en raison de niveaux de scolarité plus élevés et de gains de productivité élevés. Enfin, on peut dire que le nombre d’emplois dans le secteur des services qui dépendent de l’industrie est devenu très important. Évolution de l’emploi par secteur En milliers d’emplois, entre 1995, entre 1995 et 2023 Source : Statbel 0 500 1.000 1.500 2.000 2.500 3.000 3.500 4.000 Services Industrie Construction Agriculture, foresterie & pêche g 1995 g 2023 91 L’Europe devra trouver une réponse aux conditions de concurrence inégales : d’un côté, une production massivement subventionnée en provenance d’Asie et de l’autre une économie américaine qui fonctionne avec de l’énergie bon marché. En Europe, les prix de l’énergie sont plus élevés que dans les autres parties du monde. Aux USA, les prix sont plus bas grâce à la plus grande présence de gaz naturel. En Europe, étant donné que le prix de l’électricité est lié à l’évolution du prix du gaz, les prix de l’électricité sont plus élevés qu’aux États-Unis. Toutefois en Belgique, contrairement aux discours patronaux, une étude indépendante des 4 régulateurs du marché de l’énergie stipule qu’en 2024, tous les profils industriels (électro-intensifs et non électro-intensifs) ont un avantage compétitif sur le prix de l’électricité en Belgique par rapport aux pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas, UK). Différence de coût pondéré de l’énergie (Électricité et gaz) entre les régions de Belgique et la moyenne des coûts dans les pays voisins (y compris le Royaume-Unis), pour les entreprises électro-intensives et non électro-intensives* * Le terme « électro-intensifs » désigne des entreprises dont l’activité nécessite une consommation importante d’électricité. Les électro-intensifs sont principalement concentrés dans quelques secteurs industriels parmi lesquels : l’industrie du papier-carton, la chimie, la sidérurgie, le verre, le ciment, etc. Source : CREG Flandre Wallonie Bruxelles 5% 0% -5% -10% 15% -20% -25% g Non électro-intensif g Électro-intensif Désavantage compétitif Avantage compétitif r s Raffinage Chimie Pharmacie Métal Raffinage Chimie Pharmacie Métal Raffinage Chimie Pharmacie Métal 92 La politique industrielle doit être un levier pour la transition en favorisant une industrie durable, orientée vers l’avenir. En effet, l’industrie est une source directe et indirecte importante d’activité économique et d’emploi dans d’autres secteurs (via la sous-traitance). Pour une industrie prospère, les entreprises doivent investir dans l’innovation et la productivité dans le secteur. La politique de recherche et développement joue donc un rôle central dans la politique industrielle et celle-ci doit être stimulée dans tous les secteurs. 93 LES INVESTISSEMENTS STRATÉGIQUES EN BELGIQUE —Dans le cadre du Pacte national d’investissements stratégiques, un groupe d’experts indépendants a évalué les besoins en investissements stratégiques en Belgique à l’horizon 2030. Ces besoins couvrent six domaines dont l’énergie et la mobilité. Le besoin en investissement s’élève à 84 milliards d’euros, dont 56 milliards d’investissements privés et 28 milliards publics. Ce dernier montant correspond à l’effort budgétaire que la Belgique doit faire selon les nouvelles règles budgétaires européennes. Besoins d’investissements stratégiques en Belgique Jusqu’en 2030, par domaine, en milliards d’euros Source : climat.be 0 5 10 15 20 25 Autres mobilité (solutions de mobilité intelligente, gestion, cadre de soutien) Construire et entretenir des réseaux de transport et des services de transport intégrés Autres énergies (déploiement carburants alternatifs, démantèlement nucléaire) Renforcer les réseaux énergétiques Sécurité d’approvisionnement de l’énergie + développement des énergies renouvelables + développement de stockage Rénovation complète des bâtiments gouvernementaux g Privé g Public 94 L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE, UNE ÉCONOMIE TOURNÉE VERS L’AVENIR —L’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire qui se débarrasse des produits et matériaux en fin de vie économique. La transformation de notre économie d’un modèle linéaire vers un modèle circulaire permet de réaliser des économies, de mettre en œuvre une utilisation plus efficace des ressources, de générer des emplois (en partie non délocalisables), et de réduire l’impact de la production et consommation sur l’environnement. L’augmentation du taux de circularité* de l’utilisation des matériaux réduit donc la pression sur les ressources naturelles et, par conséquent, l’impact sur l’environnement et le climat. En Europe, les taux varient considérablement d’un pays à l’autre. Notre pays se situe dans le peloton de tête de l’UE. Ce taux est en croissance depuis 10 ans, en passant de 17% en 2013, à 22,2% en 2022. Cela signifie que 22,2% de tous les matériaux utilisés dans l’économie belge sont des déchets recyclés. Notre pays est en bonne voie pour atteindre l’objectif de l’UE d’ici 2030 qui est de 23,4%. * Le taux de circularité de l’utilisation des matériaux reflète la proportion de déchets recyclés par rapport à la quantité totale de matériaux utilisés. 95 Taux de circularité de l’utilisation des matériaux (2022) Source : Eurostat 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% Pays-Bas Belgique France Italie Estonie Malte Autriche Allemagne Tchéquie UE ‑27 pays (àpd 2020) Slovénie Slovaquie Pologne Hongrie Danemark Espagne Suède Croatie Lettonie Luxembourg Bulgarie Lituanie Chypre Grèce Portugal Irlande Roumanie 96 L’économie circulaire a des implications multidimensionnelles (environnementales, économiques, industrielles, technologiques, etc.) mais aussi sociales, trop peu mises en évidence. En effet, le marché du travail et les travailleurs aussi doivent s’y adapter, avec des défis tels que le développement des talents et des compétences, l’apprentissage tout au long de la vie, la diversité ou l’inclusion. Selon la dernière étude de la Fondation Roi Baudoin sur le sujet (2022), en Belgique, 262.000 emplois sont circulaires (7,5% de tous les emplois). Les secteurs du recyclage et de la réparation et l’entretien créent ensemble plus de 80.000 emplois (30% de tous les emplois circulaires). Les autres emplois se retrouvent dans des activités indirectement liées à l’économie circulaire telles que la logistique, la technologie, les administrations publiques, etc. Au niveau mondial, l’économie circulaire devrait générer une augmentation de 3% de l’emploi d’ici 2030. En Europe, on parle de 700.000 emplois sur cette même période. Dans son scénario le plus ambitieux, l’économie circulaire pourrait même créer jusqu’à 100.000 emplois en Belgique d’ici à 2030. € 97 TRANSITION JUSTE ET INÉGALITÉS —Le Haut Comité pour la Transition juste (2024) constate que tout le monde ne contribue pas de la même manière au changement environnemental. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, on observe de grandes disparités entre les ménages en Belgique. Selon des chiffres de la banque de données internationales, World Inequality Database, en Belgique, les 10% de ménages les plus riches émettent plus de 10 fois plus de gaz à effet de serre que les 10% de ménages les plus pauvres. Émissions de CO2/habitant Ménages belges en 2019, en tonnes d’équivalent CO2 Source : Haut Comité pour la Transition Juste 1 2 4 6 8 Déciles de revenus Émissions annuelles de tonnes CO2 par habitant 3 5 7 9 10 50 40 30 20 10 0 98 Une industrie durable, orientée vers l’avenir est nécessaire dans une société prospère. Une économie qui présente une large diversité de secteurs sera plus résiliente et résistante aux chocs. Etant donné que l’industrie est une source indirecte importante d’activité économique et d’emploi dans d’autres secteurs, elle mérite une attention politique spécifique. En outre, la politique de R&D joue donc un rôle central dans la politique industrielle car une industrie qui est à la traîne au niveau technologique et de la productivité, sera toujours en difficulté au niveau mondial. Les autorités (européennes) doivent jouer sans tarder la carte du climat et de la transition énergétique. La dimension sociale doit être au cœur de cette transition, sans quoi les inégalités sociales seront accentuées. Soulignons aussi que cette transition a besoin d’une assise sociétale forte. C’est pourquoi les travailleurs et la concertation sociale doivent jouer un rôle clé dans les processus de changement. Enfin, au vu de l’urgence de la question climatique et environnementale et des perspectives d’avenir pour l’industrie même, il est temps de mettre l’accent sur la circularité et la gestion des matières premières. Le secteur industriel a vu ses bénéfices augmenter ces dernières années, mais ces bénéfices reviennent de plus en plus souvent aux actionnaires, au détriment des investissements nécessaires dans le secteur. Comment l’industrie peut-elle se réorienter si ses capacités d’investissements lui sont enlevées ? REVENDICATIONS 99 Le respect du dialogue social et des libertés syndicales sont un des fondements de la démocratie. Dans ce cadre, le dialogue social, dans les entreprises devra s’enrichir très prochainement de débats sur la durabilité des entreprises. Ces rapports « durabilité » sont bien plus qu’une compilation d’indicateurs sociaux, environnementaux et de gouvernance, ils sont une occasion unique de mener un dialogue social sur l’avenir des entreprises avec les travailleurs, via les conseils d’entreprises. En ce qui concerne les libertés syndicales, celles-ci sont attaquées de toute part, au niveau mondial et national. Nos droits sociaux peuvent sembler définitivement acquis, mais il n’en est rien. Il faut continuer à les défendre. 6 DIALOGUE SOCIAL ET LIBERTÉ SYNDICALE 100 LA DÉMOCRATIE ÉCONOMIQUE PASSE PAR LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES CONSEILS D’ENTREPRISES —Le conseil d’entreprises (CE) est l’organe d’information et de consultation des travailleurs sur les matières économiques liées à l’activité de l’enteprise. L’Arrêté Royal de 1973 fixe les informations qui doivent être transmises au CE pour information et discussion. Chaque année, la direction « organes de participation » du SPF Emploi assure des contrôles du respect de cette législation. Environ 40% des entreprises sont en infraction. Ces infractions prennent des formes diverses : le manque total d’informations ; le non-respect des formes imposées par la loi (absence de documents écrits ou transmission tardive des documents, etc.) ou encore le non-respect du contenu imposé par la loi. De plus, elles peuvent concerner l’information de base, annuelle, périodique ou occasionnelle. Types d’infractions constatées Lors du contrôle de l’information obligatoire dans les conseils d’entreprises (2023) Source : SPF Emploi g Informations de base g Informations annuelles g Informations périodiques g Informations occasionnelles g Confidentialité 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Entreprises en infraction Aucune information fournie Contenu incomplet Exigences de forme non respectées 41% 40% 57% 14% 40% 34% 20% 50% 41% 24% 22% 60% 2% 1% 101 LA DURABILITÉ DES ENTREPRISES, ENCORE UN LONG CHEMIN À PARCOURIR —À partir de 2024, un grand nombre d’entreprises seront tenues de rendre compte de leurs politiques et performances en matière de durabilité. La directive CSRD (directive sur les rapports de durabilité des entreprises) devrait garantir des informations transparentes et de qualité sur la durabilité des entreprises. Les grandes entreprises vont devoir publier des données qui font la transparence sur les risques que leurs activités font peser sur leur environnement, mais aussi sur les risques auxquels elles sont exposées — en ce compris dans leur chaîne de valeur, c’est-àdire au niveau de leurs fournisseurs, et même une fois leurs produits ou services vendus à leurs clients. Selon les chiffres de l’Institut des réviseurs d’entreprises, en Belgique, 2.280 entreprises seront directement concernées par les nouvelles obligations. Ces entreprises représentent 28% de la valeur ajoutée brute de l’économie belge, et emploient 42,6% des travailleurs du pays (plus d’un million). Selon le dernier baromètre annuel des entreprises du bureau d’audit et de conseil financier BDO, 75% des entreprises ne disposent pas (encore) de stratégie globale en matière de durabilité. Alors que l’obligation d’établir des rapports sur la durabilité des entreprises est sur le point d’être imposée aux moyennes et grandes entreprises, pas moins de 40% d’entre elles craignent de ne pas être prêtes à temps. Les rapports « durabilité » Source : groupe audit BDO 25% 75% — Entreprises AVEC une stratégie globale de durabilité — Entreprises SANS une stratégie globale de durabilité 102 LIBERTÉS SYNDICALES —La Confédération Syndicale Internationale publie chaque année son « indice des droits dans le monde ». Un indice qui évalue, par pays, comment les droits et libertés du monde du travail sont respectés ou bafoués. Sont analysés : le respect des droits fondamentaux, des libertés syndicales, le droit d’action des syndicats… Le résultat ? Depuis 11 ans, l’Indice enregistre un net recul des droits des travailleurs et des travailleuses et des libertés syndicales dans toutes les régions du monde. En effet, 87% des pays ne respectent pas le droit de grève, 79% des pays violent le droit à la négociation collective, des travailleurs et travailleuses ont été arrêtés et détenus dans 74 pays, des travailleurs et travailleuses ont subi des violences dans 44 pays, 22 syndicalistes ont été assassinés (Bangladesh, Colombie, Guatemala, Honduras, Philippines, Corée du Sud). Même si l’Europe est traditionnellement la région qui connaît le moins de violations par rapport aux autres parties du monde, c’est aussi la région qui a connu le recul le plus important dans le respect des libertés syndicales. Trois quarts des pays européens ne respectent pas le droit de grève et 54% de ces pays violent le droit à la négociation collective. En ce qui concerne la Belgique, après avoir régressé en quelques années de la catégorie 1 (violations sporadiques des droits) à la catégorie 3 (violation régulière des droits), elle se maintient dans cette catégorie peu glorieuse. Indice des droits syndicaux dans le monde Source : CSI 5+ Aucune garantie des droits à cause de l’effondrement de l’État de droit 5 Aucune garantie des droits 4 Violations systématiques des droits 3 Violations régulières des droits 2 Violations réitérées des droits 1 Violations sporadiques des droits Allemagne Suède Danemark Quatar France Belgique 103 La défense de la démocratie dans les entreprises via le dialogue social est une priorité syndicale. Pas de défense du monde du travail sans dialogue social. Il s’agit d’une composante essentielle de la concertation sociale en Belgique. C’est pourquoi la FGTB continuera à la défendre. Le respect des libertés syndicales, sous toutes ses formes, fait également partie des points d’attention pour les années à venir. REVENDICATIONS Plus d’infos : FGTB Rue Haute 42 | 1000 Bruxelles Tél. +32 2 506 82 11 www.fgtb.be syndicatFGTB Toute reprise ou reproduction totale ou partielle du texte de cette brochure n’est autorisée que moyennant mention explicite des sources. Éditeur responsable : Thierry Bodson © janvier 2025 Deze brochure is ook beschikbaar in het Nederlands : www.abvv.be/publicaties D/2024/1262/40
Dauphin, S. (2023). Le féminisme d’État et les violences de genre en France : avancées et limites de la politique de lutte contre les violences conjugales. Nouvelles Questions Féministes, Vol. 42(1), 101‑116. https://doi.org/10.3917/nqf.421.0101
Le féminisme d’État et les violences de genre en France : avancées et limites de la politique de lutte contre les violences conjugales
Sandrine Dauphin
Depuis #MeToo les mobilisations contre les violences sexistes et sexuelles n’ont cessé de s’étendre. Sujet déclaré grande cause du quinquennat du président de la République française dès 2017, l’attention portée dans les politiques publiques à ces violences précède néanmoins la vague #MeToo. Les travaux français récents sur ces violences ont porté sur l’action des associations féministes (Herman, 2016 ; Delage, 2017) et sur la mesure de l’ampleur du phénomène (Brown et al., 2021) tandis que l’analyse de leur traitement institutionnel demeure peu mobilisée. L’originalité du présent article est ainsi de s’intéresser à l’action publique menée pour lutter contre les violences sexistes, plus particulièrement contre les violences conjugales, et de l’inscrire dans l’analyse du féminisme d’État.
Dans les années 1980, le terme « féminisme d’État » a d’abord été utilisé par des Scandinaves dans le contexte de la social-démocratie pour caractériser la production législative en matière d’égalité des sexes (Nielsen, 1983) et la place des femmes dans les décisions politiques les concernant (Hernes, 1987). L’intérêt pour ce qui peut être qualifié d’action de l’État en faveur de l’égalité des sexes date des années 1990 avec la recherche comparative initiée par Dorothy Mc Bride Stetson et Amy Mazur (1995) sur les institutions gouvernementales et administratives pour l’égalité dans les pays occidentaux. C’est l’ensemble des activités de ces institutions que je regrouperai sous le terme de « féminisme d’État ». L’expression permet de caractériser leur spécificité, à savoir être des institutions qui fonctionnent en collaboration avec les associations féminines et féministes, via les subventions et divers espaces de concertation.
Le féminisme d’État n’a été que peu étudié en France [1]. L’intérêt heuristique de s’intéresser aux structures gouvernementales et administratives qui portent la politique d’égalité est de souligner la dimension stratégique de leur action vis-à-vis d’autres acteurs étatiques (ministères, parlement) ainsi que le rôle essentiel de l’expertise dans leur travail de représentation des femmes (Revillard, 2006). En ciblant une politique en particulier, celle conduite contre les violences conjugales, je pense pouvoir illustrer les difficultés que rencontrent ces structures dans leur mission de promotion de l’égalité des sexes, en saisissant les contraintes qui limitent le périmètre de leur action.
Je m’intéresse au rôle joué par les principales institutions du féminisme d’État, à savoir le Ministère chargé de l’égalité femmes-hommes et son administration, le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE), qui met en place la politique de lutte contre les violences conjugales en France. En adoptant une perspective historique partant de la première campagne nationale de lutte contre les violences conjugales à la fin des années 1980, je tends à montrer pourquoi la perspective féministe est difficilement intégrée dans cette politique malgré les discours des ministres en charge de l’égalité des sexes. Cette difficulté s’explique par deux tensions propres au fonctionnement du féminisme d’État. La première tension est relative à ses moyens d’action qui sont contraints. L’existence même d’un ministère dédié aux droits des femmes fluctue au gré des gouvernements, ce qui ne permet pas d’assurer une réelle continuité. En outre, ses actions sont dépendantes de sa capacité à sensibiliser les autres ministères à l’égalité pour qu’ils y dédient des moyens humains et financiers. La seconde tension porte sur le rapport des institutions du féminisme d’État à la société civile, qui se caractérise par le lien aux associations [2] et leur capacité à être leur relais (Mc Bride Stetson et Mazur, 1995). Or, depuis la fin des années 1990, un discours d’expertise et de professionnalisation des agents du SDFE, soucieux de se distinguer du militantisme, s’est imposé (Dauphin, 2010) qui tend à mettre à distance les associations.
Je mets en lumière ces deux tensions par l’historicisation de la politique de lutte contre les violences conjugales. Je distingue trois temps dans la construction de cette politique : premièrement le temps de la reconnaissance de ces violences comme problème public, qui s’étend de 1989 à 2002 ; deuxièmement, entre 2003 et 2011, le temps des mobilisations autour d’une loi-cadre sur le modèle espagnol ; troisièmement, la dernière décennie (2012 à 2022), le temps de l’intégration dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. L’analyse repose, d’une part, sur l’exploitation des archives du SDFE consacrées aux violences envers les femmes [3] : en sus des documents de nature purement administrative, on y trouve des notes relatives à l’organisation des journées du 8 mars et du 25 novembre, des dossiers de presse, des flyers sur les campagnes de lutte contre les violences faites aux femmes, etc. D’autre part, j’ai analysé les cinq plans d’action contre les violences conjugales ainsi que les textes de loi, débats et travaux parlementaires sur les violences conjugales depuis 2000. Ces analyses ont été complétées par 15 entretiens avec des ministres, élu·e·s, représentant·e·s d’institutions dédiées et d’associations du secteur, dont certain·e·s ont souhaité garder l’anonymat.
1989-2002 – Le temps de la reconnaissance : les violences comme problème public
Un renversement idéologique : la modification du Code pénal
La première campagne de lutte contre les violences conjugales a été lancée en 1989 par la secrétaire d’État aux Droits des femmes socialiste, Michèle André, qui rompt avec le champ d’intervention habituel du ministère. En effet, la précédente ministre des Droits de la femme de 1981 à 1986, Yvette Roudy, s’était prioritairement positionnée sur le champ de l’égalité professionnelle et des transformations culturelles [4], dans l’idée que, devenues autonomes financièrement, les femmes pourraient se libérer d’un conjoint violent. Aussi la lutte contre les violences conjugales ne constituait pas une politique publique en tant que telle [5], d’autant qu’il n’existait pas une mobilisation comparable aux mouvements sociaux des années 1970 pour le droit à l’avortement ou contre le viol. Les dispositifs d’accompagnement des victimes ont été, dès le début des années 1980, délégués aux associations par le biais des subventions.
Comment expliquer le changement en 1989 ? Le rôle de sensibilisation joué par le Mouvement pour le Planning familial, dont certaines membres ont intégré l’administration des droits des femmes [6], a sans doute été important. Les personnes entourant la ministre Michèle André sur ce dossier en 1989 ont également témoigné de la prise de conscience de ces violences de manière intime par la ministre, dont l’une des proches avait été victime de violences conjugales [7]. Cette rupture – qui doit davantage à une mobilisation personnelle de la ministre qu’à une action collective – n’a pas modifié pour autant l’analyse des violences : l’idée que les femmes devaient devenir « actrices » de leur vie afin d’éviter d’être victimisées. La campagne télévisée, qui s’est déroulée du 15 novembre au 5 décembre 1989, « Il vous bat. Refusez la violence » [8], était structurée par le référentiel de l’autonomie. Aux femmes de prendre conscience de la gravité des faits, mot d’ordre qui perdurera dans les campagnes suivantes (Hernandez et Kunert, 2014). La spécificité de ces violences n’a pas été pensée, mais à la décharge des responsables, les travaux féministes sur cette question sont alors quasi inexistants en France (Corrin et Romito, 1997).
Aux Assises de février 1990, aucun groupe de travail ne mentionne ni la notion de violence systémique (à savoir que les femmes subissent plusieurs types de violences tout au long de leur vie et dans plusieurs sphères) ni celle de la domination masculine ou même de système inégalitaire. Le lien entre les violences conjugales et l’alcool a été donné comme le facteur principal du passage à l’acte, plaçant le débat dans le domaine de la pathologie. Il ne s’agissait pas tant d’analyser la nature de ces violences que de les dénoncer, les sortir de la sphère privée pour en faire un problème public. Les Assises ont ainsi abouti à l’inscription en 1994 dans le nouveau Code pénal du fait de « classer comme délit toute violence conjugale commise par le conjoint ou le concubin ». Considérer comme circonstance aggravante le fait que ces violences soient commises au sein d’un couple représentait une véritable rupture idéologique, inversant dès lors la logique du crime passionnel (Houël, Mercader et Sobota, 2003).
En ce début des années 1990, l’élaboration d’une politique publique n’était pas pour autant sur l’agenda. L’action portait sur le changement juridique seulement. L’État a confié au niveau local l’élaboration de plans de prévention par la création des commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes – CDAVF en 1989, dont l’objectif était d’encourager le dialogue entre les institutions (Justice, Intérieur, Logement, Éducation nationale, collectivités locales, organismes de sécurité sociale) et les associations. Le dialogue a été cependant difficile en raison de la méfiance réciproque entre institutions et associations [9]. Au bout du compte, peu de CDAVF voient le jour parce qu’elles dépendaient de la bonne volonté du/de la préfet·e. La pression internationale et européenne s’est révélée davantage déterminante pour faire émerger une politique publique.
Une dynamique créée par la IVe Conférence mondiale des femmes et l’Union européenne
Les problèmes sur lesquels les politiques de genre agissent sont fortement reliés à l’impulsion internationale (Muller, 2008) et ceci vaut tout particulièrement pour les violences. En 1994 une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies donne la priorité à la lutte contre les violences faites aux femmes. Lors de la IVe Conférence mondiale à Pékin en 1995, une plate-forme est adoptée incitant les gouvernements à se doter de plans d’action et de lois pour leur élimination. L’Union européenne a emboîté le pas. En 1997, elle crée le programme Daphné contre la violence envers les femmes et les enfants et en 1999 le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont lancé la campagne « Année européenne de tolérance zéro face aux violences faites aux femmes ».
Entre-temps, un gouvernement socialiste est revenu au pouvoir en France, avec un programme pour la parité politique et contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Il trouve enfin l’argent nécessaire à la réalisation de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France ou « Enveff » (Jaspard et al., 2003a), après les alertes de Geneviève Fraisse, alors déléguée interministérielle aux droits des femmes (Dauphin, 2010). En 1998, la secrétaire d’État qui lui succède, Nicole Péry, ancienne militante au Planning familial, se présente comme « ministre des violences » [10]. Ancienne députée européenne, elle s’est appuyée sur le gender mainstreaming, stratégie visant à intégrer la question de l’égalité femmes-hommes dans l’ensemble des politiques publiques (Dauphin, 2008). Pour sensibiliser les Ministères de l’intérieur et de la justice, elle mobilisa les premiers résultats de l’Enveff, présentés en janvier 2001 lors des Assises nationales contre les violences envers les femmes. Cette enquête réalisée par des chercheuses féministes a permis de mettre l’accent sur la diversité des violences subies et sur le continuum des formes les caractérisant (Kelly, 1987) en montrant que les femmes subissaient des violences depuis l’enfance et tout au long de leur parcours, ainsi que dans l’ensemble des sphères de vie (travail, couple, espaces publics). Malgré les vives critiques, portées notamment par la sociologue Marcella Iacub et le démographe Hervé Le Bras en 2003, qui ont dénoncé une idéologie victimaire dont serait porteuse l’équipe de l’Enveff, l’enquête jouit d’une grande légitimité auprès des politiques (Jaspard et al., 2003b). Pour les parlementaires invité·e·s à ces Assises, elle a représenté « un choc incroyable, une prise de conscience de l’ampleur du phénomène » [11]. Le chiffre emblématique de 1 femme sur 10 victime de violences conjugales a été largement relayé dans les médias et repris dans les discours politiques. Les chiffres légitimant l’action politique, il a servi de référence pendant près de deux décennies aux politiques gouvernementales entreprises.
À la présentation des résultats a été associée une nouvelle campagne de communication (« En cas de violence, brisez le silence ») et un plan d’actions : augmentation des subventions aux associations, relance des CDAVF et création d’une commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette commission a été dotée d’une fonction consultative (propositions de mesures qu’elle adresse à la ministre), mais manquait de moyens pour coordonner les actions menées sur l’ensemble du territoire afin de les harmoniser et/ou de repérer les bonnes pratiques. La politique était principalement territoriale, reposant à la fois sur le/la préfet·e et le département. Malgré l’apport de connaissances apportées par l’Enveff, ces actions sont restées dans la lignée des bases posées dix ans plus tôt, et n’ont pas créé de dispositifs supplémentaires.
2003-2011 – Le temps des mobilisations pour une loi-cadre
L’Espagne comme modèle face à la spécificité française
L’année 2003 constitua un tournant. La publication de l’Enveff a été relayée dans les médias à la faveur d’un drame, le meurtre de l’actrice Marie Trintignant par son compagnon, le chanteur Bernard Cantat, le 1er août 2003. Nicole Ameline, ministre à la Parité et à l’Égalité professionnelle du nouveau gouvernement de droite, est poussée à l’action en raison de cette forte médiatisation. À la faveur de la Journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre 2004, elle lança le premier « Plan global pour l’autonomie des femmes victimes de violence (2005-2007) », adossé à une campagne « Stop violence : agir c’est le dire ». L’approche évitait clairement toute critique de victimisation et le référentiel de l’autonomie est présent dans le préambule du plan sans équivoque : « Une politique sociale moderne va bien au-delà de la compassion et de l’assistance et favorise le plus possible l’autonomie des femmes par leur responsabilisation. » [12] Articulé autour de dix mesures, le plan porte sur les questions d’hébergement et de maintien ou d’accès à l’emploi, deux axes interdépendants. Il repose ainsi sur une logique d’empowerment, incitant les femmes à (re)devenir actrices de leur vie. Il a été critiqué par les évaluateurs des corps ministériels concernés par la politique de lutte contre les violences, qui lui ont reproché de n’être centré que sur les violences conjugales et de ne pas reposer sur un état des lieux initial précis avant sa rédaction (Lux et al., 2008). Le plan n’a été que partiellement mis en œuvre, mais parallèlement, des dispositifs législatifs ont permis des avancées en matière de prévention, de protection de la victime et de répression.
La première loi spécifique, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineur·e·s, a été adoptée le 4 avril 2006. Le contexte de son adoption est intéressant, car l’initiative revient au législateur et non au gouvernement. Elle fut proposée par des sénateurs et sénatrices socialistes et communistes inspiré·e·s par l’Espagne, où le gouvernement socialiste de José Zapatero a fait adopter, le 28 décembre 2004, une loi dite « intégrale » contre les violences faites aux femmes, fondée sur une approche multidisciplinaire de la prévention et du traitement des violences de genre. Ce modèle sert d’exemple aux associations françaises, conduisant à la mobilisation du Collectif national des droits des femmes (CNDF), qui propose dès 2005 une loi-cadre.
Le lobbying auprès des parlementaires a porté ses fruits. La loi du 4 avril 2006 marque une étape importante dans la judiciarisation des violences conjugales : leur caractère aggravé est étendu aux pacsé·e·s et aux ex-conjoint·e·s et le viol entre époux est inscrit dans le Code pénal. Cependant, son ambition restait bien moindre que celle de sa consœur espagnole. Lors de la navette parlementaire [13], les aspects préventifs ont disparu au profit des seuls aspects répressifs, à l’exception du traitement des auteurs [14]. Les violences conjugales se sont inscrites dans le registre judiciaire de la sanction, au détriment des aspects plus sociaux et de prévention (Lux et al., 2008) d’autant que, dans le même temps, les commissions départementales de lutte contre les violences envers les femmes étaient fusionnées dans les conseils départementaux de prévention de la délinquance. Finalement, une loi spécifique avec des dispositifs de droit commun a achevé le processus par lequel la prise en compte des rapports de genre a été détournée au profit d’une approche en termes de violences interpersonnelles.
En raison des limites de la loi et de la non-prise en compte de la spécificité des violences de genre, la question d’une loi-cadre pour les violences conjugales demeure un thème, porté notamment par la candidate socialiste Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle de 2007. Après l’élection du candidat de la droite, le CNDF a continué de faire pression pour une loi-cadre, via des manifestations et mobilisations diverses. Par ailleurs, Valérie Létard, secrétaire d’État à la Solidarité qui détenait alors le portefeuille sur les droits des femmes, a fait de la lutte contre les violences sa priorité. Sous son impulsion, le deuxième plan d’actions (2008-2010) a été rédigé, sur les bases du rapport d’évaluation du premier plan. L’opportunité d’une loi-cadre a été examinée et écartée après concertation de différents acteurs et actrices, dont des associations féministes, qui ne soutenaient pas toutes ce projet. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) et le Centre national d’information des droits des femmes et des familles (CNIDFF), notamment, n’y étaient pas favorables. Leurs arguments reposent, d’une part, sur la nécessité de faire appliquer l’existant et de renforcer l’effectivité des textes avant d’adopter une nouvelle législation et, d’autre part, sur l’idée qu’une loi spécifique pourrait renforcer « l’identité victimaire de la femme » (Lux et al., 2008: 57), ce que des travaux sur la loi espagnole ont pu souligner (Gatti, Martinez et Revet, 2017).
Comme pour contrer l’oubli du volet préventif de la loi du 4 avril 2006, le plan était axé sur plusieurs autres enjeux : image des femmes dans les médias, formation des professionnel·le·s pour améliorer le repérage des violences, développement des dispositifs d’accompagnement des auteurs. Pour la première fois, une réflexion sur la pénalisation des violences psychologiques a été lancée via notamment une campagne visant à « Ne laissez aucune violence s’installer ». Par ailleurs, le cadre dans lequel les actions sont pensées différait de celui du premier plan. Désormais, les actions associent les femmes victimes de violences conjugales aux « personnes vulnérables », ou pour le dire autrement, le registre social prend le pas sur une politique d’égalité des sexes. On peut prendre comme exemple une expérimentation en familles d’accueil pour les victimes de violence conjugale, sur le modèle de la protection de l’enfance, ce qui contribua à les infantiliser. Le lien entre politique de protection de l’enfance et politique de lutte contre les violences a contribué à renforcer l’amalgame entre violences conjugales et violences intrafamiliales.
La spécificité des violences conjugales diluée dans les violences intrafamiliales
Dans un contexte politique de droite où des initiatives gouvernementales étaient improbables, les relais ont été trouvés au niveau parlementaire : la mobilisation pour une loi-cadre s’est poursuivie, portée par le CNDF, proche des Partis communiste et socialiste, qui ont déposé une pétition auprès de l’Assemblée nationale. Le président de l’Assemblée nationale a ainsi créé une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui a abouti à une proposition de loi rédigée en lien étroit avec les associations. Comme le souligne Guy Geoffroy, député UMP co-responsable de la mission, il y a eu une collaboration entre les députés et les associations pour porter une loi ambitieuse sur le sujet : « Notre responsabilité [en tant qu’élu·es] était de les rejoindre en première ligne. » Une loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a été adoptée le 9 juillet 2010. Pour la première fois, la loi mentionne la prévention et s’inspire de l’exemple espagnol avec l’ordonnance de protection des victimes. La loi définit également les violences psychologiques, dont l’ampleur avait été soulignée par l’Enveff.
S’il s’agit d’une loi importante pour les violences conjugales, elle demeure néanmoins en deçà des ambitions de la proposition de loi. Un examen des débats parlementaires permet de montrer que le Ministère de la justice a agi en véritable arbitre. Il s’est opposé au délai maximum de 48 heures proposé pour rendre l’ordonnance de protection, ainsi qu’à la création de tribunaux spécialisés, arguant qu’une juridiction qui ne traite que d’un seul type d’infractions serait contraire au principe d’égalité du justiciable devant la loi. Il est également intervenu pour confier l’ordonnance de protection aux juges aux affaires familiales et non aux juges pénalistes (Jouanneau et Matteoli, 2018). De violences conjugales, les débats glissent vers les violences intrafamiliales [15]. Depuis, le terme de violences intrafamiliales s’est imposé institutionnellement. Alors que la première étape avait été de sortir les violences de la sphère privée, tout se passe comme si leur reconnaissance institutionnelle appelle leur ré-enfermement dans le cadre de la famille. En effet, le terme renvoie à des violences exercées au sein de la famille, au conflit familial et non à une explication systémique de comportements structurellement discriminatoires pour les femmes (Maqueda, 2006, citée par Gonzáles Moreno et Maria Juana, 2009).
La loi telle qu’adoptée a déçu les associations qui sont, par compensation et pour la première fois [16], mobilisées pour la rédaction du troisième « Plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes (2011-2013) ». Cette collaboration, qui se poursuit tout au long de cette décennie, explique que dès l’introduction du plan, les violences soient qualifiées de sexistes et sexuelles, d’où l’extension à toutes les formes de violences : les violences conjugales, les violences au travail, les viols et agressions sexuelles, les mutilations sexuelles, les mariages forcés, la polygamie, la prostitution. Cependant, le plan demeure articulé au champ social et à la politique familiale, voire à la protection de l’enfance : places en logement d’urgence en CHRS, expérimentation du dispositif des familles d’accueil mis en œuvre (qui sera abandonné faute de public), nomination de « référent·e·s violences » qui sont des travailleur·euse·s sociaux. Le plan était ambitieux par le nombre de mesures : 61 mesures dont 30 pour les violences au sein du couple. Néanmoins, celles-ci peinaient à être mises en œuvre parce que ce troisième plan n’était pas contraignant et le dispositif de suivi peu effectif en l’absence de ministère dédié aux droits des femmes au moment de l’adoption et de la réalisation du plan.
Le cloisonnement entre les différentes violences et la juxtaposition de mesures, chaque administration listant les siennes, a conduit, en outre, à limiter son interministérialité.
2012-2020 – Le temps de l’intégration dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles
Institutionnaliser pour professionnaliser
Le retour des socialistes au pouvoir en 2012 signe celui d’un Ministère des droits des femmes. La ministre, Najat Vallaud-Belkacem, a souhaité renforcer l’interministérialité en sensibilisant chaque ministère aux questions d’égalité. Prenant en partie exemple sur l’Observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis [17], elle créa en novembre 2012 la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) dont la direction est confiée à une magistrate pour renforcer sa légitimité interministérielle.
La mission a trois objectifs, les deux premiers répondant aux demandes des associations : la définition d’un plan national de formation des professionnel·le·s des violences faites aux femmes et la création d’outils de formation ; l’animation d’un Observatoire national sur les violences faites aux femmes afin d’harmoniser les statistiques et encourager la création d’observatoires territoriaux ; et enfin, la coordination nationale de la lutte contre la traite. La création de la Miprof se voulait une professionnalisation du secteur, un des principaux enjeux étant la formation des personnes en contact avec les femmes. La certification des formations par l’État permet de « sortir de l’activisme et assurer une reconnaissance », selon la ministre [18]. Or, cette institutionnalisation peut aussi être vue comme une « dé-militantisation » puisque l’objectif était bien que les formations soient normalisées afin de les démultiplier auprès d’acteurs jusqu’ici rétifs, comme les forces de sécurité et les magistrats. Depuis lors, une concurrence s’est établie avec les associations qui assurent nombre de formations et adoptent un positionnement critique à l’égard de la Miprof, laquelle n’a pas les moyens d’assurer une véritable remontée d’informations sur les formations dispensées : « Leurs outils sont très bien, mais leur action sur les formations, je ne la vois pas. Combien concrètement ont été réalisées ? » [19] Cette critique souligne à quel point la Miprof est perçue comme une concurrente sur le terrain de l’expertise : « Son existence a changé la donne ; l’expertise c’est la Miprof. » [20]
Le deuxième acte fort de la ministre est la loi du 4 août 2014, première initiative gouvernementale qui promouvait de manière plus affirmée une interprétation féministe des violences. Premièrement, la loi a la particularité d’être une loi-cadre inscrite dans une démarche systémique qui couvre l’ensemble des champs de l’égalité femmes-hommes pour améliorer les dispositifs existants en visant leur effectivité. Une section est consacrée aux violences de genre. Elle renforce l’ordonnance de protection, facilite l’éviction du conjoint violent du domicile, garantit la confidentialité des centres d’hébergement, et limite la médiation pénale aux situations où la victime la demande. Deuxièmement, la loi intègre un volet préventif qui marque la volonté de renforcer la lutte contre les stéréotypes sexistes et les violences par la création notamment de stages de responsabilisation des auteurs de violences conjugales. Ces stages se focalisent sur les représentations sexuées et le respect des femmes pour faire comprendre la gravité des actes commis et n’ont pas pour visée le traitement psychologique des auteurs (Pache, 2019). Troisièmement, l’interprétation féministe des violences a été matérialisée par le lancement d’une campagne « Contre les violences : la loi avance » qui utilisait pour la première fois le ressort du droit. La bascule est réelle : elle est marquée par la volonté de la ministre de prendre la direction sur la question des violences, forte d’une coopération interministérielle gérée directement au plus haut niveau de l’État (sensibilisation des ministres, personnes référentes dans les cabinets et au sein des administrations, etc.). Ainsi, le Ministère des droits des femmes a assuré le pilotage de la plupart des mesures du quatrième plan interministériel (2014-2016), en collaboration cette fois-ci avec les associations de terrain. Comme son intitulé le précisait, il se veut un plan « de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes ».
L’importance de la dimension préventive, qui reflète une interprétation systémique des violences conjugales, y était particulièrement soulignée, dans les médias et sur internet, mais aussi dans les espaces de socialisation – l’école, l’université, le sport, le monde du travail. Par ailleurs, le plan intégrait l’ensemble des violences faites aux femmes dans une présentation non par types de violences, mais par axes d’intervention (organiser, protéger, mobiliser), illustrant par l’articulation des formes de violences la notion de continuum. Il prévoyait également le financement d’une nouvelle enquête féministe sur les violences, l’enquête « Violences et rapports de genre » (Hamel, 2014). Enfin, le bilan du 4e plan [21] a permis de souligner les avancées, comme le développement de la formation des professionnel·le·s, les places supplémentaires créées en hébergement d’urgence ou encore le dispositif « téléphone grave danger ».
Le cadre des violences sexuelles et sexistes a été encore renforcé par le gouvernement socialiste dans le 5e plan (2017-2019), intitulé « Le sexisme tue aussi » et rédigé par le cabinet de la nouvelle ministre, Laurence Rossignol, qui se réclamait ouvertement du féminisme. Il a signé une forte évolution politique alors que trente ans auparavant le projet de loi antisexiste n’avait pas été soutenu par le Parti socialiste. Par l’utilisation du terme « sexisme », c’était non seulement l’aspect systémique des violences qui était souligné, mais également la domination et la discrimination à l’encontre des femmes : « Les violences faites aux femmes relèvent d’un continuum provoqué par une seule et même idéologie : le sexisme. » L’accès aux droits représentait le premier axe d’intervention, reprenant ainsi le référentiel posé dans le plan précédent. Autre élément important, la question de l’insertion professionnelle, qui a fait de nouveau partie des objectifs. Par ailleurs, si entre le premier et le troisième plan le champ ne cessa d’être élargi, les deux suivants visèrent à être plus resserrés. Le plan précisait dans son introduction qu’il ciblait des groupes spécifiques pour « renforcer l’action publique là où les besoins sont les plus importants », à savoir les femmes qui subissent des risques de violence plus forts (jeunes femmes, femmes dans les outremers) et/ou des difficultés d’accès aux services et associations d’aides aux victimes (femmes en milieu rural, femmes en situation de handicap). De plus, le 5e plan a participé de la reconnaissance de nouvelles formes de violence au sein du couple, les violences économiques et la cyberviolence, notamment. Cependant, avec le changement de gouvernement, seulement la moitié des mesures ont été réalisées [22].
Renforcer la politique dans le contexte #MeToo
À partir de 2017 et suite au mouvement #MeToo, un bouleversement social concernant toutes les violences envers les femmes s’est effectué, dont les médias se sont fait l’écho. Le nouveau gouvernement de « La République en marche », parti qui se dit centriste, a fait de l’égalité des sexes la grande cause du premier quinquennat. L’année 2019 a été marquée par une forte mobilisation féministe contre les féminicides, avec plus de 100 dénonciations dès l’été 23. Sous pression, le 3 septembre 2019 Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, a lancé un Grenelle sur les violences conjugales, grande rencontre entre le gouvernement et la société civile pour lutter contre les féminicides. Celui-ci signifiait un changement de méthodologie : propositions issues d’une concertation de la population et non de l’exécutif, et création de groupes de travail rassemblant administrations, experts, associations. Il conforta cependant une distanciation renforcée avec les associations. Leur faible présence dans les groupes de travail du Grenelle en témoigne : « Maintenant les actions se construisent plutôt entre ministères. » [23] Des représentantes d’associations relatent une « parole qui est moins prise en compte » [24]. Certaines se disent même « blacklistées » et plus généralement que leur « expertise n’est plus reconnue, comme si nous appartenions à un ancien monde » [25], ce qui est vécu comme une mise à l’écart qui traduit une remise en cause de la représentativité et de l’expertise du secteur associatif. Quant aux forces de sécurité et la justice, elles se méfient des associations féministes et préfèrent construire un dialogue avec des associations généralistes d’aide aux victimes en raison d’habitudes de travail déjà existantes. Par ailleurs, ces deux types d’associations pouvant prétendre à des subventions, cette politique alimente « une concurrence pour obtenir l’argent » [26], mais surtout promeut des interprétations divergentes des violences : « Comment dire ? Leur vision est très psychologique, à souligner la vulnérabilité des femmes. Les stéréotypes, la domination, ce n’est pas leur problème. » [27]
À l’issue du Grenelle, 46 mesures sont prises pour améliorer les dispositifs existants sur l’hébergement, l’accompagnement et les formations. Les nouveautés se situaient au niveau des procédures, avec la possibilité pour les professionnel·le·s de santé de lever le secret médical en cas de danger immédiat pour la victime et la mise en place des mesures d’urgence dans le traitement judiciaire des violences au sein du couple. S’y ajoutaient la création de centres de suivi et de prise en charge des auteurs, la reconnaissance par la loi du suicide forcé comme forme de violence conjugale, l’interdiction de la médiation pénale et civile et la suspension de l’autorité parentale.
Au final, cependant, les mesures ont adopté une approche curative et n’ont pas permis d’agir sur les fondements structurels de la violence ; on le constate par l’absence de ligne de force au profit d’une liste d’actions ressemblant à un patchwork. Cette juxtaposition de mesures s’est également retrouvée dans la nouvelle loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui intègre plusieurs mesures du Grenelle. L’interprétation féministe a certes été entendue puisque dans l’exposé des motifs, la dénonciation du système patriarcal y est clairement énoncée pour la première fois : « Ces violences sont un véritable fléau, reflet des inégalités et des héritages du modèle patriarcal de la société française. » Néanmoins, malgré ce cadrage féministe, la loi vise surtout à protéger les victimes, l’utilisation du verbe « protéger » alimentant la perception de leur vulnérabilité. En outre, une certaine précipitation dans la rédaction de la loi a été critiquée par plusieurs sénateurs et sénatrices, qui n’ont pas hésité à parler d’inflation parlementaire sans véritable débat [28]. Cette nouvelle loi s’est ainsi ajoutée au mille-feuille juridique qui caractérise les dispositifs législatifs en la matière, comme le souligne l’ancienne ministre, devenue sénatrice, Laurence Rossignol :
Quand on retrace l’histoire des lois sanctionnant et prévenant les violences faites aux femmes, on n’observe pas de grande loi, ce n’est qu’une addition répétée de nouveaux articles, glissés dans un texte ou dans un autre, car chaque fois le Parlement ou une ministre veut insérer une disposition supplémentaire. [29]
La politique de lutte contre les violences conjugales n’est pas une politique d’égalité des sexes
En conclusion, la politique de lutte contre les violences conjugales s’est construite par strates, chaque plan, chaque loi visant à améliorer les dispositifs existants sans réussir à imposer une vision féministe de ces violences en dehors des institutions concernées au premier chef par les droits des femmes. La principale difficulté est que l’institution en charge de l’égalité femmes-hommes est dotée de peu de moyens et de peu de pouvoir ; elle est donc facilement minorisée par des ministères régaliens que sont l’Intérieur et la Justice. Au lieu de constituer une politique d’égalité, les dispositifs de lutte contre les violences conjugales se sont inscrits dans la politique de lutte contre la délinquance portée par ces deux ministères. Ainsi, la légitimité des politiques publiques en la matière repose sur la protection des victimes plutôt que leur émancipation.
Toutefois, les faiblesses du féminisme d’État ont été partiellement palliées par le rôle significatif joué par le Parlement, que ce soit par les propositions de loi ou par la production de rapports d’information, sans réussir toutefois à faire voter une loi-cadre sur le modèle espagnol. Alors que les ministres de l’Égalité n’ont pas toujours assuré leur rôle de relais des associations, celles-ci ont pu trouver d’autres relais auprès des parlementaires. Indispensables de par leurs actions sur le terrain auprès des victimes, leur expertise a cependant peiné à s’imposer. Paradoxalement, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le féminisme d’État les a mises à distance au moment même où le mouvement #MeToo imposait la question des violences à l’agenda politique.
In fine, les difficultés de prise en compte d’une perspective féministe dans la lutte contre les violences conjugales – et ce, malgré un contexte social devenu favorable – ont deux principales raisons. La première réside dans les dépendances structurelles des institutions du féminisme d’État, qui limitent son action et le condamnent à négocier avec les autres ministères, jusqu’à intégrer leur référentiel 31. La deuxième est de ne pas avoir su faire des associations du secteur des alliées par peur d’être associées à un militantisme partisan qui les aurait desservies dans les négociations interministérielles. L’exemple de la politique de lutte contre les violences conjugales illustre ainsi le paradoxe sur lequel reposent les institutions du féminisme d’État : être porteuses d’un objectif féministe d’égalité et de lutte contre le sexisme tout en n’obtenant des avancées qu’au prix d’une assimilation à d’autres objectifs, comme ici la politique sociale et la politique de lutte contre la délinquance.
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Références
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La Revue nouvelle • numéro 6/2024 • dossier
La contagion anti-genre
De l’extrême droite à la droite
Gustin, A. (2024). La contagion anti-genre. La Revue Nouvelle, n° 6(6), 51–56. https://doi.org/10.3917/rn.242.0051
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Archibald Gustin
Longtemps peu enclins à investir le terrain des campagnes anti-genre, les partis d’extrême droite en sont désormais les principaux acteurs en Belgique. Ils ne sont néanmoins pas les seuls à jouer un rôle dans la multiplication des discours anti-genre, puisqu’à travers un double phénomène de contagion – au sein de l’espace des droites belges et depuis l’international – les partis de droite ont également contribué à
leur exacerbation.
L |
e 4 juin 2024, les représentant·es des sept principaux partis flamands se sont affronté·es au cours d’un « grand débat » (Het grote debat) sur la chaine flamande VTM (2024). À l’occasion d’un échange portant sur l’éducation sexuelle au sein de l’enseignement néerlandophone, Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang (VB), a réaffirmé la position de son parti en matière de genre :
« Mon parti ne croit pas au genre. Nous croyons qu’il n’existe que des hommes et des femmes. Dans la mesure où les hommes ne peuvent pas accoucher, nous croyons qu’il n’existe que des hommes et des femmes. »
Quelques minutes plus tard, le président de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) lui a répondu en ces termes :
« À un certain moment, au cours de leur scolarité dans l’enseignement second aire, les élèves peuvent suivre des cours d’éducation sexuelle. Mais ceci est évi- demment une chose différente que l’idéologie du genre, celle-ci existant également. Les gens disent qu’il existe 65 sortes de genres, et que cela devrait être promu dès la maternelle. C’est exagéré. »
Ces échanges, qui interviennent dans le cadre d’une séquence politique où les questions de genres ont été abordées à plusieurs reprises au cours des dernières semaines de la campagne électorale[30], illustrent la place de plus en plus visible des thématiques anti-genre en Belgique. Ils montrent surtout, dans le temps restreint d’un échange télévisé, le fonctionnement de ce phénomène croissant de contagion opérant dans l’espace des droites, de l’extrême droite vers la droite. Ce phénomène de contagion n’implique pas l’absence de divergences entre le VB et la N-VA[31] mais souligne leur circulation accrue au travers des frontières partisanes. Cet article cherche dès lors à comprendre les dynamiques de cette contagion, en procédant en deux temps. Dans un premier temps, l’article montre comment l’extrême droite a joué un rôle majeur dans la contagion anti-genre en important des discours depuis l’étranger au sein de l’espace des droites belges. Ensuite, il décrit alors comment les partis de droite des deux côtés de la frontière linguistique ont également contribué à cette contagion, essentiellement à la faveur du débat sur le wokisme.
L’extrême droite flamande comme vecteur principal de la contagion anti-genre
Bien que Tom Van Grieken ait consacré un chapitre à la thématique anti-genre dans son ouvrage de 2017, intitulé Le genre : aucun problème, mais pourtant problématisé (Van Grieken 2017), les partis politiques n’avaient pas fait preuve d’un grand investissement en termes de production de discours anti-genre au cours de la campagne électorale de 2019. C’est sans doute à ce niveau que la situation a le plus évolué au cours des dernières années. En effet, si les partis politiques sont devenus des acteurs majeurs des mobilisations anti-genre un peu partout en Europe (Paternotte 2023), cette tendance se manifeste de façon particulièrement marquée en Belgique. Le Vlaams Belang apparait désormais comme un moteur et l’arrivée de Tom Van Grieken à la tête du parti a marqué un renouveau générationnel important, dont l’influence se manifeste notamment sur ces enjeux. Le nouveau président a ainsi régulièrement pris des positions anti-genre ces dernières années, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Tom Van Grieken n’est cependant pas le seul propagateur de discours anti-genre au sein du VB. Le recrutement de Dries Van Langenhove, leader du groupe d’extrême droite Schild en Vrienden (Biard 2023) et son élection comme parlementaire en 2019 ont favorisé l’importation de discours étrangers, dont attestent tant le style (documentaires, podcasts) que les références intellectuelles du jeune militant d’extrême droite. Ces références traduisent également un désir de quitter la politique pour s’investir dans la métapolitique (Maly 2019), un pas qu’il a finalement franchi en démissionnant de son mandat de député. D’autres membres parfois éminents du VB, comme le directeur du centre de recherche du parti et député européen Tom
Vandendriessche, ont également multiplié les attaques contre « l’endoctrinement des jeunes et des enfants par l’idéologie du genre » (Vandendriessche 2024, p.11) imposé par l’Union européenne à travers la définition des valeurs européennes. Comme le révèlent les similitudes entre les discours anti-genre de l’extrême droite flamande et ceux caractérisant les campagnes anti-genre, la contagion s’est donc, dans un premier temps, produite via l’importation de ces discours en Flandre depuis l’international.
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Dans un second temps, selon une logique de vases communicants et en raison de la dynamique de compétition au sein de la droite flamande, le Vlaams Belang a joué un rôle clé dans la contagion des discours anti-genre vers d’autres partis de droite, en particulier la N-VA. Ceci s’explique notamment par le fait que ces partis partagent des espaces de dialogue et de socialisation (les élites flamingantes fréquentent les mêmes cercles estudiantins et les mêmes organisations, tout en participant aux mêmes débats). La compétition élec- torale féroce entre les partis de droite et d’extrême droite a également conduit ces acteurs à étendre ces débats à de nouveaux enjeux, allant de l’éducation sexuelle (Van Wichelen 2023) aux droits des personnes trans (Amery 2024) en passant par le « wokisme ». Ces discussions ont contribué à étendre l’ampleur du débat anti-genre tout en y impliquant de nouveaux acteurs.
La droite : vers l’antiwokisme et au-delà ![32]
Si l’extrême droite flamande peut être vue comme le principal vecteur de la contagion anti-genre en Belgique, des partis de droite comme la N-VA et le MR ne sont pas en reste[33]. À travers l’adoption croissante de discours antiwokistes, ces deux partis ont renforcé ce double phénomène de contagion : depuis l’international et au sein de l’espace des droites. En effet, l’antiwokisme « présente des parallèles avec les discours anti-genre » (Dhoest 2024, p.55) mais s’en distingue par le fait qu’il s’étend au-delà des thématiques de genre et de sexualité et traite d’un éventail plus large d’enjeux. En reconfigurant le débat public, l’antiwokisme a relancé un militantisme anti-genre au succès jusqu’alors limité dans notre pays (Bracke 2017).
L’année 2022-2023 peut à ce titre être considérée comme un moment de basculement (Dhoest et Paulussen 2024), caractérisé par une séquence médiatique et politique inédite portée par « des acteurs et des actrices aux trajectoires très différentes » (Deleixhe 2024, p. 41). “vue comme le principal vecteur de Si l’extrême droite flamande peut être
la contagion anti-genre en Belgique, des partis de droite comme la N-VA et le MR ne sont pas en reste ”
En février 2023, le centre d’étude du MR a lancé un rapport intitulé Le wokisme, ce nouveau totalitarisme dont on ne peut prononcer le nom (Centre Jean Gol 2023). Ce rapport, rédigé par la militante laïque Nadia Geerts, critique les études de genre, la sensibilité excessive des personnes transgenres lorsqu’elles sont mégenrées, les évènements en mixité restreinte, la simplification du changement de genre sur les cartes d’identité ou encore le « dogme sacrosaint » de l’« auto-identification », qui dans le registre du genre, a fait grandir « l’idée que pour être homme (ou femme) il suffit de se sentir homme ou femme » (Centre Jean Gol 2023, p. 23)[34].
Quelques jours plus tard, le président de la N-VA Bart De Wever a lui aussi publié un livre sur le sujet, intitulé Over Woke (De Wever 2023). Dans son ouvrage, qui couronne une série de conférences dans les universités flamandes sous le titre Hoe woke onze cultuur vernietigt (Comment le wokisme détruit notre culture), le bourgmestre d’Anvers accuse notamment le féminisme et les mouvements LGBTQIA+ de nier les fondements biologiques des différences entre hommes et femmes[35], tout en tenant des propos transphobes. Dans le contexte d’une hostilité croissante envers le monde académique (Paternotte 2024), De Wever attaque également les études de genre en affirmant par exemple que « dans les domaines sensibles à l’égalité des sexes, comme les études de genre, les universitaires qui travaillent sous l’angle de la “nature” font l’objet d’un examen extrêmement critique, tandis que ceux qui travaillent sous l’angle de “l’éducation sur le genre” publient parfois de l’idéologie pure et simple » (De Wever 2023, p. 46). Sous les habits de l’antiwokisme se cache donc parfois un discours anti-genre qui n’a rien à envier aux attaques contre l’« idéologie de genre » du Vlaams Belang.
Le rapport du Centre Jean Gol et l’ouvrage de Bart De Wever témoignent également du rôle des partis de droite dans l’importation de discours étrangers. Si le VB a lui-même fait de l’antiwokisme un de ses chevaux de bataille (Gustin 2023), contribuant à l’introduction de ces discours dans l’espace public belge et incitant de ce fait la N-VA à se positionner sur ces sujets, les références mobilisées par Nadia Geerts et Bart De Wever semblent indiquer des inspirations différentes, de France pour Geerts et des Pays-Bas et du monde anglophone pour De Wever. Ainsi, si Nadia Geerts reprend « les poncifs du débat français » (Deleixhe et Paternotte 2024, p. 36) en citant des personnalités comme Nathalie Heinich, Natacha Polony, ou encore Pierre-André Taguieff, Bart De Wever prend appui sur des sources anglophones comme la philosophe Kathleen Stock, le biologiste évolutionniste Richard Dawkins ou l’autrice J.K. Rowling. Le phénomène de contagion inter- nationale est par conséquent loin d’être l’œuvre exclusive de l’extrême droite en matière d’anti-genre.
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Si les discours antiwokistes et anti-genre peinent à prendre leur envol au sein du MR, ils sont aujourd’hui portés par une large palette d’acteurs politiques au nord du pays. En Flandre, pour la droite nationaliste, l’adoption de discours antiwokistes et anti-genre s’inscrit avant tout dans une tentative de rivaliser avec l’extrême droite en se positionnant clairement sur les questions identitaires. La reprise de ce genre de discours par le MR peut également s’expliquer par des enjeux de compétition électorale, le parti libéral francophone cherchant quant à lui avant tout à éviter un dépassement sur sa droite et l’émergence d’un parti d’extrême droite en Belgique francophone[36]. Sous la houlette de Georges-Louis Bouchez, le MR cherche en effet à imposer un nouveau rapport de force en Belgique francophone en cherchant à droitiser le débat public tout en gardant la mainmise sur l’espace de droite, ce à quoi l’antiwokisme et l’opposition à « l’idéologie du genre » peuvent contribuer.
À travers un double phénomène de contagion – depuis l’international et au sein de l’espace des droites -, les partis de droite et d’extrême droite ont contribué à rebattre les cartes des campagnes anti-genre en Belgique. De cette façon, la contagion anti-genre au sein de l’espace des droites décrite dans cet article a contribué à mettre fin à l’exception belge en la matière. La compétition électorale des deux côtés de la frontière linguistique a contribué à l’élargissement des enjeux liés aux campagnes anti-genre et a permis à des acteurs jusqu’alors peu entreprenants sur le sujet de se positionner. Cette dynamique a pour résultat que des partis comme le Vlaams Belang, la N-VA ou le MR sont désormais pleinement investis sur les terrains de l’antiwokisme et des thématiques anti-genre. Bien que récent, ce phénomène ne doit pas être sousestimé. En effet, ces discours alimentent l’hostilité croissante d’une partie de l’opinion aux droits des personnes trans, aux dispositifs d’éducation sexuelle dans les écoles ou encore aux développements de savoirs critiques à l’université. S’il se poursuit, ce débat pourrait dès lors porter les ferments de transformations politiques et idéologiques majeures.
sexualisation) », et s’oppose « d’ailleurs […] au changement de sexe pour les mineurs (Chez Nous 2024, 11).
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Questions d’histoire politique de Belgique
Liber amicorum Paul Wynants
Reman, P. (2023). Questions d’histoire politique de Belgique. La Revue Nouvelle, N° 3(3), 72–79. https://doi.org/10.3917/rn.231.0072
Présentation critique par Pierre Reman
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e livre est le fruit d’une collaboration entre le Centre d’information et de recherche socio-politiques (CRISP) et la Faculté des Sciences économiques, sociales et de gestion de l’Université de Namur (UNamur). Il a été édité en hommage à Paul Wynants (1954-2018), historien et professeur à l’UNamur, administrateur au CRISP. Et de toute évidence, on ajoute aussi membre du comité de rédaction et collaborateur régulier à la Revue Nouvelle.
En lien avec les travaux de recherche réalisés par Paul Wynants, dix contributions structurent et proposent de revisiter quelques intéressantes questions d’histoire politique de la Belgique.
La nouvelle histoire en Belgique
La première question touche à la discipline scientifique que constitue l’Histoire. Els Witte nous propose une lecture passionnante de l’émergence et de l’affirmation d’un courant de pensée novateur appelé la « nouvelle histoire » et de son implantation en Belgique. On est dans les années 1930 jusqu’aux années 1950 du siècle dernier. C’est durant cette période que s’est construite une autre vision de l’Histoire comme discipline scientifique. Il s’agissait d’extraire l’Histoire de la sphère littéraire qui l’englobait et de lui octroyer une méthodologie inspirée des sciences sociales qui elles-mêmes étaient en train de conquérir une place dans le monde scientifique. L’enjeu est de mettre au centre de l’analyse non plus exclusivement les élites politiques, militaires ou diplomatiques mais les collectivités, processus et structures générales, d’accorder plus d’espace à l’identification historique des causes et conséquences des évènements collectifs et aussi aux facteurs de continuité et de discontinuité, et enfin de prendre en compte la dimension répétitive du comportement humain, de ses mentalités et de sa représentation. Els Witte souligne le rôle fondamental d’historiens français comme L. Febvre et M. Bloch mais aussi de l’allemand K. Lamprecht, du néerlandais J. Huizinga et du belge H. Pirenne. Cette nouvelle vision aura sa revue, les « Annales d’histoire économique et sociale » dont le premier numéro paraitra en 1929. Si Henri Pirenne joue un rôle important pour propager « l’esprit des Annales », il ne sera pas le seul et, après son décès en 1935, une jeune génération d’historiens continuera le travail de conviction pour promouvoir une nouvelle approche de l’histoire. Nullement majoritaires, ils ont contribué à faire bouger les lignes par leur énergie et par une conviction renforcée par ce qu’ils avaient vécu et appris des années de crise économique et sociale, de guerre et de totalitarisme. Tout cela ne s’est pas réalisé sans débat ni opposition de la part de ceux qui considéraient que la rénovation en marche allait donner du crédit au modernisme et discréditer l’histoire politique surtout quand elle se teintait de nationalisme.
Pour Els Witte, ce sont ces premières générations de rénovateurs qui ont jeté les bases du développement de la « nouvelle histoire » qui se développera par la suite en lien avec l’essor des sciences humaines et sociales. Sentiment patriotique et attachement régional
Deux contributions se penchent sur l’existence d’un sentiment national avant que la Belgique existe en tant que telle. Et ce à travers l’expérience de soldats servant dans l’armée autrichienne (17561797) et de soldats enrôlés dans l’armée française (1799-1814). Bruno Colson souligne que, même si le mot « Belge » n’est pas utilisé pour désigner les soldats issus des Pays-Bas méridionaux et engagés dans l’armée autrichienne, la conscience d’appartenir à une patrie est bien réelle parmi eux. Il faudra cependant attendre l’annexion à la France, en 1795, pour que cette conscience s’accompagne des mots « Belges » et « Belgique ». C’est également d’appartenance à une nation dont il est question dans la contribution de Cédric Istasse, qui a compulsé plusieurs récits autobiographiques d’anciens soldats belges du Premier Empire français. Bien entendu, le fait d’être enrôlé comme combattant dans une armée exerce certainement une influence singulière sur la façon dont on perçoit son rapport à la patrie ou à la nation, mais, même avec cette expérience militaire, l’idée de nation ou de patrie reste fort éloignée, les identités vécues étant avant tout construites par rapport aux territoires ou contrées d’origine. Les points de vue des deux auteurs ne convergent donc pas totalement sur l’existence d’un sentiment d’appartenance à une patrie avant même qu’elle n’ait vu le jour, mais on voit bien que ce sentiment émerge lentement dans nos contrées traversées par les guerres de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle sans pour autant s’imposer définitivement dans la durée comme nous le savons aujourd’hui.
C’est toujours d’identité qu’il s’agit quand Jérémy Dodeigne s’interroge sur l’attractivité relative du mandat de parlementaire exercé au sein du parlement fédéral ou du parlement régional et sur l’influence que pourrait générer une identité régionale affirmée sur cette attractivité. Il décrit différents modèles de carrière politique où l’arène la plus convoitée est soit l’arène fédérale, soit l’arène régionale, le troisième modèle étant composé d’arènes compartimentées où il n’y a pas de va-et-vient. Qu’en est-il en Wallonie, où l’identité régionale est modérée si on la compare aux régions dont le nationalisme subétatique est prégnant ? Sur la base de vingt-huit récits de carrière de parlementaires wallons fédéraux et régionaux, Jérémy Dodeigne conclut que la Wallonie contredit l’hypothèse selon laquelle il y aurait une corrélation entre l’attractivité de la sphère fédérale et une identité régionale faible ou modérée, ou inversement. En d’autres termes, pour les parlementaires wallons, siéger au parlement régional n’est pas perçu comme moins prestigieux que de siéger au parlement fédéral. Comment donc expliquer cela ? Essentiellement par un attachement relatif au Parlement wallon, où les parlementaires se sentent plus à l’aise qu’au Parlement fédéral avec ses barrières linguistiques et culturelles rendant les échanges plus difficiles. Autre raison, le renforcement des compétences accordées aux Régions et la conviction que c’est dans les parlements régionaux que les capacités d’action seront les mieux à même de s’exercer. La présence d’une identité régionale forte n’est donc pas suffisante pour expliquer l’attrait relatif de l’arène régionale par rapport à l’arène fédérale. Après la lecture de ce chapitre stimulant, on serait intéressé de savoir si les mêmes évolutions de carrière politique se manifestent en Flandre où l’identité régionale est très affirmée et si cette identité flamande affirmée n’influence pas indirectement les carrières politiques en Wallonie
Piliers, clivages et compromis
Impossible de questionner l’histoire politique de Belgique sans analyser ses clivages, ses piliers et leurs acteurs et intérêts ainsi que les modalités et institutions de construction de compromis entre eux. Vincent de Coorebyter a sélectionné trente textes de Paul Wynants pour en dégager cinq thèses sur les clivages. La plus importante à mon sens est la première thèse, qui va à rebrousse-poil du sens commun et de ce qui est ancré dans une bonne partie de l’opinion publique. Ce ne sont pas les partis politiques qui créent les clivages, mais les divisions profondes au sein de la société dans les domaines socioéconomiques, philosophiques ou communautaires. Les clivages s’imposent aux partis qui, soit choisissent leur camp, soit tentent de prendre une position de synthèse ou de rapprochement des points de vue ou des positionnements. Cette deuxième option a depuis de nombreuses années été celle des partis sociaux-chrétiens, et singulièrement en Communauté française celle du PSC, devenu depuis peu « Les Engagés », et en partie du MR quand il affichait, il y a 20 ans, un libéralisme social. On voit aujourd’hui que ce positionnement hors clivage et plus centriste est une position difficile à tenir ou à maintenir dans la durée. Les sociaux-chrétiens voient leur base électorale se disperser vers des partis concurrents de gauche ou de droite, tandis que le MR, sous la houlette de son président actuel, tourne la page du libéralisme social en affichant un positionnement de droite sans équivoque. Les clivages résistent donc aux partis qui prétendent les dépasser. Telle est la seconde thèse. La troisième thèse « les clivages ne favorisent pas les positionnements extrêmes », est, à notre avis, plus discutable aujourd’hui. Si cela s’est vérifié, dans le passé, pour beaucoup de partis radicaux de gauche comme de droite n’ayant eu qu’une présence éphémère, c’est moins le cas actuellement comparativement au succès électoral du Vlaams Belang en Flandre ou du PTB en Wallonie. On ne peut affirmer aujourd’hui que les clivages ne « réussissent qu’à ceux qui sont capables de sacrifier à la dure loi des compromis ». Si les clivages ne sont pas créés par les partis, il n’est pas étonnant de constater que les affrontements dont ils sont issus ne se limitent pas aux batailles électorales mais aux multiples guérillas qui touchent les niveaux les plus infimes de la vie sociale et politique. C’est la quatrième thèse, qui s’appuie sur les travaux historiques de Paul Wynants portant sur les guerres scolaires et décrivant les diverses et multiples pressions sociales et réactions en tout genre développées par les camps cléricaux et anticléricaux. Ce serait naïf de croire qu’il n’y a plus aujourd’hui de guérillas alimentées par les clivages. Elles ont simplement pris d’autres formes et s’expriment sur tous ou presque tous les aspects de la vie. C’est la cinquième thèse. Plusieurs auteurs s’attachent à prendre en compte l’une ou l’autre de ces thèses en analysant des cas concrets. Caroline Sägesser nous invite à lire une page du clivage philosophique portant sur le financement public des cultes. On est au XIXe siècle et, durant les 40 ans qui ont suivi la naissance de la Belgique, ce sont encore des instruments législatifs hérités de l’Empire français qui organisent le financement du culte catholique, essentiellement les fabriques d’église, les presbytères et les grosses réparations des édifices du culte. La nécessité de disposer d’une nouvelle loi va exacerber les tensions entre deux points de vue. D’une part, le point de vue catholique porté par l’Église et le parti, selon lequel il importe de garantir le maximum d’autonomie à l’Église (désignation des membres de la fabrique d’église, soumission des budgets et des comptes au seul évêque, catholicité du bourgmestre exigée… ) et de maintenir l’obligation aux communes de fournir un logement au curé de la paroisse, de prendre en charge le déficit éventuel de la fabrique d’église et les grosses réparations des édifices religieux. D’autre part, le point de vue libéral, selon lequel il est légitime que le financement public du culte s’accompagne de contrôles externes (soumission des comptes et budgets à l’évêque mais aussi à la commune, suppression de l’exigence de catholicité du bourgmestre comme membre de droit du conseil de fabrique et affirmation du caractère subsidiaire des subventions communales en faveur du logement du curé et de la prise en charge des grosses réparations). Les débats au sein du parlement dureront cinq ans avant qu’un compromis soit trouvé à travers la loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes. Cette loi ne modifie pas fondamentalement ce qui était déjà organisé par le décret impérial mais oblige cependant les fabriques d’église à déposer auprès des autorités communales leurs budgets et comptes. Si elles ne le font pas, elles se privent de subventions publiques sans pour autant entrainer une suppression du financement du presbytère et la couverture des grosses réparations. En revanche, note Caroline Sägesser, cette loi représente un changement radical à l’égard des autres cultes, en particulier les cultes israélite et anglican, dont les communautés seront dotées de la personnalité civile, et du culte protestant, qui verra s’étendre la personnalité civile aux consistoires locaux et pas uniquement aux consistoires provinciaux.
Le clivage philosophique dans la deuxième moitié du XIXe siècle ne s’est pas limité à l’organisation de l’enseignement et au temporel des cultes mais aussi à la question de l’enrichissement des congrégations religieuses par des dons qu’elles recevaient principalement par les moines ou les sœurs, alors qu’en droit, elles n’étaient pas dotées d’une personnalité morale leur permettant de conserver définitivement ces avoirs et de s’opposer à ce qu’un héritier ou une héritière de ces religieux récupère les dons après leur décès. Michel Coipel indique que beaucoup de décisions de justice ont conduit à l’obligation de restitution des biens accordés aux congrégations religieuses, étant donné la nullité des donations faites aux couvents ou monastères. Décision légitime pour celles et ceux qui craignaient une trop grande puissance financière des couvents ou monastères et s’opposaient à reconstituer des mainmortes dignes de l’Ancien Régime, les biens de mainmorte étant des biens qui ne pouvaient ni être vendus ni être transmis par succession. Crainte excessive pour ceux qui voulaient faire évoluer la loi afin de permettre aux congrégations religieuses de remplir leur mission éducative et sociale tout en se prémunissant contre les dangers de la mainmorte. Il faudra attendre la loi du 27 juin 1921 pour voir ces deux points de vue opposés s’articuler. Cette loi accordera la personnalité morale aux associations sans but lucratif, tout en limitant leur accès à la propriété immobilière et en soumettant à autorisation par arrêté royal les dons supérieurs à un certain montant. En attendant cette loi, bon nombre de manœuvres et d’arrangements informels se sont opérés pour concilier les intérêts des parties et Michel Coipel s’est certainement amusé en rédigeant une nouvelle au côté fleur bleue dans laquelle les protagonistes d’un héritage contesté confrontent leurs points de vue et arguments au couvent de Doorezeel et finissent par trouver un arrangement.
Nous ne quittons pas le clivage philosophique puisque la contribution d’Anne Roekens porte sur la guerre scolaire qui s’est déroulée à la moitié des années 1950. Son angle d’approche porte sur la façon dont la presse écrite et la radio de service public (l’INR) relatent la manifestation nationale du pilier catholique organisée le 26 mars 1955 contre la loi Collard, Léo Collard étant le ministre de l’Instruction publique d’un gouvernement socialiste- libéral. Malgré les entraves décidées par le gouvernement (interdiction de tout rassemblement, suppression des trains vers la capitale), 100.000 personnes ont défilé dans les rues de Bruxelles pour protester contre le projet de loi jugé discriminatoire à l’encontre de l’enseignement catholique. À l’époque, les journaux affichaient plus clairement leur appartenance à l’un ou à l’autre pilier, et il ne fut pas étonnant de lire dans la presse catholique que la manifestation avait été un succès sinon un triomphe et dans la presse socialiste un échec. L’intérêt de l’analyse d’Anne Roekens porte aussi sur le positionnement contestable et contesté de l’INR face à ce conflit et sur la perte progressive de sa légitimité, qui conduira cinq ans après la guerre scolaire à un révision du statut de la radio-télévision de service public où le principe d’équilibre des tendances succédera au principe d’impartialité. En effet, l’INR s’est abstenue de couvrir le conflit et le peu qu’elle en a dit a reflété le point de vue du seul gouvernement, qui n’a pas hésité à censurer la radio de service public au nom du maintien de l’ordre. Au-delà des positions des uns et des autres, le temps était venu de repenser le lien entre la radio-télévision et sa tutelle gouvernementale et ce qui était attendu du média de service public dans une société démocratique traversée par des clivages idéologiques.
Partis politique : histoire d’un programme, résilience de la particratie et délitement du lien partisan
Avec Emmanuel Gérard, on ne quitte pas totalement la question des clivages et des piliers mais on se penche avec lui sur une page importante écrite par le parti catholique (de son nom officiel d’alors Bloc catholique belge) qui décide en août 1945 de s’appeler Parti social- chrétien (Christelijke Volkspartij), pour mettre un nom sur une formation politique ayant modernisé fondamentalement sa doctrine et opéré une profonde réorganisation. On est à la sortie de la guerre et les personnalités dirigeantes du parti catholique sont bien conscientes de la nécessité de « créer un pont des années 1930 vers la période d’après-guerre », c’est-à-dire de poursuivre l’action politique sous la bannière catholique mais en la rénovant fondamentalement. Pour opérer cette mutation vers un nouveau parti, le directoire du Bloc catholique belge confie à un comité organisateur provisoire la tâche de construire un nouveau programme qui verra le jour au début de 1946, sous l’intitulé « Programme de Noël 1945 ». Emmanuel Gérard est élogieux envers ce programme et la « cohérence, la largeur et la profondeur de sa vision ».
Qu’en est-il concrètement ?
Ce programme, fruit d’important débats internes, porte des traces de la critique fortement antilibérale de la culture bourgeoise des années 1930, s’oppose au marxisme, s’inspire du personnalisme et présente la restauration des communautés naturelles que sont la famille, la profession et la cité, comme objectif à atteindre. La marque catholique de ce texte se manifeste sur la famille, présentée comme une valeur à défendre. Base de la société, elle doit faire l’objet d’une reconnaissance par la Constitution et l’affirmation de l’obligation de l’État de l’aider, de la favoriser et de la protéger. La conception de la famille reste traditionnelle – on dirait aujourd’hui patriarcale –, le principe de puissance paternelle étant affirmé et conduisant à octroyer un vote supplémentaire aux pères de famille au titre de représentants de leurs enfants. Sur le plan social, le programme s’inscrit pleinement dans le mouvement de construction d’un modèle de concertation sociale qui sera mis en place progressivement. Structure de concertation à trois niveaux, commissions paritaires, statut légal des conventions collectives, reconnaissance de l’autorité du chef d’entreprise et du rôle des organisations syndicales indépendantes comme interlocutrices légitimes. Emmanuel Gérard note que le « sujet brulant de la sécurité sociale reste vague ». Peut-être est-ce le signe que le nouveau parti ne souhaitait pas remettre en question les grandes orientations du pacte de solidarité sociale conclu en avril 1944 ? Enfin le Parti social-chrétien décide de se présenter comme parti national et de rompre avec le clivage communautaire présent dans le Bloc catholique qui connaissait une présidence bicéphale de deux entités distinctes. En cohérence avec ce choix, le PSC s’oppose au fédéralisme même modéré mais accepte que des formes de décentralisation et de déconcentration soient mises en œuvre.
Fort de ce programme, le Parti social- chrétien (Christelijke Volkspartij) deviendra le plus grand parti belge dès 1946 et sera continuellement au pouvoir jusqu’à sa scission en 1972. Son refus du fédéralisme laissera place progressivement à une adhésion à cette forme d’organisation de l’État et même, pour les sociaux-chrétiens flamands, au confédéralisme. Par rapport au programme de Noël, c’est une rupture radicale de position. C’est dans le domaine social qu’il y a continuité de perspective et sans doute la position des mutualités chrétiennes et du syndicat chrétien y est-elle pour beaucoup. Enfin l’ambition de faire la famille la base de la société se confronte à la diversité des différents modèles existants, à la fragilité des couples, à la réalité des divorces, au refus du patriarcat et du statut du chef de famille attribué au seul père et à l’affirmation des droits autonomes des enfants indépendamment de leurs familles.
Avec Jean-Benoit Pilet et Petra Meier, on quitte la question des clivages et des piliers pour s’interroger sur la persistance d’un modèle particratique construit autour des trois familles politiques traditionnelles. Par modèle particratique, les auteurs désignent un système politique dans lequel les partis politiques installés (c’est-à-dire ces trois familles traditionnelles) disposent de facto d’un monopole sur les principaux leviers du pouvoir politique et sur les institutions démocratiques. Qu’en est-il de ce modèle pour ce qui est de la fédéralisation de l’État, de la diversification du profil des mandataires politiques, de la crise de confiance des citoyens dans la politique et de la volatilité électorale croissante ? Mobilisant une palette d’indicateurs, les auteurs arrivent à la conclusion selon laquelle le système particratique manifeste une forte résilience, « les partis réussissant à s’adapter aux pressions auxquelles ils sont confrontés sans pour autant remettre en cause leur centralité et leur force organisationnelle ». Prudent, ce constat ne signifie pas que la résilience du système particratique se maintiendra à l’avenir étant donné les futures formes de l’État, la volatilité électorale grandissante, le désenchantement des citoyens par rapport à la politique et le succès grandissant des partis non-traditionnels.
Un peu avant son décès, Paul Wynants s’emparait d’une problématique très proche de celle de J.-B. Pilet et P. Meier en s’interrogeant non pas sur la solidité de la particratie mais sur le lien entre les partis et leurs adhérents, qu’ils soient membres ou simples électeurs. Le progrès de la volatilité électorale, la croissance des préférences partisanes multiples et le dégagisme ambiant expriment véritable un délitement du lien partisan. Et ce délitement est profond, nourri par le désenchantement démocratique et la défiance des citoyens à l’égard de la politique, par l’apparition de nouvelles lignes de fracture dans une société où les identités liées aux piliers s’estompent et, enfin par l’avènement d’une « démocratie du public » fondée, non plus sur la dynamique des partis en relation avec leur membres et militants et permanents, mais sur les images, les émotions, les sondages, la « com’ » et les réseaux sociaux. Si on considère que la solidité des liens partisans est nécessaire au système particratique pour se reproduire, le délitement décrit par Paul Wynants pourrait conduire à fragiliser rapidement la résilience du système particratique.
Les syndicats et la diversité de leurs publics
Jean-Benoît Pilet et Petra Meier ont démontré que les partis politiques ont réussi à intégrer la diversification de la société et du profil des mandataires dans leur mode de fonctionnement et que l’arrivée dans leurs rangs d’un nombre grandissant de femmes et de personnes issues de l’immigration ne les ont pas affaiblis. On pourrait tirer les mêmes conclusions pour les syndicats à la lumière de la contribution de Jean Faniel. Ce ne fut pas simple pour eux, mais aussi pour les jeunes et pour les travailleurs sans emploi, de s’intégrer aux structures de la CSC et de la FGTB, mais cela s’est fait progressivement à travers la constitution de groupes dits spécifiques. Les réticences ont bien été présentes de la part des structures professionnelles et interprofessionnelles dont les représentants étaient majoritairement composés d’hommes adultes rarement d’origine étrangère. Ces réticences étaient diverses et nourries soit par une ignorance ou un manque de considération des problèmes singuliers vécus par ces groupes spécifiques, soit par une crainte que ces groupes viennent avec des revendications radicales ou dérangeantes. Mais ces réticences n’ont pas pesé le même poids face à des arguments pour une ouverture à des nouveaux membres, la prise en compte de nouveaux enjeux et l’élargissement de la base syndicale. Jean Faniel met le doigt sur l’ambivalence que constitue la création de groupes spécifiques au sein des syndicats. Certes, ils facilitent les discussions « entre soi » sur des problématiques qui ne sont pas strictement connexes à l’activité professionnelle mais à des obstacles liés à la langue et à la fragilité que l’on peut ressentir si on est jeune dans un public aguerri, chômeur dans un groupe où les actifs dominent ou femme dans un groupe masculin. Mais les groupes spécifiques peuvent aussi se transformer en « ghettos » où les enjeux globaux sont perdus de vue, ce qui offre aussi un argument aux composantes classiques de l’organisation syndicale pour se préoccuper moins de l’intérêt de ces travailleurs. Cette ambivalence n’a pas empêché les groupes spécifiques de faire partie intégrante du mode de fonctionnement des organisations syndicales, sans toutefois faire disparaître complètement la sous-représentation des jeunes, des femmes et des immigrés dans les structures et les instances dirigeantes. J’ajouterai néanmoins que le creuset que constituent les groupes spécifiques a permis à certaines revendications de prendre
une ampleur de politique générale, telle la revendication de l’individualisation des droits sociaux.
Pour celles et ceux qui portent intérêt à la réflexion et à l’histoire politiques de la Belgique, ce livre[37], fruit d’un travail collectif, mérite vraiment qu’on s’y attarde.
Faire front en France et en Belgique
Vers une convergence des luttes ?
Sehier, V. (2024). Faire front en France et en Belgique. La Revue Nouvelle, n° 6(6), 70–75. https://doi.org/10.3917/rn.242.0070
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ovembre 2023 en Belgique franco- phone, l’opposition s’embrase litté- ralement contre un décret concernant l’EVRAS et, vues de la France, ces attaques constituent une nouveauté. En France, à la même période, l’association Les Parents Vigilants, issue du parti d’extrême droite Reconquête d’Éric Zemmour, organise un colloque au Sénat où il est question de « théorie du genre » et de « grand endoctrinement à l’école et à l’Université »[38]. Une fois encore, le Palais du Luxembourg, grâce au sénateur Stéphane Ravier, accueille des acteurs anti-genre[39]. Nous avons beaucoup à apprendre de nos expériences réciproques des deux côtés de la frontière, notamment en matière de campagnes contre l’éducation à la sexualité, contre les personnes trans et l’euthanasie. Nous devons aussi resituer ces expériences dans ce qui se passe aujourd’hui à l’échelle européenne. C’est ce que je vais tenter de faire à
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Véronique Sehier
travers cet article, à partir de ma position particulière de militante voisine de la Belgique.
Une situation inédite en Europe
Les dernières élections européennes ont acté une nette progression de l’extrême droite en Europe et surtout en France, où 35 parlementaires européen·nes sur 81 sont d’extrême droite. Si les groupes majoritaires du PPE et S&D restent relativement stables, le nouveau groupe – Patriots For Europe – conduit par le Fidesz de Viktor Orbán[40] deviendrait la troisième force du Parlement européen, devant Renew, et pourrait donc cons- tituer une minorité de blocage.
Face à ces résultats, le président de la République Française annonce à la surprise générale la dissolution de l’Assemblée nationale. Il provoque ainsi des élections législatives anticipées. Si l’extrême droite arrive en tête lors du premier tour, avec 33 % des suffrages exprimés, le Nouveau Front Populaire devient la deuxième force politique au second tour. En réunissant les partis de gauche autour d’un programme commun bâti en quatre jours, il obtient le plus grand nombre de député·es. Le pari est gagné : faire reculer l’extrême droite et déjouer son projet inégalitaire, sexiste, raciste, LGBTPhobe grâce à la mobilisation de la société civile autour d’une coalition politique, alors que les attaques racistes, antisémites et LGBTPhobes explosent pendant ces quatre semaines de cam- pagne insolites.
Ce numéro sur les campagnes antigenre tombe à pic dans cette situation politique particulière : la montée de l’extrême droite est un fait marquant des élections européennes, belges et françaises. Depuis le 1er juillet, la Hongrie a pris la présidence de l’Union euro- péenne sous le slogan « Make Europe Great Again ». L’ombre de Donald Trump plane sur l’Europe, alors que se jouent les prochaines élections américaines. Parmi les priorités affichées par Viktor Orbán figure celle de « protéger plus efficacement les frontières extérieures [de l’UE] et gérer les causes profondes de l’immigration »[41]. 2024 est une année marquée par un risque de basculement avec des conséquences importantes pour les droits humains fondamentaux en Europe et aux États-Unis, en particulier les droits des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des personnes racisées, et pour les libertés en général.
Des campagnes anti-genre déjà anciennes en France, en développement en Belgique
En France, l’éducation à la sexualité est depuis longtemps instrumentalisée par les acteurs anti-genre. Les attaques ont été violentes dès 2012, lors des débats sur la loi du mariage pour tous, menées par des droites catholiques et conservatrices organisées au sein de la Manif pour Tous. Depuis, elles n’ont cessé de monter. Ces campagnes ont d’abord ciblé les droits des personnes LGBTQIA+, mais aussi l’éducation à la sexualité et les interventions sur les stéréotypes de genre en milieu scolaire en diffusant de la désinformation sur le contenu de ces séances. Ces opposants s’en prennent aux organisations qui animent ces séances et s’arcboutent contre les « Principes directeurs internationaux pour une éducation à la sexualité complète »[42] publiés par l’Organisation mondiale de la santé, l’UNESCO, l’UNICEF, ONUSIDA et d’autres organismes. En novembre 2023, le colloque organisé par les Parents Vigilants et SOS Éducation, association d’enseignants et de parents de droite et d’extrême droite, se déroule en présence de Marion Maréchal Le Pen et d’Éric Zemmour pour lutter « contre l’idéologie transgenre » véhiculée par l’éducation à la sexualité, les « lobbys transactivistes », la « propagande islamogauchiste » et le « wokisme » à l’école.
Dans son article, Anne-Sophie Crosetti décrit la violence de l’opposition au moment du vote du décret relatif à la généralisation de l’EVRAS en Belgique francophone et place ce mouvement spectaculaire dans une perspective historique. Les modalités d’attaque diffèrent, mais on y retrouve les mêmes ingrédients : la peur de la perte de l’autorité parentale et l’instrumentalisation d’une panique morale autour des questions de sexualité à l’école. On retrouve ces arguments dans le communiqué de presse d’un collectif de parents d’élèves de Tours en mars 2024 : [l’éducation à la sexualité] « agit comme une effraction traumatique, les répercussions à court moyen et long terme sont indéniables »[43]. Si cette opposition virulente est récente en Belgique, on connait bien en France ces droites conservatrices et catholiques qui se sont liguées au niveau européen, avec les mêmes slogans, les mêmes thèmes d’affiche, les mêmes couleurs, la même iconographie et les mêmes outils de communication. Ces campagnes ont un impact réel sur la vie des personnes concernées : d’après le dernier rapport de SOS Homophobie, les attaques contre les personnes LGBTQIA+ et particulièrement les personnes trans sont en nette augmentation[44]. La majorité des victimes sont jeunes et sont des femmes trans.
Une nouvelle offensive antitrans
Après la bataille perdue de la constitutionnalisation de l’IVG en France, les opposant·es réattaquent en force contre l’éducation à la sexualité et contre les droits des personnes trans, aidés en cela par certains médias. Les prises de parole de politiques et de personnalités hostiles aux droits des personnes trans se sont multipliées, ainsi que la désinformation et les discours transphobes sur internet et les réseaux sociaux. Comme le déplore Claire Vandendriessche, coprésidente du Réseau Santé Trans, « Les relais trouvés par ces personnes dans les médias ont permis l’imposition, dans le débat public, de la transition médicale des mineurs comme le principal sujet lié à la transidentité »[45].
En 2022, la sortie sur les réseaux sociaux d’une affiche du Planning montrant un homme transgenre enceint a suscité une énorme polémique avec un tollé de réactions sur les réseaux sociaux, mais aussi énormément d’expressions de soutien. La « contagion anti-genre » dont parle Archibald Gustin fonctionne aussi en France. Elle a ouvert les vannes d’un déferlement d’attaques transphobes et contre les minorités de genre qui depuis n’a pas cessé. Elisabeth Roudinesco, historienne et psychanalyste française, a utilisé dans une émission télévisée à une heure de grande écoute le terme d’« épidémie » à propos d’une petite fille qui demandait à changer de nom en affirmant : « Je trouve qu’il y a une épidémie aujourd’hui de transgenres, il y en a beaucoup trop »[46]. Même au niveau du Parlement, pendant la discussion de la loi pour intégrer l’IVG dans la Constitution en novembre 2022, la députée Aurore Bergé a déposé un amendement pour exclure les hommes trans de la protection du droit à l’IVG. Devenue Ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, elle a reçu Dora Moutot et Marguerite Stern10, les autrices du livre Transmania qui vise les femmes trans, provoquant la riposte solidaire de plus de 800 personnalités politiques, artistiques, intellectuelles et militantes[47].
L’offensive transphobe en France prend de l’ampleur, menée par l’Observatoire de la Petite Sirène[48], un collectif francobelge pluriprofessionnel opposé aux traitements pour les jeunes trans au nom de leur protection. En mars 2024, la sénatrice Eustache Brinio, influencée par ce collectif, a rédigé un rapport sur « la transidentification des mineurs »13. Les recommandations émises par le groupe de travail ont servi de base à une proposition de loi reprenant les préconisations de cet observatoire, dont l’interdiction des traitements hormonaux pour les personnes mineures et l’abrogation de la circulaire du Ministre de l’Éducation nationale Blanquer de septembre 2021 « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire », parce qu’« elle crée un régime d’exception pour les « élèves transgenres » et « remet en cause les principes de neutralité et d’égalité au sein de l’institution scolaire ». Cette loi a été votée au Sénat en juin dernier mais a été rendue caduque par la dissolution décidée par Emmanuel Macron.
L’euthanasie, nouveau sujet de bataille des anti-genres en France
Les mouvements anti-genre ont perdu la bataille contre la constitutionnalisation de l’IVG, mais continuent à utiliser l’opposition entre « culture de vie » et « culture de mort », comme l’évoque David Paternotte. C’est ce qui se passe avec le projet de loi sur la fin de vie enfin mis en débat à l’Assemblée nationale après de longs mois d’attente et d’interpellations (mais non adopté à la suite de la dissolution de juin 2024).
Universités. Ensemble, elles ont écrit La fabrique de l’enfant transgenre : comment protéger les mineurs d’un scandale sanitaire, paru en février 2022. 13 | https://lesrepublicains-senat.fr/wp-content/ uploads/2024/03/SYNTHESE-RAPPORTSUR-LA-TRANSIDENTIFICATION-DESMINEURS-20.03.2024.pdf https://www.francetvinfo.fr/societe/lgbt/pourquoi-ladroite-et-l-extreme-droite-s-attaquent-aux-transitionsde-genre-chez-les-mineurs_6532484.html
Des professionnel·les en soins palliatifs réunis au sein de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs, soutenus par la Fondation Jérôme Lejeune et les mouvements anti-genre, avaient dissuadé le Président de la République et le gouvernement de mettre ce texte à l’ordre du jour. Alors que pour beaucoup de Français·es, la loi belge sur l’euthanasie est un modèle : comme dans plusieurs domaines concernant le droit à disposer de son corps, la Belgique a mis en place des lois qui inspirent les mouvements progressistes français. La loi belge de 2002 est une loi équilibrée qui intègre l’acte dans un parcours de soins et favorise un choix réel de la personne concernée en posant un cadre règlementaire protecteur pour les soignants. Malgré une convention citoyenne qui a rendu des conclusions favorables à un changement de loi en avril et un avis du Conseil économique, social et environnemental de mai 2023 qui préconise une ouverture combinée au suicide assisté et à l’euthanasie, le Président de la République reste réticent à avancer sur ce sujet qui rencontre l’opposition de la droite et surtout de l’extrême droite.
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comme dans plusieurs domaines concernant le droit à disposer de son corps, la Belgique a mis en place des lois qui inspirent les mouvements progressistes français.
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Faire barrage à l’extrême droite
Lors des élections de 2017 et 2022, l’actuel président Macron était con- fronté au second tour à la candidate du Rassemblement National et c’est bien pour faire barrage à l’extrême droite qu’il avait été élu une première fois et ensuite réélu. Pourtant, le gouvernement a repris les thèmes qui lui sont chers, comme l’immigration[49] ou l’éducation. Ce phénomène est assez clair dans les débats sur le wokisme. En 2021, Frédérique Vidal, Ministre de l’Ensei- gnement supérieur, a voulu lancer une enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans les universités françaises. En janvier 2022, Jean-Michel Blanquer a ouvert à la Sorbonne un colloque officiel sous l’égide de l’Observatoire du décolonialisme visant à « reconstruire les sciences et la culture »15.
En 2022, le Planning a fait une analyse des professions de foi des candidat·es. Cet exercice a permis de constater comment le vocabulaire anti-genre infuse dans la classe politique en général et comment les discours antichoix sont enrobés chez les candidat·es de droite ou d’extrême droite. Emmanuel Macron a ainsi déclaré en 2021 au magazine ELLE que « l’allongement des délais présente un traumatisme pour les femmes » tout en plaidant en janvier 2022 pour l’inscription de l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Un discours favorable à l’IVG peut servir à se donner une posture positive sur la scène internationale et à se démarquer d’« autres » (musulman·es, extrême droite, etc.) qui seraient moins « avancé·es » en matière de morale sexuelle ou d’égalité de genre. On peut aussi utiliser le féminisme à des fins nationalistes en faisant passer le sexisme pour un problème de « civilisation » et non comme une oppression structurelle, en accusant les étrangers d’être les principaux auteurs des violences contre les femmes[50].
Organiser la riposte
La petite musique de fond qu’évoque Archibald Gustin continue de monter, y compris au plus haut niveau de l’État français. Lors de la très courte campagne pour les élections législatives françaises, le président de la République a tenu des propos méprisants sur « le changement de sexe, libre, en mairie » inscrit dans le programme du Nouveau Front Populaire, qu’il a qualifié de « choses totalement ubuesques » alors qu’il s’agit d’une loi votée au parlement en 201617… quand il était lui-même membre du gouvernement.
Il est urgent aujourd’hui pour la société civile d’organiser la riposte et la résistance sur le long terme – et pas seulement en cas d’attaques – car il s’agit d’un mouvement profond. Il nous faut penser l’ « impensé » : construire des coalitions capables de résister durablement au niveau national mais aussi transnational. Sur quelles bases construire ces alliances, avec qui et avec quels objectifs communs, quand les clivages existant sur certains sujets comme les droits des personnes trans, le travail du sexe ou l’universalisme renvoient à des échelles de valeurs et à des positionnements contradictoires ? Avec quels moyens et quelles sont les res- sources disponibles ? Quels financements aller chercher au sein des organisations aujourd’hui pour les construire ? Les pistes proposées par Alexandra Ana ouvrent un vaste champ jusque-là peu travaillé au sein du mouvement féministe et du mouvement LGBTQIA+. Ce projet de « coalitions profondes » nécessite l’engagement de la société civile, mais aussi de l’université, des acteurs de l’éducation et de la recherche et, au-delà, des journalistes et des médias qui jouent un rôle essentiel dans la connaissance et la diffusion d’une information fiable, basée sur les faits et sur la science. Un sacré défi : nous sommes en état d’urgence et nous devons agir sur la durée car ce mouvement ne s’arrêtera pas.
Comme l’écrivent Florence Delmotte et Justine Lacroix dans un numéro 4 -2024 de La Revue nouvelle, « ce qui est en jeu, à l’heure l’extrême droite progresse partout, ce n’est rien moins que la possibilité d’un monde commun partagé entre les universitaires, et les femmes et les hommes attaché·es (…) aux principes de la démocratie, de l’égalité et de la liberté » (Delmotte 2024, p. 44). La mobilisation sans faille de la société civile pour la démocratie, pour les droits et contre -le racisme, conjointement à celle des organisations politiques rassemblées au sein du Nouveau Front Populaire, a permis de faire reculer l’extrême droite et d’échapper au pire en France. Il faut aujourd’hui renforcer et élargir cet élan et mener la bataille des idées en s’adressant au plus grand nombre. L’extrême droite poursuit sa montée en Europe « en embrassant la rhétorique des droits et des libertés », mais « dépouillés de toute portée émancipatrice et utilisés à des fins d’exclusions ou de minoration de certains groupes sociaux » (Hennette-Vauchez 2024). Comme le suggère David
Paternotte, il nous faut agir ensemble au sein de coalitions transnationales pour construire un projet progressiste pour l’Europe, en s’appuyant sur une expertise et sur des expériences partagées.
Bibliographie
- Delmotte, Florence et Lacroix, Justine (2024). « Lettre aux universalistes. À celles et ceux qui s’inquiètent de l’évolution de l’Université ». La Revue nouvelle, n° 4, p. 44-49.
- Hennette-Vauchez, Stéphanie, et Vauchez, Antoine (2024). « Quand le RN dépouille droits et libertés ». AOC. https://aoc.media/ analyse/2024/06/26/quand-le-rn-depouilledroits-et-libertes/
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Le wokisme, la nouvelle panique morale à la mode
Robert, J. (2023). Le wokisme , la nouvelle panique morale à la mode. La Revue Nouvelle, N° 8(8), 5–7. https://doi.org/10.3917/rn.228.0005
July Robert
Dans l’une de ses récentes sorties médiatiques, le MR Georges-Louis Bouchez réagit à la victoire de Giorgia Meloni aux élections en Italie en affirmant qu’il s’agit du « résultat d’une classe moyenne qui se sent menacée par les dérives wokistes ». Apparue au XIXe siècle aux États-Unis pour décrire l’expérience des personnes noires dans une société postesclavagiste, l’injonction « Stay Woke » (« Rester éveillé·e » ou « rester vigilant·e » ; être conscient·e et activement attentif·ve aux questions importantes, notamment en termes de justice raciale et sociale) était employée dans un sens social ou politique pour inviter à être continuellement attentif·ve aux discriminations. Il s’est ensuite invité dans la sphère culturelle pour entrer dans le langage courant, synonyme d’une forme de militantisme. On l’entendra notamment beaucoup lors des nombreuses manifestations sous la bannière « Black Lives Matter ». En Europe et dans le monde francophone, le terme devient rapidement un mot-valise utilisé pour disqualifier nombre de prises de parole, surtout en sciences humaines et sociales et en particulier dans les études sur le genre et le racisme. Ce qui est reproché à ces champs d’études est leur démarche idéologique, leur « radicalisme », leur « manque de rigueur ». Les ennemis à combattre sont, aujourd’hui et en vrac, l’intersectionnalité, les études de genre, et donc le « wokisme ». Le monde politique de droite et d’extrême droite utilise
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ce dernier mot pour exciter l’opinion publique, identifiant l’antiracisme à un grave problème social et politique. Après l’indigénisme, l’islamo-gauchisme et autre « cancel culture » est donc apparue le wokisme. Le milieu intellectuel francophone s’est emparé d’un terme venu des États-Unis pour se le réapproprier et créer une panique morale visant essentiellement les mondes politique et universitaire. Mais ces « wokes », qui, à en croire de nombreux·ses polémistes et personnalités politiques, seraient si menaçant·es qu’iels pousseraient notamment à voter à l’extrême droite limite fascisante, qui sont-iels ? Présenté comme un mouvement global, le « wokisme » n’en présente pourtant aucunement les caractéristiques. Christophe Mincke, criminologue, tente de clarifier la situation en ces termes : « L’idéologie woke, ou le wokisme, est ce qualificatif péjoratif ne reposant sur aucun fondement sérieux, mais qui permet de disqualifier comme un tout l’ensemble des forces contestataires issues des minorités ou des populations minorisées. Charriant à la fois une accusation d’hypersensibilité, un renvoi à l’invasion de “théories américaines” et l’assimilation de réactions à des discriminations à une volonté de mise en danger de notre société, ce terme a notamment été intensément utilisé en France pour tenter de faire taire certains courants critiques au sein de la recherche en sciences humaines et sociales, portant notamment sur les questions de genre, d’identité sexuelle, de discrimination fondée sur l’appartenance religieuse, ethnique, etc.[51] » La panique morale, théorisée par plusieurs sociologues, désigne la façon dont émergent des épisodes d’inquiétude collective détachée de la réalité
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de la menace en question. Loin d’encourager la réflexion et de clarifier la pensée, elle sert à déclencher un sentiment de panique, de répulsion ou de colère à l’égard d’individus ou de groupes qu’on veut étiqueter comme déviants et dangereux. Dans son ouvrage La panique woke, le docteur en science politique Alex Mahoudeau offre les clés d’identification de la « panique woke » : « Il arrive des moments où, au sein d’un groupe social, se répand la crainte d’un phénomène qui remettrait simultanément en cause les fondements de la bienséance, de la civilité, du “vivre-ensemble” ou de l’esprit commun, et dont la cause est attribuée à un groupe d’individus traités comme un bloc et diabolisés ». Selon lui, les paniques morales ont cinq caractéristiques. Elles sont liées à un certain degré d’inquiétude quant au comportement d’un groupe, lequel est la cible d’un discours marqué d’une certaine hostilité et la réalité évoquée par cette panique morale doit susciter un degré de consensus. En outre, la panique morale est volatile, elle disparait aussi vite qu’elle est apparue et fait systématiquement l’objet d’une exagération. Il est à ce stade important de préciser que qualifier un incident de panique morale ne signifie pas qu’il n’a pas eu lieu. Une panique morale n’est pas imaginaire. Ce qui la caractérise, c’est la manière dont l’incident est présenté afin de conforter l’ambiance de diabolisation dans laquelle la panique s’insère et bien souvent relayée par les médias de masse. On peut même affirmer qu’elles font partie de leur fonctionnement ordinaire. Ils ne les ont pas inventées, mais ont constitué leur cadre de développement de longue date. Selon l’auteur Francis Dupuis-Déri dans son ouvrage récemment paru Panique à l’université, « La panique morale d’aujourd’hui au sujet des “wokes”, que l’on nous présente comme un tout nouveau fléau, s’inscrit
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dans cette longue tradition paranoïaque qui a pris pour cible les francs-maçons, les catholiques, les juifs, les homosexuels et les communistes, réels ou fantasmés. D’autres polémistes confirment par leur propos que l’antiwokisme d’aujourd’hui correspond à l’anticommunisme d’hier. » Souvent un feu de paille médiatique, une panique morale cède sa place à la suivante à un rythme effréné, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux.
Pour y faire face, la controffensive, souvent fondée sur le fait de contredire le discours produit, peut se prendre les pieds dans ces contradictions. En pointer les erreurs logiques ou factuelles peut s’avérer contreproductif dans la mesure où l’attrait de l’affaire ne tient souvent pas dans ses tenants et aboutissants, mais plutôt dans la présentation caricaturale de ses éléments traités sur le ton de l’indignation dans un objectif de décrédibilisation. En fin de compte, comme le dit Alex Mahoudeau, « L’une des raisons pour lesquelles le “wokisme” est une explication médiatiquement populaire est probablement de nature tautologique : on en parle parce qu’on en parle, ce que Pierre Bourdieu appelait “la circulation circulaire de l’information”. Ce qui expliquerait la tendance à inclure tout, et surtout n’importe quoi, sous cette étiquette. » À la suite de cette affirmation, il nous faut nous demander qui parle de « wokisme » et à qui ce terme parlet-il ? Il semble impossible, après de nombreuses recherches, de savoir ce que pense réellement le grand public du « wokisme ». « Même dans les cas des enquêtes d’opinion, la seule information stable est qu’une large part des personnes sondées n’ont jamais entendu parler de “wokisme” ou des sous-catégories qu’on y associe, et qu’une part non négligeable de celles qui en ont entendu parler disent ne pas savoir ce que le terme signifie. Les enquêtes ne
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permettent pas de savoir quelle part du groupe ayant entendu parler du “wokisme”, et pensant en connaitre la définition, peut en donner une qui fasse consensus, non seulement parce qu’elles ne testent pas cette question, mais encore parce qu’il n’existe pas de telle définition », affirme Alex Mahoudeau. Selon lui, il serait plus intéressant de voir la panique « woke » comme une mobilisation dont la scène est le monde médiatique sans tirer de conclusions sur ce que pense l’opinion publique. Les personnes qui lancent les polémiques et celles qu’elles ciblent sont objectivement distinctes de la majorité de la population (politiques, universitaires, journalistes, etc.) et disposent grâce à leur fonction d’un fort capital de légitimité, mais également d’une grande force d’influence et de persuasion. Néanmoins, les personnes qui diffusent le discours de la panique « woke » n’adhèrent pas forcément à une idéologie clairement définie, c’est précisément l’intérêt d’un discours reposant sur la caricature qui a tendance à gonfler chaque sujet évoqué pour lui donner une influence susceptible de peser sur les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques prônant le dialogue et la liberté d’expression. Dans le cas de nombreuses polémiques ayant suscité une panique morale, leur caractère absurde a plus ou moins rapidement pu être démontré et elles se sont évanouies aussi vite qu’elles étaient apparues. Dans le cas particulier de la panique « woke », son traitement constitue davantage une mise en ridicule de questions importantes qu’une concentration sur des anecdotes plus ou moins exagérées ou inventées et montées en épingle. Plutôt que de voir l’éveil des consciences autour notamment des questions de genre et de l’antiracisme, comme une avancée, les polémistes l’ont transformé en épouvantail pour exciter l’opinion publique, les identifiant à un grave problème social et politique. Produire la panique a de tout temps été une pratique réactionnaire et la panique « woke » en est le dernier exemple. Alors qu’aujourd’hui elle est brandie comme un danger imminent pour notre civilisation, il est possible qu’elle fasse doucement sourire dans six mois… Dans la conclusion de La panique woke, l’auteur déclare « Ni futilité, ni divertissement, la panique morale ressemble plutôt à une façon de parler de politique : ses entrepreneurs se concentrent généralement sur le fait d’agiter de vagues menaces, en laissant l’émotion faire le reste. Les analyses des paniques morales ont régulièrement montré, avec raison, la façon dont ce “reste” représente souvent une reprise en main de situations de crise par un capitalisme autoritaire. L’une des premières réponses à la panique woke serait donc probablement de commencer par demander : “Que voulez-vous faire ?”, plutôt que de placer le débat sur le strict champ de la discussion philosophique. » Mais il n’empêche qu’il pourrait être judicieux, comme l’y invite Alex Mahoudeau, d’anticiper la prochaine panique. Adopter une attitude
défensive ne permettra pas de déconstruire ses fondements émotionnels et non tangibles. Il s’agirait, selon lui, de proposer une politique offensive pour ramener l’ensemble sur le terrain concret des préoccupations et de la vie matérielle des gens. Dans un renversement du stigmate, saluons toutes celles et ceux qui se revendiquent woke aujourd’hui avant que le terme ne disparaisse dans les limbes pour laisser place à la nouvelle lubie de dominants effrayés par la perte potentielle de leurs privilèges.
Précarité étudiante : le malêtre dans l’assiette
Disch, C. (2023). Précarité étudiante : le malêtre dans l’assiette. La Revue Nouvelle, N° 3(3), 9–13. https://doi.org/10.3917/rn.231.0009
Charlotte Disch
« Nous sommes ce que nous mangeons. »
Ludwig Feuerbach
L’éloge de la malbouffe dans le folklore estudiantin
La diversité des livres de cuisine « spécial étudiants » « fauchés et mal équipés[52] » rayonne dans les librairies de Bruxelles. Les couvertures ont de quoi séduire les nouveaux étudiant·es et de rappeler aux anciens des souvenirs de guindailles[53] endiablées où l’alcool coule à flots. Sorti·e du nid, l’étudiant·e, s’autonomiserait ainsi, petit à petit, en passant par une phase de déséquilibre alimentaire ; en mangeant à peu près tout et n’importe quoi, pourvu que ce soit rapide, que ça tienne au corps et que ça permette de réussir ses études. Ces livres de recettes « faciles » cachent en réalité un mal plus profond : l’accroissement de la précarité étudiante. Dès lors, se pencher sur l’alimentation des étudiant·es dévoile des enjeux en matière de santé publique, d’une part, et de question identitaire, d’autre part.
Une définition de la précarité dans l’enseignement supérieur
Maes (2022)[54] définit la précarité étudiante comme le résultat d’un ensemble de dispositions institutionnelles qui font peser sur l’individu un poids disproportionné par rapport aux autres. S’il existe plusieurs définitions de la précarité dans la littérature, cette définition permet de souligner qu’elle ne résulte pas uni quement d’un problème financier mais aussi d’un problème plus large d’accès à des ressources, problème uniquement dû à une interaction avec l’institution de l’enseignement supérieur. En effet, il ne peut y avoir de précarité étudiante s’il n’y a pas d’étudiant·e. Par exemple, le fait de ne pas avoir un ordinateur n’est pas un problème si l’enseignement n’est pas pensé pour rendre cet outil indispensable. En revanche, si le dispositif académique est pensé autour de l’ordinateur, on n’a pas le choix, on doit en posséder un. On peut contrebalancer ce besoin en mettant en œuvre des dispositifs de support social qui tiennent compte de ce que l’institution exige des étudiant·es. Il y a des entrejeux institutionnels qui font que certaines choses qui pourraient être des épreuves ne le sont pas complètement.
Des étudiant·es en pleine crise identitaire
Cette précarité s’accompagne d’un malêtre selon le sociologue français Broda[55] (2008, p. 105), d’une véritable « hécatombe » pour reprendre ses mots. Ce problème concerne notre avenir, « les étudiants, leurs familles, leur futur, la société et la civilisation ». Le « malêtre identitaire », touche toutes les origines sociales, autant les garçons que les filles, même s’il prend des formes différentes : plus de comportements à risques chez les garçons, plus d’atteintes au corps chez les filles, le tout sur fond dépressif masqué et massif. Du déséquilibre alimentaire…
« Je ne bois qu’un café par jour et mange des pâtes le soir » nous raconte Margaux, étudiante en première année universitaire à l’ULB. Le témoignage de ses habitudes alimentaires est semblable à celui de nombreux·ses étudiant·es et est symptomatique d’un accroissement de la précarité étudiante. D’après une étude réalisée par la Sonecom[56] (2019) sur les conditions de vie des étudiant·es de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 36% feraient face à des problèmes financiers malgré l’appui d’une ou plusieurs aides sociales. Sur 200 000 étudiant·es du supérieur, 60 000 vivraient dans la précarité. 40% des étudiant·es déclarent « avoir déjà dû renoncer à un repas ou un soin de santé pour payer leurs études ; ces étudiant·es n’ont pas recours aux aides sociales »6. Appartiennent également à cette catégorie celleux qui ont besoin d’un job étudiant pour payer leurs études.
De l’étudiant fauché présenté avec humour en première de couverture d’un livre de cuisine étudiante, il suffit d’un pas pour qu’émergent aussitôt les problèmes de santé. Si nous avons tous en tête la maxime « un esprit sain dans un corps sain », son application ne va plus de soi une fois confrontée aux difficultés financières rencontrées par les étudiant·es. L’alimentation est souvent reléguée au second plan dans les études sur la précarité étudiante (Sonecom, 2019, p. 117), comme l’attestent les titres desdits livres de recettes, peu d’études s’inquiètent de ce que mange l’étudiant·e fauché·e et font l’éloge d’une alimentation déséquilibrée.
Pourtant, les enjeux de santé publique sont rapidement palpables, une alimentation semblable à celle relatée par Margaux n’étant pas sans conséquence, en particulier s’agissant de faire face à
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l’angoisse de réussir ses études et/ou de (sur)vivre, tout simplement. Les acteurs des services sociaux, les CPAS, les acteur·ices des organisations d’aide à l’alimentation s’alarment de la situation des plus précaires qui doivent réduire leurs dépenses au point de les mener à des privations, non pas pour dépenser l’argent restant dans les loisirs mais pour les dépenses plus urgentes comme leur logement (Sonecom, 2019, p. 117).
Afin de permettre aux étudiant·es les plus précaires de manger un repas complet au moins tous les deux jours, les établissements de l’enseignement supérieur tentent de proposer sur les campus des menus à des prix abordables afin de favoriser une meilleure alimentation. Si le budget des aides financières est limité, des alternatives existent : des associations extérieures proposent par exemple des paniers de vivres et de produits frais pour un montant accessible. Par exemple, « l’Association pour la Solidarité Etudiante de Bruxelles (ASEB ASBL) a fourni environ 5 000 paniers à plus de 1 500 étudiant·es en 2018 » (Sonecom, 2019, p. 118). Le succès croissant de ces initiatives est révélateur de l’importance de la précarité étudiante mais elles sont loin de combler les carences de chaque étudiant·e en situation précaire. … Au renoncement des soins de santé
Inévitablement, cette situation induit des problèmes de santé, voire à un renoncement à des soins médicaux tels que les examens et/ou l’achat de médicaments. Toujours d’après l’enquête Sonecom (2018, p. 116), 15% auraient renoncé à des soins pour des raisons financières. Pour les femmes, la situation apparait d’autant plus précaire qu’elle touche aux protections hygiéniques qui deviennent des produits de luxe.
En outre, depuis les années 1980, Broda (2008, p. 605-606) a été le témoin, en France, d’une dégradation de la santé mentale des étudiants, de leur équilibre psychique, social et identitaire. Nombreux sont celleux qui n’osent pas se confier, ils sont à un âge où « parler est une épreuve » et cela est renforcé par l’anonymat, la précarisation et la solitude que l’on peut ressentir en étudiant à l’université.
L’enquête Sonecom (2019, p.116) confirme les observations de Broda, pour le cas de la Belgique, et révèle que les services sociaux se sentent démunis face à la prise en charge de ces problèmes psychologiques qu’ils constatent de plus en plus nombreux, voire qui se généralisent. Ils sont généralement liés à différents types de stress causés généralement par un manque de moyens financiers doublé de la peur de l’échec, non seulement en raison d’un problème de capacité, mais aussi à cause « du stress généré par le mode de vie – un job étudiant fatigant et prenant, un logement peu adapté aux études et/ou de longs trajets quotidiens » (Sonecom, 2019, p. 116). Par ailleurs, la peur d’être dans l’incapacité de poursuivre le cursus pour des raisons financières et la peur de l’avenir (familial, professionnel ou financier) de manière générale sont aussi très prégnantes.
Tout le monde n’est pas égal face au risque de la précarité. Si la tendance est de considérer et d’englober l’ensemble des étudiants comme un groupe social homogène, la diversité de leurs conditions de vie fait varier les situations de précarité. L’identité étudiante véhiculée dans l’imaginaire folklorique était auparavant liée à une forte dépendance entre l’étudiant·e et ses parents, lorsque cellui-ci vivait chez eux en bénéficiant de leur protection pour se consacrer pleinement à ses études, tout en jouissant des diverses activités d’une vie étudiante. La massi fication de l’enseignement supérieur a rendu obsolète cette image homogène, la condition étudiante s’étant profondément transformée (Erlich[57], 1998).
La massification de l’enseignement supérieur et l’éclatement d’un groupe social privilégié homogène
L’université massifiée est née d’une volonté de créer une société plus égalitaire, en partie par peur des communistes et par un besoin important de main d’œuvre qualifiée dans le cadre de la reconstruction de l’Europe occidentale après la Seconde guerre mondiale. Beaucoup confondent ce processus de massification avec un processus de démocratisation comme si l’accès aux études était automatiquement synonyme de réussite. La réalité montre qu’il ne suffit pas de rentrer à l’université ou en haute école, il faut aussi en ressortir diplômé∙e, et le mieux possible, c’est-àdire dans le temps réglementaire pour finir ses études. Une vraie démocratisation impliquerait un accroissement considérable du taux de diplomation, qui serait par ailleurs indépendant de la situation socioéconomique de l’étudiant∙e.
Le cas d’Odile[58] illustre cette confusion : étudiante en philosophie à Liège, elle bénéficie d’un apport financier de ses parents mais doit travailler à côté pour couvrir l’entièreté de ses besoins vitaux et participer aux frais de son kot[59]. Son témoignage est révélateur de l’accroissement des inégalités dans le processus de massification de l’enseignement supérieur lorsqu’elle affirme que deux étudiant∙es ayant les mêmes capacités mais pas les mêmes aides financières, ni le poids ni le stress de « trouver de l’argent », n’auront pas les mêmes chances de réussite. Cette situation implique que tous∙tes les étudiant∙es qui fréquentent les campus ne partagent pas la même réalité : iels peuvent fréquenter le même auditoire, mais iels ne vivent pas du tout la même université. Travailler pour être ou pour manger ?
Si la formation forge l’identité des étudiant∙e∙, il en est de même des jobs étudiants auxquels se soumettent les plus précaires d’entre eux, allant parfois jusqu’à se prostituer[60][61]. Selon Dubar, un double processus définit l’identité : l’identité pour soi et l’identité pour autrui. Nous nous construisons par ce que nous vivons, par ce que les autres nous transmettent mais également par le regard de l’autre, par la manière dont l’autre nous perçoit. Ainsi, le regard de l’autre transforme notre identité. De là peut découler un sentiment d’appartenance. Il parait évident que l’identité de l’étudiant∙e qui se tue à la tâche dans un domaine qui n’est, à priori, pas le sien ne sera pas sans répercussion négative.
Selon Erlich (1998), travailler répond à une volonté d’autonomisation et/ou de préparation à l’insertion professionnelle. Étudiant∙e n’est pas un emploi, et pourtant l’étudiant∙e qui cumule ses études avec une activité rémunérée se retrouve bel et bien victime d’une « double journée » : iel exerce son métier d’étudiant∙e (Coulon[62], 1997) tout en étant salarié∙e par une autre organisation. Le risque d’échec aux examens devient alors plus grand et un cercle vicieux s’installe : l’occupation première de l’étudiant∙e n’est
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plus d’étudier mais de travailler pour subvenir à ses besoins vitaux et faire face à ses difficultés quotidiennes.
Conclusion
Loin de l’image folklorique de l’étudiant·e qui célèbre son indépendance et se consacre à étudier et faire la fête, la perception est altérée par l’émergence de nouvelles préoccupations depuis la massification de l’enseignement supérieur, telles que la santé mentale et l’alimentation. Les aides sociales ne permettent pas de préserver les étudiant·es de la précarité, iels font régulièrement l’impasse sur un repas, un soin de santé, un achat lié à leurs études, un loisir. Leurs chances de réussite sont réduites par rapport à celleux qui ne sont pas soumis aux mêmes restrictions. Si ces discussions apparaissent sporadiquement dans les débats des politiques publiques, ces thématiques demeurent au second plan par rapport à la problématique du logement. Cependant, cet article a insisté à plusieurs reprises sur le risque de vulnérabilité croissante de cette population et leur fragilisation psychologique.
Cet article ouvre le questionnement sur la crise identitaire que traverse cette population fragile. En effet, au sortir de l’enseignement supérieur, chaque étudiant·e doit pouvoir réaliser ses rêves grâce à l’obtention d’un diplôme adéquat et une formation qui l’aura perfectionné dans l’art d’être ce pour quoi iel a été formé∙e. Quelle identité et quels savoir-faire pour ces jeunes étudiant·es faisant la queue devant des associations de distribution de plats gratuits, ces jeunes qui ont dû sacrifier leurs études pour un job précaire, ces étudiant∙es en détresse qui finissent par ouvrir leurs portes aux Sugar Daddy[63] afin de poursuivre leurs études ? Au XXIe siècle, quelle identité forge l’enseignement supérieur pour cette jeunesse précaire ?
À l’heure actuelle, peu de mots sont aussi populaires et polarisants, dans l’espace médiatique et le débat politique européens, que « woke » et « cancel culture ». Curieusement, l’entrée de ces mots dans un moteur de recherche tel que Google ne donne pas accès à leur définition ou leur histoire. À côté de quelques images de manifestants brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire des slogans tels que « justice pour tous » ou encore « je veux être entendu », ce qui apparait surtout c’est la dénonciation des expressions woke et cancel culture comme étant les porte-étendards d’une idéologie dangereuse et liberticide. De l’idéologie en question peu est dit par ses pourfendeurs. Du mouvement woke, également, peu est expliqué par celles et ceux qui s’en réclament. Davantage mot d’ordre que courant de pensée, il se proclame bien plus qu’il ne se conceptualise et fait office de plateforme d’actions mais guère de modèle théorique. De ce fait, le contenu du débat offre peu à apprendre du mouvement woke lui-même au contraire de l’analyse des formations discursives (Foucault, 1969) dans lesquelles il est enserré et qui offrent, selon nous, les clés de compréhension de ce qui actionne ce mouvement mais également ce qui conduit à sa dénonciation.
Notre démarche ne consiste pas à restau rer une quelconque vérité immuable et à établir torts et mérites. Nous nous intéressons aux architectures argumentaires en présence en ce qu’elles permettent de révéler des dynamiques identitaires et autres enjeux de pouvoir qui soustendent le débat, dans l’espace médiatico- politique, à propos du mouvement woke. Pour Michel Foucault1, un mot ne prend de sens qu’en relation avec ceux qui l’entourent, dans une même formation discursive qui énonce quelque chose de particulier. C’est à une analyse de cet ordre que nous proposons de soumettre le discours antiwokiste. Comment est-il construit ? Argumentatif ? Persuasif ? Dénonciatif ? Quels mots le fondent et dans quel ordre sont-ils agencés ? Qu’est-ce que tout cela révèle du discours antiwokiste et de sa vision du wokisme ? Voilà bien quelques exemples de questions qui guideront l’analyse discursive que nous proposons dans cet article.
Notre analyse sera également de nature sociohistorique. Nous suivrons, en sens inverse, l’évolution du mouvement woke et des conditions socio-historiques qui expliquent son émergence. Le discours antiwokiste ne vise pas uniquement l’antiracisme bien que son émergence soit liée à l’essor des luttes antiracistes en Occident et qu’il se soit essentiellement façonné en réponse à ces luttes. Nous aborderons d’autres aspects du discours antiwokiste – essentiellement sa version anti-LGBTQIA+ – en essayant de comprendre ce qui fait que ce discours amalgame toutes ces luttes dans la même dénonciation du wokisme.
Sur le plan méthodologique, l’analyse que nous proposons ici prend appui sur l’archive constituée de discours du per-
, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1969.
Courrier hebdomadaire
n° 2579-2580 • 2023
Biard, B. (2024). Le parti Chez Nous. Courrier Hebdomadaire Du CRISP, N° 2579-2580(14), 5–58. https://doi.org/10.3917/cris.2579.0005
Le parti Chez Nous
Benjamin Biard
Courrier hebdomadaire
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Tous droits de traduction, d’adaptation ou de reproduction par tous procédés, y compris la photographie et le microfilm, réservés pour tous pays.
ISSN 0008 9664
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 5
- LA FONDATION DU PARTI 6
- LE DÉVELOPPEMENT DU PARTI 12
3. LES PREMIÈRES DÉFECTIONS ET LE RAPPROCHEMENT AVEC AGIR | 18 |
4. L’IDÉOLOGIE DU PARTI | 20 |
4.1. L’identité | 20 |
4.2. L’immigration | 22 |
4.3. La sécurité | 24 |
4.4. La fiscalité | 25 |
4.5. La bonne gestion publique | 26 |
4.6. L’écologie de terroir et de proximité | 28 |
4.7. Autres thèmes | 29 |
5. LA COMMUNICATION DU PARTI | 31 |
6. CHEZ NOUS FACE AU CORDON SANITAIRE MÉDIATIQUE | 34 |
7. L’ADOPTION DE MOTIONS « VILLE ANTIFASCISTE » AU NIVEAU COMMUNAL | 38 |
8. LES RÉSEAUX DU PARTI | 41 |
9. CHEZ NOUS ET LA PERSPECTIVE DES ÉLECTIONS DU 9 JUIN 2024 | 45 |
CONCLUSION | 48 |
ANNEXES | 50 |
INTRODUCTION
Alors que l’extrême droite demeure marginale en Wallonie depuis de nombreuses années, un nouveau parti tente de s’y implanter depuis 2021 : Chez Nous. Son objectif est d’opérer une percée électorale lors des élections du 9 juin 2024 afin de s’imposer progressivement dans le paysage partisan du sud du pays. D’emblée soutenu par le Vlaams Belang (VB) flamand et le Rassemblement national (RN) français, il est rapidement qualifié d’extrême droite au sein des médias francophones, qui par ailleurs ne lui prêtent qu’une attention limitée. Mais qu’est vraiment ce nouveau parti ? À l’initiative de qui a-t-il vu le jour ? Comment s’est-il développé ? Quel est son programme politique et quelle est l’idéologie qu’il véhicule ? Quels sont ses réseaux et ses modes de communication ? Quelles réactions suscite-t-il et à quels défis fait-il face ? Autant de questions auxquelles ce Courrier hebdomadaire propose de répondre sur la base de données originales. Ces dernières sont issues des réseaux sociaux sur lesquels le parti est présent, au premier rang desquels Facebook, mais aussi d’une quinzaine d’entretiens menés avec des représentants du parti Chez Nous.
Rappelons que l’extrême droite est un concept protéiforme, qui peut recouvrir des réalités fort distinctes. Toutes partagent néanmoins un corpus idéologique et doctrinal commun, qui repose sur trois caractéristiques centrales : (1) le rejet de l’immigration, voire la xénophobie ; (2) un projet autoritaire en matière de sécurité intérieure ; (3) une rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques traditionnels. Sur cette base, au moins deux grands types d’extrême droite peuvent être distingués selon le rapport qu’ils entretiennent avec la démocratie. Tandis que le premier constitue une menace fondamentale pour cette dernière – notamment par le rapport désinhibé à la violence qu’il entretient ou la culture révolutionnaire qui l’anime –, le second respecte apparemment le cadre démocratique global, bien qu’il soit régulièrement pointé du doigt pour le risque qu’il fait courir au pilier libéral des démocraties contemporaines [64]. Souvent qualifiés de partis populistes de droite radicale ou de partis nationaux-populistes, ceux qui appartiennent à cette seconde catégorie sont ceux qui prospèrent aujourd’hui en Europe. En proposant une analyse à 360 degrés du parti Chez Nous, ce Courrier hebdomadaire a l’ambition de mieux cerner la manière dont tente de se structurer une offre politique relevant a priori de cette mouvance idéologique.
La situation présentée dans ce Courrier hebdomadaire est celle arrêtée au 31 décembre 2023.
LA FONDATION DU PARTI
Bien qu’elle était déjà en gestation auprès d’une poignée de militants, la réflexion consistant à fonder un nouveau parti à l’extrême droite de l’échiquier politique en Wallonie émerge véritablement à l’issue du scrutin multiple du 26 mai 2019. Lors de celui-ci en effet, les formations classées « à la droite de la droite », dont celles d’extrême droite, ont chacune connu une cinglante défaite électorale dans le sud du pays (où elles n’ont dès lors obtenu aucun siège). Ainsi, pour l’élection de la Chambre des représentants, le Parti populaire (PP) n’a décroché que 3,2 % des voix valablement exprimées en Wallonie, tout comme les Listes Destexhe (LDD), tandis que le Vlaams Belang (VB) n’en a recueilli que 0,9 %, La Droite 0,7 %, Les Belges d’abord 0,5 %, Nation 0,5 %, Agir 0,4 % et Turquoise 0,0 % [65]. Le PP ayant acté sa dissolution le 18 juin 2019, l’espace semble alors vacant pour la structuration d’une nouvelle formation. Et cela d’autant que le récent scrutin a montré un potentiel manifeste puisque, au total, la « droite de la droite » a obtenu plus de 9 % des suffrages wallons, ce qui est non négligeable surtout pour un courant politique constitué de formations sans grande existence médiatique.
Le parti Chez Nous se présente comme une formation patriote. Cependant, certains de ses représentants le qualifient aussi de parti identitaire ou simplement de parti de droite (préférant laisser de côté l’adjectif « patriote »). Il commence à se développer durant l’été 2021. Un premier « Facebook Live », qui propose une revue de l’actualité refusant le « politiquement correct », est enregistré par Gregory Vanden Bruel le 23 juin 2021. Dans les semaines qui suivent, d’autres vidéos sont préparées et alimentent les comptes de la nouvelle organisation sur les réseaux sociaux. Un clip de présentation est aussi enregistré. D’emblée, l’idéologie défendue par Chez Nous y apparaît clairement : « La Wallonie s’enlise : chômage, clientélisme, corruption, désindustrialisation, islamisme, mauvaise gestion. Agissons avant qu’il ne soit trop tard. Chez Nous, on respecte nos traditions, notre identité et nos valeurs. Chez Nous, on combat l’immigration massive et l’islamisme. Chez Nous, on est puni à la hauteur des crimes et des délits que l’on commet. Chez Nous, on ne rackette pas fiscalement les travailleurs. Chez Nous, on ne gaspille pas l’argent public, on défend un État efficace. Chez Nous, on renoue avec une écologie du terroir. L’heure du changement est venue » 3. Ces différents axes structureront le futur programme du parti (cf. infra).
L’appellation du parti renvoie directement à l’un des slogans classiques de l’extrême droite française. En effet, l’expression « On est chez nous ! » est très régulièrement proclamée ou chantée par des militants réunis lors de meetings du Rassemblement national (RN) ou de Reconquête (R!) [66]. Elle est aussi utilisée lors de manifestations de mouvements d’extrême droite tels que Génération identitaire (GI) [67]. Elle vise à légitimer une conception inégalitaire de la société et un programme d’action reposant sur la stricte défense des éléments nationaux de celle-ci, au détriment des étrangers voire des personnes d’origine étrangère, généralement considérés comme étant à la source de troubles économiques, sociaux, sécuritaires, culturels ou démographiques. Elle constitue donc une expression typique du répertoire discursif nativiste [68]. D’ailleurs, en 2017, le réalisateur de cinéma Lucas Belvaux s’est inspiré de ce slogan lorsqu’il a intitulé « Chez nous » son film décrivant l’implantation d’un parti d’extrême droite dans le nord de la France. Sans citer le Front national (FN) [69], ce film cible clairement ce dernier, ce qui n’a pas été sans provoquer de nombreuses réactions hostiles de la part de cadres et élus du FN. Selon un cadre de Chez Nous, le titre du film de L. Belvaux aurait même directement influencé l’appellation du nouveau parti [70]. En recourant à cette expression déjà bien connue, celui-ci entend d’emblée afficher son orientation idéologique et souligner l’importance qu’il accorde aux enjeux identitaire et migratoire. En outre, ses cadres apprécient le fait qu’il est aisé de décliner indéfiniment cette appellation à travers des expressions telles que « Chez Nous, on défend… » ou « Chez Nous, on refuse… ».
Si l’appellation du parti définit clairement l’idéologie qu’il porte, la nation ou l’identité à laquelle renvoie l’expression « chez nous » est toutefois moins claire. Au sein du parti, un cadre local avoue d’ailleurs : « C’est compliqué » [71], tandis qu’un autre cadre admet : « Jusqu’ici, on essaie de jouer sur une ambiguïté ». Il ajoute : « On est très ambigu sur la question. Pourquoi ? Parce qu’on estime qu’on peut se sentir Wallon, Liégeois, Namurois, Bruxellois ou encore Belge et que ces appartenances ne sont pas mutuellement exclusives » 10.
8 LE PARTI CHEZ NOUS
Renonçant par contre aux logos traditionnels de l’extrême droite (comme la flamme tricolore [72]), le parti Chez Nous opte dès sa fondation pour un logo original composé d’une église et d’une abeille représentées sur un fond bleu (cf. Illustration 1). Le premier symbole fait référence à l’expression « remettre l’église au milieu du village », souvent mobilisée par le parti. Il permet aussi à celui-ci de se poser en défenseur des racines chrétiennes de la nation, et ce bien qu’il se revendique non confessionnel [73]. Le second symbole a une signification métaphorique, ainsi que l’explique le président du parti dans une interview accordée au média nationaliste flamand Doorbraak : « Nous voulons protéger notre communauté. Après tout, la civilisation européenne est en danger de disparition, tout comme les abeilles. Nous pensons donc que nous devrions être protégés, tout comme les abeilles. De plus, une abeille est une travailleuse acharnée qui construit une communauté avec d’autres abeilles » [74]. Il est à noter aussi que, à ses origines, le parti pousse la symbolique plus loin encore en mettant en vente du miel local. Cette action lui permet d’insister sur l’aspect « écologie de terroir » qui constitue l’un des axes essentiels de son programme (cf. infra).
Illustration 1. Logo de Chez Nous
Le parti voit officiellement le jour le 27 octobre 2021, un an après la fondation de l’asbl La Ruche [75] et à l’initiative d’une poignée de jeunes gens dont les ambitions politiques ont souvent déjà pu être observées par le passé. Le premier est Jérôme Munier, qui est un exmembre actif du PP. Il a notamment exercé la fonction de président de l’organisation de jeunesse de cette formation politique. À ce titre, il a tissé son réseau au sein de l’extrême droite européenne. Par exemple, le 18 janvier 2017, il a participé à un congrès organisé par le Front national de la jeunesse (FNJ), à Paris. Après avoir quitté le PP, il a figuré à la 7e place des Listes Destexhe pour l’élection du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale du 26 mai 2019 [76]. Le deuxième est Gregory Vanden Bruel, qui est également un ex-membre actif du PP. Outre sa participation au scrutin fédéral du 25 mai 2014 en tant que premier candidat suppléant sur la liste du PP dans la circonscription du Hainaut 16, il a été le rédacteur en chef du journal Le Peuple, relancé en mars 2013 par le président du PP, Mischaël Modrikamen, et a travaillé auprès de l’élu régional wallon du PP, André-Pierre Puget [77], de 2014 à 2017. Le troisième – également de sexe masculin – agit dans l’anonymat, bien qu’il soit considéré comme très actif, voire comme étant le « cerveau » [78] de l’organisation.
Rapidement, ce « noyau » est rejoint par d’autres personnes, dont Patricia Potigny, réputée très active au sein du parti – notamment pour la réalisation de tâches de nature administrative. P. Potigny avait gagné en visibilité lorsque, alors qu’elle siégeait au sein du groupe MR du Parlement wallon [79], elle avait claqué la porte de son parti pour rejoindre les Listes Destexhe le 18 mars 2019. Cette décision avait alors eu pour conséquence de faire perdre à la coalition MR/CDH sa majorité au Parlement wallon (puisque celle-ci ne tenait qu’à un siège).
C’est en présence de Jordan Bardella, alors président ad interim du RN, et de Tom Van Grieken, président du VB, qu’est prévu le meeting fondateur du parti, le 27 octobre 2021, à une adresse censée demeurer secrète jusqu’à quelques heures avant le début de l’événement. Selon les organisateurs, 276 personnes sont inscrites et se sont acquittées de leurs droits d’inscription (qui s’élèvent à 8 euros). Néanmoins, la réunion est annulée la veille. En effet, alors que les représentants de Chez Nous avaient introduit une demande d’autorisation en septembre auprès des autorités communales de la Ville de Herstal pour y tenir le meeting, le bourgmestre faisant fonction de Herstal, Jean-Louis Lefèvre (PS), adopte le 26 octobre – notamment sous la pression de militants antifascistes – un arrêté interdisant la tenue de l’événement sur le territoire de sa commune. J. Munier est contacté le jour même par un agent de police pour l’informer de cette décision mayorale. Les organisateurs regrettent que celle-ci intervienne si tard après l’introduction de la demande d’autorisation et dénoncent son caractère antidémocratique 20. Un recours en référé est introduit, qui est cependant rejeté par la justice liégeoise le 27 octobre au matin. Les antifascistes s’en réjouissent et crient victoire. Finalement, l’événement se mue en une conférence de presse – en présence des deux « têtes d’affiche » annoncées – dans un hôtel à Enghien. Une retransmission en ligne est également prévue. Dans la foulée, le parti procède au remboursement des frais d’inscription.
Cet épisode ne traduit pas seulement une occasion manquée pour J. Munier et G. Vanden Bruel de lancer en grande pompe leur nouveau parti ; il constitue aussi un gouffre financier
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pour ce dernier [80]. Par ailleurs, les cadres du parti regrettent la faible médiatisation du lancement de Chez Nous à la suite de la conférence de presse. En effet, si plusieurs médias – belges mais aussi français – consacrent un article à l’interdiction du meeting [81] ou à la tentative d’implantation du nouveau parti – questionnant au passage les raisons de la marginalité dans laquelle se trouve confinée l’extrême droite en Wallonie [82] –, aucun ne donne la parole aux représentants du parti Chez Nous afin de présenter leur organisation.
Malgré l’échec du meeting de lancement du parti, Chez Nous enregistre de nouvelles adhésions dans les jours qui suivent [83]. Ainsi, dans la foulée de la conférence de presse du 27 octobre, un jeune étudiant liégeois, Noa Pozzi, décide de rejoindre la formation naissante. Il est rapidement appelé à devenir le responsable de Chez Nous pour la province de Liège et à rejoindre le bureau politique du parti. D’autres adhésions sont encore enregistrées dans les mois qui suivent et, dès le printemps 2022, le parti se réjouit de compter en son sein un certain nombre de jeunes qui osent s’afficher ouvertement en tant que militants de Chez Nous. D’emblée, deux caractéristiques se dégagent quant à leur profil socio-démographique : d’une part, ces jeunes sont essentiellement de sexe masculin ; d’autre part, un certain nombre d’entre eux (qui figureront parmi les plus visibles sur les réseaux sociaux) adoptent les codes vestimentaires du « parfait gentleman », par exemple en optant pour le port de la cravate. Leur présence s’avère rapidement précieuse pour le parti compte tenu de leur maîtrise des codes des réseaux sociaux. Au sein de Chez Nous, certains reconnaissent d’ailleurs que c’est à l’initiative de ces jeunes que le parti s’est imposé sur TikTok. Relevons que, si la plupart d’entre eux n’ont pas de passé militant – notamment compte tenu de leur jeune âge [84] –, quelques exceptions peuvent être repérées. Celles-ci peuvent parfois étonner. C’est le cas de Rose Henn, une ancienne militante du Parti du travail de Belgique (PTB), devenue la responsable de Chez Nous pour la province de Hainaut et, à ce titre, membre du bureau politique du parti jusqu’à l’été 2023.
En parallèle, Chez Nous bénéficie rapidement du ralliement du Parti national européen (PNE), qui est une scission du parti d’extrême droite Nation opérée à l’automne 2019 et qui a été fondé le 13 décembre 2019 [85]. Aujourd’hui, la page Facebook du PNE est d’ailleurs présentée comme constituant une « page de soutien au parti Chez Nous » [86]. Parmi les personnalités issues du PNE et, avant cela, de Nation, citons Olivier Balfroid, ancien militant du FN belge et ancien secrétaire général de Nation, ainsi que Jean-Pierre Borbouse, qui a été élu sur une liste FN et a siégé en tant que député wallon et de la Communauté française de 2004 à 2009. Ce dernier met d’ailleurs à la disposition du parti le local qui jouxte son domicile, à Gilly (qui est une section de Charleroi) [87]. D’autres ex-militants de Nation peuvent aussi être dénombrés, dans les provinces de Hainaut, de Liège et de Namur. Assez rapidement, l’intégration de ces militants au profil a priori plus radical est questionnée par certains au sein de Chez Nous, qui craignent un impact négatif pour l’image du parti [88]. Ces questionnements – qui s’expriment notamment au bureau politique – ne sont pas sans générer de tensions. Un ex-cadre du parti se souvient : « Ceux qui viennent de Nation ont un passé déjà très diabolisé (…). Je pense qu’être associé à quelqu’un qui a une si mauvaise réputation, c’est quelque chose de dangereux pour l’image du parti. On a eu de gros désaccords par rapport à ça » 30.
LE DÉVELOPPEMENT DU PARTI
Dès le mois d’octobre 2021, le nouveau parti tente de gagner en visibilité en Wallonie, d’accroître le nombre de ses soutiens et ralliements, ainsi que de se professionnaliser. En ligne de mire : les élections du 9 juin 2024. Pour ce faire, il organise plusieurs événements, qui se trouvent quasi systématiquement perturbés par des militants antifascistes, qui entendent empêcher à tout prix le développement du parti.
Chez Nous organise sa première université d’été le 26 juin 2022, en présence de Filip Brusselmans, député flamand (VB) et président des jeunes du VB (Vlaams Belang Jongeren). Mais aussitôt après l’annonce de l’événement – prévu dans une villa à Liège appartenant à Ghislain Dubois [89], l’avocat belge de l’ancienne présidente du RN, Marine Le Pen –, le Front antifasciste Liège 2.0 fait part de son intention d’en perturber la tenue. Avertis par la police, J. Munier et G. Vanden Bruel décident de déplacer cette université d’été en dernière minute à Gilly, dans le local appartenant à J.-P. Borbouse. Rapidement, les antifascistes liégeois se félicitent : « Comme en octobre 2021 lors de leur congrès de fondation, face à l’action antifasciste, “Chez Nous” et leur clique sont partis se terrer ailleurs de manière désorganisée (…). Au revoir la villa, bonjour la vieille cave pourrie ». Ils ajoutent : « Encore une fois, Liège prouve par ses actes et ses luttes qu’elle ne laissera jamais le terrain aux fascistes. Cette nouvelle victoire montre tout l’intérêt de créer des coordinations antifascistes locales partout (…). Malgré l’annulation et le déplacement de leur activité, des dizaines de militant.e.s antifascistes se sont rassemblé.e.s. devant la villa où devait avoir lieu l’événement et ont tracté dans le voisinage afin d’éclairer ce qui se passe derrière ces hauts murs de chatelain et sur ce qu’est le parti “Chez Nous” (…). Un tout grand merci pour les personnes qui veillent et qui ont trouvé le lieu de l’événement, ainsi qu’aux personnes qui se mobilisent face à chaque présence de l’extrême droite » [90]. De son côté, Chez Nous tempère : « Nous sommes là. En dépit des pressions, des interdictions et de la censure, la jeunesse patriote se lève et montre qu’elle est fière de défendre ses valeurs, sa culture, sa civilisation ! La première université d’été du seul mouvement patriote en Wallonie est une véritable réussite. La machine est lancée, et plus rien ne l’arrêtera. Chez Nous, c’est clair, net et précis : nous sommes là » 33.
Le parti poursuit son implantation en 2022 et étend sa présence dans les provinces de Hainaut et de Liège ainsi que, dans une moindre mesure, en province de Namur. De nouveaux jeunes gens le rejoignent, qui se voient parfois confier certaines responsabilités. Par exemple, l’un d’entre eux, alors élève dans l’enseignement secondaire, devient membre du parti à l’automne 2022 ; quelques semaines plus tard, il est chargé de lancer une section dans la région de Tournai-Mouscron. À l’été 2023, il est même appelé à rejoindre le bureau politique de l’organisation.
Boosté par les nouvelles adhésions, Chez Nous annonce l’organisation d’une université d’hiver qui se tiendra le 4 février 2023, à Gilly. À nouveau, les antifascistes se mobilisent afin de tenter d’en annuler la tenue. Finalement, la Ville de Charleroi interdit l’événement (cf. infra) qui, selon Chez Nous, devait rassembler une cinquantaine de jeunes. Les militants du parti déplacent la réunion in extremis dans un bar à Namur (le O’Flaherty Irish Pub). À cette occasion, de nouveaux membres intègrent le parti. L’un d’entre eux sera rapidement appelé à devenir le responsable de la section de Huy-Waremme. Quelques jours plus tard, ayant appris l’objet de la réunion, les tenanciers du bar namurois déclarent sur les réseaux sociaux : « Samedi passé, notre salle à l’étage a été réservée comme cela se passe régulièrement par un groupe de personnes que nous ne connaissions pas. Il est clair que nous ne demandons pas à la base quel est le but de ces réunions. Visiblement, il se trouve que ces personnes appartiennent à un groupe d’extrême droite que nous ne nommerons pas. Il est évident que, si nous avions su qu’il s’agissait de cela, jamais au grand jamais nous n’aurions autorisé cette réunion dans l’établissement. [Notre établissement] a toujours été un lieu de convivialité dans lequel toute personne, quelle[s] que soi[en]t son origine, ses convictions religieuses ou sa sexualité, est la bienvenue. Nonobstant cela, nous avons toujours affiché une neutralité politique quant aux partis traditionnels de notre pays, mais il est clair que l’extrémisme, qu’il soit de gauche ou de droite, n’aura jamais sa place parmi nous. Si nous avons heurté la sensibilité de certains, et ce malgré nous, nous nous en excusons, et nous serons certainement beaucoup plus vigilants à l’avenir » [91]. Cette séquence a pour effet de redynamiser l’antifascisme namurois et de redonner vie au collectif antifasciste namurois (qui avait déjà existé de 1995 à 2012) [92]. Le 14 février, les membres de ce collectif appellent à se rassembler devant l’hôtel de ville de Namur afin de se faire entendre contre l’émergence de l’extrême droite et afin de sensibiliser le conseil communal. Une cinquantaine de personnes sont alors présentes, derrière la bannière « Pas de fachos dans nos bistros ». Une semaine plus tard, un des membres du collectif, Sébastien Vause, interpelle le conseil communal et l’exhorte à adopter une motion « Namur, ville antifasciste ». Celle-ci sera amendée puis votée le 25 avril (cf. infra).
Chez Nous organise une journée de formation, à destination de ses cadres et responsables régionaux, le 19 février 2023 à Gilly. Sur les réseaux sociaux, le parti indique : « Communication, préparation pour les prochains événements, efficacité pour la défense de nos idées : nous nous préparons pour la victoire en 2024 ! » 36 Quelques semaines plus tard, il annonce la tenue d’un « meeting des libertés », le 30 mars, toujours à Gilly et en présence de plusieurs personnalités issues du VB, du RN et du collectif Némésis. Une fois de plus, la mobilisation antifasciste est intense. Finalement, le bourgmestre de Charleroi,
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Paul Magnette (PS), interdit la tenue du meeting (cf. infra). Ce dernier est alors déplacé pour se tenir dans un bar à Cuesmes (qui est une section de Mons). Plusieurs dizaines de participants [93] y sont rassemblés le soir de l’événement ; mais les antifascistes improvisent quant à eux un « contre-rassemblement antifasciste » en face du bar. La police intervient sur ordre du bourgmestre de Mons, Nicolas Martin (PS), afin d’empêcher la réunion de Chez Nous pour risque de troubles à l’ordre public. Les antifascistes déclarent vers 20 heures : « Victoire, c’est fini. Chez Nous est reparti en râlant, pas de meeting. Après leur congrès de fondation raté à Liège, leur université des jeunes ratée à Liège, c’est la troisième fois que nous leur faisons échouer leur mobilisation. Big up à vous et à tous les collectifs qui se sont mobilisés pour les tenir, une fois de plus, en échec ! Merci » [94].
Le lendemain, Chez Nous indique toutefois avoir transformé son événement en « verre de l’amitié » à Mons : « On est chez nous ! (…) On nous censure et met la pression. Nous étions plus de 100. Nous nous sommes retrouvés pour un verre de l’amitié à Mons malgré les deux interdictions que nous avons subies. L’extrême gauche ne fait que nous renforcer : le sentiment d’injustice incroyable que nous vivons nous motive à continuer et à ne jamais lâcher. Ce que nous avons fait en un an est exceptionnel et démontre que nous sommes dans le bon » [95]. Le 5 avril, réagissant à cette même séquence, le co-fondateur du parti, G. Vanden Bruel, dénonce l’état de la démocratie en Wallonie : « Je n’espérais jamais avoir à écrire cela : la Wallonie n’est plus une démocratie. Ou en tout cas plus tout à fait (…). La situation en “République socialiste de Wallonie” devrait indigner tous les démocrates, d’accord ou non avec nos idées. Quant aux personnes qui les partagent, il doit être fini le temps de se cacher » [96].
Le nouveau parti se montre particulièrement actif dans les semaines et mois qui suivent. Concrètement, au-delà de sa communication sur les réseaux sociaux [97], il organise de nombreuses actions de distribution de tracts sur des marchés (principalement dans les provinces de Hainaut et de Liège) ou à l’occasion d’événements locaux (comme lors de la Foire de Pâques de Chimay, en avril, lors de la fête du Doudou à Mons, en juin [98], et lors de la Foire agricole de Libramont, en juillet 2023). Par ailleurs, des campagnes d’affichage ont lieu au sein de plusieurs universités et hautes écoles [99]. Celles-ci sont facilitées par le fait que le parti compte dans ses rangs un certain nombre d’étudiants [100]. Cet activisme permet au parti non seulement de gagner en visibilité mais aussi de faire parler de lui dans la presse locale.
Le parti indique compter un grand nombre de sympathisants (qu’il nomme les « abeilles »), qui marquent leur intérêt pour Chez Nous à travers une inscription sur son site web. Mais, à la fin du mois d’avril 2023, Chez Nous s’organise davantage et crée des cartes de membre, disponibles pour un montant de 25 euros (ou 45 euros pour les couples). L’obtention d’une telle carte permet non seulement d’apporter son soutien au parti mais aussi d’être invité aux événements organisés par ce dernier. Selon les cadres de Chez Nous, une centaine de membres sont enregistrés en moins d’une semaine. À l’automne de la même année, le parti déclare compter 250 membres [101].
À l’inverse de l’édition précédente, Chez Nous communique peu en amont de sa deuxième université d’été, qui a lieu le 9 juillet 2023 à la Grand Poste, à Liège. Cet événement est pour le parti l’occasion d’échanger sur le programme, sur l’évolution du parti ainsi que sur les perspectives en vue des élections de 2024. Interpellé sur la tenue de cette université d’été dans ses murs, la Grand Poste réagit le 12 juillet par un communiqué publié sur les réseaux sociaux : « Ce dimanche 9 juillet, un parti d’extrême droite a tenu une réunion à la cour du food market de la Grand Poste en évitant soigneusement d’en informer explicitement l’équipe organisationnelle. Il est évident que si cette information avait été portée à la connaissance des équipes de la Grand Poste en amont, jamais une telle réunion n’aurait été autorisée. La Grand Poste ne partage ni les idées, ni les valeurs, ni l’idéologie, ni la vision politique portées par ce parti. Et rappelle dans la foulée ses engagements universalistes et pluralistes qui sont à l’exact opposé du projet politique porté par l’extrême droite (…). Le bâtiment et le projet porté par l’équipe organisationnelle vont à l’encontre du projet politique de fermeture et des valeurs xénophobes et populistes du collectif “Chez nous” » [102]. La Grand Poste ajoute avoir renforcé son dispositif de sécurité afin d’éviter que pareil événement puisse à nouveau se tenir en ses murs à l’avenir. Cela comprend « l’adoption d’une charte à ratifier avant chaque réservation par des membres extérieurs à la communauté Grand Poste [incluant] l’interdiction de tenir des réunions à caractère raciste ou xénophobe » [103].
Le 18 août 2023, des militants et cadres du parti sont à nouveau confrontés à l’activisme du Front antifasciste Liège 2.0. Après qu’ils les ont aperçus dans un bar de Liège, plusieurs antifascistes rencontrent la tenancière de l’établissement afin de l’informer de l’identité des personnes réunies ; celle-ci leur indique qu’elle a l’intention de leur demander de partir lors de leur prochaine commande. À leur sortie, les membres de Chez Nous sont apostrophés par les militants antifascistes, qui leur font savoir « qu’ils ne sont pas les bienvenus à Liège, ni ailleurs » 48. Après que J. Munier a déclaré être « antifasciste », lui et les autres représentants de son parti font l’objet de brimades par les antifascistes – qui mettent rapidement en ligne une vidéo parodique de la séquence – mais aussi par l’extrême droite. Le mouvement Jeune Nation publie ainsi un article intitulé « Record battu de honte pour la droite libérale ! » le 22 août 2023, dans lequel il écrit notamment : « Cette attitude démontre que ces gens n’ont pas vraiment d’idées pour lesquelles lutter mais visent juste à obtenir les voix d’un certain
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public, histoire de faire carrière ». Il ajoute : « Ce “courage” démontre à quel point ils n’oseront ni dans la rue ni même au Parlement être une véritable opposition » [104].
Chez Nous prévoit d’organiser un « grand meeting patriote » le 1er octobre 2023, à Gilly, en présence de Maximilian Krah, eurodéputé allemand d’extrême droite (Alternative für Deutschland – AfD). Mais l’événement se trouve une nouvelle fois menacé. Craignant en effet un risque de troubles à l’ordre public (particulièrement sur la base de plusieurs messages annonçant des contre-manifestations [105] mais aussi compte tenu des incidents s’étant déroulés à Gilly dans un cadre similaire le 25 janvier 2020 [106]), le bourgmestre P. Magnette adopte un arrêté de police le 28 septembre par lequel il interdit à J. Munier « d’organiser et de laisser se tenir le rassemblement du parti Chez Nous dans le local situé à (…) Gilly (…) ainsi que partout ailleurs sur le territoire de la Ville de Charleroi le 1er octobre 2023 ». Dès le 29 septembre, l’asbl La Ruche et J. Munier introduisent une requête en extrême urgence auprès du Conseil d’État afin de demander la suspension de l’exécution de l’arrêté de police. Néanmoins, le 30 septembre, la XVe chambre du Conseil d’État siégeant en référé met hors de cause le bourgmestre de Charleroi et rejette la demande. Il revient en outre aux requérants de supporter les dépens (les droits de rôle de 400 euros, la contribution de 24 euros et l’indemnité de procédure de 770 euros accordée à la partie adverse) [107].
Ne pouvant avoir lieu à Gilly, l’événement est déplacé de façon improvisée à Fleurus, où il se voit aussi rapidement interdit par les autorités communales. Finalement, le meeting a lieu dans un parc public, à Fleurus, après que la police a écarté les militants antifascistes présents (au nombre de plusieurs dizaines). Relevons que, selon un représentant du parti, plusieurs policiers auraient manifesté leur sympathie avec Chez Nous à cette occasion [108]. Malgré la tenue de l’événement – certes, dans des circonstances improvisées et dans un contexte particulier –, cet épisode constitue un véritable coup dur pour le parti. Primo, le rejet de la demande de suspension d’extrême urgence par le Conseil d’État a pour effet de légitimer la décision adoptée par la Ville de Charleroi (puis par la Ville de Fleurus). Secundo, il comporte un coût financier non négligeable pour le jeune parti. Tertio, il ne permet pas au parti de rassembler aussi largement qu’il l’aurait souhaité : tandis qu’une centaine de personnes étaient inscrites au rassemblement, seule une cinquantaine se retrouvent véritablement dans le parc à Fleurus pendant un peu moins d’une heure. Quant à eux, même s’ils dénoncent le fait que « les autorités communales (…) continuent à jouer un double jeu », les antifascistes se félicitent de l’issue de leur mobilisation : « C’est encore une fois un succès » 54.
Dans les semaines qui suivent, Alain Destexhe (ancien parlementaire MR, puis fondateur des Listes Destexhe) publie un article dans le journal satirique Pan, dans lequel il relate les récents événements et dénonce – au nom du respect des articles 26 et 27 de la Constitution – les interdictions de rassemblement prononcées à l’encontre de Chez Nous. Précisant qu’il n’est pas membre du parti et qu’il n’a jamais assisté à ses activités, il questionne en outre l’étiquette d’extrême droite accolée au nouveau parti et appelle à « revoir nos catégories politiques » [109].
Le parti connaît de nouveaux développements à l’automne 2023. D’une part, il étend son déploiement en province de Luxembourg [110]. D’autre part, il annonce la création d’un « magasin en ligne » [111]. En parallèle, il poursuit ses activités militantes. Au-delà des opérations de tractage, une nouvelle campagne de pose d’affiches est par exemple menée à l’Université de Liège (ULiège) durant le mois de novembre [112]. Ces dernières sont toutefois retirées dans l’heure par des antifascistes informés du fait.
LES PREMIÈRES DÉFECTIONS ET LE RAPPROCHEMENT AVEC AGIR
Le parti se trouve confronté à des défections durant l’été puis l’automne 2023, essentiellement en province de Hainaut. Celles-ci concernent notamment des membres du bureau politique. Relevons tout d’abord le cas de R. Henn, qui s’était particulièrement investie dans Chez Nous depuis son arrivée deux ans plus tôt, et qui était alors responsable de Chez Nous pour la province de Hainaut et considérée par plusieurs comme la cheville ouvrière du parti dans la province [113]. Son départ du parti repose sur des motifs à la fois privés et politiques. Parmi les motifs politiques, apparaissent des désaccords stratégiques mais aussi, dans une certaine mesure, idéologiques. Notamment, l’importance accordée par le parti à l’enjeu migratoire est considérée comme disproportionnée par rapport à d’autres enjeux, tels que la pauvreté ou le bien-être animal. Quelques semaines plus tard, le responsable du parti pour la Wallonie picarde – qui était membre du bureau politique et était pressenti pour devenir le nouveau responsable du parti pour la province de Hainaut – annonce lui aussi sa décision de quitter le parti, cette fois sur la base de différends avec ses collègues quant aux liens entretenus avec le VB. Se présentant comme belgicain, il regrette en effet les liens qu’entretient Chez Nous avec le parti indépendantiste flamand. Sa décision est en outre motivée par le récent départ de R. Henn [114].
Sans abandonner formellement le parti, d’autres jeunes (qui exercent parfois des responsabilités locales) décident aussi de revoir leur activisme à la baisse ou de devenir tout simplement inactifs durant l’automne 2023. C’est particulièrement le cas dans les régions du Centre et de Charleroi. Au moins quatre motifs peuvent expliquer cette situation. Primo, certains dénoncent la radicalisation de Chez Nous, notamment à travers la mise en avant plus assumée d’anciens membres de Nation. Par exemple, durant l’été 2023, l’ancien secrétaire général de Nation, O. Balfroid, a rejoint le bureau politique du parti. Secundo, le parti est parfois perçu en interne comme « démagogue » 61. Tertio, plusieurs militants indiquent faire l’objet d’un « cordon sanitaire social », par lequel ils subiraient sur le plan privé ou professionnel les conséquences de leur engagement politique. Quarto, la pression exercée par les antifascistes sur les membres de Chez Nous est jugée « assez handicapante » [115] par certains ; d’autres admettent même en avoir peur.
Si ces départs ne sont pas bien nombreux, ils n’en concernent pas moins des personnes ayant exercé des responsabilités au sein du parti. La dynamique amorcée dans le Hainaut semble alors avoir du plomb dans l’aile et Chez Nous perd en visibilité dans cette province. Certains vont jusqu’à considérer qu’il est en voie d’effondrement dans la province hennuyère, même si ce point de vue ne fait pas l’unanimité parmi les cadres et militants actifs. Quoi qu’il en soit, J. Munier multiplie les déplacements dans le Hainaut durant l’automne 2023 afin de tenter d’y redynamiser son parti. Quelques semaines plus tard, à l’occasion d’une réunion organisée le 3 décembre à Gilly, Chez Nous et le parti Agir – qui est le successeur légal de l’asbl à la base du FN belge [116] – annoncent leur union. Reconnaissant avoir « les mêmes atomes crochus » [117], ils espèrent limiter la dispersion des voix à l’extrême droite. Sur Facebook, le parti de J. Munier déclare : « L’union des patriotes est chez nous. Il est temps de prendre ses responsabilités et d’unir nos forces pour les élections de 2024 ! Nous pouvons gagner car le vent patriote atteint toute l’Europe ! » [118] De son côté, Chez Nous entend capitaliser sur la notoriété du président d’Agir, Salvatore Nicotra, qui a été conseiller communal à Saint-Gilles et qui est conseiller communal à Fleurus depuis 2006. D’ailleurs, avant même l’officialisation de cette alliance le 3 décembre, un cadre local de Chez Nous indique que, selon lui, S. Nicotra va permettre de « relancer le parti dans le Hainaut » [119].
L’union entre Chez Nous et Agir comporte une autre conséquence de poids. En s’alliant, ils parviennent en effet à monopoliser les noms (et labels) « Front national » et « Parti populaire », qui sont ceux des principales formations francophones situées à la droite de la droite à avoir occupé des sièges au sein d’une assemblée parlementaire en Belgique depuis la fin des années 1980. En effet, alors que Chez Nous dispose du droit à recourir au sigle et au logo du Front national (belge) depuis le 28 mars 2022 (cf. infra), l’asbl Agir est propriétaire de la marque Parti populaire depuis le 17 mai 2023 [120].
L’IDÉOLOGIE DU PARTI
Dès sa fondation, le parti Chez Nous entend structurer son programme autour de six axes majeurs : l’identité, l’immigration, la sécurité, la fiscalité, la bonne gestion publique et l’écologie de terroir et de proximité. Lors de sa première intervention dans l’espace médiatique belge francophone, le 29 mai 2023, sur la RTBF, J. Munier présente d’ailleurs l’attachement de son parti à ces enjeux de politique publique (cf. infra). Encore aujourd’hui, ceux-ci constituent la trame centrale des discours et de la communication du parti. Les paragraphes qui suivent dressent une analyse détaillée de l’idéologie du parti le long de ces six axes, sur la base de son programme électoral mais aussi de sa communication sur les réseaux sociaux.
L’IDENTITÉ
L’orientation identitaire du parti est affirmée au sein même de son appellation : « Chez Nous ». Regrettant le manque d’intégration des personnes d’origine étrangère en Belgique et dénonçant le bafouement par les autorités publiques de « nos traditions, notre identité et nos valeurs, qui nous viennent de siècles d’histoire » [121], le parti milite pour défendre le folklore et le patrimoine culturel, revaloriser ou protéger les statues et monuments historiques, préserver les noms de rue et d’infrastructures liés à l’histoire du pays, interdire la construction de minarets, rebaptiser les périodes de congé sur la base de fêtes religieuses catholiques [122], inscrire les racines chrétiennes de la Belgique dans la Constitution, mettre en place une politique de priorité nationale pour ce qui concerne l’attribution de logements sociaux ou de marchés publics, lutter contre le « racisme anti-blancs », ou encore réformer l’enseignement, notamment en enseignant une « histoire chronologique et non repentante » [123] et en instaurant un test de culture générale aux élèves en fin de cycle. Ces aspects sont fortement présents dans la communication du parti sur les réseaux sociaux, à travers des slogans tels que « Défendons la préférence nationale ; les nôtres avant les autres » [124], « Réservons les aides sociales aux Belges » [125], « C’est aux étrangers à s’intégrer, pas à notre culture de s’effacer » [126], « Pourquoi venir chez nous pour vivre comme chez soi ? » 74, « Nous refusons de devenir des étrangers dans notre pays » [127], « Racisme anti-blanc : stop » [128], « On ne dit pas congés de printemps, mais on dit vacances de Pâques. Défendons nos traditions » [129], « Protégeons notre histoire et notre patrimoine » [130], « Bonne fête de la Toussaint. Vive nos traditions » [131], etc.
Alors que Chez Nous présente l’identité belge – et, plus largement, européenne – comme menacée, il s’inquiète particulièrement de la place de l’islam dans la société. Il considère en effet que la religion musulmane constitue un important facteur de nuisance pour la préservation de l’identité belge. De nombreux messages sont publiés en ce sens sur les réseaux sociaux. Repérons entre autres : « Le voile islamique n’est pas un accommodement raisonnable » 80, « Non à la burqa en Belgique ! Cette tenue vestimentaire commence à arriver chez nous. Dans les rues de Bruxelles ou à Liège, il arrive de croiser une femme avec cette tenue islamiste. Chez Nous, c’est non ! » [132], « L’islamisation progressive de certains quartiers et les revendications communautaires doivent nous alerter : aujourd’hui le voile islamique, l’abaya et les horaires séparés pour les hommes et les femmes dans les piscines… et demain nous aurons le droit à tout le reste ! Notre peuple ne veut pas de la charia » [133], « Refusons l’islamisation de notre civilisation » [134].
Plus globalement, et même s’il s’y réfère rarement de manière explicite, le parti semble adhérer à la théorie du « remplacisme global » (plus connue sous l’appellation « théorie du grand remplacement ») promue par l’auteur français d’extrême droite Renaud Camus [135]. Selon ce dernier, ce phénomène – qu’il qualifie également de « génocide par substitution » [136] – consiste en un changement du peuple et de civilisation qui serait à l’œuvre en Europe [137]. Le 8 mai 2023 – soit deux jours après une conférence de R. Camus à Bruxelles, à laquelle a assisté notamment J. Munier –, Chez Nous partage une publicité sponsorisée sur Facebook, par laquelle il invite les internautes à exprimer leur sentiment par rapport au grand remplacement : « Le grand remplacement, réalité ou fantasme ? Face à la submersion migratoire, la transformation de notre pays et l’effondrement de la natalité européenne, que penser de la théorie du grand remplacement ? Les peuples d’Europe sont-ils en train d’être démographiquement remplacés ? » [138] La réponse privilégiée par le parti – ainsi que par la
grande majorité de ses followers qui se prêtent à l’exercice – apparaît assez clairement. Quelques mois plus tard, le responsable de la circonscription du Centre pour le parti Chez Nous publie une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il déplore « des villes transformées, une population différente, changée et remplacée », avant d’ajouter : « Chez Nous, on refuse la soumission face à la déconstruction de notre culture » [139]. Le 1er décembre 2023, un bref message publié sur Facebook questionne : « Effacer notre civilisation et favoriser l’islamisation ? En 2024, on dit stop à ce scandale avec Chez Nous » [140]. À travers ces différents propos, l’adhésion du parti à la théorie développée par R. Camus ne fait guère de doute.
L’IMMIGRATION
De manière manifeste, le parti Chez Nous prône une politique ferme et restrictive en matière migratoire et s’oppose à ce qu’il qualifie de « chaos migratoire » [141] ou d’« immigration massive » [142]. Cette dernière est d’ailleurs désignée comme étant la cause de nombreux dysfonctionnements : socio-économiques, sécuritaires et culturels. Le positionnement du parti sur l’enjeu migratoire est ainsi directement lié à son agenda politique sur les plans économique, sécuritaire et identitaire.
Concrètement, Chez Nous propose de mettre un terme à l’immigration extra-européenne, de durcir les conditions du regroupement familial (voire supprimer celui-ci), de procéder au renvoi rapide des personnes sans-papiers, de sortir du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (dit Pacte de Marrakech) [143], de durcir les conditions d’octroi de la nationalité belge, d’arrêter le versement d’allocations pour les personnes n’ayant jamais cotisé en Belgique, de renforcer les moyens de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) afin de mieux contrôler les frontières de l’Union européenne, de conditionner l’octroi d’aides au développement aux pays étrangers à leur collaboration dans la lutte contre l’immigration illégale, de supprimer les accommodements raisonnables et les mécanismes de discrimination positive, ou encore de supprimer Myria (centre fédéral pour la migration) et Unia (centre interfédéral pour l’égalité des chances) [144]. Par ailleurs, Chez Nous souhaite permettre le recours au référendum, particulièrement afin de questionner le rapport des Belges à l’immigration : « Demandons aux Belges s’ils veulent plus ou moins d’immigration ! Et adaptons la politique migratoire en fonction du résultat… » 94 Remarquons que nombre de ces propositions sont partagées par d’autres formations, généralement classées à l’extrême droite de l’échiquier politique, comme le Vlaams Belang ou le Vlaams Blok avant lui [145].
La communication du parti sur les réseaux sociaux est quasi quotidiennement focalisée sur cet enjeu de politique publique. Loin d’être exhaustive, la liste suivante renseigne quelques-uns des slogans qui peuvent être repérés : « 80 % de migrants en + depuis janvier. Immigration ? Pour nous, c’est non » [146], « 92 % de l’augmentation de la population belge provient de l’immigration. Reprenons le contrôle » [147], « Rien ne vous oblige à subir une immigration qui transforme notre pays » [148], « 51 % des étrangers non européens sont inactifs » [149], « Supprimons le regroupement familial. Reprenons le contrôle » 100, « Nous refusons de devenir des étrangers dans notre pays » [150], « Ceci n’est pas un accommodement raisonnable » (à propos du voile) [151], « Face à l’immigration massive et l’islamisation, on est chez nous et fiers de l’être » [152], « Immigration. Nous ne voulons plus subir » [153], « 112 000 illégaux en Belgique. Expulsons-les ! » [154], « Stoppons l’invasion migratoire » [155], « Défendons l’Europe forteresse » [156], « Migrants : il ne faut pas les répartir, il faut les faire repartir ! Clair, net et précis : sauvons notre civilisation de l’invasion ! » [157], « Non au droit de vote des étrangers » [158], « En 2024, je vote Chez Nous pour stopper l’immigration » [159], etc.
D’autres slogans appellent à revoir la politique de subventionnement de l’État pour ce qui concerne les asbl, notamment celles engagées dans la lutte contre le racisme : par exemple, « Associations pro-immigration = coupons les subsides ! » 111 Le message suivant, posté sur Facebook, est également éloquent : « Asbl subsidiées : faisons le grand ménage ! On ne compte plus les asbl qui touchent de l’argent public (…) dans le but de promouvoir – avec de grands guillemets – de “belles valeurs”. Parmi celles-ci, il y a celles qui promeuvent l’immigration de masse ou qui luttent contre le racisme. En réalité, en leur sein, on retrouve souvent des militants de gauche. Nous le disons de façon d’autant plus forte après l’attentat de Bruxelles : Stop au financement de ces asbl qui agissent contre les intérêts de notre pays
avec l’argent des Belges » [160]. Enfin, Chez Nous dénonce le fait que « les juges interprètent le droit pour en faire une arme de guerre politique contre le choix démocratique qui consiste à en finir avec l’immigration ». Dès lors, il propose de « sortir » de la Cour européenne des droits de l’homme et de « refuser les décisions des juges européens » [161].
Ce positionnement sur l’enjeu migratoire repose sur une conception inégalitaire de la société que partagent l’ensemble des formations politiques d’extrême droite [162]. Selon certains auteurs, l’enjeu migratoire serait même un « méta-enjeu » pour les partis d’extrême droite, à partir duquel l’ensemble des autres enjeux s’articuleraient [163]. D’ailleurs, il leur est essentiel dans le sens où il leur permet de capter les voix d’un électorat particulièrement préoccupé par la thématique migratoire. En Allemagne, par exemple, Kai Arzheimer et Carl Bening ont démontré que l’immigration est un sujet prioritaire pour les électeurs du parti Alternative für Deutschland (AfD) [164].
LA SÉCURITÉ
Regrettant le fait que « beaucoup de citoyens ne sont plus en sécurité dans notre pays » [165] et dénonçant « l’impunité à l’œuvre » [166], Chez Nous fait de la question sécuritaire un autre enjeu central de son programme. À cet égard, la littérature en analyse des politiques publiques distingue deux approches majeures de l’enjeu sécuritaire, l’une répressive et l’autre préventive [167] ; pour ce qui le concerne, Chez Nous adopte clairement un positionnement répressif en la matière.
Les problèmes sécuritaires sont volontiers présentés par Chez Nous comme étant la conséquence de la politique migratoire du pays. Il s’agit là d’une caractéristique classique des discours d’extrême droite, qui a pour effet d’accroître le ressentiment, voire l’hostilité, d’un segment de la population à l’encontre des personnes d’origine étrangère [168]. D’ailleurs, les partis relevant de cette mouvance idéologique sont particulièrement actifs et influents au sein des institutions politiques lorsqu’il s’agit de défendre des textes relatifs à la criminalité commise par les étrangers, que ce soit à travers des propositions visant à expulser les délinquants et criminels étrangers, à les déchoir de leur nationalité, à les forcer à exécuter leur peine dans leur pays d’origine ou encore à mettre sur pied un mécanisme de naturalisation à l’essai [169].
Ainsi, Chez Nous considère que, « s’il n’existe aucun chiffre officiel, les rapports indiquent qu’une très large majorité des détenus sont étrangers ou d’origine étrangère » [170]. Dans une autre communication, il déclare : « Voitures de police vandalisées, policiers agressés, quartiers plongeant dans la violence et passant peu à peu sous la coupe des trafiquants de drogue : la police est dépassée, manque de moyens et n’est pas soutenue comme elle le devrait face à la criminalité qui gangrène nos villes (…). Il faut le dire : l’immigration incontrôlée, l’absence de volonté politique et le laxisme judiciaire jettent notre population aux mains du trafic. La violence s’installe » [171]. Par conséquent, le parti souhaite construire une nouvelle prison, mieux défendre les policiers (et, notamment, leur accorder la présomption de légitime défense dans l’exercice de leur fonction), sanctionner davantage les délinquants et criminels, punir tout acte délictueux, limiter les possibilités de libération conditionnelle [172], supprimer les allocations familiales perçues par les parents de mineurs délinquants, prélever le montant des amendes pour incivilités sur les allocations familiales, retirer la nationalité belge aux terroristes dotés de la double nationalité, ou encore renvoyer dans leur pays d’origine les étrangers condamnés pour qu’ils y exécutent leur peine.
Sur cet enjeu aussi, le parti communique abondamment sur les réseaux sociaux. À titre d’exemple, citons les slogans suivants : « Il viole une fille de 11 ans. 8 ans de prison seulement. Stop laxisme » [173], « La racaille n’a pas sa place chez nous » [174], « Charleroi. L’une des villes les plus dangereuses d’Europe. Racaille. Tolérance zéro » [175], « Grace. 19 ans. Massacrée au couteau par un migrant. Sauvons les nôtres » [176], etc. En octobre 2023, ce discours est d’autant plus présent dans la communication de Chez Nous qu’un attentat terroriste islamiste a été perpétré à Bruxelles, le 16 octobre, par un Tunisien en séjour irrégulier et ayant reçu un ordre de quitter le territoire plusieurs mois auparavant [177].
LA FISCALITÉ
En matière fiscale, le parti Chez Nous considère que « la Belgique est un des pays les plus taxés au monde » et que « le travailleur honnête, qui se lève tôt pour travailler, est imposé de toutes parts » 130. Le recours à l’expression « racket fiscal » est courant dans le vocabulaire du jeune parti. Pour lutter contre la situation qu’il dénonce, il propose de diminuer l’impôt des sociétés (ISOC) à hauteur de 22 %, réduire « drastiquement » la fiscalité automobile individuelle, ou encore supprimer les droits de succession sur l’habitation familiale et le précompte immobilier sur l’habitation propre. Par ailleurs, il souhaite remplacer les écochèques par des chèques « terroir » (à utiliser auprès de commerçants locaux) et permettre aux chômeurs de longue durée d’accomplir des travaux d’intérêt général (rétribués avec ces mêmes chèques). Défenseur d’un souverainisme économique, le parti souhaite supprimer les intérêts notionnels, instaurer une taxe pour les géants du numérique et supprimer les réductions d’impôts accordées aux sociétés multinationales.
Si cet axe idéologique est au cœur du programme de Chez Nous, il semble un peu moins traité par le parti sur les réseaux sociaux. Il n’en est toutefois pas absent, comme en attestent les messages suivants : « Chez Nous, on ne rackette pas fiscalement les travailleurs » [178] et « Le politicien socialiste me taxe pour payer son salaire et gaspiller le reste » [179]. Cette présence moindre de l’enjeu fiscal sur les réseaux sociaux peut s’expliquer par les différences de positionnement socio-économique qui s’expriment au sein du parti. Spécifiquement pour ce qui concerne les anciens membres de Nation qui ont rejoint Chez Nous (mais pas seulement), l’idée selon laquelle le parti devrait adopter une approche davantage sociale est parfois exprimée.
LA BONNE GESTION PUBLIQUE
Chez Nous dénonce le fait que « la Belgique s’est faite au fil des décennies une spécialité des scandales politico-financiers » [180]. Il ajoute : « La politique des copains et des coquins doit cesser ! La gestion de l’argent public est cruciale afin qu’il serve à soutenir l’économie, un enseignement de qualité, une culture populaire et non réservée à une petite caste politisée » [181]. Il souhaite dès lors « mettre fin au gaspillage d’argent public » 135 par une rationalisation des dépenses et par une révision de la structure institutionnelle belge. Cela passe par la suppression des cabinets ministériels, la réduction du nombre de ministres, l’abolition du Sénat, la limitation du nombre de mandats rémunérés simultanément, la rationalisation des subventions allouées aux asbl, ou encore l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne. En réalité, le positionnement du parti en la matière relève essentiellement d’une posture antisystème, voire populiste. Le parti développe en effet un discours qui repose sur le rejet des élites, sur la défense et le culte du peuple, et sur l’exaltation de la volonté de celui-ci comme unique source de légitimité en démocratie. Les élites désignées sont essentiellement politiques ; elles sont d’ailleurs souvent qualifiées de « caste politique » [182]. Elles sont pointées du doigt pour leur « hypocrisie » [183] et les « privilèges » [184] dont elles bénéficieraient. Dans certains cas, elles sont assimilées à une « mafia » [185] ou à des « collabos » [186]. Nombreuses sont les expressions visant à décrédibiliser les partis et mandataires au pouvoir : « Aux prochaines élections, dégageons-les ! Vite, un bon coup de balai ! » [187], « Écolo, démago. La gauche achète des voix » [188], « Nos politiciens nous coûtent un pognon de dingue » [189], « Les élites nient la réalité de l’immigration » [190], « Les ministres nous coûtent une fortune » [191], « Copinage, corruption, népotisme. Leur politique est un désastre » [192], « Faisons des économies. Virons nos politiciens » [193], « La fermeture du nucléaire. C’est aux politiciens de payer ! Pas aux Belges de trinquer » 148, « Aucun de ces clowns ne nous représente. Vite, arrêtons leur cirque ! » [194], « Honte de ce qu’ils font de notre pays » [195], « Ce pays meurt du vampirisme des politiciens qui sucent l’argent public, le fruit de notre travail, des sommes qui devraient payer des hôpitaux, des crèches, des écoles, des routes, du matériel pour la police » [196], etc.
Remarquons que certaines expressions visant à dénoncer les « élites » au pouvoir semblent empruntées à des acteurs de l’extrême droite historique. Ainsi en est-il lorsque le parti déclare « Mal gérée, endettée, inefficace. Fédération Wallonie-Bruxelles. Vite, un coup de balai ! » [197], « Ils gagnent le gros lot sur votre dos ! Vite, du balai ! » [198] ou encore « La particratie est un désastre ! (…) En 2024, passons un bon coup de balai et virons ceux qui se gavent d’argent public depuis trop longtemps » [199]. Particulièrement utilisée par le parti Rex de Léon Degrelle dans les années 1930 [200] – puis réutilisée notamment par le PP de M. Modrikamen –, l’image du balai permet de symboliser le sentiment de dégagisme à l’égard des élites en place. Repérons aussi l’expression « Virons les parlementeurs » [201], qui renvoie à un terme de Léon Daudet, co-fondateur (notamment avec Charles Maurras) du journal d’extrême droite L’Action française en 1908, ouvertement antirépublicain et antisémite, et auteur d’un ouvrage polémique (dont le titre reprend le terme « parlementeur ») par lequel il met en exergue son antiparlementarisme [202].
La volonté de rendre le pouvoir au peuple – parfois qualifié ironiquement de « cochon payeur » [203] – passe bien sûr par l’appel du parti à voter pour ses candidats lors des scrutins à venir, mais aussi par sa volonté d’instaurer la possibilité de recourir à un référendum d’initiative populaire. Le parti considère en effet que, « face à la particratie, le peuple a toujours raison » [204]. En ce sens, il partage une même conception de la démocratie que d’autres partis d’extrême droite actuels ou anciens en Belgique (tels que le VB, le FN ou le PP [205]) ou à l’étranger (tel le RN en France).
L’ÉCOLOGIE DE TERROIR ET DE PROXIMITÉ
Enfin, le dernier axe central développé par Chez Nous concerne l’écologie, présentée comme « l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle » [206]. À l’inverse de nombreuses formations d’extrême droite traditionnelles [207], Chez Nous n’adopte pas un positionnement climatosceptique. Au contraire, il reconnaît que « la préservation de la planète, confrontée à la pollution, au réchauffement climatique, à la surconsommation, passera par une adaptation de nos habitudes » [208]. Pour autant, le positionnement de Chez Nous sur cet enjeu semble surtout servir son agenda nationaliste face à ce qu’il qualifie de « mondialisation sauvage » [209].
Rejetant toute forme d’« écologie punitive », Chez Nous prône une « écologie de terroir, locale et de proximité » [210]. Ses promesses électorales en la matière consistent à valoriser l’agriculture extensive, à classer les paysages remarquables, à resserrer l’habitat en zone rurale, à privilégier les agriculteurs belges au travers de la commande publique, à contraindre la grande distribution à acheter des produits aux agriculteurs belges à un prix raisonnable, à réserver une partie des rayonnages aux producteurs locaux et à lutter contre le gaspillage alimentaire, à lutter contre la pollution sonore et visuelle, à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires et à investir dans la recherche pour des centrales de nouvelle génération, à limiter fortement la construction d’éoliennes, à diversifier les sources d’énergie pour garantir l’indépendance énergétique du pays, etc.
Relevons que cette thématique apparaît de façon nettement moins régulière que les autres sur les réseaux sociaux. Certaines occurrences sont tout de même repérées, à l’instar des slogans suivants : « Défendons une politique localiste. Produisons chez nous » [211] et « La défense de nos agriculteurs d’abord » [212]. D’autres messages publiés sur les réseaux sociaux visent aussi à dénoncer l’écologie prônée par les partis verts et dont ils se distancient nettement : « Écolo, touche pas à notre assiette ! Chez Nous, on mange de la viande ! Et de préférence de qualité, c’est-à-dire belge. Les prises de position de l’écologiste française Sandrine Rousseau, reprises par ses épigones belges, et aussi la RTBF (…), sont de la pure folie. Bien sûr, nous ne pouvons qu’encourager une alimentation saine, variée, composée aussi de légumes et de féculents (la meilleure recette pour vivre longtemps et en bonne santé !). Mais cette chasse aux mangeurs de viande est insupportable. Les voici désormais [qui] seraient responsables du réchauffement climatique (quand ils ne sont pas de vilains adeptes du patriarcat… comme si les femmes n’aimaient pas la bonne viande !). Surtout les écologistes fous oublient l’essentiel : nous avons, en Belgique, de la viande de qualité (et nous le devons aux professionnels du secteur). La qualité dans nos assiettes, c’est un savoir-faire qu’aucun Écolo ne pourra entraver » [213]. Enfin, si Chez Nous se prononce pour la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires dans son programme électoral, il appelle plutôt à l’organisation d’un référendum à ce propos dans sa communication sur les réseaux sociaux [214].
AUTRES THÈMES
Au-delà des six axes programmatiques mis en évidence par Chez Nous et sur lesquels ce dernier concentre l’essentiel de sa communication [215], le parti prend position sur un nombre d’enjeux plus large. À nouveau, ces prises de position peuvent être repérées notamment sur les réseaux sociaux. De manière générale, elles traduisent une idéologie ouvertement conservatrice.
Chez Nous adopte un positionnement conservateur sur les enjeux (bio-)éthiques, et notamment ceux liés au genre et à la transidentité. Ainsi, en avril 2023, le parti indique : « L’idéologie transgenre est en train de gagner du terrain dans les pays européens, jusqu’en Wallonie où certains activistes tentent de la propager. Loin de nous l’idée de pointer du doigt les personnes qui se sentiraient mal à l’aise dans leur identité sexuelle, mais cela ne doit pas devenir une norme ou un modèle. Surtout, que l’on épargne les enfants ! Qu’on cesse de leur mettre dans la tête qu’ils sont peut-être un petit garçon ou peut-être une petite fille et qu’ils auront le loisir de changer de sexe. Les dégâts psychologiques pourraient être colossaux à moyen terme. Pendant que l’on discute du sexe des anges, d’autres sujets nous semblent prioritaires : pouvoir d’achat, préservation de notre identité, insécurité, défi climatique… Et pour les plus jeunes, un enseignement de qualité où l’on apprend à lire et à écrire et non les inepties sur le transgenrisme » 171. Quelques mois plus tard, il réaffirme sa position : « En cette rentrée des classes, répétons-le : non à l’idéologie transgenre dans nos écoles » [216] et « On n’attribue pas un “genre” à un enfant… on constate son sexe ! » [217]
Plus globalement, Chez Nous se pose en fervent opposant à l’idéologie woke. Ainsi, le 23 juillet 2023, le parti exhorte à combattre ce qu’il appelle le wokisme : « Bien sûr que le wokisme existe et qu’il faut le combattre… Vous avez sans doute remarqué la dernière lubie de la gauche, ces derniers jours : affirmer que le wokisme n’existe pas… et que c’est une invention de l’extrême droite. Et nous qui pensions qu’ils étaient fiers du nouveau nom donné à leur combat. Chez Nous, nous pensons que nous devons défendre notre identité, nos traditions, nos valeurs ! Nous nous opposerons évidemment fermement à toutes les idéologies qui font passer les nôtres après les autres, qui nous culpabilisent, qui voient du racisme là où il n’y en a pas, qui divisent notre société. Non à l’extrême gauche et à tous ses avatars, dont le wokisme ! Non à la cancel culture ! » [218] Il poursuit en exprimant son refus « de vivre au wokistant » [219]. Le 1er septembre 2023, il ajoute : « Résistons au wokisme qui nie les évidences ! Face à la gauche qui veut tout déconstruire, nous devons parfois rappeler des évidences. Surtout quand il s’agit de la propagande dans nos écoles, ne nous laissons pas faire : leur monde est un cauchemar ! Défendons le bon sens ! » [220] Si la dénonciation du wokisme apparaît de façon croissante dans les discours tenus par des formations d’extrême droite, elle n’en constitue toutefois pas un marqueur ou une caractéristique propre. Elle est plutôt le fait de formations conservatrices sensu lato [221].
Relevons enfin une série d’autres enjeux sur lesquels prend position le parti Chez Nous de façon moins régulière. Sans être exhaustif, pointons son souci du bien-être animal [222], son opposition à la réduction du nombre de distributeurs automatiques de billets (indiquant « vouloir préserver l’emploi et favoriser le contact humain en rejetant le remplacement de nos caissier(e)s par des caisses automatiques partout et tout le temps » [223]) et sa volonté d’interdire l’usage de toute drogue (notamment, il est fermement opposé à la légalisation du cannabis : « Clair et net : non à la légalisation ! Pour nous, les drogues, c’est non ! (…) Pour notre jeunesse, nous avons d’autres ambitions : le savoir et le sport » [224]). Le parti réclame également davantage d’aides financières pour les crèches [225], appelle à lutter contre la pénurie de médecins (en questionnant les quotas de médecins en vigueur en Belgique) [226] et exige la revalorisation des petites pensions [227].
LA COMMUNICATION DU PARTI
Les réseaux sociaux constituent le canal essentiel par lequel le parti Chez Nous communique depuis sa fondation. En effet, selon J. Munier, « c’est sur les réseaux sociaux que vous pouvez le mieux convaincre les gens que vous souhaitez mener une politique basée sur le bon sens » [228]. D’emblée, le parti dispose d’une page Facebook [229]. En 2021, le parti rejoint aussi YouTube et Instagram. À partir de 2022, c’est sur Twitter puis TikTok que Chez Nous est présent.
L’activité du parti sur l’ensemble de ces réseaux sociaux est particulièrement intense. Sur Facebook et Instagram, Chez Nous mobilise même des moyens financiers relativement importants depuis septembre 2021 (soit un mois avant le meeting de lancement prévu par le parti) afin de sponsoriser de très nombreuses publicités. Ces dernières lui permettent d’assurer une certaine visibilité à ses messages. La première publicité sponsorisée sur ces réseaux sociaux est diffusée le 24 septembre 2021 et porte sur l’enjeu sécuritaire : « Chez Nous, on soutient les policiers. Stop au laxisme, aux zones de non-droit et à l’impunité pour ceux qui attaquent la police. Il est temps d’agir. Jérôme Munier, président de Chez Nous » [230]. Au 7 décembre 2023, près de 1 700 publicités sponsorisées et diffusées par Chez Nous sont recensées dans la bibliothèque publicitaire Meta, pour un montant total de 19 568 euros. Ces contenus sont très majoritairement destinés à des internautes situés en Wallonie. Ne bénéficiant pas d’une dotation publique ou de subsides publics [231], c’est sur la base de dons que cette communication est financée par Chez Nous.
Ces publicités ont pour effet d’accroître la visibilité du nouveau parti mais aussi d’assurer le recrutement de nouveaux membres, voire de nouveaux cadres. Plusieurs d’entre eux admettent ainsi avoir connu Chez Nous par le biais de publicités sponsorisées sur les réseaux sociaux.
Le 12 juillet 2023, un article publié en ligne par le média Bruxelles Dévie [232] révèle que Chez Nous achèterait des faux comptes et faux likes sur le réseau social Instagram. Il explique : « Depuis plusieurs semaines, le compte Instagram de Chez Nous présente une activité particulière. Oscillant entre 1 000 et 2 000 abonnés (après plus de 1 200 publications en un an et demi), le compte du parti est subitement passé à 25 800 abonnés (…), puis est revenu à un nombre oscillant entre 8 000 et 12 000 abonnés (…), pour rebondir actuellement (le 11 juillet) à 31 900 abonnés (…), tout cela sans contenu particulièrement viral (…). Après analyse de ces followers, la plupart n’ont pas de photo de profil, ni d’abonnés et semblent clairement inactifs. D’autres présentent un ratio abonnements/abonnés complètement disproportionné. Le faisceau d’éléments à notre disposition tend à prouver qu’il s’agit donc de faux comptes. De plus, une publication de Chez Nous publiée fin mai a été likée plus de 49 000 fois, alors que son rythme habituel tourne plutôt autour des 60 likes. Suspect, donc ». Rappelant que l’achat de followers et de likes sur Instagram est rendu possible grâce à certaines plateformes, le média dénonce : « L’achat de comptes et de likes sur la plateforme trompe le public quant à la popularité réelle du compte concerné et, donc, altère sa possible influence » [233]. De son côté, Chez Nous observe aussi que de nombreux faux comptes ont été créés ; le parti nie toutefois en être à l’origine et dénonce faire l’objet d’une attaque en règle dont le seul objectif serait de le diffamer.
Dans sa communication, Chez Nous tente de se présenter comme un acteur politique légitime et représentatif de la population. Pour ce faire, il recourt notamment à des données chiffrées [234]. Par exemple, le 3 octobre 2023, un message posté sur Facebook indique que : « 62 % des Wallons veulent durcir les règles d’asile ». Se positionnant sur cet enjeu, le parti poursuit : « Chez Nous est le seul parti qui propose de s’attaquer à tous les canaux de migration ! Nous voulons en finir avec le regroupement familial, expulser les illégaux, restreindre le droit d’asile et fermer nos frontières pour arrêter les clandestins d’arriver chez nous sans qu’on les ait invité[s] ! » [235]. Dans une même logique, et en se référant à un article de La Libre Belgique [236], il déclare : « 1 personne arrêtée sur 2 est en séjour illégal. Expulsons les illégaux » [237].
Parallèlement à la communication « officielle » du parti sur les réseaux sociaux, plusieurs de ses membres et cadres contribuent aussi à la visibilité de Chez Nous à travers la diffusion de courtes vidéos portant sur des sujets de société et/ou d’actualité qui font explicitement référence au parti. Celles-ci sont essentiellement le fait des plus jeunes (mais pas exclusivement). Parmi les sources d’inspiration de certains de ces derniers, citons Thaïs d’Escufon – qui fut la porte-parole du mouvement d’extrême droite français Génération identitaire de 2018 à la dissolution de celui-ci par le gouvernement français en 2021 – et Julien Rochedy – qui est un auteur et influenceur d’extrême droite, et qui a été le directeur du FNJ de 2012 à 2014. D’autres vidéos portent directement sur le militantisme du parti, afin de donner de la visibilité aux actions menées.
Au-delà des réseaux sociaux, les représentants de Chez Nous sont actifs sur le terrain et réalisent de nombreuses opérations de distribution de tracts. Il est à noter que c’est presque systématiquement le même tract qui est distribué. Celui-ci présente le parti Chez Nous comme étant « le seul parti patriote en Wallonie » et introduit de façon synthétique les six axes le long desquels le programme du parti est construit (cf. supra).
Enfin, d’autres stratégies – parfois plus originales – sont déployées par le parti afin de gagner en visibilité. Ainsi, le 8 juin 2022, une jeune membre du parti alors peu connue du grand public, R. Henn, se fait inviter dans le public de l’émission QR Le Débat de la RTBF et parvient à y obtenir la parole à propos du sujet au cœur du débat : l’abattage rituel. Elle y défend sa propre position, en multipliant les allusions à Chez Nous. Quelques mois plus tard, le 20 octobre, des membres du parti assistent à un événement organisé par le MR à Charleroi sur le thème de la sécurité, en présence notamment du président du parti libéral, GeorgesLouis Bouchez, et du député fédéral et ancien ministre Denis Ducarme (MR). Une militante de Chez Nous y intervient pour remettre en cause la gestion politique du parti bleu. Filmée, la séquence est largement diffusée sur les réseaux sociaux par Chez Nous. Sur son compte Facebook, le parti indique le lendemain : « Chez Nous s’invite à une conférence du MR. Malgré la censure et le cordon sanitaire, les patriotes sont là ! Et ils dénoncent ceux qui déplorent le constat dramatique du pays alors qu’ils en sont totalement responsables » [238]. Le même jour, il écrit également : « Lisa de Chez Nous dénonce le bilan migratoire du MR… devant Bouchez ! La jeunesse patriote de Wallonie a du courage, et elle le montre. Bravo à elle qui a eu le cran de dénoncer les 41 % d’étrangers dans nos prisons devant Bouchez et ses copains libéraux ! On ne se taira pas ! » [239] Un troisième exemple intervient le 29 mai 2023. Ce jour-là, à l’occasion d’une manifestation organisée par le VB à Bruxelles, J. Munier parvient à se faire interviewer par la RTBF en vue du journal télévisé de 19h30 (cf. infra).
CHEZ NOUS FACE AU CORDON SANITAIRE MÉDIATIQUE
À peine le parti créé, la question de l’application du cordon sanitaire médiatique à Chez Nous se pose au sein des principaux médias belges francophones. Celle-ci est rapidement tranchée. Compte tenu de l’idéologie véhiculée par ce nouveau parti sur son site web et sur les réseaux sociaux mais aussi du soutien dont il bénéficie officiellement de la part des représentants du VB et du RN (puis d’autres représentants de partis d’extrême droite, cf. infra), il est considéré comme appartenant à la « galaxie d’extrême droite » [240] et, à ce titre, fait l’objet de ce qu’il qualifie de « censure médiatique ».
Les médias belges francophones respectent en effet l’application du cordon sanitaire médiatique de façon stricte. Conformément à l’esprit de ce mécanisme – adopté en décembre 1991 par la RTBF dans la foulée du « dimanche noir » [241] –, les médias audiovisuels empêchent d’emblée que les représentants de ce nouveau parti puissent disposer d’un temps de parole libre en direct. Quant à eux, les médias écrits évitent aussi de les interviewer. De manière générale, peu d’attention médiatique est portée à Chez Nous [242].
C’est en Flandre que Chez Nous opère sa première percée médiatique, plus d’un an et demi après sa fondation. La première interview télévisée d’un représentant de Chez Nous, à savoir J. Munier, a lieu le 22 mai 2023, sur la Vlaamse Televisie Maatschappij (VTM, chaîne privée). Le parti s’en réjouit immédiatement : « Chez Nous passe à la télé. Alors que la presse francophone fait comme si nous n’existions pas, les plus grands médias flamands nous tendent leurs micros car ils prennent conscience que Chez Nous peut faire une percée électorale vu ses résultats exceptionnels sur les réseaux sociaux ! Merci à VTM pour ce reportage sur le seul parti patriote en Wallonie. Première apparition des Wallons qui refusent le diktat socialiste à la télévision flamande. Résultat : nos téléphones chauffent ! Merci. On ne lâche rien ! » 199 D’autres interviews de J. Munier ont lieu la même semaine, notamment sur la Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie (VRT, chaîne publique). Les médias flamands sont notamment interpellés par le soutien du VB dont bénéficie Chez Nous.
Du côté francophone du pays, Chez Nous gagne une importante visibilité médiatique le 29 mai 2023. Alors que, ce jour-là, une délégation de Chez Nous participe au « protestmeeting » (meeting de protestation) organisé par le VB à la place de l’Albertine à Bruxelles [243], le président du parti est brièvement interviewé par la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF). La séquence est diffusée lors du journal télévisé du soir. À cette occasion, J. Munier – présenté comme étant le « président du parti Chez Nous » – déclare : « [Le VB] dit exactement la même chose que ce qu’on dit en Wallonie : moins d’immigration, moins de gaspillage de l’argent public, moins de taxes et plus de sécurité » [244]. Bien que l’intervention de J. Munier n’ait pas duré plus de dix secondes et ait été diffusée en différé, elle n’en provoque pas moins un réel tollé. Nombreux sont ceux qui dénoncent en effet une rupture du cordon sanitaire médiatique. Si tel n’est pas formellement le cas puisqu’il ne s’est pas agi d’un temps de parole accordé au leader de Chez Nous de façon libre et en direct, l’impact de cette séquence peut néanmoins être observé, qualitativement et quantitativement.
D’un point de vue qualitatif, d’une part, cette interview constitue la première intervention officielle [245] d’un représentant de Chez Nous dans un média belge francophone. Celle-ci a pour effet direct de stimuler la motivation au sein du parti. Le sentiment que cette séquence constitue un réel momentum dans le développement de Chez Nous y est fort. D’un point de vue quantitatif, d’autre part, l’évolution du nombre de followers dont bénéficie le parti sur Facebook est saisissante directement après la séquence. S’élevant à 9 600 le 29 mai à 20h30 (soit une heure après le journal télévisé), il s’accroît considérablement pour atteindre 13 000 à peine 48 heures plus tard. À l’été, le profil Facebook du parti compte plus de 14 000 followers [246]. Cette évolution permet au président du parti de réaffirmer que Chez Nous est le premier parti de Wallonie sur les réseaux sociaux.
Mal à l’aise avec cette séquence et l’utilisation qu’en fait Chez Nous sur les réseaux sociaux, l’administrateur général de la RTBF, Jean-Paul Philippot, fait parvenir une lettre recommandée à J. Munier le 6 juin, le sommant de « retirer aussi bien de [son] site web que de [sa] page Facebook, l’extrait du JT de la RTBF, au plus tard le 10 juin prochain ». Il poursuit : « À défaut, nous nous verrons contraint de recourir à la voie judiciaire en ce qui concerne votre site web et de faire retirer la vidéo de votre page Facebook via Facebook directement ». Cette position est justifiée par « la politique suivie par la RTBF concernant ses vidéos, [qui consiste à] ne pas autoriser la diffusion de ses contenus informatifs sur des sites Internet de tiers, tels que des pages Facebook ». Par ailleurs, le conseil d’administration de la RTBF décide de consacrer à cette question un point de l’ordre du jour de sa réunion du 16 juin. À cette occasion, la RTBF prend notamment l’engagement de tenir un débat interne sur l’extrême droite et le cordon sanitaire médiatique.
Une indignation se manifeste aussi au sein du monde politique. Au Parlement de la Communauté française, particulièrement, la séquence fait l’objet d’un débat initié par Margaux De Re (Écolo), le 6 juin, en réunion de la commission de l’Enfance, de la Santé, de la Culture,
36 LE PARTI CHEZ NOUS
des Médias et des Droits des femmes. Cette députée indique notamment : « Je ne suis pas la seule à avoir découvert avec grand déplaisir – c’est un euphémisme – qu’une personnalité d’extrême droite, dont je tairai le nom, qui est passée au journal télévisé de la RTBF (…) était présentée comme président du parti Chez Nous. Or ce mouvement, rappelons-le, n’a à ce jour aucun élu et ne s’est présenté à aucune élection. La RTBF, en tant que média public, est financée par la collectivité. Elle s’est engagée, dans son contrat qui la lie au pouvoir public, à lutter “contre toute forme de racisme et d’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence”. Il est donc totalement incompréhensible que ce média offre une tribune en direct à un groupe qui est formé d’individus xénophobes prônant des idées d’extrême droite similaires à celles du Vlaams Belang et qui est d’ailleurs lié à ce parti frère flamand et au parti français du Rassemblement national. De tels événements m’inquiètent. En effet, j’entends régulièrement que l’extrême droite n’a pas vraiment d’ancrage chez nous, qu’elle ne fait pas véritablement courir de risques à notre démocratie, que ses représentants n’ont que peu de chances de passer la barre des élections ; or je n’en suis pas certaine (…). Je crois que nous prenons un risque quand, dans les débats médiatiques, nous minimisons l’importance de l’extrême droite dans notre pays » [247]. Quelques jours plus tard, le parti Chez Nous ironise sur cette intervention à travers une publication diffusée sur Facebook : « Chez Nous s’invitait au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles cette semaine (…). Merci à Margaux De Re qui nous fait une super publicité ! Quand Écolo parle de nous, c’est toujours un honneur de leur déplaire » [248].
Depuis lors, aucun représentant de Chez Nous n’a bénéficié d’un nouveau temps d’antenne – même en différé – auprès d’un média audiovisuel belge francophone, et ce en dépit des demandes effectuées par des représentants de Chez Nous [249]. Cela explique sans doute pourquoi le parti multiplie les critiques à l’égard de ces médias. Par exemple, le 6 septembre 2023, Chez Nous dénonce de supposées « collusions entre la RTBF et le PS » [250] et remet en cause la neutralité du média public. Il appelle en outre à sa privatisation. Une semaine plus tard, Chez Nous s’indigne à nouveau du cordon sanitaire médiatique qui s’applique à son encontre. Il appelle en outre ses sympathisants à se rendre sur la page Facebook de l’émission QR de la RTBF afin d’exprimer leur mécontentement à ce sujet : « Puisque le seul parti patriote en Wallonie, Chez Nous, n’est pas convié dans le débat public, nous allons montrer à la RTBF, financée avec vos impôts, que nous ne laisserons pas la gauche avoir le monopole de la parole ! » [251] Le 2 novembre, c’est RTL-TVI qui est pointé du doigt. Dans sa communication, Chez Nous appelle la chaîne privée à rompre le cordon sanitaire médiatique : « Les audiences de C’est pas tous les jours dimanche – RTL TVI s’écroulent : c’est normal quand on invite toujours les mêmes ! Les Wallons en ont ras-le-bol de voir toujours les mêmes guignols à la télé ! Immigration, islamisation, insécurité, racket fiscal et gaspillage de l’argent public : il est temps de donner la parole aux patriotes de Chez Nous, cher Christophe Deborsu ! Les journalistes francophones parlent de nous en Flandre mais refusent de le faire en Wallonie et à Bruxelles parce que cela pourrait gêner la mafia socialiste ! Faites votre boulot : la République populaire de Wallonie va finir par s’écrouler, arrêtez de collaborer ! » [252] De manière générale, le parti de J. Munier souhaite « révolutionner les subsides aux médias », notamment en proposant que « chaque citoyen, au moment de rentrer sa déclaration fiscale, [puisse] se prononce[r] sur le média [253] qu’il entend subsidier, [afin d’]obliger les journaux et les télévisions [à] abandonner leur pensée unique dont les Belges ne veulent pas » [254].
L’attitude adoptée par Chez Nous face aux médias dits traditionnels est assez classique au sein des milieux d’extrême droite en Belgique francophone [255]. Depuis le début des années 1990, tous les partis relevant de cette mouvance idéologique se sont en effet insurgés contre le cordon sanitaire médiatique, en dénigrant au passage le travail journalistique plus global effectué par les médias qui l’appliquent. Par ailleurs, par le passé, plusieurs actions en justice ont été intentées par des représentants de partis d’extrême droite (tels le FN, le FNB ou le PP) à l’encontre de certains médias audiovisuels afin de tenter d’imposer leur présence lors d’émissions ou de débats organisés par ceux-ci. Si le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné la RTBF le 2 juin 1994 au paiement d’une astreinte d’un million de francs belges par jour si elle continuait de refuser ses tribunes électorales au FN à la veille des élections européennes du 12 juin 1994, la plupart des décisions rendues par la suite ont plutôt eu pour effet de confirmer la légitimité du cordon sanitaire médiatique [256]. Pour l’heure, Chez Nous n’a jamais saisi la justice en ce sens. Cette situation peut potentiellement s’expliquer par les capacités financières du parti. Cela n’empêche toutefois pas celui-ci de tenter de créer un « sentiment de non-représentativité » [257] des médias dits traditionnels en remettant en cause leur légitimité et leur neutralité idéologique.
L’ADOPTION DE MOTIONS « VILLE ANTIFASCISTE » AU NIVEAU COMMUNAL
En réaction au développement du parti Chez Nous ainsi qu’à sa présence régulière dans l’espace public (notamment via la distribution de tracts sur des marchés et à d’autres occasions), et essentiellement sous la pression de mouvements issus de la société civile [258], plusieurs villes wallonnes adoptent une motion dite antifasciste durant l’année 2023 afin de réaffirmer leur engagement face à l’extrême droite.
La première d’entre elles est la Ville de Charleroi, qui, le 23 janvier 2023, adopte (avec 42 voix pour et 3 abstentions [259]) une motion intitulée « Charleroi, ville antifasciste » préparée par la Coalition antifasciste de Charleroi et proposée par le groupe PS. Ce texte est décliné en huit articles, par lesquels la Ville décide :
« Article 1 : d’empêcher par tous les moyens légaux la diffusion de propos incitant à la haine, au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme, à la discrimination relative à l’orientation sexuelle, ouvertement fasciste et xénophobe, sur le territoire de Charleroi.
Article 2 : d’inviter les services compétents à prendre en considération tous les signaux d’incitation à la haine, au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme, ouvertement fasciste et xénophobe et engager, tout en respectant le cadre juridique national, régional et communal, toute procédure administrative et judiciaire possible pour empêcher la diffusion de ces propos sur le territoire de Charleroi.
Article 3 : d’inviter les membres de la Coalition antifasciste, à chaque fois qu’ils en ont l’information, de relayer celle-ci lorsqu’elle concerne un événement susceptible d’inciter à la haine, au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme, ouvertement fasciste et xénophobe, sur le territoire de Charleroi ;
Article 3bis : d’inviter le bourgmestre et les services compétents à prendre un arrêté motivé en autorisant ou interdisant l’événement.
Article 4 : de soutenir et de promouvoir les initiatives prises par les membres de la Coalition antifasciste de Charleroi et de la société civile dans le cadre du devoir de mémoire de la résistance face à l’Allemagne nazie, au fascisme et à l’extrême droite et en particulier en revendiquant que le 8 mai soit de nouveau un jour férié.
Article 5 : de sensibiliser et d’impliquer la jeunesse carolo, via des projets dans les écoles où la commune est le pouvoir organisateur, aux dangers liés à l’extrême droite et à l’histoire des migrations afin de promouvoir le vivre ensemble.
Article 6 : d’insister à nouveau auprès des autorités formatives sur le caractère essentiel dans la formation des policiers et autres fonctionnaires de l’exercice en toutes circonstances de leurs fonctions de manière juste et égalitaire, vis-à-vis de tous les citoyens, sans discrimination d’origine, de genre, de classe…
Article 7 : de soutenir, promouvoir et communiquer les actions de la Coalition antifasciste de Charleroi visant à faire de Charleroi une ville antifasciste. »
Cette motion trouve à s’appliquer très rapidement. En effet, alors que Chez Nous envisage la tenue d’une université d’hiver le 4 février à Gilly, le bourgmestre de Charleroi, P. Magnette, adopte un arrêté de police deux jours plus tôt interdisant l’événement, pour risque de troubles à l’ordre public. Quelques semaines plus tard, le 28 mars, P. Magnette signe un autre arrêté de police par lequel il interdit le « grand meeting des libertés » que Chez Nous a annoncé vouloir tenir à Gilly le 30 mars en présence de représentants du RN, du VB et du collectif d’extrême droite Némésis. La situation se répète à nouveau alors que le parti souhaite organiser un « grand meeting patriote » le 1er octobre 2023 (cf. supra).
À Namur aussi, la question de l’adoption d’une « motion antifasciste » est posée. Le 21 mars 2023, la séance du conseil communal de la Ville de Namur commence par une interpellation citoyenne en ce sens. Quelques semaines plus tard, le 25 avril, une version amendée de la motion proposée par S. Vause – membre du Collectif antifasciste namurois alors en cours de formation [260] – est adoptée à l’unanimité du conseil communal. Plusieurs membres de Chez Nous reconnaissent qu’elle rend plus difficile l’action du parti à Namur, notamment lorsque le parti souhaite réaliser des opérations de tractage sur le territoire communal.
Le 22 mai 2023, c’est au tour de la Ville de Liège de voter – également à l’unanimité – une motion intitulée « Liège, ville antifasciste », déposée par le groupe Vert Ardent [261] le 24 avril et inspirée de la motion adoptée à Charleroi quatre mois plus tôt [262].
À la suite d’une interpellation du Front antifasciste montois lors de la séance du conseil communal du 30 mai 2023, la Ville de Mons adopte elle aussi (avec 30 voix pour et
10 abstentions [263]) une « motion antifasciste » le 20 juin. Celle-ci est très largement similaire à celle adoptée à Charleroi en janvier.
Le 7 novembre 2023, c’est le conseil communal de La Louvière qui adopte une pareille motion [264]. Ce vote intervient dans la foulée de l’interpellation citoyenne formulée par l’ancien conseiller communal communiste Jean-Pierre Michiels, qui agit au nom de la Coalition 8 mai. Une fois de plus, la motion s’inscrit dans le même esprit que celles votées précédemment dans le Hainaut.
LES RÉSEAUX DU PARTI
D’emblée, le réseau entretenu par Chez Nous apparaît dense. Ainsi, tant le président du VB que le président alors ad interim du RN sont présents le jour du lancement du parti (cf. supra). Plus que des sources d’inspiration, ils constituent de véritables parrains pour Chez Nous. Tandis que de nombreux partis ou groupuscules d’extrême droite ont tenté, en vain, d’obtenir le soutien de ces formations, le parrainage octroyé au parti de J. Munier semble inédit dans l’histoire contemporaine de l’extrême droite wallonne.
Les implications de ces soutiens ne sont pas que symboliques. Par exemple, le 28 mars 2022, une convention est signée entre le RN et Chez Nous (avec l’accord écrit du VB) afin d’accorder au nouveau parti le droit à recourir au sigle et au logo du Front national (belge). L’enjeu pour Chez Nous n’est a priori pas de pouvoir en faire usage, mais d’éviter qu’un concurrent puisse s’en saisir. Néanmoins, la question relative à l’utilisation ou non de ce logo en vue des élections du 9 juin 2024 se pose rapidement au sein du parti, certains estimant que cela pourrait lui faire gagner de la visibilité [265] alors que d’autres considèrent, à l’inverse, que cela pourrait nuire à son image. La question est jugée « sensible » en interne et divise jusqu’au bureau politique du parti.
Autre exemple : au printemps 2023, le VB s’engage à ne pas déposer de listes électorales dans les circonscriptions wallonnes en vue de l’élection de la Chambre des représentants en 2024 (tandis que, quant à lui, Chez Nous s’engage à ne pas déposer de liste en Région bruxelloise afin de ne pas y concurrencer le VB). Alors que le VB avait obtenu 18 077 voix (soit 0,9 % des suffrages valablement exprimés) dans les cantons wallons lors des élections législatives du 26 mai 2019 [266], il décide cette fois de laisser le terrain libre pour Chez Nous. En outre, selon certaines sources, Chez Nous bénéficierait d’un soutien financier du VB, à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce type de soutien n’est toutefois pas confirmé par les principaux cadres du parti, qui affirment ne recevoir aucun don de la part de partis politiques.
Le soutien dont bénéficie Chez Nous est plus large encore. Ainsi, un an après sa fondation, le 17 octobre 2022, le président (et unique membre – fait exceptionnel en Europe) du parti néerlandais d’extrême droite Partij voor de Vrijheid (PVV) [267], Geert Wilders, publie une vidéo en français à destination des jeunes Belges : « Bonjours mes amis wallons. Je vous adresse un message depuis les Pays-Bas. Je suis Geert Wilders, le leader du premier parti d’opposition au Parlement néerlandais. Je veux vous féliciter pour les un an de Chez Nous et le développement constant de celui-ci. Les conséquences de l’immigration massive sont également perceptibles en Wallonie. Les rues, les quartiers et les villes wallonnes sont méconnaissables. L’islamisation se propage. Les personnes se sentent étrangères dans leur propre ville, dans leur propre pays. Les partis de gauche se voilent la face. C’est une excellente nouvelle qu’un parti wallon dise enfin “ça suffit !”. J’ai rencontré le président Jérôme Munier et je suis convaincu que vous obtiendrez un score incroyable lors des prochaines élections en 2024. Je vous souhaite beaucoup de succès, une bonne journée, et à bientôt ».
Chez Nous s’enorgueillit rapidement de ces soutiens. Ainsi, le jour même de la publication par G. Wilders de sa vidéo, le parti partage la communication suivante sur les réseaux sociaux : « Chez Nous, le seul parti patriote en Wallonie, est officiellement soutenu par tous les grands leaders patriotes d’Europe. Jordan Bardella, Marine Le Pen, Tom Van Grieken, Geert Wilders. Ensemble, nous pouvons créer la surprise en Wallonie. Rejoignez-nous et ensemble, faisons gagner vos idées » [268]. Au-delà de ces trois partis majeurs dans le paysage d’extrême droite en Europe occidentale (RN, VB et PVV), relevons aussi le soutien apporté par le parti allemand Alternative für Deutschland (AfD) [269] à Chez Nous. Il se traduit notamment par l’intervention de l’eurodéputé M. Krah à l’occasion du meeting organisé le 1er octobre 2023 par Chez Nous (cf. supra).
Le réseau du jeune parti dépasse le périmètre de ces quatre formations. Il englobe des partis tels que Chega (CH) au Portugal, les Sverigedemokraterna (SD) en Suède, les Fratelli d’Italia (FdI) en Italie et Vox en Espagne. D’ailleurs, Chez Nous multiplie les communications par lesquelles il affiche son soutien à leur égard. Celles-ci lui permettent non seulement d’entretenir son réseau mais aussi de tenter de bénéficier de l’aura dont jouissent les partis concernés, y compris depuis la Belgique. Par exemple, le 14 juin 2022, Chez Nous soutient clairement le RN dans le cadre des élections législatives françaises : « Chez Nous, c’est clair, net et précis : nous apportons notre soutien à nos amis du Rassemblement national pour les élections législatives. Partout en Europe, les peuples se lèvent » [270]. Le 24 juillet 2023, Chez Nous félicite l’AfD pour la deuxième position dont ce parti bénéficie dans de récents sondages et indique : « En Wallonie, nous les soutenons car comme eux, nous nous battons face à une caste politique inconsciente qui met en danger notre civilisation, notre identité et nos valeurs
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par pur électoralisme » [271]. Le même jour, il félicite Vox pour les résultats obtenus à l’issue des élections législatives du 23 juillet [272] : « Bonne chance à Santiago Abascal et espérons que son parti fasse partie de la composition du prochain gouvernement espagnol » [273]. Un mois plus tard, alors que des élections législatives anticipées sont annoncées pour le 22 novembre 2023 aux Pays-Bas, Chez Nous s’interroge : « Nos alliés au gouvernement néerlandais ? » Il poursuit : « Notre allié, Geert Wilders, est peut-être en passe d’entrer dans un gouvernement, faisant ainsi tomber une nouvelle fois le cordon sanitaire dans cet autre plat pays ! » [274] En novembre, et sans que nous soyons ici exhaustif, il déclare enfin : « Le Portugal est en train de vivre un moment historique : la progression fulgurante du parti patriote Chega y est exceptionnelle ! En donnant la formation politique de notre ami André Ventura à plus de 17 %, ce pays qu’on disait irrémédiablement malade du gauchisme culturel est en train de démontrer que tout est possible ! Nous lui souhaitons beaucoup de succès : il doit savoir que Chez Nous, le seul parti patriote en Wallonie, regarde avec beaucoup d’attention ce qui est en train de se passer dans son pays » [275]. Remarquons que, bien qu’ils soient qualifiés de « patriotes » par Chez Nous, tous ces partis défendent une idéologie d’extrême droite [276]. Au niveau européen, par contre, tous ne figurent pas au sein du groupe politique Identité et démocratie (ID) du Parlement européen, considéré par Chez Nous comme « la famille politique naturelle » [277] à laquelle il appartient.
Plusieurs personnalités et mouvements (non partisans) réputés partager une idéologie d’extrême droite soutiennent également le nouveau parti. Le 27 mars 2023, des cadres locaux de Chez Nous annoncent ainsi que leur parti est soutenu par le rappeur lyonnais controversé Millésime K. En tournée entre mars et juin 2023, ce dernier a vu plusieurs de ses concerts interdits par arrêté préfectoral (comme à Grenoble en mars et à Nantes en mai) à la suite d’une intense mobilisation syndicale et antifasciste visant à dénoncer l’idéologie véhiculée par le jeune artiste. À l’occasion de son « grand meeting des libertés » organisé le 30 mars 2023 (cf. supra), Chez Nous reçoit par ailleurs Alice Cordier, présidente du collectif Némésis, un mouvement d’extrême droite qualifié de « féministe-identitaire » [278]. Elle est présentée par Chez Nous comme ayant « à son actif un certain nombre d’actions chocs pour dénoncer l’islamisme et la menace que cette idéologie rétrograde fait peser sur la liberté des femmes » 236. En septembre 2023, alors qu’A. Cordier et deux autres militantes de Némésis ont été interpellées et placées en garde à vue après avoir déployé, depuis la chambre d’un hôtel et à l’occasion de la braderie de Lille, le 2 septembre, une banderole indiquant « Lectures salafistes dans les lycées de votre ville. Vous sentez-vous en sécurité à la braderie de Lille ? », Chez Nous apporte son soutien à ces dernières. Dans un message publié sur Facebook, il indique : « Cela se passe pas loin de Chez Nous, dans le nord de la France (…). Dans nos régions, il vaut apparemment mieux être islamiste qu’attaché aux droits des femmes (dont celui de vivre en sécurité et en… liberté, sans voile ni contrainte). Nous adressons évidemment notre soutien aux trois jeunes femmes et rappelons que seuls les partis patriotes en Europe sont à la pointe du combat pour le droit des femmes » [279].
Enfin, une série d’interviews de représentants de la droite radicale ou de l’extrême droite en Belgique et à l’étranger réalisées par J. Munier permet de mieux cerner encore le réseau tissé par le parti. Pour autant, ces interviews ne traduisent pas nécessairement un soutien de la part de ces personnes envers Chez Nous et ne révèlent pas systématiquement de véritables liens. Citons notamment Dries Van Langenhove (fondateur de Schild & Vrienden et alors député fédéral élu sur une liste du VB) [280], Jean-Marie Dedecker (député fédéral indépendant), Alain Destexhe (ex-sénateur MR et fondateur des Listes Destexhe en 2019) ou encore les eurodéputés Gerolf Annemans (VB, Flandre), Thierry Mariani (RN, France), Virginie Joron (RN, France), Gunnar Beck (AfD, Allemagne) et Paolo Borchia (Lega, Italie).
CHEZ NOUS ET LA PERSPECTIVE DES ÉLECTIONS DU 9 JUIN 2024
La première participation électorale de Chez Nous est envisagée par le parti à l’occasion des élections fédérales, régionales, communautaires et européennes du 9 juin 2024. Pour ce faire, et au même titre que les autres partis souhaitant déposer des listes de candidats lors de ces scrutins, il doit remplir certaines conditions. À cet égard, il semble utile de rappeler ici quelques règles se rapportant aux formalités préélectorales en Belgique.
Pour l’élection de la Chambre des représentants, le Code électoral (article 116, § 1er) dispose que, pour être déposée, une liste de candidats doit être accompagnée de la signature de trois membres sortants de la Chambre ou d’un nombre déterminé d’électeurs, à savoir au moins 500 dans les circonscriptions électorales de plus de 1 million d’habitants, au moins 400 dans celles comptant entre 500 000 habitants et 1 million, et au moins 200 dans celles comptant moins de 500 000 habitants. Il est à noter que les électeurs soutenant un candidat doivent être inscrits dans la circonscription dans laquelle ce candidat se présente et ne peuvent être domiciliés dans une autre circonscription. En outre, ils ne peuvent signer plus d’un acte de présentation de candidats pour le même scrutin. Quant à eux, les députés fédéraux sortants ne peuvent signer plus d’un acte de présentation de candidats dans la même circonscription ; en revanche, ils sont habilités à parrainer des listes déposées dans différentes circonscriptions (en ce compris, donc, des circonscriptions autres que celle dans laquelle ils ont été élus).
Au niveau régional et communautaire, pour être valablement déposée, une liste de candidats doit aussi être accompagnée de la signature d’un nombre déterminé de membres sortants de l’assemblée concernée ou de celle d’un nombre déterminé d’électeurs. Pour l’élection du Parlement wallon – tout comme pour le Parlement flamand –, l’acte de présentation de la liste doit ainsi être signé par deux députés sortants au moins ou par au moins 500 électeurs dans les circonscriptions électorales de plus de 900 000 habitants, 400 électeurs dans celles comptant entre 400 000 et 900 000 habitants et 200 électeurs dans celles comptant moins de 400 000 habitants. Pour l’élection du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, l’acte de présentation des candidats doit être signé soit par un député sortant appartenant au même groupe linguistique que celui de la liste déposée, soit par au moins 500 électeurs émanant de ce groupe linguistique. Enfin, pour l’élection du Parlement de la Communauté germanophone, l’acte de présentation des candidats doit porter la signature de deux députés sortants ou d’au moins 100 électeurs.
Enfin, pour l’élection de la délégation belge au Parlement européen, une liste de candidats doit être accompagnée de la signature d’au moins cinq parlementaires belges qui, à la Chambre des représentants ou au Sénat, appartiennent au même groupe linguistique que celui de la liste déposée ou par au moins 5 000 électeurs (ou 200 pour le collège électoral germanophone) de la circonscription électorale concernée.
Sur cette base, compte tenu du parrainage du VB et de l’importante représentation parlementaire de ce dernier à la Chambre des représentants, il semblerait que Chez Nous puisse a priori parvenir à déposer des listes pour l’élection visant à renouveler la Chambre des représentants le 9 juin 2024 sans devoir procéder à la collecte de signatures. En revanche, pour les autres niveaux de pouvoir, cela est nettement moins évident et il est vraisemblable que Chez Nous doive mener une pareille opération pour y déposer des listes. Celle-ci est prévue dès la mi-décembre 2023.
Au-delà des règles formelles qui s’imposent aux partis qui souhaitent prendre part au jeu électoral et du caractère fastidieux et délicat de l’opération de collecte de signatures, l’autre défi qui s’impose à Chez Nous est de rassembler des voix le plus largement possible, et ce particulièrement à la droite de la droite. Comme cela a déjà été précisé, Chez Nous a réussi à s’allier avec d’autres partis : le PNE et Agir. Compte tenu des grandes divisions qui caractérisent l’extrême droite depuis de nombreuses années en Wallonie [281], il s’agit là d’une évolution notable. Les perspectives d’alliance semblent toutefois nettement moins évidentes avec certains autres petits partis, comme Nation. Fondé en septembre 1999, ce parti reste confiné aux marges du système partisan et se révèle surtout groupusculaire. Son action s’ancre à la fois dans le champ électoral et dans l’activisme politique traditionnel, d’une part, et dans l’extrémisme de droite (caractérisé par son rapport désinhibé à la violence, notamment), d’autre part [282]. Qualifiant Chez Nous de parti populiste, Nation regrette notamment son absence de culture révolutionnaire (Nation se réclame du nationalisme révolutionnaire) visant à renverser le système dans sa globalité et considère qu’il est « un parti du système qui ne fera rien des voix qu’ils espèrent récupérer » 241. Le 24 août 2023, Nation partage même sur sa page Facebook un article publié deux jours plus tôt sur le site Belgica News, qui décrit Chez Nous comme « un parti de ploucs tout juste bon pour la benne à ordures » et qui présente J. Munier comme « un clown triste, rance et apathique ». Repérons aussi que la fusion du PNE – issu d’une scission du parti Nation – avec Chez Nous n’est pas sans complexifier les rapprochements entre Chez Nous et Nation. Au-delà de Nation, les anciens alliés de S. Nicotra (à savoir Lionel Baland et Joseph Franz) espèrent toujours déposer des listes qui leur sont propres, particulièrement dans les circonscriptions de Liège et de Luxembourg. Enfin, mentionnons les partis dits de droite décomplexée que sont la Droite
populaire [283] et les Libéraux démocrates [284] : chacun conserve son indépendance et entend prendre part au scrutin du 9 juin 2024 [285].
Chez Nous envisage de prendre part au scrutin du 9 juin 2024 à différents niveaux : il prévoit de participer à l’élection de la Chambre des représentants en Wallonie (par suite de l’accord passé en ce sens avec le VB, il ne déposera pas de liste dans la circonscription électorale de Bruxelles-Capitale, cf. supra), à l’élection du Parlement wallon, à l’élection du Parlement de la Communauté germanophone ainsi qu’à l’élection du Parlement européen. S’agissant des scrutins auxquels le parti projette de participer, J. Munier indique : « Nous [déposerons des listes électorales dans toutes les provinces wallonnes], mais nous nous concentrerons principalement sur Liège et le Hainaut, les bastions wallons traditionnels du pouvoir. C’est là que se trouve notre électorat. Nous voulons y avoir des élus en 2024 » [286].
CONCLUSION
Longtemps perçue comme une exception au sein du paysage partisan européen, la Wallonie n’est pas a priori préservée face au développement de l’extrême droite. Au moins trois facteurs sont là pour en attester. Primo, plusieurs exemples étrangers nous rappellent que l’extrême droite peut s’imposer rapidement au sein d’un système de partis. Ces dernières années, cela a notamment été le cas en Allemagne et en Espagne. Tandis que l’extrême droite semblait marginale dans chacun des cas, de nouvelles formations (l’AfD en Allemagne et Vox en Espagne) ont réussi à se développer et à s’imposer – parfois même au sein d’exécutifs locaux ou régionaux – de façon inattendue. Secundo, la demande électorale pour une formation d’extrême droite est bien présente en Wallonie. Au moins deux indicateurs permettent de l’illustrer. D’une part, la méfiance démocratique qui est exprimée dans cette région à l’égard du système politique n’est pas négligeable – en témoigne d’ailleurs le taux de non-participation nette [287] relevé en Wallonie lors des élections du 26 mai 2019, qui s’est élevé à un niveau jusqu’alors jamais atteint (21,1 %) [288]. D’autre part, l’analyse des opinions des Wallons à l’égard de la question migratoire révèle qu’un segment non négligeable de la population du sud du pays considère que l’immigration accentue les problèmes d’insécurité au niveau national (66 %), accroît l’insécurité de l’emploi pour les nationaux (43 %) et appauvrit la vie culturelle du pays (27 %) [289]. Autant de positionnements que l’extrême droite partage et sur lesquels elle tente de se démarquer par ses propositions. Tertio et enfin, le présent Courrier hebdomadaire illustre à quel point des tentatives de structurer une offre électorale d’extrême droite légitime et ambitieuse se déploient actuellement en Wallonie.
À travers une analyse à 360 degrés du parti Chez Nous, ce Courrier hebdomadaire a tâché de cerner le plus finement possible comment ce parti ambitionne de développer une pareille offre électorale en Wallonie. Spécifiquement, il est revenu sur les origines du parti, sur sa structuration (principalement dans les provinces de Hainaut et de Liège ainsi que, dans une moindre mesure, de Namur) et sur son activisme. L’analyse de l’idéologie défendue par Chez Nous – opérée tant sur la base de son programme électoral que de sa communication sur les réseaux sociaux – confirme l’ancrage du parti à l’extrême droite de l’échiquier politique, en tant que formation populiste de droite radicale ou national-populiste. Si Chez Nous entend respecter les formes du jeu démocratique, son positionnement repose sur une perspective inégalitaire de la société et sur un projet nationaliste, comme en témoignent ses positions en matière identitaire et migratoire. Par ailleurs, le réseau entretenu par Chez Nous en Belgique et à l’étranger – outre qu’il s’avère plutôt dense – est essentiellement constitué de partis, mouvements et personnalités défendant une idéologie d’extrême droite.
Ces différents éléments expliquent la mobilisation à laquelle Chez Nous est confronté depuis ses débuts, que ce soit au sein de la société civile, du monde syndical ou même du milieu politique. Ainsi, en 2023, plusieurs villes wallonnes se sont déclarées « antifascistes » par le moyen de l’adoption de motions visant à réaffirmer leur engagement à l’encontre de l’extrême droite. L’intense mobilisation qui se développe afin de contrer les efforts de Chez Nous – à laquelle s’ajoute le principe du cordon sanitaire médiatique observé en Belgique francophone – n’est pas sans conséquence sur le nouveau parti, qui doit redoubler d’efforts pour se faire connaître, pour tenter de maintenir les activités qu’il envisage ou encore pour voir le nombre de ses adhérents s’accroître.
L’année 2024 sera décisive pour le parti, qui ambitionne de décrocher au moins un premier siège à la Chambre des représentants et/ou au Parlement wallon afin de bénéficier d’une dotation publique et de s’imposer, progressivement, dans le paysage partisan en Wallonie. Pour autant, la route est encore longue. Certains cadres du parti avancent déjà que, en cas d’échec lors des élections du 9 juin 2024, il ne vaudra pas la peine pour lui de participer aux élections locales du 13 octobre 2024 [290]. Par contre, en cas de victoire, le parti envisage d’élargir son implantation, par la création de nouvelles sections mais aussi par la création de nouvelles structures internes, comme un mouvement de jeunesse.
ANNEXES
Annexe 1. Acte de constitution de l’asbl La Ruche (Moniteur belge, 13 novembre 2020)
Le vendredi 30 octobre 2020, les personnes suivantes se sont réunies (…) pour créer formellement l’asbl La Ruche : Jérôme Munier (…), Patricia Potigny (…), Anne Maurice (…).
Ils déclarent constituer entre eux une association sans but lucratif, conformément à la loi du 23 mars 2019.
Titre I : Dénomination – siège social
Art. 1. L’association est dénommée : La Ruche.
Art. 2. Son siège social est établi (…) dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles.
Art. 3. L’association est constituée pour une durée non déterminée et peut être dissoute.
Titre II : Objet – but
Art. 4. L’association a pour but de promouvoir en toute indépendance les valeurs européennes, en mettant en avant les notions de responsabilité et d’identité en Wallonie et à Bruxelles.
Art. 5. L’association a pour objet l’organisation d’activités liées à la promotion de ces valeurs.
Elle peut accomplir tous les actes se rapportant directement ou indirectement à son objet. Elle peut prêter son concours et s’intéresser à toute activité similaire à son objet.
L’association peut détenir tous les biens mobiliers et immobiliers qui lui sont nécessaires à l’accomplissement de son objet.
De plus, l’association peut organiser des activités qui contribuent directement ou indirectement à l’accomplissement du but mentionné, ci-compris des activités commerciales et lucratives qui restent dans le cadre légal de l’asbl et dont les bénéfices seront utilisés à l’accomplissement de l’objet.
Titre III : Membres
Section 1 : Admission
Art. 6. L’association est composée de membres effectifs et de membres adhérents à compter du jour où le conseil d’administration aura adopté un règlement d’ordre intérieur à leur sujet. Les droits des membres adhérents s’y limiteront sans toutefois les intégrer à l’assemblée générale, laquelle est exclusivement composée des membres effectifs. Le nombre minimum des membres effectifs ne peut être inférieur à trois.
Seuls les membres effectifs jouissent de la plénitude des droits accordés aux associés par la loi ou les présents statuts.
Art. 7. Sont membres effectifs :
- les comparants au présent acte ;
- tout membre adhérent qui, présenté par trois membres effectifs au moins, est admis par décision de l’assemblée générale réunissant la totalité des voix présentes ou représentées.
Sont membres adhérents : tous ceux qui participent aux activités de l’association, après avoir satisfait aux obligations d’affiliation imposées par le conseil d’administration, conformément aux prescriptions de la fédération.
Section 2 : Droits et obligations des membres adhérents
Il sera créé une catégorie de membres adhérents, dès lors que la situation s’en présentera, avec modification du présent document, mentionnant leurs droits et obligations qui leur seront attribués par l’assemblée générale de cette association.
Section 3 : Démission, exclusion, suspension
Art. 8. Les membres effectifs et adhérents sont libres de se retirer à tout moment de l’association en adressant par écrit leur démission à l’association.
Le membre, effectif ou adhérent, qui par son comportement porterait préjudice ou nuirait à l’association, peut être proposé à l’exclusion par le conseil d’administration.
L’exclusion d’un membre effectif ou adhérent ne peut être prononcée que par l’assemblée générale à la majorité des deux tiers des voix présentes ou représentées.
Le conseil d’administration peut suspendre, jusqu’à la décision de l’assemblée générale, les membres qui se seraient rendus coupables d’infraction grave aux statuts et aux lois.
Art. 9. Le membre démissionnaire, suspendu ou exclu, ainsi que les héritiers ou ayant droit du membre décédé, n’ont aucun droit sur le fonds social.
Ils ne peuvent réclamer ou requérir, ni relevé, ni reddition de comptes, ni apposition de scellés, ni inventaire.
Art. 10. Le conseil d’administration tient un registre des membres.
52 LE PARTI CHEZ NOUS
Titre IV : Cotisations
Art. 11. Les membres ne sont astreints à aucun droit d’entrée, ni au paiement d’aucune cotisation. Ils apportent à l’association le concours actif de leurs capacités et de leur dévouement.
Titre V : Assemblée générale
Art. 12. L’assemblée générale est composée de tous les membres effectifs.
Art. 13. L’assemblée générale possède les pouvoirs qui lui sont expressément reconnus par la loi ou les présents statuts.
Sont notamment réservées à sa compétence :
- les modifications aux statuts ;
- la nomination et la révocation des administrateurs ;
- le cas échéant, la nomination des commissaires ;
- l’approbation des budgets et comptes ainsi que la décharge à octroyer auxadministrateurs et le cas échéant aux commissaires ;
- la dissolution volontaire de l’association ;
- les exclusions de membres ;
la transformation de l’association en société à finalité sociale.
Art. 14. Il doit être tenu au moins une assemblée générale chaque année, dans le courant du premier semestre qui suit la fin de l’exercice social.
L’association peut être réunie en assemblée extraordinaire à tout moment par décision du conseil d’administration notamment à la demande d’un cinquième au moins des membres effectifs. Chaque réunion se tiendra aux jour, heure et lieu mentionnés dans la convocation.
Tous les membres doivent y être convoqués.
Art. 15. L’assemblée générale est convoquée par le conseil d’administration par lettre ordinaire adressée au moins huit jours avant l’assemblée, et signée par le secrétaire, au nom du conseil d’administration. L’ordre du jour est mentionné dans la convocation. Toute proposition signée par un vingtième des membres effectifs doit être portée à l’ordre du jour.
Art. 16. Chaque membre effectif dispose d’une voix. Il peut se faire représenter par un autre membre effectif au moyen d’une procuration écrite. Chaque membre ne peut être titulaire que d’une seule procuration.
Art. 17. L’assemblée générale est présidée par le président du conseil d’administration et à défaut par l’administrateur présent le plus âgé (ou à défaut, par le vice-président).
Art. 18. L’assemblée générale délibère valablement si au moins la moitié des membres sont présents ou représentés.
Les résolutions sont prises à la majorité simple ou absolue des voix présentes ou représentées, sauf les cas où il en est décidé autrement par la loi ou les présents statuts.
En cas de partage des voix, celle du président ou de l’administrateur qui le remplace est prépondérante.
Art. 19. Les décisions de l’assemblée générale sont consignées dans un registre de procèsverbaux signés par le président et un administrateur. Ce registre est conservé au siège social où tous les membres peuvent en prendre connaissance mais sans déplacement du registre.
Toutes modifications aux statuts sont déposées au greffe sans délai et publiées par extraits aux annexes du Moniteur belge comme dit à l’article 26novies. Il en va de même pour tous les actes relatifs à la nomination ou à la cessation de fonction des administrateurs et, le cas échéant, des commissaires.
Titre VI : Administration
Art. 20. L’association est gérée par un conseil d’administration.
Le conseil d’administration est composé de trois personnes au moins mais un nombre inférieur au nombre de membres, nommées par l’assemblée générale parmi les membres effectifs pour un terme de 3 ans, et en tout temps révocables par elle. Le nombre d’administrateurs doit en tous cas toujours être inférieur au nombre de personnes membres de l’association.
Art. 21. En cas de vacance au cours d’un mandat, un administrateur provisoire peut être nommé par l’assemblée générale. Il achève dans ce cas le mandat de l’administrateur qu’il remplace. Les administrateurs sortants sont rééligibles.
Art. 22. Le conseil d’administration désigne parmi ses membres un président, un viceprésident, un trésorier et un secrétaire.
En cas d’empêchement du président, ses fonctions sont assumées par le vice-président ou le plus âgé des administrateurs présents.
Art. 23. Le conseil se réunit sur convocation de président et/ou du secrétaire. Il forme un collège et ne peut statuer que si la majorité de ses membres sont présents ou représentés.
Chaque administrateur dispose d’une voix. Il peut se faire représenter par un autre administrateur au moyen d’une procuration écrite. Chaque administrateur ne peut être titulaire que d’une seule procuration.
Ses décisions sont prises à la majorité absolue ou simple des voix : quand il y a parité de voix, celle du président ou de son remplaçant est prépondérante. Elles sont consignées sous forme de procès-verbaux, signés par le président et le secrétaire et inscrites dans un registre spécial.
Art. 24. Le conseil d’administration a les pouvoirs les plus étendus pour l’administration et la gestion de l’association.
Art. 25. Le conseil d’administration peut déléguer la gestion journalière de l’association, avec l’usage de la signature afférente à cette gestion, à un ou plusieurs administrateur(s)délégué(s) choisi(s) en son sein et dont il fixera les pouvoirs. S’ils sont plusieurs, ils agissent individuellement.
Les actes relatifs à la nomination ou à la cessation des fonctions des personnes déléguées à la gestion journalière sont déposés au greffe sans délai et publiés par extraits aux annexes du Moniteur belge comme dit à l’article 26novies de la loi.
54 LE PARTI CHEZ NOUS
Art. 26. Les personnes habilitées à représenter l’association agissent conjointement à deux. Elles sont choisies par le conseil d’administration en son sein ou même en dehors. Ces personnes n’auront pas à justifier de leurs pouvoirs à l’égard des tiers.
L’association est en outre représentée par toute autre personne agissant dans les limites des pouvoirs délégués par ou en vertu d’une décision du conseil d’administration.
Les actes relatifs à la nomination ou à la cessation des fonctions des personnes habilitées à représenter l’association sont déposés au greffe sans délai, et publiés par extraits aux annexes du Moniteur belge comme dit à l’article 26novies de la loi.
Art. 27. Les administrateurs, les personnes déléguées à la gestion journalière, ainsi que les personnes habilitées à représenter l’association ne contractent, en raison de leurs fonctions, aucune obligation personnelle et ne sont responsables que de l’exécution de leur mandat. Celui-ci est exercé à titre gratuit (excepté le cas échéant le mandat de l’administrateur délégué).
Art. 28. Le secrétaire, et en son absence, le président, est habilité à accepter à titre provisoire ou définitif les libéralités faites à l’association et à accomplir toutes les formalités nécessaires à leur acquisition.
Dispositions transitoires
Les fondateurs prennent à l’unanimité les décisions suivantes, qui ne deviendront effectives qu’à dater du dépôt au greffe des statuts, des actes relatifs à la nomination des administrateurs et des actes relatifs à la nomination des personnes habilitées à représenter l’association.
Art. 29. L’assemblée générale peut, si elle le souhaite, déléguer des décisions mineures ou urgentes à un organe compétent pour la gestion journalière.
Première assemblée générale :
Par exception à l’article 13, la première assemblée générale se tiendra le 31/10/2020 (…).
Administrateurs :
Ils désignent en qualité d’administrateurs Mme Maurice Anne, M. Munier Jérôme, Mme Potigny Patricia, qui acceptent ce mandat.
Délégation de pouvoir :
Ils désignent en qualité de :
- président : Jérôme Munier
- premier vice-président : Patricia Potigny
- second vice-président : Anne Maurice
- trésorier : Patricia Potigny
- délégué à la gestion journalière : Jérôme Munier
- personnes habilitées à représenter l’association : l’ensemble des administrateurs.
Annexe 2. Charte éthique adoptée par la Grand Poste de Liège le 12 juillet 2023
Le bâtiment La Grand Poste se veut un lieu d’échanges, ouvert sur le monde.
À ce titre, elle permet à toute une série d’acteurs, d’organisateurs et de producteurs de contenus de louer et/ou d’occuper ses infrastructures (espaces événementiels, salles de réunions, espace de coworking, studios…) permettant de créer des contenus de tout type : conférences, événements, vidéos, images, sons, écrits, réunions…
La société anonyme Grand Poste ancre son action dans les valeurs démocratiques et d’ouverture au monde et à la diversité. La Grand Poste entend veiller au respect, à la protection et à la diffusion de ces valeurs au sein du bâtiment La Grand Poste.
À ce titre, sont interdits au sein du bâtiment susvisé, notamment, la diffusion et la production de contenus contraires aux valeurs démocratiques visées ci-avant, et donc qui contiennent, entre autres, des éléments explicites ou implicites de :
- discrimination, basée sur, entre autres, sans que cette liste ne soit limitative, le genre, l’origine, l’âge, le physique, la culture, la religion, le niveau socio-économique, l’orientation ou l’identité sexuelle ;
- extrémisme sous toutes ses formes ;
- racisme et xénophobie sous toutes leurs formes, de même que l’incitation au racisme ou à la xénophobie ;
- désinformation : diffusion de théories du complot, pseudo-sciences, mensonges, fake news, à titre d’exemples ;
- pornographie ou contenus dégradants ou irrespectueux des êtres humains ;
- incitation à ou mise en œuvre de comportements violents, haineux, illégaux ou irresponsables.
D’une manière plus générale, il sera interdit à tout cocontractant de la SA Grand Poste de porter atteinte à l’image de La Grand Poste, d’un des membres de la communauté La Grand Poste ou de toute personne présente au sein du bâtiment.
Tout contrevenant verra son contrat résilié sur le champ, sans indemnité ni préavis et le personnel de la SA Grand Poste mettra un terme à l’événement en cours en procédant à l’évacuation des lieux. En sus, les contrevenants se verront refuser toute location ultérieure.
La Grand Poste se réserve également le droit de réclamer réparation des préjudices subis par toute voie de droit.
Toute infraction aux lois belges fera systématiquement l’objet d’un dépôt de plainte auprès des services de Police.
La présente charte figure sur le site internet de la Grand Poste et est remise à tout cocontractant de la SA Grand Poste, lequel s’engage à la respecter par la signature de celle-ci.
CENTRE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SOCIO-POLITIQUES
Le CRISP, Centre de recherche et d’information socio-politiques, est un organisme indépendant. Ses travaux s’attachent à montrer les enjeux de la décision politique, à expliquer les mécanismes par lesquels elle s’opère, et à analyser le rôle des acteurs qui y prennent part, que ces acteurs soient politiques, économiques, sociaux, associatifs, etc.
Par ses publications, le CRISP met à la disposition d’un public désireux de comprendre la société belge des informations de haute qualité, dans un souci d’exactitude, de pertinence et de pluralisme. Son objectif est de livrer à ce public les clés d’explication du fonctionnement du système sociopolitique belge et de mettre en évidence les structures réelles du pouvoir, en Belgique et dans le cadre de l’Union européenne.
Le Courrier hebdomadaire paraît au rythme de 40 numéros par an, certaines livraisons correspondant à deux numéros. Chaque livraison est une monographie consacrée à l’étude approfondie d’un aspect de la vie politique, économique ou sociale au sens large. La revue du CRISP constitue depuis 1959 une source d’information incontournable sur des sujets variés : partis politiques, organisations représentatives d’intérêts sociaux et groupes de pression divers, évolution et fonctionnement des institutions, négociations communautaires, histoire politique, groupes d’entreprises et structures du tissu économique, conflits sociaux, enseignement, immigration, vie associative et culturelle, questions environnementales, européennes, etc. C’est également dans le Courrier hebdomadaire que sont publiés les résultats des élections commentés par le CRISP.
Les auteurs publiés sont soit des chercheurs du CRISP, formés en diverses disciplines des sciences humaines, soit des spécialistes extérieurs provenant des mondes scientifique, associatif et sociopolitique. Dans tous les cas, les textes sont revus avant publication par le rédacteur en chef et par un groupe d’experts sélectionnés en fonction de la problématique abordée, afin de garantir la fiabilité de l’information proposée. Cette fiabilité, ainsi que la rigoureuse objectivité du Courrier hebdomadaire, constituent les atouts principaux d’une revue dont la qualité est établie et reconnue depuis plus de 60 ans.
Fondateur : Jules Gérard-Libois Président : Vincent de Coorebyter Équipe de recherche :
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Derniers numéros du Courrier hebdomadaire parus
2577-2578 Grèves et conflictualité sociale en 2022
II. Services publics
Iannis Gracos
2575-2576 Grèves et conflictualité sociale en 2022
I. Niveau interprofessionnel et secteur privé Iannis Gracos
2573-2574 Les fonds d’investissement en Belgique
Tom Duterme
2571-2572 Rex dans l’entre-deux-guerres : discours et communication politique Clément Ferrier
2570 L’année politique 2022 en Communauté germanophone
Cédric Istasse
2569 L’année politique 2022 en Wallonie
Benjamin Biard
2568 L’année politique 2022 en Communauté française
Vincent Lefebve
2566-2567 Schild & Vrienden
Benjamin Biard et Serge Govaert
2564-2565 Histoire de la formation initiale des enseignants en Belgique francophone
Sandrine Lothaire, Marc Demeuse et Antoine Derobertmasure
2563 L’année politique 2022 au niveau fédéral
Caroline Sägesser
2562 Le contrôle du bien-être animal en abattoir
Anne-Laure Mathy
2560-2561 Au cœur du pouvoir : le kern
Jean Faniel et Caroline Sägesser
2557-2558- Les législations visant à favoriser la participation politique des femmes :
2559 évolutions et effets (1994-2022) Cédric Istasse
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Cools, M. (2024, May 27). Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? – Esenca. Esenca. https://www.esenca.be/analyse-2024-extreme-droite-handicap/
Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? Marta PINTO Analyse Esenca 2024 2 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Éditrice responsable : Ouiam MESSAOUDI Siège social : rue Saint-Jean, 32-38 – 1000 Bruxelles Accès public : place Saint-Jean, 1 – 1000 Bruxelles • Contact Center : 02 515 19 19 Numéro d’entreprise : 0416 539 873 • RPM : Bruxelles • IBAN : BE81 8778 0287 0124 Tél : 02 515 02 65 • esenca@solidaris.be • www.esenca.be Avec le soutien de : 3 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Introduction La montée de l’extrême droite constitue l’une des tendances politiques les plus préoccupantes de nos jours. Les élections européennes de 2019 ont été marquées par une poussée des partis d’extrême droite, nationalistes et populistes à travers l’Union européenne (UE)1. Le groupe politique européen d’extrême droite Identité et Démocratie a obtenu 73 sièges au Parlement européen, soit 10 % des sièges2. Depuis, cette tendance continue d’augmenter : le Fidesz en Hongrie, la Ligue du Nord et Fratelli d’Italia (FdI) en Italie, le Droit et Justice (PiS) en Pologne, le Rassemblement National (RN) en France, le Chega au Portugal, le PVV au Pays-Bas, le Vox en Espagne, la Liberté en Autriche, l’Alternative en Allemagne, le Revival en Bulgarie et les Démocrates en Suède. Source : France TV Info, https://tinyurl.com/yc7ktavw En Belgique, le Vlaams Belang (VB) a connu un succès électoral notable en 2019, doublant son nombre de sièges au Parlement européen et en obtenant 18,5 % des voix aux élections fédérales3. En mars 2024, il était en tête des sondages4 avec près de 24 % des intentions de vote au nord du pays. Le parti d’extrême droite wallonne, « Chez Nous », est le plus influent 1 Statista. (2024). Elections européennes : quels pays ont voté d’extrême droite? https://tinyurl.com/2pyk4smb, consulté le 20/03/2024 2 Parlement européen. Résultats des élections européennes 2024. https://tinyurl.com/ywvak68k, consulté le 08/04/2024 3 Bruxelles-J. (2024). Qu’est-ce qu’une idéologie d’extrême droite ? https://tinyurl.com/p2ddbw5m, consulté le 20/03/2024 4 Genovese, V., De Kerchove, Y. (2024). Un parti séparatiste d’extrême droite en tête des sondages électoraux en Belgique. Euronews. https://tinyurl.com/44y73a4j, consulté le 03/04/2024 4 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 en Belgique francophone avec un grand impact observé sur les réseaux sociaux5 chez les jeunes. Ces partis se concentrent principalement sur leur région et promeuvent le nationalisme régional6, ainsi que des politiques anti-immigration. Même si un «cordon sanitaire7» a bien été instauré dans le contexte politique belge autour du Vlaams Blok (maintenant Vlaams Belang), celui-ci n’a pas empêché la montée de l’extrême droite dans les sondages et les votes. Ce scénario révèle une tendance inquiétante en Belgique et en Europe vers des politiques caractérisées par des discours nationalistes, xénophobes et racistes. Ces discours tendent à marginaliser les groupes minoritaires et à remettre en question les principes d’inclusion et de protection des droits fondamentaux. Dans ce contexte, le principe de Standstill8 pourrait être crucial pour protéger le recul des droits contre toute mesure discriminatoire. La montée de l’extrême droite soulève des préoccupations particulières, notamment en ce qui concerne ses implications pour les droits des personnes en situation de handicap. L’extrême droite mène souvent des politiques d’austérité et de réduction des dépenses sociales, ce qui a un impact indéniablement négatif sur la qualité de vie et l’autonomie des personnes en situation de handicap. Alors que ces personnes sont déjà confrontées à des obstacles sociaux, économiques, politiques et de santé, la montée de l’extrême droite peut exacerber leur marginalisation et compromettre leurs droits fondamentaux. Cette analyse examine l’impact de la montée de l’extrême droite ainsi que ses discours et politiques sur les droits des personnes en situation de handicap. L’extrême droite : un opportunisme électoral L’extrême droite continue à gagner du terrain en Europe et en Belgique. Elle s’alimente souvent de l’exploitation des craintes, des crises socio-économiques, des frustrations et du mécontentement de la population envers les politiques traditionnelles. Ce mécontentement peut être lié à plusieurs facteurs, y compris le sentiment de marginalisation et de désillusion parmi certaines parties de la population. Les personnes en situation de handicap peuvent se sentir particulièrement exclues du processus politique en raison de divers obstacles, notamment l’accessibilité des bureaux de vote, le manque de représentation politique et le sentiment de ne pas être entendues par les décideurs politiques. Ce sentiment de marginalisation et de trahison peut conduire à un 5 L’Echo (2024). Le parti d’extrême droite Chez Nous très influent sur les réseaux sociaux. https://tinyurl.com/ystkspcr, consulté le 03/04/2024 6 En Belgique ce concept se réfère à la promotion de l’identité culturelle, politique et sociale spécifique à chaque région, notamment la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Ce type de nationalisme cherche à accroître l’autonomie ou même l’indépendance de ces régions au sein de l’État belge. 7 Le «cordon sanitaire» est un «accord politique conclu entre partis démocratiques flamands pour empêcher toute participation au pouvoir de partis d’extrême droite. ». Source : CRISP. (2024). Cordon sanitaire. https://tinyurl.com/muthxdmj, consulté le 03/04/2024 8 « Ce concept permet de s’assurer que les autorités ne font pas reculer la garantie des droits des citoyens par rapport à de précédentes décisions, par la mise en place notamment de nouveaux textes de loi. ». Source : Dohet, I. (2019). La loi, toujours au service du citoyen ? Le cas de l’arrêté du gouvernement Wallon qui modifie certaines dispositions relatives à l’aide individuelle à l’intégration. Esenca, page 3. https://tinyurl.com/yc8r68av, consulté le 03/04/2024 5 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 désengagement du milieu électoral ou alors au vote pour un parti qui offre des solutions simplistes à des problèmes complexes, comme celui de l’extrême droite9. Les prochaines élections européennes, fédérales et régionales approchent, dans un contexte politique de plus en plus complexe marqué par la montée de l’extrême droite et de mouvements populistes créant une atmosphère qui expose les communautés les plus vulnérables à un risque encore plus grand de voir leurs droits les plus essentiels mis en danger et leur qualité de vie détériorée. Qu’est-ce que l’extrême droite ? L’extrême droite est un terme utilisé pour décrire un ensemble de mouvements, d’idéologies et de partis politiques qui varient selon les contextes nationaux et les époques, mais qui partagent certaines caractéristiques. Pour le politologue Benjamin Biard, les trois caractéristiques de l’extrême droite en Europe occidentale sont : «le rejet de l’immigration, voire la xénophobie ; un projet autoritaire en matière de sécurité intérieure ; une rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques traditionnels.»10 En tenant compte de ces caractéristiques communes, l’extrême droite pourrait être définie comme une : «Famille idéologique de partis, mouvements et groupuscules hétérogènes, mais qui ont en commun une critique radicale de la démocratie au nom d’une idéologie autoritaire, raciste et nationaliste tendant à exclure une partie des individus de la nation et/ou de la citoyenneté.»11 Des discours stigmatisants et discriminatoires L’extrême droite en Europe promeut souvent un nationalisme radical, basé sur une idée de supériorité de la nation et de sa culture par rapport aux autres. Cela peut inclure la défense de l’identité nationale, de la langue, de la culture, de l’histoire et des traditions nationales contre ce que ce courant de pensée identifie comme des menaces extérieures. En Belgique, cela peut prendre la forme d’une défense de l’identité flamande ou wallonne contre ce qui est perçu comme une menace extérieure. Souvent, les personnes migrantes, réfugiées, les minorités raciales, ethniques et religieuses sont vues comme une menace pour l’identité nationale, la sécurité et l’économie du pays. Par exemple, dans son programme électoral 2024, le Vlaams Belang 12 présente les personnes migrantes13 comme une menace 9 Behague, J. (2023). La gangrène de l’extrême droite dans le milieu du handicap. Le Club de Mediapart. https://tinyurl.com/bddmx6z3, consulté le 08/05/2024 10 Biard, B. (2019). L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019). Cairn.info. https://tinyurl.com/53ujftbf, consulté le 03/04/2024 11 Le Monde diplomatique. Extrême droite. https://tinyurl.com/je8yvw5y, consulté le 20/03/2024 12 Vlaams Belang. (2024). Vlaanderen weer van ons: Verkiezingsprogramma. https://tinyurl.com/45p4sfkd, consulté le 04/04/2024 13 Une personne migrante est une personne qui s’installe durablement dans un pays qui n’est pas celui dont elle est originaire. Le terme de « migrant » est l’un des termes les plus génériques et englobants. Il s’agit d’un mot, un adjectif, qui décrit uniquement ce processus de déménagement, et ne correspond à aucun statut juridique. On parle de migrant quel que soit le statut de la personne, son niveau d’éducation, sa richesse, ou la raison qui la pousse à migrer, qu’elle soit économique, personnelle, familiale, sécuritaire, politique, climatique… 6 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 pour les ressources du gouvernement, notamment en ce qui concerne les coûts économiques, la sécurité, l’éducation, le logement et les services sociaux. Ceci peut générer des discours d’anti-immigration, anti-Islam ou encore alimenter des sentiments de xénophobie fréquemment utilisés par l’extrême droite pour mobiliser son électorat. Ces discours créent des divisions au sein de la société en générant la haine, la peur et la méfiance envers certaines communautés allant jusqu’à, dans certains cas, user de la violence. En 2021, 64 personnes ont été arrêtées dans neuf États membres de l’Union européenne pour des projets d’attentats terroristes affiliés à l’extrême droite14. Les idéologies de supériorité promue par l’extrême droite peuvent se traduire par des discours racistes et discriminatoires envers des groupes et personnes qui sont aperçus comme «différentes»15. Ces idéologies présentent un danger pour la diversité et l’inclusion parce qu’elles excluent celles et ceux qui ne correspondent pas à la vision, souvent homogène, de la société promue par l’extrême droite. De plus, cela renforce les préjugés et les stéréotypes. Par extension, ces idéologies qui remettent en question les valeurs telles que la diversité, les droits fondamentaux et l’égalité des chances mettent en péril les sociétés démocratiques. Plus concrètement, elles sont aussi une menace pour d’autres groupes marginalisés tels que les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTQIA+, les femmes ou encore les personnes en situation de pauvreté. Les discours de l’extrême droite conduisent à la violation des droits fondamentaux de ces groupes, tels que le droit à l’égalité et à la non-discrimination. Ils représentent une menace sérieuse pour la démocratie en reculant les principes de solidarité, de diversité et d’égalité. Il est essentiel de s’opposer fermement à ces discours, de promouvoir des valeurs de respect mutuel et de diversité pour garantir les droits fondamentaux de tous les individus, quel que soit leur origine, leur religion, leur orientation sexuelle, leur statut socio-économique ou leur handicap et maladie. Les médias ont un rôle crucial à jouer dans la lutte contre les discours discriminatoires de l’extrême droite. Ils ont la responsabilité de dénoncer ouvertement ce type de discours et de fournir des informations précises, sans généralisations et sans stéréotypes. Malheureusement, les médias capitalisent encore beaucoup sur la propagation de ces Le terme migrant fait donc référence à une mobilité internationale, sans en préciser la cause ni qualifier en droit le statut de la personne dans le pays de destination. Source : Oxfam France. (2021). Comprendre les termes liés aux migrations. https://tinyurl.com/2833ndm3, consulté le 17/04/2024 Source : https://www.oxfamfrance.org/migrations/migrants-refugies-definitions-et-enjeux/ La Cimade préfère employer les termes de « personnes migrantes », « personnes en migration » ou celui de « personne », plutôt que le terme unique de « migrant ». Ce dernier efface une multitude d’individualités et de diversité de vécu et colle une identité indélébile liée au mouvement, qui ne reflète pas la réalité ou la volonté des personnes sur l’ensemble de leur parcours de vie. De plus, La Cimade utilise une écriture inclusive, afin de prendre en considération la personne quelle que soit son identité de genre (masculine, féminine et autres). Source : La Cimade. Pourquoi les migrants quittent-leur pays ? https://tinyurl.com/54ea9bda, consulté le 17/04/2024 14 France (29), Italie (18), Finlande (5), Belgique (3), Allemagne (3), Espagne (3), Irlande (1), Pays-Bas (1) et Suède (1). Source : Europol. (2022) Terrorism situation and trend report 2022. https://tinyurl.com/33jazdtu, consulté le 08/04/2024 15 Vierendeel, F. (2021). Etude : Extrême droite et atteintes à la démocratie : pour un réveil politique et citoyen. Soralia. https://tinyurl.com/2p9mham6, consulté le 03/04/2024 7 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 discours, et pas assez sur leur déconstruction. C’est souvent la presse associative qui remplit ce rôle, tout comme les campagnes de sensibilisation, les activités d’éducation permanente, etc. Des politiques qui menacent les droits fondamentaux Comme souligné ci-dessus, les partis et mouvements d’extrême droite abordent souvent les mêmes thèmes qui se traduisent par des politiques conservatrices et qui restreignent les droits fondamentaux. Il est crucial de reconnaître la réalité inquiétante des politiques proposées par les partis d’extrême droite, car elles ne se limitent pas aux discours incendiaires, mais se manifestent dans des actions concrètes qui affectent directement les personnes en situation de handicap. Voyons quelques exemples et leur impact sur les droits des personnes en situation de handicap. Restriction des droits des personnes en situation de handicap migrantes et réfugiées. Les politiques de l’extrême droite se caractérisent souvent par une hostilité envers les personnes de minorités ethniques, migrantes et réfugiées. Comme l’indiquent les programmes électoraux du Vlaams Belang16 et de Chez Nous17, ces politiques gérées par le principe de préférence nationale peuvent conduire à des discriminations flagrantes et à des mesures plus strictes en matière d’asile et à la réduction des droits des personnes d’origine étrangère ou issues de minorités ethniques. Cela peut inclure des politiques de détention prolongée, des expulsions plus fréquentes et des obstacles accrus à l’inclusion. Par exemple, la proposition du Vlaams Belang en 201418 pour l’extension des centres fermés pour les personnes en séjour illégal a été reprise dans un gouvernement qui n’était pas d’extrême droite. Ceci montre que l’extrême droite peut exercer une influence significative sur les politiques migratoires même sans être au pouvoir19. Leur capacité à produire des débats publics et à mobiliser leur base électorale incite les partis centristes à adopter des positions plus dures sur l’immigration afin de contrer la montée de l’extrême droite. L’impact de telles politiques sur les personnes en situation de handicap issues de minorités ethniques ou d’origine étrangère peut être profond et avoir des conséquences graves. Déjà confrontées aux défis liés à leur handicap, elles feraient également face à des obstacles supplémentaires en raison de leur nationalité ou ethnie. Cela peut avoir des conséquences dévastatrices sur leur accès aux services essentiels, à l’éducation, à l’emploi ou à la participation sociale ainsi qu’aux protections dont elles ont besoin, ce qui peut aggraver leur marginalisation et leur exclusion sociale. La menace posée par l’extrême droite va bien au-delà des discours populistes et xénophobes. Elle se concrétise dans des politiques discriminatoires qui menacent les principes de la démocratie et des droits fondamentaux. Nous devons rester vigilants et engagés dans la 16 Agence Belga. (2024). Réuni en congrès, le Vlaams Belang veut plus de Flandre et moins d’immigration. RTL Info. https://tinyurl.com/28spkeam, consulté le 08/04/2024 17 Chez Nous. (2024). 2024 Programme complet. https://tinyurl.com/bdhhkjtf, consulté le 09/04/2024 18 Deswaef, A. (2015). 2014, l’année où les droits ont craqué. La Revue Nouvelle. Numéro 2-15. https://tinyurl.com/y24eaw4u, consulté le 08/04/2024 19 La Lasagne Politique. (2023). Extrême droite en Europe : un état des lieux s’impose. YouTube. https://tinyurl.com/2s3h8r5n, consulté le 21/03/2024 8 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 défense des valeurs d’inclusion, de respect et de solidarité, en refusant de céder aux tentatives de division et de stigmatisation des personnes les plus vulnérables de notre société. Recul des droits des femmes en situation de handicap L’extrême droite pose également une menace sérieuse pour les droits des femmes en limitant leur autonomie et leur émancipation20, les confinant à un rôle restreint d’épouse et de mère sous un contrôle total de l’État. En adoptant des politiques qui réduisent l’autonomie des femmes dans des domaines tels que le choix reproductif, ces idéologies restreignent également la liberté des femmes en situation de handicap de prendre des décisions importantes concernant leur propre corps et leur vie. Les politiques antiavortement mises en place par les gouvernements d’extrême droite, comme celles observées en Pologne et en Hongrie21 font reculer les droits des femmes, y compris celles en situation de handicap. En limitant l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), ces politiques compromettent la santé et le bien-être des femmes en les privant de leur droit à disposer librement de leurs corps. Pour les femmes en situation de handicap, les conséquences de telles politiques restrictives peuvent être encore plus graves. Par exemple, ces femmes peuvent également être victimes des pratiques de stérilisation forcée22. Historiquement, les régimes fascistes et nazis pratiquaient la stérilisation forcée des personnes considérées comme « indésirables » et des femmes considérées comme « indignes » de la maternité, y compris celles en situation de handicap. Malheureusement, comme l’indique le rapport d’EDF, la stérilisation forcée des femmes en situation de handicap est toujours pratiquée dans plusieurs pays de l’Union européenne23. Par exemple, en Belgique, les femmes en situation de handicap, surtout celles qui ont une déficience intellectuelle, sont encore parfois confrontées à la stérilisation forcée. Selon des rapports des associations, dans au moins 3 états membres de l’UE (Belgique, France et Hongrie), le recours à la contraception ou à la stérilisation peut être une condition d’admission en institution24. Telles pratiques sont une forme de violence et une atteinte aux droits humains qui affaiblissent les principes de la dignité humaine et de l’autonomie. Comme l’indique l’étude d’Esenca25, le risque de violences et abus envers les femmes en situation de handicap est déjà existant et vient souvent du milieu familial, institutionnel ou médical. En avril 2024, l’Union européenne a adopté sa première loi26 de lutte contre les violences envers les femmes, incluant la stérilisation forcée comme un acte criminel, dans le but d’abolir cette pratique. Avec la montée de l’extrême droite au sein du Parlement européen, 20 Soralia. (2006). Femmes & extrême droite. https://tinyurl.com/5n8vym7a, consulté le 08/04/2024 21 20 Minutes. (2023). Malte, Espagne, Hongrie… Le point sur le droit à l’IVG en Europe. https://tinyurl.com/5785av5x, consulté le 08/04/2024 22 La stérilisation forcée implique une intervention chirurgicale pratiquée sans le consentement de la femme pour l’empêcher de tomber enceinte. 23 EDF. (2022). Forced sterilisation of persons with disabilities in the European Union. https://tinyurl.com/b942unza, consulté le 08/05/2024 24 Ibid., consulté le 08/05/2024 25 Paulus, M. (2020). Etude : Femme et handicap : une double discrimination violente. Esenca. https://tinyurl.com/k7mpsw5c, consulté le 23/05/2024 26 Parlement Européen. (2024). Directive du Parlement européen et du Conseil sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. https://tinyurl.com/5n6t5vua, consulté le 08/05/2024 9 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 ces avancements législatifs pourraient être mis en cause, produisant un recul des droits des femmes. Il est donc essentiel de garantir le principe de Standstill et de non-discrimination pour protéger l’augmentation de toute mesure discriminatoire basée sur des discours qui renforcent les stéréotypes négatifs sur les capacités des femmes en situation de handicap à être mères et à prendre des décisions concernant leur reproduction et sexualité. L’éducation inclusive remise en question L’éducation inclusive est un droit fondamental reconnu par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées27. Elle a comme but de créer un environnement éducatif où tous les enfants, quel que soit leur capacité ou leur handicap, peuvent apprendre ensemble dans le même environnement scolaire28. Cela demande des pratiques pédagogiques adaptées et d’ajustements raisonnables pour répondre aux besoins de chaque élève. Cependant, pour certains enfants l’école spécialisée reste toujours indispensable (par exemple, ceux présentant des besoins éducatifs spéciaux complexes ou en situation de handicap sévère). Pourtant, malgré la reconnaissance de l’éducation inclusive comme un droit fondamental, certains partis d’extrême droite remettent en question ce droit. En Belgique, le Vlaams Belang29 propose des tests de langue obligatoires pour les élèves non néerlandophones et des classes intensives pour les nouveaux arrivants. Cette politique pourrait poser des défis et obstacles supplémentaires aux enfants en situation de handicap, notamment ceux avec des troubles d’apprentissage ou des handicaps cognitifs, qui peuvent avoir des difficultés accrues avec les tests standardisés et les environnements d’apprentissage intensifs. Une approche inclusive nécessiterait des adaptations pédagogiques pour ces enfants afin qu’ils puissent y participer d’une manière équitable. Malgré ces adaptations, des mesures comme celle-ci nous semblent inadaptées et permettront difficilement une égalité d’accès à l’école. D’autres partis d’extrême droite défendent des politiques d’éducation séparée. En France, le président du parti Reconquête, Éric Zemmour s’oppose aux politiques d’inclusion (vues comme une « obsession30 ») des élèves en situation de handicap dans le système scolaire ordinaire français et prône l’enseignement spécialisé pour ces élèves. De même, un discours identique a été évoqué par l’un des dirigeants de l’extrême droite allemande AfD critiquant vivement les politiques d’inclusion des élèves en situation de handicap dans les écoles31, les considérant comme fondées sur des idéologies nuisibles. Il propose donc d’abandonner ces politiques si son parti accède au gouvernement, ce qui peut avoir des conséquences très 27 Nations Unies. (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif. https://tinyurl.com/5e8abpt7, consulté le 08/04/2024 28 Paulus, M. (2018). L’école inclusive – la solution ultime ? – Analyse. Esenca. https://tinyurl.com/2cfbwndz, consulté le 22/04/2024 29 Vlaams Belang. (2024). Vlaanderen weer van ons: Verkiezingsprogramma. https://tinyurl.com/45p4sfkd, consulté le 15/05/2024 30 Terrier, M. (2022). Zemmour indigne après ses propos sur les enfants handicapés, il s’explique. Huffingtonpost. https://tinyurl.com/yc7zwct3, consulté le 22/04/2024 31 Courrier International. (2023). Intolérance. Pour l’extrême droite allemande, l’éducation inclusive “freine les performances des écoles”. https://tinyurl.com/y55ufvkn, consulté le 08/04/2024 10 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 graves sur la vie quotidienne des personnes en situation de handicap. Cela peut renforcer leur exclusion et les barrières sociales qu’elles rencontrent. De plus, ces actions vont à l’encontre des principes énoncés dans l’article 24 de la Convention des Nations Unies, qui garantit leur droit à une éducation inclusive. Une éducation inadéquate ou inaccessible a des conséquences dramatiques tout au long du parcours de vie, limitant les perspectives d’emploi, d’autonomie, de santé et de participation à la vie sociale et économique des personnes en situation de handicap. Inégalités exacerbées Les partis d’extrême droite promeuvent des politiques d’austérité, ce qui entraîne souvent la réduction des dépenses publiques et les budgets alloués aux programmes sociaux, notamment en lien avec les aides, allocations, compensations, etc. aux personnes en situation de handicap. Ces coupes budgétaires peuvent par exemple affecter les allocations financières, les services de santé, les programmes d’emploi et d’éducation spécialisée. Par exemple, le gouvernement italien de l’extrême droite supprime progressivement son système de revenu de base remplacé par un nouveau système basé sur la stimulation de l’emploi32. Dans l’ensemble, ces politiques qui réduisent les financements des programmes sociaux ont un impact significatif sur la qualité de vie des personnes les plus fragilisées, y compris celles qui sont en situation de handicap. En voici quelques exemples. L’extrême droite favorise la privatisation des services publics33, ce qui peut conduire à une diminution de la qualité et de l’accessibilité des services, car les entreprises privées sont souvent motivées par le profit et peuvent ne pas prioriser les besoins des personnes en situation de handicap. En favorisant la privatisation des services publics, ces partis peuvent réduire l’accès aux services sociaux et de santé pour les personnes en situation de handicap, les exposant à des coûts supplémentaires ou à une qualité de service plus faible. Cela pourrait également augmenter le non-recours aux droits et l’accès à l’information. Les partis politiques d’extrême droite en Belgique ont pour principe d’appliquer en priorité les aides sociales aux Belges34. Ceci peut avoir un sérieux impact sur les personnes en situation de handicap de nationalité étrangère, en réduisant leur soutien financier et en compromettant leur accès à des services essentiels. Il est important que les aides sociales soient inclusives et accessibles aux personnes en situation de handicap indépendamment de leur nationalité. La fin des subsides et la dissolution des organisations de défense des droits humains sont des propositions concrètes des programmes de l’extrême droite belge, notamment le parti 32 Ellena, S. (2023). Le nouveau régime italien de lutte contre la pauvreté suscite des inquiétudes à Bruxelles. Euractiv. https://tinyurl.com/3t25xnn4, consulté le 08/04/2024 33 CGT. (2023). 10 points sur lesquels l’extrême droite relève de l’imposture sociale. https://tinyurl.com/3kfx5tjk, consulté le 13/05/2024 34 Starquit, O. (2023). L’extrême droite en Belgique et en Europe : une menace permanente qu’il ne faut pas sousestimer. DisCRI ASBL. https://tinyurl.com/4m7p2rxc, consulté le 13/05/2024 11 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Vlaams Belang35 et le parti Chez Nous36. De même, le gouvernement hongrois d’extrême droite attaque les organisations qui dénoncent les violations des droits humains37. Ces mesures affaiblissent la capacité de ces organisations à plaider en faveur de politiques et de programmes qui bénéficient aux personnes en situation de handicap et à promouvoir leur inclusion. Ces organisations doivent être protégées contre les mesures répressives et leur travail de plaidoyer et de sensibilisation soutenu pour améliorer les politiques et les programmes en faveur des personnes en situation de handicap. Le rôle des corps intermédiaires comme les associations doit être défendu alors que de nombreux indicateurs nous démontrent que certains partis d’extrême droite, mais aussi de droite cherchent à les fragiliser (suppression de rôles des mutuelles voire des mutuelles elles-mêmes, sousfinancement structurel des associations, etc.). Conclusion La montée de l’extrême droite en Belgique et dans l’Union européenne est un signal alarmant pour la démocratie et ses principes fondamentaux. Le risque du recul des droits des personnes en situation de handicap face à cette tendance politique est une préoccupation majeure. Ces mouvements politiques, caractérisés par des discours nationalistes, xénophobes et discriminatoires, menacent les progrès réalisés en matière de respect des droits fondamentaux et de promotion de l’inclusion sociale. Les politiques prônées par l’extrême droite risquent d’exacerber la marginalisation et l’exclusion des personnes en situation de handicap. L’austérité budgétaire et la fragilisation des services sociaux risquent de diminuer la qualité et l’accessibilité des services essentiels pour les personnes en situation de handicap. Les politiques restrictives en matière de droits reproductifs et de santé sexuelle limitent l’autonomie et la dignité des femmes en situation de handicap. Les avancées récentes, comme la loi européenne contre les violences faites aux femmes, incluant la stérilisation forcée comme un acte criminel, pourraient être remises en cause, réduisant les protections juridiques disponibles. La remise en question de l’éducation inclusive par certains partis d’extrême droite et les politiques restrictives dans les écoles peut conduire à un recul dans la mise en œuvre de politiques visant à garantir un accès équitable à l’éducation pour tous les enfants, y compris ceux en situation de handicap. En promouvant des politiques d’éducation séparées ou en restreignant l’accès aux aménagements raisonnables, ces mouvements politiques risquent d’entraver le développement et l’inclusion des enfants en situation de handicap. De plus, les discours stigmatisants et discriminatoires propagés par l’extrême droite alimentent un climat de peur et de méfiance envers les personnes considérées comme « différentes ». Cela peut entraîner une augmentation des cas de discrimination, de harcèlement et de violence envers les personnes en situation de handicap, compromettant ainsi leur sécurité, leur bien-être et une cohésion sociale optimale. 35 Vlaams Belang. (2024). Vlaanderen weer van ons: Verkiezingsprogramma. https://tinyurl.com/45p4sfkd, consulté le 13/05/2024 36 Chez Nous. (2024). 2024 Programme complet. https://tinyurl.com/bdhhkjtf, consulté le 13/05/2024 37 Amnesty International France. (2017). La Hongrie attaque la société civile. https://tinyurl.com/3vmnu494, consulté le 13/05/2024 12 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Il est crucial de rester vigilant face à ces menaces qui ne doivent pas inverser les progrès réalisés en matière de droits et d’inclusion des personnes en situation de handicap. Face à ces défis, il est impératif que les gouvernements, la société civile et les médias s’opposent fermement à ces tendances, en promouvant des valeurs d’inclusion, de solidarité et de respect pour toutes et tous. Les coalitions entre différents acteurs de la société sont essentielles pour contrer efficacement les discours et les politiques discriminatoires. Le vote est fondamental pour combattre cette tendance et promouvoir la construction d’une société inclusive, accessible et solidaire. Seule une réponse collective et engagée peut protéger et défendre les principes démocratiques contre les menaces de l’extrême droite. Esenca suivra attentivement l’évolution de la situation après les prochaines élections pour garantir que les droits des personnes en situation de handicap soient protégés et renforcés. Pour citer cette production PINTO, Marta (2024). «Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? », Analyse Éducation Permanente, Esenca. URL : www.Esenca.be 13 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Esenca Esenca – anciennement ASPH, Association Socialiste de la Personne Handicapée – défend toutes les personnes en situation de handicap, atteintes de maladie grave, chronique ou invalidante. Véritable syndicat des personnes en situation de handicap depuis plus de 100 ans, Esenca agit concrètement pour faire valoir les droits de ces personnes : lobbying politique, lutte contre toutes formes de discriminations, campagnes de sensibilisations, services d’aide et d’écoute, apport et partage d’expertise pour construire une société toujours plus inclusive, etc. Nos missions, services et actions • Conseiller, accompagner et défendre les personnes en situation de handicap, leur famille et leur entourage • Militer pour plus de justice sociale • Informer et sensibiliser le plus largement possible sur les handicaps et les maladies graves et invalidantes • Informer le public sur toutes les matières qui le concernent • Promouvoir l’accessibilité et l’inclusion dans tous les domaines de la vie • Lobbying et plaidoyer politique via de nombreux mandats Un contact center Pour toute question sur le handicap ou les maladies graves et invalidantes, composez le 02 515 19 19 du lundi au vendredi de 8h à 12h. Il s’agit d’un service gratuit et ouvert à toutes et tous. Handydroit® Service de défense en justice auprès des juridictions du Tribunal du Travail. Handydroit® est compétent pour les matières liées aux allocations aux personnes handicapées, aux allocations familiales majorées, aux reconnaissances médicales, aux décisions de remise au travail et aux interventions octroyées par les Fonds régionaux. Handyprotection Pour toute personne en situation de handicap ou de maladie grave et invalidante, Esenca dispose d’un service technique spécialisé dans le conseil, la guidance et l’investigation dans le cadre des législations de protection de la personne en situation de handicap. Cellule Anti-discrimination Esenca identifie les situations de discriminations relatives au handicap et en assure le suivi : écoute, interpellations, médiation, recherche de solutions avec la personne concernée, etc. 14 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Esenca est par ailleurs reconnu point d’appui UNIA en ce qui concerne les situations discriminantes liées au «critère protégé» du handicap. Cela veut dire qu’Esenca peut introduire un signalement directement auprès d’Unia à la demande d’une personne. Votre employeur refuse de mettre en place les aménagements de travail recommandés par votre médecin? Votre enfant rencontre des difficultés au sein de son école pour bénéficier d’adaptations nécessaires lors des contrôles ou des examens? Votre administration communale ne donne pas de suite favorable à votre demande d’emplacement de parking PMR? N’hésitez pas à prendre contact avec la cellule anti-discrimination. Elle investiguera la situation et si cela s’avère nécessaire et avec votre accord, signalera la situation à UNIA. La cellule anti-discrimination peut alors vous aider à faire parvenir tous les éléments dont auront besoin les services d’Unia afin de procéder à l’analyse de votre dossier. Handyaccessible Notre association dispose d’un service en accessibilité compétent pour : • Effectuer des visites de bâtiments et de sites et proposer des aménagements adaptés • Analyser des plans et vérifier si les réglementations régionales sont respectées • Auditer les événements et bâtiments selon les critères d’usages “Access-i” et délivrer une certification • Proposer un suivi des travaux pour la mise en œuvre de l’accessibilité Un travail d’information, de communication et d’interpellations Au quotidien, Esenca communique via de nombreux canaux pour favoriser la connaissance des droits fondamentaux dont celui de l’accès à l’information, la sensibilisation et la diffusion d’informations liées au secteur du handicap : newsletter, guides et brochures, périodique Handyalogue, réseaux sociaux, contribution à la presse associative, communiqués de presse, etc. Le magazine Handyalogue propose par ailleurs une déclinaison de l’ensemble des articles en Facile à Lire à et Comprendre (FALC). Notre association exerce activement de très nombreux mandats à différents niveaux de pouvoir sur l’ensemble du territoire afin de pleinement exercer le rôle d’interpellation, de veille et de participation à la construction d’une société inclusive, solidaire et accessible. Une reconnaissance en Éducation Permanente Dans le cadre d’une reconnaissance en Éducation Permanente, Esenca réalise chaque année de nombreuses analyses, études et recherches participatives. Celles-ci ont pour vocation d’alimenter la réflexion autour de questions en lien avec le handicap qui traversent notre société, son fonctionnement et ses évolutions. Des campagnes de sensibilisation et de communication ainsi que de nombreuses actions s’organisent également chaque année. 15 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 Un label communal : Handycity® Handycity® est un label visant à encourager les communes tant à Bruxelles qu’en Région wallonne qui travaillent l’inclusion des personnes en situation de handicap dans leurs différentes compétences transversales. Chaque initiative, petite ou grande, peut contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des personnes en situation de handicap et de tout un chacun. Dans ce processus, Esenca s’adapte aux réalités des communes tant qu’elles veillent à incorporer, avec un soin particulier, une dimension handicap dans les différents projets concernant l’ensemble de la population. Handycity® est une reconnaissance du travail accompli par les communes pour leurs actions inclusives. Il est remis (ou non) tous les 6 ans aux communes signataires de la Charte qui ont introduit un pré-bilan à mi-mandat et leur candidature au Label. Des formations Les formations que nous proposons couvrent de nombreux domaines : accessibilité, législation, anti-discrimination, troubles cognitifs, rédaction en Facile À Lire et à Comprendre et sensibilisations aux handicaps. Ces formations sont en grande partie dispensées par les collaboratrices Esenca, expertes et passionnées par leurs métiers. Parce que les éléments théoriques n’ont de sens qu’en lien avec votre pratique, nous vous proposons un contenu adapté à vos réalités et adaptons le contenu des formations à vos demandes et attentes spécifiques. Nos formations sont dispensées à Bruxelles et en Région wallonne. Nous pouvons également dispenser ces formations au sein de vos structures et à la demande. Esenca sur le terrain en Fédération Wallonie-Bruxelles Esenca est une association présente sur l’ensemble du territoire de la FWB. Les entités territoriales sont les suivantes : Brabant, Brabant Wallon, Centre, Charleroi et Soignies, Liège, Luxembourg, Mons Wallonie picarde et Namur. Contact Tél : 02 515 02 65 • www.esenca.be • esenca@solidaris.be 16 Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? — Analyse 2024 POUR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE, SOLIDAIRE ET ACCESSIBLE
Cools, M. (2024, September 11). Démocratie inclusive en Belgique : le cas du vote – Esenca. Esenca. https://www.esenca.be/analyse-2024-democratie-vote/
Une démocratie inclusive en Belgique ? Le cas du droit de vote Marta PINTO Analyse Esenca 2024 2 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Éditrice responsable : Ouiam MESSAOUDI Siège social : rue Saint-Jean, 32-38 – 1000 Bruxelles Accès public : place Saint-Jean, 1 – 1000 Bruxelles • Contact Center : 02 515 19 19 Numéro d’entreprise : 0416 539 873 • RPM : Bruxelles • IBAN : BE81 8778 0287 0124 Tél : 02 515 02 65 • esenca@solidaris.be • www.esenca.be Avec le soutien de : 3 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Introduction Le droit de vote est un pilier fondamental de la démocratie, permettant à chaque citoyenne et citoyen de participer activement à la vie politique de son pays. Lors des élections en juin 2024, la participation électorale générale en Belgique a connu un léger recul1. Près de 1.050.000 électrices et électeurs n’ont pas participé aux élections en 2024, soit 100.000 de plus qu’en 2019. En Belgique, environ 26 %2 de la population se trouve en situation de handicap, ce qui représente un nombre significatif d’électrices et d’électeurs3. Toutefois, malgré cette proportion, le taux de participation au vote parmi ces personnes reste faible, avec une haute abstention4. Cela peut notamment s’expliquer par les nombreux obstacles qui freinent leur participation au processus électoral et qui seront abordés dans cette analyse. L’importance de leur participation ne peut être sous-estimée, surtout dans un contexte où les valeurs démocratiques et les droits humains sont remis en question dans plusieurs pays européens. Les élections de 2024 sont particulièrement critiques, car elles se déroulent dans un climat où l’extrême droite et les partis conservateurs gagnent du terrain dans plusieurs pays de l’Union européenne, y compris en Belgique5. Lors des élections en juin 2024, la montée de l’extrême droite a été une tendance marquante, et cette évolution entraînera des conséquences profondes sur la société belge et européenne. En Belgique, les élections communales d’octobre 2024 se tiennent également dans un contexte d’inquiétude croissante face au recul des droits civiques. Ce contexte rend d’autant plus cruciale la participation de toute la population, dont les personnes en situation de handicap aux élections d’octobre prochain. Chaque voix compte et leur vote peut jouer un rôle décisif pour élire des politiques qui tiennent compte de leurs avis et leurs besoins, mais aussi pour défendre des valeurs comme l’inclusion et l’égalité. Cette analyse examinera les enjeux et les défis liés à l’expérience de vote des personnes en situation de handicap sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi les moyens de surmonter ces obstacles pour garantir une participation équitable et représentative. Ces expériences sont issues de témoignages recueillis dans le cadre de la campagne menée par Esenca pour les élections communales, provinciales, régionales, fédérales et européennes de 2024, «L’inclusion par le vote : soyez le changement6». Vous les retrouvez dans des bulles de parole au travers de cette analyse. Au-delà de ces témoignages 1 Media de Bruxelles. (2024). Élections 2024 : abstention record, les votes blancs en recul – BX1. https://tinyurl.com/3fnpvp7y, consulté le 26/08/2024. 2 Conseil européen de l’Union européenne. Le handicap dans l’UE : faits et chiffres. https://tinyurl.com/33zr6fa5, consulté le 26/08/2024. 3 Notons toutefois de prendre en compte ce chiffre avec nuance, car le manque de statistiques ne nous permet d’avoir une vision au plus près de la réalité de la population. 4 UNIA. (2024). Le vote ‘pour tous’ en 2024 ?, https://tinyurl.com/39y57fyv, consulté le 26/08/2024. 5 Pinto, Marta. (2024). Extrême droite et handicap : vers un recul des droits inévitable ? Analyse Éducation Permanente. https://tinyurl.com/mvc5sm83, consulté le 28/08/2024. 6 Esenca. (2024) Campagne L’inclusion par le vote : soyez le changement. https://tinyurl.com/358bawz5, consulté le 26/08/2024. 4 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 de la campagne, notre expérience de terrain en tant qu’association alimentera les réflexions qui seront abordées dans cette analyse. Voter ou ne pas voter ? Il y a une diversité de motivations et de sentiments associés au vote parmi la population, dont les personnes en situation de handicap. Tandis que certaines sont poussées par un devoir civique et d’obligation légale, d’autres sont motivées par un désir de changement ou de reconnaissance. Cela montre une complexité et une richesse dans les raisons qui poussent les personnes en situation de handicap à participer au processus électoral, malgré les obstacles potentiels. Nous aborderons ces obstacles plus tard dans cette analyse. L’obligation du vote Plusieurs témoignages mentionnent le caractère obligatoire du vote en Belgique, qui est perçu de manière ambivalente. Pour certaines personnes, cette obligation légale est une opportunité de participer activement à la vie démocratique. Pour d’autres, elle peut générer un sentiment de contrainte surtout si elle n’est pas accompagnée d’une véritable conviction personnelle. « J’estime qu’on ne s’intéresse pas à favoriser mon émancipation, ma conscience, mon esprit critique, mon libre arbitre. J’estime que l’on me maintient loin des informations essentielles qui me concernent et que rien n’est fait au niveau sociétal pour changer ça (ou alors quand c’est fait, ce n’est pas accessible et inclusif, donc c’est insuffisant). J’estime que le système global (politique, de santé, économique, juridique, éducatif, culturel, etc.) est construit de telle sorte que tout est fait pour maintenir la rétention d’information. Et cela discrimine les gens, cela me dépossède de mon droit d’être informée, parce que cela me revient de m’informer de ce que l’on ne m’informe pas, et que je dois faire des efforts de dingues pour y arriver, et c’est injuste. » (Liège, mars 2024) «Parce que je suis obligé. » (Avril 2024) «Le vote est obligatoire. » (Charleroi, avril 2024) 5 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Cette perception d’obligation pourrait être ressentie comme une pression plutôt que comme une opportunité, ce qui pourrait générer une frustration liée à la participation politique, surtout si les systèmes électoraux ne sont pas suffisamment accessibles pour les personnes en situation de handicap. De plus, l’obligation ne garantit pas que les personnes sont outillées pour pouvoir voter de manière éclairée. Dans ce cas, elle peut amener une partie de la population à voter par habitude, par désillusion ou idée reçue, sans s’intéresser de près aux programmes politiques. Même s’il existe des sanctions pour non-participation aux élections, aucune n’a été prononcée depuis 20037. Ceci remet en question l’efficacité et la nécessité de cette obligation. Cette situation peut encourager une participation plus volontaire et/ou augmenter l’abstention. La fin du vote obligatoire en Flandre8 pour les élections locales et provinciales en octobre 2024 servira de test. Cette réforme pourrait entrainer une baisse de participation, surtout dans les groupes moins engagés politiquement. L’expérience flamande pourrait influencer le débat national sur l’avenir du vote obligatoire en Belgique, d’autant plus que ce système reste en vigueur dans seulement quatre pays de l’Union européenne : la Belgique, Chypre, le Luxembourg et la Grèce. Le vote comme un acte citoyen Pour certaines personnes en situation de handicap, le vote est important en tant qu’exercice de leurs droits citoyens. De nombreux témoignages montrent une conscience et une valorisation du droit de vote. 7 Thienpont, P.Y. (2024). Voici ce que vous risquez si vous n’allez pas voter lors des élections. Le Soir. https://tinyurl.com/yc76uwce, consulté le 11/09/2024. 8 Desplenter, K. (2024). Le vote n’est plus obligatoire en Flandre pour les communales mais la Région sensibilise à se rendre dans l’isoloir – RTBF. https://tinyurl.com/dfm7hdm9, consulté le 11/09/2024. « Parce que j’en ai le droit. […] J’existe, et ça suffit pour me donner un droit de vote.» (Liège, mars 2024) «Je pense que tout le monde a droit aux votes.» (Avril 2024) «Nous sommes tous égaux.» (Charleroi, avril 2024) 6 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Cette position met en avant l’égalité des citoyennes et citoyens, en insistant sur le fait que le droit de vote ne doit pas être conditionné par des considérations sur la capacité à exercer son droit fondamental. En Belgique, la suppression ou la restriction du droit de vote pour certaines personnes jugées comme n’ayant pas la capacité d’exercer des droits politiques9 est une réelle préoccupation. Cette réforme marque un recul considérable et inquiétant du droit de vote à toutes et à tous et met en péril la mise en œuvre de la Convention ONU relative aux droits des personnes handicapées10 signée par la Belgique il y a 15 ans. La Belgique, en tant que signataire, s’engage à mettre en œuvre ces dispositions. Pour les personnes en situation de handicap, le droit de vote peut représenter plus qu’un simple choix électoral; il peut s’agir d’une affirmation de leur citoyenneté. L’exercice du droit de vote reflète une lutte contre l’exclusion et un besoin de revendiquer leur place dans la société. Mais est-ce si simple? Non. Comme on le verra plus tard dans cette analyse, il y a une tension entre le droit formel au vote et sa mise en pratique. Les obstacles à l’accessibilité soulèvent des questions sur la véritable inclusivité du processus électoral. Si des personnes en situation de handicap sont empêchées de voter, cela remet en question leur participation électorale. Ceci montre que l’inclusion des personnes en situation de handicap ne se limite pas à des droits théoriques, mais nécessite des actions concrètes pour garantir que ces droits puissent être pleinement exercés. Un grand nombre de témoignages mentionnent le vote comme un devoir civique et montrent un sens de responsabilité envers la société et un respect des obligations civiques. Ceci peut suggérer que, pour certaines et certains, voter représente une manière d’assumer leur citoyenneté, comme personne engagée et responsable malgré les possibles obstacles rencontrés. Le pouvoir du vote et la désillusion politique Pour certaines personnes en situation de handicap, le vote représente un espoir de changement social et/ou politique ainsi qu’un outil pour influencer les politiques, et donc leurs conditions de vie. Ce désir et espoir de transformation et d’amélioration montre une conscience du pouvoir de leur vote et de leur voix comme une opportunité d’affirmer leurs 9 UNIA. (2024). La loi du 28 mars 2023 met en péril le vote pour tous. https://tinyurl.com/ytet98rs, consulté le 16/08/2024. 10 Nations Unies. (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif. https://tinyurl.com/5e8abpt7, consulté le 29/08/2024. Article 29 de la Convention garantit les droits politiques des personnes en situation de handicap et leur participation à la vie publique et politique sur la base de l’égalité avec les autres. «Parce que c’est un devoir. » (Bruxelles, avril 2024) «Pour faire mon devoir civique. » (Charleroi, avril 2024) 7 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 priorités et préoccupations et pour influencer les décisions politiques qui affectent directement les conditions de vie des personnes en situation de handicap. Le principe « rien sur nous sans nous » symbolise leur volonté de jouer un rôle actif dans la société et de ne plus être invisibilisées. Cette image du vote comme un moyen d’être entendu et d’influencer des changements montrent une perception positive du vote comme outil d’autonomisation. Cependant, d’autres témoignages révèlent un sentiment de désillusion vis-à-vis du système politique, une frustration et un sentiment d’aliénation croissant. Ces attitudes peuvent être le résultat d’une accumulation de déceptions et de frustrations, ou d’un sentiment de ne pas être entendu ou représenté, qui pourrait conduire à une perte de confiance dans le processus démocratique. «Ma voix peut changer le cours des choses. » (Charleroi, avril 2024) «J’espère contribuer à améliorer notre situation politique. » (Châtelet, avril 2024) «Communiquer des revendications.» (Charleroi, avril 2024) «J’ai le droit de donner mon avis sur les politiques qui vont décider de mes conditions de vie à l’avenir. » (Liège, mars 2024) «Ma voix est importante, comme celle de chaque personne. » (Bruxelles, mars 2024) «Les grandes valeurs des partis politiques sont disparues et les tendances ne sont plus représentatives. » (Châtelet, avril 2024) «Pour moi ça ne sert à rien du tout. » (Avril 2024) «Non, ça ne m’intéresse plus. » (Châtelet, avril 2024) 8 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Ces deux dynamiques – l’espoir de changement et la désillusion – illustrent les enjeux auxquels font face les personnes en situation de handicap au même titre que le reste de la population. Si le vote reste pour certains un moyen puissant d’affirmer leurs droits, la frustration croissante risque de réduire leur participation électorale, affaiblissant la voix et l’influence des personnes en situation de handicap sur les politiques qui les concernent. Cela démontre le travail indispensable de veiller et mettre en application une pleine accessibilité et inclusion des systèmes politiques, dont l’action du vote. Le droit de vote : un parcours d’obstacles Mais, est-ce si simple pour une personne en situation de handicap d’exercer son droit au vote? La réalité sur le terrain nous démontre que non. En Belgique, malgré l’obligation de l’exercice du devoir de vote, de nombreuses personnes en situation de handicap rencontrent des obstacles importants. Comme évoqué plus haut dans cette analyse, ce paradoxe entre le droit et devoir formel au vote et les difficultés pratiques pour l’exercer soulève des préoccupations sur la véritable inclusivité du processus démocratique. À ce titre, au niveau de l’Union européenne, 400.000 personnes en situation de handicap n’ont pas pu voter lors des élections européennes en juin 202411, notamment à cause des obstacles qu’elles doivent surmonter. Explorons quelques obstacles et défis dérivés des témoignages et de notre expérience de terrain. L’inaccessibilité à l’information Un obstacle majeur identifié est lié à la difficulté de comprendre les informations électorales en raison de la complexité des communications. Cette difficulté est aggravée par le manque d’accessibilité et de diffusion des informations fournies par les partis politiques et les médias. Leurs communications ne sont pas suffisamment adaptées ou en formats accessibles (en braille, en langue des signes ou en format audio pour les personnes aveugles, malvoyantes ou en Facile à Lire et à Comprendre – FALC12 – pour les rendre compréhensibles aux personnes ayant des difficultés de compréhension). 11 Handicap.fr. (2024). 400 000 électeurs handicapés privés de vote en Europe. https://tinyurl.com/2kmjbhwz, consulté le 28/08/2024. 12 Le FALC est une manière d’écrire et de parler visant à rendre une information plus facile à lire et à comprendre. Le FALC s’adresse notamment aux personnes en situation de handicap mental mais aussi plus globalement à toutes personnes ayant des difficultés de compréhension. «C’était quelque chose de très important pour moi, mais avec l’âge et la déception/perte de confiance dans le monde politique c’est moins important. » (Charleroi, avril 2024) 9 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Le manque d’accès à l’information et de clarté des programmes politiques peut générer un sentiment d’exclusion du processus électoral chez les personnes en situation de handicap. Cette exclusion à l’information et à la compréhension empêche un exercice éclairé du droit de vote et peut expliquer le manque d’intérêt par les élections13. Un autre point crucial est la surabondance des sources d’information, qui peut créer un sentiment de confusion. Cela demande un effort pour trier et analyser l’information qui peut devenir un obstacle insurmontable. L’énorme charge mentale que représente le fait de s’informer et de comprendre la politique pour pouvoir voter est plus lourde pour ceux qui doivent déjà consacrer une grande partie de leur énergie à gérer leur quotidien avec un handicap. 13 UNIA. (2019). Rapport sur la participation aux élections des personnes en situation de handicap. https://tinyurl.com/ycxxkkur, consulté le 29/08/2024. «Les partis, les médias, les institutions, et tout ce qui tourne autour de la politique […] utilisent et maintiennent des communications impossibles à comprendre pour les gens qui n’y sont pas formés. » (Liège, mars 2024) «Les sites internet et les programmes ne sont pas assez accessibles. » (Bruxelles, avril 2024) «Y’a trop de sites internet, y’a trop de médias, y’a trop de tout. Y’a pas UN truc sur lequel on peut se baser, on doit forcément faire un gros travail d’esprit critique, croiser les informations, décoder les sous-entendus. » (Liège, mars 2024) 10 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 En l’absence d’information claire, il devient difficile pour les personnes en situation de handicap de faire des choix électoraux en toute connaissance de cause. Ces barrières créent une situation où les personnes en situation de handicap sont parfois mal informées, mais aussi épuisées par l’effort nécessaire pour comprendre les messages politiques. Des bureaux de vote inaccessibles L’accessibilité physique des bureaux de vote constitue un obstacle majeur pour les personnes en situation de handicap et touche directement leur capacité à voter. Contrairement à ce que soulignent les Articles 9 et 29 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées14 («à garantir l’accès des personnes en situation de handicap aux espaces publics et leur participation politique sur un pied d’égalité»), nos témoignages révèlent des infrastructures inadaptées, comme l’absence de rampes pour les chaises roulantes et le manque d’emplacements PMR. 14 Nations Unies. (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif. https://tinyurl.com/5e8abpt7, consulté le 29/08/2024. « C’est un investissement personnel bien trop énorme, c’est un effort de dingue. Surtout que je n’ai déjà pas d’énergie au quotidien pour seulement me faire à manger, alors comprendre la politique pour voter en toute conscience? Pfff, vraiment?» (Liège, mars 2024) «Je n’ai pas pu pleinement comprendre la politique en amont, parce que je n’ai pas pu faire un choix en conscience en amont, alors je ne vais pas m’intéresser aux résultats de mes choix, ça ne servirait à rien.» (Liège, mars 2024) «Gros problèmes de parkings à améliorer. Emplacements pour PMR quasi inexistants à Châtelet + nombreux obstacles pour les personnes en chaise roulante.» (Châtelet, avril 2024) 11 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 L’inaccessibilité du matériel de vote est également pointée. Par exemple, il a été souligné que la hauteur inadaptée des ordinateurs est un obstacle direct à l’exercice du droit de vote pour les personnes à mobilité réduite. Les infrastructures électorales, qui ne prennent pas en compte les besoins des personnes à mobilité réduite, forcent ces dernières à renoncer à leur participation ou à dépendre d’une assistance. Nécessité d’une aide extérieure La dépendance à une aide extérieure pour exercer le droit au vote est une autre problématique récurrente… Ce besoin est souvent imposé par le manque d’accessibilité physique des bureaux de vote ou le manque de clarté des communications. La dépendance à une aide extérieure pose des questions importantes sur l’autonomie et la confidentialité des électrices et des électeurs en situation de handicap. En effet, devoir se faire accompagner pour voter peut compromettre la capacité d’une personne à exprimer librement ses choix politiques et son droit à un vote secret. Cela signifie aussi que la personne dépend de la bonne volonté et de la disponibilité de ses proches ou du personnel «Rampes pour les chaises roulantes absentes ou inadaptées […] donc on a voulu me porter pour que je monte des marches. » (Bruxelles, mars 2024) «Oui l’ordinateur n’est pas à ma hauteur ni assez de place pour le fauteuil roulant.» (Bruxelles, mars 2024) «Une aide extérieure est indispensable.» (Châtelet, avril 2024) «Nécessité qu’un proche vienne avec moi, pour pousser ma chaise jusqu’au bureau de vote.» (Bruxelles, mars 2024) 12 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 dans les institutions. Comme le démontre le rapport d’UNIA15, il y a des professionnels qui ne s’investissent pas dans la préparation de certaines personnes en situation de handicap intellectuel à aller voter, car cela est considéré comme «trop dur et inutile». Ou alors, par un manque de temps et de ressources, les professionnels ne préparent pas ces personnes au vote. Cette dépendance peut dissuader certaines personnes en situation de handicap de voter, surtout si elles ne souhaitent pas révéler leurs choix électoraux à autrui. De plus, le besoin d’une aide extérieure peut être vu comme une atteinte à l’égalité de traitement des citoyennes et citoyens face au vote. Les électrices et électeurs en situation de handicap devraient pouvoir voter dans les mêmes conditions que les autres, sans avoir à demander une assistance particulière. Il est donc urgent de garantir des aménagements adaptés dans l’ensemble des bureaux de vote pour garantir cette autonomie, tout en permettant de bénéficier de l’aide d’une ou d’un proche ou professionnel au besoin. Bureaux de vote surpeuplés et bruyants Les personnes ayant des handicaps invisibles (tels que les maladies chroniques, les troubles psychiques ou handicap intellectuel, notamment) rencontrent des obstacles spécifiques. L’environnement du bureau de vote, tel que les longues files d’attente, la présence de nombreuses personnes, l’exposition au bruit, à la lumière ou aux conditions météorologiques peuvent déclencher des crises ou des difficultés chez ces personnes. Ceci pourrait rendre l’expérience de vote non seulement inconfortable, mais également dangereuse. Des éléments similaires sont également ressortis des témoignages recueillis par UNIA16. Le manque de sensibilisation et l’incompréhension du personnel des bureaux de vote et du public en général aux handicaps invisibles augmentent ces difficultés, ce qui peut rendre l’expérience de vote encore plus pénible pour ces personnes. Ceci est illustré par l’expérience d’une maman qui accompagnait sa fille pour voter et qui a une priorité en raison de son handicap. Elles ont fait face à l’incompréhension des autres électeurs de la file d’attente, 15 UNIA. (2019). Rapport sur la participation aux élections des personnes en situation de handicap. https://tinyurl.com/ycxxkkur, p50, consulté le 19/08/2024. 16 Ibid., consulté 28/08/2024. «Devoir rester debout dans une file, car vous avez un handicap qui ne se voit pas.» (Charleroi, avril 2024) «Ayant un handicap dit invisible patienter longtemps debout dans la file d’attente dans les courants d’air et le froid déclenchant des crises chez moi.» (Marcinelle, avril 2024) «Trop de monde, trop de bruit, trop de lumière.» (Liège, mars 2024) 13 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 rendant l’expérience encore plus difficile17. Cela contribue à leur marginalisation dans le processus électoral, renforçant leur sentiment d’exclusion. Les solutions comme les files d’attente prioritaires ou les rampes d’accès ne suffisent pas à répondre aux besoins de ces personnes. Les handicaps invisibles nécessitent une approche plus individualisée pour assurer aux personnes concernées un accès de qualité à leur droit de vote. De possibles solutions ont émergées dans nos témoignages, par exemple : Conclusions Le droit de vote, en tant que pilier fondamental de la démocratie, prend une dimension particulière lorsqu’il s’agit des personnes en situation de handicap. En Belgique, même si le vote est obligatoire, de nombreux obstacles continuent d’empêcher la pleine participation de ces personnes. Ces obstacles, qu’ils soient légaux, d’inaccessibilité, informatifs, psychologiques ou émotionnels, sont de véritables barrières à l’exercice de droits civiques fondamentaux. Un constat crucial de cette analyse est l’épuisement psychologique et émotionnel que représentent les élections pour les personnes en situation de handicap. L’énorme charge mentale liée au fait de s’informer et de comprendre les enjeux politiques devient un fardeau particulièrement lourd pour ceux qui consacrent une grande partie de leur énergie à gérer les défis de leur quotidien. Le processus électoral, loin d’être un simple acte civique, se transforme ainsi en une épreuve épuisante et décourageante, amplifiant le sentiment de marginalisation. Cette situation révèle une tension. En théorie, toutes les citoyennes et tous les citoyens devraient pouvoir participer au processus électoral, mais la réalité montre que cela n’est toujours pas le cas. Les témoignages recueillis révèlent une frustration profonde et un sentiment de marginalisation chez les personnes en situation de handicap, souvent confrontées à des systèmes inadaptés, qui ne prennent pas en compte leurs besoins spécifiques. C’est notamment à cause de ces éléments que le nombre de procurations augmente, freinant la participation directe et inclusive au processus électoral, mais aussi une abstention importante notamment pour les personnes qui vivent en institution ou les personnes isolées, par exemple. 17 Ibid., consulté 28/08/2024. «Proposer une salle, ou des créneaux horaires, pour les personnes à besoins spécifiques, avec moins de gens, moins de bruit, moins de lumière. Avec des gens disponibles pour répondre aux questions, pour aider à comprendre les consignes.» (Liège, mars 2024) 14 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Les éléments étudiés dans cette analyse soulèvent une question fondamentale : existe-t-il une démocratie inclusive en Belgique si une partie significative de la population est exclue des processus électoraux ? Il est important de rappeler l’engagement de la Belgique envers la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, notamment l’article 29 qui garantit la participation politique, doit se traduire par des mesures concrètes. Dans une société démocratique, il est essentiel que toute la population, sans exception, puisse exercer pleinement ses droits et ses devoirs civiques. Les droits de vote des personnes en situation de handicap ne peuvent jamais être limités ou obstrués, encore moins dans l’exercice actif de la démocratie. Il est impératif de mettre en place des aménagements raisonnables dans les bureaux de vote et de rendre l’information électorale accessible sous des formats adaptés (FALC, langue des signes, braille, formats audios, etc.). De plus, une sensibilisation est nécessaire, auprès des professionnels et des familles et même des personnes en situation de handicap, pour encourager et faciliter leur participation politique. Le principe «rien sur nous sans nous» doit devenir une réalité très concrète dans toutes les politiques publiques. Les personnes en situation de handicap doivent être activement impliquées dans les décisions qui les concernent, y compris celles relatives à leur participation électorale. La démocratie ne peut être véritablement inclusive que lorsque chaque citoyenne et citoyen a les moyens de faire entendre sa voix en toute autonomie et de manière digne. Pour citer cette production PINTO, Marta (2024). «Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote», Analyse Éducation Permanente, Esenca. URL : www.Esenca.be 15 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Esenca Esenca – anciennement ASPH, Association Socialiste de la Personne Handicapée – défend toutes les personnes en situation de handicap, atteintes de maladie grave, chronique ou invalidante. Véritable syndicat des personnes en situation de handicap depuis plus de 100 ans, Esenca agit concrètement pour faire valoir les droits de ces personnes : lobbying politique, lutte contre toutes formes de discriminations, campagnes de sensibilisations, services d’aide et d’écoute, apport et partage d’expertise pour construire une société toujours plus inclusive, etc. Nos missions, services et actions • Conseiller, accompagner et défendre les personnes en situation de handicap, leur famille et leur entourage • Militer pour plus de justice sociale • Informer et sensibiliser le plus largement possible sur les handicaps et les maladies graves et invalidantes • Informer le public sur toutes les matières qui le concernent • Promouvoir l’accessibilité et l’inclusion dans tous les domaines de la vie • Lobbying et plaidoyer politique via de nombreux mandats Un contact center Pour toute question sur le handicap ou les maladies graves et invalidantes, composez le 02 515 19 19 du lundi au vendredi de 8h à 12h. Il s’agit d’un service gratuit et ouvert à toutes et tous. Handydroit® Service de défense en justice auprès des juridictions du Tribunal du Travail. Handydroit® est compétent pour les matières liées aux allocations aux personnes handicapées, aux allocations familiales majorées, aux reconnaissances médicales, aux décisions de remise au travail et aux interventions octroyées par les Fonds régionaux. Handyprotection Pour toute personne en situation de handicap ou de maladie grave et invalidante, Esenca dispose d’un service technique spécialisé dans le conseil, la guidance et l’investigation dans le cadre des législations de protection de la personne en situation de handicap. Cellule Anti-discrimination Esenca identifie les situations de discriminations relatives au handicap et en assure le suivi : écoute, interpellations, médiation, recherche de solutions avec la personne concernée, etc. 16 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Esenca est par ailleurs reconnu point d’appui UNIA en ce qui concerne les situations discriminantes liées au «critère protégé» du handicap. Cela veut dire qu’Esenca peut introduire un signalement directement auprès d’Unia à la demande d’une personne. Votre employeur refuse de mettre en place les aménagements de travail recommandés par votre médecin? Votre enfant rencontre des difficultés au sein de son école pour bénéficier d’adaptations nécessaires lors des contrôles ou des examens? Votre administration communale ne donne pas de suite favorable à votre demande d’emplacement de parking PMR? N’hésitez pas à prendre contact avec la cellule anti-discrimination. Elle investiguera la situation et si cela s’avère nécessaire et avec votre accord, signalera la situation à UNIA. La cellule anti-discrimination peut alors vous aider à faire parvenir tous les éléments dont auront besoin les services d’Unia afin de procéder à l’analyse de votre dossier. Handyaccessible Notre association dispose d’un service en accessibilité compétent pour : • Effectuer des visites de bâtiments et de sites et proposer des aménagements adaptés • Analyser des plans et vérifier si les réglementations régionales sont respectées • Auditer les événements et bâtiments selon les critères d’usages “Access-i” et délivrer une certification • Proposer un suivi des travaux pour la mise en œuvre de l’accessibilité Un travail d’information, de communication et d’interpellations Au quotidien, Esenca communique via de nombreux canaux pour favoriser la connaissance des droits fondamentaux dont celui de l’accès à l’information, la sensibilisation et la diffusion d’informations liées au secteur du handicap : newsletter, guides et brochures, périodique Handyalogue, réseaux sociaux, contribution à la presse associative, communiqués de presse, etc. Le magazine Handyalogue propose par ailleurs une déclinaison de l’ensemble des articles en Facile à Lire à et Comprendre (FALC). Notre association exerce activement de très nombreux mandats à différents niveaux de pouvoir sur l’ensemble du territoire afin de pleinement exercer le rôle d’interpellation, de veille et de participation à la construction d’une société inclusive, solidaire et accessible. Une reconnaissance en Éducation Permanente Dans le cadre d’une reconnaissance en Éducation Permanente, Esenca réalise chaque année de nombreuses analyses, études et recherches participatives. Celles-ci ont pour vocation d’alimenter la réflexion autour de questions en lien avec le handicap qui traversent notre société, son fonctionnement et ses évolutions. Des campagnes de sensibilisation et de communication ainsi que de nombreuses actions s’organisent également chaque année. 17 Une démocratie inclusive en Belgique? Le cas du droit de vote – Analyse 2024 Un label communal : Handycity® Handycity® est un label visant à encourager les communes tant à Bruxelles qu’en Région wallonne qui travaillent l’inclusion des personnes en situation de handicap dans leurs différentes compétences transversales. Chaque initiative, petite ou grande, peut contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des personnes en situation de handicap et de tout un chacun. Dans ce processus, Esenca s’adapte aux réalités des communes tant qu’elles veillent à incorporer, avec un soin particulier, une dimension handicap dans les différents projets concernant l’ensemble de la population. Handycity® est une reconnaissance du travail accompli par les communes pour leurs actions inclusives. Il est remis (ou non) tous les 6 ans aux communes signataires de la Charte qui ont introduit un pré-bilan à mi-mandat et leur candidature au Label. Des formations Les formations que nous proposons couvrent de nombreux domaines : accessibilité, législation, anti-discrimination, troubles cognitifs, rédaction en Facile À Lire et à Comprendre et sensibilisations aux handicaps. Ces formations sont en grande partie dispensées par les collaboratrices Esenca, expertes et passionnées par leurs métiers. Parce que les éléments théoriques n’ont de sens qu’en lien avec votre pratique, nous vous proposons un contenu adapté à vos réalités et adaptons le contenu des formations à vos demandes et attentes spécifiques. Nos formations sont dispensées à Bruxelles et en Région wallonne. Nous pouvons également dispenser ces formations au sein de vos structures et à la demande. Esenca sur le terrain en Fédération Wallonie-Bruxelles Esenca est une association présente sur l’ensemble du territoire de la FWB. Les entités territoriales sont les suivantes : Brabant, Brabant Wallon, Centre, Charleroi et Soignies, Liège, Luxembourg, Mons Wallonie picarde et Namur. Contact Tél : 02 515 02 65 • www.esenca.be • esenca@solidaris.be POUR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE, SOLIDAIRE ET ACCESSIBLE
Jassogne, S. (2024, May 30). Quand l’extrême droite surfe sur la vague du féminisme. Soralia. https://www.soralia.be/accueil/femmes-plurielles-quand-lextreme-droite-surfe-sur-la-vague-du-feminisme/
Quand l’extrême droite surfe sur la vague du féminisme
Depuis quelques années, l’extrême droite gagne du terrain en Europe. Cela se traduit par l’élargissement tant de sa base électorale que de sa présence médiatique. Ce phénomène est lié à une stratégie efficace de lissage de son discours, qui s’illustre, notamment, par son instrumentalisation de certaines luttes sociales. Mais ne nous laissons par berner, ces partis n’ont rien de solidaire ni de féministe…
Des méthodes douteuses pour capter un électorat féminin
La modification progressive de l’image de l’extrême droite auprès du public est le fruit de plusieurs méthodes, dont le rajeunissement et la féminisation de leurs figures politiques. Leur cible : un électorat masculin, jeune et peu diplômé, mais pas que… Pour ces partis rêvant de gouverner, la conquête de l’électorat féminin, qui pendant longtemps ne leur a pas accordé ses faveurs, est pratiquement indispensable.
Et quoi de mieux que de surfer sur la vague du mouvement #MeToo pour tenter de grappiller un maximum de votes ? Pour s’insérer dans le débat, ces mouvements vont fonder leur argumentaire autour d’une idée centrale, défendre la « femme blanche européenne » de l’ennemi numéro 1 de la nation : « l’immigré violeur », très souvent musulman, qui symbolise, à lui seul, les violences perpétrées à l’égard des femmes. De ce raisonnement émane un discours plus global, opposant la civilisation occidentale, laïque et émancipée au monde arabo-musulman patriarcal, intégriste et archaïque. La supériorité du peuple blanc et européen est revendiquée face à des hommes étrangers nécessairement fanatiques et violents qui ne partagent pas « nos » valeurs et dont les femmes sont des victimes. Comme si l’égalité était atteinte « chez nous »…
Ce « fémonationalisme » [1], comme le nomme la sociologue anglaise Sara R. Farris, n’est donc qu’un prétexte idéal pour jouer sur le sentiment d’insécurité de la population, rejeter l’islam et alimenter/renforcer cet antagonisme entre le « nous », le bien, l’acceptable, le modèle à suivre et les « autres » . Si ces partis adoptent de tels discours, c’est évidemment qu’ils ont quelque chose à y gagner, et cela n’a rien de réjouissant…
Leur vrai visage
Dans les faits, l’extrême droite n’a jamais défendu les droits des femmes. Au contraire, ces partis fondent leur argumentaire sur l’inégalité immuable entre les peuples, les cultures, les races[2], les civilisations… et entre les femmes et les hommes. Leur projet politique est clair : revenir au modèle traditionnel de la famille nucléaire hétérosexuelle. Dans ce cadre, chacun·e a un rôle bien établi à jouer. Les femmes sont uniquement perçues comme complémentaires et dépendantes des hommes. Leur devoir premier est de procréer pour assurer le maintien de la nation. Celles-ci doivent donc se conformer à un modèle unique où elles agissent uniquement dans la sphère privée en tant qu’épouse et mère de famille et sont en charge de l’éducation, de la transmission des valeurs. La famille, elle, est considérée comme valeur de base de la nation placée sous l’autorité, soi-disant « naturelle », du père. Cette famille doit être nombreuse, blanche et organisée autour d’un couple composé d’une femme et d’un homme, idéalement uni·e·s par les liens du mariage. Pour l’extrême droite, le féminisme, qui prône l’émancipation des femmes face à tous ces carcans, représente donc plutôt un danger. C’est d’ailleurs pour cette raison que les figures principales de ces mouvements accusent aujourd’hui les militant·e·s progressistes de « wokisme », l’objectif étant de les discréditer et de polariser davantage l’opinion publique en leur faveur.
Les mouvements féministes, porteurs d’espoir face aux extrémismes
Les droits des femmes ne seront jamais acquis et ça, les mouvements féministes en sont bien conscients. L’extrême droite a toujours représenté une menace. Elle met en péril l’ensemble de la démocratie, et d’autant plus les avancées obtenues par les femmes et les minorités de genre. Mais aujourd’hui, pour contrer ce conservatisme, les femmes du monde entier parviennent à se soutenir, à s’entraider, la lutte est mondiale. On pensera, par exemple, au mouvement « Ni Una Menos », en Argentine, qui a commencé par lutter contre les féminicides et les violences faites aux femmes et qui, progressivement, est devenu un mouvement de masse dans les pays d’Amérique du Sud et centrale et même en Europe.
Ces militant·e·s ont conscience qu’il faut inclure toutes les femmes – dont les femmes les plus impactées par les violences patriarcales ( Femmes « racisées », femmes migrantes, femmes transgenres…) – dans leur lutte. Mais aussi que leur argumentaire doit lier antiracisme, antifascisme et anticapitalisme afin de proposer de véritables alternatives dans la façon de faire société. C’est en cela que ces mouvements agissent en tant que remparts face aux discours de l’extrême droite. Ce sont eux qui nous montrent qu’un monde meilleur et égalitaire est envisageable. Et cette lueur d’espoir est une arme redoutable face à l’obscurantisme des extrémismes.
[1] Ensemble des discours qui appellent à des mesures xénophobes et/ou islamophobes pour garantir l’égalité de genre, dans une société occidentale où l’état est présenté comme irréprochable sur la question.
[2] Aujourd’hui, certains milieux militants se revendiquent en tant que « groupe racisé » (réappropriation du terme) afi n de visibiliser les discriminations dont elles·ils sont victimes dans la société sur base de cette supposée « race », qui, elles, sont bien réelles et ne peuvent être passées sous silence.
Jassogne, S. (2024, October 29). Analyse 2024 – Femmes et politique : quels enjeux ? Soralia. https://www.soralia.be/accueil/analyse-2024-femmes-et-politique-quels-enjeux/
Analyse 2024 FEMMES EN POLITIQUE : QUELS ENJEUX ? VIERENDEEL Florence Chargée d’études et de communication politique Soralia florence.vierendeel@solidaris.be Photo : Shutterstock Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site : www.soralia.be/publications Sous licence Creative Commons Éditrice responsable : Noémie Van Erps, Place St-Jean, 1-2, 1000 Bruxelles. 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Le monde politique est donc, encore aujourd’hui, particulièrement hostile aux femmes, tant celuici est imprégné d’un sexisme ambiant, très souvent banalisé, et d’une culture de travail qui peine à évoluer. Ces freins, que nous détaillerons, éclairent les raisons pour lesquelles, encore aujourd’hui, les partis politiques francophones belges ne parviennent pas à atteindre la parité (pourtant obligatoire) sur leurs listes électorales1 . Pire encore, pour les élections du 9 juin 2024, certains partis n’atteignaient même pas les 25 % de femmes… 2 Pourtant, l’intégration des femmes dans les processus politiques est une question fondamentale. Car notre santé démocratique repose sur la représentation de l’ensemble des citoyen·ne·s, ce qui implique une diversité de profils au sein de nos assemblées. C’est pourquoi rendre ces espaces plus accessibles et plus inclusifs est un combat majeur, qui mérite toute notre attention. D’autant plus que nos meilleurs relais pour défendre l’égalité restent, somme toute, les premières concernées : les femmes. Il est donc indispensable d’encourager, de protéger et de valoriser leur participation politique, à tout niveau, en tout temps et quel que soit le lieu. UN UNIVERS HISTORIQUEMENT MASCULIN En Belgique, les femmes n’ont accès au droit de vote et au suffrage universel pour l’ensemble des niveaux de pouvoir qu’en 1948 (27 ans après leurs homologues masculins). Elles sont néanmoins éligibles depuis 1920-19213 . Pourtant, il faut attendre 1965 pour qu’une femme, Marguerite de Riemaecker-Legot, soit nommée ministre pour la première fois. Le nombre de femmes dans les parlements ne commence, quant à lui, à augmenter que dans les années 90. Cette évolution coïncide avec l’adoption des premiers textes de loi visant à améliorer la représentation des femmes en politique. La Chambre détermine par exemple un quota de maximum deux tiers de membres de même sexe sur les listes électorales. La parité sur les listes est actée par après, en 20024 . Aujourd’hui, même si les femmes sont plus présentes dans la sphère politique, celles-ci sont toujours loin de constituer la moitié des mandataires. À la suite des élections du 9 juin 2024, la part de femmes parmi les eurodéputé·e·s n’est que de 39 %5 . Au niveau belge, même résultat : ni le parlement fédéral ni le parlement wallon n’atteignent la parité ! 6 Quant aux fonctions exécutives, la situation n’est pas plus enviable. En 2022, sur les 262 communes 1 DEVOOGHT Robin et WOELFLE Guillaume, « Âge, nombre de mandats, société civile, nombre de femmes : quels sont les profils des candidats aux prochaines élections ? », RTBF, 24/05/2024, https://urlz.fr/rTt4, consulté le 27/08/2024. 2 Ibid. 3 ISTASSE Cédric, « Elections 2024 : vers l’équilibre entre femmes et hommes ? », Les analyses du CRISP en ligne, 09/06/2023, https://urlz.fr/rTtb, consulté le 27/08/2024. 4 BALBONI Julien, « Le Parlement fédéral se maintient à 42% de parité hommes-femmes », L’Echo, 10/06/2024, https://urlz.fr/rTtA, consulté le 27/08/2024. 5 PALACIN Hugo, « Avec 39 % de députées, la part de femmes stagne au sein du nouveau Parlement européen », Toute l’Europe, 16/07/2024, https://urlz.fr/rTtO, consulté le 27/08/2024. 6 63 femmes sur 150 député·e·s pour le parlement fédéral, 35 femmes sur 75 député·e·s pour le parlement wallon. 4 wallonnes, seules 46 étaient dirigées par une femme. Ce n’est par ailleurs qu’en 2019 qu’une femme, Sophie Wilmès, prend la tête du pays, et ce dans un contexte de crise liée à l’épidémie du Covid-19, où le risque d’échec était plus élevé qu’à l’ordinaire7 . Ce cas de figure illustre avec brio le concept de la « falaise de verre », qui démontre que l’ascension des femmes dans l’échelle des responsabilités est souvent corollé au risque de les voir s’effondrer8 . Mais alors, pourquoi en sommes-nous toujours là ? L’IMPACT DES STÉRÉOTYPES DE GENRE Les obstacles qui entravent la route des femmes en politique sont nombreux. Ces freins proviennent, en partie, des stéréotypes de genre à l’œuvre dans notre société. Dès le plus jeune âge, certaines caractéristiques sont attribuées à un sexe/genre9 . Celles-ci, à force d’être favorisées, sont intégrées et entraînent des rôles sociaux différenciés entre les femmes et les hommes. Cette éducation genrée a un impact dans tous les domaines de notre vie, et notamment sur nos choix et nos aspirations professionnelles. Ainsi, à l’école, les filles apprennent davantage à rester dans l’ombre, à ne pas se faire remarquer, à se comporter comme de bonnes élèves qui suivent les règles et à occuper des rôles secondaires. Les garçons, à l’inverse, sont invités à faire preuve d’audace, à développer leur aptitude à entreprendre, à devenir des leaders. Par exemple, plusieurs études démontrent que les filles sont moins stimulées que les garçons à prendre position et à tenir des débats, ce qui, plus tard, refrène leur intérêt et leur ambition en la matière10 . À l’âge adulte, ces disparités se marquent inévitablement dans le milieu du travail. Les femmes doutent davantage de leurs compétences, s’imposent un niveau d’expertise plus élevé et se freinent dans leurs candidatures si elles estiment que leur profil ne correspond pas à 100 % à l’offre d’emploi. Les hommes, quant à eux, n’hésitent pas à extrapoler leurs capacités, à postuler pour des fonctions plus ambitieuses et à user d’un excès de confiance, notamment pour séduire, avec succès, les récruteuses·teurs.11 Pas étonnant donc que les hommes soient plus enclins à se lancer en politique alors que les femmes ressentent moins l’envie de convaincre les autres de leurs opinions… 12 Heureusement, certaines d’entre elles échappent à cette prédilection ! Mais rien n’est gagné pour autant. Si les hommes sont identifiés et reconnus comme des « meneurs naturels », les femmes, elles, vont devoir redoubler d’efforts pour acquérir une légitimité et une crédibilité en tant que figure politique. Et dans une société où celles-ci disposent d’une visibilité et d’un temps de parole réduit∙e∙s par rapport aux hommes, notamment en raison du mansplaining 13 7 BELGA, « Les hommes gardent le leadership politique, 75 ans après l’octroi du droit de vote aux femmes », Le Vif, 26/06/2024, https://urlz.fr/rTtY, consulté le 27/08/2024. 8 DESWERT Clémence, « De l’intérim à l’état de grâce : le leadership de Sophie Wilmès à la loupe du genre », RTBF, 28/10/2022, https://urlz.fr/rTw1, consulté le 27/08/2024. 9 Dans notre société, le genre (femme/homme) est, à tort, automatiquement assimilé au sexe (femelle/mâle) à la naissance, sans tenir compte des variations possibles (ex : personnes intersexes). 10 EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir pour les femmes en politique ? », RTBF, 27/05/2024, https://urlz.fr/rTx2, consulté le 27/08/2024. 11 Pour plus d’informations : DION Morgane, Les gentilles filles ne réussissent pas : Manuel de combat pour l’égalité au travail, Eyrolles, 2024. 12 EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir… op. cit. 13 KESSAS Safia, « Mansplaining, manterrupting, … : guide de survie pour comprendre le féminisme 2.0 », RTBF, 16/04/2019, https://urlz.fr/rTxL, consulté le 27/08/2024. 5 et du manterrupting 14 , le défi est immense. Pourtant, l’accès aux espaces stratégiques, tels que les médias, est essentiel pour capter l’attention des électrices·teurs et se positionner, notamment aux yeux de son propre parti politique, comme une personnalité incontournable. Enfin, les femmes sont toujours majoritairement assignées et associées aux tâches domestiques et de soins dans les foyers, d’autant plus lorsqu’elles ont des enfants. Ce qui crée une charge inégale dans les couples hétérosexuels, les femmes ayant moins de temps disponible et étant moins enclines à le consacrer à leur carrière professionnelle. Et si elles décident néanmoins d’en faire une priorité, le regard que la société pose sur elles s’accompagne souvent d’une forme de culpabilisation, qui pèse sur leurs épaules. Or, en politique, la disponibilité est un enjeu central : participer aux évènements, multiplier les apparitions, être autour de la table lors des décisions importantes, est un facteur de réussite, favorisé par les partis. LA RESPONSABILITÉ DES PARTIS POLITIQUE La question de l’articulation entre vie privée et vie professionnelle touche à la fois au poids des stéréotypes de genre mais aussi au rôle que jouent les partis politiques dans leur volonté, leur envie et leur capacité à accueillir des femmes dans leurs rangs. Ne pas tenir compte des réalités parentales, ne pas développer une culture de travail qui permet à chacun·e de s’épanouir dans d’autres sphères de sa vie, revient concrètement à bloquer l’entrée des femmes en politique. Or, cette réflexion et ce réajustement bénéficieraient à toutes et tous et permettraient aux hommes de s’investir davantage dans leurs foyers. À cet égard, les président·e·s de parti disposent d’un pouvoir considérable : visages d’un groupe politique, négociatrices·teurs dans le cadre des accords de gouvernements, distributrices·teurs des portefeuilles ministériels, chef·fe·s de file des grandes lignes stratégiques, elles·ils se chargent aussi de sélectionner les candidat·e·s à recruter15 . Mais, en Belgique, ce poste au plus haut niveau de la hiérarchie demeure majoritairement masculin. Comme l’indique la politologue Émilie Van Haute, « plus un poste est rare, plus il est convoité et plus les inégalités en terme de représentation se marquent » 16 . Or, les dirigeant·e·s, tous domaines confondus, ont tendance à privilégier celles·ceux qui leur ressemblent17 . Ce qui peut expliquer pourquoi les hommes sont plus souvent soutenus par les membres d’un parti politique et accèdent plus facilement à des fonctions-clés18 . Le revers de la médaille de ce biais cognitif est que toute une série de profils tendent à être marginalisés, en ce compris les femmes. Elles manquent alors de modèles auxquels s’identifier, ce qui ne les aide pas non plus à se projeter dans ce type de fonctions19 . Enfin, si celles-ci parviennent à se frayer un chemin au sein d’un parti, se pose alors la question de la place qui leur y est accordée, déterminant notamment leurs chances d’être élues. 14 Ibid. 15 EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir… op. cit. 16 VLASSENBROECK Xander, « Une sur 4 à Bruxelles, moins d’une sur 5 en Wallonie : pourquoi y a-t-il si peu de femmes bourgmestres ? », RTBF, 25/05/2022, https://urlz.fr/rTy1, consulté le 27/08/2024. 17 DRICOT Lucie, « Travail : souffrez-vous du syndrome du scarabée ? », RTBF, 15/02/2021, https://urlz.fr/iWlr, consulté le 27/08/2024. 18 EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir… op. cit. 19 EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir… op. cit. 6 Rappelons qu’en Belgique, les deux premières places sur les listes électorales doivent être distribuées en alternance (une femme en 1ère position, puis un homme ou l’inverse). Mais comme le précise la chercheuse Audrey Vandeleene, « quand les partis ne disposent que d’un siège [éligible] dans une circonscription donnée, c’est à un homme qu’il est attribué » 20. Le fait qu’une femme soit en deuxième position sur la liste n’a donc aucun impact sur le nombre de parlementaires élu·e·s. Des journalistes canadien·ne·s font le même constat dans leur pays et emploient la métaphore du « château fort » pour évoquer ces circonscriptions électorales où la victoire est pratiquement acquise et où les candidat·e·s sont majoritairement masculins21 . Même si le système politique y est différent, la tendance est certainement similaire. Et ce sont, sans surprise, auprès de ces candidats que l’ont investi le plus d’argent. En conclusion, le nombre de femmes qui se présentent n’est qu’une première étape, encore faut-il les soutenir pour qu’elles soient effectivement élues et ensuite qu’elles puissent rester en fonction. DES VIOLENCES SEXISTES PARTICULIÈREMENT ANXIOGÈNES Ce soutien doit donc aussi s’exprimer face au sexisme qui règne dans le milieu. Comme toutes les autres femmes, les politiciennes sont loin d’être épargnées par les violences fondées sur le genre. Mais celles-ci présentent des spécificités. La politique, rappelons-le, est un domaine où les hommes qui ont de l’argent, des contacts, de l’influence, ont plus de chances d’accéder à des fonctions de pouvoir. Cet environnement élitiste est le reflet par excellence des rapports de domination, tant fondés sur le genre que sur la classe sociale ou sur la race. En découlent des privilèges et des situations de toute-puissance, où impunité, laissez-faire, excès et abus en tous genre sont légion. C’est pour dénoncer cette omerta du monde politique face aux violences sexistes, sexuelles et psychologiques subies de la part de mandataires que 120 politiciennes belges, de tous partis confondus, ont publié, d’une même voix, une lettre ouverte, en novembre 202222 . Remarques quotidiennes, attouchements, harcèlement, viols, … les faits sont fréquents, multiples et touchent toutes les personnes sexisées23 . Ces agressions ne sont pas nouvelles et ont été banalisées pendant des décennies. Et ces violences ne s’expriment pas que dans les couloirs de nos parlements, au contraire ! Ces femmes disposent aussi d’une notoriété publique, qui les expose au grand public. Parmi les canaux de communication utilisés, les réseaux sociaux ont pris une ampleur considérable ces dernières années et sont devenus incontournables. Sur ces plateformes, les politiciennes, notamment lorsqu’elles sont jeunes et/ou issues d’une minorité24 , sont les cibles privilégiées de la cyberviolence25 . Envoi de contenus à caractère sexuel, propos haineux et dénigrants, diffusion d’informations privées, menaces de viol et de mort, … ces femmes sont attaquées, souvent à répétition et via des « raids » 26 , parce qu’elles osent s’exprimer, prendre de la place, 20 Ibid. 21 OUELLET Valérie et SHIAB Nael, « Les femmes sont moins souvent élues que les hommes. Voici pourquoi », Radio-Canada, 04/09/2019, https://urlz.fr/rTAe, consulté le 27/08/2024. 22 « Vers un metoo politique ? 120 femmes dénoncent des comportements déviants », Le Soir, 28/11/2022, https://urlz.fr/rTAv, consulté le 27/08/2024. 23 Les femmes et personnes s’identifiant comme telles, les personnes transgenres, non-binaires, LGBTQIA+, etc. 24 Race, handicap, orientation sexuelle, etc. 25 FRERES Sarah, « Jeunes femmes politiques, cibles privilégiées du cyber-harcèlement », La Libre, https://urlz.fr/rTB1, consulté le 27/08/2024. 26 Harcèlement réalisé en ligne et surtout en meute ciblant une (un groupe de) personne(s). 7 donner leur opinion, bref exister à un endroit où la société patriarcale ne les attend pas et ne veut pas les entendre. Comme l’indique le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) français, aujourd’hui, « 73 % des femmes déclarent être victimes [de cyberharcèlement], et pour 18 % d’entre-elles sous une forme grave. Ces violences visent un seul et même objectif : contrôler la place des femmes et les exclure de l’espace public présentiel ou numérique » 27 . Les femmes qui portent des idées progressistes et féministes sont d’autant plus touchées. Si le « backlash » (ou retour de bâton en français) a toujours existé28, celui-ci s’est intensifié en raison des facilités offertes par le numérique. Les masculinistes, souvent à l’œuvre, sont en mesure de s’organiser rapidement et en nombre pour faire taire toute personne qui revendique plus d’égalité. Or, les politiciennes qui tentent de faire bouger les lignes représentent une menace directe pour ces groupes de réactionnaires qui refusent de perdre leurs privilèges en tant que groupe dominant. Bien qu’elles aient lieu en ligne, ces violences ont des impacts bien réels, tant sur la santé mentale et physique des victimes que sur leur vie sociale. Perte de confiance en soi, sentiment d’insécurité, anxiété, insomnie, dépression, … les conséquences mènent à l’isolement et à un mal-être généralisé 29 . Parfois, ces violences s’étendent même à leurs proches, qui sont visé·e·s par extension, ce qui crée une forme de culpabilisation dans le chef des victimes. Pour se protéger et/ou protéger leur entourage, de nombreuses femmes mettent en place des stratégies d’évitement, à défaut de bénéficier d’autres solutions leur semblant efficaces30 . Elles se censurent, diminuent leur temps d’utilisation, voire parfois se retirent totalement des réseaux sociaux. Or, avoir accès à ces espaces de parole de manière libre et optimale est aujourd’hui, au moins en partie, un gage de réussite en politique. Ce phénomène entraîne donc en lui-même la disparition de certains profils, déjà en sous-nombre, alors que d’autres femmes, potentiellement intéressées, redoutent tellement ce type de violences qu’elles refusent d’adopter un rôle public, ce qui compromet l’apparition de nouvelles figures politiques. CONCLUSION : NOS REVENDICATIONS La conclusion sans détour de cette analyse est que le symbole du leader politique reste essentiellement ancré dans un imaginaire masculin31 . Mais alors, que faire pour permettre aux femmes d’accéder à ce milieu, d‘y être reconnues et d’y mener des mandats en toute sérénité ? Rappelons qu‘à partir du moment où tout le monde n‘a pas le même droit à la parole ni le même droit à la représentation, cette question relève d’un véritable défi démocratique pour notre société. Le monde politique, dont se méfient de plus en plus les citoyen·ne·s, doit se recentrer sur l’essence même de son travail : porter la voix de chacun·e dans les sphères de 27 FRERES Sarah, « Jeunes femmes politiques, … op. cit. 28 Pour plus d’informations : GAZIAUX Wivynne, « Le backlash, ou la revanche antiféministe », Femmes Plurielles, 27/09/2023, https://urlz.fr/rTBx, consulté le 27/08/2024. 29 « Causes et conséquences du cyber-harcèlement des filles », Plan International, https://urlz.fr/rTBF, consulté le 27/08/2024. 30 DIOUF Elena et NUNCIC Pascaline, « Dossier pédagogique – Le harcèlement sexiste virtuel, c’est réel ! », Sofélia, 09/2020, https://urlz.fr/rTBT, consulté le 27/08/2024. 31 BELGA, « Les hommes gardent le leadership… op. cit. 8 décision pour assurer une diversité des points de vue. Dans ce cadre, garantir aux femmes une place de choix dans nos assemblées n’est pas une option. L’idée centrale est de substituer l’inclusivité à l’élitisme politique actuel et de construire un environnement sécurisant pour tou·te·s, propice à l’intégration de toutes les femmes et de toutes les personnes minorisées, quel∙le∙s que soient leur capital socio-économique, leur origine, leur couleur de peau ou encore leur orientation sexuelle. Au-delà de ce principe de base qui doit guider chaque action entreprise, nous vous proposons une liste de revendications qui nous semblent apporter une réponse solide et cohérente à la question qui nous occupe dans cette analyse. Celles-ci sont classées par domaine thématique, selon la même structure que les chapitres précédents. Concernant les stéréotypes de genre : ➔ Pour les partis politiques : adapter les conditions de travail/favoriser une meilleure conciliation vie privée-vie professionnelle ce qui inclut d’éviter les réunions en soirée et les week-ends, de prévoir des temps réguliers de déconnexion, de désigner une personne en charge du bien-être au travail au sein de chaque parti, de garantir le matériel et l’espace de travail nécessaires à chacun·e, etc. ➔ Pour les médias : visibiliser les femmes dans les contenus politiques produits (les mentionner, les présenter, parler de leur travail, etc.), diversifier les panels dans les émissions politiques (TV/radio/podcast/streaming) en assurant a minima la parité au sein des intervenant·e·s tout en veillant à une juste répartition de la parole. ➔ Globalement : continuer à lutter contre les stéréotypes de genre, et ce dès le plus jeune âge, notamment à travers la généralisation effective de l’Éducation à la Vie Relationnelle Affective et Sexuelle (EVRAS) dans tous les lieux de collectivité, la mise en place de campagnes de sensibilisation et d’information ou encore la formation des professionnel·le·s (dans le médical, le social, l’éducation, etc.). Concernant le fonctionnement des partis politiques : ➔ Mettre un nombre plus important de femmes en têtes de listes et respecter au maximum la parité sur les listes ; ➔ Soutenir les femmes dans leurs campagnes électorales, notamment financièrement ; ➔ Favoriser l’accès des femmes à des fonctions hiérarchiques importantes ; ➔ Garantir une répartition non-genrée des compétences en cas de postes ministériels ; ➔ Créer des réseaux de sororité, d’échanges entre femmes avec un système de marrainage, afin de permettre aux nouvelles candidates d’identifier des personnes de confiance auxquelles se référer et de bénéficier de soutien ; ➔ Réaliser des phases de recrutement en continu pour préparer au mieux les candidat·e·s et anticiper les freins et les défis à relever ; ➔ Prévoir des espaces bienveillants qui garantissent la prise en compte de la parole de chacun·e, et qui veillent, donc, à accorder de l’espace aux voix les plus minoritaires, sans les interrompre, les infantiliser ou les renvoyer à leur identité de genre. Concernant les violences sexistes : 9 ➔ Établir un code de conduite et d’éthique au sein de chaque parti et s’y tenir fermement. Toute forme de sexisme et d’agression doit être condamnée, ce qui implique d’écarter les agresseurs présumés et d’exclure les agresseurs condamnés, de manière directe et systématique. Cette règle nécessite une révision du cadre institutionnel qui entoure les mandataires et des procédures en matière de collecte des plaintes à leur égard32 ; ➔ Désigner une personne de confiance au sein de chaque parti, experte en la matière, disponible pour être à l’écoute des victimes, les informer et les accompagner dans leurs démarches juridiques, sociales et/ou médicales en lien avec les violences subies ; ➔ Globalement : continuer à lutter de manière transversale contre les violences faites aux femmes, notamment en garantissant l’application de la Convention d’Istanbul 33 , et apporter une attention particulière au phénomène de cyberviolence en développant à la fois des mécanismes juridiques efficaces pour y faire face mais aussi des services de soutien et d’accompagnement pour les victimes. La participation des femmes en politique est indispensable : c’est un enjeu à la fois en termes d’égalité, de mise à l’agenda de nouvelles thématiques et de relais des réalités des personnes discriminées. Mais les groupes dominants, qui jouissent de privilèges, refusent rarement de les perdre sans résister. C’est pourquoi ce changement de paradigme ne se fera pas sans une prise de conscience collective et une vraie preuve de volonté de la part des partis politiques et des figures qui la composent. Aujourd’hui, le monde politique ne peut plus tergiverser. La non parité sur les listes électorales ne peut plus être une simple statistique aux lendemains des élections, la dénonciation d’un acte de violence ne peut plus être un simple fait divers dans les journaux. Ces indicateurs doivent toutes et tous nous interpeller et nous pousser à agir, à toutes les échelles de notre société. Dans un contexte où les idées d’extrême droite gagnent de plus en plus en popularité, un autre monde, marqué par l’exemplarité et l’inclusivité, doit se dessiner de toute urgence. 32 « Pour l’émergence d’un « MeToopolitique » belge », Le Soir, 24/11/2022, https://urlz.fr/rTCx, consulté le 27/08/2024. 33 Pour plus d’informations : VIERENDEEL Florence, « 10 ans de la Convention d’Istanbul : où en sommes-nous ? », Communiqué de presse Soralia, 2021, https://urlz.fr/rTCY, consulté le 27/08/2024. 10 BIBLIOGRAPHIE « Causes et conséquences du cyber-harcèlement des filles », Plan International, https://urlz.fr/rTBF. « Pour l’émergence d’un « #MeToopolitique » belge », Le Soir, 24/11/2022, https://urlz.fr/rTCx. « Vers un #metoo politique ? 120 femmes dénoncent des comportements déviants », Le Soir, 28/11/2022, https://urlz.fr/rTAv. BALBONI Julien, « Le Parlement fédéral se maintient à 42% de parité hommes-femmes », L’Echo, 10/06/2024, https://urlz.fr/rTtA. BELGA, « Les hommes gardent le leadership politique, 75 ans après l’octroi du droit de vote aux femmes », Le Vif, 26/06/2024, https://urlz.fr/rTtY. DESWERT Clémence, « De l’intérim à l’état de grâce : le leadership de Sophie Wilmès à la loupe du genre », RTBF, 28/10/2022, https://urlz.fr/rTw1. DEVOOGHT Robin et WOELFLE Guillaume, « Âge, nombre de mandats, société civile, nombre de femmes : quels sont les profils des candidats aux prochaines élections ? », RTBF, 24/05/2024, https://urlz.fr/rTt4. DION Morgane, Les gentilles filles ne réussissent pas : Manuel de combat pour l’égalité au travail, Eyrolles, 2024. DIOUF Elena et NUNCIC Pascaline, « Dossier pédagogique – Le harcèlement sexiste virtuel, c’est réel ! », Sofélia, 09/2020, https://urlz.fr/rTBT. DRICOT Lucie, « Travail : souffrez-vous du syndrome du scarabée ? », RTBF, 15/02/2021, https://urlz.fr/iWlr, consulté le 27/08/2024. EL MASSAOUDI Sarra, « En Belgique, quel pouvoir pour les femmes en politique ? », RTBF, 27/05/2024, https://urlz.fr/rTx2. FRERES Sarah, « Jeunes femmes politiques, cibles privilégiées du cyber-harcèlement », La Libre, https://urlz.fr/rTB1. GAZIAUX Wivynne, « Le backlash, ou la revanche antiféministe », Femmes Plurielles, 27/09/2023, https://urlz.fr/rTBx. ISTASSE Cédric, « Elections 2024 : vers l’équilibre entre femmes et hommes ? », Les analyses du CRISP en ligne, 09/06/2023, https://urlz.fr/rTtb. KESSAS Safia, « Mansplaining, manterrupting, … : guide de survie pour comprendre le féminisme 2.0 », RTBF, 16/04/2019, https://urlz.fr/rTxL, consulté le 27/08/2024. OUELLET Valérie et SHIAB Nael, « Les femmes sont moins souvent élues que les hommes. Voici pourquoi », Radio-Canada, 04/09/2019, https://urlz.fr/rTAe. PALACIN Hugo, « Avec 39 % de députées, la part de femmes stagne au sein du nouveau Parlement européen », Toute l’Europe, 16/07/2024, https://urlz.fr/rTtO. 11 VIERENDEEL Florence, « 10 ans de la Convention d’Istanbul : où en sommes-nous ? », Communiqué de presse Soralia, 2021, https://urlz.fr/rTCY. VLASSENBROECK Xander, « Une sur 4 à Bruxelles, moins d’une sur 5 en Wallonie : pourquoi y a-t-il si peu de femmes bourgmestres ? », RTBF, 25/05/2022, https://urlz.fr/rTy1, consulté le 27/08/2024. Soralia est un mouvement mutualiste féministe d’éducation permanente. Un mouvement riche de plus de 100 ans d’existence, présent partout en Belgique francophone et mobilisant chaque année des milliers de personnes. Au quotidien, nous militons et menons des actions pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous défendons des valeurs et des principes fondamentaux tel·le·s que le féminisme, l’égalité, la solidarité, le progressisme, l’inclusivité et la laïcité. Pour contacter notre service études : Fanny Colard – fanny.colard@solidaris.be – 02/515 06 26 Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site. Qui sommes-nous ?
Jassogne, S. (2024, August 30). Analyse 2024 – “Crise” de l’accueil : quand l’état belge bafoue la protection des demandeuses·eurs d’asile. Soralia. https://www.soralia.be/accueil/analyse-2024-crise-de-laccueil-quand-letat-belge-bafoue-la-protection-des-demandeuses%c2%b7eurs-dasile/
Analyse 2024 “Crise” de l’accueil : quand l’état belge bafoue la protection des demandeuses·eurs d’asile…Et devient hors-la-loi VIERENDEEL Florence Chargée d’études et de communication politique Soralia florence.vierendeel@solidaris.be Photo : Shutterstock Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site : www.soralia.be/publications Sous licence Creative Commons Éditrice responsable : Noémie Van Erps, Place St-Jean, 1-2, 1000 Bruxelles. Tel : 02/515.04.01 Siège social : place Saint-Jean, 1-2 – 1000 Bruxelles Numéro d’entreprise : 0418 827 588 • RPM : Bruxelles • IBAN : BE11 8777 9810 0148 • Tél : 02 515 04 01 • soralia@solidaris.be 3 INTRODUCTION Depuis plusieurs mois, les expulsions de demandeuses·eurs d’asile se répètent à Bruxelles, les condamnant au sans-abrisme. Ces populations extrêmement vulnérables occupent pourtant des bâtiments vides, laissés à l’abandon. Cette situation est le reflet de la « crise » de l’accueil que nous connaissons depuis octobre 2021, sans que l’État belge ne semble prêt à y remédier. Pourtant, notre pays est tenu à certaines obligations en la matière, qu’il bafoue. Et même lorsque ces personnes acquièrent le statut de réfugié·e, leur recherche d’un logement est semée d’obstacles. Des solutions existent mais dans une société où l’immigration tend à être identifiée comme étant à l’origine de tous nos maux, aucune volonté politique ne se manifeste. Pourtant, au-delà de la désinvolture abjecte avec laquelle sont traités ces êtres humains, c’est le principe même de notre État de droit qui est aujourd’hui menacé. QUE NOUS DIT LA LOI 1 ? Tout être humain a besoin, pour garantir sa sécurité, sa protection, son intégration, à un lieu d’habitation. Le droit au logement est consacré, notamment, par l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et par l’article 23 de la Constitution belge, qui prévoit le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cet enjeu est d’autant plus fondamental qu’il conditionne l’accès à une aide sociale. Tout être humain a également le droit d’entrer dans un pays pour y demander l’asile. Ces personnes dont la situation est spécifique disposent alors de droits particuliers, protégés par le droit international. C’est dans ce cadre que notre pays a pour obligation légale de fournir une aide matérielle à tout·e demandeuse·eur d’asile le temps du traitement de sa demande. Cette assistance concerne les besoins de base : des repas, des soins médicaux et un toit. En Belgique, cet accueil est géré par une agence fédérale, nommée Fedasil. Le problème ? Les centres existants sont systématiquement saturés, ce qui contraint, chaque année, des milliers de personnes à dormir dans la rue ou à s’établir sous forme de squat, dans des conditions déplorables. En raison de cette situation contraire à la loi, notre État a déjà été condamnée plus de 8.000 fois par le Tribunal du Travail et près de 1.200 fois par la Cour européenne des droits de l’Homme. 1 BERNARD Nicolas, « Le droit au logement des migrants : législation belge et droit international », Housing Rights Watch, https://tinyurl.com/yahs6964, consulté le 11/07/2024. 4 LE STATUT DE RÉFUGIÉ∙E : UNE ÉTAPE QUI NE RÉSOUT PAS TOUT2 Les personnes dont la demande d’asile est acceptée obtiennent le statut de réfugié∙e. Cela signifie que ces personnes, en cas de retour dans leur pays, craignent « avec raison, d’être persécuté·e·s du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe ou de leurs opinions politiques »3. En tant que réfugiées, elles ont deux mois pour trouver un toit et quitter la structure d’accueil (avec une possibilité de prolonger ce délai jusqu’à 4 mois maximum), sous peine de se retrouver à la rue. L’exercice relève alors du parcours de la·du combattant·e. L’aide sociale accordée par le CPAS est souvent incompatible avec les prix exorbitants du marché locatif. Les propriétaires prêt·e·s à accueillir des demandeuses∙eurs d’asile sont peu nombreuses∙eux. De plus, ces personnes, abîmées par des trajets d’exil éprouvants, ne maîtrisent bien souvent ni la langue ni les procédures et modalités à entreprendre. Enfin, les cas de discriminations sont encore beaucoup trop fréquents et renforcent les vécus traumatiques. UNE GRAVE VIOLATION DES DROITS HUMAINS Aujourd’hui, les seules solutions pour pallier à ce manque structurel de places émanent majoritairement de la société civile et d’une poignée de citoyen·ne·s qui s’organisent souvent sous forme de plateformes4 pour loger chez elles·eux ces personnes. Pourtant, cette « crise » était inévitable et aurait pu être résorbée si le monde politique s’y était engagé. Fermeture de centres, manque de personnel (et donc délai de réponse beaucoup trop long), etc. rien n’a été mis en place par l’État pour anticiper les fluctuations du nombre de demandes, bien au contraire. Comme l’indique Amnesty International, « l’absence de volonté politique pour remédier à une situation somme toute prévisible et gérable a conduit à une crise que l’État a lui-même provoquée » 5 . La croyance populaire selon laquelle l’augmentation du nombre de personnes migrantes est à l’origine du problème est donc tout simplement fausse6 . Par ailleurs, ces conditions d’accueil déplorables n’ont pas d’effet dissuasif sur le nombre de demandes, ce qui signifie que si notre pays n’agit pas, la « crise » continuera à perdurer7. Ce statu quo politique est d’autant plus inquiétant que la Belgique ne respecte pas les jugements rendus par la justice dans le cadre de ses multiples condamnations, exigeant l’hébergement immédiat des demandeuses·eurs d’asile dormant dans la rue et le paiement d’astreintes, toujours non réglées. Pire encore, plutôt que de rectifier le tir et de respecter la 2 CORNELIS Mathieu, « En Marche – Migrants : un logement pour s’intégrer », En Marche, https://tinyurl.com/37m6bhja, consulté le 11/07/2024. 3 Article 1er A2 de la Convention de Genève de 1951. 4 Comme, par exemple, la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés : www.bxlrefugees.be 5 « La Belgique doit remédier à la crise de l’accueil qu’elle a elle-même générée », Amnesty International Belgique, 31/10/2023, https://tinyurl.com/3mw4ra8r, consulté le 11/07/2024. 6 MYRIA (Centre fédéral Migration), « Le gouvernement fédéral en échec face à la crise de l’accueil : crise humanitaire et atteinte à l’Etat de droit », décembre 2022, https://tinyurl.com/2wr9p32v, consulté le 11/07/2024. 7 AMNESTY INTERNATIONAL, « Elections – Droits humains des demandeur·euses d’asile, des réfugié·es et des migrant·es », 27/03/2024, https://tinyurl.com/y8styymc, consulté le 11/07/2024. 5 loi, la secrétaire d’État à l’Asile et à l’Immigration, Nicole de Moor, annonce en août 2023 exclure temporairement les hommes seuls du droit à l’asile 8. Sous couvert d’une volonté annoncée de privilégier l’accueil des familles, notre gouvernement préfère donc opter pour une mesure illégale et discriminante qui enfreint davantage les droits humains. Au-delà d’une mise à la rue inévitable pour cette catégorie de demandeurs d’asile, cette décision entrave directement le bon déroulement du traitement des demandes, puisque cela compromet la transmission d’informations aux personnes concernées, qui ne bénéficient pas des conditions nécessaires pour préparer leur procédure9. Si la situation est grave, c’est parce qu’elle ouvre la porte à deux questions des plus inquiétantes. Ainsi, si le pouvoir exécutif se moque des décisions judiciaires, que nous restet-il pour faire valoir nos droits ? Et quel autre droit sera donc bafoué de la sorte sans que cela n’inquiète sérieusement aucun·e de nos dirigeant·e·s ?10 La Belgique méprise aujourd’hui de front notre État de droit, pierre angulaire de notre démocratie. Et dans ce sens, cette « crise » humanitaire nous concerne toutes et tous, car elle entérine une faille dans les relations entre les différentes formes de pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire) qui pourrait très bien se propager à d’autres enjeux de société. NOS REVENDICATIONS Pour résoudre cette « crise » de l’accueil, nous l’avons mentionné, des leviers d’action sont à la disposition de nos gouvernements, à la fois sur le court terme et de manière structurelle. Mais cela nécessite de revoir dans sa globalité l’approche défendue en matière de politique d’asile, pour y replacer en son cœur les droits humains comme boussole. La stigmatisation de ces publics, appuyée par la droitisation des discours politiques et largement relayée dans l’opinion publique et les médias, doit aujourd’hui être contrecarrée par une vision humaine et solidaire de l’immigration, qui s’attache à déconstruire les idées reçues qui continuent, malheureusement, à se renforcer autour de ces catégories de la population extrêmement vulnérables. Ce projet politique doit s’articuler autour de trois enjeux globaux : – La mise en place de voies d’entrée sûres et légales dans notre pays, cette revendication étant d’autant plus importante pour les femmes migrantes qui sont victimes de violences spécifiques lors de leurs parcours de migration11 ; – Le respect strict du principe de non-refoulement, la condamnation des expulsions illégales et l’emploi de la détention liée à l’immigration uniquement en cas d’absolue nécessité ; – Le respect du droit à la protection internationale et du droit à l’accueil12. Nous prônons par ailleurs un accès inconditionnel à des soins de santé pour toutes et tous, quel que soit le statut de la personne concernée. C’est pourquoi nous revendiquons 8 « La secrétaire d’Etat Nicole de Moor suspend temporairement l’accueil des hommes seuls », RTBF, 29/08/2023, https://tinyurl.com/4y343yem, consulté le 11/07/2024. 9 UNIA, « Au sujet des hommes seuls demandant l’asile », 08/09/2023, https://tinyurl.com/yc6pkkmr, consulté le 11/07/2024. 10 Carte blanche collective, « Crise de l’accueil : l’incroyable mépris de l’Etat belge », Le Soir, 08/11/2022, https://tinyurl.com/2yz73h74, consulté le 11/07/2024. 11 Pour plus d’informations : VIERENDEEL Florence, « Les violences intersectionnelles : 3 profils de femmes au cœur d’inégalités croisées », Analyse Soralia, 2023, https://tinyurl.com/4trh66v4, consulté le 11/07/2024. 12 AMNESTY INTERNATIONAL, « Elections – Droits humains… », op. cit. 6 l’harmonisation et la simplification de la procédure pour bénéficier de l’aide médicale urgente (AMU). Enfin, concernant la résorption de la « crise » de l’accueil, Amnesty International souligne trois moyens d’action : – Prévoir des hébergements d’urgence dans l’attente de mesures à long terme. Plutôt que de permettre le déploiement de l’agence Frontex sur notre territoire13, mesure honteuse prise à la veille des élections du 9 juin, ne serait-il pas temps de réquisitionner des immeubles vides pour loger toutes ces personnes ? – Activer un plan de répartition obligatoire pour les autorités locales. Ce plan avait été approuvé par le Gouvernement en 2015-2019, prévoyant que chaque commune accueille un certain nombre de personnes en exil sur base de critères prédéfinis14. Celui-ci n’a jamais été mis en pratique. – Prévoir du personnel supplémentaire pour rendre opérationnelles les places d’accueil disponibles15. Alors, qu’attendent nos dirigeant·e·s ? Une chose est sûre, nombreuses·eux sont les voix de la société civile qui ne cesseront de s’élever pour dénoncer cette situation scandaleuse et inacceptable. 13 Pour plus d’informations : LAMBRECHT Marine, « Qui se cache derrière Frontex, l’agence européenne qui opérera bientôt en Belgique pour contrôler ses frontières ? », RTBF, 02/05/2024, https://tinyurl.com/4yu2zvv9, consulté le 11/07/2024. 14 RUYSSEN Arnaud, « Accueil des réfugiés en Belgique : quand l’Etat s’assied sur des milliers de décisions de justice… », RTBF, 12/12/2022, https://tinyurl.com/2k8yh5ze, consulté le 11/07/2024. 15 AMNESTY INTERNATIONAL, « Elections – Droits humains… », op. cit. 7 BIBLIOGRAPHIE « La Belgique doit remédier à la crise de l’accueil qu’elle a elle-même générée », Amnesty International Belgique, 31/10/2023, https://tinyurl.com/3mw4ra8r. « La secrétaire d’Etat Nicole de Moor suspend temporairement l’accueil des hommes seuls », RTBF, 29/08/2023, https://tinyurl.com/4y343yem. AMNESTY INTERNATIONAL, « Elections – Droits humains des demandeur·euses d’asile, des réfugié·es et des migrant·es », 27/03/2024, https://tinyurl.com/y8styymc. BERNARD Nicolas, « Le droit au logement des migrants : législation belge et droit international », Housing Rights Watch, https://tinyurl.com/yahs6964. Carte blanche collective, « Crise de l’accueil : l’incroyable mépris de l’Etat belge », Le Soir, 08/11/2022, https://tinyurl.com/2yz73h74, consulté le 11/07/2024. CORNELIS Mathieu, « En Marche – Migrants : un logement pour s’intégrer », En Marche, https://tinyurl.com/37m6bhja. LAMBRECHT Marine, « Qui se cache derrière Frontex, l’agence européenne qui opérera bientôt en Belgique pour contrôler ses frontières ? », RTBF, 02/05/2024, https://tinyurl.com/4yu2zvv9. MYRIA (Centre fédéral Migration), « Le gouvernement fédéral en échec face à la crise de l’accueil : crise humanitaire et atteinte à l’Etat de droit », décembre 2022, https://tinyurl.com/2wr9p32v. RUYSSEN Arnaud, « Accueil des réfugiés en Belgique : quand l’Etat s’assied sur des milliers de décisions de justice… », RTBF, 12/12/2022, https://tinyurl.com/2k8yh5ze. UNIA, « Au sujet des hommes seuls demandant l’asile », 08/09/2023, https://tinyurl.com/yc6pkkmr. VIERENDEEL Florence, « Les violences intersectionnelles : 3 profils de femmes au cœur d’inégalités croisées », Analyse Soralia, 2023, https://tinyurl.com/4trh66v4. Soralia est un mouvement mutualiste féministe d’éducation permanente. Un mouvement riche de plus de 100 ans d’existence, présent partout en Belgique francophone et mobilisant chaque année des milliers de personnes. Au quotidien, nous militons et menons des actions pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous défendons des valeurs et des principes fondamentaux tel·le·s que le féminisme, l’égalité, la solidarité, le progressisme, l’inclusivité et la laïcité. Pour contacter notre service études : Fanny Colard – fanny.colard@solidaris.be – 02/515 06 26 Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site. Qui sommes-nous ?
Jassogne, S. (2024, November 21). Analyse 2024 – Pas de transition juste sans protection sociale. Soralia. https://www.soralia.be/accueil/analyse-2024-pas-de-transition-juste-sans-protection-sociale/
Analyse 2024 Pas de transition juste sans protection sociale SOLSOC Rédaction externe soralia@solidaris.be Visuel de la campagne Solsoc 2024 “La protection sociale est un droit” Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site : www.soralia.be/publications Sous licence Creative Commons Éditrice responsable : Noémie Van Erps, Place St-Jean, 1-2, 1000 Bruxelles. Tel : 02/515.04.01 Siège social : place Saint-Jean, 1-2 – 1000 Bruxelles Numéro d’entreprise : 0418 827 588 • RPM : Bruxelles • IBAN : BE11 8777 9810 0148 • Tél : 02 515 04 01 • soralia@solidaris.be RÉSUMÉ Un peu partout dans le monde, nous subissons violemment des canicules interminables, des inondations d’une violence nouvelle, des ouragans, des sécheresses et la montée des eaux. Les conséquences sur le vivant de ces événements climatiques extrêmes, de plus en plus fréquents et intenses, mais aussi des dégradations environnementales causées par notre mode de production et de consommation ne sont plus à démontrer. Mais tout le monde ne subit pas ces chocs de la même manière, et ceux-ci ont aussi des conséquences sur l’accroissement des inégalités entre les habitant·e·s d’un même pays et entre les pays. Les humains portent aujourd’hui la responsabilité d’un changement de cap. Mais assurer une transition vers une économie décarbonée comporte des risques sociaux importants. C’est pourquoi un système de prévoyance comme la protection sociale, qui a pu faire ses preuves dans la réduction des inégalités, se présente aujourd’hui comme un outil fondamental à remettre au centre de nos priorités pour permettre une transition juste. Cette analyse parcourra les impacts des changements climatiques sur la santé, sur l’emploi et inégalités avant de se concentrer sur le concept même de transition juste, et du rôle de la protection sociale dans celle-ci. L’initiative d’un fonds mondial pour financer la mise en place de systèmes de protection sociale sera présentée. Et pour terminer, l’analyse explorera un cas particulier, celui des mutuelles de santé communautaires pour répondre aux défis de l’extension de la protection sociale aux travailleur·euse·s de l’économie informelle. Messages clés : – Dans le contexte d’une transition juste, faire le lien entre protection sociale, le changement climatique et la transition vers une économie neutre pour le climat en intégrant et promouvant des systèmes de protection sociale susceptibles d’accroître la résilience et de protéger les populations contre les impacts des vulnérabilités et des chocs économiques et environnementaux. – Maintenir et rendre opérationnels les programmes de coopération visant à renforcer la protection sociale universelle et s’assurer que l’agenda du travail décent soit intégré de façon cohérente dans tous les programmes de coopération au développement. – Consacrer au moins 7 % de l’APD au renforcement des mécanismes de protection sociale d’ici 2030 et l’augmenter progressivement jusqu’à 14 % ; améliorer l’efficacité de cette allocation budgétaire en transversalisant la protection sociale dans tous les secteurs d’intervention de la coopération. – S’engager dans la mise en place et soutenir structurellement et durablement les mécanismes internationaux de financement de la protection sociale, comme le « Global Accelerator on Jobs and Social Protection for Just Transitions » et s’assurer que ce fonds intègre les normes de l’OIT et lui confère un rôle central dans la gestion. – Appuyer la reconnaissance et le soutien aux mutuelles de santé comme organisations partenaires de la protection sociale universelle en santé dans le cadre de la mise en place et de la gestion de la couverture santé universelle. – Veiller à une implication spécifique des femmes, des personnes en situation de handicap et des personnes qui se définissent comme LGBTQIA+ dans les concertations autour d’une transition juste. TABLE DES MATIÈRES 1. Les impacts des changements climatiques sur l’emploi, la santé et les inégalités……. 3 2. Intersectionnalité : quand les vulnérabilités se renforcent……………………………………….. 4 3. L’Accès universel aux soins de santé …………………………………………………………………….. 5 4. La transition juste, un concept né des syndicats …………………………………………………….. 6 5. Repenser la protection sociale pour répondre au défi d’une transition juste……………… 7 6. Un fonds mondial pour soutenir la mise en place de systèmes de protection sociale.. 8 7. Le rôle central des mutuelles de santé communautaires pour permettre l’accès à un système de protection sociale aux travailleur·euse·s de l’économie informelle……………….. 9 8. Le défi de l’extension de la protection sociale dans les contextes d’insécurité et de dérèglement climatique : le cas de l’organisation ASMADE au Burkina Faso…………………… 9 EN CONCLUSION……………………………………………………………………………………………………….. 11 REVENDICATIONS POLITIQUES………………………………………………………………………………….. 11 POUR ALLER PLUS LOIN :…………………………………………………………………………………………… 12 Un peu partout dans le monde, nous subissons déjà des canicules interminables, inondations d’une violence nouvelle, ouragans, tornades, sécheresses et montée des eaux. Les conséquences de ces événements climatiques extrêmes1 , de plus en plus fréquents et intenses, mais aussi des dégradations environnementales causées par le mode de production et de consommation des pays occidentaux en particulier ne sont plus à démontrer. C’est un fait désormais avéré, l’activité humaine, polluant l’environnement, est responsable des changements climatiques et de la perte de biodiversité2 . Les catastrophes et scandales se multiplient, révélant notamment des éléments toxiques dans les sols, l’air et l’eau. L’humanité entière est affectée par ces crises, qui en entrainent d’autres sur le plan sanitaire et social. Les humains portent aujourd’hui la responsabilité d’un changement de cap. Mais assurer une transition vers une économie décarbonée comporte des risques sociaux importants. C’est pourquoi un système de prévoyance comme la protection sociale, qui a pu faire ses preuves dans la réduction des inégalités, se présente aujourd’hui comme un outil fondamental à remettre au centre de nos priorités pour permettre une transition juste. 1. Les impacts des changements climatiques sur l’emploi, la santé et les inégalités La crise climatique, de la biodiversité et de la pollution ont des conséquences sur l’accroissement des inégalités pour une raison simple : les personnes les plus précarisées ont le plus de mal à résister aux impacts, à se protéger des menaces et à se relever suite à une catastrophe. Selon la Banque mondiale, on pourrait compter 216 millions de migrant∙e∙s climatiques internes d’ici à 20503 et on estime qu’à l’échelle mondiale, d’ici 2030, 68 à 135 millions de personnes pourraient basculer dans la pauvreté à cause du changement climatique. Le réchauffement climatique met également en péril l’emploi dans le monde et l’impact de la chaleur excessive sur les travailleuses∙eurs du monde entier est en train de devenir un problème mondial, et pas seulement dans les périodes de canicule. En effet, quelques degrés de plus impactent notre capacité de travailler, à dormir, et ainsi notre productivité, ce qui crée des risques pour notre santé, pouvant provoquer une maladie, un coup de chaleur ou même la mort. D’après un rapport de 2024 de l’organisation internationale du travail (OIT)4 , le changement climatique crée un « cocktail » de risques sanitaires graves pour environ 2,4 milliards de travailleuses∙eurs exposé·e·s à une chaleur excessive. Le rapport indique que la chaleur excessive est à elle seule à l’origine de 22,85 millions d’accidents du travail et de la perte de 18 970 vies chaque année. Et ce serait en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest que le réchauffement climatique aura le plus d’impacts sur l’emploi5 . Les emplois qui sont le plus directement concernés sont ceux qui s’exercent à l’extérieur et demandent plus d’efforts physiques, ils concernent donc plus particulièrement les travailleuses et travailleurs des secteurs agricoles, du transport et du bâtiment. 1 Selon la définition proposée par OXFAM : https://www.oxfamfrance.org/climat-et-energie/les-evenements-climatiquesextremes-quand-la-planete-semballe/ 2 Depuis les années 1970, la biodiversité s’est effondrée de 68% : https://wwf.be/fr/actualites/la-biodiversite-sest-effondree-de68-depuis-1970 3 Communiqué de presse de la Banque Mondiale du 13/09/2021, https://www.banquemondiale.org/fr/news/pressrelease/2021/09/13/climate-change-could-force-216-million-people-to-migrate-within-their-own-countries-by-2050 4 ILO, « Heat at work: Implications for safety and health”, 2024, https://www.ilo.org/publications/heat-work-implications-safetyand-health 5 Deklic, 1/09/2023, L’impact du réchauffement climatique sur l’emploi : https://deklic.eco/limpact-du-rechauffementclimatique-surlemploi/#:~:text=D’apr%C3%A8s%20l’organisation%20internationale,du%20fait%20du%20changement%20climatique. Sur le plan de la santé, les vagues de chaleur, les cyclones, les incendies, les inondations, les ouragans, contribuent directement aux situations d’urgence humanitaire. Selon l’OMS6 (Organisation mondiale de la santé), entre 2030 et 2050, il est probable que le changement climatique soit responsable de près de 250 000 décès supplémentaires par an, dus uniquement à la dénutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur. Les catastrophes naturelles comme les inondations, qui s’annoncent de plus en plus fréquentes, entrainent des déplacements de population, et donc des risques de surpopulation à certains endroits : l’absence de bonnes conditions d’hygiène et la présence d’importantes sources de pollutions entrainent plus de maladies et d’infections. Là encore, ce sont principalement les zones dépourvues de bonnes infrastructures de santé, pour la plupart dans les pays du Sud global, qui seront les moins en mesure de faire face à ces afflux de nouveaux malades et blessés. On estime que le taux de mortalité dû aux phénomènes météorologiques extrêmes dans ces régions est 15 fois supérieur aux régions moins vulnérables7 . Injustice climatique8 , ce sont pourtant ces pays qui contribuent le moins à l’augmentation des émissions mondiales, et ce sont eux qui en payent le prix le plus élevé. Les lunettes de l’intersectionnalité nous amènent aussi à ne pas oublier que ces risques sanitaires sensibles au climat, tout comme son impact sur le travail sont ressentis de manière disproportionnée par les personnes les plus vulnérables et défavorisées, notamment les femmes, les enfants, les minorités ethniques, les communautés pauvres, les migrants ou les personnes déplacées, les populations âgées et les personnes souffrant d’affections sousjacentes. Toujours selon l’OMS, le changement climatique compromet aussi la capacité des États les plus touchés à étendre l’offre de santé et mettre sur pied une couverture santé universelle9 . Pourtant, malgré les appels répétés des scientifiques et des organisations internationales, les réponses données à l’urgence climatique ne sont que trop rarement à la hauteur de l’enjeu : le capitalisme atteint sans complexes son heure de gloire, la surproduction explose au mépris des droits des travailleurs et travailleuses. Les riches n’ont jamais été aussi riches, et les pauvres aussi pauvres. 2. Intersectionnalité : quand les vulnérabilités se renforcent D’après les résultats du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les personnes qui sont déjà les plus vulnérables et les plus marginalisées seront les plus touchées. Il est probable que les personnes les plus pauvres, principalement dans les pays du Sud global, seront touchées de manière disproportionnée et devront donc, plus encore que d’autres, développer des stratégies d’adaptation pour faire face aux changements climatiques. Les femmes en particulier sont plus vulnérables que les hommes, en grande partie parce qu’elles représentent la majorité des pauvres dans le monde et dépendent davantage des ressources naturelles menacées. Selon l’ONU10, sur 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté, 70 % sont des femmes. Dans les régions urbaines, 40 % des ménages les plus pauvres ont une femme pour cheffe de famille. Alors que les femmes jouent un rôle clé dans la production alimentaire mondiale (50 à 80 %), elles détiennent moins de 10 % des terres. Elles ne peuvent disposer pleinement et librement des biens et des services 6 12/10/2023, OMS, « Changement climatique et santé » : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climatechange-and-health 7 Idem 8 Campagne du CNCD sur la Justice Climatique : https://www.cncd.be/-justice-climatique9 12/10/2023, OMS, « Changement climatique et santé » : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climatechange-and-health 10 Balgis Osman-Elasha, « Les femmes …dans le contexte des changements climatiques », Chroniques ONU, https://www.un.org/fr/chronicle/article/le-femmes-dans-le-contexte-des-changements-climatiques environnementaux, elles participent très peu à la prise de décision et sont exclues des projets de gestion de l’environnement. Elles sont donc moins aptes à faire face aux changements climatiques. Pourtant les femmes ont une force d’action considérable, elles peuvent développer des formes efficaces et originales d’adaptation et d’atténuation face au changement climatique. Certes, il est nécessaire de reconnaitre leur vulnérabilité et il faut développer des mesures spécifiques pour les protéger, mais il s’agit d’abord et avant tout de les associer aux espaces de décision et de réflexion autour de mesures d’adaptation et d’atténuation face au changement climatique. D’autres groupes particulièrement marginalisés nécessitent également une attention particulière dans le cadre d’une transition vers des systèmes moins destructeur de l’environnement qui tiennent compte de toutes et tous, avec ses fragilités. C’est le cas des personnes porteuses de handicaps, mais aussi des personnes LGBTQIA+, qui sont notamment souvent marginalisées ou exclues et souvent situées en périphérie des villes, ou dans les zones plus inondables ou fragiles. En cas de choc climatique, ce sont les plus violements touchées, les plus exclues et les moins résilientes compte tenu de leurs conditions de vie déjà précaires ou de leur état de santé fragile. Il est donc d’autant plus important de prendre en compte ces groupes spécifiques et de les intégrer aux espaces de décision et réflexion pour développer des mesures adaptées. Des stratégies spécifiques peuvent aussi être envisagées pour les femmes et les personnes les plus vulnérables, comme notamment des mécanismes d’adhésion aux mutuelles de santé (ce qui sera développé au point 6 de ce document). 3. L’Accès universel aux soins de santé La protection sociale permet notamment l’accès financier à des soins de santé. Trop souvent, la santé est un privilège pour les plus riches plutôt qu’un droit fondamental pour toutes et tous. Les médecins et les centres de santé sont généralement situés dans les villes. Par conséquent, les habitant·e·s des zones rurales doivent parcourir de longues distances pour obtenir une consultation, ou ne peuvent tout simplement pas s’y rendre. Par choix néolibéral, par économie ou par manque de ressources, les gouvernements laissent les soins de santé au secteur privé. Le profit est alors plus important que le bien-être des patient·e·s. Les services se détériorent et les soins de qualité ne sont disponibles que dans des hôpitaux privés onéreux. Les médicaments sont moins faciles à obtenir ou plus chers. Or, la majorité de la population n’a accès qu’au système public, particulièrement la majorité des personnes ayant un emploi dans l’économie informelle. On assiste dès lors à une médecine à deux vitesses : un système de santé publique et un système de santé privé, avec des soins de santé de qualité différente, le système public étant souvent gravement sous-financé et souffrant d’un manque de personnel, de médicaments ou de matériel et d’équipement médical. Mais il n’y a pas que les obstacles logistiques et financiers immédiats. Les personnes en situation de vulnérabilité sociale sont plus souvent et plus durement touchées par l’impact des facteurs environnementaux sur la santé, ce qui se traduit par des inégalités en matière de santé. Souvent, les gens n’en sont pas conscients. Les déterminants sociaux font référence aux conditions dans lesquelles les gens grandissent, vivent, travaillent et habitent. Ces facteurs environnementaux exercent une influence importante sur notre santé. Par exemple, les poussières fines, la pollution sonore, une maison insalubre ou un quartier dangereux peuvent avoir un impact direct sur la santé. Le prix et la disponibilité d’aliments sains, ainsi que les revenus perçus, influencent à leur tour notre alimentation et notre santé. Et ceux-ci sont renforcés avec le dérèglement climatique et les catastrophes environnementales, il suffit de penser à la pollution de l’eau par les grandes entreprises ou aux inondations et les ouragans. Il faut s’attaquer aux inégalités socio-économiques en matière de santé et mettre en place une politique de prévention forte. Comme dit l’adage, mieux vaut prévenir que guérir ! Pour y parvenir, il faut permettre aux patient∙e∙s de redevenir actrices·eurs de leur propre santé. Les organisations de la société civile et les mutuelles de santé que soutiennent FOS et Solsoc dans les pays partenaires travaillent sur cette implication et cette participation à la santé. Elles rassemblent les personnes concernées lors de réunions sur la santé aux niveaux local, régional et national afin d’identifier les déterminants sociaux. Pour faire face à ces problèmes, il est nécessaire de transformer les modèles de santé, en s’appuyant sur la force locale et l’énorme richesse d’expérience et de vision des mouvements de santé. La transition juste est un déterminant social essentiel de la santé. Un élément inspirant à cet égard est le « Buen vivir » : un concept d’Amérique latine qui porte une vision totale de la santé, non seulement pour les humains, mais aussi pour tous les êtres vivants et pour la planète. Nous ne pouvons pas vivre en bonne santé si la planète elle-même n’est pas en bonne santé. Des ONG comme FOS et Solsoc, en collaboration avec les organisations de santé et les mutuelles, font pression en faveur de mécanismes de dialogue institutionnalisés où les mutuelles et les OSC peuvent négocier structurellement et efficacement, non seulement avec les prestataires de soins de santé, mais aussi avec les représentant∙e∙s du gouvernement sur les priorités clés de la politique de santé. 4. La transition juste, un concept né des syndicats Compte tenu de tous ces éléments, il est urgent de transformer l’économie vers une économie décarbonée pour limiter les changements climatiques et leurs impacts. Mais cela entrainerait des bouleversements très importants sur le monde du travail et une aggravation des inégalités. Les réductions de postes à venir dans les industries polluantes seront massives et la perte de revenus pour de nombreuses∙eux travailleuses∙eurs sera dramatique. Cela devra être compensé par la création de nouveaux emplois dans des secteurs non polluants. Toutefois, la reconversion de la population active nécessitera une montée en compétences inédite à laquelle seule une politique ambitieuse d’investissement social dans le capital humain pourra répondre. Mais il faudra également pouvoir compter sur des dispositifs permettant aux travailleuses et aux travailleurs de prendre le temps de se former, et de trouver un nouvel emploi. Historiquement, la notion de transition juste apparait dans les années 80 au sein des syndicats américains pour protéger les travailleurs et les travailleuses touché·e·s par les nouvelles réglementations sur la pollution de l’eau et de l’air. Ces dernières années, cette notion connait un renouveau suite à une volonté marquée d’embarquer l’ensemble de la société – toutes les communautés, les travailleuses∙eurs, les groupes sociaux, et ce dans tous les pays – dans une transformation sociétale qui réponde aux enjeux climatiques et qui soit inclusive et équitable. L’Organisation internationale du Travail (OIT) définit la transition juste comme suit : « rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté »11 . Si cette définition est une base communément acceptée, la perception d’une transition juste varie selon les pays et les régions. La Confédération Syndicale Internationale (CSI) propose une définition plus complète, qui intègre l’importance du dialogue social dans cette transition : « Une transition juste assure l’avenir et la subsistance des travailleurs et travailleuses et de leurs communautés lors de la transition vers une économie à faible émission de carbone. Elle repose sur le dialogue social entre les travailleurs et travailleuses et leurs syndicats, les employeurs et le gouvernement et sur la consultation des communautés et de la société civile. Un plan pour une transition juste prévoit et garantit des emplois meilleurs et décents, davantage de possibilités de formation et une plus grande sécurité d’emploi pour tous les travailleurs et travailleuses affectés par les politiques en matière de réchauffement global et de changement climatique » 12 . 5. Repenser la protection sociale pour répondre au défi d’une transition juste Face au chamboulement que suscitera la transition d’une économie carbonée vers une économie décarbonée, il est urgent de repenser la protection sociale, et d’en faire une stratégie ambitieuse grâce à son potentiel de résilience pour la population, en permettant à ses bénéficiaires d’absorber les impacts du dérèglement climatique et de s’y adapter. Ce n’est qu’à cette condition que nos sociétés seront en mesure de faire face aux crises à venir. D’après certaines estimations, plus de 100 millions de personnes pourraient se retrouver dans une situation de pauvreté extrême d’ici à 2030 en raison du changement climatique. Un régime de protection sociale solide permettrait de réduire considérablement ce nombre en le faisant passer à 20 millions13 . Comme le rappelait la campagne menée par Solsoc, FOS et IFSI en 2020, « la protection sociale est un droit, pas un privilège14 ! », plusieurs normes internationales consacrent ce droit comme fondamental et universel15 . Pourtant, malgré l’engagement pris par les États, la protection sociale est encore loin d’être une réalité partout et pour tou∙te∙s. On estime qu’aujourd’hui, moins de la moitié de la population mondiale (46,9 %) a accès à la protection sociale16, le défi reste donc colossal. Et lorsqu’elle est bien implantée, comme dans notre pays, on fait face à des tentatives répétées de la détricoter. Or, il est urgent de mettre en place de tels systèmes de solidarité nationaux et internationaux structurels, inclusifs, résilients, bien financés afin que personne ne reste sur le carreau en cas de crise. La protection sociale est sans conteste un élément fondamental d’une transition juste, qui permet de repenser l’économie et le mode de fonctionnement de la société. Celle-ci peut ainsi assurer divers types de protection tels que des allocations de remplacement en cas de maladies professionnelles, des indemnités de chômage le temps que les travailleuses∙eurs qui perdent leurs emplois dans les secteurs les plus polluants puissent se réorienter vers de nouveaux secteurs, un remboursement des soins de santé en cas de maladie liée à la crise climatique ou environnementale, etc. 11 Définition de la Transition Juste selon l’OIT : https://www.ilo.org/global/topics/green-jobs/WCMS_824705/lang–fr/index.htm 12 Définition de la Transition juste selon la CSI : https://www.ituc-csi.org/just-transitioncentre?lang=fr#:~:text=Une%20transition%20juste%20assure%20l,%C3%A0%20faible%20%C3%A9mission%20de%20carbone. 13 Groupe Banque Mondiale (2016) : https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/22787/9781464806735.pdf 14 La campagne est à découvrir ici : https://www.laprotectionsocialeestundroit.org/ 15 Principalement la Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 22, la Convention de 1952 de l’OIT concernant la sécurité sociale (norme minimum) (no 102), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 9, la Convention relative aux droits de l’enfant, art. 26, et la Convention relative aux droits des personnes handicapées, art. 28. 16 Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT) : https://www.ilo.org/brussels/informationresources/news/WCMS_846968/lang–fr/index.htm. Il est important de noter que ces pourcentages mondiaux masquent d’importantes disparités entre les régions et au sein de celles-ci : si le taux de couverture est supérieur à la moyenne mondiale en Europe et Asie centrale (83,9%) et dans les Amériques (64,3%), il se situe en deçà dans la région de l’Asie et du Pacifique (44,1%), dans les États arabes (40%) et en Afrique (17,4%). Un système de protection sociale solide passe aussi par une société civile forte, et en particulier par un renforcement des syndicats et des mutuelles de santé qui ont un rôle prépondérant dans la défense et l’extension de la protection sociale. Les mutuelles collectent les cotisations, assurent le remboursement des soins pour les prestataires et pour les affilié∙e∙s. De même pour les syndicats qui, comme en Belgique, ont un rôle de cogestion des organismes dont l’activité est liée à la vie professionnelle (caisses nationales d’assurance maladie, d’allocations familiales, d’indemnisation des chômeuses∙eurs…). Mais surtout via leur rôle de représentation de leurs affilié∙e∙s et de défense de leurs droits. Et c’est aussi le rôle de la solidarité internationale de soutenir les mouvements sociaux des pays du Sud global. L’enjeu pour ces mouvements sociaux sera aussi d’accompagner leurs gouvernements pour repenser les dispositifs de protection sociale pour qu’ils puissent répondre aux défis de la transition juste, en intégrant les défis sociaux de manière continue. On peut notamment penser à des mécanismes de compensation des conséquences du changement climatique, mais aussi aux défis posés par la transition concernant les moyens de subsistance, les revenus et les emplois, le coût de l’énergie pour les ménages à revenus modestes, ainsi qu’à la portabilité des droits de protection sociale dans les cas de déplacement transfrontaliers (y compris les déplacements dus à la transition vers des économies écologiquement durables et aux conséquences du changement climatique), tels que le préconisent les principes directeurs de la transition juste de l’OIT17 . 6. Un fonds mondial pour soutenir la mise en place de systèmes de protection sociale Dès l’adoption en 2012 de la recommandation 202 par l’OIT (recommandations sur les socles de protection sociale), la question de la protection sociale a pris beaucoup d’ampleur dans le débat sur le développement. Néanmoins, très peu de moyens sont fournis pour soutenir la création et le renforcement des systèmes de protection sociale dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Moins de 1 % de l’ensemble de l’aide publique au développement (APD) des États membres du CAD (Comité d’aide au développement) de l’OCDE est consacré à la protection sociale. Il est pourtant nécessaire de mettre davantage l’accent sur la protection sociale pour réaliser des avancées notables dans ce domaine. Une piste concrète se dégage aujourd’hui pour soutenir la mise en place de systèmes de protection sociale partout et en particulier dans les pays du Sud global, à travers la mise en place d’un fonds mondial, qui prend le nom de Global Accelerator on Jobs and Social Protection for Just Transitions. Il s’agit d’une initiative des Nations Unies soutenue par de nombreux pays, dont la Belgique lancée en septembre 2021. La mise en place de cet « Accelerator » a pris quelque temps, mais depuis avril 2023, ce fonds commence à prendre forme et le travail débute au niveau de certains pays dits « pionniers ». L’objectif déclaré de cette initiative est de créer au moins 400 millions d’emplois décents (notamment dans les secteurs de l’économie verte, du numérique et des soins), d’étendre la protection sociale aux 4,1 milliards de personnes qui en sont complètement exclues aujourd’hui et de l’étendre aux 46,9 % de la population mondiale qui, en 2020, bénéficiaient d’au moins une prestation sociale. L’Accélérateur mondial repose sur trois piliers complémentaires qui se renforcent mutuellement : mettre en place des stratégies et politiques nationales ; un financement qui associe des ressources nationales et l’appui financier international, et une coopération multilatérale renforcée. 17 OIT, Principes directeurs de la transition juste, pp17 – 18, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_emp/— emp_ent/documents/publication/wcms_432864.pdf 7. Le rôle central des mutuelles de santé communautaires pour permettre l’accès à un système de protection sociale aux travailleuses∙eurs de l’économie informelle Dans son immense majorité, l’accès aux systèmes de protection sociale se fait via le travail formel : une part des salaires est prélevée afin de financer le système et le·la travailleur·euse bénéficie de l’accès à la protection sociale. Pourtant, dans la plupart des pays à revenus faibles et intermédiaires, l’emploi est majoritairement informel18, et en particulier pour les femmes. Toutes ces personnes s’en trouvent donc de facto exclues. À travers la coopération bilatérale indirecte, des ONG comme Solsoc soutiennent depuis de nombreuses années des initiatives visant à étendre l’accès à la santé et à la protection sociale aux personnes actives dans l’économie informelle. Avec l’appui de Solidaris, Solsoc appuie des mutuelles de santé communautaires dans 4 pays d’Afrique19. Pour un travailleur ou une travailleuse de l’économie informelle, le fait de s’affilier à une mutuelle de santé communautaire lui permet de bénéficier d’un accès aux soins de base et d’une couverture santé complémentaire pour les soins hospitaliers, et ainsi de se faire soigner sans se ruiner. En tant que système contributif, solidaire et basé sur la prévoyance, une mutuelle de santé évite à ses membres l’appauvrissement que peuvent provoquer des dépenses inattendues. Mais au-delà, une mutuelle est aussi un système démocratique, assurant une représentativité de ses membres, d’autant plus lorsque l’État lui confie le statut d’organisme de gestion délégué, comme c’est le cas en Belgique. Dès lors, elle joue pleinement le rôle de contrepouvoir en faisant valoir les droits de ses usagères∙ers dans la définition des politiques de santé publique. Même si ces initiatives apportent des solutions réelles grâce aux contributions solidaires des membres, si l’on veut viser une extension à grande échelle, il faut qu’il y ait une volonté politique et une capacité d’investir dans la protection sociale au niveau national. C’est pour cette raison que Solsoc et ses organisations partenaires font un travail de plaidoyer au sein des plateformes nationales des acteurs mutualistes pour la mise en place ou l’extension des systèmes nationaux de couverture santé et de protection sociale. 8. Le défi de l’extension de la protection sociale dans les contextes d’insécurité et de dérèglement climatique : le cas de l’organisation ASMADE au Burkina Faso C’est une sécheresse de près de 30 ans qu’a enduré la région du Sahel entre la fin des années 60 et le début des années 90, entrainant notamment la dépendance à l’assistance alimentaire de plus 750 000 personnes au Mali, au Niger et en Mauritanie20 . Après des décennies de sécheresse, la pluviométrie est de plus en plus imprévisible au Sahel. On assiste à une grande irrégularité de la pluviosité dont des pluies extrêmes entrainant des crues soudaines et l’érosion des sols, mais aussi à l’augmentation des températures, etc. Le Burkina Faso aussi subit de plein fouet les effets du dérèglement climatique, comme l’explique Juliette Compaore, Secrétaire exécutive de l’organisation burkinabè ASMADE, soutenue par l’ONG belge Solsoc : « L’industrialisation n’est pas très développée chez nous, mais les effets du dérèglement climatique sont palpables avec les inondations et des 18 60% des personnes actives dans le monde du travail travaillent dans l’économie informelle (Source : OIT, 2019) 19 Au Sénégal, au Burkina Faso, au Burundi et en République Démocratique du Congo, https://www.solsoc.be/actions/ 20 BIT, Protection sociale et changement climatique, Comment la protection sociale peut-elle couvrir les risques climatiques courants au Sahel ? https://www.social-protection.org/gimi/Media.action;jsessionid=XJxJmY-yMtufZDs3crV5TCD8C8_7ZC3iNA2nLT9hBeujWqt9eeb!1945465934?id=16473 sécheresses. Aujourd’hui, des zones qui étaient encore il y a peu les greniers du pays n’ont plus de ressources. Le programme que nous mettons en œuvre porte sur le développement d’initiatives d’économie sociale et solidaire et sur la protection sociale via notre appui au développement des mutuelles de santé. Concrètement, nous accompagnons notamment des femmes qui travaillent dans l’agroalimentaire à réduire l’utilisation du bois de chauffe et à utiliser d’autres stratégies qui préservent l’environnement. Nous renforçons également l’approche mutualiste, et nous démontrons son articulation avec le changement climatique : une personne qui est en bonne santé peut travailler à développer des mécanismes et des moyens de production qui respectent l’environnement. Plus généralement, nous sensibilisons à travers nos programmes à ce que les communautés puissent adopter des comportements qui préservent les richesses de notre sous-sol ». Le Burkina Faso fait aussi face à une grande insécurité et à un déplacement très important de population en raison de mouvements d’insurrection djihadistes 21. ASMADE travaille activement à l’extension de la protection sociale par le biais du développement des mutuelles communautaires et fait face à de nouveaux défis pour continuer à garantir l’inclusion dans le système des personnes déplacées. Juliette Compaoré revient sur cette problématique : « Il faut que l’État construise un mécanisme inclusif. Un mécanisme qui prend en compte ceux et celles qui peuvent cotiser, mais qui prévoit aussi l’accompagnement des personnes qui sont déplacées, qui ne peuvent plus travailler dans leurs champs et qui donc ne peuvent pas contribuer. Nous devrions aussi développer des programmes de réinsertion, d’accompagnement économique pour que ces personnes puissent, dans la durabilité, bénéficier des services offerts par les mutuelles. Parce que même s’il existe une prise en charge de ces personnes, lors d’une crise aussi profonde que celle que nous vivons actuellement, s’il n’y a pas de stratégie pour accompagner les gens à reconstruire leur pouvoir économique, ils resteront dans la dépendance. Le problème qu’on rencontre c’est que les personnes sont souvent trop dignes pour oser se déclarer « personne indigente », un statut qui permet de bénéficier des services sociaux de façon permanente. Ce qu’il faut, c’est que l’assurance maladie universelle se mette en place et que tous les leviers soient mis en place pour avoir réellement l’effectivité de l’universalité de l’assurance-maladie : que les personnes qui peuvent cotiser cotisent et que les personnes qui sont temporairement dans l’incapacité de cotiser bénéficient de mécanismes pour les couvrir. Parallèlement, nous devons veiller à ce que les personnes déplacées retrouvent leurs moyens de production pour redevenir autonomes et contribuables. L’assistance sociale reste un levier, mais l’assurance également. Le mécanisme national, tel qu’il se met en place, ne peut se déployer sur tout le territoire qu’en s’appuyant sur des acteurs de proximité, et les mutuelles sont des acteurs de proximité. Elles ont démontré leurs compétences dans le travail de veille, de redevabilité, mais aussi de communication. Pourtant, en situation d’urgence, les gens définissent d’autres priorités, alors que la protection sociale reste le mécanisme le plus puissant pour amortir les chocs. Les mutuelles sont les premières structures alternatives de proximité et donc, nous demandons qu’il y ait plus de soutien pour qu’on puisse renforcer le travail des mutuelles, pour qu’elles aient une base plus large, pour qu’elles puissent communiquer davantage, et qu’elles puissent permettre à la personne qui est dans la zone la plus reculée d’être liée à un mécanisme de prise en charge. C’est à cette condition que l’assurance maladie pourra être 21 Selon l’UNHCR, on compte un million de personnes déplacées au Burkina Faso en raison de l’insécurité et du dérèglement climatique. https://www.unhcr.org/be/activites/changement-climatique-et-deplacements effectivement universelle dans mon pays et répondre aux besoins de l’ensemble des populations ». EN CONCLUSION Il y a urgence de repenser le système économique mondial pour répondre à l’enjeu climatique. Et si la situation peut sembler sombre, elle peut aussi être une formidable opportunité. L’opportunité d’abord d’entamer une profonde réflexion sur les conditions qui ont mené à la situation actuelle. La transition juste doit reconnaitre que notre système économique perpétue les inégalités et les violences, en particulier de genre tout en ignorant le travail des femmes. Une transition juste doit s’attaquer aux inégalités de genre et notamment celles liées aux systèmes extractivistes22, coloniaux, racistes et patriarcaux. Elle ne pourra se faire qu’avec l’accompagnement d’une série de mesures pour ne laisser personne de côté et en impliquant toutes les personnes concernées. La protection sociale universelle tout au long du cycle de vie, et pour toutes et tous, serait une contribution essentielle à un développement résilient au changement climatique. Les gouvernements et les agences multilatérales y prêtent depuis de nombreuses années une certaine attention, mais aujourd’hui, cela doit devenir une priorité, et la solidarité entre pays enrichis et appauvris doit être plus forte que jamais. Afin de veiller à ce que l’extension de la protection sociale réponde aux préoccupations et problématiques vécues et soit un véritable outil de résilience et d’adaptations à une transition sociétale. Ici aussi, il est essentiel que la société civile y garde un rôle central. REVENDICATIONS POLITIQUES ▪ BE – Atteindre les 0,7% du RNB alloué à la solidarité internationale afin de soutenir les pays du Sud global dans leur transition juste. ▪ BE / UE / WBI23 : Dans le contexte d’une transition juste, faire le lien entre protection sociale, le changement climatique et la transition vers une économie neutre pour le climat en intégrant et promouvant des systèmes de protection sociale susceptibles d’accroître la résilience et de protéger les populations contre les impacts des vulnérabilités et des chocs économiques et environnementaux. ▪ BE / UE / WBI : Maintenir et rendre opérationnels les programmes de coopération visant à renforcer la protection sociale universelle et s’assurer que l’agenda du travail décent soit intégré de façon cohérente dans tous les programmes de coopération au développement. ▪ BE – Consacrer au moins 7 % de l’APD au renforcement des mécanismes de protection sociale d’ici 2030 et l’augmenter progressivement jusqu’à 14 % ; améliorer l’efficacité de cette allocation budgétaire en transversalisant la protection sociale dans tous les secteurs d’intervention de la coopération. ▪ BE – S’engager dans la mise en place et soutenir structurellement et durablement les mécanismes internationaux de financement de la protection sociale, comme le « Global Accelerator on Jobs and Social Protection for Just Transitions » et s’assurer que ce fonds intègre les normes de l’OIT et lui confère un rôle central dans la gestion. 22 L’extractivisme désigne un mode spécifique d’accumulation de richesses, reposant sur des « activités qui extraient d’importantes quantités de ressources naturelles qui ne sont pas transformées (ou qui le sont seulement dans une faible mesure) principalement destinées à l’export. L’extractivisme ne se limite pas seulement aux minerais ou au pétrole, il est également présent en agriculture, en sylviculture, ainsi que dans le secteur de la pêche ». (Acosta, 2013) 23 Mémorandum du CNCD pour les élections de 2024, pp 22 – 23. ▪ BE – Appuyer la reconnaissance et le soutien aux mutuelles de santé comme organisations partenaires de la protection sociale universelle en santé dans le cadre de la mise en place et de la gestion de la couverture santé universelle. ▪ BE / UE / Institutions Internationales – Renforcer les sociétés civiles, les syndicats et les mutuelles de santé qui ont un rôle prépondérant dans la défense et l’extension de la protection sociale ▪ Pays / Institution Internationales / Mutuelles de santé – développer la portabilité des droits de protection sociale dans les cas de déplacement transfrontaliers (y compris les déplacements dus à la transition vers des économies écologiquement durables et aux conséquences du changement climatique). ▪ Pays – Se concerter avec la société civile au niveau des plans climats nationaux ▪ Pays / Institutions Internationales – Veiller à une implication spécifique des femmes, des personnes en situation de handicap et des personnes qui se définissent comme LGBTQIA+ dans les concertations autour d’une transition juste. POUR ALLER PLUS LOIN : ▪ Campagne de Solsoc, 2021, la protection sociale est un droit, pas un privilège : https://www.laprotectionsocialeestundroit.org/ ▪ Campagne du CNCD sur la Justice Climatique : https://www.cncd.be/-justice-climatique- ▪ Confédération Syndicale Internationale, 26/11/2018, Rapport de la CSI sur les politiques sociales et économiques : Le rôle de la protection sociale dans la transition juste, https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/role_of_social_protection_in_a_just_transition_fr.pdf ▪ Koen Vlemincks, 2024, Face au changement climatique : comment la protection sociale et les mesures en faveur du travail et de l’emploi peuvent-elles soutenir l’adaptation et l’atténuation ?, SOCIEUX: https://socialsecurity.belgium.be/sites/default/files/content/docs/fr/news/final_fr_clim ate_change_social_protection_labour_employment.pdf ▪ OIT, 2019, Travailler sur une planète plus chaude. L’impact du stress thermique sur la productivité du travail et le travail décent : https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/— dgreports/—dcomm/—publ/documents/publication/wcms_737037.pdf ▪ OIT, 2024, Heat at work: Implication for safety and health, https://www.ilo.org/publications/heat-work-implications-safety-and-health ▪ OMS, 12/10/2023, « Changement climatique et santé » : https://www.who.int/fr/newsroom/fact-sheets/detail/climate-change-and-health Solsoc est une organisation non gouvernementale (ONG) agréée par la Coopération belge au développement (DGD). Elle est l’une des organisations de solidarité internationale de l’Action commune socialiste. En partenariat avec différentes composantes de celle-ci, Solsoc soutient des mouvements sociaux en et des organisations de la société civile en Afrique, Amérique latine et au Proche-Orient afin de contribuer à un changement social progressiste, laïque et démocratique. Plus d’infos : www.solsoc.be Faire un don : BE52 0000 0000 5454 Soralia est un mouvement mutualiste féministe d’éducation permanente. Un mouvement riche de plus de 100 ans d’existence, présent partout en Belgique francophone et mobilisant chaque année des milliers de personnes. Au quotidien, nous militons et menons des actions pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous défendons des valeurs et des principes fondamentaux tel·le·s que le féminisme, l’égalité, la solidarité, le progressisme, l’inclusivité et la laïcité. Pour contacter notre service études : Fanny Colard – fanny.colard@solidaris.be – 02/515 06 26 Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site. Qui sommes-nous ?
Jassogne, S. (2024, June 10). Résultats électoraux juin 2024 : les lignes rouges du réseau associatif de Solidaris. Soralia. https://www.soralia.be/accueil/resultats-electoraux-juin-2024-les-lignes-rouges-du-reseau-associatif-de-solidaris/
Résultats électoraux juin 2024 : les lignes rouges du réseau associatif de Solidaris
Au lendemain des élections régionales, fédérales et européennes, nous, réseau associatif de Solidaris (Soralia, Sofélia, Liages, Latitude Jeunes et Esenca), déplorons la montée globale de l’extrême droite et une nette consolidation de la droite dans nos Parlements, tant en Belgique qu’au niveau de l’Union européenne. L’extrême droite est une réelle menace pour notre démocratie, nos libertés et nos droits, plus particulièrement pour l’ensemble de nos publics (tant les personnes précarisées, que les femmes, les jeunes, les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTQIA+ ou encore les personnes âgées).
Nous rappelons donc l’importance absolue de maintenir le cordon sanitaire en Belgique et de refuser toute alliance avec l’extrême droite, de quelque nature qu’elle soit et peu importe l’instance envisagée. Nos associations restent par ailleurs particulièrement vigilantes par rapport aux programmes politiques de droite qui mettent en cause notre Etat social et s’éloignent de nos revendications.
Face à ces résultats, nous, forces de gauche, devons plus que jamais nous unir et reconquérir le terrain des récits. Nous devons continuer à coconstruire un projet de société alternatif, fondé sur des valeurs communes et émancipatrices telles que l’égalité, la solidarité, l’inclusivité et le respect du vivant. Nous le savons, les prochains mois seront rythmés par des négociations entre les partis et la formation de nouveaux Gouvernements. Dans ce cadre, nos associations seront intransigeantes sur plusieurs points :
- Nous exigeons une protection sociale et des services publics à hauteur des besoins et assurant des conditions de vie digne à la population. Leur financement doit reposer sur une politique fiscale juste, garantissant une redistribution plus équitable de la richesse produite. Or, à ce jour, les recettes de la sécurité sociale sont insuffisantes. La solution n’est pas de réduire les prestations mais bien de garantir le financement de l’État social, qui doit reposer sur une contribution juste et progressive des individus et des entreprises, dépendante de leurs revenus et des profits.
- Nous réclamons l’individualisation des droits sociaux, avec en priorité, la suppression du statut de cohabitant⸱e qui a été budgétisée par le PS lors de la dernière législature. Cette mesure, que nous dénonçons depuis des décennies, est à la fois obsolète au regard de l’évolution de nos structures familiales mais également totalement injuste vu que chacun⸱e cotise de manière individuelle. Plusieurs partis politiques en ont fait leur cheval de bataille : nous souhaitons désormais que les actes dépassent les mots.
- Nous demandons la mise en place de mesures concrètes permettant la réelle effectivité du droit à un logement décent inscrit dans la constitution. Pour de trop nombreuses personnes encore, le logement est une source de préoccupation là où il devrait constituer un socle de stabilité et un bouclier contre la précarité. Nous réclamons que le logement ne soit plus traité comme un marché ordinaire mais comme une question de santé publique.
- Nous revendiquons une réelle application de la Convention ONU relative aux droits des personnes handicapées et notamment avec un renforcement de la prise en compte du handicap dans l’ensemble des politiques (Handistreaming), en vertu de l’article 22 ter de la Constitution Belge. Cela implique d’assurer un niveau et une qualité de vie digne et inclusive pour chaque personne, quel que soit le handicap rencontré, à tous les niveaux de la vie et ce dès le plus jeune âge. Des enjeux fondamentaux comme le niveau de revenus, d’allocations, mais aussi d’accessibilité à toutes les sphères de la vie sont des éléments incontournables.
- Nous refusons la marchandisation des corps des femmes. En 2019, une proposition de loi rédigée par les socialistes et cosignée par les libéraux, les écologistes, le PTB et Défi visant à améliorer les conditions d’accès à l’avortement avait été déposée. Le CD&V avait alors monnayé sa mise au frigo afin de monter dans la coalition Vivaldi. Nous ne cautionnerons pas que le droit à l’avortement soit une nouvelle fois au cœur d’un chantage politique honteux. En effet, nos associations resteront mobilisées afin de faire aboutir favorablement ce dossier et d’améliorer les conditions d’accès à l’avortement en Belgique.
Les élections n’ont jamais été une fin en soi, mais bien une étape démocratique qui permet d’ouvrir de nouveaux horizons politiques, tantôt heureux, tantôt malheureux. Ces prochaines années, comptez sur nous, notre devoir de vigilance, nos missions de plaidoyer et notre travail de relais de la parole citoyenne ne seront que plus forts.
Jassogne, S. (2024, January 24). La désinformation autour de l’EVRAS : un phénomène à condamner fermement dans un contexte de montée des extrémismes. Soralia. https://www.soralia.be/accueil/la-desinformation-autour-de-levras-un-phenomene-a-condamner-fermement-dans-un-contexte-de-montee-des-extremismes/
La désinformation autour de l’EVRAS : un phénomène à condamner fermement dans un contexte de montée des extrémismes
Communiqué de presse – 28 septembre 2023
Si, aujourd’hui, Soralia, Sofélia et Solidaris se réjouissent de l’adoption de l’Accord de Coopération EVRAS (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) par les trois Parlements francophones de notre pays[1] , nous ne pouvons que déplorer le mouvement de contestation qui s’est déployé à son encontre depuis la rentrée scolaire. À la Une des médias, et ce, même au-delà de nos frontières, de nombreuses campagnes de désinformation autour de l’EVRAS ont inondé les réseaux sociaux ainsi que nos boîtes aux lettres, allant jusqu’à déclencher des actes de dégradation envers certaines écoles. Cette stratégie de décrédibilisation n’est pas anodine : elle s’inscrit dans un contexte de montée des extrémismes, qui cherchent à visibiliser leur idéologie en totale opposition aux valeurs que nous défendons au sein du réseau associatif de Solidaris.
Des stratégies habiles qu’il ne faut pas prendre à la légère
Saviez-vous que, sur les réseaux sociaux, les « fakes news » circulent 6 fois plus vite que les informations véridiques ?[2] Ainsi, la vitesse de propagation de ces contenus entrave et compromet la mission des associations qui possèdent des informations justes et fiables au sujet de l’EVRAS. Pourquoi ? Car s’attaquer à cette désinformation demande un travail de fond et de vulgarisation qui peine à s’inscrire dans une société de l’immédiateté. De plus, ces messages de sensibilisation sont, pour ces plateformes commerciales, nettement moins vendeurs et attrayants que des titres chocs, répandus par les détractrices·teurs de l’EVRAS.
Au-delà de cette utilisation astucieuse des nouveaux moyens de communication, les propagatrices·teurs de fake news autour de l’EVRAS s’appuient sur des éléments de discours et un registre spécifiques. En attisant la peur, en jouant sur l’émotionnel, en créant la polémique et une panique morale démesurée, ces groupuscules génèrent des caisses de résonnance aux idées les plus conservatrices de notre société.
En effet, dès qu’une loi progressiste est votée, les mouvements conservateurs s’affolent. En s’emparant de l’actualité, ces réactionnaires cherchent à occuper l’espace public et médiatique, à détourner le débat de vraies questions de fond et à gagner la guerre des récits, même si celles·ceux-ci ne représentent qu’une fraction minoritaire de la population. Qu’elles·ils soient partisan·e·s ou non, d’obédience religieuse ou non, tou·te·s se réfèrent à une vision ultra traditionnelle de la famille et se sentent menacé·e·s par ce qu’elles·ils appellent « la théorie du genre et l’idéologie transgenre ».
Malheureusement, dans un contexte de méfiance accrue envers les politiques, les médias traditionnels, l’État et les institutions qui en émanent, ces propagatrices·teurs de fake news attirent de plus en plus de publics, qui, en manquent de repères, se réfugient dans des lieux communs et la crainte de l’inconnu.
Une guerre des récits qui appelle à une lutte contre la désinformation
Il est évident qu’en tant que mutualité et associations progressistes de gauche, inscrites dans le secteur de l’éducation permanente, nous dénonçons ces attaques infondées et hypocrites à l’encontre de l’EVRAS. Cette prise de position ferme s’accompagne d’une lutte quotidienne contre la désinformation, que ce soit à travers la création d’outils pédagogiques, notre travail en plateforme ou la production de contenus de fond.
Nombre des informations relayées reposent sur de fausses croyances, qui ne sont étayées par aucun argument scientifique, et qui sont sorties de leur contexte. Le guide EVRAS porte bien son nom : il s’agit d’un outil d’accompagnement à unique destination de professionnel·le·s spécifiquement formé·e·s pour mener ces animations. Celui-ci a été coconstruit par des institutions et organismes expert·e·s ainsi que par 380 jeunes concerné·e·s. Les séances ne visent qu’à répondre aux interrogations des élèves, dans un monde où l’âge moyen d’accès à des images pornographiques se situerait entre 11 et 13 ans[3] et où deux à quatre élèves par classe seraient victimes d’inceste[4] .
Rappelons par ailleurs que l’EVRAS est l’une des missions de l’enseignement obligatoire depuis 2012. Ces moments privilégiés de sensibilisation sont donc déjà mis en œuvre dans de nombreux établissements mais de manière disparate. Aujourd’hui, si le législateur a décidé d’ancrer ce processus dans la loi de manière démocratique, c’est pour lui donner les moyens humains et financiers d’exister de manière égalitaire partout en Fédération Wallonie-Bruxelles. Car c’est bien là le rôle de l’école : lutter contre tous types d’inégalités et renforcer le vivre ensemble.
Ne nous laissons donc pas berner ! Cette polémique n’est qu’une énième opportunité de récupération pour les mouvements extrémistes, dans un contexte pré-électoral déjà bien animé. L’EVRAS est en réalité un levier essentiel pour permettre aux jeunes de développer leur esprit critique et les amener à réaliser des choix éclairés. Face aux tentatives de division et de repli sur soi, offrons aujourd’hui aux jeunes générations un maximum de clés pour coconstruire une société plus égalitaire, plus inclusive et plus solidaire !
[1] Parlement wallon, Parlement bruxellois et Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
[2] https://www.penser-critique.be/les-fake-news-nont-rien-a-voir-avec-lintelligence-video
[3] https://www.francesoir.fr/societe/selon-l-arcom-23-millions-de-mineurs-se-rendent-chaque-mois-sur-des-sites-pour-adultes
[4] https://www.rtbf.be/article/l-inceste-une-violence-frequente-et-genree-10670878/
Turner, J., Bailey, D., & Citton, Y. (2024). L’écofrontiérisme. Multitudes, n° 96(3), 124–128. https://doi.org/10.3917/mult.096.0124
Hors-Champ 96 sommaire L’écofrontiérisme Ou comment l’extrême-droite recadre l’Anthropocène 124 Dan Bailey & Joe Turner Science ouverte, enclosures, déresponsabilisations et extractivismes universitaires 129 Sarah Mekdjian 124 L’écofrontiérisme Ou comment l’extrême-droite recadre l’Anthropocène Dan Bailey & Joe Turner Recadrer la crise environnementale Les partis d’extrêmedroite, qui constituent depuis longtemps une force antiimmigration et xénophobe dans la politique européenne, ont traditionnellement cherché à désavouer la science (ou la responsabilité) de la dégra‑ dation écologique − en la présentant comme une conspiration destinée à profiter aux « élites mondialistes » ou à saper la souveraineté natio‑ nale par le biais d’accords multilatéraux. Cela a permis de renforcer la résistance aux politiques environnementales efficaces. Toutefois, ce discours environnemental n’est plus aussi central pour l’extrêmedroite parlementaire qu’il ne l’était dans les années 2000 et 2010. La science du climat est de plus en plus tacitement acceptée, mais l’extrême droite impute la responsabilité du problème à celles et ceux qu’elle désigne comme ses enne‑ mis traditionnels. Notre analyse des manifestes, communiqués de presse, sites web, discours, interviews, blogs et brochures électorales de 22 partis d’extrêmedroite européens qui ont siégé au Parlement européen entre mai 2014 et septembre 2019 révèle un changement discur‑ sif significatif. Ces partis ont récemment forgé un nouveau discours environnemental distinc‑ tif, que nous proposons de conceptualiser sous le nom d’« écofrontiérisme » (ecobordering)1. L’évolution des discours environnementaux de l’extrême-droite européenne Au fur et à mesure que les questions envi‑ ronnementales ont pris de l’importance dans l’agenda politique (notamment auprès des jeunes électeurs), les partis d’extrêmedroite se sont apparemment éloignés du négationnisme scientifique. Cette évolution n’a pas conduit à 1 Cet article reprend sous forme abrégée les principaux résultats de l’étude publiée par Joe Turner & Daniel Bailey, «Ecobordering : casting immigration control as environ‑ mental protection», Environmental Politics, 31(1), 2022, p. 110131, ainsi que «The Anthropocene as framed by the far right », Progressive Review, 301, Spring 2023, p. 2832. Multitudes remercie les auteurs pour leur autori‑ sation, leur relecture et leur aide. 125 Hors-Champ L’écofrontiérisme la reconnaissance de la nécessité d’une trans‑ formation économique juste, ni d’ailleurs à une action politique à la mesure de l’ampleur et de la nature de la crise environnementale. Au contraire, la reconnaissance croissante (bien que tardive) des problèmes environnementaux (principalement ceux qui existent à l’intérieur des frontières nationales) a été fusionnée avec le traditionnel programme antiimmigration pour cadrer la politique environnementale au sein du ressentiment xénophobe. Le discours émergent sur l’écofrontiérisme se caractérise par un fort nationalisme clima‑ tique en cherchant à dépeindre l’immigration (dont la migration en provenance du Sud est rendue hypervisible) comme une menace pour les environnements locaux et nationaux. L’écofrontiérisme représente la consolidation et l’aseptisation d’une constellation d’idées mal‑ thusiennes, conservatrices et écofascistes des XIXe et XXe siècles, ainsi que des notions de nature et d’appartenance de l’époque roman‑ tique, transformées en un discours et en une stratégie électorale relativement cohérentes. L’écofrontiérisme retravaille ces imaginaires pour présenter les migrants des Suds comme des menaces actives pour la soutenabilité envi‑ ronnementale, dans le cadre d’un greenwashing qui « blanchit » ensemble politiques écolo‑ giques et politiques antiimmigration, à une époque où les migrations climatiques sont de plus en plus nombreuses. Présenter l’immigration comme un pillage de l’environnement Ce discours prend deux formes principales. Pre‑ mièrement, il vise à politiser les impacts envi‑ ronnementaux de l’« immigration de masse » en provenance des Suds, tout en dépolitisant les impacts des soidisant «natifs de souche ». Il s’agit notamment d’établir un lien entre, d’une part, l’immigration de masse et, d’autre part, la demande croissante de ressources naturelles et les problèmes environnementaux locaux tels que la pollution résultant de l’augmentation du trafic et de la consommation. Il est suggéré que l’immigration est à blâmer pour ces problèmes, qui exercent une pression hors de contrôle sur les infrastructures, la consommation d’énergie, etc., conduisant à la destruction des espaces verts et au saccage de la nature. L’argument est que c’est l’immigration qui est à l’origine de ces tendances plutôt que d’autres facteurs écono‑ miques ou politiques. Dans le même temps, ce discours ali‑ mente la crainte que l’immigration de masse ne conduise à une croissance démographique au sein des communautés nonblanches, ce qui, à l’en croire, aggraverait encore ces pro‑ blèmes environnementaux locaux et épuise‑ rait les ressources naturelles limitées, dans ce que l’on pourrait appeler un «malthusianisme racialisé ». Le British National Party (BNP), le National Rally, l’UDC suisse, le Vlaams Belang et l’Alternative pour l’Allemagne en ont été les principaux promoteurs. L’UDC a affirmé à plusieurs reprises qu’il était le rempart contre « le plus grand tueur de l’environnement, la surpopulation… en exhortant les gens à limiter l’immigration2 », tandis que le BNP a adopté la même logique malthusienne en affirmant qu’il « est le SEUL parti à reconnaître que la surpopulation − dont le principal moteur est l’immigration, comme le révèlent les propres chiffres du gouvernement − est la cause de la 2 Swiss People’s Party, «Der Missbrauch des Kli‑ mawandels und seine Profiteure », 3 juin 2019. https:// klimateufel.ch/wpcontent/uploads/2019/06/Referat RogerK%C3%B6ppel.pdf Multitudes 96 126 destruction de notre environnement3 ». Cela s’inscrit dans une tendance historique beau‑ coup plus large où la reproduction des peuples colonisés, indigènes et négativement racialisés a été présentée comme une menace pour la « civilisation» occidentale. Représenter les migrants comme des vandales de l’environnement La deuxième forme que prend ce discours est la représentation des migrants des Suds comme des dangers pour l’environnement, n’ayant aucune aptitude personnelle à gérer les ressources natu‑ relles, et cela en raison d’un manque de sentiment d’appartenance ou d’un manque d’investissement financier dans leur espace d’origine ou de rési‑ dence. Les partis d’extrêmedroite tels qu’Aube Dorée, le Rassemblement National, le BNP, l’UDC et Vox en sont les principaux représentants. Ces partis ont notamment dénigré les migrants et en ont fait des boucs émissaires, en les accusant de jeter des ordures, de provoquer des incendies de forêt, de traiter les animaux de manière inhu‑ maine et de détruire la «faune autochtone», entre autres délits environnementaux. La dénonciation du manque de senti‑ ment d’appartenance est essentielle pour comprendre ce portrait des migrants comme vandales environnementaux. Comme l’a dit explicitement Marine Le Pen, « celui qui est enraciné, il est écologiste. […] Parce qu’il ne veut pas pourrir la terre sur laquelle il élève ses enfants. Celui qui est nomade, il s’en moque, de l’écologie, car il n’a pas de terre4 ! ». La repré‑ 3 British National Party, «Demographic Jihad», 2019. https://bnp.org.uk/demographicjihad 4 Tristan Berteloot, «Pour Le Pen, le “nomade” se “moque de l’écologie car il n’a pas de terre” », Libération, 19 avril 2019. sentation des migrants du Sud est juxtaposée à la représentation des « natifs de souche » en tant que gardiens responsables de leur «patrie » et gestionnaires compétents de leur petit lopin de terre, souvent associé à une brigade de com‑ battants (platoon) − pour invoquer les logiques écofascistes et burkéennes sur lesquelles s’ap‑ puie ce cadrage. Cela implique généralement de glorifier la gestion historique des citoyens nationaux pastoraux (tels que les agriculteurs ou les forestiers) et de proclamer la bonne ges‑ tion des ressources naturelles nationales par les «natifs de souche » sur la « terre d’origine » (homeland). Le RN et Aube Dorée ont même créé des ailes de leurs mouvements appelées Nouvelle écologie et Aile verte, destinées à pro‑ téger respectivement « la famille, la nature et la race » et « le berceau de notre race ». Ces deux traits discursifs ont été identifiés plus récemment dans la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, au cours de laquelle elle a obtenu 41,5% des voix. Qualifiée d’«écolo‑ gie patriotique» par ses partisans, la description fallacieuse contrastant les coupables (étrangers) et les sauveurs (natifs de souche) de la crise envi‑ ronnementale s’est normalisée dans la politique française au point d’être reprise par les politi‑ ciens conservateurs rivaux. La prétendue menace que l’immigration et les migrants font peser sur les espaces autrefois «purs » et «durables » de la nature européenne cherche à justifier l’idée que les politiques frontalières sont des formes clés d’un bon gou‑ vernement visant la protection de l’environne‑ ment. Comme l’a déclaré Jordan Bardella en 2019 : « Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière […] C’est par le retour aux frontières que nous sauverons la planète5 ». 5 Charles Sapin, « Jordan Bardella : “C’est par le retour aux frontières que nous sauverons la planète” », Le Figaro, 14 avril 2019. 127 Hors-Champ L’écofrontiérisme Camoufler le capitalisme Le potentiel électoral de la fusion ainsi opé‑ rée entre la sécurisation des frontières et les questions climatiques − même si elle est fal‑ lacieuse − rend d’autant plus urgent de recon‑ naître et de remettre en question ces discours. Si l’extrêmedroite qui monte en Europe gagne du pouvoir ou exerce une plus grande influence sur les partis politiques traditionnellement conservateurs, ce discours pourrait façonner plus fortement la compréhension publique de la crise environnementale et les stratégies pour la résoudre à l’avenir. Cette situation serait catastrophique à deux égards. D’une part, l’écofrontiérisme prescrit une forme d’État centrée sur la sécu‑ rité des frontières plutôt que sur la transfor‑ mation économique systémique, se targuant d’un programme illusoire de protection de l’environnement. Pour ce faire, il se concentre étroitement sur la nature «nationale » (en péri‑ phérisant les questions mondiales) et occulte les moteurs économiques matériels de la dégra‑ dation écologique − tels que les industries de l’énergie et de l’aviation très polluantes, dont les populations des Nords sont les premières responsables, ou encore les pratiques à forte intensité de carbone de l’agrobusiness chéri par l’extrêmedroite. Ignorer les causes profondes de la crise écologique à ce stade serait catastro‑ phique pour le monde naturel, mais c’est préci‑ sément ce que ce cadre politique inculque. Tout aussi important, l’écofrontiérisme cherche à infliger une violence structurelle supplémentaire à celles et ceux qui sont exploités à la périphérie de l’économie mon‑ diale. Le diagnostic de la crise écologique posé par l’écofrontiérisme ne tient absolu‑ ment pas compte de la relation structurelle entre la crise écologique et les opérations de l’économie mondiale. En négligeant cette relation, l’écofrontiérisme sert à « camoufler » le capitalisme, dans une tentative de maintenir politiquement le statu quo économique. Cela constitue une dissimulation et une défense de facto des économies du Nord global, dont la richesse a été accumulée par les violences coloniales. Tout cela repose sur des illusions artificielles à propos de la nature ainsi que sur le spectre d’une protection appelée à être mili‑ tarisée en cas de besoin. Les partisans de l’écofrontiérisme cherchent à masquer et à maintenir politi‑ quement le statu quo économique dans un contexte de répartition grotesquement inégale de l’accumulation du capital et des risques éco‑ logiques. Les calculs d’Oxfam montrent que la moitié la plus pauvre de la population mon‑ diale n’est responsable que de 10% des émis‑ sions annuelles de gaz à effet de serre, les 10% les plus riches étant responsables de 50 % de ces émissions6 . Pourtant, ce sont les habitants du Nord qui tout à la fois profitent le plus de l’économie mondiale et qui se trouvent être les moins exposés à la dégradation écologique, tandis que les populations qui restent en marge de l’économie mondiale doivent et devront faire face aux conséquences géopolitiques à long terme des risques écologiques déplacés chez eux. Cette situation est aggravée par le fait que la distribution entre les « gagnants » et les « perdants » de l’économie mondiale est un héritage structurel du colonialisme et de l’in‑ dustrialisation d’origine européenne, avec leur lot d’extraction des ressources, d’esclavage, d’exploitation et de dépossession des popula‑ tions colonisées. 6 Oxfam, décembre 2015. «Extreme Carbon inequality: why the Paris climate deal must put the poorest, lowest emitting and most vulnerable people first». https://policy practice.oxfam.org.uk/publications/extremecarbon inequalitywhytheparisclimatedealmustputthe poorestlowes−582545 Multitudes 96 128 Écofrontiérisme et apartheid climatique Ce cadrage nationaliste émerge à un moment où l’immigration augmente en raison du chan‑ gement climatique, et le discours écofrontié‑ riste cherche donc à diagnostiquer les symp‑ tômes de la dégradation écologique comme en étant la cause. Il est déjà prouvé que la montée de l’extrêmedroite renforce la résistance poli‑ tique aux migrations climatiques: ce cadrage sert à justifier cette résistance d’un point de vue environnemental. À l’échelle planétaire, ces cadres menacent de rationaliser un apartheid climatique de facto, les populations des Nords et les élites des Suds profitant des bénéfices d’une économie mondiale nuisible à l’environ‑ nement, tandis que les populations pauvres des Sud sont confinées dans des zones de plus en plus inhabitables, confrontées à des risques croissants de chocs climatiques et à une dété‑ rioration de leurs conditions sanitaires. La signification et les implications pra‑ tiques de la justice climatique deviendront un sujet de plus en plus brûlant dans l’Anthropo‑ cène. Remettre en cause les représentations de ceux dépeints comme les coupables et comme les sauveurs dans les portraits qu’en donnent par les personnalités d’extrêmedroite n’est qu’une première étape pour éviter que ces injustices ne s’aggravent7. La reconnaissance de la constitution historique de l’économie mondiale et des inégalités et vulnérabilités qui en résultent conduit non seulement à dénon‑ cer les injustices de l’extrêmedroite mais aussi à affirmer la nécessité pour les acteurs pro‑ gressistes de promouvoir des approches plus transformatrices8. Les réponses progressistes à la montée de l’extrêmedroite dans l’Anthro‑ pocène requièrent la formulation et la promo‑ tion de notions de transition solidaires et équi‑ tables, qui tiennent compte du mouvement des personnes affectées par le changement climatique ainsi que d’autres groupes moins privilégiés de la société9. Cela nécessitera des formes beaucoup plus progressistes de gestion de l’État, qui sont à mille lieues de celles préco‑ nisées par l’extrêmedroite. Traduit de l’anglais par Yves Citton 7 Sultana, F, «The unbearable heaviness of climate colo‑ niality », Political Geography, 99, 2022, 102638. 8 Newell, P., Srivastava, S., Naess, L.O., Torres Contre‑ ras, G.A., and Price, R., «Toward transformative climate justice: An emerging research agenda », Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 12(6), 2021, e733. 9 Joint Council for the Welfare of Immigrants, «Cli‑ mate Justice = Migrant Justice », 2023. www.jcwi.org.uk/ pages/category/climatejusticemigrantjustice
Debras, F. (2024, May 1). Extrême droite, discours et haine masquée. https://orbi.uliege.be/handle/2268/317500
ENTRETIEN Extrême droite, discours et haine masquée En Belgique, l’année 2024 sera marquée par deux grandes journées électorales : la population en âge de voter sera appelée aux urnes le 9 juin pour les élections européennes, fédérales et régionales et, le 13 octobre, pour les élections communales et provinciales. Ces élections seront cruciales, car elles baliseront notre devenir à un moment où toutes les crises se conjuguent: budgétaire, économique, géopolitique, climatique… Dans une proportion croissante de pays européens, l’extrême droite est déjà au pouvoir ou bénéficie d’un soutien tacite. Marine Le Pen a obtenu 41,5% au second tour de la présidentielle française en 2022. En Espagne, un pays où l’extrême droite restait jusqu’il y a peu marginale, le parti Vox participe désormais au pouvoir dans plusieurs régions, en coalition avec la droite classique du Parti populaire. Et en Italie, la présidente de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, dirige le gouvernement depuis octobre 2022. La Belgique n’est pas épargnée: un sondage publié le 1er mars 2024 par De Standaard place le Vlaams Belang, parti d’extrême droite flamand, à près de 28% des intentions de vote au nord du pays, loin devant la N-VA. En Wallonie, un nouveau parti d’extrême droite tente de s’implanter, parrainé par le Vlaams Belang, par le Rassemblement national (RN) français et par le Parti pour la liberté (PVV) néerlandais. Historiquement, l’extrême droite est définie comme une famille politique véhiculant une idéologie antidémocratique. Toutefois, les partis logés à cette enseigne se présentent aujourd’hui, dans leurs discours, comme les défenseurs et les promoteurs de la démocratie, s’offrant ainsi un visage «fréquentable». Comment et pourquoi ? Nous avons interviewé sur ces questions le politologue François Debras, spécialiste des discours extrémistes et complotistes. Il analyse l’appropriation du terme «démocratie» par les principaux partis d’extrême droite européens dans une logique nationaliste et identitaire. Rencontre avec François Debras, chercheur au Centre d’études Démocratie de la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l’ULiège. En 2021, il a soutenu publiquement sa thèse de doctorat en sciences politiques et sociales intitulée «Le chant des sirènes: quand l’extrême droite parle de démocratie». Présence: Le discours de l’extrême droite a changé depuis les années 90, vous parlez d’une dédiabolisation. Comment s’opère-t-elle et pourquoi? François Debras: Dans les années 90, une législation se met en place en Belgique et en «Les discours de l’extrême droite ont évolué, pas leur idéologie. — François Debras PRÉSENCE 457 — MAI 2024 4 DOSSIER Le mensuel d’éducation permanente du Centre culturel de Dison France contre l’incitation à lahaine raciale, contre les différentes formes de discriminations et également contre le négationnisme. Pour ne pas être soumis à des sanctions ou à des amendes, pour gagner des électeurs·trices et siéger dans les instances de pouvoir, les discours d’extrême droite vont devoir évoluer. À cette époque, Jean-Marie Le Pen avait par exemple des discours explicites sur lahiérarchisation des races. Par la suite, les discours ne seront plus empreints de racisme biologique, mais vont plutôt se concentrer sur les cultures et les religions, pour justifier la séparation, la distinction, le rejet. L’extrême droite ne parle plus de races supérieures ou inférieures, mais distingue les individus «assimilables» et «non assimilables». De nouveaux thèmes apparaissent, l’extrême droite aborde désormais les droits LGBT, le droit des femmes, l’écologie. Lorsque l’extrême droite parle d’écologie par exemple, elle ne se positionne pas par rapport aux pesticides ou aux produits néfastes, c’est par contre l’opportunité de rappeler l’importance de la production locale pour les locaux. Tous les discours tendent vers le nationalisme, sans que le mot ne soit jamais cité. Cela leur permet de rester dans l’implicite, d’avoir ce qu’on appelle des «discours gris», qui «préparent le terrain» à des discours dehaine sans pour autant être juridiquement condamnables. Quelles sont les idées qui caractérisent les partis d’extrême droite? Les politologues se réfèrent généralement à trois éléments présents dans les discours, dans les programmes, pour caractériser d’extrême droite une personnalité ou un parti politique. – L’inégalitarisme, ce qui revient à considérer qu’il y aurait une inégalité naturelle entre les êtreshumains. Une logique que l’extrême droite pousse encore plus loin, en réduisant les personnes à certaines caractéristiques, en associant des cultures à des comportements. Le multiculturalisme, la diversité ne peuvent exister dans leur vision de la société. – Le nationalisme. L’extrême droite considère que les problèmes viennent de l’extérieur. Il faudrait protéger la nation «pure» et «homogène», d’une part de «l’étranger·ère», mais aussi de toute ingérence supranationale, ce qui revient à être contre l’Union européenne, les traités et les accords économiques internationaux, etc. – Le sécuritarisme, qui est un appel à plus de contrôle, plus de sécurité, plus d’armées, de polices, de frontières, etc. On peut être nationaliste, ou dire qu’il y a un manque de financements de la police, et ne pas être d’extrême droite. C’est la combinaison de ces éléments qui permettent de la caractériser. Peut-on dire que des idées d’extrême droite percolent dans les partis démocratiques? Ce que j’ai énoncé avec ces trois facteurs, c’est le mode de fonctionnement «classique» de la science politique, mais effectivement, nous sommes aujourd’hui confronté·es à de nouveaux phénomènes. On voit d’autres partis politiques récupérer certaines thématiques issues de l’extrême droite et mobiliser un vocabulaire similaire Les mots ne sont pas une traduction du réel, mais une construction de celui-ci. Par exemple, les termes «vague migratoire» ou «crise de l’accueil» renvoient à un même phénomène, mais induisent un rapport très différent au monde et à l’autre. «Crise de l’accueil» nous CC BY ND 2.0 Jeanne Menjoulet «Tous les discours tendent vers le nationalisme, sans que le mot ne soit jamais cité. PRÉSENCE 457 — MAI 2024 www.ccdison.be ccdison DOSSIER 5 renvoie à nos responsabilités, au fait que nous ne nous donnons pas les moyens ou ne souhaitons pas accueillir des personnes. «Vague migratoire» laisse penser que les causes sont extérieures, qu’il faut se protéger, car nous pourrions être englouti·es. De la même manière, les termes «ensauvagement», «islamisation, «grand remplacement», sont des mots que l’on peut entendre dans différents bords politiques, alors qu’ils ont unehistoire liée à l’extrême droite. Cela ne concerne d’ailleurs pas que les idées. En Belgique, rappelons-nous par exemple que la création des centres fermés, qui enferment des étranger·ères en situation irrégulière, est une proposition du Vlaams Blok (actuel Vlaams Belang) mise en place par d’autres partis politiques. Sans dire que tous les partis sont d’extrême droite, je pense qu’il est important de conscientiser d’où viennent ces termes, d’où viennent ces projets, de comprendre comment on en arrive à ce qu’ils deviennent acceptables. «On voit d’autres partis politiques récupérer certaines thématiques issues de l’extrême droite et mobiliser un vocabulaire similaire. Un autre terme important utilisé par l’extrême droite, c’est celui de la démocratie. Il y a cette idée latente que l’extrême droite serait par nature antidémocratique, ou opposée à la démocratie. Pourtant, effectivement, ces partis l’emploient régulièrement. Quand on analyse ce phénomène, on réalise qu’il s’agit plus d’un argument, employé essentiellement en période électorale ou face à la presse, il est très peu mobilisé lorsque ces partis siègent au sein des institutions ou rédigent des projets de loi. Cet «argument démocratie» n’appelle pas à un réel projet de société. On peut entendre certaines personnalités d’extrême droite dire «je suis pour le débat démocratique avec mes opposants politiques, et vous journalistes qui me refusez ce droit êtes antidémocratiques», c’est la logique de l’inversion. On encore «les ennemis de la démocratie, ce n’est pas nous, ce sont les étrangers, qui ne reconnaissent pas les droits des femmes, des LGBT», etc. L’extrême droite va utiliser la démocratie pour dénoncer ce que l’autre ne serait pas. Elle se présente en défenseuse de la démocratie, contre l’immigration. Elle continue donc de servir son idéologie sous couvert de ce vocabulaire. Qu’est-ce que le cordon sanitaire? Est-ce que cela permet de faire barrage à l’extrême droite en Wallonie? Le «cordon sanitaire» est une exception belge qui existe depuis plus de 30 ans et qui concerne principalement le sud du pays. Il a une portée sur le plan politique et exclut tout accord de gouvernement, de coalition, à n’importe quel niveau de pouvoir, avec l’extrême droite. Au niveau médiatique, la presse s’engage à ne pas donner la parole libre, en direct, à des représentant·es d’extrême droite ou à des partis considérés comme non démocratiques. Il y a différents éléments qui permettent de justifier l’absence d’un parti d’extrême droite très structuré ou populaire en Wallonie, le cordon sanitaire en fait partie, car il a pour effet de diminuer sa visibilité. On peut aussi citer le manque d’une identité wallonne forte et la richesse du tissu associatif, culturel et syndical comme potentiels «facteurs barrage». Attention, ça ne fait pas de la Belgique francophone une exception où il y aurait moins de racisme ou dehaine de l’étranger·ère. Cela demande un travail perpétuel et quotidien de veille, de sensibilisation et de dénonciation. Il y a aussi en Belgique francophone des discours qui doivent éveiller notre attention.• 1991, le « dimanche noir » Depuis 1991 et le « dimanche noir » qui vit le Vlaams Blok (l’ancêtre du Vlaams Belang) s’adjuger un premier succès historique, le cordon sanitaire politique et médiatique a réussi à cantonner l’extrême droite flamande à l’opposition. Mais il s’effrite. «Lecordon sanitaire est une exception belge qui existe depuis plus de 30 ans et qui concerne principalement le sud du pays.
Rindlisbacher, S., & Hanse, O. (2023). La « Nouvelle Droite » écologique au XXI e siècle : post-croissance, biorégionalisme et « réforme de la vie ». Allemagne D Aujourd Hui, N° 245(3), 117–128. https://doi.org/10.3917/all.245.0117
Stefan Rindlisbacher* Dans une interview accordée en 2021 au magazine Die Kehre, Björn Höcke a affirmé que les Grünen avaient « totalement pris possession du thème de la protection de la nature et de l’environnement », et il a tenté de mettre en scène l’Alternative für Deutschland (AfD), suspectée d’appartenance à l’extrême droite, comme authentique parti de la protection de l’environnement1. Ce faisant, le président du groupe parlementaire de l’AfD en Thuringe a non seulement contredit la position officielle de son propre parti, qui rejette avec véhémence toute restriction de la liberté économique au profit de la protection de l’environnement, mais il a également attiré l’attention de ses lecteurs sur tout un courant de l’extrême droite qui, dès la fin du XIXe siècle, a tenté d’associer une politique démographique et identitaire de droite à des préoccupations de protection de la nature et de l’environnement. Depuis les années 1990, les historiens se penchent sur les continuités historiques qui caractérisent les préoccupations environnementales de la droite politique2. Les origines de ces dernières sont souvent recherchées dans les premiers mouvements de protection de la nature et du patrimoine et dans la mouvance de « réforme de la vie » [Lebensreform], et en particulier dans leurs groupements d’orientation völkisch qui, depuis la fin du XIXe siècle, fustigeaient l’industrialisation, l’urbanisation et la technicisation en cours et réclamaient un retour à un mode de vie plus naturel3. Les courants de protection de la nature au sein du national-socialisme ont également fait l’objet d’études détaillées4. L’histoire des écologistes de la « Nouvelle Droite » dans les * Stefan Rindlisbacher a soutenu une thèse de doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Fribourg (Suisse) en 2021. Cette dernière, intitulée Lebensreform in der Schweiz (1850-1950): Vegetarisch essen, nackt baden und im Grünen wohnen a été publiée en 2022 aux éditions Peter Lang. Depuis février 2022, il a travaillé comme chercheur invité au Leibniz-Zentrum für Zeithistorische Forschung de Potsdam (2022) et à l’Institut d’histoire contemporaine de l’Université de Vienne (2023). 1. Cf. interview avec le président de l’AfD en Thuringe Björn Höcke [entretien mené par Jonas Schick], in : Die Kehre no 6, 2021, p. 32. 2. Un bon aperçu sur la question jusqu’à aujourd’hui est donné par : Geden Oliver, Rechte Ökologie. Umweltschutz zwischen Emanzipation und Faschismus, Berlin, Elefanten-Press, 1996. 3. Cf. Speit Andreas, Verqueres Denken. Gefährliche Weltbilder in alternativen Milieus, Berlin, Ch. Links, 2021 ; Greiner Steffen, Die Diktatur der Wahrheit. Eine Zeitreise zu den ersten Querdenkern, Stuttgart, Cotta, 2022. 4. Cf. Bruggemeier Franz-Josef, Cioc Mark, Zeller Thomas, How Green Were the Nazis? Nature, Environment, and Nation in the Third Reich, Athens, Ohio University Press, 2005 ; Uekötter Frank, The green and the brown. A history of conservation in Nazi Germany, Cambridge, Cambridge University Press, 2006. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle : post-croissance, biorégionalisme et « réforme de la vie » 118 Stefan Rindlisbacher années 1970 et 1980 et de leur rôle dans la création des partis verts reste cependant un sujet de recherche peu étudié5. Alors que, jusqu’à présent, la recherche en histoire contemporaine n’a abordé cette thématique que de manière très hésitante, on observe que toute une série d’auteur·rices à motivation partisane ont tenté d’attirer l’attention sur les dangers qui pourraient émaner d’un mouvement écologiste de droite6. La continuité entre ces mouvements s’exprime en particulier à travers les conceptions racistes, antilibérales et antidémocratiques qui s’y retrouvent associées aux préoccupations de la nature et de l’environnement. L’idée d’une inégalité naturelle entre les hommes utilisée pour expliquer les hiérarchies sociales, la formation d’élites et la dualité des rôles attribués aux sexes, joue un rôle fondamental chez les écologistes de droite. Cette conception va de pair avec une vision biologiste de l’homme et de la société. Cela signifie que des observations tirées du monde animal et végétal se retrouvent appliquées au comportement social humain. De cette manière, les attributions racistes se voient naturalisées, les interventions eugéniques visant à promouvoir une hérédité saine font l’objet d’une justification ; et un combat entre les cultures, interprété de manière socio-darwinienne, est invoqué. Dans ce contexte, la régulation biopolitique de la croissance démographique et les interventions xénophobes contre les mouvements migratoires sont des thèmes récurrents dans le discours des écologistes de la droite radicale7. Au XXIe siècle, ces préoccupations environnementales de droite ont été reprises par les représentants autoproclamés de la « Nouvelle Droite ». Les origines de ce courant d’extrême droite remontent aux années 1960, lorsqu’une jeune génération tenta de se démarquer du national-socialisme et de groupes néonazis enclins à la violence. Par opposition à ces deux tendances, ils ont cherché leurs références auprès des intellectuels antilibéraux et nationaux-révolutionnaires de l’entre-deux-guerres et se sont appliqués à moderniser les idéologies d’extrême droite en prenant appui sur des connaissances scientifiques et en préconisant une intellectualisation de l’extrême droite8. Après que les groupes et les revues de la « Nouvelle Droite » avaient perdu beaucoup de leur influence à partir des années 1980, des tentatives ont à nouveau été menées à partir de 2000 pour constituer un réseau de la « Nouvelle Droite » composé d’intellectuels, de maisons d’édition et de groupes de réflexion. Le publiciste Götz Kubitschek joua un rôle moteur dans la réactivation de la « Nouvelle Droite ». 5. Cf. Stöss Richard, Vom Nationalismus zum Umweltschutz. Die Deutsche Gemeinschaft/Aktionsgemeinschaft Unabhängiger Deutscher im Parteiensystem der Bundesrepublik, Wiesbaden, Westdeutscher Verlag, 1980 ; Jahn Thomas, Wehling Peter (dir.), Ökologie von rechts. Nationalismus und Umweltschutz bei der Neuen Rechten und den « Republikanern », Frankfurt/Main, Campus Verlag, 1991 ; Mende Silke, « Nicht rechts, nicht links, sondern vorn ». Eine Geschichte der Gründungsgrünen, München, Oldenburg, 2011 ; Kriebernegg David, Braune Flecken der Grünen Bewegung. Eine Untersuchung zu den völkisch-antimodernistischen Traditionslinien der Ökologiebewegung und zum Einfluss der extremen Rechten auf die Herausbildung grüner Parteien in Österreich und in der BRD, Université de Graz [Diplomarbeit], 2014. 6. Cf. Ditfurth Jutta, Entspannt in die Barbarei. Esoterik, (Oeko-)Faschismus und Biozentrismus, Hamburg, Konkret, 1996 ; Heinrich-Böll-Stiftung (dir.), Braune Ökologen. Hintergründe und Strukturen am Beispiel MecklenburgVorpommerns, vol. 26, Berlin, Reihe Demokratie, 2012. URL : https://www.boell.de/sites/default/files/ Braune-Oekologen.pdf, consulté le 28.06.2023 ; Röpke Andrea, Speit Andreas, Völkische Landnahme. Alte Sippen, junge Siedler, rechte Ökos, Berlin, Ch. Links, 2019. 7. Cf. Geden Oliver, Rechte Ökologie, op. cit., p. 37-81. 8. Sur l’histoire et la stratégie de la « Nouvelle Droite », cf. notamment : Greß Franz, Schönkäs Klaus, Jaschke Hans-Gerd, Neue Rechte und Rechtsextremismus in Europa. Bundesrepublik, Frankreich, Großbritannien, Opladen, Springer VS, 1990 ; Langebach Martin, Raabe Jan, « Die “Neue Rechte” in der Bundesrepublik Deutschland », in : Virchow Fabian, Langebach Martin, Häusler Alexander (dir.), Handbuch Rechtsextremismus, Wiesbaden, Springer VS, 2017, p. 561-592. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle (…) 119 En s’appuyant sur son Institut für Staatspolitik, sur la maison d’édition Antaios et sur la revue Sezession, il tente depuis lors de peser sur les débats qui ont cours au sein de l’extrême droite9. La revue Die Kehre, déjà mentionnée en introduction et que Björn Höcke utilise comme porte-voix pour parvenir à faire passer l’AfD pour un parti écologiste de type « patriotique », fait partie de ce réseau de « Nouvelle Droite » qui gravite autour de Götz Kubitschek. La revue, qui paraît depuis 2020, s’intègre dans une stratégie visant à réinterpréter la protection de l’environnement comme une préoccupation conservatrice de l’extrême droite. Dans le présent article, nous nous pencherons sur l’intérêt qu’ont les acteurs de la « Nouvelle Droite » à s’approprier cette thématique et à se présenter comme les authentiques héritiers du mouvement écologiste. Après avoir retracé les efforts de construction d’une « Nouvelle Droite » écologique depuis 2008 et mis en évidence les stratégies de discours qui permettent de relier entre elles les thématiques de la protection de l’environnement et de la politique démographique et identitaire de la droite, nous mettrons l’accent sur les dimensions performatives et la physicalité immanente des efforts de la droite radicale en termes de protection de la nature et de l’environnement. Pourquoi la « Nouvelle Droite » tente-t-elle de diffamer les stratégies de protection de l’environnement et du climat des partis de gauche que sont les Grünen et la social-démocratie, en les présentant comme des mesures technicistes, déconnectées de l’homme et de la nature, tandis que ses propres initiatives sont décrites comme étant mues par une approche « holistique », englobant l’homme, son environnement et la culture ? Pourquoi recourent-ils pour cela à des pratiques corporelles, telles que le renoncement à la consommation, la réduction de la mobilité et la réforme alimentaire, dans la lignée de mouvements historiques, tels que le biorégionalisme des années 1970 ou le mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] des années 1900 ? L’homme comme problème environnemental : la genèse d’une écologie de droite Lorsque le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies a publié en 2007 son quatrième rapport, il ne faisait plus aucun doute pour les scientifiques que le réchauffement climatique observé devait être imputé aux activités humaines. Ce problème, connu au moins depuis les années 1980 mais peu pris en compte par les mouvements écologistes, s’est soudain retrouvé au cœur de la politique et a bénéficié d’une attention médiatique sans précédent. Personne ne pouvait se soustraire à cette thématique10. Même la « Nouvelle Droite » a alors commencé à se repositionner sur la question de l’environnement et du climat. Götz Kubitschek a abordé cette thématique pour la première fois en 2008 dans la revue Sezession et a immédiatement anticipé, dans un article intitulé « Masse und ökologische Frage » [« Masse et question écologique »], la tournure que prendrait le débat de l’extrême droite sur la protection de l’environnement et du climat dans les années à venir : les problèmes environnementaux seraient la conséquence de la surpopulation. Il constate ainsi que « face à la simple masse humaine, la question écologique doit toujours recevoir une réponse négative ». Kubitschek reprenait ainsi 9. Cf. Salzborn Samuel, « Renaissance of the New Right in Germany ? A Discussion of New Right Elements », in : Kruglanski Arie W., Webber David, Koehler Daniel (dir.), « German Right-wing Extremism Today », in : German Politics & Society, no 34/2, 2016, p. 45-46. 10. Cf. Radkau Joachim, Die Ära der Ökologie. Eine Weltgeschichte, München, C. H. Beck, 2011, p. 594-608. 120 Stefan Rindlisbacher une figure de pensée associée depuis des décennies aux problèmes écologiques dans les milieux d’extrême droite11. L’économiste Thomas Robert Malthus avait déjà mis en garde contre une croissance démographique incontrôlée dans son Essai sur le principe de population publié en 1798. Depuis lors, le surpeuplement, quelle que soit la manière dont il a été défini, a été rendu responsable de la menace de famine, de l’appauvrissement de la société ou de bon nombre de dommages causés à la nature et à l’environnement. Afin d’écarter ces menaces, l’extrême droite a exigé la régulation de la reproduction humaine, que ce soit par le recours au conseil matrimonial, à l’interdiction du mariage, à la stérilisation ou même à l’euthanasie. Sachant que, la plupart du temps, seuls les taux de reproduction des personnes issues de couches sociales défavorisées ou des personnes non blanches issues du Tiers-Monde faisaient l’objet de commentaires critiques. Le souci de l’environnement était donc systématiquement lié à une politique démographique de type eugénique, qui poursuivait également des objectifs racistes12. C’est donc le corps humain et ses effets sur la nature environnante qui se trouvent au fondement des efforts de protection de l’environnement de la « Nouvelle Droite » au XXIe siècle. Dans son article paru dans la revue Sezession, Kubitschek ne critique pas seulement le nombre d’êtres humains présents sur la planète, mais aussi leur mode de vie et de consommation moderne au sein de la société industrielle. Selon lui, ce ne sont pas seulement les masses humaines qui sont responsables de la crise écologique, mais aussi (et surtout) « l’homme de masse ». Kubitschek reprend ainsi à son compte une autre figure de pensée utilisée principalement dans les milieux d’extrême droite sous le concept de « massification ». Ce terme dénonce un prétendu déclin culturel et moral de la société, faisant suite aux processus d’émancipation, de libéralisation et de migration13. Mais pour Kubitschek, l’« homme de masse » est avant tout un produit de la « consommation de masse et du libre-échange de marchandises » inhérents au capitalisme et qui portent la marque de l’influence américaine. Par conséquent, selon lui, « au commencement de tout mode de vie écologique […] il y a le renoncement à la consommation et à la mobilité »14. Ainsi, Kubitschek s’approprie des arguments anticapitalistes et anticonsuméristes qui semblent davantage représentatifs de la gauche politique, mais ont aussi une longue tradition du côté de l’extrême droite, puisqu’ils remontent au mouvement völkisch et à une partie du national-socialisme15. En rejetant « les compagnies aériennes low cost, […] la fast fashion et les alignements sans fin des rayons d’hypermarchés » et en réclamant davantage de « régionalisme et de saisonnalité, de travail manuel et de circuits courts créateurs de valeur ajoutée », Kubitschek n’a toutefois pas cherché à simplement réactiver l’anticapitalisme völkisch, mais à se rattacher aux débats du mouvement post-croissance, apparu pour la première fois dans les années 1970. D’une part, le rapport du Club de Rome sur les « limites de la croissance » (1972), dont les modèles assistés par ordinateur 11. Cf. Kubitschek Götz, « Masse und ökologische Frage Kubitschek », in : Sezession, no 24, 2008, p. 42. URL : https://sezession.de/1893/masse-und-oekologische-frage, consulté le 25.06.2023. 12. Cf. Geden Oliver, Rechte Ökologen, op. cit., p. 62-75 ; Bierl Peter, Grüne Braune. Umwelt-, Tier- und Heimatschutz von rechts, Münster, Unrast Verlag, 2014, p. 30-34. 13. Cf. Weiß Volker, « Bedeutung und Wandel von “Kultur” für die extreme Rechte », in : Virchow Fabian, Langebach Martin, Häusler Alexander (dir.), Handbuch Rechtsextremismus, op. cit., p. 441-444. 14. Kubitschek Götz, « Masse und ökologische Frage Kubitschek », art. cit., p. 42-43. 15. Sur l’anticapitalisme de droite, cf. Barthel Michael, Jung Benjamin, Völkischer Antikapitalismus. Eine Einführung in die Kapitalismuskritik von rechts, Münster, Unrast Verlag, 2013. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle (…) 121 esquissaient une vision dystopique de l’avenir d’une société en pleine autodestruction, et d’autre part la crise pétrolière (1973), qui a brutalement mis un terme à la croissance économique en apparence infinie de l’après-guerre, sont considérés comme les éléments déclencheurs de ce mouvement16. Les mouvements écologistes et les milieux alternatifs qui ont émergé par la suite ont été fortement influencés par la critique de la croissance et les appels aux économies d’énergie qui ont caractérisé cette époque. Au lieu de produire et de consommer toujours plus, ceux-ci appelaient à construire une société post-croissance qui ne serait plus dépendante d’une croissance ininterrompue, mais qui accorderait plus de valeur à la satisfaction des personnes, à l’égalité sociale et à la préservation des fondements écologiques de la vie. Pour ce faire, il faudrait non seulement que l’économie réduise sa consommation de ressources, mais aussi que les individus renoncent à leur consommation individuelle17. Ces idées ont bénéficié d’un regain d’attention suite à l’intensification des débats sur le changement climatique et dans le sillage de la crise financière de 2008. C’est avant tout dans les milieux de gauche et anarchistes que le mouvement post-croissance a connu un nouvel essor. Mais un certain nombre de commissions et groupes de travail proches du gouvernement se sont également mis à la recherche de moyens permettant de sortir du dogme de la croissance18, qui favorise le développement de crises. Tandis que ces initiatives tentaient de façonner une société solidaire et ouverte sur le monde, qui s’oppose en bloc aux inégalités planétaires et à l’exploitation capitaliste, les représentants de la « Nouvelle Droite » travaillaient au même moment à une autre conception de la société post-croissance ; poursuivant certes des objectifs similaires, ils entendaient, pour les atteindre, faire en sorte de laisser une grande partie des gens sur le carreau. Ainsi, l’abandon de la croissance ne devait selon eux pas uniquement passer par un renoncement individuel à la consommation, mais aussi par une réduction de la population et un arrêt des flux migratoires19. Déplacement de discours et discrédit : la « Nouvelle Droite » comme partie intégrante du mouvement écologiste ? Au cours des années 2010, la « Nouvelle Droite » a repris à son compte de manière ciblée cette idée de post-croissance en la droitisant, afin que le discours sur la protection de l’environnement devienne porteur de nouveaux thèmes jugés pertinents par la droite politique. De cette manière, les questions de protection de l’environnement devaient être identifiées comme des préoccupations fondamentalement conservatrices qui, de la sorte, étaient arrachées au monopole d’interprétation des partis 16. Après la Seconde Guerre mondiale, la disponibilité massive d’énergies fossiles (en particulier le pétrole bon marché en provenance du Proche-Orient) a stimulé une augmentation considérable de la consommation d’énergie, la progression de la motorisation et la participation de larges parties de la population à la société de consommation de type occidental. L’historien Christian Pfister qualifie cette dépendance à l’énergie bon marché et les dommages environnementaux qui en découlent de « syndrome des années 1950 ». Cf. Pfister Christian (dir.), Das 1950er Syndrom. Der Weg in die Konsumgesellschaft, Bern, Haupt, 1995. 17. Cf. Schmelzer Matthias, Vetter Andrea, Degrowth/Postwachstum zur Einführung, Hamburg, Junius, 2019, p. 72-82. 18. Cf. Borowy Iris, Schmelzer Matthias, « Introduction: the end of economic growth in long-term perspective », in : Borowy Iris, Schmelzer Matthias (dir.), History of the future of economic growth. Historical roots of current debates on sustainable degrowth, London/New York, Routledge, 2017, p. 14-15. 19. Cf. Langer Nadine, Ökologie und die Neue Rechte. Eine Analyse des Magazins « Die Kehre – Zeitschrift für Naturschutz », Magdeburg, FARN, 2021, p. 21-26. URL : https://www.nf-farn.de/system/files/documents/ ba_langer_final.pdf, consulté le 28.06.2023. 122 Stefan Rindlisbacher de gauche. Cette stratégie de déplacement de discours fait partie des principaux procédés utilisés par la « Nouvelle Droite » depuis les années 1970. Au lieu d’exercer une influence sur la société par le biais des partis politiques, il s’agissait d’influencer le mode de pensée des individus dans l’espace pré-politique – par le biais des médias, de la littérature et de manifestations culturelles. Pour ce faire, des thèmes importants pour la société, tels que la famille, la sexualité, l’identité, les migrations et même les questions environnementales, sont associés à des narratifs de droite. Souvent, on tente d’établir une prétendue objectivité en se référant à des connaissances scientifiques. Bien que la « Nouvelle Droite » ait ainsi tenté de se démarquer des groupes ouvertement néonazis et fascistes, elle est restée ancrée dans des schémas de pensée racistes, antisémites et antiféministes. Par exemple, le concept d’ethnodifférentialisme supprime certes la notion biologique de race, mais il la remplace par un racisme culturel : au lieu de lutter contre le mélange des « races », on revendique désormais simplement la volonté de protéger l’homogénéité des différentes cultures20. L’analyse d’un article de l’historien de l’art Norbert Borrmann publié en 2013 dans Sezession permet aisément de faire ressortir le mécanisme de ce déplacement de discours. Le titre « Ökologie ist rechts » [« L’Écologie est à droite »] fait déjà ouvertement référence au déplacement souhaité de la notion d’écologie vers la droite politique. L’objectif n’est pas seulement de modifier la sémantique du terme, mais aussi de délégitimer les partis de gauche en tant que porteurs de préoccupations écologiques. Borrmann dresse ainsi le portrait d’une longue tradition écologique de droite qui aurait germé dès la fin du XIXe siècle sous la plume des premiers protecteurs de la nature et du patrimoine qu’ont été Paul Schultze-Naumburg, Ernst Rudorff ou Ludwig Klages, et qui aurait été poursuivie par les représentants du mouvement völkisch. Borrmann affirme que même le « Troisième Reich » n’était « pas seulement brun, mais aussi vert, en tant que tout premier État industriel moderne, en raison de sa vision du monde orientée vers la biologie ». Après la Seconde Guerre mondiale, des penseurs conservateurs comme l’écrivain autrichien Günter Schwab et son Union mondiale pour la protection de la vie [Weltbund zum Schutz des Lebens], fondée en 1960, auraient contribué à l’émergence de nouveaux mouvements de protection de l’environnement comme le mouvement anti-nucléaire. Et cette lignée n’aurait, selon Borrmann, été interrompue que dans les années 1980 lorsque des forces de gauche ont réussi à prendre le contrôle du nouveau parti des Grünen21. Par la suite, les « écologistes convaincus » comme Herbert Gruhl, August Haußleiter et Baldur Springmann auraient été contraints de s’effacer devant les « cadres staliniens des K-Gruppen22 ». L’écologie aurait alors 20. Cf. Bar-On Tamir, « Transnationalism and the French Nouvelle Droite », in : Patterns of Prejudice, no 45/3, 2011, p. 211-216 ; Griffin Roger, « Between metapolitics and apoliteia. The Nouvelle Droite’s strategy for conserving the fascist vision in the “interregnum” », in : Modern & Contemporary France, no 8/1, 2000, p. 35-53 ; Capra Casadio Massimiliano, « The New Right and Metapolitics in France and Italy », in : Journal for the Study of Radicalism, no 8/1, 2014, p. 45-86. 21. Borrmann Norbert, « Ökologie ist rechts », in : Sezession, no 56, 2013, p. 4-7. Cette auto-historicisation rappelle fortement les lignes de tradition que l’on retrouve également dans des présentations historiographiques telles que Rechte Ökologen (op. cit.) d’Oliver Geden. La réception des résultats de la recherche est extrêmement sélective : les aspects négatifs des écologistes de droite, tels que l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie, sont occultés, tout comme le rôle des groupes écologistes de gauche, féministes et libéraux, qui existaient déjà avant les années 1980. Cela montre comment la « Nouvelle Droite » tente même de réinterpréter dans son sens des travaux scientifiques rédigés dans une optique antifasciste. 22. Le terme K-Gruppen désigne toute une série de petits partis, principalement d’orientation maoïste, qui ont vu le jour avec le processus de désintégration du Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS) et le déclin du mouvement étudiant des années 1960 [note du traducteur]. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle (…) 123 cédé sa place à la propagation d’objectifs socialistes, que Borrmann résume à l’aide des mots-clés « égalitarisme, féminisme, mariage homosexuel, dictature des quotas, décomposition des structures familiales organiques, masochisme national, ressassement du passé, immigration de masse, société multiculturelle ». Jusqu’à aujourd’hui, ces « resquilleurs » seraient parvenus à occuper le créneau thématique de l’écologie en l’associant à leur « image de l’homme contre-nature »23. Ce narratif d’une thématique environnementale volée par la gauche a ensuite servi d’argument à la « Nouvelle Droite » non seulement pour se positionner comme authentique héritière du mouvement de protection de l’environnement, mais aussi pour promouvoir la restauration d’une écologie conservatrice apparemment étouffée. C’est surtout lorsqu’à partir de 2018, suite à l’émergence du mouvement de grève en faveur du climat, l’intérêt pour les questions environnementales et, en particulier, pour la protection du climat a décollé de manière significative, que la revue Sezession a commencé à développer son idée d’une écologie orientée à droite. C’est ainsi qu’à partir de 2019, le journaliste Jonas Schick, issu du Mouvement identitaire, a commencé, par une série d’articles publiés dans Sezession, à élaborer le socle programmatique d’une écologie de la « Nouvelle Droite » au XIXe siècle24. Enraciner l’homme : de l’idéologie Blut und Boden [sang et sol] au biorégionalisme Dans le premier article de sa série « Ökologische Beleuchtungen » [« Éclairages écologiques »], Johannes Schick reprenait le récit d’une écologie dérobée. Mais à la place des Grünen, c’est le nouveau mouvement de protection du climat qui se trouve mis en avant. Schick affirme notamment que les jeunes manifestants de Fridays For Future ne sont aucunement préoccupés par la protection de la nature et de l’environnement, mais qu’ils ne descendent dans la rue que par « souci pour leur société d’abondance ». La revendication d’une « croissance verte » ne vise qu’à assurer « un avenir de prospérité garantie, incluant le consumérisme ». Enfin, il argumente en rappelant que le « style de vie urbain […] » des partisans de Fridays For Future, avec leur « cosmopolitisme prononcé », est tributaire de « flux énergétiques constants », ce qui explique que les dommages administrés à l’environnement et la menace pour la biodiversité que représente le développement des installations solaires et éoliennes soient systématiquement occultés. Pour Schick, le mouvement de protection du climat apparaît par conséquent comme le prolongement d’un « mouvement écologiste gauchisant » depuis le début des années 1980, qui s’intéresse davantage à ses privilèges qu’à la protection de la nature et de l’environnement25. Par opposition à cette caricature d’un mouvement écologiste gauchisant, dont les exigences technocratiques ne viseraient qu’à garantir son style de vie libéral et urbain, Schick, à l’instar de Götz Kubitschek dix ans plus tôt, met en scène une écologie de droite conçue comme un véritable guide pratique en faveur d’un mode de vie plus 23. Borrmann Norbert, « Ökologie ist rechts », art. cit., p. 7. 24. Depuis les années 2010, le Mouvement Identitaire fait partie des groupes d’extrême droite les plus actifs dans les pays germanophones. Dans l’esprit de l’ethnopluralisme de la « Nouvelle Droite », il aspire à la création de nations culturellement homogènes. Le Mouvement identitaire attire beaucoup l’attention par ses modes de protestation originaux qui rappellent les formes d’action des nouveaux mouvements sociaux des années 70-80. Cf. Bruns Julian, Glösel Kathrin, Strobl Natascha, Die Identitären. Handbuch zur Jugendbewegung der Neuen Rechten in Europa, Münster, Unrast Verlag, 2014. 25. Schick Jonas, « Ökologische Beleuchtungen (1) – postmoderne Maßlosigkeit », in : Sezession, no 92, 2019, p. 62-63. 124 Stefan Rindlisbacher simple et reconnecté avec la nature. Ce n’est pas le « tournant énergétique » imposé par l’État qui est ici au centre des mesures de protection de l’environnement, mais l’individu qui adapte ses modes d’action et ses pratiques quotidiennes à l’environnement qui l’entoure. Pour autant, cette écologie de droite ne doit pas être confondue avec un appel de type libéral dans le sens d’une protection de l’environnement fondée sur la responsabilité individuelle. Dans les idéologies d’extrême droite, la liberté d’action de l’individu est généralement fortement limitée et étroitement liée à une communauté, une origine et une culture interprétées en des termes ethniques. Ainsi, Schlick affirme également que seul « l’enracinement dans un lieu déterminé » permet un mode de vie réellement « écologique en harmonie avec son environnement ». En effet, selon lui, les différentes « cultures régionales » se seraient développées au fil des siècles suite à l’adaptation aux différents écosystèmes, avec des modes économiques, des traditions et des coutumes spécifiques. Suivant ce concept ethnodifférentialiste, Schick affirme que les migrants sont dans l’incapacité de s’intégrer à une autre région que celle dont ils sont originaires, parce qu’il leur manque « le lien avec l’environnement régional »26. Le souci de l’environnement se trouve ici mis en avant afin de poursuivre l’objectif raciste d’une population culturellement homogène. Par l’intermédiaire de ce lien imaginé entre les hommes et leur environnement régional, Schick renoue avec l’idéologie Blut und Boden [sang et sol] du mouvement völkisch qui, après la Première Guerre mondiale, avait postulé une unité mystique entre un Volkskörper [corps du peuple] défini selon des critères biologiques et raciaux et la zone de peuplement qui s’est développée au fil de l’histoire et qu’il appelle la Heimatscholle [la terre-mère]. Sous le national-socialisme, on a mis en pratique cette idéologie avec une plus grande brutalité, en épurant par la force non seulement les paysages supposés naturels, mais aussi la population allemande des influences prétendument étrangères27. Après la Seconde Guerre mondiale, des tentatives ont été menées au sein de l’extrême droite pour renouveler l’idéologie Blut und Boden. Avec le passage du racisme biologique au racisme culturel, il n’était plus question de l’existence d’un lien entre la « race » et la « terre », mais d’un enracinement des hommes dans un espace culturel. Tout en reformulant ainsi leur idéologie centrale, les extrémistes de droite se sont appliqués à prendre leurs distances vis-à-vis des concepts des nationaux-socialistes sans pour autant se défaire de leurs positions racistes28. Jonas Schick a tenté d’adapter l’idéologie Blut und Boden culturalisée aux besoins de l’écologie de la « Nouvelle Droite » en lui adjoignant la notion de biorégionalisme. Les biorégions sont définies comme des espaces de vie qui se distinguent les uns des autres par des caractéristiques naturelles telles que la géologie, le climat, la flore, la faune et le paysage, mais qui sont également liés à des influences humaines telles que la langue, la culture et les traditions. Les biorégionalistes partent du principe qu’un mode de vie est particulièrement durable dès lors qu’il s’adapte le mieux possible aux conditions environnementales et culturelles existantes. Depuis les années 1970, des tentatives ont été menées, en particulier dans les milieux anarchistes de la côte ouest des États-Unis, pour mettre en pratique un mode de vie axé sur des biorégions spécifiques par le biais de structures économiques locales, d’exploitations agricoles et de communautés rurales. La création de communautés régionales était 26. Schick Jonas, « Das ökologische Minimum », in : Sezession, no 92, 2019, p. 50. 27. Cf. Bierl Peter, Grüne Braune, op. cit., p. 18-22. 28. Cf. Geden Oliver, Rechte Ökologen, op. cit., p. 60-62. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle (…) 125 supposée non seulement atténuer la dépendance à l’économie mondialisée et renforcer l’autosuffisance, mais aussi remettre en question l’État-nation en tant que forme d’organisation sociale29. Les « Nouvelles droites » se sont également intéressées aux dimensions pratiques du biorégionalisme. Finalement, elles n’ont pas cherché à renverser le système social et économique libéral-démocratique tant détesté ni par la voie parlementaire ni par l’utilisation de la force, mais elles ont plutôt tenté de réaliser le changement souhaité dans un espace pré-politique30. En ce sens, en 2020, Schick a également souligné, dans le septième article de sa série sur l’écologie parue dans Sezession, que chaque collectif, aussi petit soit-il, avait la possibilité de se rassembler autour des principes du biorégionalisme pour commencer immédiatement à bâtir une société nouvelle. De cette manière, la « Nouvelle Droite » écologique « ne reste pas enlisée dans la dénonciation et la théorisation », mais peut mettre en pratique la « critique à caractère écologique proférée par la droite à l’égard des sociétés industrielles et de consommation »31. À partir de 2020, Schick a poursuivi son appropriation des concepts biorégionalistes dans le magazine sur papier glacé Die Kehre. Celui-ci réunissait non seulement le gratin de la scène intellectuelle de la « Nouvelle Droite » (avec des personnalités comme Philip Stein, Michael Beleites, Hagen Eichberger, Martin Lichtmesz, Benedikt Kaiser et Martin Sellner), mais il donnait également la parole à des penseurs des tout premiers temps de la « Nouvelle Droite » comme Alain de Benoist. Depuis les années 1990, Benoist avait déjà tenté d’associer l’extrême droite à des thèmes écologiques32. Désormais, l’auteur et publiciste français a également servi de source d’idées pour la « Nouvelle Droite » écologique en Allemagne. Dans une interview, il a ainsi critiqué la prétendue « focalisation excessive sur le changement climatique » et a qualifié le développement des installations solaires et éoliennes de « source de confusion écologique ». L’environnement ne peut pas, à ses yeux, être sauvé par une croissance accrue ; une « écologie authentique » présuppose au contraire un « changement radical de notre mode de vie »33. Comme Götz Kubitschek avant lui, il fait référence au mouvement post-croissance, qui expérimente déjà son idée de communautés régionales à consommation réduite. Ainsi, il existerait déjà « de petites […] communautés plus ou moins autonomes […] » qui s’engagent pour « des coopératives, une économie de voisinage, des circuits courts, des monnaies locales, la protection des sols et des paysages ». C’est seulement de cette manière qu’il est selon lui possible de « trouver un nouveau rapport à la nature, de rétablir l’appartenance à cette dernière »34. Dans la revue Die Kehre, il ne s’agissait donc plus d’un déplacement du discours, mais aussi et surtout de la préparation de la mise en œuvre pratique d’un mode de vie écologique. Comme l’écrit l’auteur de « Nouvelle Droite » Benedikt Kaiser dans 29. Cf. Hamm Bernd, Rasche Barbara, Bioregionalismus. Ein Überblick, Trier, ZES, 2002, p. 13-26. URL : https:// www.uni-trier.de/fileadmin/forschung/ZES/Schriftenreihe/053.pdf, consulté le 28.06.2023. 30. Sur la contreculture de la « Nouvelle Droite », cf. Bures Eliah, « Beachhead or Refugium ? The Rise and Dilemma of New Right Counterculture », in : Journal for the Study of Radicalism, no 14/2, 2020, p. 29-64. 31. Schick Jonas, « Ökologische Betrachtungen (7) – Bioregionalismus », in : Sezession, no 99, 2020, p. 57. 32. Cf. François Stéphane, « La Nouvelle Droite et l’écologie. Une écologie néopaïenne ? », in : Parlement[s], Revue d’histoire politique, no 12/2, 2009, p. 132-143, ici p. 138-140. URL : https://www.cairn.info/revueparlements1-2009-2-page-132.htm, consulté le 15.07.2023. 33. Interview du philosophe français Alain de Benoist. Entretien mené et traduit du français par Benedikt Kaiser, in : Die Kehre, no 3, 2020, p. 35. 34. Ibid., p. 38. 126 Stefan Rindlisbacher un article consacré à la « Nouvelle Droite » des années 1970, les connaissances des pionniers de l’écologie de droite devraient servir d’« inspiration et d’incitation » aux « forces vives actuelles ». Car en définitive, précise-t-il, « la roue ne doit pas être réinventée partout »35. C’est pourquoi, en plus des contributions théoriques, Die Kehre propose de plus en plus d’instructions pratiques, comme des conseils pour le Guerilla Gardening, des instructions pour la rotation idéale des cultures dans le potager ou l’utilisation d’engrais biologiques. Non seulement les idées des mouvements écologistes des années 1970 et 1980 servent ici de référence, mais c’est également le cas des pratiques du mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform], qui était déjà à la recherche d’un mode de vie plus naturel à la fin du XIXe siècle. Vivre comme les « réformateurs·trices de la vie » ? Des corps sains contre des visions d’horreur post-humanistes À bien des égards, les diagnostics de crise de la « Nouvelle Droite » écologique du début du XXIe siècle rappellent la critique du mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] contre l’urbanisation, l’industrialisation et la technicisation des univers de vie autour de 1900. À l’époque, les Lebensreformer (adeptes, gourous et maîtres à penser de la « réforme de la vie » [Lebensreform]) critiquaient le manque de lumière et d’air au sein de zones d’habitation de plus en plus densément peuplées, le stress quotidien et l’agitation fébrile des villes, ainsi que le manque d’activité physique qui caractérise les nouveaux métiers de service et d’administration. Ils tenaient également la transformation industrielle des aliments, l’intensification de l’agriculture et la consommation croissante de stimulants et de protéines animales pour responsables de l’apparition de maladies dites « de civilisation » [Zivilisationskrankheiten], telles que le cancer, les caries dentaires ou la nervosité. Afin de maîtriser, ou du moins d’atténuer, ces problèmes provoqués par la société industrielle et la consommation urbaine, ils prônaient une multitude de pratiques qui devaient permettre un mode de vie plus sain et ayant renoué le lien avec la nature. Il s’agissait notamment de pratiques physiques telles qu’une alimentation végétarienne, le renoncement à l’alcool et au tabac, le recours aux médecines naturelles, les soins corporels par la gymnastique, les massages, les séances de sauna ou encore les activités sportives en pleine nature36. Caractéristique du mouvement de la « réforme de la vie » [Lebensreform], cette concentration sur la transformation individuelle du style de vie personnel a également trouvé un écho favorable auprès de la « Nouvelle Droite », dans la mesure où cette approche semblait en parfaite adéquation avec la critique de la consommation, l’idée de post-croissance et le biorégionalisme. Le fait de se préoccuper de son propre corps et d’aspirer à une meilleure santé, exprimé par les adeptes de la « réforme de la vie » [Lebensreformer], s’est également avéré compatible avec les objectifs de la « Nouvelle Droite » en matière de politique démographique. Dès 1900, des pratiques alimentaires, sanitaires et corporelles réformatrices avaient été associées à des intentions eugénistes visant à améliorer la Volksgesundheit [la santé du peuple]. 35. Kaiser Benedikt, « Krieg dem PKW. Die frühe Neue Rechte und die Ökologie », in : Die Kehre, no 11, 2022, p. 35. 36. Sur l’histoire de la Lebensreform, cf. Wedemeyer-Kolwe Bernd, Aufbruch. Die Lebensreform in Deutschland, Darmstadt, Zabern, 2017 ; Rindlisbacher Stefan, Lebensreform in der Schweiz (1850-1950). Vegetarisch essen, nackt baden und im Grünen wohnen, Berlin u. a., Peter Lang, 2022. La « Nouvelle Droite » écologique au XXIe siècle (…) 127 Combinées à des idées völkisch d’une « communauté du peuple » [Volksgemeinschaft] homogène, les pratiques corporelles propagées par le mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] ont même servi d’instrument à une volonté de « réarmement biologique » du « corps du peuple » [Volkskörper] 37. Pour les représentants de la « Nouvelle Droite », il importait de faire reconnaître le mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] et ses pratiques comme des composantes historiques du mouvement écologique de droite. Ainsi, un article sur le végétarisme expliquait que le fait de ne pas manger de viande provenait « des idées et des vertus fondamentales de la philosophie primitive et, plus tard, du christianisme, à savoir l’abstinence et la modération ». Ce mode d’alimentation respectueux de l’environnement et éthiquement supérieur viserait à conserver ce qui « vaut la peine d’être conservé et qui est éternellement vrai ». Les adeptes conservateurs de la « réforme de la vie » [Lebensreform] comme Magnus Schwantje et Ludwig Klages auraient d’ailleurs justifié leur végétarisme par leur « respect de la vie ». Contrairement au végétarisme de gauche, caractérisé par sa bonne dose de « moralisme », le végétarien conservateur, conscient de la « faiblesse de l’être humain », éviterait de condamner ceux qui se refusent à changer brutalement leur mode d’alimentation. Il s’agirait plutôt à leurs yeux de faire progresser « le travail sur soi-même » et de travailler à son « perfectionnement moral »38. Dans les numéros de Die Kehre qui ont suivi, cet homme vivant naturellement et travaillant sur son corps et sur lui-même est présenté comme l’antithèse conservatrice de l’idée post- et transhumaniste d’un individu capable de se surpasser lui-même et de transcender ses propres limites biologiques. Martin Sellner, par exemple, décrit ce que l’on appelle le transhumanisme comme « l’ultime adversaire d’une pensée écologique holistique et de droite ». Dans son article, le co-fondateur du Mouvement identitaire autrichien dépeint une vision d’horreur constituée de « milliardaires de la high tech » installés dans la Silicon Valley tels qu’Elon Musk, Jeff Bezos et Peter Thiel, optimisant les corps par le biais de prothèses, de la nanotechnologie et de l’intelligence artificielle, jusqu’à les faire disparaître complètement grâce au téléchargement de l’esprit humain sur un réseau neuronal artificiel. Et cette dystopie est illustrée par toutes sortes d’images tirées de films de science-fiction comme Blade Runner et Ghost in the Shell. Pour Sellner, le transhumanisme est le prolongement logique d’un « programme d’émancipation » de gauche qui, depuis les Lumières, travaille à « la dissolution des communautés organiques, l’atomisation individualiste et la décomposition des peuples, des religions et des traditions. » L’image d’horreur d’un posthumanisme à même de tout déstructurer est par conséquent vue comme la parfaite antithèse de l’utopie de droite d’un mode de vie écologique s’appuyant sur les pratiques historiques du mouvement post-croissance, du biorégionalisme et de la « réforme de la vie » [Lebensreform]. 37. Cf. Braun Karl, Linzner Felix, Khairi-Taraki John, « Avantgarden der Biopolitik. Jugendbewegung, Lebensreform und Strategien biologischer Aufrüstung » [Introduction des éditeurs], in : ibid. (dir.), Avantgarden der Biopolitik. Jugendbewegung, Lebensreform und Strategien biologischer “Aufrüstung”, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2017, p. 9-17. 38. Seidel Jörg, « Warum ich kein Vegetarier bin », in : Die Kehre, no 6, 2021, p. 13. 128 Stefan Rindlisbacher Bilan Depuis la fin du XIXe siècle, il a toujours existé des courants au sein de l’extrême droite qui se sont engagés pour la protection de la nature et, plus tard, de l’environnement. Le moteur de ces efforts n’était pas seulement le souci de préserver les conditions de vie naturelles des hommes, mais aussi le refus de tout changement social. Ainsi, les écologistes de droite ont toujours lié leurs préoccupations en matière de protection de la nature et de l’environnement à des mises en garde contre la dissolution des structures familiales, des traditions et des identités culturelles, et ils ont exigé le rétablissement d’ordres, de hiérarchies et de frontières supposés « naturels ». Cet objectif était censé être atteint par une régulation de la population, des individus et de leurs corps. Le mouvement völkisch, par exemple, a tenté vers 1900, avec son idéologie Blut und Boden [sang et sol], de construire une unité entre les paysages naturels et les « races » qui y vivent, unité qui n’a en soi jamais existé. Parallèlement, les pratiques du mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] étaient supposées permettre aux individus « surcivilisés » de reconnecter leur mode de vie, devenu « contre-nature », avec les lois de la nature. Les partisans de l’eugénisme envisageaient une influence ciblée sur la population par le biais d’interdits matrimoniaux, de stérilisations voire d’euthanasies. Les nationaux-socialistes ont ensuite mis ces idées en pratique. Après la Seconde Guerre mondiale, les écologistes de droite ont poursuivi ces efforts biopolitiques en abordant les problématiques de la croissance démographique mondiale et des migrations. Lorsque, à partir de 2008, la « Nouvelle Droite » a tenté, après une longue période d’inactivité, de rendre l’idée de protection de l’environnement à nouveau acceptable au sein de l’extrême droite, elle a recouru de manière ciblée à ces instruments de l’écologie de droite liés à la population et au corps : premièrement, elle a renoué avec la thèse de la surpopulation pour désigner l’homme comme le plus grand problème environnemental. Deuxièmement, les intellectuels de la « Nouvelle Droite » ont tenté de s’approprier des concepts critiques du mouvement post-croissance et biorégionaliste à l’égard de la consommation et du capitalisme, afin de légitimer la création d’une société culturellement homogène. Troisièmement, ils ont propagé les pratiques corporelles et de santé du mouvement de « réforme de la vie » [Lebensreform] en tant que mise en œuvre pratique d’un mode de vie naturel à consommation réduite, tout en se démarquant de la vision d’horreur post-humaniste d’un homme capable d’autodissolution. Leur objectif était de réinterpréter la protection de l’environnement comme une préoccupation fondamentalement conservatrice, de remettre en question la légitimité des partis et des mouvements de gauche en tant que porteurs d’une politique écologique et de leur substituer la « Nouvelle Droite » définie comme le mouvement écologiste du XXIe siècle. – Traduit de l’allemand par Olivier Hanse –
Parant, A. (2024). Politique familiale et vitalité démographique. Population & Avenir, n° 766(1), 4–7. https://doi.org/10.3917/popav.766.0004
par Alain Parant Chercheur honoraire l’Institut national d’études démographiques (INED) Conseiller scientifique de Futuribles International POPULATION AVENIR • N° 766 • Janvier-février 2024 4 DOSSIER Politique familiale et vitalité démographique : la Suède, l’Allemagne et la France À partir de la mi-décennie 1960, dans un contexte de rapide évolution des mœurs (baisse de la primo-nuptialité, montée de la cohabitation hors mariage, hausse de la divortialité) et de forte croissance de l’activité professionnelle des femmes, la politique familiale suédoise s’est efforcée de rendre compatibles travail féminin et vie familiale. En 1974, un congé parental est ainsi instauré donnant lieu à la perception d’une allocation. Attribuée dès la première naissance à celui des deux parents qui s’occupe de l’enfant, cette allocation est possiblement versée durant 12 mois. La législation relative à ce congé parental évoluera à plusieurs reprises, sans que son bien-fondé ne soit remis en cause. En parallèle, l’accueil de la petite enfance fut très nettement développé. Relevant de la responsabilité de l’État, les systèmes de garde sont cependant gérés par les communes qui ont obligation d’accueillir tous les enfants âgés d’un an3 à cinq ans dans un service de garde préscolaire, en échange d’une participation adaptée aux capacités financières des parents. L’entrée à l’école s’effectuant en Suède à sept ans, les communes doivent aussi garantir une place en classe préparatoire pour tous les enfants de six ans. À l’instar du congé parental, cette offre de services n’a subi aucune inflexion à la baisse, même durant la crise des années 2008-2010. Tout au plus, constate-t-on l’émergence de services privés, autorisés depuis la fin du monopole public décrétée par les gouvernements de centre-droit arrivés au pouvoir dans les années 1990, au côté des services communaux, ces derniers assurant toutefois encore une très large majorité de l’offre. 3. Jusqu’à un an, les enfants sont pour la plupart gardés par un parent grâce au dispositif de congé parental. Dans le monde, la natalité diminue1 du fait, notamment, de la baisse de la fécondité ; cette dernière est même devenue trop basse dans un très grand nombre de pays pour assurer le remplacement des générations2. En Europe, le continent le plus anciennement concerné par la baisse de la fécondité, des pays comme la Suède et l’Allemagne cherchent à y répondre en rénovant leurs politiques familiales. Mais d’autres, à l’instar de la France, ne tardent-ils pas à réagir ? 1. EN SUÈDE, UNE POLITIQUE FAMILIALE DE TRÈS LONGUE TRADITION La Suède s’est progressivement dotée depuis les années 1930 d’une politique familiale extrêmement développée. ◗ Les évolutions de la politique familiale suédoise Cette politique consista dans un premier temps en une série de mesures facilitant l’accès au logement des jeunes ménages (prêts, allocations) et leur garantissant un meilleur niveau de vie (congé de maternité, gratuité des soins de maternité, déductions fiscales). L’impact fut tel qu’en 1945, épargnée par la Seconde Guerre mondiale en raison de sa neutralité, la Suède avait une fécondité de 2,6 enfants en moyenne par femme. Après 1945, la politique familiale suédoise visa davantage le maintien du bien-être matériel des familles. Ainsi fut voté l’octroi d’allocations monétaires généralisées d’un montant égal indépendamment du rang de l’enfant et du revenu des parents pour tout enfant âgé de moins de 16 ans. Jusqu’au début des années 1960, la fécondité oscilla entre 2,2 et 2,4 enfants par femme. 1. Parant, Alain, « Le déclin de la natalité dans le monde et en Europe. Quels mécanismes explicatifs ? Quelle géographie ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 44, avril 2023. https://doi.org/10.3917/lap.046.0001 2. Rappelons que, dans les pays européens, ce remplacement supposerait une fécondité de 2,1 enfants par femme. De 1960 à 1980, 2000 et 2020, la proportion de population vivant dans un pays ou territoire à taux net de reproduction (TNR) inférieur à l’unité a bondi de 4,2% à 21,7%, 46,2% et 69% ; voir : Parant, Alain, « La population du monde : tendances et perspectives », Futuribles, n° 452, 2023. En Suède, l’accueil des enfants de 1 à 5 ans est géré par les communes. Politique familiale et vitalité démographique Les cas singuliers de la Suède, de l’Allemagne et de la France Source : Alain Parant, Population & Avenir – chiffres Eurostat. EUROPE 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 Suède France* Allemagne Enfants par femme 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 * France métropolitaine jusqu’en 1997, puis France métropolitaine et quatre départements d’outre-mer, et y compris Mayotte depuis 2014. Fig. 1. La écondité (nombre moyen d’enfants par femme) en emagne, en France et en Suède Janvier-février 2024 • N° 766 • POPULATION AVENIR DOSSIER 5 Politique familiale et vitalité démographique : la Suède, l’Allemagne et la France ◗ Les fluctuations et les va-et-vient de la fécondité en Suède La fécondité de la Suède qui, depuis 1976, fluctuait entre 1,6 et 1,7 enfant en moyenne par femme, a alors connu une très nette remontée jusqu’à excéder légèrement 2,1 en 1990, soit un niveau légèrement supérieur au seuil de remplacement des générations (figure 1). Mais sitôt cet acmé atteint, un brutal reflux intervient et amène la fécondité à son point le plus bas de 1,5 enfant par femme pendant les années 1997- 2000. Dans les années qui suivent, la fécondité enregistre une nouvelle double fluctuation : à un regain jusqu’à 2 enfants par femme fait suite un déclin actuellement limité à 1,7. L’examen des taux de fécondité par groupes d’âges des femmes les plus impliquées fait ressortir une différence de fond dans ce double mouvement de hausse et de baisse de la fécondité observé en Suède (figure 2). Au premier va-et-vient de la fécondité, toutes les générations de femmes avaient en effet participé. Le va-et-vient de la fécondité observé depuis les années 2000 se révèle, quant à lui, très différent, s’expliquant par des variations de la fécondité selon les âges. À la phase de rebond de la fécondité n’ont en effet pratiquement contribué que les générations de femmes âgées de 30 ans ou plus, ce qui traduit un phénomène de récupération des naissances précédemment reportées en raison de la situation économique. La phase de baisse au tournant des années 2020 implique pour sa part toutes les générations de femmes âgées de moins de 35 ans et tend à concerner aussi les générations en toute fin de vie féconde. Les tendances du début des années 2020 de la fécondité des femmes en Suède semblent préfigurer un maintien à un niveau très bas, la poursuite de la baisse dans les âges jeunes induisant une augmentation de la proportion de femmes sans enfant et l’arrêt de la hausse dans les âges plus élevés signifiant une baisse de la proportion des familles les plus nombreuses. 2. LA POLITIQUE FAMILIALE DE L’ALLEMAGNE : LA FIN DU REFOULÉ En Allemagne, jusque dans les années 1990, en dépit d’une fécondité très inférieure au niveau garantissant le remplacement des générations et d’un excédent annuel récurrent des décès sur les naissances, la politique familiale s’est articulée sur le modèle de l’homme principal pourvoyeur de Le Suède et l’Allemagne, deux évolutions différentes dans la fécondité et la politique familiale. ◗◗◗ ressources du ménage et de l’épouse en charge, au foyer, de la garde et de l’éducation des jeunes enfants. En raison du passé très explicitement nataliste du Troisième Reich, envisager des dispositifs publics de relance de la fécondité est longtemps demeuré tabou et objet de virulentes attaques. ◗ Une politique familiale très (trop ?) tardive Dans les années 1990, plusieurs mesures concernant les familles furent bien prises et validées par la Cour constitutionnelle (notamment une revalorisation des allocations familiales et une extension de 18 mois à 3 ans du congé parental) mais, globalement, elles préservaient le modèle traditionnel en incitant plutôt les mères de jeunes enfants à ne pas travailler (en raison, entre autres, du très faible développement des modes de garde). En 1998, l’arrivée comme chancelier de Gerhard Schröder et de la coalition rouge (Parti social-démocrate-SPD) – verte (Alliance 90/Les Verts) marque le début d’une prise de conscience qu’en matière de relation travail-famille, bien des choses sont à revoir. Le développement d’écoles ouvertes toute la journée pour permettre aux femmes de s’insérer ou de se maintenir sur le marché du travail fut ainsi encouragé. Mais pour qu’une véritable mutation de la politique familiale allemande intervienne, il fallut la mise sur pied, après le scrutin de septembre 2005, de la grande coalition constituée par la CDU-CSU et le SPD, la désignation d’Angela Merkel à la Chancellerie et celle d’Ursula von der Leyen au ministère de la Famille, des Seniors, des Femmes et de la Jeunesse. Relancer la natalité, créer un environnement à même de favoriser les libres choix de vie individuels et, indirectement, soutenir la compétitivité économique de l’Allemagne sont les objectifs alors visés. Dans l’ensemble des mesures proposées, deux ressortent plus particulièrement : la réforme de l’allocation parentale (Elterngeld) et le développement des infrastructures d’accueil des jeunes enfants. Largement inspirée du modèle suédois, la réforme de l’allocation parentale stipule : « En règle générale, pour chaque enfant né après le 1er janvier 2007, le parent en ayant la charge reçoit une allocation à hauteur de 67% de son précédent salaire net, pour une durée d’un an et pour un montant maximal de 1 800 euros par mois. »4. En décidant que le montant de l’allocation parentale pouvait être majoré de 10% dans le cas d’une naissance suivant la précédente dans un délai de 24 mois, le législateur cherchait par ailleurs à inciter les couples à réduire les intervalles intergénésiques. Dans l’idée de favoriser un modèle familial avec les deux parents qui travaillent, une augmentation des places en structure d’accueil de la prime enfance (structures collectives ou assistantes maternelles) est promue, avec l’objectif d’assurer la prise en charge d’un tiers des enfants de moins de 3 ans (soit 750 000 places). Une loi spécifique est votée pour garantir le financement du projet pour un tiers à charge de l’État fédéral. Plutôt bien accueillies par le monde économique, ces mesures, ont favorisé une montée de la participation des femmes au monde du travail (plus souvent à temps partiel qu’à temps plein). Mais leur impact sur le niveau de la fécondité s’est avéré mitigé. 4. Krause, Susan, « La politique familiale en Allemagne », Documents, 2007, n° 1. Source : Alain Parant, Population & Avenir – chiffres WPP 2022. Fig. 2. Le taux de écondité par groupe d’âge en Suède 10 0 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 130 140 150 180 Taux de naissances (pour 1 000 femmes) 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 20-24 ans 40-44 ans 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 ◗◗◗ POPULATION AVENIR • N° 766 • Janvier-février 2024 6 DOSSIER Politique familiale et vitalité démographique : la Suède, l’Allemagne et la France Pendant cet « âge d’or » de la politique familiale, même si celle-ci ne peut en être tenue pour unique facteur causal5, la France enregistre une spectaculaire remontée de la natalité qui contraste avec la première moitié du XXe siècle6. ◗ … à une certaine érosion, puis… Au fil des années, la forte augmentation des dépenses d’assurance maladie et la montée en charge des dépenses d’assurance vieillesse ont contribué à l’érosion de la politique familiale7, la modification de la structure interne des dépenses de protection sociale survenant, qui plus est, dans une période de très profonde évolution du droit des femmes et de la famille8. En 1981, l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République s’est, dans un premier temps, traduite par une très forte revalorisation des allocations (familiales, logement, adultes handicapés) et par un élargissement des populations bénéficiaires. Mais, rapidement, la nécessité de combler les déficits récurrents des comptes sociaux a contraint à des mesures d’économies auxquelles la branche famille a fortement contribué, la politique familiale perdant progressivement son caractère universaliste et prenant un tour social de plus en plus marqué. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion est privilégiée indépendamment des alternances politiques au pouvoir. La branche famille se voit ainsi confier la gestion du revenu minimum d’insertion, créé en 1989, et contrainte, à dotation globale révisée à la baisse, d’axer son action en faveur des plus démunis, ce dont elle s’acquitte en mettant progressivement sous conditions de ressources les allocations qu’elle verse. Toutefois, l’objectif de renforcer la conciliation entre travail et vie familiale est poursuivi avec, notamment, une forte implication des communes : structures d’accueil préscolaires ; frais de garde partiellement pris en charge. En juillet 1985, c’est la création d’une allocation parentale d’éducation (APE) versée à toute personne qui interrompt ou réduit son activité professionnelle à l’occasion de la naissance, de l’adoption ou de l’accueil d’un enfant de moins de trois ans dans une famille comptant déjà deux enfants à charge. ◗ … une dénaturation depuis les années 2010 La lutte contre la pauvreté et l’exclusion est loin d’avoir atteint ses objectifs, en dépit d’une sélectivité croissante des prestations. Il en est de même pour la conciliation entre travail et vie familiale comme en atteste, entre autres, la relative faiblesse – seulement 60 % en 2019 (année pré-Covid-19) – de la capacité d’accueil théorique de 100 enfants âgés de moins de trois ans par les modes d’accueil « formels » : assistantes maternelles, crèches, 5. Pour la mise en évidence de ce facteur causal, voir : Calot Gérard, Chesnais JeanClaude, « Efficacité des politiques incitatrices en matière de natalité », Colloque Évolution démographique et transferts sociaux, Liège, 25 novembre 1983. 6. Dumont, Gérard-François (direction), Populations, peuplement et territoires en France, Paris, Armand Colin, 2022. https://doi.org/10.3917/arco.dumon.2022.01 7. À la fin des années 1950, la branche famille représentait près de 30% des prestations sociales. En 1970, la branche famille ne représente plus que 17% des prestations sociales ; 12% en 1980 (source : Drees). 8. Le 13 juillet 1965, la loi rend effective la capacité juridique des femmes mariées. Le 28 décembre 1967, la « loi Neuwirth » établit le droit à la contraception. Le 4 juin 1970, la loi remplace la puissance paternelle par l’autorité parentale conjointe. Le 17 janvier 1975, la « loi Veil » légalise l’interruption volontaire de grossesse. Le 11 juillet 1975, la loi substitue au divorce uniquement fondé sur la faute une pluralité de cas de divorce, renforçant ainsi la liberté de divorcer. Si les mesures mises en œuvre après 1992 ont permis d’endiguer la baisse de la fécondité et induit un léger rebond à 1,4 enfant par femme, celles prises au milieu des années 2000 ont des effets limités (figure 1). À partir de 2013, un ressaut survient qui amène la fécondité à 1,6 enfant par femme, un niveau légèrement supérieur au plus haut enregistré à la fin des années 1970. ◗ Immigration et fécondité La décomposition de la fécondité selon la nationalité des femmes fait cependant ressortir que l’essentiel de la hausse incombe aux femmes de nationalité étrangère (figure 3), le pic de 2016 étant à relier à l’entrée massive, l’année précédente, de plusieurs centaines de milliers de femmes réfugiées syriennes, irakiennes, érythréennes et afghanes. Ces femmes migrantes ont concrétisé dans les mois qui ont suivi leur installation en République fédérale tout ou partie de leurs projets de descendance puis, leur fécondité, en toute logique, a subi une nette inflexion à la baisse. Dans le même temps, la fécondité des femmes de nationalité allemande s’est maintenue entre 1,4 et 1,5 enfant par femme, la hausse de 2021 tenant à une récupération post-Covid. Source : Alain Parant, Population & Avenir – chiffres Destatis, 2022. 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0 2,2 2,4 Ensemble Étrangère Allemande Nombre moyen d’enfants par femme Fig. 3. La écondité en emagne eon a nationaité de emme 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 3. LA POLITIQUE FAMILIALE DE LA FRANCE EN VOIE D’ÉVANESCENCE Depuis la moitié des années 2010, la fécondité de la France n’est plus exceptionnelle en Europe, non plus que sa politique familiale. ◗ De « l’âge d’or » de la politique familiale… La loi Landry du 11 mars 1932, le décret-loi du 12 novembre 1938 et le décret-loi du 29 juillet 1939 instituant le Code de la famille en avaient progressivement esquissé les grandes lignes, mais c’est l’ordonnance du 4 octobre 1945, qui établit le nouveau régime de sécurité sociale et intègre les caisses d’allocations familiales dans sa structure, ce qui constitue véritablement l’acte de naissance de la politique familiale en France. Son architecture sera très vite renforcée et ses budgets très fortement augmentés, avec notamment le versement d’allocations familiales universelles à partir du deuxième enfant et l’instauration du quotient familial. Janvier-février 2024 • N° 766 • POPULATION AVENIR DOSSIER 7 Politique familiale et vitalité démographique : la Suède, l’Allemagne et la France l’obligation implicite de se conformer à la norme (refuser la parentalité quand les conditions sont favorables est un comportement socialement mal perçu). Dans les pays de l’est et du sud de l’Europe, l’effet de la pression sociale a exercé ses effets d’autant plus longuement que l’accès à la contraception et à l’avortement était malaisé, voire quasiment impossible. Pour les générations plus jeunes, nées depuis les années 1950, l’infécondité est partout à la hausse. ◗ Proportion de naissances hors mariage et fécondité en Europe Un autre facteur explicatif du déclin moins prononcé de la fécondité de la France a trait au statut matrimonial des parents lors de la naissance des enfants. Quand on met en rapport la proportion de naissances hors mariage10 et la fécondité des 27 États membres, on note que plus la première est élevée et plus le second tend à être également élevé11 (figure 4). En 2020, parmi les 12 États qui comptent une proportion de naissances hors mariage supérieure à la moyenne de l’UE (41,9%), seuls 3 (Espagne, Finlande, Portugal) ont aussi une fécondité supérieure à la moyenne de l’UE (1,50 enfant par femme). À l’inverse, parmi les 15 États à proportion de naissances hors mariage inférieure à la moyenne de l’UE, 9 ont aussi une fécondité inférieure à la moyenne ; seules font exception l’Allemagne (1,53 enfant par femme), la Lettonie (1,55), la Hongrie et la Slovaquie (1,59), l’Irlande (1,63) et la Roumanie (1,80). ◗ Réhabiliter la politique familiale Ainsi, l’histoire des politiques familiales de la Suède, de l’Allemagne et de la France est fondamentalement différente et s’inscrit dans des calendriers fortement différenciés. La comparaison conduit aussi à s’interroger plus particulièrement sur la politique familiale de la France, longtemps appréciée par les Français (et enviée à l’étranger) et pourtant en bonne voie d’évanescence depuis le milieu des années 2010. Entreprendre de la rénover serait une preuve de confiance collective dans l’avenir, une opportunité de réenchanter les jeunes générations adultes, quand bien même l’incidence sur la fécondité et la natalité futures serait limitée. 10. Voir la page 20 de ce numéro 766. 11. Comme cela avait été constaté au tournant des années 2010 : voir : « Europe : une “prime” aux naissances hors mariage ? », Population & Avenir, n° 704, septembre-octobre 2011. écoles maternelles, emploi de salariés à domicile (source : rapport 2021 de l’Observatoire national de la petite enfance). Très profondément dénaturée, notamment par la fin de l’universalité des allocations familiales introduite en 2014, suivant au plus près l’évolution des formes de vie familiale et répondant à l’émergence de nouveaux risques sociaux, mais de plus en plus discriminante, la politique familiale française est restée largement perçue comme le facteur explicatif premier de la relative position privilégiée de la fécondité de la France en Europe. Il convient pourtant de considérer deux autres éléments d’explication des différences de fécondité dans l’UE9 , à commencer par l’évolution de l’infécondité féminine définitive. ◗ De fortes différences en Europe dans la proportion des femmes sans enfant Alors qu’elle était orientée à la baisse dans tous les pays européens jusqu’aux générations nées dans les années 1940, la proportion de femmes infécondes (femmes âgées de 50 ans n’ayant pas eu d’enfants) remonte par la suite, plus précocement dans les pays de l’ouest et du nord de l’Europe que dans ceux de l’Est (tableau 2). La proportion de emme inéconde dan e génération 1910, 1920, 1930, 1940, 1950, 1960, 1968, 1970 dan e pay de ’nion européenne (%) Générations 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1968 1970 Allemagne – – – 11,5 13,5 18,4 23,1 – Autriche 22,4 17,4 15,0 12,5 12,6 16,3 18,4 18,5 Belgique 25,0 19,8 16,1 13,1 14,1 15,5 16,1 – Bulgarie – 8,9 6,7 4,5 4,7 6,5 7,8 9,3 Croatie – – 11,5 8,9 8,5 9,5 13,1 14,9 Danemark – – – – 10,7 11,6 12,0 11,9 Espagne 17,2 12,6 12,1 12,3 16,5 18,6 Estonie – 18,7 13,8 10,5 8,8 9,0 11,1 11,5 Finlande 26,2 20,2 16,5 14,1 14,9 17,3 19,7 – France 21,7 19,2 13,2 11,3 11,7 13,2 14,3 – Grèce – – – – 9,8 10,8 – – Hongrie 20,1 14,6 10,7 9,5 7,7 8,1 10,9 – Irlande – – 21,1 15,6 14,7 17,1 18,8 – Italie – – – 12,3 11,2 14,2 19,8 20,6 Lituanie – – 13,1 8,0 8,0 8,8 9,3 – Pays-Bas 20,0 15,0 12,0 11,9 14,6 17,3 17,7 – Pologne – 12,9 11,2 9,2 8,1 6,7 – – Portugal 26,1 21,8 17,2 11,8 9,8 11,2 12,3 – Roumanie 21,5 20,2 16,0 12,5 10,0 10,7 – 13,9 Slovaquie 14,0 10,9 9,3 8,0 9,7 10,2 11,3 11,8 Slovénie 22,1 18,2 10,8 7,8 6,8 7,2 11,1 12,6 Suède 23,8 18,7 14,2 12,1 12,6 15,0 13,8 14,1 Tchéquie 16,8 10,7 7,2 5,5 5,5 6,2 7,8 7,7 Chypre – – – – – – – – Lettonie – – – – – – – – Luxembourg – – – – – – – – Malte – – – – – – – – Source : Sobotka T., « Childlessness in Europe : Reconstructing long-term trtends among women born in 1900-1972 », in : Kreienfeld M., Konietzka D. (eds), Childlessness in Europe. Contexts, Causes, and Consequences, Springer, 2017. La baisse de l’infécondité des premières générations du XXe siècle tient grandement à l’amélioration de l’environnement sanitaire et à la réduction de la mortalité reproductive. Pour les générations nées dans les années 1930 et 1940, la baisse de l’infécondité à l’Ouest s’explique par la forte croissance économique, la mise en place d’États providence généreux et 9. L’immigration nette est parfois citée comme facteur explicatif mais son incidence sur le niveau de la fécondité du moment est relativement limitée en France : de l’ordre de 0,1 enfant par femme. Source : Alain Parant, Population & Avenir – chiffres Eurostat. Fig. 4. La écondité et a proportion de naiance hor mariage (%) eon e pay de ’nion européenne (-27), 2020 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 1,9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 ICF (enfants par femme) Proportion de naissances hors mariages (%) France Grèce Roumanie Malte Hongrie Espagne Italie Allemagne Tchéquie Suède Bulgarie Danemark Slovénie Finlande Portugal Chypre UE-27 Autriche Lettonie Slovaquie Irlande Croatie Lituanie Pologne Pays-Bas Luxembourg Estonie 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 1,9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 ICF (enfants par femme) Proportion de naissances hors mariages (%) France Grèce Roumanie Malte Hongrie Espagne Italie Allemagne Tchéquie Suède Bulgarie Danemark Slovénie Finlande Portugal Chypre UE-27 Autriche Lettonie Slovaquie Irlande Croatie Lituanie Pologne Pays-Bas Luxembourg Estonie 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 1,9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 ICF (enfants par femme) Proportion de naissances hors mariages (%) France Grèce Roumanie Malte Hongrie Espagne Italie Allemagne Tchéquie Suède Bulgarie Danemark Slovénie Finlande Portugal Chypre UE-27 Autriche Lettonie Slovaquie Irlande Croatie Lituanie Pologne Pays-Bas Luxembourg Estonie 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 1,9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 ICF (enfants par femme) Proportion de naissances hors mariages (%) France Grèce Roumanie Malte Hongrie Espagne Italie Allemagne Tchéquie Suède Bulgarie Danemark Slovénie Finlande Portugal Chypre UE-27 Autriche Lettonie Slovaquie Irlande Croatie Lituanie Pologne Pays-Bas Luxembourg Estonie 0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 1,8 1,9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 ICF (enfants par femme) Proportion de naissances hors mariages (%) France Grèce Roumanie Malte Hongrie Espagne Italie Allemagne Tchéquie Suède Bulgarie Danemark Slovénie Finlande Portugal Chypre UE-27 Autriche Lettonie Slovaquie Irlande Croatie Lituanie Pologne Pays-Bas Luxembourg Estonie La France, championne d’Europe des naissances hors mariage Proportion des naissances hors mariage dans le total des naissances selon les 27 pays membres de l’Union européenne COMPLÉMENT DU DOSSIER Politique familiale et vitalité démographique : la Suède, l’Allemagne et la France Cf. également pages 4 à 7. © POPULATION AVENIR N° 765 • Novembre-décembre 2023 • 35, avenue Mac-Mahon • 75017 Paris • www.population-et-avenir.com > 55 % (5 pays) 42 % – 55 % (7 pays) 30 % – 41,9 % (9 pays) < 30 % (6 pays) FRANCE AUTRICHE BELGIQUE NORVÈGE SUÈDE FINLANDE POLOGNE RÉP. TCHÈQUE ALLEMAGNE ROUMANIE MOLDAVIE LITUANIE LETTONIE ESTONIE KALININGRAD (RUSSIE) DANEMARK BULGARIE CROATIE ITALIE IRLANDE SLOVAQUIE HONGRIE ROYAUMEUNI PAYS-BAS GRÈCE SLOVÉNIE MALTE CHYPRE ALBANIE SUISSE ESPAGNE UKRAINE BIÉLORUSSIE PORTUGAL LUX. BOSNIE ISLANDE Dans le contexte du déclin de la natalité en Europe1 et de son « hiver démographique »2, l’analyse de la proportion des naissances hors mariage dans le total des naissances au sein des 27 pays membres de l’Union européenne met en évidence des écarts très importants distinguant quatre catégories de pays. Six pays ont une proportion inférieure à 30%, soit en pourcentage croissant : Grèce3, Chypre, Croatie, Malte, Pologne et Lituanie : quatre d’entre eux se situent en Europe méridionale et les deux autres en Europe orientale (Pologne) ou septentrionale (Lituanie). Neuf pays comptent une proportion supérieure à 30% mais inférieure à la moyenne de l’Union européenne (41,9%), soit en pourcentage croissant : Hongrie, Roumanie, Allemagne, Italie4 , Irlande, Lettonie, Slovaquie, Autriche et Luxembourg. Cette liste témoigne d’une forte diversité géographique entre les quatre grandes régions européennes : méridionale, occidentale, orientale et septentrionale. Sept pays comptent une proportion supérieure à la moyenne de l’Union européenne (41,9%), mais inférieure à 55%, soit en 1. Parant, Alain, « Le déclin de la natalité dans le monde et en Europe. Quels mécanismes explicatifs ? Quelle géographie ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 44, avril 2023. https://doi.org/10.3917/lap.046.0001 2. Dumont, Gérard-François, Géographie des populations – Concepts, dynamiques, prospectives, Paris, Armand Colin, 2023. https://www.cairn.info/geographie-des-populations–9782200634797.htm 3. Concernant la Grèce, voir : Georgikopoulos, Ioannis, « Grèce : une évolution démographique heurtée ponctuée par des soubresauts politiques et économiques », Population & Avenir, n° 765, novembre-décembre 2023. 4. Concernant l’Italie, voir : Vodisek, David, « Les enjeux du déclin démographique de la population italienne. L’Italie, laboratoire du vieillissement européen ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 43, 2023. https://doi.org/10.3917/lap.043.0001 pourcentage croissant : Finlande, Espagne, République tchèque, Belgique, Pays-Bas, Estonie et Danemark : là également, la diversité géographique selon les quatre grandes régions européennes se constate. Enfin, cinq pays comptent une proportion élevée, supérieure à 55%, soit en pourcentage croissant : Suède, Slovénie, Portugal, Bulgarie et France, avec également une diversité géographique. La France est donc championne dans l’Union européenne des naissances hors mariage, résultat d’un changement structurel. En France, dans les décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la proportion des naissances hors mariage dans le total des naissances a longtemps stagné en dessous de 9%. Puis, à compter des années 1980, la proportion s’élève. Ce qui allait, dans les décennies 1970 et précédentes, à l’encontre de la norme sociale est devenu un événement banal ; les enfants naguère qualifiés de naturels ou d’illégitimes5 se sont installés dans le paysage, sans subir l’opprobre social ou le désaveu familial. Toutefois, ces ressentis prévalent encore plus ou moins fortement dans certains États du sud et de l’est de l’Union européenne. Au cours des années 2010, la France est donc devenue, dans l’Union européenne, le pays où la proportion de naissances hors mariage est la plus élevée : sur 100 naissances vivantes enregistrées, 62 sont issues de couples non mariés (dont certains se marient postérieurement). 5. La distinction entre la filiation légitime, liée au mariage, et la filiation naturelle, fondée sur la naissance hors mariage, a été abolie en France par l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, une réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2006 et ratifiée par une loi du 16 janvier 2009.
Deleurence, G. (2023, June 16). Cinquante nuances de vert-brun. POLITIS. https://www.politis.fr/articles/2023/06/cinquante-nuances-de-vert-brun/
Cinquante nuances de vert-brun
Les extrêmes droites françaises sont protéiformes, leur rapport à l’écologie l’est tout autant. Retour sur des courants complexes, des plus électoralistes aux plus radicaux, entre écologisation de l’extrême droite et fascisation de l’écologie.
« Enquête sur l’écofascisme », « Écofascisme, l’extrême droite qui vient », « Enrayer l’écofascisme » : ce terme revient de plus en plus dans les titres des médias, évoquant une appropriation fasciste de l’écologie, perçue à tort comme une lutte intrinsèquement progressiste.
Or, si l’écofascisme est un concept, ou plutôt des concepts précis, qui peuvent se percevoir comme une écologisation du fascisme ou au contraire comme une fascisation de l’écologie (lire l’entretien croisé entre Pierre Madelin et Antoine Dubiau), toutes les écologies d’extrême droite ne sont pas écofascistes, et toutes les extrêmes droites ne se positionnent pas de la même manière autour de la question écologique. Il reste que ces mouvements sont en pleine expansion, et que leur ébullition n’est ni anodine ni surprenante au vu du contexte actuel. Plutôt que d’utiliser l’écofascisme comme un terme parapluie qui les inclurait tous, il paraît plus pertinent de parler d’écologies d’extrême droite et réactionnaires, et de les envisager dans un réseau protéiforme, interconnecté.
Il faut procéder méthodiquement dans cette analyse, en s’attachant aux rapports historiques, aux évolutions et à leurs objectifs. L’écologie politique n’est pas l’apanage de la gauche, et l’écologie est un objet de réflexion pour des courants politiques suprémacistes, nazis, fascistes ou réactionnaires depuis la fin du XIXe siècle : on le voit en Allemagne avec l’apparition du mouvement völkisch, courant suprémaciste, dont la traduction se situe entre populaire et ethnique. Paganiste, foncièrement raciste et antisémite, refusant la modernité et théorisant une « nécessité coloniale », il influencera l’Allemagne d’Hitler, mais trouvera aussi un écho en France, chez des personnalités comme Pierre Vial qui le transpose dans le terme folkisme.
« Chaque “race” étant adaptée à son environnement, nous devrions, selon les folkistes, respecter les différents modes de vie et empêcher l’occidentalisation des populations immigrées » explique Stéphane François, auteur des Verts-Bruns.
Ce cofondateur du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece), think tank à la base du courant de la « nouvelle droite », a un CV bien chargé. Ancien conseiller régional pour le FN, passé au MNR de Bruno Mégret, ce suprémaciste blanc crée en 1995 le mouvement Terre et Peuple, néopaïen et identitaire. Ce néopaganisme, longtemps central au Grèce, revendique une écologie qui repose sur un « ethno-différentialisme » et une idée principale : « Une terre, un peuple ».
L’historien Stéphane François, auteur des Vert-Bruns, l’écologie de l’extrême droite française (Le Bord de l’eau, 2022), l’analyse comme « la fusion d’un racisme biologique avec un différentialisme radical aux assises païennes, qui, sous le couvert de l’éloge de la différence culturelle, a légitimé en retour une nouvelle forme de racisme : chaque “race” étant adaptée à son environnement, nous devrions, selon les folkistes, respecter les différents modes de vie et empêcher l’occidentalisation des populations immigrées, et refuser de les accepter sur le sol européen, car le métissage est vu comme un ethnocide ».
Écologie essentialiste
Cet ethno-différentialisme inspire d’autres structures, plus jeunes, comme les communautés survivalistes – qui se préparent à un effondrement climatique et à la « guerre raciale » qui le suivrait – ou séparatistes, comme celle des Braves (anciennement Suavelos) de Daniel Conversano, figure de la fachosphère exilée en Roumanie, « pays loin du cauchemar multiracial, du désespoir postmoderne français, de la frustration sexuelle, de l’insécurité au quotidien », selon ses termes. Il encourage à fonder des communautés non mixtes, confréries racialistes qui s’organiseraient grâce, entre autres, à un retour à la terre dans une forme d’écologie territoriale et essentialiste. Pour Conversano, les femmes ont un rôle central, la reproduction : afin de construire des communautés blanches autonomes, il faut produire des familles blanches.
Cette préservation de la « race blanche », qui passe par des rôles genrés stricts, se retrouve dans d’autres groupes réactionnaires, transphobes et homophobes. Le rôle des organisations comme la Manif pour tous ou le groupe antiféministe des Antigones, qui imposent un cadrage biologique et essentialiste, complète celui des identitaires et des suprémacistes et leur cadrage ethnique et culturel. La question de la reproduction passe aussi par les techniques artificielles, c’est-à-dire la PMA et la GPA. Créé dans les années 2000 et originellement courant critique du complexe militaro-industriel, le groupe Pièces et main-d’œuvre (PMO) s’enfonce dans un militantisme anti-tech qui dérive tellement dans l’homophobie et la transphobie que le sociologue Matthijs Gardenier écrit : « La critique de la technologie amène le courant “anti-tech” à s’inscrire dans une défense de la “naturalité” dans ce qui concerne la contraception, la PMA, la GPA, etc. (…) Pièces et main-d’œuvre, pourtant proche des milieux anarchistes et autonomes, se fait le relais de thématiques proches des argumentaires de la Manif pour tous. »
Cette défense de la « naturalité » par les courants technocritiques se retrouve dans des mouvements comme Deep Green Resistance (DGR), qui appelle à la restauration des écosystèmes par une accélération de l’effondrement de la civilisation industrielle. Au contraire de la collapsologie, qui se rapproche des communautés survivalistes évoquées plus tôt, DGR et ses théoriciens comme Derrick Jensen souhaitent participer activement à cet effondrement. Plus localement en France, ce sont des personnalités comme Nicolas Casaux, qui revendique l’influence de Jensen, ou des publications comme le podcast Floraisons qui portent ce courant, en parallèle de leurs liens avec le Terf, mouvement féministe d’exclusion des personnes trans.
Patriotisme écologique
Autre courant central de l’écologie d’extrême droite, l’écologie intégrale trouve ses origines dans le mouvement royaliste Action française, inspirée du nationalisme intégral de Charles Maurras. Théorisée à l’origine dans une revue de l’Action française Marseille par Jean-Charles Masson, l’écologie intégrale souhaite un réenracinement de la France en vue de dénomadiser culturellement le pays pour respecter la nature éternelle, seul moyen de sa renaissance. Enracinée dans le catholicisme, cette écologie est portée par des héritières de la Manif pour tous, comme Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, ou Marianne Durano. Avec le mari de cette dernière, Gaultier Bès, ils sont des piliers de la revue d’écologie intégrale Limite, dont la publication s’est arrêtée en octobre 2022. Le conservatisme intrinsèque de ce courant s’articule autour de la nature, mais aussi du corps humain, du domestique et du local.
La ligne du RN, c’est : ‘Vous défendez une identité française, donc tout ce qu’il y a autour, le territoire, le patrimoine’.
Ce localisme partagé par les écologistes intégraux, à commencer par l’Action française, reste le plus visible dans l’organisation d’extrême droite la plus large du pays : le Rassemblement national. Marine Le Pen raconte que le RN est écologiste depuis sa création. Elle s’appuie sur le programme du Front national de 1973, qui appelait à « défendre l’embellissement de la vie », les campagnes, le paysage. Pour l’historien Jean-Paul Gautier, il ne faut pourtant pas s’y tromper : « Le RN est plutôt sur du patriotisme écologique, sur une écologie nationale. » « Ils sont sur une position productiviste, nationale, pas sur des expériences de communautés ou dans des Amap, comme ont pu le faire à un moment donné les identitaires. Leur ligne, c’est : “Vous défendez une identité française, donc en défendant une identité française, vous défendez tout ce qu’il y a autour, le territoire, le patrimoine.” Donc vous êtes écolo dans votre patriotisme », explique-t-il. Au contraire de nombre des courants évoqués précédemment, le RN reste avant tout capitaliste et productiviste.
En cela, il se différencie de la vision de l’écologie des identitaires, qu’il s’agisse de Terre et Peuple ou de groupes plus jeunes comme le Bastion social ou Génération identitaire. Toutes deux dissoutes, ces organisations se sont réimplantées localement au travers de groupuscules héritiers comme Tenesoun en Provence ou Les Remparts à Lyon. Ces groupuscules se positionnent de plus en plus sur la question écologiste, revendiquant des influences très liées à la nouvelle droite, l’écologie intégrale, ou encore la décroissance.
Cette nouvelle droite, hub théorique d’une immense partie des extrêmes droites françaises, a connu plusieurs scissions, notamment autour de la thématique écologique. Des personnalités comme Pierre Vial l’ont quittée à la suite de divergences avec son théoricien principal, Alain de Benoist, qui préfère un « antiracisme différentialiste » à l’ethno-différentialisme des premiers. Son œuvre tentaculaire s’exprime dans des revues comme Éléments, où l’on retrouve des contributeurs comme François Bousquet ou Jean-Yves Le Gallou. Celui-ci est à l’origine de l’Institut Iliade, think tank qui inspire très largement tout le mouvement identitaire contemporain.
S’agissant en particulier d’Alain de Benoist, son rapport à l’écologie peut sembler surprenant puisqu’en parallèle de ses théories nationalistes et identitaires, il se pose en théoricien de la décroissance, mouvement classé à gauche dans l’imaginaire collectif. Pourtant, la décroissance telle qu’Alain de Benoist la pense n’a rien de progressiste. Elle a pour but d’éviter l’effondrement, avec une gestion différente du temps. « Alain de Benoist écrit par exemple qu’une bonne gestion de la terre, c’est de planter des chênes, sachant très bien qu’on ne verra pas le chêne adulte de son vivant, analyse Stéphane François. C’est se placer dans la longue durée en évitant la démesure, l’hubris grecque, car si on vient à bout des ressources, à cause d’un productivisme démesuré, tout s’effondre. Et l’effondrement, c’est selon eux la possibilité d’être conquis par d’autres, des extra-Européens, des immigrés. Et cela s’accompagne de l’idée qu’il faut absolument éviter que la technique domine, avec un abandon de toute idée prométhéiste. »
Dérives sectaires
Cette décroissance issue de la nouvelle droite influence les survivalistes, la galaxie d’Alain Soral et les complotistes antiscience. Elle se retrouve aussi chez Pierre Rabhi qui, malgré son image positive liée au mouvement Colibri, s’est aussi illustré, plus discrètement, par des positions sexistes, antisémites et homophobes, et un certain nombre de connexions avec des réseaux complotistes. Accusé de dérives sectaires, il s’accorde en ce sens avec un autre courant, bien plus ancien, et dont il était proche : l’anthroposophie.
Courant ésotérique et pseudoscientifique tentaculaire né au début du XXe siècle, celle-ci trouve racine dans une religion syncrétique complexe. Elle est gouvernée par la Société anthroposophique universelle, dont les principes s’illustrent dans l’éducation avec les écoles Steiner-Waldorf, l’agriculture avec la biodynamie, la médecine anthroposophique, ou encore la cosmétique… Fascinant plusieurs cadres nazis comme Darré et Himmler, l’anthroposophie, surveillée par la Miviludes, a une longue histoire commune avec les extrêmes droites, et continue d’interagir avec celles-ci aujourd’hui. C’est pourquoi « il faut absolument clarifier le refus total des tendances comme l’anthroposophie, qui a des racines ésotériques et nazies, selon Jean-Paul Gautier, et qui, avec des attitudes feutrées, s’échinent à pénétrer les idées de gauche et à en saper le progressisme. »
Il faut absolument clarifier le refus total des tendances comme l’anthroposophie.
Comment faire face à la complexité de cette écologie d’extrême droite et de ses réseaux ? « Le problème, c’est que, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, l’écologie n’est pas nécessairement de gauche ou progressiste », insiste Jean-Paul Gautier. Le danger ne vient pas uniquement du Rassemblement national, dont le productivisme est antiécologique. Le risque vient aussi de personnalités dont les idées, qu’elles soient identitaires, suprémacistes, ethno-différentialistes ou essentialistes, peuvent infiltrer progressivement les mouvements écologistes, dans un processus de fascisation de l’écologie.
Doubre, O. (2024, November 14). Olivier Mannoni : « De Hitler à Trump, une diarrhée verbale excluante, raciste et brutale ». POLITIS. https://www.politis.fr/articles/2024/11/entretien-olivier-mannoni-de-hitler-a-trump-une-diarrhee-verbale-excluante-raciste-et-brutale/
Olivier Mannoni : « De Hitler à Trump, une diarrhée verbale excluante, raciste et brutale »
Le traducteur de Mein Kampf d’Adolf Hitler (2021) montre, non sans inquiétude, la progression du fascisme dans le langage contemporain. Une alerte importante, alors que Donald Trump vient d’être réélu à la présidence des États-Unis.
Olivier Mannoni a traduit près de deux cents ouvrages, dont ceux de Sigmund Freud, Stefan Zweig, Peter Sloterdijk ou Harald Welzer. Il est aussi l’auteur d’ouvrages sur Günter Grass ou Manès Sperber. Sa très grande connaissance de la langue allemande et de l’histoire de l’Allemagne au siècle dernier en fait un observateur avisé de l’actuelle progression de l’extrême droite à travers le monde, notamment les torsions qu’elle opère sur le langage et le réel.
Dans un ouvrage qui vient de paraître, vous parlez d’une « coulée brune » que serait le discours d’extrême droite au sein de notre langue, est-ce que vous pensiez à une coulée de boue ?
Olivier Mannoni : C’était d’abord l’idée de la boue, en effet. Peut-être aussi le fait de couler de l’acier ou des métaux qui, une fois refroidis, sont très difficiles à détruire. Mais c’est d’abord un déferlement de boue, comme on en a vu en Italie ou en Espagne ces jours-ci. Cela arrive à une vitesse folle et, ensuite, il est très difficile de s’en relever.
Vous montrez bien dans ce livre et dans le précédent (2022) qu’il s’agit d’un « déluge de discours ». Qu’entendez-vous par là ?
Ce qui m’intéressait renvoyait au travail que j’ai fait sur Mein Kampf, qui est une espèce de diarrhée verbale déversant du texte de façon ininterrompue, avec au milieu quelques considérations. Ce sont à peu près toujours les mêmes : l’Allemagne a été trahie, envahie par les juifs et les communistes, toute l’Allemagne est fichue parce que l’enseignement et la culture sont dégénérés, et tout cela est décadent. Les thèmes sont redondants et on pourrait réduire Mein Kampf à un opuscule de quelque vingt pages. Or Hitler en a fait 800, écrites en prison, qui forment un magma absolument incompréhensible.
Nous avons affaire à des gens d’un niveau intellectuel très bas, qui ne maîtrisent pas du tout la langue.
Je suis donc allé voir ses discours. Extrêmement opaques, braillés avec une voix de fausset, ils sont structurés quasiment toujours de la même manière : Hitler terminait toujours avec des slogans très simples, des idées très brèves, très violentes, en désignant un ennemi et en proposant comme solution de s’en débarrasser. Ce qui était censé résoudre tous les problèmes.
Les historiens de l’équipe d’Historiciser le mal, qui est le titre sous lequel nous avons publié l’édition critique de Mein Kampf, m’avaient demandé de réaliser une traduction au plus près, pour montrer le caractère incompréhensible d’Hitler. Or, au même moment, on m’a demandé un article sur ce thème pour une revue états-unienne, car Donald Trump était alors au pouvoir (nous étions en 2017).
Aussi me suis-je intéressé aux discours de Trump et j’ai noté de fortes ressemblances avec ceux d’Hitler : une espèce de « gloubi-boulga » permanent, avec des slogans hyper simples, parfois contradictoires, toujours très brutaux (1). Phénomène qui, chez Trump, s’est encore aggravé au cours de la campagne de 2024. Nous avons affaire à des gens d’un niveau intellectuel très bas, qui ne maîtrisent pas du tout la langue, font semblant de tenir un discours intellectuel de manière à hypnotiser les foules, ou en tout cas leur donner l’impression qu’ils sont de vrais penseurs, et centrent leurs propos autour de la violence, de l’exclusion, du racisme…
1
C’est aussi l’analyse de Robert O. Paxton, 92 ans, historien spécialiste du nazisme et du régime de Vichy, auteur de La France de Vichy (Seuil, 1973), qui renouvela fondamentalement le regard sur la responsabilité du régime de Pétain dans les persécutions et la déportation des juifs de France. Dans le New York Times, il raconte comment, d’abord sceptique sur l’emploi du terme « fasciste » à propos de Donald Trump, il a analysé de près ses discours et en a conclu que le terme pouvait s’appliquer au président républicain réélu le 5 novembre 2024. Des extraits de cet article d’Elisabeth Zerofsky paru le 23 octobre viennent d’être traduits dans Courrier International, n° 1775, 7-13 novembre 2024.
Voyez-vous la réélection de Donald Trump comme un nouveau signe de cette « coulée brune » qui serait en train de nous submerger, nous et nos vieilles démocraties ?
C’est le signe, je crois, qu’un certain type de langage en politique, qui nous paraissait impossible ou inaudible en Europe, a maintenant « voix ouverte », avec des médias qui le relayent allégrement. Un langage qui n’est pas fondé sur le rationnel mais sur l’irrationalité, la violence, des faits « alternatifs », le mensonge systématique.
Le premier chapitre de mon livre, écrit bien avant cette élection états-unienne, s’intitule « Une année cauchemardesque ». Or, aujourd’hui, on a vraiment l’impression d’entrer dans le cauchemar ! Et nous avons chez nous les structures pour que cela se reproduise ici : une armée de gens qui ont, je ne dirais même pas une idéologie, mais plutôt un tropisme d’extrême droite, c’est-à-dire qui croient à la masculinité, à la virilité, à la brutalité, à la violence, et qui croient que Poutine et Trump sont des types « qui en ont » et que c’est ça qu’il nous faut…
Ce ne sont même pas des « idées » d’extrême droite, c’est une sorte de magma, avec des chaînes de télévision qui diffusent cette diarrhée – de Fox News aux États-Unis à CNews et le groupe Bolloré en France, sans parler des télévisions russes, toutes aux ordres du pouvoir, mais aussi le traitement ahurissant par BFMTV de la campagne et de l’élection de Trump ces dernières semaines.
Il y a également une étrange hiérarchie de l’information sur ces chaînes : le procès de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics à l’Union européenne, à hauteur de plus de 7 millions d’euros, est à peine couvert. Nous avons là un parti politique d’extrême droite, avec des petits partis d’ultra-droite qui en fait l’alimentent : on a bien vu aux dernières législatives des zemmouriens passer sans aucune difficulté au RN, tout en entretenant l’hystérie raciste et violente, comme aux États-Unis.
« Le patron du Journal du dimanche, Geoffroy Lejeune, parle d’artistes « dégénérés », ce terme venant directement du nazisme. » (Photo : Maxime Sirvins.)
Tout cela va de pair avec une détestation du savoir, des artistes, de la presse, comme l’a encore énoncé Donald Trump ces derniers jours. Nous connaissons cela en France. Le patron du Journal du dimanche, Geoffroy Lejeune, parle d’artistes « dégénérés », ce terme venant directement du nazisme. Je pense donc qu’avec la réélection de Donald Trump on s’apprête à vivre quatre années très difficiles. Avec un rapport au réel qui s’est effondré et qui risque d’arriver ici.
Vous expliquez à ce propos que cette « diarrhée verbale » est d’abord une attaque contre le dialogue, qui serait la base de la démocratie.
C’est une idée déjà développée dans l’Antiquité. Platon montre bien que, déjà à son époque, la démocratie, c’est le dialogue, arriver à parler ensemble, éventuellement pour s’affronter mais en vue d’arriver à un point sinon commun, au moins intermédiaire, qui permette de prendre des décisions ensemble. Et si on ne peut pas les prendre ensemble, que ce soit une majorité qui le fasse, sur des bases rationnelles.
Il y a aujourd’hui une « internationale brune ».
Les discours comme ceux d’Hitler et de Trump, qui sont extraordinairement confus, mettent en jeu la démocratie puisque, si on n’a plus la possibilité du dialogue, il n’y a plus de démocratie possible. C’est ce que voulait Hitler, et c’est ce que veut Trump en ce moment. Il a dit plusieurs fois en substance : « Une fois que vous m’aurez élu, ce ne sera plus la peine de voter ; je vais éliminer tous mes adversaires ; je ne pleurerai pas si tous les journalistes sont exécutés… » Ces gens sont clairement contre la démocratie.
Et j’essaie d’expliquer dans mon dernier livre que ce n’est pas seulement le fait d’Hitler, de Poutine ou de Trump, c’est vraiment un mouvement mondial. Je crois vraiment qu’il y a aujourd’hui une « internationale brune » qui utilise tous ces biais, et qu’il est possible d’établir des liens entre les mouvements QAnnon, Maga [du principal slogan de Trump : « Make America great again », N.D.L.R.] ou pro-Trump et des mouvements identiques en France, comme les conspirationnistes « antivax ». J’évoque ainsi dans mon livre les liens entre les « antivax » et Alain Soral, chez qui ils tiennent leurs conférences.
Nous avons donc là un courant pratiquement homogène, dont l’homogénéité apparaît dans le caractère abscons du discours, la désignation systématique de l’ennemi, la volonté de l’éliminer au lieu de discuter avec lui, renforcé par une sorte de marigot très nihiliste qui ne sait pas trop où il va, dans une atmosphère de fin du monde qui serait la nôtre en ce moment. Avec une haine de la culture et de la science : quand on entend Donald Trump envisager de prendre Robert Kennedy Jr, qui est un fou furieux, comme responsable de la Santé, on ne peut qu’être très effrayé !
Vous soulignez en outre que cette « coulée brune » s’en prend évidemment, comme dans les années 1920 et 1930, à l’enseignement. Et que ce « déluge de discours » passe systématiquement par une attaque contre le savoir.
Adolf Hitler consacre un chapitre entier à l’enseignement, où il explique qu’il est complètement absurde d’apprendre les langues étrangères, que les enseignants sont bien sûr tous corrompus, tous juifs ou tous corrompus par les juifs et les communistes. Et que l’enseignement lui-même est fait n’importe comment. Sa « proposition » est que les petits garçons apprennent à se battre, que l’éducation soit essentiellement sportive, et que les petites filles soient préparées à être de bonnes mères pour engendrer des soldats. Il envisageait que les élèves aient quelques notions de calcul, mais que seule une toute petite fraction parviendrait à détenir un véritable savoir.
De même, Donald Trump formule des attaques très vives contre l’enseignement. Et, en France, les attaques de l’extrême droite contre l’enseignement ne datent pas d’hier. Cette attitude a des effets totalement aberrants, telle une dépréciation morale et financière du métier d’enseignant, sur laquelle jouent certains politiques en stigmatisant des profs qui travaillent « seulement » dix-huit heures par semaine devant leurs élèves.
Il faut vraiment ne jamais avoir donné un cours pour penser qu’un enseignant passe le reste de son temps à courir dans les bois ! Le temps passé à préparer ses cours, à corriger ses copies, à parler aux élèves et aux parents est évidemment ignoré. De même, un instituteur accomplit largement ses 35 heures hebdomadaires !
« Des blocs entiers dans les discours de Trump pourraient sortir de Mein Kampf, comme lorsqu’il dit qu’il faut « éradiquer la vermine », que « le sang américain est contaminé par les migrants »… » (Photo : Maxime Sirvins.)
En réalité, ces attaques sont d’abord contre le savoir, qui a toujours été l’ennemi des dictatures, en tout cas du pouvoir. La meilleure preuve, c’est qu’on a eu en France je ne sais combien de « réformes » de l’Éducation nationale en une décennie. Avec des résultats catastrophiques puisque les enseignants étaient obligés de changer leurs programmes au dernier moment. Après, on peut toujours venir expliquer que les résultats des élèves sont médiocres parce que les profs ne seraient pas bons ! Ce type de cercle vicieux, terrible, qui est une démolition systématique des instruments de savoir et de connaissance, apparaît dans tous les courants d’extrême droite. C’est systématique.
Le sous-titre de Coulée brune, « Comment le fascisme inonde notre langue », fait penser à l’œuvre de Klemperer (2). Diriez-vous que la langue de Trump s’inscrit dans la lignée de la Lingua Tertii Imperii (Langue du Troisième Reich) ?
2
Viktor Klemperer (1881-1960), linguiste et philologue allemand, fils de rabbin, était marié à une « aryenne », ce qui lui évita d’être déporté en camp d’extermination. Le couple dut se cacher et il consacra ces années de clandestinité à analyser la langue nationale-socialiste dans Lingue Tertii Imperi (La Langue du Troisième Reich, Albin Michel, 1996). Il tint un Journal de 1933 à 1945, document indépassable, publié au Seuil en 2000.
Avec Bérangère Viennot, qui a publié La Langue de Trump (3), nous avons commencé par repérer certains fils qui apparaissaient très similaires à la langue de Mein Kampf. Au départ, je prenais beaucoup de précautions : je disais alors que nous avions affaire à un démocrate autoritaire. Puis il y a eu le 6 janvier 2021 (l’assaut du Capitole, N.D.L.R.) et maintenant une émergence du langage qui est vraiment frappante.
3
Éd. Les Arènes, 2019. Bérangère Viennot est traductrice et américaniste.
Nous avons repéré parfois des blocs entiers dans les discours de Trump qui pouvaient sortir de Mein Kampf, comme lorsqu’il dit qu’il faut « éradiquer la vermine », que « le sang américain est contaminé par les migrants »… Il y a au moins une vingtaine d’exemples de termes qui relèvent quasi directement du langage du livre d’Hitler ! On peut ajouter à cela ses menaces de faire intervenir l’armée contre ses opposants et les injures, qui étaient aussi un mode d’action politique des nazis.
Je ne dis pas que Donald Trump est un nazi, mais on observe des parallèles extrêmement inquiétants.
Un faisceau d’indices montre que nous avons affaire à quelqu’un d’extrêmement dangereux. Et ce n’est même pas un seul individu, mais bien plus largement le mouvement Maga, qui semble de plus en plus incontrôlable. Ce n’est pas un mouvement nazi à proprement parler – les analogies historiques étant par définition très dangereuses –, mais il pourrait facilement basculer dans des mesures de coercition et de violence extrêmes, d’attaques très violentes aussi contre les migrants (comme Trump l’a annoncé lui-même plusieurs fois).
Donald Trump a une volonté déterminée de définir une Amérique qui serait « pure » socialement, ethniquement, racialement et politiquement : « la bonne Amérique ». Et les autres seraient les « ennemis du peuple », terme qu’il a encore utilisé il y a peu. Tout cela n’est pas que nazi, mais ce sont des termes que l’on retrouve dans tous les discours des nazis ! Je ne dis pas que Donald Trump est un nazi, mais on observe des parallèles extrêmement inquiétants. Dont ceux qui le suivent pourraient s’emparer pour le pire.
Boursier, H. (2024, November 20). 2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires. POLITIS. https://www.politis.fr/articles/2024/11/municipales-2026-un-scrutin-crucial-pour-les-quartiers-populaires/
2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires
Assurés d’être centraux dans le logiciel insoumis, tout en assumant leur autonomie, de nombreux militant·es estiment que 2026 sera leur élection.
Le scrutin est dans toutes les têtes. Certes, l’échéance semble lointaine. Mars 2026, encore seize mois. D’ici là, Emmanuel Macron aura peut-être sorti une nouvelle dissolution de son chapeau élyséen. La dernière, brandie en juin 2024 après la défaite de son parti aux européennes, a failli placer Jordan Bardella à Matignon. Le président du Rassemblement national a loupé la dernière marche.
Un échec permis grâce à la mobilisation inédite des habitants des quartiers populaires. La résistance des premiers concernés. Mais cette puissante opposition sous la bannière du Nouveau Front populaire n’était pas un chèque en blanc. C’était, en quelque sorte, un dernier avertissement. Une ultime alerte en vue de la prochaine échéance électorale : les municipales.
« Le barrage existe grâce à nous, les habitants des quartiers. Aujourd’hui, le pouvoir est entre nos mains. La gauche en a conscience. Quand on est mobilisés, on peut renverser les choses », estime la militante antiraciste Assa Traoré. Liste citoyenne, alliance avec La France insoumise, union de la gauche : les scénarios sont nombreux et se dessinent patiemment. Mais, dans cette prochaine aventure électorale, les quartiers comptent bien jouer le rôle principal.
Ambition
Cette ambition se mesurait dès le 13 juillet dans une tribune signée par 130 militant·es et artistes, publiée dans Politis : « L’enjeu des élections municipales se dessine bientôt au cœur des échanges, il ne faudrait pas, une fois de plus, manquer ce rendez-vous. Continuer à encore considérer les quartiers comme de simples réservoirs de voix et leurs habitant·es comme des colleurs d’affiches ne mènera qu’à des déconvenues. »
Un euphémisme pour éviter d’employer le mot « trahison ». Agiter le chiffon rouge de l’extrême droite, compter sur des militants locaux pour mobiliser les habitants, promettre une place dans le logiciel de gauche et, une fois le barrage réalisé, tout oublier. La recette a souvent été appliquée par les partis. Pour la conjurer, des centaines de militants s’organisent. C’est le cas notamment avec l’Assemblée des quartiers, à l’initiative de la tribune de cet été.
Avec plus de 300 membres, elle réunit des militant·es de toute la France. Des actifs pendant les révoltes de 2005, d’autres qui ont rejoint le mouvement après celle de 2023 et la mort de Nahel Merzouk. Réunie en octobre, l’Assemblée des quartiers avait organisé deux discussions aux titres limpides : « L’engagement dans les quartiers, avec ou sans la gauche ? » et « Le quartier, la ville, la mairie : en route vers 2026 ».
LFI doit faire la démonstration concrète que les quartiers restent le poumon de la dynamique enclenchée depuis 2017.
B. Bagayoko
Cette route, certains l’ont déjà empruntée. C’est le cas de Bally Bagayoko, déjà candidat soutenu par La France insoumise (LFI) en 2020 à Saint-Denis. « Je serai au cœur de cette mobilisation, pas seul mais avec d’autres », déclare-t-il à Politis. Figure locale, actif dans la vie politique municipale depuis 2001 comme adjoint à la jeunesse, il assure que LFI « incarnera une liste de rassemblement ». 2026 sera une « épreuve test pour LFI, qui doit faire la démonstration concrète que les quartiers restent le poumon de la dynamique enclenchée depuis 2017 ».
Caravane dans les quartiers, centralité des thématiques liées aux violences policières, aux inégalités raciales, et à la Palestine : La France insoumise a sillonné la fameuse France des tours. « Dans les quartiers, Mélenchon a l’image d’un gars courageux qui porte des sujets casse-gueule. Et, en même temps, les habitants restent méfiants », décrit Bally Bagayoko. « Ils sont dans une logique empirique où ils questionnent en permanence le politique et ses promesses. » Et quand celles-ci paraissent trop belles, la tentation d’une liste citoyenne se dessine.
Peser sur les les configurations locales
Cette stratégie autonome a toujours été une composante importante du militantisme des quartiers populaires. Qui est plus légitime pour parler des inégalités sociales et raciales que celles et ceux qui sont directement concerné·es ? Cette question, Almamy Kanouté, militant à Fresnes, la pose depuis des années. « La mission d’un député ou d’un élu municipal, c’est d’être un haut-parleur, un porte-voix de la population qui souffre mais aussi qui résiste face à ces injustices », analyse-t-il.
Ce qui incarne réellement la gauche, ce sont les individus dans l’action.
A. Kanouté
Une « légitimité » qu’il construit en menant des actions sur le terrain. « La gauche telle qu’elle est représentée ne me parle pas. Ce qui l’incarne réellement, ce sont les individus dans l’action. » D’où le refus catégorique de parachutage pour 2026. Et sa place en tête d’une liste citoyenne pour la ville du Val-de-Marne ? « C’est en pleine discussion. Je n’ai pas dit oui, je n’ai pas dit non », tempère l’éducateur et acteur (il jouait le rôle de Salah, dans Les Misérables, de Ladj Ly).
Le cofondateur du mouvement Émergence « reste sur ses gardes » avec La France insoumise, sans pour autant refuser d’emblée la discussion. Sa ligne reste toutefois plus critique des partis que celle d’Assa Traoré. Pour la sœur d’Adama Traoré, mort lors d’une interpellation par des gendarmes en 2016 à Persan (Val-d’Oise), « l’indépendance des quartiers peut être préservée dans les partis politiques ».
« Si des personnes rassemblent et nous ressemblent, on ira. Moi, je ne suis pas contre », assure la proche de Sabrina Ali Benali, candidate insoumise opposée à Alexis Corbière en Seine-Saint-Denis. Pour la mairie de Beaumont-sur-Oise, où elle habite, Assa Traoré précise qu’au moment où elle parle à Politis (le jeudi 14 novembre), elle « n’est pas encore dans cette voie-là ». Mais elle reste persuadée que 2026 peut incarner « un tournant démocratique pour la France. »
Almamy Kanouté partage l’argument avancé par Assa Traoré : face à la crise de représentation et une Ve République à bout de course, « les listes citoyennes peuvent permettre un réel renouveau et remettre la politique à sa juste place ». Le sociologue Éric Marlière regrette que ces initiatives soient vite « taxées de communautaristes » par des élus locaux ou une partie des médias. « Aujourd’hui, la politique devient accessible pour des jeunes des quartiers qui échappent au dogme des partis », décrit l’auteur d’un article récent sur le sentiment de « désillusion » que ressentent des militant·es des quartiers (1).
1
« Désillusion des militants des “quartiers” envers l’engagement politique. Retour sur une enquête dans la banlieue nord de Paris », Éric Marlière, Revue européenne des migrations internationales, 2024, vol. 40.
Le chercheur met aussi en garde les partis contre une forme de calque national qui serait posé sur des contextes locaux très divers. Visibilité des militant·es, place des quartiers dans une ville, antécédents des partis de gauche : ces ingrédients diffèrent d’une ville à l’autre. D’où une vraie prudence parmi les personnes que Politis a contactées. « C’est trop tôt », « c’est touchy », « on marche sur des œufs » : pour les municipales, la partie d’échecs se joue dorénavant à plus de deux joueurs et chacun compose sa stratégie au fil de l’eau.
Label
C’est le cas à Toulouse, par exemple, où les discussions démarrent seulement. « Toutes les composantes de gauche commencent à sortir du bois », observe Salah Amokrane, militant des quartiers de longue date. « Je m’y intéresse, je discute avec les uns et les autres », élude-t-il, voyant que La France insoumise souhaiterait « conduire la dynamique ». Du côté de l’Assemblée des quartiers, on réfléchit à « identifier une liste de sujets communs, quel que soit l’endroit où l’on habite ». Comme un label qui pourrait certifier telle ou telle initiative.
2026, c’est demain.
« Force est de constater que c’est la première fois qu’une ligne nationale des mobilisations des quartiers, structurée par un réseau qui dispose d’une légitimité réelle, va peser sur des configurations locales, s’articuler – voire se confronter – aux stratégies des organisations de gauche », note Ulysse Rabaté, chercheur en science politique rattaché à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis et aussi très actif à Rennes. Après avoir été « pressenti » pour les législatives avec le NFP, il se positionne pour l’aventure 2026.
Ce label potentiel pourrait prendre en compte la question du logement, moteur d’une politisation à vitesse grand V dans certaines villes. « Au Mirail, la rénovation urbaine ne fait que densifier l’espace et les politiques sociales et jeunesse ne suivent pas », dénonce Salah Amokrane. Même écho à Roubaix, où le quartier historique de l’Alma est menacé de démolition.
Dans la ville du Nord, c’est le député insoumis, David Guiraud, qui a très vite fait connaître ses prétentions pour 2026. Son parachutage au gré des législatives de 2022 reste sensible : pour les uns, son travail sur le terrain « l’a rendu légitime », pour les autres, l’accepter, c’est encore empêcher la candidature d’un militant des quartiers. Éternel débat qu’il faudra trancher rapidement car, comme le confie un militant, « 2026, c’est demain ».
Migevant-Lepine, P. (2024, November 15). Libres de ne pas être mères ? POLITIS. https://www.politis.fr/articles/2024/11/hs80-femmes-libres-de-ne-pas-etre-meres/
Libres de ne pas être mères ?
Cinquante ans après la loi Veil, l’injonction à la maternité pèse toujours sur les femmes. Mais ce contrôle des ventres ne les touche pas toutes de la même façon.
« C’est simple : à 40 ans, madame fera une crise existentielle et heureusement que la science sera là pour l’aider à faire un enfant », commente un homme. « Une femme qui ne veut pas d’enfants, il y a un bug dans la matrice, l’ingénierie sociale a pris le dessus sur la biologie », estime un autre. Les commentaires ont été publiés sous un poste Instagram de la journaliste Salomé Saqué.
Invitée le 11 octobre 2023 au micro de France Inter, elle avait exprimé ne pas vouloir d’enfant. Une semaine plus tard, au même micro, l’astronaute Thomas Pesquet avait formulé un souhait similaire, sans susciter autant de commentaires négatifs. Une séquence révélatrice de l’injonction qui pèse toujours sur les femmes à devenir mère.
En 2017, les chercheuses Zoë Dubus et Yvonne Knibiehler ont mené une étude par questionnaire sur les « childfree », c’est-à-dire les personnes revendiquant la non-parentalité. Sur les 737 participants à l’étude, 90 % des femmes avaient subi des remarques désobligeantes sur leur choix. Des remarques reçues, par près d’un quart de ces femmes, dès qu’elles en parlaient, tandis que 46 % des hommes, eux, n’en avaient jamais reçu.
Les femmes qui ne veulent pas d’enfant continuent d’entendre qu’elles sont égoïstes.
B. Zourli
« Les femmes subissent encore une injonction à être mère », estime la militante féministe Bettina Zourli, autrice de l’essai Le Temps du choix (Payot, 2024) et créatrice du compte Instagram @Jeneveuxpasdenfant, suivi par près de 65 000 personnes. « On ne peut pas dire qu’il y a un libre choix aujourd’hui alors que les femmes qui ne veulent pas d’enfant continuent d’entendre qu’elles sont égoïstes, qu’elles n’ont pas trouvé la bonne personne ou qu’elles se soustraient à leur rôle naturel. »
Une remise en cause qu’a connue la journaliste Laurène Lévy. « J’ai 31 ans et je sais depuis plus de dix ans que je ne veux pas d’enfant et que je ne changerai pas d’avis », raconte-t-elle dans son essai Mes Trompes, mon choix ! (Le Passager clandestin, 2022). Elle envisage alors une ligature des trompes, méthode de contraception définitive autorisée en France depuis 2001. « Je tâte le terrain auprès de ma gynécologue de l’époque et m’entends rétorquer : “Vous êtes un peu jeune pour ça.” ».
« Décourager, infantiliser, moquer les personnes qui demandent une stérilisation, en particulier si ces personnes sont des femmes, est monnaie courante dans les cabinets médicaux », écrit-elle dans cet ouvrage qui revient sur l’histoire de la stérilisation. Une pratique pouvant permettre de « se libérer d’une injonction à la parentalité » mais qui « dérange » encore.
Cette pression « diffuse » émanant à la fois de l’entourage, du corps médical et de l’État a été analysée par les sociologues Irène-Lucile Hertzog et Charlotte Debest. Pour elles, il existe un « contrat social procréatif » constitutif de « l’ordre social contemporain ». « Pour avoir un certain nombre de droits et obtenir une forme de reconnaissance sociale sur leur utilité, les femmes ont le devoir d’avoir des enfants », explique Charlotte Debest. « Quand les femmes chamboulent ces assignations à être mère, elles dérangent, car ça remet en cause la division du travail hiérarchisée entre le travail productif rémunéré, assigné aux hommes, et le travail reproductif gratuit, réservé aux femmes. »
Ces dernières années, pourtant, la question des « childfree » « s’est démocratisée », estime Bettina Zourli, notamment grâce à la médiatisation du sujet. Mais « toujours sous un angle écologiste qui évacue les analyses systémiques ».Charlotte Debest explique : « C’est la première fois que les personnes volontairement sans enfant peuvent mobiliser un argument qui est d’ordre altruiste. Ce qui ne veut pas dire que les personnes qui n’ont pas d’enfant sont uniquement mues par une préoccupation écologique. »
Par ailleurs, « si, aujourd’hui les jeunes envisagent plus facilement de ne pas faire d’enfant, cela ne signifie pas qu’ils n’en feront finalement pas ». En fait, ajoute-t-elle, « la dernière grande étude démographique nationale sur le non-désir d’enfant date de 2010. Environ 5 % des personnes étaient volontairement sans enfant, comme trente ans auparavant ». Et de souligner « le contraste entre le peu d’études sur le non-désir d’enfant et les fantasmes qui en découlent ».
Qui a le droit d’enfanter ?
« Cette injonction à procréer est le signe d’une espèce de panique. L’État a notamment conçu sa puissance sur le nombre de ses habitants ; l’accès aux droits, à la santé, à l’éducation de la population étant surtout le résultat de luttes et de campagnes pour leur obtention », relève Françoise Vergès, chercheuse en science politique et féministe décoloniale.
« En France, l’État souhaite une multiplication des naissances tout en organisant l’abandon des services publics et sans jamais poser la question des soins prénataux ou postnataux, celle du manque de places en crèche ou les difficultés que peuvent rencontrer les parents. » Une volonté de doper les naissances persiste malgré tout : l’expression de « réarmement démographique » employée par Emmanuel Macron en janvier 2023 pour lutter contre le « fléau de l’infertilité » en témoigne.
« La démographie, du point de vue de l’État, c’est de décider qui a le droit de naître, ensuite qui a le droit à la protection, à la sécurité, à une enfance choyée », poursuit l’intellectuelle. Dans Le Ventre des femmes. Race, capitalisme, féminisme (Albin Michel, 2017), elle décrit la façon dont, au cours des années 1960-1970, alors que les féministes françaises de métropole se battaient pour la dépénalisation de l’avortement, les femmes d’outre-mer luttaient, elles, contre la stérilisation et les avortements forcés. Une « racialisation des ventres » toujours d’actualité.
À Mayotte, par exemple, quand on parle des femmes qui donnent naissance, c’est toujours pour dire qu’il y en a trop.
F. Vergès
« À Mayotte, par exemple, quand on parle des femmes qui donnent naissance, c’est toujours pour dire qu’il y en a trop. » En mars 2023, le directeur de l’agence régionale de santé de Mayotte, Olivier Brahic, avait déclaré : « Je n’aime pas beaucoup ce terme mais c’est cela : on va proposer aux jeunes mères une stérilisation ; en clair, on leur proposera de leur ligaturer les trompes. » « Qui a le droit d’être mère ? », questionne Françoise Vergès. « Je reçois encore des témoignages de femmes roms ou maghrébines qui vont en clinique pour des tests de maternité ou des soins prénataux et à qui on dit “mais enfin madame, vous n’avez pas pensé à la pilule, vous ne pensez pas que vous avez déjà trop d’enfants ?”. »
Ce contrôle des ventres est ainsi marqué par les différents régimes de domination. Jusqu’en 2016, les personnes trans devaient être stérilisées pour obtenir un changement d’état civil. Les couples de femmes et les femmes seules n’ont accès à la procréation médicalement assistée (PMA) que depuis 2021 et les hommes trans en sont toujours exclus. Quant aux personnes handicapées, les familles ou tuteurs légaux peuvent toujours demander leur stérilisation
« Pour que le temps du choix devienne une réalité, il s’agit d’embrasser pleinement la notion de justice reproductive », estime Bettina Zourli. Le concept a été créé en 1994 par les membres du Women of African Descent for Reproductive Rights, un collectif de femmes africaines-américaines luttant pour les droits reproductifs.
« C’est l’un et l’autre, toujours »
« Alors que les luttes féministes, principalement portées par des femmes blanches, sont centrées sur le droit à l’avortement, ces femmes marginalisées élargissent la question des droits reproductifs avec une approche fondée sur les droits humains », explique Christelle Gomis, historienne à l’université de Picardie-Jules Verne. « L’urgence pour ces femmes est aussi de pouvoir avoir des enfants et de les élever dans des communautés sûres et pérennes. »
« L’idée de la justice reproductive, poursuit la chercheuse, est que le droit à l’avortement ne peut être conçu qu’en connexion avec les droits reproductifs dans leur ensemble. Cette idée de pouvoir ne pas avoir des enfants, qu’on le veuille ou non, va avec celle de pouvoir en avoir. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est l’un et l’autre, toujours. »
Fin novembre, le Groupe de recherches sur la justice reproductive, dont elle fait partie, organisera le premier colloque en France consacré à cette question, en réponse à l’intérêt croissant des universitaires sur le sujet et permettant d’éclairer les dynamiques politiques à l’œuvre autour de la santé. « On observe simultanément des politiques qui s’inquiètent de la baisse de la démographie et qui pointent du doigt la forte capacité à se reproduire des femmes non blanches, ou leur volonté de venir en France pour profiter du système de santé. Tout ça dans un contexte où l’idée même de droit à la santé en général est attaquée. »
Cinquante ans après la loi Veil, l’importance de cette notion apparaît flagrante, alors que le gouvernement a affiché sa volonté de durcir encore les lois sur l’immigration et est composé de personnes hostiles aux droits LGBT. « Les ‘acquis sociaux’ en lien avec la reproduction ne sont justement pas acquis, s’inquiète Bettina Zourli, qui alerte aussi sur la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite en 2027. Ce sont des conquis qui peuvent très vite disparaître, surtout dans un moment profond de crise économique et sociale. » Nous voilà prévenus.
Sarafian, L. (2024, September 10). En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN. POLITIS. https://www.politis.fr/articles/2024/09/politique-matignon-en-nommant-barnier-macron-fait-le-choix-du-rn/
En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN
Plus de deux mois après les législatives, le chef de l’État choisit une figure de la droite en tant que nouveau Premier ministre. Un choix qui raconte le refus d’Emmanuel Macron de remettre en cause sa politique. Et entérine une entente de fait avec l’extrême droite.
C’est la fin du feuilleton le plus long de l’été. Au bout d’une cinquantaine de jours d’interminables réflexions, de consultations sans fin et de calculs politiques incompréhensibles, Emmanuel Macron s’est décidé. Enfin. Par un communiqué de 6 lignes, le chef de l’État nomme à Matignon ce jeudi 5 septembre Michel Barnier, l’ex-négociateur en chef de l’Union européenne chargé du dossier Brexit et figure de la droite depuis près de cinquante ans. Il remplace donc Gabriel Attal, premier ministre démissionnaire depuis deux mois.
Pour le camp présidentiel, Michel Barnier serait « Macron-compatible » et ne serait pas candidat en vue de la prochaine présidentielle en 2027 contrairement au président Les Républicains de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, et l’ex-ministre socialiste Bernard Cazeneuve, soupçonnés de vouloir avancer leurs pions pour succéder à Emmanuel Macron. En quelques jours, le locataire de l’Élysée a testé un florilège d’options qui n’avaient pourtant presque rien en commun : Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand, le maire de Cannes, David Lisnard, Didier Migaud, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Thierry Beaudet, président du Cese, voire même l’ex-secrétaire générale de la CFDT, Laurent Berger.
Un choix de Kohler
Michel Barnier semble donc être loin d’être un plan A. Dans l’entourage du chef de l’Etat, c’est Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, qui aurait défendu son nom auprès d’Emmanuel Macron. « Il y a deux critères essentiels pour choisir le premier ministre dans le contexte politique actuel : il faut quelqu’un qui a de l’expérience et quelqu’un qui n’a aucune ambition personnelle », affirme Martin Garagnon, porte-parole d’Ensemble pour la République (EPR, Ex-Renaissance).
Emmanuel Macron est prêt à tout pour préserver son héritage néolibéral et sauver sa réforme des retraites.
B. Lucas
Dans le même temps, son accession à Matignon permettrait de parachever l’alliance entre Les Républicains et Emmanuel Macron. Car Michel Barnier a connu toutes les grandes chapelles de la droite de la Ve République. Il a été ministre de l’Environnement dans le gouvernement d’Édouard Balladur sous François Mitterrand, ministre des Affaires européennes puis des Affaires étrangères sous Jacques Chirac et ministre de l’Agriculture sous Nicolas Sarkozy. Barnier est encore apprécié dans son camp, et notamment par Laurent Wauquiez.
Un avantage par rapport à Xavier Bertrand dont les relations avec le président du groupe de La Droite républicaine à l’Assemblée (ex-Les Républicains) sont glaciales. « Compte tenu du contexte politique, il est normal de vouloir chercher à construire un accord entre les groupes qui expriment aussi une proximité idéologique. Soit on considère que la France est bloquée, soit on essaie de progresser sur la sécurité, la santé, l’école… Pour cela, nous avons besoin d’alliés, donc on se tourne vers LR », estimait en juillet Eric Woerth, député EPR et transfuge des Républicains.
Droite radicalisée
« Emmanuel Macron est prêt à tout pour préserver son héritage néolibéral et sauver sa réforme des retraites, grince le député écologiste Benjamin Lucas. Après avoir refusé le droit à la gauche de gouverner, il ne lui restait plus d’autres choix que de se mettre dans la main de la droite radicalisée. » En effet, Michel Barnier, alors candidat à la primaire de son parti en 2021 pour la présidentielle de 2022, défendait un moratoire sur l’immigration adossé à un « bouclier constitutionnel » sur cette question, ce qui aurait pu permettre d’éviter à la France d’être condamné par la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Convention des droits de l’homme.
Il faudra surtout que la gauche de gouvernement se ressaisisse et accepte de discuter, de faire des compromis.
M. Garagnon
En 1981, il votait en tant que député contre la dépénalisation de l’homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans, tout comme Jacques Chirac, François Fillon, Philippe Séguin, Alain Madelin, Jacques Toubon ou Jean-Louis Debré. Mais pour Emmanuel Macron, peu importe. Le voilà donc chargé de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français », selon les mots du communiqué de l’Elysée.
« On va continuer de tendre la main à la droite, mais aussi à la gauche, notamment sur l’augmentation du Smic. Dans le prochain gouvernement, il devrait y avoir des gaullistes sociaux, des membres du bloc central et des ministres sociaux-démocrates. Il n’est pas envisageable de constituer un gouvernement 100 % LR, ce groupe représente moins de 10 % à l’Assemblée. Mais il faudra surtout que la gauche de gouvernement se ressaisisse et accepte de discuter, de faire des compromis », annonce Martin Garagnon, porte-parole d’EPR.
Mépris
Mais il semble impossible que le profil de l’une des dernières figures qui se revendique encore comme gaulliste puisse empêcher le Nouveau Front populaire (NFP) de dégainer une motion de censure. Car la gauche estime que cette nomination figure comme une continuité de la politique macroniste. Emmanuel Macron souhaitait un « parfum de cohabitation », refusant de voir un chef de gouvernement opposé à sa politique.
Selon le NFP, le choix de Michel Barnier est un mépris du résultat des législatives anticipées et une volonté, du côté du chef de l’État, de ne pas reculer sur une seule mesure : la réforme des retraites. Un totem pour le Président. Les quatre composantes de l’union des gauches n’ont donc aucune intention de sauver un exécutif qui ne défend pas l’abrogation de cette réforme, l’augmentation du Smic et une loi ambitieuse en faveur des services publics.
Alors que le peuple français s’est mobilisé pour faire obstacle à l’extrême droite, le président de la République nomme un gouvernement Macron/Le Pen.
M. Bompard
Néanmoins, les macronistes restent sûrs de leurs calculs : Michel Barnier ne serait pas censuré immédiatement par l’Assemblée nationale. Est-ce à dire que les macronistes comptent sur un soutien ou, a minima, une relative bienveillance du Rassemblement national (RN) ? « C’est l’intransigeance de la gauche qui, en refusant d’étudier d’autres options que Lucie Castets, a permis au RN d’être le pivot de l’Assemblée. La gauche était légitime à proposer un gouvernement à condition d’être en capacité de rassembler d’autres forces politiques. Mais elle ne voulait pas s’ouvrir aux autres. C’est ce comportement qui donne au RN un rôle d’arbitre. Donc il faut que le premier ministre ne fasse pas l’objet d’une détestation du RN », dit-on dans le camp d’Emmanuel Macron.
« Alors que le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections, le parti de Michel Barnier a fait 6,5 % aux élections législatives et a 40 députés à l’Assemblée nationale. Alors que le peuple français s’est mobilisé pour faire obstacle à l’extrême droite, le président de la République nomme un gouvernement Macron/Le Pen », dénonce sur X (ex-Twitter) le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard.
Pour le moment, les troupes de Marine Le Pen à l’Assemblée ne prévoient pas de défendre une censure immédiate. Le discours de politique générale déterminera leur position. « Nous serons attentifs au projet qu’il portera, et attentifs à ce que les aspirations de nos électeurs, qui représentent un tiers des Français, soient entendues et respectées », écrit sur X la présidente du groupe RN et triple candidate à la présidentielle Marine Le Pen. Et la notion de cordon sanitaire de s’effacer encore un peu plus dans la pensée macroniste.
Vekemans, M. (2024, February 27). Qui sont les femmes de pouvoir qui ont marqué l’Histoire ? ELLE.be. https://www.elle.be/fr/419498-qui-sont-les-femmes-de-pouvoir-qui-ont-marque-lhistoire.html
Qui sont les femmes de pouvoir qui ont marqué l’Histoire ?
Le chiffre est pour le moins ahurissant : 70 % des nations mondiales n’ont jamais été dirigées par une femme. Qui occupe les plus hautes fonctions aux États-Unis, en Italie, au Japon ou en Afrique du Sud, par exemple ? Des hommes et uniquement des hommes… jusqu’à présent. Nous nous sommes intéressé·e·s à quelques représentantes de ces rares femmes qui ont eu le privilège de prendre les « rênes » tant convoitées et qui sont ainsi entrées dans l’histoire en tant que pionnières en politique. Si elles ont été élues démocratiquement, cela ne les a pas dispensées de se heurter à des plafonds de verre et à de nombreux préjugés. Pourtant, pour notre génération ainsi que pour les futurs acteurs du monde politique, leur impact est considérable. Nous vous invitons donc à les découvrir… Mais surtout à faire passer le message. Pour que nous puissions élever nos filles de manière à ce qu’elles suivent leurs traces.
En deuil : Sirimavo Bandaranaike, Sri Lanka, 1960
Des opposants ? Siriminavo n’en a connu que trop. Solomon, son époux, était le Premier ministre du Sri Lanka tout juste décolonisé où la minorité tamoule était déjà très active. En 1959, Solomon est abattu à son domicile. Son parti demande alors à Sirimavo de se présenter aux élections et de prendre sa place. Après une longue hésitation, elle accepte la nomination. La presse la surnomme alors « The weeping widow » (La veuve en pleurs, NDLR) car, accablée de chagrin, elle éclate régulièrement en sanglots lors de la campagne. L’opposition proteste et la stigmatise en évoquant les menstruations : le siège de la Première ministre devra être nettoyé une fois par mois. Sirimavo préfère ignorer les quolibets et remporte le scrutin haut la main. Elle devient ainsi la première femme Première ministre au monde et restera active en politique pendant quatre décennies. On lui doit un Sri Lanka plus social, avec le cinghalais comme langue nationale officielle. Oh, et aussi sa fille, Chandrika, qui a suivi les traces de sa mère et fut élue présidente du Sri Lanka en 1994.
Une double amputation : Safak Pavey, Turquie, 2011
Alors étudiante et âgée de 19 ans, Safak est victime d’un terrible accident. En voulant aider un ami à embarquer, elle chute entre le quai et le train alors que celui-ci se remet en marche. Elle y laisse un bras et une jambe. Au terme d’une longue rééducation, elle fait le triste constat qu’Istanbul n’est pas adaptée aux fauteuils roulants. Déterminée, elle choisit Londres pour poursuivre ses études. « Être handicapée ne veut pas dire que je ne dois rien faire », se dit-elle. Safak travaille pour les Nations unies et participe à des missions d’aide humanitaire. En 2011, elle se présente au Parlement turc. La liberté d’expression et les droits des minorités sont menacés. En 2017, elle est contrainte de démissionner pour des raisons de santé, non sans avoir transmis sa vision : « Dans le monde politique (turc), les femmes sont parfois intimidées par le comportement agressif des hommes. Ce n’est pas mon cas, car je connais les normes internationales et je reconnais qu’elles valent la peine d’être défendues. »
L’élection d’une femme musulmane, Peri-Khan Sofieva, Géorgie, 1918
Flash-back au temps de l’Empire russe, aux alentours de 1884. De Peri-Khan, on ne sait que très peu de choses, pas même sa date de naissance. La seule trace qu’on ait d’elle est sa signature sur la liste des élus régionaux de la nouvelle république géorgienne, créée après la chute de l’empire tsariste en 1918. Elle devient ainsi la première femme musulmane élue au monde, dans un pays qui s’emploie d’emblée à organiser des élections démocratiques, à défendre les droits des femmes et à adopter des lois antidiscriminatoires. Mal-heureusement, l’invasion soviétique du pays survient trois ans plus tard et la Géorgie dis-paraît dans les griffes de Staline. Peri-Khan reste une figure de proue active dans sa région et s’occupe des enfants de ses frères, qui n’ont pas survécu aux purges de Staline. C’est un fait certain : Sofieva force l’admiration.
Une Reine : Ella Koblo Gulama, Sierra Leone, 1963
Il s’agit ici de la fille du chef suprême de la chefferie Kaiyamba, qui devint ensuite l’épouse du chef suprême de la chefferie Masimera. À la mort de son père en 1951, 16 candidats sont prêts à prendre la succession et Ella est la seule femme parmi ceux-ci. L’élection des chefs de tribu lui rapporte 60 % des voix. Elle doit alors passer par la Chambre des communes du Royaume-Uni pour demander l’autorisation de gouverner en tant que femme. C’est possible, moyennant un nouveau scrutin (auquel elle obtient 74 % des voix). La Reine Ella, ou « Madame Ella » comme disent les Sierra-Léonais, devient ainsi la première femme à régner sur le royaume. En 1963, après la déclaration d’indépendance, elle est élue première femme ministre en Afrique de l’Ouest. Vive la Reine !
Le drapeau arc-en-ciel : Jóhanna Sigurðardóttir, Islande, 2009
« Une femme de chiffres », voilà qui définit bien Jóhanna, ou « Sainte Jóhanna », comme l’appellent les Islandais. Après la démission du Premier ministre Geir Haarde, lors du krach boursier de 2009, elle hérite d’une catastrophe économique. Elle licencie alors les PDG de trois banques, les remplace partiellement par des femmes et nationalise les institutions financières en faillite. Ce « Women’s Takeover » (prise de pouvoir par les femmes, NDLR), avec l’égalité des sexes au sein du cabinet, stimule une reprise économique rapide et hisse l’Islande en tête du classement mondial de l’indice d’écart entre les sexes. Le mariage homosexuel est légalisé en 2010. Jóhanna et sa femme Jonina figurent parmi les premières à se dire « oui ».
À la croisée des genres : Georgina Beyer, Nouvelle-Zélande, 1999
Bon, par où commencer ? Par le commencement. Georgina voit le jour en 1957 et est enregistrée en tant qu’individu de genre masculin. Descendante des Maoris, elle se retrouve, en tant que membre de la communauté LGBTQ+, en marge de la société : elle se prostitue et est exploitée. En 1984, elle entame sa transformation et embrasse une carrière d’actrice, d’animatrice radio et de militante pour les droits de l’enfant. En tant que femme transgenre, elle a brisé de nombreux
plafonds de verre : elle a été la première Maorie élue à la mairie, la première maire transgenre au monde (1995) et la toute première députée transgenre au monde (1999). Elle défend les droits des travailleurs du sexe et de la communauté LGBTQ+. Et malgré toutes ses attributions, elle a encore trouvé le temps de participer à « Danse avec les stars ». Et la Nouvelle-Zélande continue d’inspirer : Jacinda Ardern a été la plus jeune Première ministre de l’histoire de la Nouvelle-Zélande, prenant six semaines de congé de maternité pendant son mandat. Seule la Pakistanaise Benazir Bhutto a fait de même. Ardern a été reconnue pour sa gestion de la crise de la corruption et son investissement dans le bien-être de la population. En 2023, elle a démissionné pour passer plus de temps avec sa famille.
Un rêve africain : Ellen Johnson Sirleaf, Libye, 2005
« J’ai toujours cru en mon propre potentiel », déclare Ellen Johnson Sirleaf. Elle a survécu à son ex-mari violent, au coup d’État du dictateur militaire Samual Doe, à l’emprisonnement et à l’exil aux États-Unis. Après la guerre civile sanglante, elle retrouve la Libye en 2003 afin de superviser les premières élections démocratiques du pays. En 2005, elle se présente à l’élection présidentielle et devient la première femme cheffe d’État d’Afrique. La Libye est alors en mauvaise posture. Ellen assouplit les embargos commerciaux et rembourse la dette nationale. Elle met en place un enseignement primaire gratuit et crée une université nationale. Sur sa cheminée ? Le prix Nobel de la paix 2011.
Une présidence par intérim : Sviatlana Tsikhanouskaïa, Belarus, 2020
Enseignante de formation, femme au foyer de profession, Sviatlana fait l’école à domicile à son fils sourd. Nous sommes en 2020, époque à laquelle le président biélorusse Lukashenko considère les mesures de lutte contre la propagation du coronavirus comme des « tracasseries excessives ». Blogueur populaire, le mari de Sviatlana fait écho de la frustration des citoyens. Lorsqu’il annonce vouloir être candidat à la présidence, il disparaît soudainement derrière les barreaux. Pour protester contre son emprisonnement, Sviatlana se porte candidate. Sa grande popularité et ses excellents discours font de l’ombre au régime. Elle fait l’objet de menaces, mais sa détermination ne faiblit pas. Le jour des élections, Loukachenko obtient 80 % des suffrages. Des manifestations éclatent tandis que Sviatlana refuse de reconnaître le résultat du scrutin, puis elle est contrainte à l’exil en Lituanie. Aujourd’hui encore, elle parcourt le monde en tant que présidente nationale élue, faisant campagne pour une Biélorussie libre.
Sophie Wilmès : première femme Première ministre de Belgique (2019-2020). Elle a guidé notre pays à travers la crise du coronavirus.
– Margaret Thatcher : première femme Première ministre du Royaume-Uni (1979), connue pour sa politique ferme et son apparence déterminée. Son sac à main était un symbole de féminité au milieu d’un gouvernement exclusivement masculin.
– Shirley Chisholm : première femme afro-américaine élue au Congrès des États-Unis (1968). En 1972, elle a lutté pour obtenir une nomination en tant que candidate à la présidence. Elle estimait que l’époque des « hommes blancs » était révolue.
– Benazir Bhutto : à l’âge de 35 ans, en 1988, elle est devenue la plus jeune femme Première ministre de tous les temps (Pakistan). Elle s’est battue contre la faim et s’est engagée en faveur de meilleurs logements et de soins de santé. Elle est décédée en 2007 à la suite d’un attentat.
– Sanna Marin : la plus jeune femme Première ministre de Finlande, avec un impressionnant parcours. Elle a bien géré la crise du coronavirus, condamné l’invasion de l’Ukraine et a orienté la Finlande vers l’Otan.
– Yulia Tymoshenko : première femme Première ministre de l’Ukraine (2005), reconnaissable à ses nattes caractéristiques. Elle a perdu face au candidat Zelensky en 2019, mais elle le soutient dans la lutte contre la Russie.
Femmes de droit. (2024, June 17). Plafond de verre – Femmes de Droit. Femmes De Droit. https://femmesdedroit.be/informations-juridiques/abecedaire/plafond-de-verre/
Définition
Le plafond de verre est une image qui symbolise l’impossibilité pour certaines catégories de personnes d’avancer dans leur carrière ou d’obtenir plus de responsabilités au-delà d’un certain niveau.
L’expression “plafond de verre” (ou “glass ceiling”) est née aux Etats-Unis dans les années 1970 et a ensuite été popularisée par un article du Wall Street journal datant de 1986.
Le concept de plafond de verre remet en question l’idée que seul le mérite peut expliquer la réussite professionnelle. En effet, les femmes, les personnes immigrées, les personnes avec un handicap, etc. doivent faire face à plus de difficultés pour avancer dans leur carrière.
Ainsi, quand on observe le pourcentage de femmes au sein du top management des entreprises, on voit qu’elles sont peu nombreuses. La logique voudrait pourtant qu’on ait, approximativement, autant d’hommes que de femmes à la tête des entreprises. Or, ce sont majoritairement des hommes (pareil au niveau étatique). On observe également une grande différence entre la proportion de personnes noires dans la population et la proportion de personnes noires à la tête des entreprises.
Des stéréotypes persistants
Les préjugés sur les femmes ont la vie dure. Elles sont souvent plus vues comme des mères ou des épouses que comme des dirigeantes. Ces stéréotypes ont un impact dès le début de la carrière d’une femme. Cela les cantonnent dans des postes avec peu de responsabilités ou un bas salaire.
Ann-Sophie de Pauw montre, dans une étude datant de 2016, qu’une femme a 33% moins de chances qu’un homme d’obtenir un entretien d’embauche pour un poste technique. Toutefois, elle a autant de chances qu’un homme, s’il s’agit d’un poste qui valorise les «qualités humaines».
Ces stéréotypes impactent également la confiance des femmes qui ont plus tendance à s’auto-censurer. Par exemple, on observe que dès l’école, elles peuvent s’auto-censurer dans le choix d’orientation et de filières.
L’importance des réseaux
Dans de nombreux secteurs, les réseaux sont très importants pour avancer dans sa carrière mais les femmes en profitent généralement moins. De plus, les réseaux masculins sont ceux qui favorisent le plus les promotions puisque sont présents à l’intérieur, les personnes avec le plus de responsabilités et de pouvoir.
Il existe également le phénomène de “boy’s club” (ou homophilie) qui consiste à rester entre soi au détriment des autres. Cela s’est vu récemment avec l’affaire de la Ligue du Lol où des femmes journalistes ont été victimes de misogynie et de harcèlement de la part de confrères masculins.
De faux préjugés
Le site de gestion de compétences Competentia explique que les préjugés sur les femmes dirigeantes sont faux :
- Elle travaillent autant d’heures et de jours que les hommes
- Elles prennent moins de congés et ont moins d’absences (excepté pour le congé de maternité)
- Elles acceptent plus souvent une mutation que les hommes
- Certaines études révèlent que les entreprises sont plus performantes si plusieurs femmes sont dirigeantes. Le même résultat apparaît quant à la présence de personnes issues de minorités ethniques.
Quelles mesures pour lutter contre le plafond de verre ?
Au niveau juridique, il existe la loi sur les quotas (2011) qui oblige les entreprises à nommer 1/3 de femmes dans leur Conseil d’administration. Ainsi, de 2008 à 2017, la proportion de femmes dans ces Conseils a plus que triplé.
Au niveau des entreprises et des organisations publiques, le site Competentia propose quatre niveaux d’actions :
- Mesurer le plafond de verre
- Mettre les femmes en situation de réussir
- Faciliter la vie des femmes dans leur milieu professionnel
- Agir sur les comportements et les attitudes
Parmi les mesures proposées, on trouve le développement de réseaux aux femmes, du parrainage, du coaching, des équipes de travail mixtes, une meilleure préparation des congés parentaux…
L’importance est d’arriver à un nombre significatif de femmes à des postes à responsabilités. Cela permettra de changer profondément les choses.
Chapellier, B. (2020, November 30). Plafond de verre – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/plafond-de-verre/
Plafond de verre
Hommes et femmes sont présents en nombre quasi équivalent dans la fonction publique. Sauf quand on monte dans la hiérarchie… Refrain malheureusement trop bien connu.
La fonction publique fédérale change en permanence, tantôt à coup de réformes retentissantes, tantôt dans le silence ou la discrétion.
La dernière réforme d’importance a été la réforme Copernic, entamée par le ministre Van den Bossche en 1999. Cette réforme avait officiellement un double objectif : de meilleurs services aux citoyens et un meilleur cadre de travail pour les fonctionnaires. Pour atteindre ces objectifs, de nombreux chantiers ont été lancés et appliqués de manière inégale dans les administrations. Tant il est vrai qu’il ne suffit pas de légiférer pour que les choses changent.
Le point qui nous préoccupe, en l’occurrence, est celui du progrès de l’égalité entre les femmes et les hommes. Voici en quelques chiffres l’évolution au sein des services publics fédéraux de cette répartition (exprimée en pourcentage par niveau).
Le tableau ci-dessous montre une évolution positive globale des effectifs, masculins et féminins. Cependant, au niveau des contractuels, la répartition femmes/ hommes est de 68,6%/31,4%. Or ces emplois offrent moins de sécurité que les emplois statutaires. De plus, ils sont majoritairement occupés par des personnes peu qualifiées (51% des contractuels sont des emplois de niveau D).
Ensuite, alors que la répartition femmes/hommes sur l’ensemble des services publics fédéraux est de 49,5/50,5, la proportion est bien différente aux niveaux supérieurs[1.Malgré des initiatives comme le projet Top Skills, organisé par le Selor, qui veut encourager plus de femmes à opter pour un emploi en tant que manager. Ceci par une simulation d’entretien de management.].
Pour forcer l’évolution au sein de la fonction publique fédérale, un arrêté royal introduit progressivement un quota de maximum deux tiers de personnes du même « genre » (comprenez « du même sexe ») dans les niveaux les plus élevés de l’administration. Comme le précise le rapport au roi : « Au sein de la fonction publique administrative fédérale, le problème du déséquilibre entre les genres se trouve essentiellement dans ce que l’on appelle les deux premiers degrés de la hiérarchie, c’est-à-dire, d’une manière générale… les fonctions de management. (…) Début 2012, au sein des services publics fédéraux et des services publics de programmation, seulement 13% des managers et 27% des agents nommés dans les classes A3, A4 et A5 sont des femmes. L’inégalité est donc manifeste. »
Dans le même temps, la réforme des pensions et des congés touche particulièrement les femmes qui travaillent à temps partiel ou qui ont des carrières incomplètes, y compris dans le secteur public.
La réforme Copernic a été, elle, annoncée en grande pompe. Le gouvernement actuel, s’il n’annonce pas une réforme tapageuse, prévoit, discrètement, des changements qui auront des conséquences bien plus lourdes que Copernic sur le futur des fonctionnaires, surtout pour les femmes aux carrières pécuniaires plus basses et aux évolutions professionnelles plus chahutées.
Lilou. (2024, July 30). Comment les partis politiques francophones séduisent ou divisent sur le réseau social X – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/representation-et-polarisation-comment-les-partis-politiques-francophones-seduisent-et-ou-divisent-sur-le-reseau-social-x/
Comment les partis politiques francophones séduisent ou divisent sur le réseau social X
Ces dernières années, les démocraties semblent être confrontées à un double phénomène : celui de la fragmentation de leurs sociétés, et celui de la polarisation (idéologique, voire affective). Les représentant·es politiques sont régulièrement accusé·es d’attiser les sentiments négatifs entre groupes sociaux, notamment par l’intermédiaire de leur communication en ligne. Dans cette contribution, nous nous intéressons à la communication des partis francophones et de leurs président·e·s, sur le réseau social X.
Nous identifions les « groupes » mentionnés dans leurs publications : d’une part, les « endogroupes » ou groupes que les partis prétendent représenter, à qui ils font des « promesses », et auxquels ils destinent leurs politiques à l’approche du scrutin ; d’autre part, les « exogroupes », desquels les partis se distancient, voire attaquent. Les analyses montrent des variations entre partis en termes de fréquence à laquelle ils font référence aux endo- et exogroupes, ainsi que dans le type de groupes visés.
Avec le supposé dégel des clivages et l’émergence de nouveaux enjeux (environnement, migration), les partis politiques « traditionnels » se seraient progressivement détachés des groupes sociaux qui constituaient leurs bases électorales originelles. Dans le même temps, ces groupes sociaux se seraient diversifiés. Le poids des identités sociales ou « variables lourdes » dans la détermination des choix électoraux se serait estompé (Deschouwer et al., 2015). Ces choix seraient devenus plus instables, ou volatiles, d’une élection à une autre. Globalement, les liens entre (groupes d’) électeur·rice·s et les partis se seraient affaiblis. Néanmoins, les recherches montrent que les partis et personnalités politiques continuent à faire référence, dans leur communication, à des groupes auxquels ils et elles s’associent et dont ils et elles prétendent défendre les intérêts (De Mulder, 2023) – les endogroupes. La compétition politique resterait donc structurée autour d’une lutte pour la représentation de catégories sociales et économiques. Par ailleurs, la communication des acteurs politiques fait aussi référence à des groupes desquels ils se distancient, se désolidarisent, voire considèrent comme « nuisibles » et contre lesquels ils appellent à lutter – les exogroupes. Enfin, les médias sociaux offriraient des plateformes idéales à ces procédés discursifs (Rathje et al., 2021).
À l’aube du scrutin de juin 2024 en Belgique, qui fut dépeint comme particulièrement polarisé (Scheirlinckx, 2024), nous nous sommes intéressé·e·s à la communication des partis politiques francophones (et de leurs (co)président·es)1 sur la plateforme X, en termes de références à des endo- et exogroupes. Nous analysons l’ensemble des publications sur X de ces acteurs, entre le 1er janvier 2023 et le 31 mars 2024 (4864 publications au total), pour lesquelles nous avons manuellement codé la présence d’un (ou plusieurs) endogroupes, et celle d’un (ou plusieurs) exogroupes.
De manière générale, les partis francophones mentionnent davantage les endogroupes que les exogroupes.
Dans le graphique 1, nous montrons, pour chacun des partis, la proportion de leurs publications faisant référence uniquement à un endogroupe, uniquement à un exogroupe, et faisant référence à la fois à un endo- et à un exogroupe. Nous labellisons ces dernières comme « polarisantes ». Les partis sont classés sur un axe gauche-droite, et nous mentionnons le nombre total de publications par parti. Ces derniers tendent à mentionner très fréquemment des endogroupes (plus de 70% des publications chez la plupart des partis), sans grandes différences entre eux. De manière générale, les partis francophones mentionnent davantage les endogroupes que les exogroupes. En ce qui concerne les exogroupes, ainsi que les publications « polarisantes », le PTB semble être le parti qui a le plus recours à ce type de contenu (près de 45% de leurs publications sont polarisantes, et près de 60% mentionnent un exogroupe). Pour le PS et le MR, les proportions de publications polarisantes approchent les 25%. Ce sont donc les partis plus centristes qui semblent avoir le moins recours à ce type de mentions – chez Les Engagés, 14% des publications sont directement polarisantes.
Nous avons ensuite procédé à une classification des groupes mentionnés en sept catégories2 (voir tableau 1). Trois catégories émergent parmi les endogroupes les plus fréquents : les groupes sociodémographiques, socioéconomiques et nationaux/communautaires. Les partis politiques francophones et leurs (co)président·e·s tendent donc prioritairement à « représenter », dans leur communication (en ligne) ces types de groupes. Parmi les exogroupes, les groupes socio-économiques dominent largement, suivis des groupes « internationaux », notamment, dans un contexte de tensions autour du conflit au Proche-Orient et en Ukraine. Les groupes sociodémographiques ou nationaux et communautaires apparaissent peu parmi les exogroupes, ce qui contraste avec les résultats d’une analyse similaire menée côté flamand (Kins et al., 2024), où les partis (nationalistes notamment) taclent plus volontiers certaines communautés et régions.
Les graphiques 2 et 3 permettent d’appréhender, pour chacun des partis analysés, les types de groupes mentionnés dans leurs publications sur X. Sur le graphique 2, on constate que le PTB tend à accentuer en premier lieu les références aux endogroupes liés à leur clivage de prédilection : le clivage socioéconomique (40% des endogroupes mentionnés sont de l’ordre du socio-économique). Pour les partis plus « mainstream », les catégories sociodémographiques sont les plus fréquentes (autour de 35-40% des références aux endogroupes). Ces catégories sont relativement consensuelles et moins associées à des clivages particuliers. Les partis semblent en compétition pour les séduire : les « citoyens », les « femmes », les « jeunes », les « familles ». Les clivages « originels » se traduisent néanmoins. Ainsi, une attention particulière est portée aux groupes socio-économiques dans les publications du PS (deuxième catégorie d’endogroupe, soit 32%), au MR (troisième catégorie d’endogroupe la plus citée, soit 26%) – et de manière plus surprenante, chez Les Engagés (première catégorie à quasi égalité avec les groupes sociodémographiques, 36-37%). Chez Écolo et DéFI, les groupes socio-économiques apparaissent moins présents (respectivement 21% et 13%). En revanche, Écolo mentionne davantage que les autres partis des groupes « environnementaux ». DéFI s’adresse aux groupes communautaires (« Bruxellois », « Wallons », « Francophones »), ainsi qu’à des groupes liés à des appartenances philosophiques et religieuses – en accord avec l’enjeu de laïcité que le parti met à l’agenda, et la défense des droits et libertés (Close et al., 2023).
En termes d’exogroupes, les catégories sont moins diversifiées ; et les références sont également moins nombreuses en général que pour les endogroupes (voir Graphique 1). Les chiffres présentés dans le graphique 3 doivent donc être considérés avec précaution. Pour rappel, les références aux exogroupes sont beaucoup plus présentes chez les partis aux extrêmes de l’axe gauche-droite, que chez les partis plus au centre. Le PTB accentue surtout les oppositions entre groupes socio-économiques (« la classe travailleuse » versus « les multinationales » et les « super-riches »).
Pour le PS, Écolo, et Les Engagés, entre 60% et 70% de leurs références aux exogroupes concernent des groupes socio-économiques : « les ultra-riches » au PS, les « banques » chez Écolo (qui cible aussi des groupes comme « les pollueurs »). Viennent ensuite des groupes associés aux conflits internationaux (26-28%). Cette catégorie est la plus présente chez DéFI (64%), et vise à dénoncer des atteintes aux droits fondamentaux (ex. « le régime iranien », « le Hamas »). Enfin, le MR montre une plus grande diversité dans ses cibles : socio-économiques, sociodémographiques, internationales, ethniques ou religieuses. Il se présente comme le parti de l’ordre et surtout de l’emploi, en chargeant aux « délinquants », « illégaux », ou encore aux « consommateurs de drogues », mais aussi aux inactifs et « syndicats », face à « la classe moyenne », aux « indépendants » et aux « honnêtes gens » dont le parti et son président se portent garants.
Les partis aux extrêmes font davantage usage d’une communication négative, opposant les groupes sociaux entre eux, que les partis plus au centre.
À l’issue du scrutin de 2024, cette analyse permet d’éclairer la communication des partis politiques francophones sur le réseau social X en termes de références à des endo- et à des exogroupes. Les partis diffèrent à deux points de vue. Premièrement, les partis aux extrêmes font davantage usage d’une communication négative, opposant les groupes sociaux entre eux, que les partis plus au centre. Deuxièmement, les types de groupes mentionnés s’inscrivent encore dans une logique de clivages et d’enjeux prioritaires pour les partis. Néanmoins, une compétition se joue pour la représentation de groupes sociodémographiques non-alignés sur ces clivages et enjeux (jeunes, femmes, famille etc.). Les analyses à venir des résultats de l’élection du 9 juin permettront certainement de mieux évaluer la performance des partis au sein de ces catégories sociales. Par ailleurs, de futures recherches devraient s’intéresser à l’effet de la communication (négative) sur les individus, notamment sur leurs perceptions et sentiments à l’égard de groupes sociaux auxquels ils/elles s’identifient ou desquels ils/elles se distancient.3
Références
De Mulder A. (2023) Making Sense of Citizens’ Sense of Being Represented. A Novel Conceptualisation and Measure of Feeling Represented. Representation 59(4), pp. 633–657.
Deschouwer K., Delwit P., Hooghe M., Baudewyns P., & Walgrave S. (2015). Décrypter l’électeur. Le comportement électoral et les motivations de vote, Lannoo Campus : Tielt.
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Mauzé, G. (2024, November 7). La victoire de Trump, par-delà les fantasmes – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/la-victoire-de-trump-par-dela-les-fantasmes/
La victoire de Trump, par-delà les fantasmes
L’échec historique de la candidature de Kamala Harris va faire couler beaucoup d’encre. Masculinité toxique et suprématisme blanc ont directement été pointés du doigt. L’analyse des résultats démontre pourtant que l’électorat du milliardaire s’est féminisé et diversifié. Mais comment expliquer cet étrange paradoxe ?
Alors candidat à l’investiture du parti démocrate pour l’élection présidentielle de 2008, le jeune sénateur de l’Illinois Barack Obama offrait un discours optimiste quant à l’avenir des relations raciales en Amérique. S’il concédait qu’une élection ne permettrait pas de dépasser les divisions raciales du pays, sa « ferme conviction » ajoutait-il, était de pouvoir « dépasser certaines de nos anciennes blessures raciales, et en fait, nous n’avons pas le choix si nous voulons continuer sur la voie d’une union plus parfaite ».
L’optimisme du futur président était amplement nourri par la publication, six ans auparavant, de l’ouvrage de John Judis et Ruy Teixeira, The Emerging Democratic Majority. Pour les auteurs de cet influent bestseller outre-Atlantique, les évolutions démographiques indiquaient une inexorable hégémonie des démocrates et d’un « centrisme progressiste ». Une coalition de femmes et de minorités en passe de devenir majoritaires allait offrir les clés du pouvoir pour les décennies à venir au parti de Franklin Roosevelt.
Depuis deux décennies, les fantasmes à propos du déclin démographique des blancs ont constitué un motif d’explication récurrent, tant du succès de la rhétorique de Trump que de la nécessité pour les démocrates de gagner cette coalition d’avenir.
Seize ans et trois élections plus tard, Donald Trump a été réélu président pour un second mandat. Depuis, les analyses et commentaires sur une supposée « revanche » de l’Amérique blanche ont amplement nourri les rédactions de presse et les séminaires universitaires. Trump serait le visage, selon les termes de la journaliste du New York Times Nikole Hannah-Jones, d’une majorité blanche mise en péril par les évolutions démographiques. Face au déclin de son pouvoir et de ses privilèges, les blancs américains auraient « choisi l’autocratie » pour sauvegarder leur pouvoir face à ce « grand remplacement » qui les guette. Depuis deux décennies, les fantasmes à propos du déclin démographique des blancs ont constitué un motif d’explication récurrent tant du succès de la rhétorique de Trump que de la nécessité pour les démocrates de gagner cette coalition d’avenir.
Une diversité conservatrice ?
Si ce discours est désormais largement diffusé au sein des élites libérales états-uniennes, il pose cependant plus de questions qu’il n’apporte de réponses. En effet, si Trump est bien une réaction à l’idéal « post racial » d’Obama, comment expliquer sa réélection en 2012 ? Ensuite, si ce que craint cette Amérique est un changement dans les prétendus « équilibres raciaux », pourquoi le nombre d’électeurs se définissant comme blancs et votant pour le parti démocrate n’a cessé d’augmenter depuis 2016, passant de 37 à 43% ?
Au cours des trois dernières élections, Trump a permis au parti républicain de conquérir des franges de plus en plus larges de l’électorat dit « non blanc ».
Comment expliquer, encore, que les électeurs les plus à gauche sur ces questions soient très majoritairement blancs ? Plus interpellant encore, au cours des trois dernières élections, Trump a permis au parti républicain de conquérir des franges de plus en plus larges de l’électorat dit « non blanc ». Non seulement la majorité (59%) de ses électeurs sont des femmes et des personnes de couleur, mais la part de celles-ci n’a cessé d’augmenter.
En effet, d’un côté, l’écart qui séparait Trump des démocrates vis-à-vis des hommes blancs a considérablement diminué (passant de 31 points d’avance à 20), mais son retard auprès des minorités s’est fortement réduit. Trump a presque doublé son score chez les Latinos, qui votent aujourd’hui à 45% pour lui, et substantiellement augmenté ses résultats que chez les Asiatiques. Si son score auprès des Afro-Américains reste modeste (13%), c’est le meilleur du parti républicain depuis 1980, lorsque Ronald Reagan avait convaincu 14% de ceux-ci.
Si beaucoup d’encre a coulé pour dénoncer la masculinité toxique du candidat républicain, ainsi que de ceux dont il s’entoure, la part des femmes ayant voté pour lui a pourtant augmenté depuis 2016, passant de 41 à 44%
Enfin, cette dernière élection manifeste de surprenantes dynamiques en matière de genre. Si beaucoup d’encre a coulé pour dénoncer la masculinité toxique du candidat républicain, ainsi que de ceux dont il s’entoure, la part des femmes ayant voté pour lui a pourtant augmenté depuis 2016, passant de 41 à 44%.
En l’espace de trois élections présidentielles, si le discours de Trump s’est manifestement radicalisé, son électorat est effectivement devenu plus jeune, plus féminin et moins blanc. Ces dynamiques ont naturellement joué un rôle central dans les défaites démocrates de 2016 et 2024. Loin d’avoir fait le plein de voix contre un candidat amplement dépeint dans les spots électoraux démocrates comme raciste et misogyne, le parti a pourtant vu sa base électorale fondre comme neige au soleil.
Si plus de 81 millions d’Américains ont voté pour Joseph Biden, seuls 68 millions se sont mobilisés pour Kamala Harris. Trump, quant à lui, a mobilisé presque autant qu’en 2020. En un sens, il s’agit plus d’une défaite historique du parti démocrate que d’une victoire de Trump.
Classe contre race
Si la mise en valeur de ces données n’a pas vocation à nier que les meetings de Trump aient été systématiquement ponctués de commentaires racistes et misogynes, elle pose question quant à la nature de sa victoire. Réduite à un « revanchisme racial » ou à un contre-mouvement « anti-woke », l’analyse électorale passe à côté de réalignements sociopolitiques beaucoup plus profonds.
Comme l’avait déjà souligné Thomas Piketty en 2019, le système électoral américain a évolué vers ce qu’il a appelé un « système d’élites multiples, avec une élite à hauts diplômes plus proche des démocrates (la « gauche brahmane») et une élite à hauts patrimoines et à hauts revenus plus proche des républicains (la « droite marchande ») »1.
Pour la première fois dans son histoire récente, le parti démocrate a perdu le vote des bas revenus, tout en ayant inversé la tendance chez les plus riches.
Cette dynamique, qui caractérise désormais également les clivages politiques sur le vieux continent, s’est profondément accélérée. En effet, l’un des éléments les plus marquants de cette élection n’est peut-être pas tant la percée des républicains auprès des latinos, que le bouleversement des alignements traditionnels de classe. En effet, pour la première fois dans son histoire, le parti démocrate a perdu le vote des bas revenus, tout en ayant inversé la tendance chez les plus riches.
Si Hillary Clinton et Joseph Biden avaient tous deux réussi à creuser un écart de 10 points avec Trump, auprès des électeurs dans le bas de la distribution des revenus, Kamala Harris a perdu une grande partie de cet électorat au profit du milliardaire.
Du côté des plus hauts revenus, le changement est tout aussi spectaculaire. Si Trump perd presque 10 points auprès des personnes qui gagnent plus de 100 000 dollars par an, Harris en gagne 12, pour récolter 54% du vote.
Cette dynamique se manifeste également chez les minorités, de plus en plus divisées selon leur niveau de diplome. Ainsi, les gains de Trump au sein des minorités sont beaucoup plus importants chez les non-diplômés, que chez ceux ayant un diplôme d’études supérieures2. Cette évolution n’est par ailleurs pas étrangère aux écarts matériels, qui s’amplifient au sein même des différents groupes ethniques sur la même période.
Ainsi, comme l’ont démontré Angus Deaton et Anne Case dans Deaths of Despair, entre 1990 et 2020, l’écart d’espérance de vie entre les blancs et les noirs a diminué alors que l’écart au sein de chaque groupe s’est considérablement amplifié. En d’autres termes, la classe est devenue plus prédictive que l’appartenance ethnique.
Du parti des laissés pour compte, les démocrates semblent être devenus le parti de l’establishment
Le changement sur le long cours est donc profond. D’un parti associé aux électeurs peu diplômés et aux revenus et au patrimoine faible, le parti de Kamala Harris est désormais celui qui rassemble la majorité des hauts revenus et des diplômés. Inversement, Trump l’emporte chez les non-diplômés ainsi que chez celles et ceux gagnant moins de 50 000 dollars par an. La conclusion est sans appel : du parti des laissés pour compte, les démocrates semblent être devenus le parti de l’establishment.
La fin des alignements de classe ?
L’approfondissement de ce que l’historien américain Matt Karp a nommé le « désalignement de classe » annonce une séquence politique ou le système électoral américain tend à se détacher de ses affiliations socio-économiques traditionnelles. Ce lent exode des travailleurs et travailleuses, ainsi que des moins diplômés, vers le parti républicain n’annonce cependant pas un retrait des questions socio-économiques3. Au contraire, cette élection a démontré l’importance centrale que l’électorat américain a donnée à ces problématiques.
La focalisation des démocrates autour du « danger fasciste » a malheureusement fait oublier que c’est en focalisant son message sur l’économie que Biden l’avait emporté il y a quatre ans.
Ainsi, plus d’un tiers des électeurs ont indiqué que l’économie était leur priorité numéro un, alors que seuls 11% ont indiqué l’immigration. Et parmi ceux inquiets quant à l’état de l’économie, 80% ont préféré Donald Trump à Kamala Harris. Enfin, à peine 20% des États-uniens pensent qu’ils sont mieux lotis qu’en 2020. Si les causes de cette insatisfaction devraient faire l’objet d’une analyse plus approfondie, il semble indéniable que la stratégie démocrate n’a pas fonctionné.
Ces chiffres indiquent leur incapacité à offrir un programme économique plus clair, répondant aux inquiétudes largement exprimées au sein de leur électorat traditionnel. La focalisation autour du « danger fasciste » et d’une éventuelle « fin de la démocratie », nourrie depuis 2016 par des best-sellers sur le « nouvel Hitler » et des productions hollywoodiennes sur une « guerre civile » a malheureusement fait oublier que c’est en focalisant son message sur l’économie que Biden l’avait emporté il y a quatre ans. Si l’analogie avec les années 30 est peu convaincante sur le plan historique4, l’usage de cette rhétorique à des fins électorales est vouée à l’échec. La stratégie du moindre mal ou d’une sauvegarde abstraite de la démocratie n’a manifestement aucun avenir, si elle ne s’adosse pas à un agenda économique capable de rassembler une coalition majoritaire. Loin d’être une anomalie, le trumpisme apparait donc comme le symptôme le plus visible d’un libéralisme en décomposition et, dans sa version européenne, d’une gauche encore incapable d’inverser le cours de l’histoire.
Debras, F. (2024, November 7). Donald Trump élu. Un fasciste à la Maison blanche ? – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/donald-trump-elu-un-fasciste-a-la-maison-blanche/
Donald Trump élu. Un fasciste à la Maison blanche ?
C’est officiel, Donald Trump sera le nouveau Président des États-Unis. Mais est-ce le retour d’un fasciste à la Maison blanche, comme on l’entend ça et là ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’en poser une autre : qu’est-ce, au fond, que le fascisme ?
Premièrement, dans le discours politique, le terme « fascisme » est souvent utilisé comme une insulte, une attaque visant à discréditer, diaboliser ou déstabiliser un adversaire. « Fasciste », « facho ».
En dehors de cet usage rhétorique, le fascisme possède également des définitions précises.
Une réalité historique
D’un point de vue historique, le fascisme renvoie une période spécifique de l’histoire européenne. Né en Italie, il s’agit d’un système politique nationaliste et totalitaire instauré par Mussolini en 1922. Ce modèle italien a inspiré d’autres systèmes tels que l’Allemagne sous Hitler, l’Espagne sous Franco… Le fascisme peut être perçu comme un mouvement visant à mobiliser la société sous l’influence d’industriels et de propriétaires désireux de rétablir « l’ordre ».
D’un point de vue idéologique, fondé sur une liste d’éléments structurants, Umberto Eco développe le concept d’Ur-Fascisme. Selon lui, le fascisme n’est ni limité dans le temps ni à un pays particulier. Différents phénomènes peuvent et doivent être interrogés et analysés. Parmi les caractéristiques identifiées :
Le culte du chef, le respect des traditions, le rejet de la modernité, l’appel à l’action pour l’action, le refus de l’esprit critique, le racisme, le nationalisme, la guerre permanente, l’élitisme populaire, l’appauvrissement de la langue, l’appel à un héros, l’antiparlementarisme, le machisme…
Le fascisme aux Etats-Unis
Ces éléments ne sont pas tous présents dans les discours de Donald Trump mais certains attirent néanmoins notre attention. De plus, comme l’explique Sylvie Laurent, historienne et chercheuse associée à l’Université de Harvard, le fascisme se définit, aussi, comme une alliance du capitalisme et du racisme. Il n’est pas limité à une définition européocentrée.
En ce sens, le fascisme est lié à la colonisation et il fait aussi partie intégrante de l’histoire américaine depuis ses débuts. L’invention américaine, du rêve américain, de l’idéal américain, repose sur la conquête, sur la colonisation, sur l’accumulation indéfinie de richesses et la domination de peuples considérés comme, soi-disant, « inférieurs » (esclavage, ségrégation).
Les États-Unis seraient ainsi en permanence confrontés à une forme de fascisme historique, parfois latent, parfois se réveillant. Dans ce contexte, Donald Trump et l’évolution idéologique du Parti républicain méritent une attention particulière.
Alors, dites-moi comment vous définissez le fascisme, et je vous dirai si Donald Trump est fasciste ou non. Mais rappelez-vous une chose, la qualification de fascisme et de fasciste ne doit pas être un anathème… ni un tabou.
Crobeddu, L. (2024, November 16). Face aux nouvelles majorités PS-PTB-Ecolo, le MR s’invente des cordons sanitaires – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/face-aux-nouvelles-majorites-ps-ptb-ecolo-le-mr-sinvente-des-cordons-sanitaires/
Face aux nouvelles majorités PS-PTB-Ecolo, le MR s’invente des cordons sanitaires
C’est officiel ! Suite aux élections communales, Mons et Forest seront dirigées par une tripartite PS-PTB-Ecolo. Une première pour le parti marxiste en Wallonie et à Bruxelles, qui pourrait se répéter à Molenbeek et Schaerbeek. Face à cet événement historique, partis de droite et médias s’enflamment. Y aurait-il une “rupture de cordon sanitaire”? Analyse d’un faux cordon et d’une vieille ficelle, remise au goût du jour.
C’est acté. Le jeudi 7 novembre 2024 au soir, Nicolas Martin, chef de file du PS montois, scelle le destin de la commune de Mons. Béatrice Delvaux, l’éditorialiste en chef du journal Le Soir, rappelle que la question de la rupture du cordon sanitaire ne peut s’appliquer au PTB, même s’il faut reconnaître le caractère exceptionnel de la coalition progressiste montoise. De même, La Libre rapporte les propos du nouveau bourgmestre en ces termes : « La théorie du cordon sanitaire à l’égard du PTB est une invention de la droite, de M. Bouchez, avec pour seul objectif de se rendre incontournable sur la scène politique en faisant en sorte de diviser les partis de gauche. Le PTB n’est pas un parti raciste. Le seul cordon sanitaire que je connais, c’est à l’égard de l’extrême droite ».
Ce pas de géant pour le PTB, qui s’est répété ce mardi 12 novembre avec la conclusion d’une nouvelle majorité de gauche à Forest, s’accompagne donc d’une controverse tombée du ciel, issue notamment de la bouche de Georges-Louis Bouchez et de Denis Ducarme, celui-là même qui nous rappelle sur ses réseaux qu’en 2016, il adoptait déjà cette rhétorique : celle de la « rupture du cordon sanitaire » face au parti de gauche radicale.
Insister jusqu’à ce que l’on croie
Le recours à la rhétorique du « cordon sanitaire » contre le PTB n’est pas anodin. S’inscrivant dans une stratégie plus large de la droite belge, on cherche à diaboliser le PTB en créant un amalgame entre la gauche radicale et l’extrême droite. Or, l’origine du cordon sanitaire remonte à 1989 et visait exclusivement l’extrême droite, représentée par le Vlaams Blok, devenu le Vlaams Belang.
En utilisant cette expression, la droite tente d’implanter l’idée que le PTB, par ses positions critiques vis-à-vis du capitalisme, serait aussi dangereux pour la démocratie que les formations d’extrême droite.
L’accusation de rupture n’est donc pas seulement infondée, elle relève d’une manipulation délibérée de l’opinion publique. En utilisant cette expression, la droite tente d’implanter l’idée que le PTB, par ses positions critiques vis-à-vis du capitalisme, serait aussi dangereux pour la démocratie que les formations d’extrême droite. Georges-Louis Bouchez parle sur ses réseaux sociaux de “véritable danger pour notre ville”, et “lance donc un appel aux démocrates”, car “le PTB n’est pas un parti comme un autre”. Il s’agit, on le voit, de multiples glissements sémantiques pour saper la légitimité démocratique du PTB et en faire un parti infréquentable.
Le cordon sanitaire n’a jamais concerné la gauche radicale
Historiquement, le concept de cordon sanitaire est une réponse sans fondementlégal, à la montée de l’extrême droite en Belgique. À ce sujet, l’ensemble des partis traditionnels adoptent une position ferme : aucun pacte ni aucune coalition ne seront formés avec le Vlaams Belang, en raison de son discours raciste et xénophobe. C’est un choix éthique, visant à protéger les valeurs démocratiques face à une idéologie fondamentalement discriminatoire. Ce n’est donc pas l’extrémisme qui est visé par le cordon sanitaire, mais bien les idéologies fascisantes qui nient le fait que tout le monde, peu importe l’origine, la religion ou le genre, est égal.
Assimiler le PTB à cette catégorie relève d’un raccourci idéologique. Ce parti se définit comme marxiste, et prône une transformation radicale de la société par des moyens démocratiques. Son programme est axé sur la justice sociale, la redistribution des richesses, et la défense des droits des travailleurs et travailleuses. Contrairement à l’extrême droite, il ne remet pas en question les droits fondamentaux des minorités ni ne promeut un discours de haine.
Le numérique : terre d’élection de la propagande
Cette controverse autour du prétendu cordon sanitaire révèle un autre enjeu : celui de la factualité dans le débat politique. L’usage d’une terminologie incorrecte et trompeuse comme le « cordon sanitaire » à l’encontre du PTB contribue en effet à brouiller les lignes idéologiques et à déformer le débat public.
En entretenant ainsi la confusion, le MR contribue à l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, marquée par un relativisme généralisé.
En entretenant ainsi la confusion, le MR contribue à l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, marquée par un relativisme généralisé. La polarisation croissante du débat public joue un rôle clé, puisque, en opposant systématiquement la gauche radicale aux autres formations, on tente – avec plus ou moins de succès – d’empêcher toute coalition large qui pourrait remettre en cause l’ordre économique établi. Cette manière d’agir, c’est-à-dire justifier par sa seule opinion ce qui relève ou non du cordon sanitaire, ne provient pas des journaux traditionnels, mais s’observe essentiellement sur les réseaux sociaux.
Nous avons changé d’époque. L’ère numérique a aboli la plupart des intermédiaires professionnels, permettant aux politiques de s’exprimer en leur nom, sans vérification extérieure quant au fondement factuel de ce qui est affirmé. La difficulté à exercer notre esprit critique et notre discernement en ligne est ainsi utilisée sans sourciller, en rendant simple une explication subtile, facilitant notre appréhension de la réalité : “extrême = cordon sanitaire”. Il devient simple de dire que les extrêmes sont les “méchants” et de désigner par soi-même ce qui l’est ou non, sans jamais se référer aux faits.
Cordon imaginaire, ficelle bien réelle
La polémique autour de cette coalition à Mons et l’usage du terme « cordon sanitaire » pour discréditer le PTB montrent à quel point le débat politique est devenu polarisé et dominé par les stratégies de communication. Derrière cette controverse se cache une lutte de pouvoir : la droite, inquiète de l’ascension d’un parti de gauche radicale, tente de freiner sa progression en invoquant un cordon imaginaire, une tactique insidieuse qui augmente la confusion politique.
Face à la montée du libéralisme et de l’extrême droite, le rassemblement de la gauche semble être une nécessité stratégique.
Cette alliance tripartite PS-PTB-Ecolo doit donc être perçue comme un test pour l’avenir de la gauche en Belgique. Face à la montée du libéralisme et de l’extrême droite, le rassemblement de la gauche semble être une nécessité stratégique. Si cette expérience montoise s’avère concluante, elle pourrait servir de modèle à d’autres communes, où la question de l’alliance PS-PTB-Ecolo s’est posée, notamment dans des communes de Bruxelles.
Della Vecchia, A. (2024, October 28). Et si on vous exploitait davantage ? La nouvelle super note de l’Arizona – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/la-nouvelle-super-note-de-larizona-fracture-sociale-de-la-flexibilite/
Et si on vous exploitait davantage ? La nouvelle super note de l’Arizona
Êtes-vous d’accord qu’on vous impose de travailler le dimanche, la nuit ou le jour de l’an ? Ou de voir votre revenu professionnel diminuer ? Les personnalités politiques responsables sont-elles conscientes de l’impact de leurs intentions sur la santé et la qualité de vie des travailleurs et travailleuses ? Une carte blanche du Secrétaire fédéral de la FGTB Chimie, Andrea Della Vecchia.
Quelques lignes dans un projet d’accord de gouvernement peuvent détériorer votre santé et la qualité de vos relations familiales et sociales. D’autres lignes peuvent signifier un manque à gagner de plusieurs centaines d’euros par an. De quels passages s’agit-il ? D’une part, celui relatif à la suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et les jours fériés. D’autre part, celui relatif au travail de nuit débutant à minuit au lieu de 20h.
L’inspiration hollandaise
Dans le cadre de sa mission de formateur du prochain gouvernement fédéral, Bart De Wever a diffusé plusieurs notes aux partis pressentis pour une coalition. À travers les versions, différents thèmes restent constants. Parmi ceux-ci, le travail du dimanche, de nuit et des jours fériés. Concrètement, nous lisons : « L’interdiction du travail du dimanche, du travail de nuit et du travail les jours fériés sera supprimée ». Cette flexibilité est souhaitée par plusieurs fédérations patronales et partis politiques, lesquelles prennent en exemple les Pays-Bas. Il est vrai que, de l’autre côté de la frontière, le recours aux horaires atypiques de travail est plus important qu’en Belgique1.
Travail en soirée ? Cela concerne près d’un travailleur sur trois aux Pays-Bas (contre moins d’un travailleur sur dix en Belgique).
Travail en équipes et de nuit ? Nos voisins enregistrent des pourcentages largement supérieurs aux nôtres.
Travail du samedi ? Plus d’un travailleur sur 4 est concerné aux Pays-Bas (contre moins d’un travailleur sur 5 en Belgique).
Travail du dimanche ? C’est une réalité pour près d’un travailleur sur 5 de l’autre côté de la frontière (contre 1 sur 10 chez nous). À ce propos, nous constatons que les travailleuses hollandaises sont plus concernées que leurs homologues masculins par des activités professionnelles le septième jour de la semaine (22,3% contre 17,4% pour les hommes).2
Le formateur du prochain gouvernement fédéral semble vouloir faciliter toute initiative patronale d’implémentation de la flexibilité en contournant la concertation préalable des travailleurs.
Pourquoi de telles différences entre nos deux pays ? Aux Pays-Bas, la législation en matière de flexibilité et d’horaires atypiques est plus souple, ce qui facilite leur implémentation par les employeurs. En Belgique, le cadre légal actuel prévoit le recours à la concertation sociale ou, à défaut de représentation des travailleurs et travailleuses, des procédures administratives au sein des organes sectoriels de concertation.3 Mais la flexibilité hollandaise constitue-t-elle un idéal à copier ? Concrètement, êtes-vous d’accord de travailler le jour de Noël ou le 1er mai ? Êtes-vous aussi d’accord de travailler la nuit ou le dimanche ? Si cette intention politique se concrétise, ces questions ne vous seront pas posées : ces formes de flexibilité vous seront imposées indépendamment de leurs impacts sur votre vie. Le formateur du prochain gouvernement fédéral semble vouloir faciliter toute initiative patronale d’implémentation de la flexibilité en contournant la concertation préalable des travailleurs.
Payer moins les travailleurs et travailleuses : des exemples concrets
Par ailleurs, la « super nota » comprend le passage suivant : « Le travail de nuit commencera désormais à partir de minuit au lieu de la limite actuelle de 20 heures, sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20h et 24h ». Dans la pratique, cela signifie que la prime de nuit des travailleurs et travailleuses concerné·es sera attribuée à partir de minuit (au lieu de 20h comme c’est le cas actuellement).
Afin de mesurer l’impact financier de ces « quelques lignes », nous nous sommes penchés sur la situation concrète de quelques travailleurs concernés par le travail de nuit.
Ali, employé du secteur de la chimie, temps plein en équipe de nuit : 78 € bruts en moins par mois.4
Mariam, infirmière dans un hôpital privé, preste 6 nuits par mois : 120 € bruts en moins par mois.5
David, ouvrier dans un dépôt de la grande distribution : 198 € de perte par mois.6
Les pertes de revenus calculés ci-dessus se basent sur des données actuelles et figées : les futures augmentations et indexations des salaires et primes de nuit augmenteront encore cette différence.
Aussi, le manque à gagner sur une carrière est considérable. Ainsi, sans tenir compte des augmentations et indexations annuelles et partant que Ali doit encore travailler 25 ans avant sa pension, il perdra plus de 23.500 €.
Qu’en est-il du passage « sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20h et 24h» ? Les nouveaux travailleurs en équipes et de nuit sont-ils les seuls impactés ? Ou s’agit-il uniquement des travailleurs et travailleuses d’entreprises qui instaureront le travail en équipes et de nuit à l’avenir ?
Au-delà des réponses à ces questions, est-il éthique de créer de telles différences de traitement entre travailleurs et travailleuses concerné·es par des conditions équivalentes de travail ? De même, est-il judicieux d’accroître l’attractivité financière de ces régimes de travail en faveur des employeurs et au détriment de la santé et de la qualité de vie des travailleurs ?
Travailler en décalage avec les rythmes habituels de la société laissent des traces sur les principaux concernés.
Prises ensemble (la réduction de la prime de nuit et la suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et les jours fériés), ces mesures indiquent clairement l’intention du formateur : les horaires atypiques doivent se développer en Belgique. Par conséquent, un·e travailleur·euse actuellement employé·e en journée pourra être soumis·e à une adaptation arbitraire et conséquente de son horaire de travail. De même, une future travailleuse sera plus souvent confrontée à des propositions d’emplois pour lesquels le travail du dimanche est une règle non-négociable. Mais travailler en décalage avec les rythmes habituels de la société laissent des traces sur les principaux concernés.
L’impact sur la santé
Les individus sont des êtres diurnes. S’ils sont actifs de nuit, ils entrent en conflit avec leur horloge interne. Résultat ? Différentes fonctions de leur corps comme le sommeil, la température, la digestion et la sécrétion hormonale se dérèglent. Cela a bien-sûr des conséquences sur leur santé : troubles du sommeil, système digestif perturbé, problèmes cardiovasculaires, risque de cancer de la prostate, du pancréas, du rectum, de la vessie et des poumons7. Une récente étude pointe aussi le risque accru de diabète pour les personnes soumises à un éclairage durant la nuit8.
De même, une enquête de la KUL-HIVA met en avant la mauvaise qualité du sommeil des travailleurs en équipes et de nuit9 :
67% des travailleurs et travailleuses concerné·es estiment que leurs habitudes de sommeil ne sont pas bonnes. 52% déclarent que leur sommeil a un impact négatif sur leur travail. 65% estiment que leurs habitudes de sommeil ont un impact négatif sur leur vie sociale et familiale. 69 % déclarent aussi que leur travail a un impact négatif sur leurs habitudes de sommeil.
Cependant, une bonne nuit de sommeil est l’une des meilleures choses que vous puissiez faire pour votre santé (au même titre que des exercices physiques et une alimentation saine). A contrario, le manque de sommeil peut avoir des effets importants sur notre corps et sur notre mental10.
Sur le plan physique, le manque de sommeil peut entraîner un risque accru de maladies cardiovasculaires, de diabète et d’obésité, ainsi qu’une altération du système immunitaire et un retard dans le processus de récupération après une maladie ou une blessure physique.
Les effets psychologiques du manque de sommeil peuvent inclure l’irritabilité, l’anxiété et la dépression, ainsi qu’une mémoire et une capacité de concentration plus faibles. En outre, le risque de développer la maladie d’Alzheimer est plus élevé. En raison des troubles de la concentration, vous risquez également de commettre des erreurs, par exemple au travail ou en conduisant votre véhicule. Cela vous met en danger ainsi que votre entourage.
Isolement social
Outre la santé, les horaires atypiques de travail placent le travailleur en marge de la société car il est régulièrement indisponible pour des activités en société ou en famille. À titre d’exemples, déphasage par rapport aux rythmes scolaires, aux activités et aux éventuels temps de garde des enfants. De même : indisponibilité fréquente pour une multitude d’activités sportives, culturelles ou ludiques qui se déroulent les week-ends (que le travailleur ou la travailleuse en soit le protagoniste, le spectateur ou le simple accompagnant). Ces absences nuisent à la qualité de son implication dans la vie familiale et sociale.
Côté professionnel, l’isolement du travailleur du week-end, de nuit ou en équipes existe aussi. Son accès aux services de l’entreprise est plus compliqué (service du personnel, médecin du travail, activités sociales, représentation du personnel). Son horaire atypique de travail freine aussi son évolution professionnelle en raison d’un accès moins aisé aux formations. Dans le même ordre d’idée, alors qu’ils constituent un ascenseur professionnel et un atout majeur de réorientation, les cours du soir ne lui sont pas accessibles.
L’isolement du travailleur du week-end, de nuit ou en équipes existe aussi.
Alors que le nombre de travailleurs et travailleuses malades atteint le demi-million, que son évolution est croissante11 et que le nombre de burnouts et de dépressions a augmenté de 46% en 5 ans12, il apparaît urgent de prendre des mesures qui améliorent les conditions de travail. Malheureusement, force est de constater que les actuelles intentions des partis politiques réunis pour un accord de gouvernement fédéral vont dans l’autre direction. Combien de nouveaux malades, de burnouts et de dépressions devrons-nous relever à la suite de la course à la flexibilité ? Quel en sera le coût pour la sécurité sociale ? Mais aussi quelles seront les difficultés quotidiennes des employeurs confrontés à un accroissement des absences pour maladie ?
Une course à la flexibilité au détriment des êtres humains
Alors, êtes-vous prêts à travailler le dimanche, la nuit et les jours fériés ? Êtes-vous d’accord de mettre votre santé en danger et vos relations sociales entre parenthèses ? Trouvez-vous aussi correct de voir vos revenus diminuer ? Avant tout accord de gouvernement, les partis politiques de la future coalition fédérale devront prendre en considération les conséquences concrètes induites par des horaires atypiques de travail. La course à la flexibilité détériorera le quotidien et le revenu des travailleurs et travailleuses, les éloignera de leur emploi, ne répondra pas aux attentes des entreprises sur la durée et augmentera les coûts de la sécurité sociale.
La course à la flexibilité détériorera le quotidien et le revenu des travailleur·euses et ne répondra pas aux attentes des entreprises sur la durée, tout en augmentant les coûts de la sécurité sociale.
Sur base du contenu actuel de la « super nota », les travailleurs et travailleuses sortent perdants sur toute la ligne : plus de flexibilité et moins de revenus, plus de risques pour leur santé et moins de temps pour leurs relations familiales et sociales. Indépendamment des visions politiques, les travailleurs méritent plus de considération et de respect, en particulier ceux qui sont les plus exposés aux problèmes de santé et qui rencontrent des difficultés à combiner vie privée et vie professionnelle
Zamora, D. (2024, October 25). Néolibéralisme au pays de Manneken Pis. La subversion du modèle belge – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/neoliberalisme-au-pays-de-manneken-pis/
Néolibéralisme au pays de Manneken Pis. La subversion du modèle belge
Mystification ou mouvement de fond, la révolution néolibérale a-t-elle eu lieu dans notre pays ? Il semble que l’insubmersible « modèle belge » ait finalement pris l’eau. Et pendant que l’État se saborde, les violons de l’assistance sociale jouent leur plus beau requiem.
Al’été 2020, tandis que l’économie mondiale était à l’arrêt et qu’une récession pointait du nez, Pierre Wunsch, alors nouveau Gouverneur de la Banque nationale de Belgique (bnb), mettait en garde contre les plans d’investissement trop ambitieux. L’ancien chef de cabinet de Didier Reynders se montrait particulièrement sceptique quant aux capacités de la Wallonie à investir massivement dans la transition écologique. « À 70% de dépenses publiques », rétorquait-il au climatologue Jean-Pascal van Ypersele, on est « plus proche d’un régime communiste que d’un régime néo-libéral que d’aucuns décrient ». Si les propos de l’économiste ont pu faire sourire, la réduction du néolibéralisme à la taille plus ou moins grande de l’État est pourtant monnaie courante.
Si l’on suit toujours le Gouverneur de la Banque nationale, dans un pays avec un taux de dépenses publiques de 52,1%, il serait par conséquent malhonnête de parler de néolibéralisme en Belgique. Réduit à ce seul critère, l’offensive du néolibéralisme peut alors être qualifiée de lamentable défaite dans notre pays. Voire, pour reprendre les termes du penseur organique du Mouvement réformateur, Corentin de Salle, de « mystification intellectuelle ». Mais cette approche si restrictive ne constitue-t-elle pas en elle-même la véritable mystification ? Elle témoigne en tout cas parfaitement des malentendus récurrents que suscite la notion. C’est en effet oublier que Margaret Thatcher et Ronald Reagan, les deux plus célèbres apôtres de ce libéralisme rénové, loin d’avoir drastiquement réduit le budget de l’État, n’ont pas fondamentalement altéré le niveau des dépenses (Pierson 1994). Ainsi bien que Reagan a souvent vanté les vertus d’un État minimal, il quittera la présidence des États-Unis avec une dette publique trois fois plus grande que lorsqu’il y est entré en 1981.
La « révolution » néolibérale se caractérise moins par un déclin des dépenses que par une réorientation de leurs finalités.
Cependant, si les États dépensent plus aujourd’hui qu’avant l’arrivée du néolibéralisme, ils dépensent aussi autrement. La « révolution » néolibérale se caractérise moins par un déclin des dépenses que par une réorientation de leurs finalités. L’État est par conséquent toujours là, mais son action a été profondément transformée à l’ère postindustrielle : favorable au marché et à l’investissement privé, réticente à la démarchandisation. Il s’agit, comme l’expliquent les contributions de l’ouvrage Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique1 , d’un redéploiement et non d’un retrait. Celui-ci prendra de nombreux visages, qui vont de la transformation des administrations par le New Public Management, à la substitution des statuts de la fonction publique par des formes contractuelles d’emploi. En effet, la privatisation pure et simple n’est qu’une des nombreuses modalités par laquelle l’action de l’État se conforme aux impératifs du marché.
Le pouvoir d’achat contre la démocratie
Cette néolibéralisation « à la belge » a fait l’objet d’assez peu de recherches. Pourtant, le petit État consociatif n’a pas échappé à la vague de ce « nouveau » libéralisme triomphant au tournant des années 1980, transformant tant son modèle social que son architecture institutionnelle. Cette lente mutation ne va dès lors pas manquer d’affecter certaines des caractéristiques les plus singulières dudit « modèle belge ». À côté de la substitution du contrôle de l’inflation au plein emploi comme objectif central de la politique économique et de la part croissante que prend la compétitivité dans les stratégies de développement, l’on peut également noter la profonde reconfiguration du modèle social, le déclin des capacités de l’État à infléchir des évolutions économiques désormais globalisées, ainsi que la fragilisation de la concertation sociale par le recours croissant à une conception technocratique de la politique.
D’un État politisant les besoins, on passe à un État n’agissant que sur la distribution des revenus, altérant par conséquent les conditions du marché plutôt que d’en réduire l’emprise sur la société.
En matière d’inégalités, c’est la manière même de concevoir une politique sociale qui fera l’objet d’une profonde reconfiguration. Si les keynésiens construisaient des routes et des ponts pour relancer la demande, les néolibéraux vont préconiser les crédits d’impôts aux ménages pour stimuler leur liberté de consommateurs. Si les premiers socialisent les revenus à des fins collectives, les seconds cherchent à garantir le pouvoir d’achat.
D’un État politisant les besoins, on passe à un État n’agissant que sur la distribution des revenus, altérant par conséquent les conditions du marché plutôt que d’en réduire l’emprise sur la société. Les besoins, et par conséquent la direction de l’investissement, sont donc privatisés. Se dessinent alors deux horizons pour le social : l’un, collectif, promouvant les services publics et la sécurité sociale et l’autre, des transferts monétaires. Se substituent aux grands programmes publics visant le plein emploi, des ajustements fiscaux compensant ex post les inégalités créées par la dérégulation de la sphère économique. L’État vise par conséquent à garantir un niveau minimal d’existence tout en accentuant la compétition économique entre les individus.
Produire des pauvres, leur faire la charité
En Belgique cette nouvelle conception du social sera particulièrement marquée par les politiques d’austérité des années Martens-Gol (1981-1988) et leur promotion d’une politique ciblée sur la pauvreté au détriment d’une politique à visée universelle. Tout en dérégulant la sphère du travail et réduisant la portée des droits sociaux, le gouvernement va promouvoir et rehausser à plusieurs reprises le montant du minimex, fraîchement créé en 1974, deux ans avant la modernisation des centres publics d’aide sociale (CPAS). Cette séquence s’illustre, à partir des années 1980, par des mesures de limitation des dépenses de sécurité sociale. Ainsi, une plus grande sélectivité est appliquée notamment en matière de chômage (augmentation du stage d’attente pour les jeunes, introduction de la catégorie « cohabitant »), tandis qu’une lutte accrue contre la fraude sociale sera mise en place ainsi qu’une limitation des cotisation sociales.
D’un système censé accueillir uniquement ceux qui passent entre les mailles du filet, les CPAS deviennent un système palliant les failles grandissantes de l’État fédéral.
Parallèlement, les gouvernements libéraux vont cependant amplement promouvoir l’assistance et l’idée d’un filet de sécurité minimal. Ainsi, alors que les allocations de sécurité sociale ne sont plus indexées, le minimex est constamment augmenté et promu : de 5% en 1983 puis de 2% chaque année jusqu’en 1987. Sur la même période, le nombre de minimexés explose, passant de 8538 ayant droits en 1975 à presque 50000 en 1988. D’un système censé accueillir uniquement ceux qui passent entre les mailles du filet, les CPAS deviennent un système palliant les failles grandissantes de l’État fédéral, en recueillant les factions déqualifiées d’un salariat précarisé. Comme le note Xavier de Beys, alors conseiller adjoint au directeur général de la Ligue des familles, si « à première vue, les mesures prises dans le cadre des pouvoirs spéciaux s’apparentent exclusivement à une vision comptable ayant comme objectif principal l’équilibre financier du système », une analyse approfondie démontre qu’il s’agit alors de promouvoir « une philosophie nouvelle de la protection sociale »2.
Cette politique mènera le sociologue Jan Vranken à distinguer ce qu’il nommera la politique « directe » et la politique « indirecte » en matière de pauvreté. Par politique « indirecte », il fait référence à la manière dont les politiques en matière de travail, de santé ou de logement affectent les pauvres en amont de la production des inégalités. La politique « directe » est au contraire sélective, se focalisant directement sur les pauvres en compensation, une fois les inégalités produites. Ainsi, les « mesures restrictives en matière de sécurité sociale (politique indirecte) ont été « compensées » par l’élargissement du minimex (politique directe) »3. En d’autres termes, poursuit Vranken, « le processus de production de la pauvreté peut tourner à plein régime, et la politique (directe) de lutte contre la pauvreté n’aura jamais assez de mains et de moyens pour remédier à ses effets ».
Cette approche va pourtant perdurer au cours des décennies suivantes, accentuant sur le plan économique et social des mesures très radicales de mise au travail, de réduction des dépenses, de dérégulation de la sphère économique, tout en ayant, sur le côté, une politique sociale résiduelle – vision qui sera d’ailleurs théorisée par les économistes de l’École de Chicago comme une « politique sociale sans État social ». Les mesures contre la pauvreté se déploient alors en marge des politiques économiques, sans jamais les remettre en cause ni les affecter. Cela fera de ladite « lutte contre la pauvreté » la politique sociale privilégiée de l’ère néolibérale.
Le service public comme service privé
Ce retrait d’un État dirigiste se marquera également dans l’appel croissant à la sous-traitance qui va caractériser l’action publique. L’État dépense toujours autant, mais délègue à d’autres une part croissante de ses missions, créant ce que certains ont nommé un « Léviathan par procuration »4. En Belgique, bien que le sujet soit encore relativement peu investigué, cela va de l’externalisation de tâches aussi régaliennes que le traitement des demandes de Visas Schengen par des entreprises privées, telles que Visabel, à la privatisation de la gestion des parkings dans certaines villes ou à la gestion de maisons de transition pour détenus par des acteurs privés.
L’État dépense toujours autant, mais délègue à d’autres une part croissante de ses missions.
Aujourd’hui, c’est également le secteur social qui commence à être touché. Ainsi, la gestion de centres de sans-abris ou d’accueil de demandeurs d’asile est désormais ouverte à des entreprises de sécurité, telles que G4S. L’État supervise et établit des contrats de gestion, mais il ne s’agit plus de fonctionnaires au sens propre qui réalisent, sur le terrain, l’action publique. Cela met en jeu naturellement de nombreuses considérations éthiques, quant à la formation de ces agents, mais également vis-à-vis des pratiques de ces entreprises, dont la principale ambition reste la rentabilité et non une vocation désintéressée de service public.5
Cette dynamique d’« ONGisation » des problèmes sociaux permet à l’État d’agir à distance, par le biais de subventions aux associations, tout en dépolitisant, sur le terrain, des situations résultant de sa propre inaction.
À cette privatisation commerciale de l’action de l’État s’ajoute le déploiement croissant d’ONG se substituant à l’État sur le terrain social. Le recours, par exemple, à des organisations humanitaires durant la crise sanitaire fut particulièrement frappant. Cette dynamique d’« ONGisation » des problèmes sociaux, particulièrement visible aujourd’hui dans le domaine de l’accueil des demandeurs d’asile, permet par conséquent à l’État d’agir à distance, par le biais de subventions aux associations, tout en dépolitisant, sur le terrain, des situations résultant de sa propre inaction.
Le présent article est une adaptation de la conclusion du livre collectif coordonné par Damien Piron et Zoé Evrard, Le(s) néolibéralisme(s) en Belgique, Louvain-la-Neuve, ed. Academia, 2023.
Des entreprises qui décident pour l’État
On pourrait naturellement ajouter à cette privatisation de l’action de l’État, le recours croissant par le public à des sociétés de consultance, afin de définir la nature même de ses interventions. Tant en matière de réforme de l’enseignement en communauté française, de développement de la SNCB ou de gestion de crise, le pouvoir politique belge se repose de moins en moins sur les connaissances de sa propre administration ou de ses scientifiques. Dans ce cas, c’est la capacité même de l’État à agir de manière autonome qui est mise en cause.
À force de déléguer à d’autres acteurs le soin d’agir et de penser en son nom, l’État semble désormais incapable de le faire par lui-même. Comme l’ont récemment noté Rosie Collington et Mariana Mazzucato : « un service gouvernemental qui sous-traite tous les services qu’il est chargé de fournir peut être en mesure de réduire les coûts à court terme, mais il finira par coûter plus cher en raison de la perte de connaissances sur la manière de fournir ces services, et donc sur la manière d’adapter l’ensemble de ses capacités pour répondre aux besoins changeants des citoyens »6. L’État est, ajoutent les deux économistes, « infantilisé » et de moins en moins capable de mobiliser ses ressources propres. L’idée qu’il peut s’engager dans de grands programmes de travaux publics ou d’investissements pour diriger par lui-même une transition – écologique, par exemple – tend alors à s’effacer du discours politique dominant. Une vision technocratique du social se substitue ainsi à la concertation et au débat démocratique.
À force de déléguer à d’autres acteurs le soin d’agir et de penser en son nom, l’État semble désormais incapable de le faire par lui-même.
Il n’est dès lors pas surprenant que la « néolibéralisation », en Belgique comme ailleurs, ait nourri la défiance du public vis-à-vis du politique. Brouillant la frontière entre public et privé, c’est, comme en a témoigné la gestion du coronavirus, la légitimité de son action qui est mise en question au sein de la population. Plutôt que d’être perçue comme la garante de l’intérêt commun, la classe politique est désormais systématiquement soupçonnée d’être au service d’intérêts particuliers. En ce sens, le néolibéralisme défait à la fois la démocratie libérale et sape les sources de sa légitimité.
Le point d’orgue populiste
Dans ce que certains auteurs appellent la « post-démocratie »7, la participation massive des partis des syndicats et des organisations de la société civile cède lentement la place à la frustration et à l’apathie politique. En un sens, c’est la capacité qu’avait la société de définir collectivement ses besoins qui s’est lentement évanouie, vidant de sa substance la démocratie de masse qui a caractérisé l’ordre keynésien. Le déclin des corps intermédiaires, promu activement par le néolibéralisme, a donc non seulement aggravé le fossé entre les citoyens et la classe politique, mais également nourri l’essor du populisme. En ce sens, faire l’histoire du néolibéralisme en Belgique, c’est également se doter des outils nous permettant de mieux saisir notre présent et les enjeux qui le traversent.
Desiderio, J. (2024, October 31). Négociations fédérales : une supernote pour les super riches – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/negociations-federales-supernote-pour-les-super-riches/
Négociations fédérales : une supernote pour les super riches
Avec sa proposition de supprimer purement et simplement la tranche supérieure d’impôt sur le revenu de 50%, le président de la N-VA donne surtout un cadeau fiscal aux plus aisés – ainsi qu’au MR, qui est demandeur d’une telle mesure. Une proposition à contre-courant de l’idée de justice fiscale, qui creuserait le déficit public de 9 milliards d’euros supplémentaires. Décryptage par Julien Desiderio, chargé de plaidoyer sur les questions de justice fiscale et d’inégalités pour Oxfam Belgique.
Dans sa note de négociation, De Wever justifie la suppression de la tranche d’imposition de 50 % en affirmant que personne ne devrait payer plus de la moitié de son salaire en impôt. Si cette affirmation semble à première vue évidente, elle repose sur une interprétation fallacieuse du fonctionnement de l’impôt progressif.
Rappelons d’abord qu’historiquement, les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu n’ont pas toujours avoisiné les 50 %. Avant les années 1980, des taux d’imposition avoisinant les 90% étaient appliqués sur les plus hauts revenus aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Est-ce que cela signifie que l’ensemble du revenu était taxé à 90% ? Bien sûr que non. Car le taux supérieur s’applique sur une fraction du revenu, à partir d’un certain seuil. Il en est de même pour le taux de 50% en Belgique. Le taux de 50% s’applique sur le premier euro qui dépasse le seuil de 48 320 euros brut annuel. Le véritable problème est que le seuil est atteint trop rapidement. On commence donc à être taxé au taux de 50% autour du revenu médian. Pour rappel, en 2004, la Belgique supprimait déjà le taux de 55% de son système fiscal.
Avec la suppression de la tranche supérieure d’imposition, les 10 % des plus hauts salaires gagneraient environ 2 400 euros de plus par an.
Quelle serait pourtant la conséquence, pour le portefeuille des Belges, de la réforme fiscale de De Wever ? Selon Matthias Somers, économiste au think tank Minerva, cette réforme offrirait un gain annuel de 660 euros par an pour un travailleur à temps plein avec un revenu inférieur ou égal au salaire médian. Cependant, cela ne serait pas lié à la suppression du taux de 50 % mais au relèvement de la quotité exemptée d’impôt.
Selon Somers, grâce à la suppression de la tranche supérieure d’imposition, les 10 % des plus hauts salaires gagneraient environ 2 400 euros par an. Près de quatre fois le gain des plus pauvres. Les 5 % des plus hauts salaires verront un gain de près de 3 000 euros par an, soit cinq fois plus que les travailleurs au salaire médian.
Plus le salaire est élevé, plus le bénéfice augmente
Quelqu’un au salaire médian verra ainsi son revenu net après impôt augmenter de 2%. Mais aucun groupe ne verra son revenu après impôts augmenter plus fortement que les 10% des plus hauts revenus (avec plus de 5% d’augmentation pour les 5% des plus hauts revenus).
Parmi les principaux gagnants d’une telle réforme fiscale, on retrouvera vraisemblablement les présidents de parti de la coalition Arizona, dont les revenus annuels dépassent les 100 000 euros.
Typiquement, il s’agit donc d’une mesure fiscale régressive. L’addition pour les pouvoirs publics est estimée par Somers à 9 milliards d’euros. Une opération dont les plus hauts salaires seraient de loin les principaux bénéficiaires. On notera d’ailleurs que, parmi les principaux gagnants d’une telle réforme fiscale, on retrouvera vraisemblablement les présidents de parti de la coalition Arizona dont les revenus annuels dépassent les 100 000 euros. Les conseilleurs seront donc vraisemblablement les encaisseurs. Est-ce justifiable alors que le déficit budgétaire est déjà important ?
De plus, supprimer la tranche d’imposition de 50% ferait que la nouvelle tranche d’imposition la plus élevée s’appliquerait à 95% des travailleurs et travailleuses à temps plein. Ce qui ne ferait que renforcer l’idée selon laquelle les impôts payés en Belgique sont trop élevés.
(Un)tax the rich ?
Si l’objectif d’une réforme fiscale est de mettre plus de gens au travail en rendant le travail plus « attractif », on n’y est pas du tout. Cette opération s’avère inutile, étant donné que la majorité des ressources de cette coûteuse réduction d’impôts est fixée sur les plus hauts revenus.
Les bas salaires bénéficieraient le moins de la réforme. On créerait donc un déficit budgétaire supplémentaire, impossible à financer, pour offrir un cadeau fiscal, destiné surtout aux plus hauts revenus.
En fait, le problème n’est pas la tranche de 50% mais le fait qu’elle s’applique trop vite. Il serait plus sérieux de conserver les taux, de relever la quotité exemptée et d’élargir les tranches pour rendre le système fiscal plus progressif sans générer des milliards de déficit supplémentaires.
Borriello, A et Legein, T.(2024, October 24). Propagande par le vide. Quand les partis ne savent plus comment ils s’appellent – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/propagande-par-le-vide-quand-les-partis-ne-savent-plus-comment-ils-sappellent/
Propagande par le vide. Quand les partis ne savent plus comment ils s’appellent
Les récentes élections dans notre royaume ont vu la surprenante réémergence de la famille socialiste au Nord du pays et démocrate-chrétienne au Sud. Pourtant, « Vooruit » et « Les Engagés » semblent tout faire pour se détacher de leur passé, allant jusqu’à effacer de leur nom toute référence à leur orientation idéologique et à leur forme organisationnelle. Que révèlent exactement de tels changements ?
Une version abrégée de cet article a paru dans le numéro 127 de Politique.
Si « dire, c’est faire », nommer, c’est faire exister. Le baptême fait figure d’acte de langage canonique – c’est le cas de le dire – d’après la théorie de John Austin : donner un nom confère une réalité et une existence propres à l’objet, l’acteur ou l’événement désigné.
Bien sûr, le nom a valeur sémantique, il prétend refléter quelque chose ; mais, bien loin de renvoyer de façon transparente à une réalité qui lui préexiste, son attribution façonne cette réalité, en la rendant dicible, donc pensable. Il faut alors renverser l’adage classique et dire : « ce qui s’énonce bien se conçoit clairement, et les pensées pour l’appréhender viennent aisément. » Ce fait n’apparaît nulle part aussi clairement que dans l’arène politique où s’engagent continuellement des luttes pour l’attribution de noms, la fixation des significations et la construction des identités.
Le débat public est ainsi continuellement animé par ces conflits de langage entre ceux qui parlent de « crise migratoire » ou de « crise de l’accueil », ceux qui acceptent ou refusent l’usage d’étiquettes spécifiques dans un contexte donné (« fascisme », « wokisme », « terrorisme », etc.), ceux qui s’invectivent à grand renfort de sobriquets infamants (« populiste », « antirépublicain », « islamogauchiste »). Car le nom, en politique, n’est pas neutre : il est déjà un peu identification, diagnostic, programme d’action. Choisir son nom et celui de l’adversaire, c’est déjà décider du terrain de l’affrontement (« mais bien sûr, Monsieur le Premier ministre ! »). Et quoi de plus représentatif de cette pratique décisive que l’onomastique partisane, cette expression barbare qui renvoie à l’acte par lequel un parti politique se donne un nom ?
Ce geste rituel accomplit plusieurs fonctions essentielles. Il fournit une identité aux membres du groupe, établit des filiations, confère une « marque » reconnaissable sur le marché électoral, et positionne le parti vis-à-vis de ses concurrents. « L’usage du nom propre est inséparable d’une procédure de découpage et d’une stratégie de distinction. […] le nom propre est en soi un discours, il est un récit qui nous parle de ce qu’il dénomme, évoquant un certain passé vu d’une certaine façon, voire un certain futur, dessinant un environnement, suggérant d’autres entités en relation avec celle qui est dénommée, esquissant sa description. 1»
Au nom du parti, on devinait aisément le versant de clivage auquel on avait affaire.
La structure syntaxique des noms de partis est souvent similaire, associant classiquement un nom classificatoire (parti, ligue, front, etc.) et un ou plusieurs éléments plus libres (communiste, démocratique, national, etc.), qui inscrivent l’organisation politique dans une tradition et un camp spécifiques2. Cette prévisibilité est source de nombreux détournements. Il existe ainsi, sur la Toile, des générateurs automatiques de noms de partis, dont certains proposés par des sites parodiques aux relents réactionnaires3, qui permettent de créer de toutes pièces un nom d’organisation politique imaginaire mais réaliste. En d’autres termes, le nom de parti procure des repères et de la prévisibilité dans un environnement complexe et changeant.
Des changements (re)marqués
Longtemps, les noms de partis ont reflété l’inscription de ces agents dans un mode de compétition politique spécifique, à tout le moins en Europe de l’Ouest : celui des clivages issus des révolutions industrielles et nationales4. Ces clivages indiquaient des césures profondes entre groupes sociaux, incarnées par des partis leur conférant une composante idéologique, et progressivement institutionnalisées dans la compétition pour l’exercice du pouvoir politique. Les règles de formation des noms de partis, dans un tel contexte, reflétaient à la fois la forme et la substance des affrontements à l’œuvre. Les labels partisans évoquaient autant l’organisation collective elle-même (« parti », « front », « union », etc.) que le substrat social ou idéologique dont elle tirait sa force (« des classes moyennes », « des travailleurs », « libéral », « socialiste », etc.). Au nom du parti, on devinait aisément le versant de clivage auquel on avait affaire.
Cette prolifération de nouvelles dénominations, plus floues et indéterminées, pourrait être le reflet d’une transformation profonde du paysage politique belge et européen.
Cependant, une contre-tendance semble désormais à l’œuvre. Cette prolifération de nouvelles dénominations, plus floues et indéterminées, pourrait être le reflet d’une transformation profonde du paysage politique belge et européen. Exit les étiquettes poussiéreuses rappelant les origines organisationnelles et idéologiques du parti. La tendance serait désormais à leur effacement, au profit d’une emphase sur la fluidité de la structure du parti – devenu mouvement5 – ainsi qu’à l’évocation d’attitudes individuelles (l’insoumission, la puissance, la mobilité) plus que d’identités collectives.
À l’inverse du positionnement sur les clivages, qui supposait toujours deux versants (le « parti des travailleurs » n’existe que dans la mesure où il y a un « parti des possédants »), ces attitudes sont généralement inclusives et consensuelles, et n’admettent pas véritablement la contradiction. En effet, quel groupe serait assez fou pour se déclarer « soumis », « impuissant », « rétrograde » ou « indifférent » ?
Pointe émergée ou lame de fond ?
S’agit-il pour autant d’une tendance lourde ? Les Engagés et Vooruit sont-ils la pointe émergée d’un iceberg, ou deux épiphénomènes liés à une spécificité (encore une !) de notre système politique ? Bref, assiste-t-on véritablement à un renversement dans la logique onomastique des partis politiques à l’échelle européenne ?
En repartant des partis politiques représentés en mars 2024 dans les parlements nationaux de huit pays européens (Belgique, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Luxembourg, Grande-Bretagne et Portugal), nous avons fait l’exercice de répertorier l’évolution des noms qu’ils ont successivement adoptés depuis 1945. Une nette tendance se dégage : la multiplication, depuis le début des années 2000, du nombre de partis sans marqueur axiologique ou idéologique. Ce phénomène doit beaucoup à l’apparition de nouveaux partis, après la crise économique de 2008 (AfD, Podemos, En Marche, Chega etc.). Il ne s’agit donc pas uniquement de partis historiques qui décident de faire peau neuve, comme en Belgique ; les nouveaux partis issus de la déstabilisation du jeu partisan, consécutive à la crise, tendent à se définir sans référence à la grammaire des clivages historiques.
Comme attendu, ce sont des marqueurs évoquant une attitude, une posture, ou un référent spatial qui prédominent chez les nouveaux venus. Les partis d’extrême droite et régionalistes sont évidemment les champions en matière de référence à un cadre spatial ; mais certaines formations libérales en affichent une aussi, qu’il s’agisse de l’Europe (« Più Europa » en Italie), de la nation (« Alliance Party of Nothern Ireland ») ou d’un cadre plus indéterminé (« Horizons » en France). Ce sont toujours ces formations qui sont les plus enclines à faire référence à une attitude ou posture : « OpenVLD », « Renaissance », « Italia Viva », « Insieme per il futuro », etc.
Les partis politiques tendent aussi, depuis le début des années 2000, à se présenter de moins en moins en tant que tels et à abandonner toute référence à une forme organisationnelle spécifique. Ici aussi, les nouveaux acteurs des systèmes partisans jouent un rôle pionnier (les Verts à partir des années 1980, les formations d’extrême droite et de gauche radicale dans les années 2000), en tant qu’elles ne sont pas les héritières directes d’une organisation historique. Mais certains libéraux, sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens n’hésitent pas à franchir le pas, à l’instar du « Parti populaire chrétien » (CVP) devenu « Chrétiens-Démocrates et Flamands » (CD&V) en Flandre.
Sommes-nous condamné·es au vide ?
En 2013, le regretté politologue irlandais Peter Mair publiait un ouvrage, Ruling the Void, destiné à devenir très rapidement un classique. Il y documentait la lente érosion du rapport entre représentant·e·s et représenté·es depuis les années 1970. Celle-ci était marquée par la « sécession » des premiers, devenus des agences semi-étatiques de plus en plus indépendantes de leur base électorale et militante, et le désengagement des seconds, trouvant refuge dans l’abstention ou le vote protestataire. À mesure que ce gouffre se creusait, de nouveaux acteurs tentaient de s’y insérer en réorganisant les lignes d’opposition autour de nouveaux marqueurs et enjeux, tandis que les formations historiques étaient poussées à se réinventer. La présence et le succès de Vooruit et des Engagés, en Belgique, sont loin d’être anecdotiques : ils montrent que même dans un pays où les clivages historiques gardent une place plus grande qu’ailleurs, du fait de leur institutionnalisation dans des « piliers », la tendance est à leur effacement du langage politique.
Des entrepreneurs et entrepreneuses politiques bâtissent leurs succès sur des appels indifférenciés au Peuple ou à la Raison.
De la même façon, si c’est sans surprise que les formations libérales sont ici à l’avant-garde, sachant qu’elles se sont toujours vues comme des partis de notables, n’ayant qu’une unité idéologique restreinte, la manifestation de ces tendances au sein des deux familles politiques qui ont constitué l’archétype des partis de masse au vingtième siècle, est extrêmement significative.
La grammaire politique est donc, aujourd’hui, moins centrée sur l’affrontement d’organisations partisanes structurées, ancrées dans certaines couches de la société qu’elles tâchent de représenter en gouvernant au nom de leur conception de l’intérêt général, façonnée à travers un certain prisme idéologique. De plus en plus, des entrepreneurs et entrepreneuses politiques individuels bâtissent leurs succès sur des appels indifférenciés au Peuple ou à la Raison, sans prétendre incarner un groupe social ou une orientation idéologique spécifiques.
Les bouleversements de l’onomastique partisane participent de ces évolutions : elles en accélèrent l’avènement. Gageons que, pour la gauche, il ne s’agit pas d’un bon signal. Cela signifie en effet qu’elle joue sur un terrain structurellement défavorable, marqué par l’effondrement de ce qui faisait sa force : la capacité à encadrer et mobiliser les classes populaires au nom d’une « utopie concrète ». Il y a fort à parier qu’un évidement de sa substance et un assouplissement de sa structure, s’ils sont susceptibles de procurer certains gains électoraux immédiats, comme pour Vooruit, se fassent au prix d’une perte d’identité qui se révélera désastreuse sur le long terme.
Toi aussi, génère ton nom de parti-plateforme !
En attendant de savoir à quelle sauce sera mangée la gauche dans un tel écosystème, il n’est pas interdit de jouer avec les règles de la nouvelle grammaire politique. L’évolution des noms de partis, comme on l’a avancé, ne se produit pas de façon aléatoire, mais suit un schéma clairement identifiable. Les références à la structure, à l’idéologie et au positionnement axiologique des organisations partisanes disparaissent ; elles sont remplacées par des mentions vagues de postures et d’attitudes à connotation positive, et de référents spatiaux ou temporels évoquant la dynamique du mouvement.
C’est à tel point que, passé l’effet de surprise généré par les premières vagues de changements de nom, on se trouve face à des cas désespérément attendus, voire caricaturaux. On peut penser, par exemple, aux annonces récentes autour de la création par un entrepreneur bruxellois, Laurent Hublet, du parti IAm Brussels. Véritable condensé de l’air du temps, cette start-up politique entend se construire sur base de rencontres citoyennes – pour savoir ce que les gens veulent « vraiment6 » – et faire obstacle aux « populismes » dans la capitale (comprendre : au PTB). Malgré la volonté évidente de bouleverser les codes, d’apporter de la nouveauté, cette initiative suscite en réalité une impression immédiate de déjà-vu.
C’est que comme toute grammaire, les règles de la nouvelle onomastique partisane définissent un nouveau système de prévisibilité. Avec un peu d’imagination (mais sans sarcasme !), on peut donc s’essayer à composer de nouveaux noms de partis en réalisant des combinaisons (syntaxiques) et substitutions (lexicales) à partir d’options prédéfinies. Vous aussi, disruptez le jeu politique à peu de frais : votre mois de naissance, les deux derniers chiffres de votre numéro de téléphone, et le tour est joué ! Qui sait ?
Porteuse d’un message positif et audible, dotée d’une sonorité agréable, aidée par un marketing intelligent, votre nouvelle marque politique parviendra peut-être à capter l’attention et à susciter l’adhésion d’un électorat en déshérence, prêt à voter pour n’importe qui pourvu qu’il ne ressemble pas au passé honni. Débarrassée des lourdeurs d’autrefois, elle pourra disparaître aussi vite qu’elle est apparue, forte de la sensation du devoir accompli : la « bonne gestion » et « les réformes nécessaires » auront caractérisé son passage au pouvoir. Certes, dans son sillage, refleuriront sans doute des noms plus classiques, chargés de lourdes promesses de retour à l’ordre et d’homogénéité nationale… mais ce ne sera plus son affaire.
Gioe, S. (2024, November 5). 82%, une majorité de règlements communaux illégaux sur la mendicité – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/82-une-majorite-de-reglements-communaux-illegaux-sur-la-mendicite/
82%, une majorité de règlements communaux illégaux sur la mendicité
Sur les 305 règlements communaux visant la mendicité adoptés en Belgique, 253 contiennent au moins une disposition illégale au préjudice des personnes qui mendient. Quand comprendra-t-on que réprimer ou cacher les pauvres ne supprime pas la pauvreté ?
En mai 2023, l’Institut fédéral pour les droits humains et le Service interfédéral de lutte contre la pauvreté ont publié conjointement un rapport dénonçant l’ampleur des violations des droits des personnes qui mendient dans les rues de Belgique. Selon leur enquête, « sur les 581 villes et communes de Belgique (…), 305 disposent d’un règlement sur la mendicité. Pour 253 d’entre elles, l’analyse montre qu’au moins une disposition contenue dans ces règlements pose problème ».
Ainsi, une foule d’aménagements entravent la possibilité de mendier et soumettent les personnes qui y désobéissent à des sanctions disproportionnées : des restrictions géographiques et temporelles alambiquées ou généralisées, des interdictions floues (mendier avec un « animal susceptible d’être dangereux »…) ou contradictoires (« le mendiant ne peut ni solliciter les passants, ni tendre une sébile ou un accessoire analogue »…), des amendes administratives, des détentions au cachot systématiques, voire la confiscation des recettes par la police…
82% des règlements sur la mendicité présentent une disposition illégale contre les personnes qui mendient.
La loi belge de 1993 abrogeant la criminalisation de la mendicité n’a manifestement pas suffi à changer la perspective des autorités publiques, qui considèrent encore que « [de] rendre la pauvreté moins visible dans la ville et d’attirer les investissements, les projets de développement et les citoyens (non pauvres) vers les centres urbains» est un objectif louable1 pouvant être atteint par la répression.
Pas faute, pour la rapporteuse spéciale des Nations unies, de rappeler, en 2011, que « l’interdiction de la mendicité et du vagabondage représente une violation grave des principes d’égalité et de non-discrimination », qu’ « une telle mesure (…) ne fait que contribuer à perpétuer les attitudes sociales discriminatoires envers les plus pauvres et les plus vulnérables »2.
Depuis 30 ans, plusieurs juges ont eu l’opportunité de rappeler à l’ordre certaines de ces 253 villes et communes, mais l’amende honorable n’a pas toujours suivi. En novembre 2023, la Ligue des droits humains, le mouvement ATD Quart Monde et la Fédération internationale des droits humains ont alors décidé de porter une réclamation collective au Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, pour qu’une loi encadre enfin toutes les villes et communes3. Affaire à suivre…
Szoc, E. (2024, September 17). Alerte démocratique : le nouveau gouvernement sauvera-t-il l’État de droit ? – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/alerte-democratique-le-nouveau-gouvernement-sauvera-t-il-letat-de-droit/
Alerte démocratique : le nouveau gouvernement sauvera-t-il l’État de droit ?
L’heure est grave. Au lendemain de ces élections fédérales, une question devrait éclipser toutes les autres : le nouveau gouvernement du pays fermera-t-il enfin la parenthèse dramatique qu’a ouverte la coalition Vivaldi en matière de respect des décisions de justice, ou sera-t-il le grand responsable du basculement définitif vers un régime illibéral et la fin de l’État de droit dans notre pays ?
Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la question ne s’est posée de cette manière. Violations, dérives, procédures d’exception n’ont certes jamais manqué à l’appel depuis 75 ans, mais elles n’ont, en aucune circonstance, pris le tour systématique et assumé qu’elles prennent depuis le mois de janvier 2022. Jamais aucun gouvernement ne s’était assis, avec autant de désinvolture, sur autant de décisions de justice, rendues par autant de cours et tribunaux ! Jamais un pouvoir exécutif ne s’était autant acharné à vider le terme d’«État de droit» de toute substance.
On peut reconnaître à Viktor Orbán le – seul – mérite de nommer, de théoriser et d’assumer son mode d’action politique et son rapport à l’État de droit : il pratique la « démocratie illibérale ». En son nom, le gouvernement hongrois démet, remplace ou met à la retraite anticipée les juges dont l’indépendance lui déplaît. La version belge de cet « illibéralisme » est à la fois plus douce et plus hypocrite : on ne démet pas les juges, on s’assied sur leurs jugements.
La crise de l’État de droit devrait alarmer l’ensemble des citoyen·nes, au-delà de tous les clivages politiques.
Que ce tournant orbanien ait trouvé à s’appliquer en Belgique en matière de droit d’asile n’a plus rien d’étonnant. Mais cela ne devrait pas occulter un problème, plus fondamental encore que celui du traitement déshonorant – et illégal – réservé aux personnes qui demandent la protection de la Belgique. Derrière la « crise de l’accueil», se profile en effet la question, primordiale pour tout régime démocratique, de la crise de l’État de droit. Et cette crise devrait alarmer l’ensemble des citoyen·nes, au-delà de tous les clivages politiques, quelles que soient les différences de positionnement quant à la politique de l’accueil.
L’imperceptible érosion de nos institutions
« Dans la mesure où il n’y a pas de moment unique – ni coup d’État, ni déclaration de loi martiale, ni suspension de la Constitution – lors duquel le régime franchit de manière manifeste les limites de la dictature, rien n’est susceptible de déclencher les alarmes de la société. Qui dénonce les abus du gouvernement peut se voir taxé d’exagérer ou de crier au loup. L’érosion de la démocratie est, pour beaucoup, presque imperceptible» 1. Voici le constat, hélas, prophétique, des politologues américains Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, dans leur livre How democracies die.
Ces mots décrivent à la perfection le double drame qui afflige la démocratie belge depuis maintenant deux ans : d’une part, la violation systématique des principes fondateurs de l’État de droit par le gouvernement fédéral; de l’autre, la banalisation de cet état de fait.
Face à un gouvernement fédéral en roue libre, qui s’est délivré de toute entrave constitutionnelle et se comporte comme le dernier des hors-la-loi, en foulant au pied les décisions de justice qui l’incommodent, force est de constater que, le choc passé, c’est une forme de banalisation résignée qui s’est imposée dans l’espace public.
Aux diverses juridictions auxquelles le gouvernement fédéral avait décidé d’adresser un déshonorant bras d’honneur – tribunal de première instance et Cour d’appel de Bruxelles, tribunaux et cours du travail de diverses juridictions, et Cour européenne des droits de l’homme –, s’est ajouté en 2023 le Conseil d’État.
À peine avait-il rendu le 13 septembre 2023 son arrêt suspendant l’exécution de la décision de ne plus offrir d’accueil aux hommes seuls demandeurs d’asile, que la secrétaire d’État, Nicole De Moor, s’empressait d’annoncer qu’elle poursuivrait tout de même cette politique illégale. Les milliers de condamnations – nous avons même cessé de les compter – n’y font rien, et il semble que, désormais, une décision de justice pèse moins que l’absence de volonté politique de les appliquer.
Quand l’extrême droite est aux portes du pouvoir, il est aussi politiquement inepte que moralement scandaleux, de s’inspirer de son « guide des bonnes pratiques ».
Ce faisant, le gouvernement indique aux citoyen·nes que la voie juridictionnelle, celle du règlement civilisé des différends, est en réalité un cul-de-sac pour une partie des personnes présentes sur le territoire belge et pour les associations qui défendent leurs droits. Ne resteraient plus alors que les voies de la désobéissance civile et de l’action directe pour faire prévaloir des droits que la justice reconnaît, mais que le pouvoir exécutif dénie.
C’est dans ce contexte d’une gravité exceptionnelle que le Parlement vient de voter, sur proposition gouvernementale, le renforcement, dans le Code pénal, d’une disposition visant à réprimer les «atteintes méchantes à l’autorité de l’État» – qui ne constitue rien d’autre qu’une mesure contre l’incitation à la désobéissance civile.
Au moment d’« appuyer sur le bouton», les parlementaires se sont-ils seulement rendu compte que l’incitation majeure à la désobéissance civile, c’est notre gouvernement qui la commet? Et que le refus explicité, délibéré et répété de la secrétaire d’État Nicole De Moor d’appliquer la loi relative à l’accueil fait d’elle la première cible de cette infraction nouvellement renforcée ?
Le sursaut doit être à la hauteur de la sinistre désinvolture de ces derniers mois : quand l’extrême droite est aux portes du pouvoir, il est aussi politiquement inepte que moralement scandaleux de s’inspirer de son « guide des bonnes pratiques». Et il sera vain de protester quand elle empruntera la voie que le dernier gouvernement fédéral aura balisée pour elle…
Debras, F. (2024, October 21). Communales 2024. Au lendemain des élections, des discours qui en disent long – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/communales-2024-au-lendemain-des-elections-des-discours-qui-en-disent-long/
Communales 2024. Au lendemain des élections, des discours qui en disent long
Le refrain est bien connu. En Belgique, après des élections, tout le monde gagne. Vraiment ? Une analyse du politologue François Debras.
C‘est le soir des élections. Je sors mon crayon, j’allume la télévision, je surfe sur les réseaux et j’écoute les différentes prises de parole des président·es de parti lors de la soirée électorale du dimanche 13 octobre. Les résultats tombent petit à petit, les responsables politiques prennent chacun·e à leur tour la parole. Communes gagnées, communes conservées, chacun·e arbore ses trophées. Mais chacun·e à sa façon. Petit tour d’horizon…
Ecolo et ses militant·es
Marie Lecoq et Samuel Cogolati s’expriment l’un après l’autre, en duo. Quand l’un prend la parole, l’autre acquiesce. Tous les deux en chemise et veston. Il n’est pas question ici de parler de victoire, mais il n’est pas question non plus d’utiliser le mot défaite. Il s’agit d’un « rebond par rapport au 9 juin ». Mais comment trouver des chiffres mobilisateurs, des chiffres encourageants ? Les résultats ? Non. Le porte-à-porte c:’est « à plus de 250.000 portes » que les militant·es du parti sont allés frapper pour écouter et partager avec les électeur·rices.
Les termes les plus présents dans leur discours, c’est bien ceux-là, « militant·e », « militantisme ». Les deux coprésident·es remercient les militant·es pour leur travail, leurs actions, leur mobilisation. La « reconstruction » du parti se fera à partir du « terrain ». Dans un discours, ce qui est dit est ce qui ne va pas de soi. Une façon peut-être, pour Ecolo, de répondre à la critique selon laquelle le parti se serait éloigné de la société civile qui l’a vu naître. Ecolo reste « uni », reste « debout ». Loin du « duel de coqs » et du « bla bla », un seul mot d’ordre : créer des « bastions de solidarité ».
Les Engagés, tout en nuance
Premier prix de l’ambiance dans la salle. Chants, cris, hurlements, sauts, le bonheur est partout présent jusqu’au sourire, tout le long de son allocution, de Maxime Prévot qui porte une chemise et un pull. Ethos différent.
Premier prix de l’ambiance dans la salle.
Le président cite les villes et les communes conquises et évoque une grande « victoire », des progressions et la « remontada » du parti. Oups, pardon, du « mouvement ». Les Engagés, c’est, comme le président l’affirme, un « mouvement citoyen positif ». Durant son allocution, Maxime Prévot ne remercie pas les militant·es. Le cœur de son intervention porte sur les « citoyens ». C’est d’ailleurs le terme le plus utilisé. Les citoyens qui ont accordé leur confiance aux Engagés. Les citoyens qui ont rejoint le mouvement. Les citoyens qui rejettent le « conflit » et préfèrent la « nuance », « l’écoute », la « bienveillance », le « bon sens ». Nous entendons une série de termes colorés positivement et venant confirmer les discours du parti qui, déjà pendant la campagne, étaient concentrés davantage sur le consensus que sur l’opposition. Une marque de fabrique de Maxime Prévot qui devra gouverner avec des personnalités aux discours bien plus polarisants…
Le Mouvement réformateur (MR) sur la vague
Georges-Louis Bouchez est en costume, cravate bleue sur chemise blanche. Pins du drapeau belge. Sérieux. Il n’est pas à Mons. Il n’y a pas de militants, pas de public. Contrairement aux autres président·es, il ne prend pas la parole depuis son fief mais depuis Bruxelles, devant des journalistes présents pour l’interviewer. Le président du parti a mené une campagne nationale, souhaitant surfer sur les résultats du 9 juin. Tout naturellement donc, il se rend à la capitale, au siège de parti, pour « avoir une vue d’ensemble ».
Le réel contre l’imaginaire, une figure de légitimation classique du discours politique.
Le discours est critique. Georges-Louis Bouchez revient sur les victoires du parti mais aussi sur les défaites de son principal opposant, le Parti socialiste (PS), citant des bourgmestres perdant leur mayorat. Il se dit aussi « surpris » par l’analyse des médias : « C’est une confirmation des résultats du mois de juin », « on progresse partout ». Il enjoint les journalistes présents à regarder le « réel », la « réalité » plutôt que de « refaire des récits ». Le réel contre l’imaginaire, une figure de légitimation classique du discours politique.
Le discours continue et le PS est, de nouveau, attaqué. Des métaphores sont lancées. C’est une « vague bleue ». Et, lorsqu’un journaliste lui pose la question de son résultat à Mons, il répond que « ce sont des vagues successives, et les vagues érodent toujours, même les pierres les plus solides ».
Le Parti socialiste (PS) et ses candidat·es
Paul Magnette se présente en chemise et veston. Il est à Charleroi et prend la parole devant ses supporter·rices. Il répond directement à son adversaire, Georges-Louis Bouchez : « la vague bleue s’est fracassée contre le mur rouge ».
Citer les prédictions défavorables, les mauvais sondages pour le parti et l’histoire d’une « Wallonie qui aurait basculé » renforce les victoires obtenues.
Le président du parti socialiste ne remercie pas en premier les militant·es, comme chez Ecolo, ni les citoyen·nes, comme chez les Engagés, il remercie les 4500 « candidat·es » pour leur investissement et leur énergie durant la campagne qui ont touché des milliers d’électeur·rices. Paul Magnette remercie également les citoyen·nes mobilisé·es dans les bureaux de vote, sans elles et eux, pas de « démocratie » !
Le discours est professoral et structuré et se divise en trois parties : prévisions, réalisations et leçons. Citer les prédictions défavorables, les mauvais sondages pour le parti et l’histoire d’une « Wallonie qui aurait basculé » renforce d’autant plus les victoires obtenues. Le discours parle des candidat·es, de leur proximité de terrain avec les électeur·rices, du projet du parti socialiste et des pourcentages gagnés. L’intervention se termine, un grand sourire aux lèvres et les bras levés au ciel, sur la « remontada ». C’est la victoire ! Mais s’il y a remontée, c’est qu’il y a eu chute, non ?
Le Parti du travail de Belgique (PTB) et sa campagne permanente
Veston et T-shirt. Professionnel et authentique. La rue dans le parlement. Le parlement dans la rue. Logique du double discours, dans la forme mais aussi dans le fond. Le PTB est le seul parti national, c’est donc dans les deux langues que s’exprime Raoul Hedebouw, passant sans cesse d’une à l’autre. Quelques mots en français, quelques mots en néerlandais. Il n’y a pas à dire, ça impressionne toujours.
Le président ne s’adresse ni aux militant·es, ni aux citoyen·nes, ni aux candidat·es mais bien sûr à ses « camarades » ! C’est le terme le plus utilisé de son intervention. Chacune de ces appellations renvoient à des idéologies différentes et des stratégies discursives calculées qui forgent l’imaginaire de ces formations politiques.
Le président ne s’adresse ni aux militant·es, ni aux citoyen·nes, ni aux candidat·es mais à ses « camarades » !
Pour le PTB, la campagne n’est pas terminée. C’est une campagne permanente. Le président rappelle certains éléments de son programme comme les questions du logement et de la précarité. Pour parler de son parti, il évoque un « enracinement », une « progression », une « percée ». Autrement dit, le parti progresse. On ne peut plus l’arrêter, il va continuer à croître. Le discours est résolument tourné vers l’avenir avec des appels à la « participation » dans des majorités afin de répondre à la critique formulée par ses opposants selon laquelle le parti rejetterait ses responsabilités.Moment plus solennel, Raoul Hedebouw évoque également le taux d’abstention en Flandre, une interrogation sur la mobilisation des jeunes et mentionne un « déficit démocratique », autant de chantiers auxquels il faudra répondre.
Une défaite, quelle défaite ?
L’exercice est bien rodé, personne n’admet vraiment une défaite. Toutefois, au-delà des styles rhétoriques propres à chacun·e, j’observe aussi une façon différente de concevoir la politique. Pour les militant·es ? Pour les citoyen·nes ? Pour le parti ? Pour les candidat·es ? Pour les camarades ? Dites-moi à qui vous vous adressez, et je vous dirai pour qui vous avez voté
Jäger, A. (2024, November 6). Formation des gouvernements : pourquoi ça bloque ? – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/formation-des-gouvernements-pourquoi-ca-bloque/
Formation des gouvernements : pourquoi ça bloque ?
Officiellement, les élections ont été marquées, en Flandre comme en Wallonie, par une progression de la droite. Mais la situation est plus complexe.
Alors que les coalitions semblaient pouvoir se mettre en place facilement à l’issue des élections régionales, l’échafaudage institutionnel belge continue de grincer à plusieurs niveaux, amenant les journalistes à se livrer à toutes sortes de considérations psychologiques sur les difficultés à former un gouvernement. Au risque d’évacuer trop rapidement les facteurs structurels pesant sur le jeu des coalitions.
Un jeu moins évident qu’il n’y paraît
Les supputations entourant les actions de Georges-Louis Bouchez dans les négociations pour former un gouvernement fédéral sont l’exemple le plus frappant de la psychologisation de la vie politique. Alors qu’une version de la taxation des plus-values se trouvait déjà dans une précédente note, le président du MR a choisi symboliquement de faire dérailler les négociations. Sa victoire aux élections de juin lui donne des ailes. Et il n’entend pas que le Vooruit vienne contrecarrer ses projets marqués à droite.
Pour Bart De Wever, les choses sont différentes. Comme l’a indiqué le rédacteur en chef d’Apache, Karl Van den Broeck, sur le site internet d’information, le chef de la N-VA joue sur trois échiquiers à la fois : à Anvers, en Flandre et au fédéral. Il a besoin en toute hypothèse de l’appui du Vooruit pour deux de ces niveaux. Or, ce dernier parti n’entend pas remiser trop vite ses valeurs de gauche, d’autant que le PTB-PVDA le talonne en Région flamande.
Par ailleurs, l’arithmétique de ces coalitions fédérale et flamande n’est, elle, pas aussi intuitive qu’on l’aurait cru. Officiellement, les élections ont été marquées en Flandre comme en Wallonie par une progression de la droite. Mais les flamingants y voient autre chose : une asymétrie grandissante entre les partis-frères.
Le politologue Bart Maddens de la KU Leuven, va jusqu’à affirmer que la convergence droitière entre Flamands et Wallons dissimule des divergences grandissantes entre les anciens piliers unitaires. « Le MR et Vooruit se trouveraient placés dans une position difficile si leur parti frère opte pour l’opposition », a-t-il déclaré il y a peu. « Il n’y a pas de gouvernement homogène de centre-droit », et cette « erreur de construction » « pèse plus lourd que les humeurs de Bouchez ».
Zizanie à la N-VA
Maddens donne ainsi une meilleure explication aux inconstances de Bouchez que les analyses psychologiques de ces dernières semaines. L’entêtement du président du MR sert surtout à contre-argumenter face à l’idée de deux cultures politiques distinctes. D’abord porté aux nues dans l’opinion flamande, il s’y trouve aujourd’hui discrédité. Il allait offrir au Flamand de droite la politique que ce dernier espérait ; il est désormais le saboteur, qui fait primer son ego sur la raison d’État.
Les raisons de cette frustration sont logiques. D’une part, le monde des affaires en Belgique voit dans le résultat général des élections une opportunité historique pour mener à bien des réformes structurelles déjà mises en place par les États voisins. Ce qui, selon Bouchez, peut se réaliser sans problèmes au fédéral – impliquant, du même coup, la mise au rebut des plans séparatistes de Bart De Wever.
D’autre part, cependant, l’arrière-garde des anciens de la N-VA ne peut que s’en trouver frustrée. La Flandre est en effet un cas unique au niveau européen : c’est la seule majorité régionale qui n’ait pas réussi à se doter d’un État à la fin du vingtième siècle, comme le membre de la Volksunie, Hugo Schiltz, s’en plaignait déjà.
Le nationaliste flamand, et futur Vice-Premier ministre belge (1988-1991), attribuait cette impuissance au fait que le flamingantisme était dépourvu d’une tradition « étatique » et ne disposait donc pas d’un projet clair d’émancipation politique.
Un pouvoir économique vacillant
Des ressorts économiques semblent également jouer un rôle. C’est précisément parce qu’une bourgeoisie flamande a pris en main le pouvoir économique, à la fin du vingtième siècle, que le projet institutionnel, lui, a été négligé. Mais quelle est la solidité actuelle de ce pouvoir économique flamand ?
On n’en a guère parlé dans le tumulte de ces dernières semaines, mais plusieurs journaux ont récemment fait part d’une observation inquiétante : 2023 a été l’année la plus difficile en termes de faillites industrielles, avec des records tout aussi sanglants dans l’Horeca et la construction.
L’arrière-garde de la N-VA ne peut qu’être frustrée par cette convergence Nord-Sud.
La cause principale de la crise industrielle est facile à deviner : c’est moins la dette publique ou le handicap salarial en Belgique que la stagnation de l’économie allemande, qui perd du terrain sur le marché international des véhicules électriques et souffre du coût élevé de l’énergie. Ce mois encore, on a entrepris des tentatives désespérées pour exploiter des réserves de lithium en Serbie, une initiative qui a poussé à l’action jusqu’au directeur de la CIA.
Ce retard sera-t-il résorbé à temps ? La question est délicate. En définitive, le handicap salarial de l’économie belge ne représente pas grand-chose face à la force concurrentielle du noyau allemand en Europe. Et sous cet angle, l’analyse psychologique des observateurs de la rue de la Loi paraît bien futile.
Initialement paru dans DeMorgen. Traduction française et adaptation par Serge Govaert et Martin Georges.
Delruelle, E (2024, September 11). Belgique : pourquoi nos gouvernements ne respectent plus l’État de droit ? – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/pourquoi-la-belgique-ne-respecte-plus-letat-de-droit/
Belgique : pourquoi nos gouvernements ne respectent plus l’État de droit ?
L’heure est grave. De nombreuses associations et spécialistes ne cessent de nous alerter : la Belgique vit une situation inconnue depuis 1945 en bafouant depuis deux ans ses propres règles démocratiques fondamentales. Comment le gouvernement belge peut-il ne pas respecter sa propre loi ? Que pouvons-nous faire pour sauver l’État de droit ? Entretien avec le philosophe Édouard Delruelle, pour comprendre la signification politique et matérielle de cette situation alarmante.
La Belgique, un « état social de droit »
Politique : Les fondamentaux de l’État de droit, la police et la justice sont souvent perçus comme la chasse gardée des formations libérales ou de droite. À l’opposé, les droits sociaux semblent plus vaillamment défendus par la gauche, notamment avec le droit du travail. Cette distinction est-elle probante ? Suffit-elle à expliquer le manque de réaction des partis de gauche, lorsque l’État ne respecte pas les décisions de justice ?
Édouard Delruelle : Tout d’abord, il faut sortir d’une définition libérale de l’État de Droit, souvent reprise également par ses opposants marxistes. Le paradigme libéral oppose les « droits-libertés » aux « droits-créances ». Les « droits-libertés » seraient des droits qui imposent une limite à l’intervention de l’État en faveur de la liberté personnelle. Ils sont conçus comme attachés à l’individu et opposables à l’État. À l’inverse, les « droits-créances » seraient des droits où l’on demande l’intervention de l’État, comme pour les pensions, l’éducation, les services publics, la Sécurité sociale ou le droit du travail. Dans ce jargon, les « droits-créances » sont donc les droits liés à l’État social.
…et donc des droits « de gauche » ?
Oui, c’est comme ça qu’on les voit souvent. Et le libéralisme tend à considérer que ces « droits-créances » dénaturent les « Droits de l’Homme », ou représentent un danger vis-à-vis d’eux. Mais il faut déconstruire cette vision. C’est l’objet de mon livre Philosophie de l’État social1 : montrer que les deux grands paradigmes, libéraux et marxistes, sont incapables de penser l’État de droit et l’État social. En fait, ils ne comprennent ni l’un ni l’autre, car ils ne comprennent pas leur connexion. Ma thèse, c’est qu’ils ne font qu’un.
Il n’y a pas de démocratie sans un « État social de droit », ou un « État de droit social », selon une expression de Hermann Heller2. Pour reprendre Hannah Arendt, un État de droit est un État où les individus sont en capacité de revendiquer des droits. Non pas de bénéficier passivement de droits « naturels » antérieurs à l’État, mais d’activer de nouveaux droits via ce dernier.
C’est donc la conception libérale de l’État de droit qui est erronée ?
La vision de l’État de droit avancée par les libéraux est une définition formelle : il s’agit de réduire l’État de droit aux « droits-libertés », c’est-à-dire à des droits opposables à l’État. Mais si l’on observe historiquement comment la démocratie a progressé, c’est à travers la rencontre continuellement conflictuelle et institutionnalisée autour de revendications de droit.
Un État de droit, je le répète, n’est pas un État qui est soumis à des droits naturels, mais un État où les individus, et en particulier « celles et ceux d’en bas » – « les subalternes » pour employer un terme de Gramsci –, sont en capacité de lutter effectivement pour l’obtention de nouveaux droits, et de défendre les droits acquis (en fait toujours conquis) lorsqu’ils sont attaqués ou menacés.
N’y a-t-il quand même pas des droits « de première, deuxième et troisième génération » ?
Sur ce point, je renverrai au texte fondamental de T.H.Marshall, « Citizenship and social class »3, qui montre bien le lien organique qui les lie. C’est d’un même mouvement qu’apparaissent les droits civils, les droits politiques et les droits sociaux. On peut donc avoir le sentiment que ce sont trois générations de droits successives. Mais c’est d’emblée la même problématique. La démocratie est indissociable d’une dynamique de revendication de droits, ce que Hannah Arendt appelle « le droit d’avoir des droits », ou le droit au droit.
C’est notamment ce droit de revendiquer des droits qui semble poser question aujourd’hui…
Il y a une très belle expression de la philosophe du droit Céline Jouin : « le droit aux droits acquis ». Aujourd’hui, c’est notamment le droit aux droits acquis en matière de chômage et de pension qui pose question, mais aussi bien le droit acquis à l’avortement. Les conquêtes de l’État social et de l’État de droit ne se dissocient pas, contrairement à ce que prétend la rhétorique libérale dominante.
La démocratie est indissociable d’une dynamique de revendication de droits, ce que Hannah Arendt appelle « le droit d’avoir des droits », ou le droit au droit.
La gauche ferait donc bien de s’en soucier davantage ?
Il est essentiel de se réapproprier cette grammaire des droits, et non de s’y opposer, comme le fait le marxisme. Si je le dis dans cette « langue » des droits, je définirais la démocratie comme ceci : un État de droit où les individus peuvent élever avec succès des revendications de droits. Et si je le dis en termes politologiques, je dirais que c’est une société où les subalternes sont en capacité politique de lutter pour leur émancipation. Ça ne veut pas dire qu’il est possible de tout obtenir. Mais ils et elles sont en capacité de lutter pour leur émancipation.
Si on accepte ces deux définitions de la démocratie, on voit qu’il n’y a, en fait, pas de différence de nature entre revendiquer le droit à l’avortement, revendiquer la liberté d’expression, revendiquer le droit de grève, la possibilité pratique du droit de grève, ou encore le droit à la Sécurité sociale.
Le diagnostic
Revenons aux problèmes concrets. Le rapport 2023 de la Ligue des droits humains est alarmant :
« Depuis près de deux ans, le gouvernement fédéral ne respecte plus les décisions de justice relatives à la question de l’accueil des demandeur·euses d’asile. Depuis octobre 2021, de très nombreuses personnes ont été contraintes de se tourner vers les tribunaux pour faire valoir leur droit à l’accueil. Des milliers de décisions de justice ont condamné Fedasil à respecter la loi et à fournir une place d’accueil. Malgré ces décisions, les places d’accueil ne sont toujours pas attribuées immédiatement et, désormais, les hommes seuls en sont exclus. Ceci signifie concrètement que des personnes doivent vivre dans la rue pendant des semaines, voire des mois, ou trouver elles-mêmes une solution. En outre, les astreintes que le tribunal a imposées à Fedasil n’ont jamais été payées. De très nombreuses autres décisions judiciaires ont été rendues en faveur des demandeur·euses d’asile, visant à contraindre le gouvernement à respecter la loi ; elles sont toutes restées lettre morte…»
Édouard Delruelle : C’est emblématique du fait qu’il n’y a pas d’État de droit sans État social… et vice versa. Nous faisons ici face à un cas clair, où la Belgique contrevient à sa propre définition de l’État de droit. Mais pourquoi ? C’est la ministre elle-même, Nicole De Moor, qui le dit : « parce qu’on n’a pas la place », pas le personnel, pas les chambres, pas les bâtiments… Mais c’est bien une question de volonté politique. L’État ne veut pas mettre en place l’État social minimal qui permettrait de respecter l’État de droit et d’accueillir dignement les migrants.
Lorsque le pouvoir politique refuse de mettre en place matériellement un minimum d’État social pour les individus, il se met en situation de ne pas respecter l’État de droit.
Cela signifierait que la droite, démocratique, est prête à contrevenir à l’État de droit pour s’attaquer au social. Que pour refuser des avancées sociales effectives et ce qu’elles impliquent du point de vue de la redistribution, elle renierait ses propres principes, ceux de l’État de droit dont elle se prétend la garante et la défenseuse ?
Effectivement. Lorsque le pouvoir politique refuse de mettre en place matériellement un minimum d’État social pour les individus, il se met en situation de ne pas respecter l’État de droit. C’est vrai pour l’état déplorable des prisons comme pour l’accueil des migrants, ou même la dégressivité des allocations de chômage. La non-effectivité des droits débouche sur une logique d’assistance humanitaire qui, aussi nécessaire soit-elle, signale la faillite et de l’État social et de l’État de droit.
On peut affirmer, sans forcer le trait, que l’État social est la garantie d’effectivité des droits définis par l’État de droit. Car il est évident que pour respecter les « droits libertés », il faut un État, une justice et une police correctement financées. Pour jouir d’une liberté d’expression, il faut une presse libre, subventionnée et des législations qui interdisent les incitations à la haine, et ainsi de suite. Il n’y a pas de respect des libertés individuelles sans régulation effective de l’État.
Et inversement…
En effet, l’on n’a pas d’État social, si on ne conserve pas une dynamique de revendication des droits, qui ne sont pas seulement des droits octroyés « d’en haut ». Sinon, nous avons affaire à un État paternaliste, qui peut très bien cesser de distribuer des droits quand il le veut. C’est d’ailleurs l’une des menaces qui pèsent aujourd’hui sur la Sécurité sociale. Elle est perçue par beaucoup comme une bureaucratie qui offre des prestations comme on ouvre un robinet, sans se rendre compte que ce robinet pourrait être resserré par l’État selon son bon vouloir budgétaire.
Sans dynamique de revendication, sans réelle concertation sociale, sans réelle gestion paritaire de la Sécurité sociale, l’État social se désolidarise de l’État de droit et cesse d’être un élément vital de la démocratie
La gauche et ses impensés
On comprend donc le sens économique de ce sabordage pour la droite, mais si la Belgique est un « État social de droit », d’où provient le désintérêt à gauche ?
C’est un problème complexe. Je crois tout d’abord qu’il y a un inconscient national derrière l’État social. Fondamentalement, l’État social s’est développé comme un État national, c’est-à-dire un espace où les droits sociaux ont été octroyés d’abord « aux nationaux », dans le cadre d’un compromis national. C’est ce qu’Étienne Balibar, un peu méchamment – il s’en est expliqué –, a appelé « l’État social national » comme « réponse » à l’État national-social qui en était à la fois l’antonyme et le double négatif. Et il est vrai que les institutions de l’État social diffèrent structurellement, selon que l’on est dans le monde «libéral» anglo-saxon, le monde « corporatif » continental (dont la France, la Belgique ou l’Allemagne) ou le monde « individualiste » scandinave4.
Et comme l’État social s’est construit comme national, il y a dans la pensée de la gauche une difficulté à déconnecter l’État de ce cadre. C’est à ce moment-là qu’apparaît la tentation du social-chauvinisme incarnée en Belgique par Vooruit. Il y a donc la conjonction de deux facteurs : un impensé de gauche – du fait d’avoir lutté pour les droits dans un cadre national –, et une victoire idéologique de la droite et de l’extrême droite. Cette conjonction permet d’expliquer la frilosité des partis de gauche sur la question.
Une bonne part des constitutionnalistes et des militant·es est très inquiète de ce phénomène nouveau de non-respect des règles de justice par un État supposément de droit. Cette possibilité, pour le pouvoir, de se plier ou non aux décisions du juge, ne renvoie-t-elle pas, tout de même, à une conception fascisante de la justice ? Une justice selon le bon vouloir des gouvernants. N’est-ce pas un dangereux précédent ?
Je ne pense pas que « fascisme » ou « nazisme » soient des termes très utiles dans le débat. En revanche, que nous soyons dans un processus de dé-démocratisation de nos sociétés, c’est évident. L’un des signes est effectivement le non-respect des décisions de justice.
Mais si l’État de droit recule de façon inquiétante, c’est moins parce qu’il y aurait une tentation autoritaire de la part d’un pouvoir dictatorial, que parce que les élites politiques, je le répète, ne veulent plus entretenir l’État social qui donnerait à l’État de droit son effectivité. C’est d’ailleurs le discours des responsables politiques : « Nous n’avons pas de problème avec la décision de justice en elle-même. Mais nous ne pouvons simplement pas la respecter. C’est impossible, car nous n’en avons pas les moyens ». Les migrants seraient trop nombreux, il y a trop de détenus dans les prisons, etcétéra. On ne veut pas mettre en place les dispositifs sociaux qui, seuls, pourraient rendre effectifs les droits fondamentaux dont on parle. Cette forme de dé-démocratisation m’apparaît beaucoup plus dangereuse que le risque d’un pouvoir dictatorial tel qu’on l’a connu avec Hitler ou Mussolini…
Pour expliquer l’enjeu de l’effectivité des droits, vous développez, dans votre récent ouvrage Philosophie de l’État social, la conception d’une « constitution matérielle » à côté de la Constitution belge que nous connaissons.
En réalité, la Constitution ne dit quasiment rien sur l’État social. Certes, il y a l’article 23A qui parle d’un « droit à la sécurité sociale ». Et oui, il y a une jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le principe de standstill, c’est-à-dire, normalement, pas de diminution des droits sociaux. Mais la Constitution ne dit rien des différentes branches de la Sécurité sociale, de la gestion paritaire, de son mode de financement, etc. De simples lois suffisent à démanteler la Sécu.
En outre, si un gouvernement déclare : « Désolé, nous n’avons pas assez d’argent, et nous voulons faire une politique où nous réduisons les cotisations sociales de 50% pour respecter la Règle d’Or de l’Union européenne », la Cour constitutionnelle ne pourra rien dire. De même qu’elle ne pourra pas grand-chose si la limitation des allocations de chômage à 2 ans – une véritable régression sociale – est mise en œuvre par le prochain gouvernement, comme cela paraît très probable. Il y a très peu de dispositions dans la constitution formelle qui garantisse l’effectivité des droits sociaux.
C’est pour cela que je forge, avec d’autres, le concept de « constitution matérielle »5. Il est évident que la sécurité sociale n’est pas dans notre constitution formelle en Belgique, mais c’est un élément de la constitution matérielle, par quoi j’entends l’ensemble des dispositifs normatifs (qu’ils figurent ou non dans la constitution formelle) qui garantissent le « pacte social » entre les classes, les groupes et les territoires au sein d’une communauté politique donnée.
La Sécurité sociale fait bien sûr partie intégrante de la constitution matérielle. Ainsi, avec sa réforme des retraites, Macron a respecté la constitution formelle, mais il a modifié autoritairement la constitution matérielle. Comme l’a écrit Pierre Rosanvallon, il pouvait invoquer la « légalité procédurale » issue de l’élection, mais certainement pas la « légitimité sociale » qui « désigne non pas un statut ou une procédure, mais ce qui est perçu comme juste et conforme à l’intérêt général » par l’ensemble des citoyens6. Mais on voit ce qu’il lui en coûte, électoralement, de toucher à la constitution matérielle…
Se battre pour l’état de droit
Par conséquent, suivant cette notion de constitution matérielle, le message que vous souhaiteriez adresser à toutes les personnes soucieuses de défendre l’État de droit, c’est donc de se préoccuper de l’État social ?
Exactement, en s’engageant dans une extension continuelle des droits et une extension de ses bénéficiaires. Défendre les sans-papiers, qui est une manière on ne peut plus classique de défendre l’État de droit, en revendiquant leur régularisation, qu’est-ce que cela signifie, sinon exiger qu’ils aient accès à la Sécurité sociale ?
Mais il y a alors toujours cette remarque, qui arrive même d’une partie de la gauche : « nous allons rapidement être à court de moyens ou d’espace, car la Belgique est un petit pays » Que répondre à cela ?
On ne sauvera en effet pas l’État social de droit belge sans un État social de droit européen. On est loin du compte. L’enjeu complémentaire est celui de la fiscalité, de la distribution des richesses. C’est un autre point décisif qu’il faudrait développer : les liens entre État de droit et justice fiscale.
Nous allons publier deux articles, comme nous l’avons déjà fait auparavant, c’est la moindre des choses pour alerter sur la situation. Mais que peuvent faire de plus, concrètement, les militants et militantes, qui désespèrent de la situation ?
Les militant·es féministes, décolonial·es, syndicalistes, défenseur·euses des services publics, des métiers du « care », etc. savent concrètement que se battre pour l’État de droit et pour l’État social, c’est tout un. Je n’ai pas de leçon à leur donner, ce sont plutôt elles et eux qui nous en donnent tous les jours… Mais le nœud du problème, c’est l’État lui-même. Comment l’investir, l’entretenir et le bousculer à la fois, dès lors que nous assistons à la « chute finale » de la social-démocratie ? Celle-ci a obtenu des avancées décisives en termes d’État social de droit depuis le XIXe siècle, mais on se demande si son potentiel historique n’est pas épuisé. J’ignore quelle force progressiste pourra prendre le relais. Mais en tout cas, elle ne devra surtout pas tourner le dos à l’État – comme l’écologie politique en a la tentation –, ni se complaire dans une posture tribunicienne – comme la gauche radicale.
Les progressistes ne doivent pas faire confiance a priori à l’État, qui n’est pas un instrument démocratique en soi; mais aucun gain, aucun acquis, aucune victoire ne seront obtenus sans investir l’État. Je laisse le dernier mot à E.O. Wright, qui plaidait pour une double stratégie, à la fois par le bas (il faut des mouvements de revendications des droits à l’adresse de l’État), et par le haut (pour que l’État régule et domestique les marchés)7.
Propos recueillis par Martin Georges.
- Édouard Delruelle, Philosophie de l’État social. Civilité et dissensus au XXIe siècle Paris, Éditions Kimé, 2020. ↩
- Théoricien et grand juriste allemand de l’époque de la République de Weimar. ↩
- T.H. Marshall, Citizen and Social Class (1950), Pluto, 1992 (il n’existe hélas toujours pas de traduction française de ce texte). ↩
- Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme contemporain, (1990), trad. F-X. Merrien, PUF, 2007 ↩
- Édouard Delruelle, « Constitution matérielle et constitution mixte. Du pouvoir constituant aux corps intermédiaires », Jus Politicum, n°31 [https://juspoliticum.com/article/Constitution-materielle-et-constitution-mixte-Du-pouvoir-constituant-aux-corps-intermediaires-1563.html]. ↩
- Pierre Rosanvallon, « Le débat sur la réforme des retraites est le signe d’un ébranlement de notre démocratie », Le Monde, 24 février 2023 ↩
- Édouard Delruelle, « Hégémonie et stratégie anticapitaliste. À propos de Erik Olin Wright », Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, revue Politique, n°116 (juin 2021).
Perl, F. (2024, September 18). Santé ou justice sociale ? L’équation impossible de la LEZ – Politique. Politique. https://www.revuepolitique.be/sante-ou-justice-sociale-lequation-impossible-de-la-lez/
Santé ou justice sociale ? L’équation impossible de la LEZ
La décision des négociateurs francophones de la future coalition régionale bruxelloise de reporter l’interdiction des véhicules les plus polluants a déclenché l’ire des écologistes. Une passe d’arme qui témoigne de la difficulté de concilier impératifs environnementaux et sociaux.
La région bruxelloise s’est dotée, en 2018, d’une des zones de basses émissions (mieux connu sous le nom de LEZ – Low Emission Zone) les plus performantes en Europe. Depuis 2019, les véhicules thermiques (essence et diesel) sont progressivement interdits d’accès au territoire des 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale avec comme objectif d’interdire le territoire de la région à tous les véhicules diesel en 2030 et de n’en autoriser l’accès qu’aux véhicules essence les plus performants et aux véhicules électriques.
Cette mesure mise en place par le Gouvernement Vervoort II (composé des socialistes et sociaux-chrétiens francophones et flamands, de l’Open-VLD et de Défi) a été reprise par le Gouvernement Vervoort III (élargi aux écologistes flamands et francophones mais sans les démocrates-chrétiens) avec l’ambition à la fois de revoir et d’évaluer les restrictions d’accès à la lumière des derniers développements technologiques et de mettre en place une politique d’accompagnement social qui n’avait pas été intégrée dans la première mouture adoptée sous le Gouvernement précédent.
La pollution atmosphérique serait responsable du décès d’environ 7000 personnes en Belgique.
La décision, prise ce 1er septembre, par les négociateurs du nouveau Gouvernement bruxellois de revoir le calendrier d’interdiction de la LEZ en reportant de deux ans l’interdiction des diesels Euro 5 (postérieur à 2009) et essences EURO 2 (postérieur à 1996) fait l’objet d’une première passe d’armes entre les partis francophones pressentis pour former le nouveau gouvernement (MR, PS, Les Engagés) et les écologistes. Les seconds accusent les premiers de sacrifier la santé des Bruxellois sous la pression, notamment, des lobbys « automobilistes ».
Les faits
La pollution atmosphérique serait responsable du décès d’environ 7000 personnes en Belgique et est la cause directe de nombreuses pathologies respiratoires, de cancers, de maladies cardio-vasculaires et de maladies neuro-dégénératives. Elle est pointée par l’OMS comme un des problèmes majeurs de santé publique et est une cause de décès prématurés comparable au tabagisme et à la consommation d’alcool.
Ces chiffres doivent être associés à deux précisions importantes. Tout d’abord, le nombre de décès prématurés « attribuables » à la pollution de l’air est établi non pas sur des études épidémiologiques mais sur un modèle théorique estimant la charge de morbidité environnementale, qu’on peut définir schématiquement comme la diminution de l’espérance de vie d’une personne provoquée par cette pollution de l’air. Ensuite, ce chiffre de 7000 décès est lié à l’addition, par polluant, des décès attribués à la pollution de l’air mais est probablement légèrement surévalué dès lors qu’un décès peut être causé par plusieurs de ces polluants.
Les experts en santé publique sont confrontés, sur le sujet, à une situation très paradoxale. Depuis le début des années 1990, les émissions des principaux polluants sont en baisse constante : les émissions d’oxyde d’azote ont diminué, en Belgique, de près de 70% et celles de particules fines de plus de 75%, et ce indépendamment de la zone de basse émission. Cette baisse est liée à plusieurs facteurs : amélioration de l’isolation des bâtiments, apparition de sources de chauffage moins polluantes, renouvellement progressif du parc automobile… D’un autre côté, des découvertes scientifiques ont démontré depuis 20 ans que les dégâts sanitaires causés par la pollution dépassaient largement le cadre des maladies respiratoires.
C’est ce qui incite l’OMS (et dans une moindre mesure la Commission européenne) à diminuer régulièrement les normes de concentrations de polluants au-delà desquels la santé publique est mise en danger. Seuils qui ne sont pas respectés par la Belgique malgré de très nettes améliorations constatées depuis quelques années.
Quel est l’impact réel du transport routier dans la pollution de l’air ?
Il est important de ne pas ramener toute la problématique de la pollution de l’air au transport routier. Dans les cas des deux principaux polluants responsables des décès prématurés, la part du transport routier est la suivante : les oxydes et dioxydes d’azote (NOX) pour 47%, et les particules fines PM2,5 pour 21%.
Ces chiffres relativisent quelque peu le rôle que les polluant émis par les moteurs thermiques jouent dans la pollution. A fortiori pour les particules fines qui sont responsables de 72% des décès liés à celle-ci alors que les émissions des véhicules thermiques ne pèsent que 25% dans le total de leurs émissions.
Il n’est pas évident de prouver qu’un SUV électrique émettra significativement moins de particules fines qu’un petit diesel EURO4.
Et si les émissions d’oxydes d’azote par le transport routier trouvent leur origine directe dans la combustion de carburant, il est désormais établi que les émissions de PM 2,5 sont, quant à elles, pour partie causées par l’abrasion des freins et des pneus. Et celle-ci est directement corrélée au poids du véhicule. En d’autres termes, il n’est pas évident de prouver qu’un SUV électrique émettra significativement moins de particules fines qu’un petit diesel EURO4, du moins pour justifier qu’il pourra continuer à rouler indéfiniment dans la LEZ alors que le second est, lui, déjà interdit.
Une LEZ évolutive ?
Les termes du débat ont évolué depuis que la LEZ a été créée. Son utilité n’est pas à remettre en question. Elle a produit des résultats probants sans toutefois que l’on sache très bien faire la distinction entre l’effet de l’interdiction des véhicules polluants et le renouvellement « mécanique » du parc automobile.
Mais la part réelle de la pollution de l’air émise par des véhicules thermiques privés permet de questionner la proportionnalité des interdictions édictées par la LEZ. Ces interdictions doivent être mises en relation avec les privilèges démesurés qui sont octroyés aux détenteurs de véhicules électriques, pour des gains plus limités qu’initialement prévus en termes de réductions des émissions de particules fines.
La question des corrections sociales a été au centre des discussions relatives à la LEZ et à la taxe kilométrique Smartmove lors de la législature précédente. Force est de constater que ces deux points, figurant tous les deux dans la déclaration de politique régionale, n’ont pas trouvé de solutions satisfaisantes.
Les principales « victimes » de l’interdiction des véhicules EURO5 diesel et EURO2 essence figurent parmi les habitants les plus précaires de la région de Bruxelles-Capitale.
Les ministres Groen et Ecolo en charge de ces dossiers se retranchant la plupart du temps derrière un argument un peu court et pour partie invalidé par les statistiques : « Les ménages les plus pauvres n’ont pas de voitures »1.
On touche là à une difficulté inhérente aux politiques climatiques et environnementales, à savoir la combinaison entre justice sociale et transition juste. Il est assez évident que les principales « victimes » de l’interdiction des véhicules EURO5 diesel et EURO2 essence figurent parmi les habitants les plus précaires de la région de Bruxelles-Capitale. Depuis l’instauration de la LEZ, ces habitants sont les seuls à supporter le coût des nécessaires mesures prises en vue de réduire la pollution de l’air.
Il est évidemment légitime de questionner le rapport à la voiture individuelle mais il faut, dans le même temps, constater les inégalités flagrantes que ce débat interroge. D’un côté des classes favorisées exerçant des professions télétravaillables, en capacité de pouvoir à la fois avoir accès aux alternatives à la mobilité et aux véhicules électriques; de l’autre, les classes moyennes et populaires qui ne disposent pas de ces privilèges de mobilité.
Le débat est évidemment plus complexe. Une part importante des ménages bruxellois ne disposent pas de voiture. Par ailleurs, on ne peut évacuer le fait que la pollution de l’air se fixe pour partie dans les quartiers centraux de Bruxelles qui comptent la plus grande proportion de ménages en situation de pauvreté et qui souffrent donc d’une double peine sanitaire et sociale.
Mais face à l’absence de correctifs sociaux dignes de ce nom et les conséquences très lourdes de l’entrée en vigueur de l’interdiction de nouvelles classes de véhicules en 2025, il est fort probable que n’importe quel gouvernement (en ce compris avec une composante écologiste) n’aurait eu d’autres solutions que le report décidé par les négociateurs bruxellois. C’est d’ailleurs cette absence de proportionnalité qui a conduit la précédente majorité à la Région Wallonne (où Écolo détenait le portefeuille de la mobilité) à abroger le décret sur la zone de basse émission qui devait couvrir l’ensemble du territoire wallon.
Ces mesures contraignantes donnent légitimement le sentiment qu’elles ne peuvent que pénaliser les ménages à faibles et moyens revenus.
En conclusion, cette saga de la Lez soulève deux questions à ce jour irrésolues.
La première concerne la capacité à répartir les indispensables efforts dans le domaine climatique et environnemental de manière proportionnelle sur l’ensemble de la population. Force est de constater que des mesures contraignantes comme la LEZ et Smartmove (à l’inverse des aménagements urbains qui limitent l’emprise de la voiture en ville et qui sont nettement plus égalitaires) ne parviennent pas à remplir ce cahier des charges et donnent légitimement le sentiment que ces mesures ne peuvent que pénaliser les ménages à faibles et moyens revenus.
La seconde met en évidence la difficulté de faire émerger une écologie sociale basée sur un récit suffisamment désirable pour que les classes moyennes et populaires puissent se l’approprier. Et il n’est pas certain que le futur d’une mobilité urbaine où seuls les nantis pourront utiliser une voiture, contribue à cette « désirabilité ».
La résolution de ces questions est, pourtant, un préalable à la mise en œuvre de politiques capables d’assurer l’indispensable transition climatique et environnementale.
Debras, F., & Gioe, S. (2024, July 17). « C’est d’extrême droite » : s’outiller pour qualifier des discours et des propositions politiques. https://orbi.uliege.be/handle/2268/320705
Article de Sibylle Gioe et François Debras Publié dans « Politique Revue Belge d’Analyse et de Débat » En ligne, le 17 juillet 2024 « C’est d’extrême droite » : s’outiller pour qualifier des discours et des propositions politiques
Qualifier d’extrême droite un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti est délicat. D’une part, les critères politologiques varient et évoluent sans nécessairement constituer une équation mathématique aboutissant à un résultat indiscutable et binaire. D’autre part, les évolutions de l’extrême droite lui permettent de passer entre les mailles du filet de l’analyse. Les auteur·trice·s proposent trois outils complémentaires pour argumenter la qualification « extrême droite ». Traditionnellement, la science politique définit l’extrême droite comme un ensemble de discours, de personnalités, de mouvements ou de partis, structurés autour d’un corpus idéologique spécifique : inégalitarisme, nationalisme et sécuritarisme. Des auteur·rice·s ajoutent à cette liste le rejet des institutions démocratiques (parlementarisme et État de droit) ou des valeurs de la démocratie1 . Premièrement, selon l’idéologie inégalitaire, les individus sont naturellement inégaux les uns par rapport aux autres. Il existerait différentes « races » qui déterminent l’identité d’un individu, ses capacités physiques et mentales. Certaines « races » seraient supérieures, d’autres inférieures, et il conviendrait d’appliquer cette « règle naturelle » à l’ordre politique et social. Deuxièmement, dans une perspective nationaliste, la nation est imaginée comme homogène et pure, formant le « nous », les « nationaux », à séparer du « eux », les « étrangers ». La diversité et le multiculturalisme sont perçus comme des facteurs dégradants de l’identité nationale. La nation doit également être souveraine et indépendante, de sorte que les entités supranationales, les institutions, les traités et les accords internationaux sont critiqués ou rejetés. Troisièmement, l’extrême droite prône des dispositifs sécuritaires, de contrôle et de coercition, pour protéger cette nation des menaces intérieures et extérieures. L’immigration est présentée comme porteuse d’insécurité en assimilant les étranger·e·s à des « criminels » ou à des « profiteurs ». Sont alors notamment vantés le renforcement de l’armée, et de la police, l’application stricte des peines prononcées, le recours systématique aux peines d’emprisonnement, le retour à l’application de la peine de mort, etc. Quatrièmement, les rapports entre extrême droite et démocratie sont théorisés de plusieurs manières : selon certain·e·s, l’extrême droite rejette le régime démocratique, c’est-à-dire ses institutions, tandis que pour d’autres, ce sont les valeurs de la démocratie qui sont attaquées. du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer. Un programme politique dont 25% des propositions sont racistes, nationalistes et sécuritaires, diluées dans 75% d’autres qui sont au-delà de tout soupçon, pourrait-il être qualifié d’extrême droite ? Cette définition manque cependant de systématicité et son opérationnalisation est délicate. En effet, d’une part, il n’est pas certain que la rencontre des trois ou quatre critères soit systématiquement nécessaire. La rencontre de deux d’entre eux peut s’avérer suffisante (exemple : la tenue d’un discours raciste et nationaliste). D’autre part, du point de vue quantitatif, le curseur est impossible à placer (un programme politique dont 25% des propositions sont racistes, nationalistes et sécuritaires, diluées dans 75% d’autres qui sont au-delà de tout soupçon, pourrait-il être qualifié d’extrême droite ?). Le curseur qualitatif est également empreint de subjectivité (si une seule mesure d’un programme politique applique une violence discriminatoire pour les personnes étrangères présentées comme des « ennemis de la Nation », cette mesure est-elle suffisante pour qualifier le programme d’extrême droite ?). Quant au lien entre l’extrême droite et son rejet de la démocratie, le critère est également discutable. Il suppose que l’extrême droite renonce au jeu électoral et parlementaire – ce qui n’est de toute évidence pas le cas pour plusieurs partis – ou que les « valeurs centrales » de la démocratie soient unanimement et précisément identifiées. Par ailleurs, dans ses discours, l’extrême droite se présente aujourd’hui comme étant la défenseuse de la démocratie et la victime d’un système politique et médiatique qui ne respecte pas ses droits fondamentaux, dont la liberté d’expression. Évolution des discours de l’extrême droite et émergence d’un tabou ? Au cours des dernières décennies, les évolutions des discours de l’extrême droite ont rendu moins manifeste son identification au regard de ces trois ou quatre critères. En effet, à la suite de l’adoption des législations criminalisant l’incitation à la haine raciale ou à la discrimination et les Négationnistes2 , les discours de l’extrême droite se sont polissés. Cette stratégie de « dédiabolisation », visant à contourner les lois précitées et à élargir la base électorale de ces partis, leur a permis d’accéder, dans plusieurs États, aux institutions législatives et exécutives3 . Les discours ouvertement racistes ont cédé leur place à la subtilité. Premièrement, le terme « race » disparaît au profit des termes « culture » et « religion ». Il n’est également plus question de « supériorité » et d’« infériorité » de différents groupes, mais plutôt de « différences », d’individus « assimilables » ou « inassimilables ». Les mots « notre identité » sont aussi progressivement remplacés par « nos valeurs » ou « notre mode de vie ». Deuxièmement, les énoncés hétérophobes sont abandonnés au profit d’énoncés hétérophiles (exemple : l’aide au développement comme outil de lutte contre l’immigration) et plutôt que d’attaquer « eux », c’est la protection du « nous » qui est mise en avant (exemple : préférence nationale, protection des coutumes et des traditions nationales). Troisièmement, les propos ne sont plus explicites mais implicites (recourant aux métaphores, métonymies et autres figures de style), de sorte qu’ils sont juridiquement (quasi-) inattaquables. En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·rice·s de la vie politique sont davantage prudent·e·s avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite. À cet égard, UNIA et des chercheur·euse·s de l’Université de Louvain évoquent des « discours gris ». Il s’agirait de : « discours inquiétants sans pour autant être juridiquement condamnables [préparant] en quelque sorte le terrain aux discours qui incitent à la haine, la violence et la discrimination à l’égard de certains groupes ». Les auteur·rice·s ajoutent que ces discours construisent « explicitement ou implicitement, la représentation d’un groupe social donné comme ayant, en tant que tel, une valeur moindre, comme ne jouissant pas d’une égale dignité et ne méritant dès lors pas une considération égale »4 . En l’absence d’inégalitarisme et de racisme explicites et revendiqués, les observateur·rice·s de la vie politique sont davantage prudent·e·s avant de qualifier tels discours, propositions, programmes, personnalités ou partis d’extrême droite. Une multitude d’appellations connexes sont alors employées : « droite radicale », « droite populiste », « nouvelle droite », « droite extrême », etc. Ces concepts sont cependant tout aussi flous et privés de définition opérationnelle. De surcroît, ne participent-ils pas, indirectement, à la « dédiabolisation » de l’extrême droite, étant donné que celle-ci n’est plus qualifiée comme telle ? Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est nécessaire de compléter la définition politologique par d’autres outils. Outil n°1 : qualifier d’extrémiste une proposition politique au regard des droits humains Si l’extrême est la position la plus éloignée d’un centre, il est indispensable de localiser ce centre. Dans le cadre d’un État de droit démocratique, ce centre est la réalisation des droits humains, fixée dès 1948 comme « la plus haute aspiration de l’Homme »5 . Indépendamment des critiques qui peuvent être formulées à l’égard du concept des droits humains – non exempts d’imperfections dans leur conception et dans leur mise en oeuvre – il n’en demeure pas moins qu’ils sont « l’aune à laquelle se mesure la respectabilité des régimes et des doctrines politiques »6 . L’idéologie d’extrême droite est en opposition avec le corpus des droits humains. En effet, l’inégalitarisme et le racisme sont contraires aux principes centraux et transversaux d’égalité et de non-discrimination. Le protectionnisme identitaire et autarcique rejette le développement de relations amicales entre les peuples, un fondement essentiel de la Charte des Nations Unies. Et, enfin, la primauté de l’approche sécuritaire est une inversion du paradigme plaçant, d’une part, les libertés comme principe et, d’autre part, les restrictions à ces libertés comme des exceptions, limitées au strict nécessaire pour atteindre un objectif légitime d’intérêt général. Dans sa résolution du 23 septembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies précise en outre que « les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie sont interdépendants, se renforcent mutuellement et sont au nombre des valeurs et principes fondamentaux universels et indissociables de l’Organisation des Nations Unies »7 . En Belgique, la lutte contre l’extrémisme a plusieurs fois été organisée en référence au triptyque des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie. Ainsi, dans le cadre de la réforme de la Sûreté de l’État à la fin des années 1990, le législateur a précisé les contours de sa mission de renseignement, ciblant notamment « toute activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l’Etat et la pérennité de l’ordre démocratique constitutionnel », c’est-à-dire l’activité qui menace soit « la sécurité des institutions de l’Etat et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales » soit « la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens »8 . Parmi ces activités potentiellement menaçantes auxquelles la Sûreté de l’État s’intéresse figure l’extrémisme, défini comme « les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit en ce compris le processus de radicalisation ». Par ailleurs, dans le courant des années 1990, d’autres instruments législatifs vont insister sur les droits humains comme ligne de démarcation entre les idéologies politiques « acceptables » et celles qui ne le sont pas. En effet, à l’époque, le Vlaams Blok a vu accroître son financement à la suite de sa percée électorale de 1991 et publie dans la foulée un plan en 70 points pour mettre fin à l’immigration en Belgique. Cette montée de l’extrême droite suscite l’inquiétude des autres formations politiques. La loi sur les finances électorales de 1989 est d’abord modifiée en 1995 pour y insérer un article 15 bis obligeant les partis politiques à inclure, dans leurs statuts, leur engagement à respecter et à faire respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Ensuite, en 1999, un article 15 ter est adopté pour permettre au Conseil d’État de réduire la dotation d’un parti politique lorsque celui-ci « par son propre fait ou par celui de ses composantes, de ses listes, de ses candidats, ou de ses mandataires élus, montre de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention [européenne des droits de l’homme] ». Il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme. L’application de ce dispositif, amendé à plusieurs reprises, est une entreprise particulièrement laborieuse, notamment compte tenu des multiples garanties procédurales existantes mais également de l’interprétation très restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de ce que constitue une « hostilité manifeste » aux droits fondamentaux. Pour la Cour, il ne peut s’agir que de l’incitation à violer « un principe essentiel au caractère démocratique du régime » et non la simple proposition d’interprétation différente ou la critique portant sur l’un ou l’autre des droits fondamentaux consacrés. Pour la Cour constitutionnelle néanmoins, « la condamnation du racisme et de la xénophobie constitue incontestablement un de ces principes car de telles tendances, si elles étaient tolérées, présenteraient, entre autres dangers, celui de conduire à discriminer certaines catégories de citoyens sous le rapport de leurs droits, y compris de leurs droits politiques, en fonction de leurs origines »9 . Il ressort de ce qui précède qu’il existe un consensus pour considérer les droits humains et l’État de droit comme étant le centre de gravité à partir duquel localiser l’extrémisme. Les deux dispositifs juridiques précités – mission de la Sûreté de l’État et sanction financière des partis liberticides – mettent en outre l’accent sur l’impact concret des atteintes aux droits fondamentaux sur les personnes au regard du « danger de la discrimination » (Cour constitutionnelle) ou de l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique (loi sur l’analyse de la menace). Déterminer si un discours, une proposition ou un programme est extrémiste peut donc s’opérer suivant deux questions. Se dirigent-ils vers un renforcement ou un soutien de la protection d’un ou de plusieurs droits fondamentaux ou, au contraire, prônent-ils la généralisation des restrictions ou la violation des droits fondamentaux, en particulier au regard des principes d’égalité et de non- discrimination ? Quel est l’impact de ces restrictions ou violations sur l’intégrité psychique et physique des personnes concernées ? L’utilité de cet outil d’identification de l’extrémisme est de recourir à des concepts opérationnels, théorisés et construits pour être appliqués à des cas concrets. Outil n°2 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les analysant de manière critique Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une. Après avoir identifié des politiques publiques extrémistes au regard des droits humains, une seconde étape peut consister à analyser les discours mobilisés pour les justifier, afin d’y déceler les idéologies véhiculées et les stratégies portées. Les discours ne sont jamais neutres. Ils ne décrivent pas la réalité sociale, mais en construisent une. Ainsi, une « vague migratoire » est une métaphore déshumanisante, assimilant les personnes migrantes à une catastrophe naturelle. Au contraire, une « politique anti-réfugiés » renvoie à une responsabilité politique dans le mauvais traitement réservé à des personnes dont la demande de protection est pourtant légitime. La dramaturgie, les causes et les responsabilités varient. Analyser un discours par déduction consiste à vérifier si les critères d’inégalitarisme, de nationalisme, de sécuritarisme ou du rejet de la démocratie structurent manifestement le discours. Si c’est le cas, alors le discours est d’extrême droite. Toutefois, cette méthode se heurte aux évolutions des discours d’extrême droite, rappelées supra, dépouillés de racisme explicite, avançant masqués, jouant sur l’implicite et les métaphores. À l’inverse, une approche inductive des discours décode la réalité sociale qu’ils construisent. Quant à elle, l’analyse critique décèle les idéologies « cachées » derrière les mots, derrière les argumentaires10. Autrement dit, dans les discours, comment les groupes sont-ils définis ? Comment sont-ils mis en opposition ? En fonction de quels rapports de domination ? Quels sont les valeurs et intérêts mobilisés ? Les ennemis présentés ? Par exemple, au sujet de l’adoption du Pacte migratoire européen, Margaritis Schinas, commissaire au mode de vie européen, se félicite que « nous [ayons] transformé le talon d’Achille de l’Europe en success story »11 . Nous pouvons nous poser la question de savoir si les dispositifs de contrôle et de coercition adoptés (procédures accélérées, détentions automatiques, procédures de filtrage sur la base de la nationalité, etc), présentés comme des outils de protection d’un groupe (les « Européens » et leur « mode de vie ») contre la menace émanant d’un autre groupe (les « non-Européens »), ne renvoient pas à un univers idéologique d’extrême droite. Quant à l’immigration, plusieurs termes doivent être analysés dans une perspective critique : « décivilisation », « ensauvagement », « islamisation », « flux migratoire », « vague migratoire », « grand remplacement », « disparition autochtone », « nuisible », « étranger illégal », etc. L’analyse est également valable pour des propositions, telles que la détention en centres fermés, la déchéance de la double nationalité, un moratoire sur l’asile, le retrait d’UNIA, la fin du secrétariat d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, l’abrogation des lois contre le racisme et l’incitation à la haine, etc. Le constat selon lequel un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite. L’approche inductive de l’analyse critique des discours présente l’utilité de dépasser le caractère explicite d’un discours pour se concentrer sur son soustexte et son contexte afin de contourner l’artifice de la « dédiabolisation ». De la sorte, le constat selon lequel un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti n’est pas explicitement raciste ne suffit plus à disqualifier son apparentement à l’extrême droite si, par exemple, la réalité sociale qu’il produit est bien celle de la protection d’une communauté homogène et pure contre un exogroupe infériorisé, érigé en bouc-émissaire, menaçant des acquis ethniques, culturels et/ou économiques, auxquels des restrictions des droits humains sont imposées. Par ailleurs, l’utilité de cet outil est également son caractère opérationnel, dès lors qu’il permet une analyse au cas par cas de chaque discours ou de chaque proposition politique, sans devoir justifier si la personne ou le parti dont il émane devrait lui aussi être qualifié ou non d’extrême droite. L’objectif est avant tout de savoir reconnaître, dans un contexte politique où les discours sont « gris », quelle est la réalité sociale construite par un terme ou une proposition particulière. Outil n°3 : qualifier d’extrême droite un discours ou une proposition politique en les comparant avec des référents historiques Après avoir, premièrement, repéré le caractère extrémiste de propositions politiques au regard des restrictions des droits humains qu’elles comportent et qui portent atteinte à l’intégrité psychique et physique des personnes et, deuxièmement, induit la réalité sociale produite par les discours qui soutiennent ces politiques, une troisième grille d’analyse peut être proposée. Le placement du curseur est une opération délicate puisqu’il consiste à se demander à partir de quel moment l’abaissement de la protection des droits humains et la mobilisation discursive d’un univers idéologique d’extrême droite devient inacceptable. Où se situe la borne à ne pas dépasser ? À plusieurs reprises, des programmes politiques ont été condamnés, judiciairement, politiquement et moralement, comme étant au-delà de cette borne. Ainsi, le plan en 70 points du Vlaams Blok a été dénoncé, par le Parlement Flamand (anc. Conseil Flamand) qui – se référant lui-même à d’autres saillances historiques et notoires de l’extrême droite – constatait que « certaines de ses propositions sont reprises du programme en 50 points du Front national du 16 novembre 1991 et visent à isoler les migrants dans un groupe d’apartheid et à les mettre progressivement au ban de la vie sociale, comme l’ont été les concitoyens juifs dans l’Allemagne nazie à partir de 1933 »12 et par la Cour d’appel de Gand comme n’étant que « l’expression de l’intolérance propagée par le Vlaams Blok et inspirée par le racisme et la xénophobie, incompatibles avec les valeurs applicables dans une société démocratique, libre et pluraliste »13 . Dans le contexte belge, le plan en 70 points du Vlaams Blok constitue un étalon central pour qualifier d’« extrême droite » des projets politiques et des discours en matière d’asile et d’immigration. En 2017, le quotidien De Standaard avait démontré qu’en vingt-cinq ans, une moitié de ce plan avait été réalisée, partiellement réalisée ou mise à l’agenda14 . La comparaison avec un référent historique incontestable présente l’utilité de mesurer la distance, la réduction de cette distance, ou la congruence avec l’idéologie et les politiques publiques prônées par l’extrême droite et ce, même si le contexte change, même si les discours évoluent, même si, à l’instar des différentes versions des plans du Vlaams Blok entre 1992 et 1996, les restrictions aux droits humains et à l’État de droit sont formellement et prétendument justifiées par toutes sortes de considérations. Conclusion Les observateur·rice·s de la vie politique peuvent donc éprouver une certaine réticence à employer cette appellation. Or, qualifier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou. D’aucun·e aurait raison de penser que le qualificatif « extrême droite » ne peut être mobilisé comme un anathème dans le seul but de délégitimer ou de disqualifier d’autorité un discours, une proposition, un programme, une personnalité ou un parti. L’argumentation peut être ardue. Les critères traditionnellement employés par la science politique manquent parfois de systématicité et d’opérationnalisation. Dans certains cas, les discours et les pratiques institutionnelles de l’extrême droite ont évolué. Les observateur·rice·s de la vie politique peuvent donc éprouver une certaine réticence à employer cette appellation. Or, qualifier d’extrême droite ce qui l’est, ne doit pas non plus être un tabou. La grille d’analyse ici discutée, aux dimensions juridiques, discursives et historiques qui complètent l’approche politologique, entend donc résoudre cette tension. Elle propose de cibler les objets d’études, d’identifier leur apparentement à l’extrême droite à l’aide de critères opérationnels, et de renforcer la démonstration d’une qualification d’extrême droite de ces objets. Elle ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité sur les manières d’appréhender les discours et programmes d’extrême droite, par exemple en fonction du contexte économique, social et politique de leur émergence ou de l’arsenal rhétorique mobilisé. Les trois outils proposés pour qualifier des discours et des propositions d’extrême droite peuvent se résumer en trois questions : les discours et les propositions politiques sont-ils dirigés contre les droits humains ou l’intégrité de certaines personnes ? Les discours et propositions politiques construisentils une réalité sociale telle que celle fantasmée par l’extrême droite ? Les discours et propositions sont-ils similaires à ceux soutenus par l’extrême droite dans le passé ?
- Pour une analyse typologique des définitions de l’extrême droite ainsi que des relations entre cette famille politique et la démocratie : Debras François, Le chant des sirènes : quand l’extrême droite parle de démocratie, Peter Lang, 2022, pp.40-41 et pp.57-67 ; Mudde Cas, The ideology of the extreme right, Manchester University Press, 2000, 224 p. ↩︎ 2. Biard Benjamin, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. I. Moyens légaux et cordon sa nitaire politique », Courrier hebdomadaire du CRISP, n°37-38, 2021, pp.5-114 ; Jamin Jérôme, Faut-il interdire les partis d’extrême droite ? Démocratie, droit et extrême droite, Les Territoires de la mémoire, 2006, 155 p. ↩︎ 3. Guillet Nicolas, Afiouni Nada (dir.), Les tentatives de banalisation de l’extrême droite en Europe, Editions de l’Université de Bruxelles, 2016, 184 p. ↩︎ 4. Dupret Pauline, Pedraza Pizarro Andrea, Des messages à la frontière entre opinion et discours de haine. Une analyse de la communication des personnalités politiques belges francophones sur les réseaux sociaux, https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques (consulté le 20/05/2024) ↩︎ 5. Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. ↩︎ 6. Sägesser Caroline, « Les droits de l’homme », Dossiers du CRISP, vol. 73, n°2, 2009, p. 89 ↩︎ 7. Déclaration de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur l’état de droit aux niveaux national et international, résolution de l’assemblée générale des Nations Unies du 24 septembre 2012, A/RES/67/1, §5. ↩︎ 8. Article 8 de la loi organique des services de renseignement et de sécurité, du 30 novembre 1998 ↩︎ 9. Cour constitutionnelle, arrêt n°10/2001, 7 février 2001, §B.4.7.2. ↩︎ 10. Eisenhart Christopher, Johnstone Barbara, « L’analyse du discours et les études rhétorique », Argumentation et Analyse du Discours, 2012, n°9, p.5 ; Bernhard Forchtner, « Critique, the discourse-historical approach, and the Frankfurt School », Critical Discourse Studies, 2011, vol.8, n°1, pp.1-14. ↩︎ 11. Opening remarks by Vice-President Schinas and Commissionner Johansson at the press conference on the Communication taking stock of the achievements in the area of migration and asylum, 12 mars 2024, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech _24_1479 (consulté le 28 mai 2024) ↩
- 12. Resolutie betreffende het algemeen migrantenbeleid, 1992-1993 (246/1), 19 novembre 1992. ↩︎ 13. Arrêt de la cour d’appel de Gand du 21 avril 2004. ↩︎ 14. De Standaard, Het 70 puntenplan doorgelicht, 25 jaar later, 29 septembre 2017.
-Décembre, J. L. (n.d.). Féminisation de l’extrême droite. La comprendre pour mieux la combattr. CVFE – Dire NON Aux Violences Conjugales ! https://www.cvfe.be/publications/analyses/450-feminisation-de-l-extreme-droite-la-comprendre-pour-mieux-la-combattre
-Décembre, J. L. (n.d.). Féminisation de l’extrême droite. La comprendre pour mieux la combattr. CVFE – Dire NON Aux Violences Conjugales ! https://www.cvfe.be/publications/analyses/450-feminisation-de-l-extreme-droite-la-comprendre-pour-mieux-la-combattre
[1] . À l’exception d’une thèse soutenue dans les années 1980 (Lévy, 1988) et de deux articles, l’un de Françoise Picq (1983) et l’autre de Françoise Thébaud (2001). Pour ma part, j’ai tenté (Dauphin, 2010), avec Anne Revillard (2016), de montrer l’intérêt de ce champ d’études.
[2] . Je distingue trois cercles d’associations selon leur proximité avec le féminisme d’État. Le premier regroupe les associations qui reçoivent les subventions les plus importantes et à qui l’État délègue la mission d’accompagner des femmes victimes, comme la Fédération nationale des centres d’information des droits des femmes et des familles, qui joue un rôle d’accueil et d’orientation des femmes, ou la Fédération nationale solidarité femmes, qui gère le numéro d’urgence des associations. Le deuxième cercle regroupe toutes les associations régulièrement subventionnées qui œuvrent sur le terrain pour accompagner les victimes, sans mission étatique spécifique. Le troisième cercle comprend les associations qui mènent des actions de sensibilisation en mobilisant les outils de la société civile, comme les manifestations, pétitions, etc.
[3] . Les archives se trouvent au Centre de ressources documentaires du Ministère de la santé et des solidarités.
[4] . Voir par exemple l’intervention de l’historienne Françoise Thébaud : [https://jean-jaures.org/nosproductions/1982-2012-8-mars-journee-de-la-femme].
[5] . La question des violences envers les femmes émerge lors des travaux préparatoires de la IIIe Conférence internationale de l’ONU sur les femmes, à Nairobi en 1985 (Fougeyrollas et Jaspard, 2003).
[6] . Entretien avec une ancienne agente du SDFE également ancienne militante du Planning familial.
[7] . Entretiens avec une ancienne agente du SDFE et une représentante d’une association d’aide aux victimes.
[8] . Archives SDFE.
[9] . Cf. entretien avec Dominique Simon-Peirano, ancienne conseillère technique en charge des violences dans le cabinet de Nicole Péry (1997-2002).
[10] . Entretien avec Brigitte Grésy, cheffe du SDFE de 1997 à 2004.
[11] . Entretien avec Danièle Bousquet, alors députée socialiste.
[12] . En ligne : [https://www.coe.int/t/pace/campaign/stopviolence/Source/france_planviolences_112007_fr.pdf], préambule, p. 8.
[13] . En ligne : [http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2005-2006/20060098.asp].
[14] . Le rapport du Dr Coutanceau de 2006 « Auteurs de violence au sein du couple : prise en charge et prévention » repose sur une perception de la violence comme problème de santé mentale (Romito, 2006).
[15] . Cf. Jean-Louis Lorrain, alors vice-président de la délégation aux droits des femmes du Sénat : [http:// www.senat.fr/seances/s201006/s20100622/s20100622_mono.html#].
[16] . La présence au sein de son cabinet d’une conseillère technique féministe ayant une bonne connaissance des associations a sans doute œuvré en ce sens.
[17] . Entretien avec Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire et Najat Vallaud-Belkacem.
[18] . Entretien avec Najat Vallaud-Belkacem, op cit.
[19] . Entretien avec une représentante associative.
[20] . Entretien avec une représentante associative.
[21] . En ligne : [https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/rapport-final-d-evaluation-du-4eme-plan- interministeriel-de-prevention-et-de-lutte-contre-les].
[22] . Voir : [https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_evaluation-5eme-plan-tabl-word_vf.pdf]. 23. NousToutes, les collages dans les rues ou encore la page Facebook « Féminicides par compagnon ou ex ».
[23] . Entretien avec une représentante d’association.
[24] . Idem.
[25] . Entretien avec Suzy Rojtman, porte-parole du CNDF.
[26] . Entretien avec Annie Ghilberteau, ancienne directrice du CNIDFF.
[27] . Idem.
[28] . Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au Sénat.
[29] . Voir [https://www.senat.fr/seances/s202006/s20200609/s20200609_mono.html#Niv1_SOM2].
[30] | À titre illustratif, lors du programme Het Conclaaf (VRT) du 30 mai 2024 ou de l’émission Eerste Keus (VRT) du 3 juin 2024. Ces débats ont notamment été émaillés de multiples attaques transphobes du VB à l’encontre de l’ancienne vice-première ministre Petra De Sutter (Groen).
[31] | Par exemple, le Vlaams Belang a souvent critiqué les positions de la N-VA en matière d’éducation sexuelle, relevant de la compétence du ministre Ben Weyts (N-VA) dans le gouvernement flamand Jambon (2019-2024).
[32] | Lire La Revue nouvelle n°4-2024 — dossier : Qu’est-ce que l’antiwokisme ?
[33] | Les partis issus du giron démocrate-chrétien semblent dans une large mesure moins touchés par le phénomène anti-genre malgré des résistances historiques quant à l’extension du droit à l’avortement et des doutes sur l’EVRAS.
[34] | Il faut souligner que, tant en Belgique qu’à l’étranger, ces discussions sur le wokisme, qui rejouent les débats liés à l’« idéologie du genre », sont concomitantes de celles sur l’extension des droits des personnes trans, les deux se renforçant mutuellement.
[35] | À ce titre, De Wever se revendique notamment de Griet Vandermassen., autrice du livre Dames voor Darwin.
Over feminisme en evolutietheorie.
[36] | Si Chez Nous est électoralement plus faible que le VB, le parti dirigé par Jérôme Munier a fait sien les discours anti-genre. Dans son programme, il souhaite ainsi lutter contre « la propagande LGBTQIA, notamment quand elle vise les enfants (le plus jeune âge doit être réservé à l’apprentissage de savoirs et être préservé de toute
[37] | Questions d’histoire politique de Belgique Liber
Amicorum : Paul Wynants sous la direction de Istasse C.,
Colson B., Dodeigne J., Paret M., Parmentier I., Tixhon A., CRISP, Presses Universitaires de Namur, 2022, 262p.
[38] | http://ecole-et-nation.fr/2023/11/07/video-colloquedes-parents-vigilants-au-senat/
[39] | Un colloque organisé par One of Us et piloté par la Fondation Jerôme Lejeune avait également eu lieu au Sénat en février 2019 : https://www.lefigaro.fr/flashactu/2019/02/15/97001-20190215FILWWW00134polemique-au-senat-sur-un-colloque-du-mouvementun-de-nous.php
[40] | Au moment de finir cet article, il devrait en autres rassembler le Rassemblement national, Vox, le Vlaams Belang et le VVD.
[41] | https://www.touteleurope.eu/presidence-du-conseilde-l-union-europeenne/la-presidence-tournante-duconseil-de-l-union-europeenne/
[42] | https://www.who.int/fr/publications/m/ item/9789231002595
[43] | https://www.parentsencolere.fr/wp-content/ uploads/2024/04/Communique-Presse-ToursUFLF88-PEC-pdf.pdf
[44] | Extrait du rapport de SOS Homophobie : https:// www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuellgbtiphobies
[45] | https://blogs.mediapart.fr/claire-vandendriessche/ blog/081123/deux-idees-troubles-derriere-latransidentification-des-mineurs
[46] | https://www.huffingtonpost.fr/medias/article/dansquotidien-elisabeth-roudinesco-choque-avec-despropos-sur-les-personnes-trans_178027.html 10 | https://www.politis.fr/articles/2024/05/face-audeferlement-transphobe-transmania-moutot-stern-lariposte-se-construit/
[47] | https://www.politis.fr/articles/2024/04/attaquescontre-les-droits-trans-et-reproductifs-nattendonsplus-faisons-front/
[48] | Cet Observatoire est coprésidé par Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et Catherine Masson, professeure des
[49] | https://www.vie-publique.fr/loi/287993-loiimmigration-integration-asile-du-26-janvier-2024 15 | https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/08/ le-wokisme-sur-le-banc-des-accuses-lors-d-uncolloque-a-la-sorbonne_6108719_3224.html
[50] | Lire La Revue nouvelle n°4 – 2024 — Quand l’extrême droite instrumentalise les discours féministes 17 | https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/
LEGISCTA000033437635/2020-12-07/
[51] | Mincke Chr., « La criminologie au service l’état ? », La Revue nouvelle, n° 2, 2022, p. 41, https://cutt.ly/H1Pqd9m.
[52] | En référence au titre du livre de recettes : Mallet J-F., Simplissime, 100 recettes, spécial étudiants fauchés et mal équipés. Paris, Hachette, 2021.
[53] | Belgicisme d’origine liégeoise pour désigner les fêtes étudiantes.
[54] | Maes R., Facteurs de réussite et d’échec dans l’enseignement supérieur. [cours universitaire], Université Libre de Bruxelles, 2022..
[55] | Broda J., Santé, identités et précarités étudiantes, Santé publique, 2008, 20(6), p. 605-610 :
[56] | Sonecom (2019), Étude sur les conditions de vie des étudiants de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles: https://cutt.ly/r8qoDn0 6 | Klassen M., Une journée dans la vie d’Odile, étudiante
en situation de précarité. L post, 7 avril 2022 : https:// cutt.ly/6367HaM
[57] | Erlich V., Les nouveaux étudiants. Un groupe social en mutation, Paris, Armand Colin, 1998.
[58] | Voir Klassen (2022). Op. cit.
[59] | Belgicisme correspondant à une chambre ou petit studio loué à un étudiant·e.
[60] | Maes R., L’impalpable Sugar Baby. La Revue nouvelle,
[61] /2017, p. 2-6 : https://www.cairn.info/revue-nouvelle2017-8-page-2.htm
[62] | Coulon A., Le métier d’étudiant. L’entrée dans la vie universitaire, Paris, PUF, 1997.
[63] | Signifiant littéralement « papa gâteau », désignant une personne offrant de l’argent et/ou des cadeaux en l’échange d’un moment partagé avec une jeune femme ou un jeune homme. Cette situation correspond donc à une forme de prostitution estudiantine (Maes, 2017).
[64] A. PIRRO, « Far right: the significance of an umbrella concept », Nations & Nationalism, volume 29, n° 1, 2023, p. 101-112.
[65] B. BIARD, P. BLAISE, J. FANIEL, C. ISTASSE, C. SÄGESSER, « Les résultats des élections fédérales et européennes du 26 mai 2019 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2433-2434, 2019. 3 Chez Nous, YouTube, 11 août 2021.
[66] Reconquête est un parti politique fondé en avril 2021 par le journaliste, essayiste et chroniqueur Éric Zemmour. Candidat lors de l’élection présidentielle française de 2022, celui-ci réunit 7,1 % des suffrages lors du premier tour, décrochant ainsi la quatrième place.
[67] Fondée en 2012 par Arnaud Delrieux, Alban Ferrari, Guillaume Jannuzzi, Julien Langella, Pierre Larti, Damien Rieu et Benoît Vardon, cette organisation d’extrême droite de type identitaire, anti-immigration et islamophobe se distingue par son activisme militant. Parmi les premières actions de GI, figure l’occupation du chantier de la grande mosquée de Poitiers, le 20 octobre 2012, lors de laquelle sont déployées des banderoles réclamant un référendum sur la construction de mosquées et s’opposant à l’immigration. Le 26 mai 2013, en marge d’une manifestation contre le « mariage pour tous », une vingtaine de membres de GI accèdent au toit du siège du Parti socialiste, à Paris, et y déploient une banderole « Hollande démission ». Bien d’autres actions sont également menées, comme des opérations de blocage de migrants dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Plusieurs d’entre elles donnent lieu à des procès et à des condamnations, notamment à des peines privatives de liberté. En 2019, le quotidien autrichien Der Standard révèle que GI a reçu des dons du terroriste australien d’extrême droite Brenton Tarrant à l’automne 2017, pour un montant total de 2 200 euros (Der Standard, 4 avril 2019, www.derstandard.at). Le 3 mars 2021, le Conseil des ministres français adopte un décret de dissolution à l’encontre de GI. Il est notamment reproché à GI de promouvoir « une idéologie incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination des individus [en] raison de leur origine, de leur race ou de leur religion » et de mobiliser « une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire » (Décret du 3 mars 2021 portant dissolution d’une association, Journal officiel de la République française, 4 mars 2021).
[68] C. MUDDE, Populist radical right parties in Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 19.
[69] Le FN a changé d’appellation pour devenir le RN le 10 mars 2018. À propos de ce parti, cf. B. BIARD, « L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2420-2421, 2019, p. 58-63.
[70] Cadre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 30 septembre 2023.
[71] Cadre local de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 7 novembre 2023. 10 Cadre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 6 octobre 2023.
[72] Initialement utilisée par le Movimento Sociale Italiano (MSI, Mouvement social italien) dès sa fondation en 1946, la flamme tricolore a été reprise par le Front national (FN) français dès 1972, puis par le Front national (FN) belge et plusieurs de ses dissidences à partir de 1985. Le 28 octobre 2010, le tribunal de première instance de Liège a interdit à Salvatore Nicotra – qui essayait de réorganiser le FN belge – d’utiliser le nom du Front national, son sigle et son emblème. Deux ans plus tard, l’avocat de la présidente du FN français, Marine Le Pen, a informé, au cours d’une réunion les rassemblant à Liège, plusieurs dirigeants des différents groupes issus du FN qu’il leur était dorénavant fait interdiction d’encore employer le nom, le sigle et l’emblème du Front national, faute de quoi ils seraient poursuivis en justice. L’interdiction faite fin 2010 à S. Nicotra a donc alors été étendue à tous. À ce propos, cf. B. BIARD, « L’extrême droite en Europe occidentale (20042019) », op. cit., p. 20-27.
[73] Plusieurs membres et cadres du parti se déclarent toutefois croyants. Certains cadres locaux s’affirment en outre traditionalistes.
[74] J. Munier (interviewé par C. Degreef), Doorbraak, 7 juin 2023.
[75] L’acte de constitution de l’asbl La Ruche du 30 octobre 2020 est reproduit en annexe 1 du présent Courrier hebdomadaire.
[76] Il y a obtenu 261 voix. 16 Il y a obtenu 999 voix.
[77] À la suite d’un désaccord idéologique avec la direction du parti, A.-P. Puget a quitté le PP le 15 décembre 2015. Il regrettait notamment le discours du PP en matière sécuritaire. Siégeant désormais en tant qu’indépendant au Parlement wallon, il a rallié la Droite citoyenne le 1er décembre 2016, avant de la quitter le 24 février 2017. Le 19 avril 2017, il a fondé le mouvement J’Existe, avant de rallier les Listes Destexhe le 27 février 2019. Il a quitté les bancs de l’assemblée parlementaire wallonne à l’issue des élections du 26 mai 2019.
[78] Ex-cadre du parti Chez Nous, interviewé par l’auteur le 10 octobre 2023.
[79] P. Potigny est entrée au Parlement wallon le 24 septembre 2015 en remplacement de Véronique Cornet (élue dans la circonscription de Charleroi et décédée le 14 juillet 2015). 20 J. MUNIER, Conférence de presse, 27 octobre 2021.
[80] Outre les frais classiques inhérents à l’organisation de ce type d’événement, le parti avait prévu d’offrir un pot de miel (dont la valeur est essentiellement symbolique pour le parti) à chaque participant.
[81] Par exemple, Le Soir, 27 octobre 2021 ; Moustique, 27 octobre 2021 ; 7sur7, 27 octobre 2021, www.7sur7.be ; La Voix du Nord, 27 octobre 2021.
[82] Par exemple, L’Écho, 28 octobre 2021.
[83] À ce moment-là, le statut de membre n’est pas encore formalisé au sein du parti.
[84] Certains – qui se verront confier des responsabilités – sont encore mineurs.
[85] B. BIARD, Y. ROGISTER, « À la droite de la droite : longévité et hybridité du mouvement Nation », Radices, volume 3, n° 1, 2023, p. 36-52.
[86] Le 27 octobre 2021, le PNE retransmettait déjà sur un grand écran, à Gilly, la conférence de presse organisée par J. Munier et G. Vanden Bruel.
[87] Celui-ci avait déjà été mis à la disposition du FN, de Nation puis du PNE auparavant.
[88] À l’inverse, d’autres considèrent que ces anciens membres de Nation « se sont recentrés sur pas mal de sujets, ont compris que le militantisme violent n’était pas acceptable dans une démocratie du XXIe siècle et se sont “déradicalisés” » (Cadre local de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 8 novembre 2023). 30 Ex-cadre du parti Chez Nous, interviewé par l’auteur le 10 octobre 2023.
[89] Remarquons que, en tant qu’avocat de M. Le Pen, c’est lui qui, en 2012, avait informé les dirigeants d’extrême droite belge de l’interdiction qui leur était faite d’encore employer le nom, le sigle et l’emblème du Front national (cf. supra).
[90] Front antifasciste Liège 2.0, Facebook, 26 juin 2022. 33 Chez Nous, Facebook, 26 juin 2022.
[91] O’Flaherty Irish Pub, Facebook, 8 février 2023.
[92] À ce propos, cf. J. DOHET, « Quel antifascisme ? L’exemple de Namur antifasciste (1995-2012) », Analyse de l’IHOES, n° 216, 20 décembre 2021, www.ihoes.be. 36 Chez Nous, Facebook, 19 février 2023.
[93] Une cinquantaine selon les antifascistes ; plus d’une centaine selon Chez Nous.
[94] Front antifasciste Liège 2.0, Facebook, 30 mars 2023.
[95] Chez Nous, Facebook, 31 mars 2023.
[96] Chez Nous, Facebook, 5 avril 2023.
[97] Le 26 mars 2023, le parti se réjouit : « Nous sommes 8 500. Merci ». Il écrit : « Chez Nous, le seul parti patriote en Wallonie, est en train de battre tous les records ! Immigration, islamisation, mauvaise gestion, corruption : les Wallons pensent majoritairement qu’il faut dire stop ! Rien de plus normal que le message que nous portons rencontre un écho très positif ! Malgré la censure et les pressions, notre mouvement prend de l’ampleur. En 2024, nous créerons la surprise, grâce à vous » (Chez Nous, Facebook, 26 mars 2023).
[98] Rapidement, la Ville de Mons fait savoir : « Ils n’ont pas demandé d’autorisation et, même si c’était le cas, cela aurait été refusé. La distribution de tracts est interdite en dehors de la période électorale à Mons. Le parti s’expose à une amende administrative » (La Province, 5 juin 2023).
[99] Généralement, ces affichages sont effectués sans avoir obtenu l’autorisation préalable des établissements dans lesquels ils ont lieu.
[100] Plusieurs d’entre eux sont parallèlement actifs au sein du mouvement étudiant Jeunesse patriote fondé en 2023. Ce mouvement semble toutefois peu dynamique depuis l’été de la même année.
[101] Cadre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 30 septembre 2023.
[102] La Grand Poste, Facebook, 12 juillet 2023.
[103] Ibidem. Ce document est reproduit en annexe 2 du présent Courrier hebdomadaire. 48 Front antifasciste Liège 2.0, Facebook, 18 août 2023.
[104] Jeune Nation, « Record battu de honte pour la droite libérale ! », 22 août 2023, www.jeunenation.wordpress.com.
[105] Au moins quatre messages sont adressés aux autorités communales en ce sens, notamment de la part de la CSC et de la FGTB.
[106] Alors que de nombreux militants antifascistes étaient rassemblés à Gilly le 25 janvier 2020 afin d’empêcher la tenue du congrès fondateur du Parti national européen (PNE), une confrontation entre les participants à l’événement, les manifestants et les forces de l’ordre avait eu lieu. La police avait alors déployé un dispositif important (incluant le recours à des sprays lacrymogènes et à une autopompe) pour disperser les manifestants et permettre le déroulement du rassemblement du PNE. Le 15 décembre 2023, la Ville de Charleroi sera condamnée pour le recours à une autopompe à cette occasion.
[107] Conseil d’État, Arrêt n° 257.900, 30 septembre 2023.
[108] Cadre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 2 octobre 2023. 54 Front antifasciste Liège 2.0, Facebook, 1er octobre 2023.
[109] A. DESTEXHE, « “Chez Nous” n’est pas le bienvenu chez nous ! », Pan, 22 octobre 2023.
[110] Une première réunion est annoncée par le parti le 16 novembre 2023.
[111] Chez Nous, Facebook, 12 novembre 2023.
[112] Les affiches apposées indiquent : « La gauche n’a pas le monopole de l’université. Défendez vos idées ! Rejoignez le seul parti patriote en Wallonie ». Dans la foulée, le quotidien La Meuse (du groupe Sudinfo) consacre un article à l’action menée par Chez Nous (cf. La Meuse, 21 novembre 2023).
[113] Un membre du parti qualifie même R. Henn d’« aimant » pour illustrer sa capacité à rassembler autour d’elle (Membre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 10 novembre 2023).
[114] Peu de temps après, le 23 octobre, il annonce sur les réseaux sociaux avoir rallié le Rassemblement démocratique du peuple wallon (RDPW) en vue de la campagne communale de 2024 à Mouscron. En novembre, il indique sur les réseaux sociaux participer à une réunion avec des représentants de Génération Z Benelux afin de « discuter de [leurs] futurs projets pour une Belgique unie et prospère ».
Un membre actif de Chez Nous prend également part à cette réunion. 61 Membre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 10 novembre 2023.
[115] Cadre local de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 27 octobre 2023.
[116] Ce parti ne doit pas être confondu avec l’Avant-garde d’initiative régionaliste (AGIR). Ce dernier était un parti d’extrême droite wallon né en 1989 d’une dissidence du Parti des forces nouvelles (PFN, créé en 1983 et disparu en 1991 par intégration dans le FN) et qui a connu un certain succès électoral en région liégeoise et dans une partie du Hainaut ; il a cessé d’exister en 1996.
[117] Cadre du parti Agir, interviewé par l’auteur le 4 décembre 2023.
[118] Chez Nous, Facebook, 3 décembre 2023.
[119] Cadre local de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 7 novembre 2023.
[120] Le 17 mai 2023, l’asbl Agir a déposé la marque Parti populaire, avec l’ambition de rassembler un ensemble de micro-partis et groupuscules d’extrême droite (comme Agir, Mouscron populaire, le Parti des pensionnés, Pegida Liège, le Rassemblement populaire wallon, Renouveau national, la Résistance et Wallonie libre et sociale) dans la perspective des élections du 9 juin 2024.
[121] Chez Nous, www.cheznous.be.
[122] Progressivement, entre 1984 et 2013, la Communauté française a modifié les appellations des périodes de congé scolaire, les expressions « vacances de Toussaint », « vacances de Noël », « vacances de Carnaval » et « vacances de Pâques » laissant place respectivement à celles de « vacances d’automne », « vacances d’hiver », « vacances de détente » et « vacances de printemps ».
[123] Chez Nous, Programme, p. 5.
[124] Chez Nous, Facebook, 7 mai 2023.
[125] Chez Nous, Facebook, 27 septembre 2022.
[126] Chez Nous, Facebook, 27 novembre 2022. 74 Chez Nous, Facebook, 26 août 2023.
[127] Chez Nous, Facebook, 27 novembre 2022.
[128] Chez Nous, Facebook, 3 août 2023.
[129] Chez Nous, Facebook, 9 avril 2023.
[130] Chez Nous, Facebook, 29 août 2023.
[131] Chez Nous, Facebook, 1er novembre 2022. 80 Chez Nous, Facebook, 18 novembre 2022.
[132] Chez Nous, Facebook, 19 novembre 2022.
[133] Chez Nous, Facebook, 13 septembre 2023.
[134] Chez Nous, Facebook, 20 octobre 2023.
[135] R. CAMUS, Le grand remplacement, Neuilly-sur-Seine, Reinharc, 2011.
[136] Cette expression est empruntée à l’écrivain et homme politique français Aimé Césaire, fondateur et représentant majeur du courant de la négritude.
[137] R. CAMUS, Le changement de peuple, Plieux, chez l’auteur, 2013.
[138] Chez Nous, Facebook, 8 mai 2023. Remarquons que Chez Nous utilise l’expression « théorie du grand remplacement » alors que R. Camus lui-même rejette l’idée selon laquelle il s’agit d’une théorie, considérant que le grand remplacement est plutôt un fait objectivement observable et que le qualifier de « théorie » relève du négationnisme.
[139] EthanChezNous, TikTok, 14 septembre 2023.
[140] Chez Nous, Facebook, 1er décembre 2023.
[141] Chez Nous, Facebook, 17 septembre 2023.
[142] Chez Nous, Programme, p. 7.
[143] Ce pacte a été adopté par la Belgique le 10 décembre 2018 à l’occasion d’une conférence internationale sur la migration. Pour rappel, à l’automne 2018, la N-VA avait fait savoir au Premier ministre, Charles Michel (MR), que son parti refusait que la Belgique approuve ce pacte alors en préparation à l’ONU. La crise politique qui s’en était suivie s’était conclue le 9 décembre par la démission des trois ministres et des deux secrétaires d’État N-VA du gouvernement fédéral.
[144] À propos de cette institution et de son rôle dans la lutte contre l’extrême droite, cf. B. BIARD, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2524-2525, 2021, p. 49-51. 94 Chez Nous, Facebook, 10 mai 2023.
[145] Ainsi, de nombreuses propositions figuraient déjà dans le plan en 70 points « pour la solution du problème des étrangers » publié par le VB en 1992. Celui-ci comprenait entre autres la priorité nationale pour l’attribution de logements sociaux, l’abolition du système de regroupement familial, le refus du droit de vote aux étrangers et la suppression du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR, aujourd’hui Unia). C’est sur la base de ce « plan en 70 points » que trois asbl constitutives du Vlaams Blok ont été condamnées en justice en 2004 pour infraction à la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie (dite loi Moureaux), condamnation qui a incité le Vlaams Blok à se rebaptiser Vlaams Belang.
[146] Chez Nous, Facebook, 23 juin 2022.
[147] Chez Nous, Facebook, 18 juillet 2022.
[148] Chez Nous, Facebook, 30 juillet 2022.
[149] Chez Nous, Facebook, 3 août 2022. 100 Chez Nous, Facebook, 5 août 2022.
[150] Chez Nous, Facebook, 19 septembre 2022.
[151] Chez Nous, Facebook, 18 novembre 2022. Sur l’affiche en question, est représentée une personne voilée.
[152] Chez Nous, Facebook, 24 novembre 2022.
[153] Chez Nous, Facebook, 27 novembre 2022.
[154] Chez Nous, Facebook, 25 juin 2023.
[155] Chez Nous, Facebook, 16 septembre 2023.
[156] Chez Nous, Facebook, 17 septembre 2023.
[157] Chez Nous, Facebook, 26 septembre 2023.
[158] Chez Nous, Facebook, 7 mai 2023.
[159] Chez Nous, Facebook, 8 novembre 2023. 111 Chez Nous, Facebook, 21 octobre 2023.
[160] Ibidem.
[161] Chez Nous, Facebook, 28 octobre 2023.
[162] A. PIRRO, « Far right: the significance of an umbrella concept », op. cit.
[163] M. H. WILLIAMS, The impact of radical right-wing parties in West European democracies, New York, Palgrave MacMillan, 2006.
[164] K. ARZHEIMER, C. C. BERNING, « How the Alternative for Germany (AfD) and their voters veered to the radical right, 2013-2017 », Electoral Studies, n° 60, 2019, www.sciencedirect.com.
[165] Chez Nous, Programme, p. 10.
[166] Ibidem.
[167] J. DE MAILLARD, « Les politiques de sécurité », in O. BORRAZ, V. GUIRAUDON (dir.), Politiques publiques, tome 2 : Changer la société, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2010, p. 57-58.
[168] H.-G. BETZ, « The new politics of resentment: radical right-wing populist parties in Western Europe », Comparative Politics, volume 25, n° 4, 1993, p. 417.
[169] B. BIARD, L’influence (in)visible. Les partis populistes de droite radicale et la fabrique de politiques publiques en démocratie, Bruxelles, Peter Lang, 2021, p. 275.
[170] Ibidem.
[171] Chez Nous, Facebook, 24 juillet 2023.
[172] Sur l’évolution de cette matière en Belgique, cf. B. BIARD, V. LEFEBVE, « La libération conditionnelle : de la “loi Le Jeune” à l’instauration de la peine de sûreté », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2480-2481, 2020.
[173] Chez Nous, Facebook, 13 octobre 2022.
[174] Chez Nous, Facebook, 27 novembre 2022.
[175] Chez Nous, Facebook, 8 mai 2023.
[176] Chez Nous, Facebook, 15 juin 2023.
[177] La fusillade a fait trois victimes (deux morts et un blessé grave), tous de nationalité suédoise. Le mobile en serait la volonté de venger de récents actes de profanation du Coran commis en Suède. 130 Chez Nous, Programme, p. 13.
[178] Chez Nous, Facebook, 2 août 2023.
[179] Chez Nous, Facebook, 26 août 2023.
[180] Chez Nous, Programme, p. 16.
[181] Ibidem. 135 Ibidem.
[182] Chez Nous, Facebook, 24 juillet 2023 ; Chez Nous, Facebook, 18 octobre 2023 ; Chez Nous, Facebook, 20 octobre 2023 ; Chez Nous, Facebook, 26 octobre 2023.
[183] Chez Nous, Facebook, 31 octobre 2023.
[184] Chez Nous, Facebook, 26 octobre 2023.
[185] Chez Nous, Facebook, 26 octobre 2023.
[186] Chez Nous, Facebook, 1er décembre 2023.
[187] Chez Nous, Facebook, 6 juin 2022.
[188] Chez Nous, Facebook, 6 juin 2022.
[189] Chez Nous, Facebook, 4 juin 2022.
[190] Chez Nous, Facebook, 4 juin 2022.
[191] Chez Nous, Facebook, 24 juin 2022.
[192] Chez Nous, Facebook, 3 août 2022.
[193] Chez Nous, Facebook, 1er octobre 2022. 148 Chez Nous, Facebook, 5 octobre 2022.
[194] Chez Nous, Facebook, 14 octobre 2022.
[195] Chez Nous, Facebook, 2 décembre 2022.
[196] Chez Nous, Facebook, 26 septembre 2023.
[197] Chez Nous, Facebook, 27 septembre 2022.
[198] Chez Nous, Facebook, 4 mai 2023 ; Chez Nous, Facebook, 27 septembre 2023.
[199] Chez Nous, Facebook, 24 octobre 2023.
[200] À ce propos, cf. C. FERRIER, « Rex dans l’entre-deux-guerres : discours et communication politique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2571-2572, 2023.
[201] Chez Nous, Facebook, 10 juin 2023.
[202] L. DAUDET, Le pays des parlementeurs, Paris, Flammarion, 1901.
[203] Chez Nous, Facebook, 31 octobre 2023.
[204] Chez Nous, Facebook, 20 novembre 2023.
[205] B. BIARD, R. DANDOY, « Moins de parlement et plus de participation ? Les partis populistes en Belgique et la démocratie (2007-2019) », Populisme, volume 1, n° 1, 2021, p. 7-32.
[206] Chez Nous, Programme, p. 19.
[207] À propos du lien entre extrême droite et climatoscepticisme, cf. notamment K. MÖHLER, G. PIET, E. ZACCAI, « Changement climatique et familles politiques en Europe », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2257, 2015 ; B. FORCHTNER, A. KRONEDER, D. WETZEL, « Being skeptical? Exploring far-right climate-change communication in Germany », Environmental Communication, volume 12, n° 5, 2018, p. 589-604 ; M. LOCKWOOD, « Right-wing populism and the climate change agenda: exploring the linkages », Environmental Politics, volume 27, n° 4, 2018, p. 712-732.
[208] Chez Nous, Programme, p. 19.
[209] Chez Nous, Facebook, 12 septembre 2023.
[210] Ibidem.
[211] Chez Nous, Facebook, 16 juillet 2023.
[212] Chez Nous, Facebook, 29 juillet 2023 ; Chez Nous, Facebook, 12 septembre 2023.
[213] Chez Nous, Facebook, 28 juillet 2023.
[214] Chez Nous, Facebook, 20 novembre 2023.
[215] Certains cadres du parti considèrent qu’il s’agit d’une stratégie afin de rassembler le plus largement possible d’un point de vue militant et électoral. 171 Chez Nous, Facebook, 23 avril 2023.
[216] Chez Nous, Facebook, 29 août 2023.
[217] Chez Nous, Facebook, 1er septembre 2023.
[218] Chez Nous, Facebook, 23 juillet 2023.
[219] Ibidem.
[220] Chez Nous, Facebook, 1er septembre 2023.
[221] Par exemple, en 2023, le président de la N-VA, Bart De Wever, publie un essai dans lequel il propose une analyse de « l’origine du wokisme et [de] ses diverses conséquences néfastes pour la société » : cf. B. DE WEVER, Woke, Gerpinnes, Kennes, 2023, p. 9. En 2023, une conseillère au Centre Jean Gol (CJG, centre d’études du MR), Nadia Geerts, annonce quant à elle la publication d’un ouvrage consacré à l’idéologie woke : cf. N. GEERTS, Woke ! La tyrannie victimaire, Bruxelles, Deville, 2024.
[222] Par exemple, le 8 septembre 2023, il publie sur sa page Facebook le message suivant : « Il fait chaud. Prenez soin de vos animaux ».
[223] Chez Nous, Facebook, 7 août 2023.
[224] Chez Nous, Facebook, 9 août 2023.
[225] Chez Nous, Facebook, 8 novembre 2023.
[226] Chez Nous, Facebook, 9 novembre 2023.
[227] Chez Nous, Facebook, 10 novembre 2023.
[228] J. Munier (interviewé par C. Degreef), Doorbraak, 7 juin 2023.
[229] En réalité, la page Facebook qui a servi de support au parti Chez Nous avait été créée le 15 août 2017, soit bien avant le lancement du parti.
[230] Chez Nous, Facebook, 24 septembre 2021.
[231] À propos du financement des partis politiques, cf. notamment J. FANIEL, M. GÖRANSSON, « Le financement et la comptabilité des partis politiques francophones », Courier hebdomadaire, CRISP, n° 1989-1990, 2008 ; J. SMULDERS, « Le financement et la comptabilité des partis politiques (2008-2013). I. Bases juridiques et partis francophones », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2238-2239, 2014 ; J. SMULDERS, « Le financement et la comptabilité des partis politiques (2008-2013). II. Partis flamands et analyse transversale », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2240-2241, 2014.
[232] Ce média se présente comme « un média indépendant et collaboratif actif à Bruxelles, [qui] inform[e] sur les actualités politiques et gouvernementales en Belgique, [qui] visibilis[e] les collectifs, groupes et personnalités actifs dans les différentes luttes sociales [et qui] diffuse et dénonce les violences policières en Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles ». Cf. www.bruxellesdevie.com.
[233] Bruxelles Dévie, 12 juillet 2023, www.bruxellesdevie.com.
[234] La source de ces données est généralement mentionnée en commentaire, sur Facebook. Souvent, ces données font écho à des chiffres relatés dans les médias.
[235] Chez Nous, Facebook, 3 octobre 2023.
[236] La Libre Belgique, 22 octobre 2023.
[237] Chez Nous, Facebook, 23 octobre 2023.
[238] Chez Nous, Facebook, 21 octobre 2022.
[239] Chez Nous, Facebook, 21 octobre 2022.
[240] B. BIARD, « La galaxie d’extrême droite : retour en force d’une réalité ancienne », Les @nalyses du CRISP en ligne, 1er novembre 2022, www.crisp.be.
[241] B. BIARD, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement », op. cit., p. 5-20.
[242] Repérons néanmoins plusieurs articles de presse en Belgique francophone et en Belgique néerlandophone, mais aussi à l’étranger (essentiellement en France), ainsi qu’un passage de J. Munier sur la chaîne audiovisuelle française en ligne TVLibertés (TVL), classée à l’extrême droite. 199 Chez Nous, Facebook, 22 mai 2023.
[243] Cette manifestation rassemble entre 1 500 (selon la police) et 3 000 (selon le VB) participants.
[244] RTBF, Journal télévisé de 19h30, 29 mai 2023.
[245] En tant que membre de Chez Nous, R. Henn est intervenue brièvement lors de l’émission QR Le Débat diffusée par la RTBF le 8 juin 2022 (cf. supra). Toutefois, son affiliation au parti n’était alors pas connue des journalistes.
[246] Depuis lors, ce nombre continue à progresser, atteignant 15 000 followers le 15 novembre 2023 et 16 000 quelques semaines plus tard.
[247] Parlement de la Communauté française, Commission de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, Compte rendu intégral, n° 84, 6 juin 2023, p. 59-60.
[248] Chez Nous, Facebook, 10 juin 2023.
[249] Par exemple, le 19 novembre 2023, le responsable de la province de Liège du parti Chez Nous écrit à l’éditorialiste de la chaîne de télévision publique régionale bruxelloise BX1, Fabrice Grosfilley, sur Facebook : « La campagne électorale approche à grands pas et nous aimerions que vos auditeurs puissent avoir une large palette de choix politique lors du prochain scrutin. N’hésitez pas à me contacter sur Messenger ou par téléphone » (N. Pozzi, Facebook, 19 novembre 2023).
[250] Chez Nous, Facebook, 6 septembre 2023.
[251] Chez Nous, Facebook, 13 septembre 2023. QR est une émission télévisée produite par la RTBF et présentée par Sacha Daout. Elle traite de sujets d’actualité en présence d’un ou plusieurs invités. Les téléspectateurs sont invités à y participer, notamment à travers des questions posées directement en ligne.
[252] Chez Nous, Facebook, 2 novembre 2023. C’est pas tous les jours dimanche est l’émission d’actualité dominicale de RTL-TVI, animée par Salima Belabbas et Christophe Deborsu.
[253] Le parti indique toutefois que, pour pouvoir bénéficier de ce système, ledit média devra être implanté en Belgique.
[254] Chez Nous, Facebook, 2 décembre 2023.
[255] En Flandre, c’est aussi le cas de Schild & Vrienden. À ce propos, cf. B. BIARD, S. GOVAERT, « Schild & Vrienden », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2566-2567, 2023.
[256] B. BIARD, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement », op. cit., p. 6-10.
[257] L. KNOPS, B. DE CLEEN, « The radical right versus the media: from media critique to claims of (mis)representation », Politics and Governance, volume 7, n° 3, 2019, p. 165-178.
[258] À propos de l’action de ces mouvements dans un tel cadre, cf. B. BIARD, « La lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement », op. cit., p. 21-51 ; J. DOHET, Dis, c’est quoi l’antifascisme ?, Waterloo, Renaissance du livre, 2022.
[259] Se sont abstenus les conseillers communaux suivants : Jean-Noël Gillard (Défi), Nicolas Kramvoussanos (indépendant, élu sur la liste Défi) et Nicolas Tzanetatos (MR). Les autres élus du MR ont voté en faveur de la motion.
[260] Lors de son intervention au conseil communal, S. Vause précise : « Un collectif citoyen est en cours de création. Ce n’est pas un collectif qui est encore bien constitué, donc ce n’est pas aujourd’hui en son nom que je parle ; c’est bien en tant que citoyen. Mais de nombreux membres de ce collectif sont bien entendu présents et soutiennent cette interpellation ».
[261] Ce groupe politique rassemble les représentants locaux d’Écolo, ainsi que des représentants du Mouvement Demain.
[262] Relevons toutefois que, à l’issue des débats, le groupe Vert Ardent accepte d’ôter de la motion la disposition demandant la réintroduction de la journée du 8 mai comme jour férié. Ce retrait est particulièrement critiqué par le Front antifasciste Liège 2.0. À ce propos, cf. Front antifasciste Liège 2.0, « Réaction à la motion “Liège, ville antifasciste” », 26 mai 2023, www.liege.antifascisme.be.
[263] Jugeant le texte trop restrictif et souhaitant l’étendre aux formations d’extrême gauche, le groupe Mons en Mieux (dirigé par le président du MR, Georges-Louis Bouchez) décide de s’abstenir, tandis que les autres groupes votent en faveur du texte.
[264] Les conseillers libéraux (MR) ainsi que le conseiller indépendant Jonathan Christiaens refusent de prendre part au vote, tandis que tous les autres se prononcent en faveur du texte.
[265] Dans le parti, certains vont jusqu’à qualifier les lettres F et N de « lettres magiques ».
[266] C’était alors la première fois que le VB déposait une liste dans chacune des circonscriptions électorales wallonnes sous son nom propre. Toutefois, les listes ne comportaient qu’un seul candidat effectif et les candidats proposés par le VB ne semblaient pas domiciliés en Wallonie. Par ailleurs, le parti avait d’emblée annoncé qu’il n’avait pas l’intention de consacrer des moyens à la campagne dans cette région. Le VB justifiait le dépôt de listes en Wallonie par sa volonté de dénoncer le fait que les électeurs francophones des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise ont encore la possibilité de voter pour des partis francophones à Bruxelles. En outre, sa démarche était également motivée par sa volonté de grappiller des voix lui permettant d’augmenter le montant de sa dotation fédérale ; en 2023, chaque voix ainsi récoltée en 2019 lui a rapporté 4,92 euros, soit un total, pour la Wallonie, de 88 938,84 euros. Cf. B. BIARD, P. BLAISE, J. FANIEL, C. ISTASSE, C. SÄGESSER, « Les résultats des élections fédérales et européennes du 26 mai 2019 », op. cit., p. 25-26.
[267] B. BIARD, « L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019) », op. cit., p. 84-88.
[268] Chez Nous, Facebook, 17 octobre 2022.
[269] À l’inverse de nombreux partis d’extrême droite européens, l’AfD semble emprunter le chemin de la radicalisation (et non de la dédiabolisation). À titre d’exemple, durant l’été 2023, le leader du parti en Thuringe, Björn Höcke, a été renvoyé devant la justice pour avoir utilisé une formule inspirée d’un slogan nazi lors d’un meeting électoral. À propos de ce parti, cf. B. BIARD, « L’extrême droite en Europe occidentale (2004-2019) », op. cit., p. 7-13.
[270] Chez Nous, Facebook, 14 juin 2022.
[271] Chez Nous, Facebook, 24 juillet 2023.
[272] Pourtant, s’il confirme certes son ancrage dans le paysage partisan espagnol, Vox enregistre un important ressac électoral lors de ce scrutin, passant de 15,1 % à 12,4 % et perdant 19 sièges au Congreso de los Diputados.
[273] Chez Nous, Facebook, 24 juillet 2023.
[274] Chez Nous, Facebook, 24 août 2023.
[275] Chez Nous, Facebook, 16 novembre 2023.
[276] À propos de l’extrême droite en tant que « concept parapluie » et ses variantes (populisme de droite radicale et extrémisme de droite), cf. C. MUDDE, The far right today, Cambridge, Polity Press, 2019 ; A. PIRRO, « Far right: the significance of an umbrella concept », op. cit.
[277] Cadre de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 30 septembre 2023.
[278] Fondé en France en octobre 2019, le collectif Némésis se présente comme un collectif « féministe, identitaire et anticonformiste ». Il s’articule autour d’un triple objectif : la dénonciation des violences faites aux femmes, la dénonciation de l’impact – jugé dangereux – de l’immigration dite de masse pour les femmes occidentales, et la promotion de la civilisation européenne comme berceau de l’épanouissement des femmes. 236 Chez Nous, Facebook, 30 mars 2023.
[279] Chez Nous, Facebook, 6 septembre 2023.
[280] À son propos, cf. B. BIARD, S. GOVAERT, « Schild & Vrienden », op. cit.
[281] B. BIARD, « Extrême droite : de la conquête des esprits à celle du pouvoir », Les @nalyses du CRISP en ligne, 24 novembre 2021, www.crisp.be.
[282] B. BIARD, Y. ROGISTER, « À la droite de la droite : longévité et hybridité du mouvement Nation », op. cit. 241 Nation, 29 septembre 2023, www.nation.be.
[283] Au début du mois de septembre 2019, La Droite et d’anciens membres du PP ont annoncé qu’ils avaient décidé de s’unir pour créer un nouveau parti : la Droite populaire. La dépêche Belga relatant la nouvelle indique : « Se définissant comme libéral-conservateur, le nouveau parti entend se focaliser surtout sur des thèmes socio-économiques, plutôt que faire campagne sur les questions identitaires. “Ce qui préoccupe le Wallon, c’est son pouvoir d’achat, sa sécurité, la date de sa pension”, analyse André Antoine, secrétaire général et porte-parole du nouveau parti. “Nous n’aurons donc pas de ligne dure sur l’islam ou l’immigration. Nous ne souhaitons pas monter les gens les uns contre les autres et prôner la haine. Ça, c’est pour l’extrême droite”. Dans cette optique, la formation a dès lors décidé de centrer son programme politique sur la rationalisation des institutions et de leur personnel (suppression du Sénat, des Communautés et des provinces notamment), la neutralité de l’État, la réduction “drastique” des dépenses publiques pour pouvoir baisser les impôts, une pension minimale à 1 450 euros mensuels dès 65 ans et la fin du “matraquage fiscal” des automobilistes notamment. En matière d’immigration et d’asile, le nouveau parti se borne à préconiser une “politique stricte”, mais sans beaucoup plus de détails » (Belga, 3 septembre 2019).
[284] Les Listes Destexhe – fondées en 2019 par le député fédéral sortant A. Destexhe, à la suite de son départ du MR – ont changé de nom pour devenir les Libéraux démocrates (LD) le 20 juin 2019, après l’échec électoral rencontré quelques semaines plus tôt.
[285] Dans une lettre d’information électronique diffusée le 24 octobre 2023, le président de la Droite populaire, Aldo-Michel Mungo, indique que le bureau politique du parti a mis à jour le manifeste et les priorités du parti en vue des élections du 9 juin 2024 et que la confection des listes électorales se poursuit. De leur côté, les Libéraux démocrates précisent sur leur page web qu’ils « préparent les élections cruciales de juin 2024 », ajoutant : « Tous nos candidats se sont engagés à œuvrer exclusivement pour l’intérêt général et ont renoncé à faire carrière en politique ».
[286] J. Munier (interviewé par C. Degreef), Doorbraak, 7 juin 2023.
[287] Celle-ci est mesurée par l’écart entre le nombre d’électeurs inscrits et le nombre de votes valablement exprimés.
[288] B. BIARD, P. BLAISE, J. FANIEL, C. ISTASSE, C. SÄGESSER, « Les résultats des élections fédérales et européennes du 26 mai 2019 », op. cit.
[289] J.-M. LAFLEUR, A. MARFOUK, Pourquoi l’immigration ? 21 questions que se posent les Belges sur les migrations internationales au XXIe siècle, Louvain-la-Neuve, Academia L’Harmattan, 2017.
[290] Cadre local de Chez Nous, interviewé par l’auteur le 8 novembre 2023.
Analyse 2024 – Quand l’extrême droite surfe sur la vague féministe
Analyse rédigée par Florence Vierendeel
Slovaquie, Finlande, Italie, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, France, … partout en Europe, l’extrême droite gagne du terrain terrain. Aujourd’hui, ce succès interroge mais surtout inquiète de nombreuses·eux actrices·teurs de la société civile, dont les associations féministes . Les dangers sont nombreux tant le projet politique de ces partis s’oppose aux principes qui fondent notre démocratie. Et pourtant, leurs discours populistes attirent les électrices·teurs qui, confronté·e·s à un contexte anxiogène et en quête de messages rassurants (même si réducteurs et mensongers), se détournent des partis « traditionnels ». Et pour récolter un maximum de voix, ces figures politiques sont prêtes à tout, même à s’approprier d es combats militants qu’elles sont en réalité loin de défendre . C’est le cas, par exemple, de lutte contre les violences faites aux femmes. Mais ne nous méprenons pas… Les partis d’extrême droite n’ont rien de féministe. Au contraire, ceux-ci cherchent à discréditer toutes les avancées en faveur des minorités, notamment en développant un argumentaire mensonger basé sur ce qu’elles·ils appellent le « wokisme ». Mais alors, comment les contrer ?
Cette analyse d’éducation permanente se propose de décortiquer les stratégies de récupération adoptées par l’extrême droite pour (re)dorer son image et conquérir de nouveaux publics féminins. Elle vise à comprendre les mécanismes mis en oeuvre par ces partis pour être en mesure de les combattre, que ce soit philosophiquement ou sur le terrain. Parce qu’une fois démasquées, ces personnalités exposent leur vrai visage, portant une vision archaïque de la société où les femmes sont reléguées à l’intérieur des foyers. Et face à ces attaques, nul doute que les mouvements féministes disposent de nombreuses cartouches pour répliquer.
Florence Vierendeel, « Quand l’extrême droite surfe sur la vague féministe », analyse Soralia 2024, URL : https://www.soralia.be/accueil/analyse-2024-quand-lextreme-droite-surfe-sur-la-vague-feministe
Analyse 2024 Quand l’extrême droite surfe sur la vague féministe VIERENDEEL Florence Chargée d’études et de communication politique Soralia florence.vierendeel@solidaris.be Photo : Post sur X du compte officiel du Rassemblement National publié le 8 mars. Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site : www.soralia.be/publications Sous licence Creative Commons Éditrice responsable : Noémie Van Erps, Place St-Jean, 1-2, 1000 Bruxelles. 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Et pourtant, leurs discours populistes attirent les électrices·teurs qui, confronté·e·s à un contexte anxiogène et en quête de messages rassurants (même si réducteurs et mensongers), se détournent des partis « traditionnels » 2 . Et pour récolter un maximum de voix, ces figures politiques sont prêtes à tout, même à s’approprier des combats militants qu’elles sont en réalité loin de défendre. C’est le cas, par exemple, de lutte contre les violences faites aux femmes. Mais ne nous méprenons pas… Les partis d’extrême droite n’ont rien de féministe. Au contraire, ceux-ci cherchent à discréditer toutes les avancées en faveur des minorités, notamment en développant un argumentaire mensonger basé sur ce qu’elles·ils appellent le « wokisme ». Mais alors, comment les contrer ? Cette analyse d’éducation permanente se propose de décortiquer les stratégies de récupération adoptées par l’extrême droite pour (re)dorer son image et conquérir de nouveaux publics féminins. Elle vise à comprendre les mécanismes mis en œuvre par ces partis pour être en mesure de les combattre, que ce soit philosophiquement ou sur le terrain. Parce qu’une fois démasquées, ces personnalités exposent leur vrai visage, portant une vision archaïque de la société, où les femmes sont reléguées à l’intérieur des foyers. Et face à ces attaques, nul doute que les mouvements féministes disposent de nombreuses cartouches pour répliquer ! QUAND L’EXTRÊME DROITE SURFE SUR LA VAGUE FÉMINISTE La montée de l’extrême droite en Europe se traduit aujourd’hui par l’élargissement tant de leur base électorale que de leur présence médiatique et numérique. Ce phénomène est lié à une stratégie efficace de lissage de leurs discours. Ces partis ont aujourd’hui pour objectif de convaincre la population qu’ils sont en mesure de gouverner, de prendre des décisions réfléchies et de traiter d’une diversité de sujets, au-delà de la question de l’immigration3 . Grâce à ce changement de cap, leur normalisation, et donc leur légitimation, est de plus en plus prégnante dans notre société. Cette modification de leur image auprès du public est le fruit de plusieurs méthodes, dont le rajeunissement et la féminisation de leurs figures politiques4 . Tom Van Grieken, leader du Vlaams Belang, 37 ans, s’entoure d’une équipe de la même génération. Dries Van Langenhove, fondateur du mouvement de jeunesse nationaliste flamand Schild & Vrienden, vient de fêter ses 31 ans cette année. Tandis que Marine Le Pen incarne, aujourd’hui en 1 TOBELEM Boran, « Quels sont les pays d’Europe gouvernés par l’extrême droite ? », Toute l’Europe, 04/07/2024, https://urlz.fr/sy55, consulté le 08/10/2024. 2 VIERENDEEL Florence, « Extrême droite et atteintes à la démocratie : pour un réveil politique et citoyen », Étude FPS, 2021, https://urlz.fr/sy5i, consulté le 08/10/2024. 3 BIARD Benjamin, « Extrême droite : “La stratégie de lissage du discours pour accéder au pouvoir fonctionne” », Les Analyses du CRISP en ligne, 01/11/2019, https://urlz.fr/ncdX, consulté le 08/10/2024. 4 Ibid. 3 France, le Rassemblement National, aux côtés du jeune Jordan Bardella, et que Giorgia Meloni s’est hissée au poste de première ministre italienne, avec sa formation Frères d’Italie. Leur cible : un électorat masculin, jeune et peu diplômé5 , mais pas que… Pour ces partis qui, aujourd’hui, rêvent de gouverner, la conquête de l’électorat féminin, qui pendant longtemps ne leur a pas accordé ses faveurs6 , est pratiquement indispensable. Et quoi de mieux que de surfer sur la vague de l’égalité des genres et du mouvement #MeToo pour tenter de grapiller un maximum de votes ? Le phénomène est pour le moment plutôt observable en France, mais la Belgique n’est pas si loin ! Dans l’hexagone, de plus en plus de femmes d’extrême droite7 s’affichent, notamment sur les réseaux sociaux, pour défendre des positionnements réactionnaires. Ces influenceuses politiques des temps modernes, qui combinent une carrière professionnelle à l’éducation de leurs enfants, se réapproprient un vocabulaire féministe pour véhiculer des messages centrés sur les valeurs familiales les plus conservatrices8 . Pour elles, la société actuelle leur demande de tout assumer, ce qui est ingérable. Mais plutôt que de s’attaquer aux racines du problème (comme la répartition inégale des tâches domestiques entre les femmes et les hommes), celles-ci proposent un retour des femmes au foyer. Cette instrumentalisation s’exprime également à travers la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est, par exemple, la stratégie adoptée par le collectif Némésis, composé de jeunes militantes âgées de 18 à 30 ans et créé à la suite de #MeToo 9 . Et même si ces dernières ne soutiennent pas explicitement l’une ou l’autre formation politique, leurs discours se rapprochent fortement de ceux de l’extrême droite… Pour s’insérer dans le débat, ces mouvements vont centrer leur combat autour d’une revendication prioritaire : défendre la « femme blanche européenne ». Selon ces militantes, l’ennemi numéro 1 à abattre est « l’immigré violeur », très souvent musulman, qui symbolise, à lui seul, les violences perpétuées à l’égard des femmes. Cette récupération n’a rien d’étonnant puisque l’extrême droite tente, par tous les moyens, d’alimenter le sentiment d’insécurité de la population, ce qui lui offre une excuse pour rejeter l’islam et diffuser sa théorie du grand remplacement10 . L’affirmation est évidemment erronée puisque toutes les études le démontrent : il n’y a pas d’agresseur type. Les rapports de domination sont à l’œuvre partout et touchent tout le monde. De ce raisonnement émane un discours plus global, opposant la civilisation occidentale, « laïque et émancipée » au monde arabo-musulman, « patricial, intégriste et archaïque ». La supériorité du peuple blanc et européen est revendiquée, face à des hommes étrangers nécessairement fanatiques et violents qui ne partagent pas « nos » valeurs et dont les femmes sont des victimes. Le port du voile cristallise cet essentialisme culturel : la femme 5 BIARD Benjamin, « Extrême droite : …, op. cit. 6 PONCIAU Ludivine, « Elections françaises : pourquoi tant de femmes roulent pour l’extrême droite ? », Le Vif, 07/03/2022, https://urlz.fr/nWLZ, consulté le 08/10/2024. 7 Telles que Thais d’Escufon ou Estelle Redpill. 8 PONCIAU Ludivine, « Elections françaises : …, op. cit. 9 DASINIERES Laure, « Les petits secrets du Collectif Némésis, ces Femen d’extrême droite », Slate, 19/02/2021, https://urlz.fr/sy5X, consulté le 08/10/2024. 10 Théorie qui prône que l’immigration massive et la fécondité plus forte des personnes immigrées non-européennes entrainerait à brève échéance une minorisation des populations d’origine, c’est-à-dire blanches et chrétiennes. La nouvelle majorité imposerait sa religion, sa culture et son mode de vie aux Européen·ne·s. 4 musulmane qui revêt le foulard est nécessairement soumise et opprimée et doit être libérée de ses chaînes. La lutte pour l’égalité est donc un prétexte idéal pour alimenter et renforcer cet antagonisme entre le « nous », le bien, l’acceptable, le modèle à suivre et les « autres » 11 . Comme si cette lutte n’avait plus lieu d’être en Europe… Ce type de logique relève de ce que nomme la sociologue anglaise Sara R. Farris le « fémonationalisme ». Ce terme désigne l’ensemble des discours qui appellent à des mesures xénophobes et/ou islamophobes pour garantir l’égalité des genres, dans une société occidentale où l’État est présenté comme irréprochable sur la question12 . Les partis d’extrême droite se proclament aussi comme étant les seuls à s’attaquer à l’intégrisme religieux « qui gangrène nos sociétés ». Cette stratégie est judicieuse car les forces de gauche restent frileuses sur la question, tant la crispation est palpable autour de la notion d’identité en raison de son ancrage dans les combats militants actuels13 . Concept théorisé dans les années 70 dans un contexte de décolonialisme, l’identité a par après été récupérée par l’extrême droite pour propager son nationalisme démesuré et dominer la scène publique sur ce type d’enjeux de société14 . Ainsi, leur critique, parfois nécessaire, des dérives religieuses, se mêle systématiquement à des propos tout à fait racistes, de plus en plus banalisés15 . En cause ? Un alignement de la droite « traditionnelle » sur cette vision plus que problématique mais aussi un féminisme universaliste de gauche en crise qui peine à se positionner sur les questions de laïcité sans tomber dans la stigmatisation et la discrimination…16 En conclusion, de plus en plus de personnalités d’extrême droite présentent une image nuancée, en dénonçant le sexisme et en abordant des thématiques à priori sociales, pour mieux s’attaquer à l’islam et à l’immigration et assoir un État sécuritaire. Cette métamorphose s’opère, en partie, sur base d’une récupération insidieuse des combats féministes. Ce phénomène démontre toutefois l’importance de ces enjeux dans notre société actuelle, comme rarement auparavant17 . Mais si ces partis adoptent de tels discours, c’est qu’ils ont quelque chose à y gagner18, et cela n’a rien de réjouissant, surtout lorsqu’on s’intéresse de plus près à leur projet politique… 11 COTTAIS Camille, « Féminisation et montée de l’extrême droite en Europe : le cas de la France », Grow Think Tank, 25/07/2022, https://urlz.fr/nWMk, consulté le 08/10/2024. 12 BADER Dina, « Sara R. Farris : In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 37, 2018, https://urlz.fr/sy88, consulté le 08/10/2024. 13 Pour plus d’informations : VIERENDEEL Florence, « Militance et convergences des luttes », Étude Soralia, 2023, https://urlz.fr/sy8h, consulté le 08/10/2024. 14 FRANCOIS Stéphane, « Comment l’extrême droite s’est réapproprié le féminisme », Slate, 11/06/2021, https://urlz.fr/nWMa, consulté le 08/10/2024. 15 DAUSSY Laure, « Quand le féminisme est récupéré par l’extrême droite : le collectif Némésis », Charlie Hebdo, 24/03/2021, https://urlz.fr/sy8v, consulté le 08/10/2024. 16 FRANCOIS Stéphane, « Comment l’extrême droite…, op. cit. 17 LAVELLE Victoria, « Comment l’extrême droite récupère le féminisme », Celles qui osent, 16/09/2021, https://urlz.fr/sy8E, consulté le 08/10/2024. 18 BADER Dina, « Sara R. Farris : …, op. cit. 5 LEUR VRAI VISAGE : UNE VISION ULTRA-CONSERVATRICE DE LA FAMILLE Loin de soutenir l’émancipation des femmes, l’extrême droite cache dans son programme un projet archaïque, qui détricote toute une série d’acquis progressistes (comme, par exemple, l’émancipation des femmes à travers l’accès à l’emploi). Si l’image de ces partis s’est modernisée, leur permettant de gagner en légitimité, leurs aspirations n’ont clairement pas évolué. Comme nous l’avons vu, leur idéologie se fonde, encore et toujours, sur la croyance en une inégalité immuable entre les peuples, les cultures, les races19 et les civilisations. Cette conviction intrinsèque implique une naturalisation des rapports sociaux20. En d’autres termes, pour elles·eux, les rôles et les comportements que nous adoptons découlent d’une nature humaine inaltérable, et non pas d’une socialisation ancrée dans un contexte culturel, historique, social et politique. Sur base de ce cadre de pensées, ces partis ont développé une théorisation de l’identité nationale, comme entité supérieure qui doit être protégée et maintenue coûte que coûte. C’est pourquoi la famille est un axe prioritaire dans leur programme, puisqu’elle permet de reproduire cette identité unique et les valeurs et les traditions qui l’entourent, à travers une progéniture servile. Pour justifier cette configuration traditionnelle, l’extrême droite revendique l’existence d’identités féminine et masculine distinctes, qui remplissent chacune un rôle précis. La figure de la mère est essentielle, puisqu’elle seule peut enfanter et, par là même, prendre soin des bambins et leur transmettre l’héritage culturel. Elle agit dans la sphère privée tandis que le père, lui, travaille, ramène l’argent et a autorité sur la cellule familiale. Femmes et hommes sont considéré·e·s comme complémentaires par nature et chacun·e doit rester à sa place, sans se poser de questions, en faveur d’une société ultra-normée. La famille doit être nombreuse, blanche et organisée autour d’un couple hétérosexuel, idéalement uni par les liens du mariage.21 Ce discours, aussi radical et aberrant qu’il puisse paraître, est pourtant bien réel et tout à fait dangereux. Cette vision binaire enferme tant les femmes que les hommes dans des rôles contraignants qui les ramènent à une fonction spécifique soi-disant liée à leur sexe (et au genre qui par extension leur a été assigné). Elle passe totalement sous silence la construction sociale qui s’opère à travers l’assignation de stéréotypes. Plus particulièrement, elle renvoie les femmes à leur capacité biologique à procréer, dans une position de dépendance à leur mari à travers leur retour au foyer. Ce modèle exclut bien sûr toute configuration familiale qui sort du cadre établi, comme les couples homosexuels, ceux qui entretiennent des modes de vie qui ne sont pas centrés sur la reproduction, mais aussi toute personne dont l’appartenance ethnique et/ou culturelle diffère. 19 La notion de « race » a, originellement, été utilisée pour catégoriser les êtres humains sur base de caractéristiques physiques et/ou culturelles, de manière tout à fait erronée. Aujourd’hui, certains milieux militants se revendiquent en tant que « groupe racisé » (réappropriation du terme) afin de visibiliser les discriminations dont elles·ils sont victimes dans la société sur base de cette supposée « race », qui, elles, sont bien réelles et ne peuvent être passées sous silence. 20 LEONARD Juliette, « Féminisation de l’extrême droite. La comprendre pour mieux la combattre ? », Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, décembre 2022, https://urlz.fr/nWMG, consulté le 08/10/2024. 21 Ibid. 6 Méfions-nous, donc, lorsque l’extrême droite propose d’allonger le congé de maternité, d’augmenter les allocations familiales ou de mettre en place toute forme de politique nataliste. Ces partis ne le font pas par bonté de cœur mais plutôt pour pousser notre société vers un retour en arrière profondément inquiétant pour les femmes. Ces partis n’ont absolument jamais questionné le patriarcat en tant que système de domination. Au contraire, cette organisation sociale sert et renforce leur projet sexiste, raciste et LGBTQIA+phobe. LEUR CONTRE-ATTAQUE : LA MENACE DU « WOKISME » Pour promouvoir ce modèle de société antiprogressiste, les figures de l’extrême droite n’hésitent pas à user d’arguments démagogiques, mensongers et réducteurs qui nient les réalités et les inégalités sociales. Leur objectif : diviser pour mieux régner ! Une technique vieille comme le monde qui continue à porter ses fruits, à travers l’ostracisation22 des personnes militantes qui luttent pour une société plus solidaire et inclusive. Puisque le féminisme cherche à bouleverser l’ordre établi et à remettre en question toute forme d’essentialisme et d’injonctions genrées, ce courant, tout comme tous ceux qui dénoncent les rapports de domination, est une menace pour l’extrême droite. Ces partis vont donc tenter de discréditer et de ridiculiser un maximum les militant·e·s qui défendent ces causes, pourtant porteuses d’émancipation pour tou·te·s. Leur stratégie est, comme toujours, d’alimenter la peur face à l’inconnu, de capitaliser sur la résistance au changement et de polariser l’opinion publique, en dominant le débat avec leur raisonnement simpliste et vide de sens. Pour y parvenir, l’extrême droite va se réapproprier des termes engagés pour les détourner à leur avantage. Si hier, leurs foudres s’abattaient sur les « islamo-gauchistes » et la « cancel culture », aujourd’hui, leur obsession tourne autour d’un concept à la mode et utilisé à toutes les sauces : le « wokisme » 23 . Présenté par ses détracteurs comme une idéologie, le « wokisme » ne repose en réalité sur aucun fondement théorique. Le mot, dérivé d’une expression anglaise née dans les communautés afro-américaines dès la première moitié du 19ème siècle24 , vise à créer une panique morale autour d’un « mouvement militant » pourtant extrêmement hétérogène et qui ne se définit pas comme tel. Si le « wokisme » n’existe pas, la polémique est quant à elle bien réelle. Et toute panique morale revêt les mêmes caractéristiques : volatile, elle se fonde sur la caricature et l’exagération pour susciter l’inquiétude et une forme d’hostilité menant à la diabolisation25 . Stratégique, elle appelle aux émotions et à la confusion plutôt qu’à la réflexion et à l’esprit critique. L’histoire démontre que celle-ci cèdera sa place à une autre, d’autant plus vite à l’ère des réseaux sociaux26 . 22 Fait de bannir/exclure quelqu’un·e/un groupe. 23 Pour plus d’informations : VOILLOT Elise, « Wokisme : personnae non gratae », Analyse Soralia, 2023, https://urlz.fr/t8Mb , consulté le 08/10/2024. 24 « Stay woke » (« reste éveillé·e » face aux discriminations, à l’époque, auxquelles les personnes noires sont confrontées). 25 ROBERT July, « Le wokisme, la nouvelle panique morale à la mode », La Revue Nouvelle, n°8, 2022, https://urlz.fr/sy93, consulté le 08/10/2024. 26 Ibid. 7 Invention éphémère, le « wokisme » est, comme l’indique le criminologue Christophe Mincke, utilisé pour « faire taire certains courants critiques » 27 . Une forme de censure évidente, alimentée par les campagnes « anti-genre ». Comme le démontre une étude menée par David Paternotte, ces lobbys qui estiment que le genre est une pure théorie fabulatrice, au départ religieux, s’immiscent de plus en plus dans les gouvernements européens de droite et d’extrême droite (Hongrie, Bulgarie, etc.), qui n’hésitent pas, par exemple, à proscrire la diffusion de certaines œuvres littéraires ou cinématographiques28. Les autrices·teurs précisent que les débats sur le « wokisme » ont permis la propagation de cette vague « antigenre » et que ce phénomène s’observe aussi en Belgique, notamment avec le Vlaams Belang29 . Le « wokisme » est donc l’affaire d’une élite politique et médiatique qui, depuis sa position dominante, organise une riposte par crainte de perdre ses privilèges et tente de maîtriser l’opinion publique. Cette élite s’affiche dès lors en grande sauveuse de la civilisation occidentale face à des groupes soi-disant radicaux, perturbateurs et dangereux… Mais ce discours ne vous rappelle-t-il pas étrangement notre chapitre précédent, détaillant l’idéologie portée par l’extrême droite ? Bien sûr que si ! Comme l’écrit le journaliste Thomas Legrand, « dans la grande tradition de l’extrême droite, toujours avide de bataille civilisationnelle, le plus efficace et le moins risqué, c’est d’inventer un péril, désigner des ennemis de l’intérieur (en plus de ceux évidents de l’extérieur) » 30 . D’autant plus que, si les personnes qualifiées de « wokistes » sont loin de menacer notre humanité, elles représentent bel et bien un danger pour le projet extrémiste de ces partis politiques puisqu’elles le déconstruisent de but en blanc ! Le problème est que cette nouvelle chasse aux sorcières est aussi le fait de la droite traditionnelle et qu’elle s’inscrit dans un système qui l’encourage : le capitalisme. LEUR ALLIÉ PRIVILÉGIÉ : LE CAPITALISME Si l’extrême droite est en pleine ascension, c’est également parce qu’une partie du patronat s’organise pour lui frayer un chemin au sommet de notre pyramide sociale. Actifs dans les secteurs de la finance, des énergies fossiles, des technologies ou des médias, ces grands patrons entretiennent, sans surprise, des liens étroits avec une fraction politique qui est favorable à leurs intérêts : la droite, et aujourd’hui, de plus en plus, l’extrême droite31 . Selon le sociologue Ugo Palheta, « c’est le triomphe du capitalisme, qui suite à une série de régressions sociales majeures, a permis la renaissance de l’extrême droite » 32 . En accordant de plus en plus de pouvoir à la bourgeoisie et aux détentrices·teurs de capital, ce régime 27 Ibid. 28 BUISSON Marine, « Les lobbys anti-genre sont de plus en plus puissants en Belgique », Le Soir, 30/09/2024, https://urlz.fr/sy9i, consulté le 08/10/2024. 29 Ibid. 30 LEGRAND Thomas, « La mystification du combat antiwoke de l’extrême droite », Libération, 10/05/2023, https://urlz.fr/sy9z, consulté le 08/10/2024. 31 BOURGERON Théo, « Finance, énergies fossiles, tech : ce patronat qui soutient l’extrême droite par intérêt », AOC média, 05/07/2024, https://urlz.fr/sy9N, consulté le 08/10/2024. 32 « Le capitalisme a permis la renaissance de l’extrême droite », RTBF, 13/11/2018, https://urlz.fr/sy9Y, consulté le 08/10/2024. 8 économique a bouleversé les équilibres politiques et sociaux33. Aujourd’hui, cet élite peine à légitimer sa domination auprès de la population, qui se sent dépossédée de ses capacités démocratiques. Ce qui ouvre une faille, dans laquelle s’engouffre l’extrême droite34 . Cette démocratie vacillante s’accompagne d’une peur chez les plus nanti∙e∙s d’un repartage « forcé » de leurs richesses. Ce qui les pousse à être partisan·e·s d’un modèle de société beaucoup plus autoritaire, cadenassant toute possibilité de résistance (ou de révolution !), dans lequel leur position serait maintenue et même optimisée. Notons que si « les partis fascistes du début du XXe siècle ont […] trouvé un terreau favorable dans les classes populaires et la petite bourgeoisie, […] ils n’ont connu d’essor que lorsqu’ils ont rencontré les intérêts de groupes dominants » 35 . Ces partis adaptent dès lors leur programme pour proposer des mesures ciblées qui conviennent aux grandes entreprises, moyen efficace d’accéder au pouvoir dans un monde gouverné par le capital. L’extrême droite adopte donc une stratégie qui ne vise pas uniquement les classes populaires ou les couches moyennes mais aussi les franges qui dominent économiquement notre société. En s’affichant, pour les premières, comme une force politique disruptive, pour les secondes, comme défenseuse de l’ordre établi, elle joue sur plusieurs tableaux, et en récolte, à ce jour, des bénéfices non-négligeables en termes d’ascension et de résultats électoraux. Toujours est-il qu’une fois à la tête de l’Etat, ce ne sont clairement pas les intérêts des premières qui priment. Les plus puissant·e·s de ce monde continuent donc bel et bien à tirer les ficelles et à se moquer de la population, qui malheureusement tombe souvent dans leurs filets. CONCLUSION : LES MOUVEMENTS FÉMINISTES, UN REMPART FACE À L’EXTRÊME DROITE L’extrême droite regroupe des partis politiques qui, selon la direction du vent, ajustent leurs discours et s’approprient les enjeux actuels pour influencer les masses au niveau international. En jouant sur la peur du déclin, dans un contexte d’instabilité et de perturbations majeures, leur succès s’accroit. En Europe, mais globalement partout dans le monde, leurs idées se propagent de plus en plus dans les parlements, mais aussi dans les gouvernements. Ces extrémistes, autrefois pestiférés, créent maintenant des alliances jugées acceptables, notamment avec la droite (qu’elles·ils contaminent de plus en plus), sur base de grands combats communs, pourtant imaginaires et dérisoires : l’immigration, la menace « wokiste », la transphobie ambiante ou encore la perte de vitesse démocratique dont la résorption se règlerait, soi-disant, à travers l’émergence de figures politiques prétendument « radicales et de rupture ». Mais, ne nous trompons pas d’ennemi. Leur projet, fondé sur un modèle de pensées ancré dans des systèmes de domination, dont le patriarcat, est dangereux : de manière évidente, pour les femmes et les minorités, mais aussi, pour toute personne qui, socio33 Ibid. 34 Ibid. 35 BOURGERON Théo, « Finance, énergies fossiles, tech : …, op. cit. 9 économiquement, ne dispose pas de privilèges. Ces partis mettent par ailleurs en péril notre démocratie dans son ensemble. C’est pourquoi, pour les combattre, la convergence des luttes est indispensable : antifascisme, antiracisme et anticapitalisme doivent aujourd’hui avancer main dans la main36 . À cet égard, les mouvements féministes jouent un rôle essentiel. Comme le rappelle la chercheuse Iida Käyhkö, « partout où des mouvements révolutionnaires et progressistes ont existé, les femmes ont été impliquées dans la lutte » 37 . Or, nous ne le répéterons jamais assez, lorsque les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête. Celles-ci représentent une force de mobilisation phénoménale. Elles étaient des milliers, à Glasgow, en 2018, à descendre dans les rues et à faire grève pour réclamer l’égalité salariale38. Elles étaient tout autant, en Argentine, à se réunir, en 2015, pour créer le mouvement, aujourd’hui, global, « Ni Una Menos », qui lutte contre les violences faites aux femmes39 . Partout dans le monde, les féministes s’activent, bien conscientes que leurs droits ne seront jamais acquis. Ces mouvements de grande envergure, qui, à certains égards, réinventent les manières de militer, émanent de l’empouvoirement des femmes les plus marginalisées dans notre société. Ouvrières, migrantes, travailleuses du sexe, lesbiennes, femmes racisées, sont toutes des moteurs pour proposer de véritables alternatives et réclamer un changement de paradigme qui s’inscrit en totale opposition au projet de l’extrême droite. Leur union est un gage d’espoir qui doit toutes et tous nous porter vers l’avenir. Ainsi, s’il est un constat qui doit ressortir de cette analyse, c’est que le féminisme d’aujourd’hui ne peut qu’être antifasciste et l’antifascisme d’aujourd’hui ne peut qu’être féministe. C’est en emportant avec nous cet enseignement que nous pourrons, dès demain, organiser nos luttes pour vaincre le monstre d’extrême droite. BIBLIOGRAPHIE « Le capitalisme a permis la renaissance de l’extrême droite », RTBF, 13/11/2018, https://urlz.fr/sy9Y. BADER Dina, « Sara R. Farris : In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 37, 2018, https://urlz.fr/sy88. BIARD Benjamin, « Extrême droite : “La stratégie de lissage du discours pour accéder au pouvoir fonctionne” », Les Analyses du CRISP en ligne, 01/11/2019, https://urlz.fr/ncdX. BOURGERON Théo, « Finance, énergies fossiles, tech : ce patronat qui soutient l’extrême droite par intérêt », AOC média, 05/07/2024, https://urlz.fr/sy9N. BUISSON Marine, « Les lobbys anti-genre sont de plus en plus puissants en Belgique », Le Soir, 30/09/2024, https://urlz.fr/sy9i. COTTAIS Camille, « Féminisation et montée de l’extrême droite en Europe : le cas de la France », Grow Think Tank, 25/07/2022, https://urlz.fr/nWMk. 36 Pour plus d’informations : VIERENDEEL Florence, « Militance… op. cit. 37 KÄYHKÖ Iida, « Les mouvements féministes sont notre meilleure chance contre l’extrême droite », Renversé, 20/11/2020, https://urlz.fr/syal, consulté le 08/10/2024. 38 Ibid. 39 Ibid. 10 DASINIERES Laure, « Les petits secrets du Collectif Némésis, ces Femen d’extrême droite », Slate, 19/02/2021, https://urlz.fr/sy5X. DAUSSY Laure, « Quand le féminisme est récupéré par l’extrême droite : le collectif Némésis », Charlie Hebdo, 24/03/2021, https://urlz.fr/sy8v. FRANCOIS Stéphane, « Comment l’extrême droite s’est réapproprié le féminisme », Slate, 11/06/2021, https://urlz.fr/nWMa. KÄYHKÖ Iida, « Les mouvements féministes sont notre meilleure chance contre l’extrême droite », Renversé, 20/11/2020, https://urlz.fr/syal. LEGRAND Thomas, « La mystification du combat antiwoke de l’extrême droite », Libération, 10/05/2023, https://urlz.fr/sy9z. LEONARD Juliette, « Féminisation de l’extrême droite. La comprendre pour mieux la combattre ? », Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, décembre 2022, https://urlz.fr/nWMG. PONCIAU Ludivine, « Elections françaises : pourquoi tant de femmes roulent pour l’extrême droite ? », Le Vif, 07/03/2022, https://urlz.fr/nWLZ. ROBERT July, « Le wokisme, la nouvelle panique morale à la mode », La Revue Nouvelle, n°8, 2022, https://urlz.fr/sy93. TOBELEM Boran, « Quels sont les pays d’Europe gouvernés par l’extrême droite ? », Toute l’Europe, 04/07/2024, https://urlz.fr/sy55. VIERENDEEL Florence, « Extrême droite et atteintes à la démocratie : pour un réveil politique et citoyen », Étude FPS, 2021, https://urlz.fr/sy5i. VIERENDEEL Florence, « Militance et convergences des luttes », Étude Soralia, 2023, https://urlz.fr/sy8h. VOILLOT Elise, « Wokisme : personnae non gratae », Analyse Soralia, 2023, https://urlz.fr/t8Mb. Soralia est un mouvement mutualiste féministe d’éducation permanente. Un mouvement riche de plus de 100 ans d’existence, présent partout en Belgique francophone et mobilisant chaque année des milliers de personnes. Au quotidien, nous militons et menons des actions pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous défendons des valeurs et des principes fondamentaux tel·le·s que le féminisme, l’égalité, la solidarité, le progressisme, l’inclusivité et la laïcité. Pour contacter notre service études : Fanny Colard – fanny.colard@solidaris.be – 02/515 06 26 Toutes nos publications sont téléchargeables dans leur entièreté sur notre site. Qui sommes-nous ?
3
Chômage : pourquoi tant de haine ?
Chômeur, profiteur. Chômeuse, fainéante. Assistés ! Trop bien
payés à ne rien faire. Tous des fraudeurs…
Depuis plus de 20 ans, une grande partie du monde politique,
le patronat et certains médias ont trouvé le bouc émissaire
idéal : les chômeuses et chômeurs. Et ce matraquage a
malheureusement laissé des traces : les préjugés sur les
personnes privées d’emploi se sont répandus un peu partout.
Au point que les débats sur l’emploi se résument désormais
presqu’exclusivement à une question : quelle nouvelle mesure
va‑t-on trouver pour taper sur les chômeurs ?
Tous ces stéréotypes dénigrants, méprisants et insultants ont
servi à justifier des mesures de restriction de droits sociaux.
La liste des réformes de ces dernières années donne le
tournis : limitation dans le temps des allocations d’insertion,
dégressivité accrue des allocations, suppression des dérogations
et compléments sociaux, restrictions d’accès aux RCC
(ex‑prépensions), etc.
Ces mesures sont évidemment catastrophiques sur le plan
social : précarisation, exclusion sociale, pauvreté, aggravation
des inégalités sociales et de genre, etc. Mais elles sont aussi
totalement inefficaces par rapport à l’objectif annoncé :
la réinsertion par l’emploi. En effet, de nombreuses études
indépendantes ont maintenant clairement démontré l’inefficacité
totale des mesures répressives contre les chômeuses et
chômeurs. Loin de réinsérer dans l’emploi, la précarisation et
l’exclusion isolent et éloignent les personnes du marché de
l’emploi.
4
Mais alors, pourquoi la droite et le patronat s’entêtent-ils à
vouloir mettre en oeuvre des politiques qui ne fonctionnent
pas ? Pourquoi aujourd’hui en rajouter une couche en limitant
le chômage dans le temps ? Pourquoi alimenter sans cesse
la stigmatisation, monter les gens les uns contre les autres en
faisant croire aux travailleurs et travailleuses sous contrat que
c’est en tapant sur leur voisin précaire que leur situation va
s’améliorer… alors que c’est tout le contraire !
Car le véritable objectif des mesures d’exclusion n’est jamais
avoué : diminuer le niveau de protection sociale pour faire
pression à la baisse sur les salaires et conditions de travail. Le
lien ne vous semble pas évident ?
Jetons donc un oeil sur les pays où la sécurité sociale est
inexistante… Quelles sont les conditions de travail et de vie ?
En l’absence de protection sociale, de quelle marge de négociation
les travailleuses et travailleurs disposent-ils pour négocier ?
Comment s’opposer à l’arbitraire patronal quand le seul horizon,
en cas de licenciement, c’est la pauvreté absolue voire la rue ?
Aucune travailleuse, aucun travailleur ne gagnera jamais rien à
voir exclure des sans-emploi. Parce que démanteler l’assurance
chômage, c’est précariser les conditions de travail et les salaires.
En résumé, précariser le chômage, c’est précariser l’emploi.
5
Chômage : pourquoi tant de haine ? 3
Quelques notions importantes : de quoi parle-ton ? 6
Non, être au chômage ce n’est pas être en vacances 10
Non, les chômeurs ne sont pas des assistés 12
Non, le chômage n’est pas trop généreux 14
Non, le chômage ne coûte pas trop cher 18
Non, les sanctions ne sont pas efficaces 22
Défendre le chômage, c’est défendre l’emploi ! 30
Index
6
Quelques notions
importantes :
DE QUOI
PARLE-T-ON ?
7
La législation chômage est très complexe et variée. Cette
brochure ne prétend évidemment pas en faire le tour mais tente
quand même d’en dresser les grands principes pour contrer
la désinformation de celles et ceux qui aiment tant « casser du
chômeur ». Pour bien comprendre de qui et de quoi on parle, il y a
quelques notions à définir brièvement.
Il existe plusieurs types d’allocations et de statuts que l’on peut
résumer en quelques lignes.
Les allocations
f Les allocations de chômage peuvent être octroyées sur
base d’un travail salarié aux personnes privées d’emploi
qui répondent à des critères d’admissibilité (durée de travail
sur une période de référence, être privé involontairement
d’emploi…) et remplissent certaines obligations : rechercher
activement de l’emploi, répondre aux convocations, etc.
f Les allocations d’insertion sont octroyées, sous certaines
conditions (âge, diplôme, contrôles de recherche d’emploi,
stage d’attente d’un an, etc.) aux jeunes de moins de 25 ans
n’ayant pas encore pu travailler assez longtemps pour
bénéficier des allocations de chômage. Depuis 2012, elles
sont limitées à 3 ans et de nombreuses restrictions d’accès
ont été instaurées. Il existe cependant des dérogations liées
à l’âge et/ou la situation familiale, des périodes de travail ou
de formation, qui permettent de prolonger temporairement
ses droits.
f Le chômage temporaire est octroyé, sous certaines
conditions, aux travailleuses et travailleurs salariés dont
le contrat de travail est temporairement suspendu par
l’employeur, pour différentes raisons : manque d’activité
économique, accident technique, force majeure, etc.
8
f Le régime de chômage avec complément d’entreprise
(RCC) désigne ce qu’on appelait les prépensions. Il s’agit
d’un régime de chômage complet accompagné d’un
complément d’entreprise qui peut être accordé à certains
travailleurs âgés licenciés, répondant à différents critères
d’admissibilité (âge, durée de carrière, pénibilité, etc.).
Les institutions
f L’ONEM, Office national de l’emploi est l’institution fédérale
chargée de la gestion des allocations de chômage, créditstemps,
interruptions de carrière, congés thématiques,
vacances jeunes et senior… Dans le cadre de ses missions,
elle peut être amenée à contrôler les personnes indemnisées
quant à leur droits et obligations, et les sanctionner en cas
de non-respect de ceux-ci.
f FOREM/Actiris/ADG/VDAB1 : les organismes régionaux
de l’emploi sont chargés de l’accompagnement, du
placement, de la formation et du contrôle de disponibilité
des demandeurs et demandeuses d’emploi.
f Les organismes de paiement sont les « intermédiaires »
entre l’ONEM et les citoyennes et citoyens : ils se chargent
de confectionner les dossiers de demandes d’indemnisation
et informent les personnes privées d’emploi de leurs droits
et obligations. Chacun des 3 grands syndicats belges
propose ce service à leurs affiliées et affiliés. Il existe
également la Caisse auxiliaire de paiement des allocations
de chômage (CAPAC), pour les personnes qui ne sont pas
affiliées à un syndicat.
1 Respectivement les organismes régionaux de l’emploi de Wallonie, Bruxelles,
Ostbelgien et Flandre.
9
Les demandeurs et demandeuses d’emploi
Tous les demandeurs et demandeuses d’emploi ne sont pas
indemnisés, loin de là ! En Wallonie, ils sont même moins de 50% à
percevoir une allocation de l’ONEM. Et cette proportion ne fait que
baisser : de 78% en 2014 à 49% aujourd’hui ! À Bruxelles aussi, on
observe cette tendance : de 71% de sans emploi indemnisés en
2014, on en est à 57% aujourd’hui.
f les demandeuses et demandeurs d’emploi inscrits au
FOREM/Actiris, indemnisés par l’ONEM, ayant donc rempli
les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage,
d’insertion ou au régime de chômage avec complément
d’entreprise (RCC, ex-prépension) ;
f les jeunes en stage d’insertion, non indemnisés, n’ayant
pas encore satisfait aux conditions d’admissibilité aux
allocations d’insertion ou de chômage (durée d’inscription
au FOREM/Actiris ou de travail insuffisante, conditions
d’âge ou de diplôme, conditions liées aux contrôles de
disponibilité…) ;
f les personnes inscrites obligatoirement, principalement
celles bénéficiant du Revenu d’intégration sociale (CPAS) ;
f les personnes inscrites librement : toute autre personne
demandeuse d’emploi inscrite au FOREM/Actiris et non
indemnisée par l’ONEM.
10
Les sans emploi sont contrôlés tous les 3 à 12 mois et peuvent être
sanctionnés pour : recherche d’emploi jugée insuffisante, refus
d’un emploi ou d’une formation, démission, abandon de formation,
absence à une convocation…
Législation chômage
11
À entendre la droite et le patronat, le chômage serait un Win
for life, les chômeuses et chômeurs n’auraient aucune obligation
à respecter et pourraient refuser, sans aucun risque, toute offre
d’emploi ou de formation.
Sauf que… tout ça est totalement faux
Les sanctions existent bel et bien. Elles sont même nombreuses
et sévères, allant de la suspension ou diminution des allocations
à l’exclusion définitive.
Les motifs sont, eux aussi, nombreux et variés. On peut en effet
être sanctionné, entre autres, en cas de :
f Chômage volontaire : démission sans motif « valable »,
licenciement dont le salarié serait responsable…
f Évaluation négative des efforts de recherche d’emploi
(contrôlés tous les 3 à 12 mois).
f Refus d’un emploi.
f Refus ou abandon d’une formation professionnelle.
f Non-présentation auprès du service de l’emploi ou de la
formation (FOREM, Actiris, VDAB ou ADG).
f Infraction administrative : déclaration inexacte, tardive ou
incomplète, mauvais usage de documents administratifs,
etc.
Rien qu’en 2023, 43.000 sanctions et 16.000 avertissements
ont été prononcées, pour un total de 284.000 chômeuses et
chômeurs complets indemnisés. Soit plus d’une personne sur 5 !
On est donc bien loin des préjugés et mensonges qui courent
sur le « laxisme » dont on ferait preuve à l’égard des chômeuses
et chômeurs, qui seraient des rentiers à vie.
Être au chômage, ce n’est pas être en vacances. C’est vivre dans
la précarité financière mais aussi sociale et administrative !
12
68% des demandeurs et demandeuses d’emploi ont travaillé
depuis leur inscription au FOREM.
Données FOREM
13
Autre stéréotype sur les demandeuses et demandeurs d’emploi :
ils seraient incapables de se lever le matin, pas assez formés ou
motivés, trop « éloignés de l’emploi »… En résumé : des fainéants
qui n’ont pas envie de travailler2, qui passent leur journée en
training devant Netflix3, même pas capables de traverser la rue
pour trouver un emploi4.
Sauf que… tout ça est totalement faux
f Pour sortir des statistiques du chômage de longue durée, il
faut une période ininterrompue de travail de minimum 3 mois.
f Ces conditions sont de plus en plus difficiles à atteindre
avec la multiplication des contrats courts et d’intérim.
f 68% des personnes inscrites au FOREM depuis plus d’un an
ont travaillé depuis leur inscription. Beaucoup enchaînent
les boulots sous des contrats précaires trop courts qui ne
leur permettent pas de sortir de ce statut.
f Et les autres ? Rappelons que la recherche active d’emploi
est une obligation légale : en cas d’évaluation négative, la
sanction tombe. Ces personnes recherchent donc bien du
boulot mais… n’en trouvent tout simplement pas !
Il est tellement facile de taper sur les « assistés sociaux », les
plus faibles. Mais, bizarrement, on entend beaucoup moins
souvent parler du coût de l’assistanat des entreprises privées.
Chaque année, ce sont en effet 11 milliards d’euros qui sont octroyés
aux entreprises via des réductions de cotisations ONSS (sécurité
sociale), sans aucune contrepartie ni véritable contrôle ! Soit près de
3 fois le « coût » des allocations de chômage (4 milliards en 2023).
Vous avez dit « deux poids deux mesures » ?
2 Georges-Louis Bouchez, président du MR.
3 Pierre-Frédéric Nyst, président de l’UCM.
4 Emmanuel Macron, président français.
14
La plupart des montants des allocations de chômage restent
inférieurs aux différents seuils de pauvreté.
Rapport annuel 2023 de l’ONEM
15
Au chômage, ce serait la belle vie : aucune obligation, aucun
contrôle mais aussi des allocations beaucoup trop élevées qui
n’inciteraient pas à aller bosser.
Sauf que… tout ça est totalement faux
Le chômage est-il vraiment une rente bien confortable ?
La réponse tient en une seule phrase, extraite du dernier rapport de
l’ONEM : « La plupart des montants des allocations de chômage
restent inférieurs aux différents seuils de pauvreté ».
Même si cette phrase résume bien la situation de l’immense
majorité des chômeurs et chômeuses, quelques explications
s’imposent :
f L’allocation est un pourcentage de l’ancien salaire, qui
varie en fonction de la durée de chômage et de la situation
familiale.
f Certaines personnes peuvent, en fonction de leur ancien
salaire et au tout début de leur période de chômage, avoir
une allocation supérieure au seuil de pauvreté.
f Mais ça ne dure pas : avec la dégressivité (les allocations
baissent au fil du temps), tout le monde se retrouve très vite
sous le seuil de pauvreté.
La droite et le patronat l’ont bien compris : pour faire oublier
le faible niveau des salaires et alimenter la stigmatisation des
chômeurs et chômeuses, rien de mieux que d’alimenter les
fantasmes sur un système qui serait « bien trop généreux » avec
les « inactifs ».
16
FEB
@Fédération des entreprises de Belgique
Notre système d’allocations de chômage est très généreux.
La durée illimitée des allocations est frappante et quasi
unique en Europe.
Bernard Wientjes
@Président de l’organisation patronale hollandaise
VNO-NCW
Nous sommes le seul pays en Europe qui donne encore une
allocation de chômage durant 38 mois.
Willy Borsu
@MR, ministre wallon de l’économie
La Belgique est le seul pays où les allocations sont illimitées.
Fraser Nelson
@Chroniqueur BBC
Nos allocations sont parmi les plus généreuses d’Europe.
La preuve, cet argument est repris depuis des années un peu
partout en Europe. Dans chaque pays, la droite et le patronat (ainsi
que certains responsables se prétendant de gauche) affirment
que le système le plus (et trop) généreux est… celui de leur pays !
17
OCDE
@Rapport de l’OCDE sur le Luxembourg
Les allocations chômage généreuses pourraient être progressivement
supprimées pendant la période de chômage, à
l’instar de ce que font nombre d’autres pays de l’OCDE.
François Hollande
@Ancien président de la République française
La France est le pays d’Europe où l’on indemnise le plus
longtemps les chômeurs.
Bruno Le Maire
@Ministre français de l’économie
La France a l’indemnisation chômage la plus généreuse au monde.
Vous avez dit 65% du salaire ?
La législation actuelle prévoit un taux de remplacement de
65% du dernier salaire (brut), en début de chômage.
Sauf que, ça, c’est la théorie !
En effet, le salaire pris en compte est plafonné à 3.365 €
brut. Un plafond qui est dépassé par 70% des salariées
et salariés en Belgique, qui n’auront donc pas droit à ce
pourcentage annoncé s’ils perdent leur emploi.
De plus, le taux de remplacement et le plafond salarial
baissent très rapidement, dès 3 mois de chômage.
18
Les allocations de chômage représentent moins de 3% de la sécurité
sociale, cela n’offre plus de marge budgétaire fondamentale.
Service d’études ONEM
19
« Marre de payer pour les chômeurs ! » Voilà une autre des
phrases que l’on entend souvent : certaines personnes s’imaginent
que la différence entre leur salaire brut et le net part directement
dans la poche de tous ces assistés payés à ne rien faire.
Sauf que… tout ça est totalement faux
Les cotisations sociales versées par les travailleurs et travailleuses
représentent 13,07% de leur salaire brut. Le reste de la différence
entre le brut et le net est principalement prélevé sous forme de
précompte professionnel et sert à alimenter les services publics
(transports, hôpitaux, écoles, etc.).
Mais revenons-en aux cotisations sociales. Celles-ci alimentent la
Sécurité sociale, qui nous accompagne et nous protège au jour le
jour, tout au long de notre vie : soins de santé, maladie, invalidité,
pension, chômage, maladie professionnelle…
En 2022, les dépenses globales de Sécurité sociale ont
représenté un montant de près de 132 milliards. Le chômage
complet a représenté 4 milliards d’euros, soit moins de 3% de
l’ensemble. Quant au chômage dit « de longue durée » (plus de
2 ans), le montant des dépenses a été de 2 milliards, soit 1,5% du
total du budget de la Sécurité sociale !
En résumé et en réalité, les cotisations des travailleurs et
travailleuses ne financent le chômage complet qu’à hauteur de
3% de 13,07%, soit 0,4% de leur salaire brut !
20
Dépenses
Sécurité Sociale
2023
49%
26%
10%
8% 3%
2% 2%
21
49% Pensions
26% Soins de santé
10% Indemnités Maladie-Invalidité
8% Autres dépenses
3% Chômage complet
2% Autres ONEM (RCC, crédits temps,
chômage temporaire, etc.)
2% Frais de gestion
22
Le durcissement de l’assurance chômage n’a aucun effet très
clair sur la désincitation au travail.
Esther Duflo, Prix Nobel d’économie
23
Tous les stéréotypes et mensonges « anti-chômeurs » véhiculés
par la droite ont servi de prétexte à la mise en place de politiques
toujours plus répressives. Au nom de la « remise à l’emploi »,
on a diminué le montant des allocations, limité les allocations
d’insertion dans le temps, restreint les conditions d’accès aux
RCC (ex-prépensions), supprimé les compléments sociaux, etc.
Pour quel résultat ? Nul. Zéro. Rien.
De nombreuses études indépendantes5 se sont penchées sur les
effets de ces mesures et leurs conclusions vont toutes dans le
même sens : il n’y a aucun effet positif en termes de réinsertion
dans l’emploi. Au contraire : l’exclusion et la précarisation
éloignent de l’emploi.
Quelques exemples :
f En 2012, on a accru la dégressivité des allocations de
chômage : elles se sont mises à baisser plus vite et de
manière plus importante qu’auparavant. Résultat ? Aucun
effet sur la reprise d’emploi. Au contraire, les personnes qui
la subissent ont statistiquement moins de probabilités de
retrouver du travail que celles qui ne la subissent pas.
f Depuis 2015, on a exclu plus de 50.000 personnes du
bénéfice des allocations d’insertion. On nous avait juré que,
pressées par la nécessité et l’urgence, elles retrouveraient
un emploi. Résultat ? Un taux d’insertion dans l’emploi
ridiculement bas ! Par exemple, sur 20.000 personnes
exclues en Wallonie en 2015, trois-quarts d’entre elles n’ont
pas retrouvé d’emploi.
5 Réalisées par l’UCL, ONEM, l’IRES, l’ULB, le FOREM…
24
Au final, 53% des personnes exclues sont sorties des radars :
ni en demande d’emploi, ni à l’emploi ni en formation. Parmi
ces personnes, 42% dépendent de la solidarité familiale, 39%
d’allocations, 17% se considèrent sans ressource financière, 19%
éprouvent des difficultés à se soigner et 14% à se nourrir.
Les études montrent aussi que les mesures d’exclusion touchent
davantage et plus durement les personnes le plus fragiles et les
régions les plus touchées par la pauvreté.
Reprenons l’exemple de la limitation dans le temps des allocations
d’insertion :
f 2 tiers des exclus étaient des excluEs, dont la moitié avec
charge de famille.
f 46% étaient faiblement qualifiées.
f Bruxelles et la Wallonie totalisaient 82% des exclusions.
Décidemment, la précarisation n’a pas le meilleur des bilans en
termes de remise à l’emploi. D’un autre côté, la réinsertion par
l’exclusion, on se doutait bien que ça n’allait pas marcher des
masses…
25
20 ans de démolition de l’assurance en quelques courbes
Chômeurs complets indemnisés
500.000
450.000
400.000
350.000
300.000
250.000
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
457.785
284.786
-38%
Le chômage indemnisé a fortement baissé ces 10 dernières
années. Mais cette baisse est principalement due aux multiples
restrictions d’accès et limitations instaurées sur cette période.
Car, si la demande globale d’emploi baisse légèrement, seul le
chômage indemnisé baisse aussi drastiquement. En Wallonie,
les demandeurs et demandeuses d’emploi étaient 78% à
percevoir une allocation de l’ONEM en 2014. Ils ne sont plus que
49% aujourd’hui. À Bruxelles, la proportion est passée de 71% en
2014 à 57% dix ans plus tard.
26
Allocataires d’insertion
120.000
100.000
80.000
60.000
40.000
20.000
0
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
100.307
21.529
-79%
Les allocations d’insertion ont subi de nombreuses réformes
ces dernières années : limitation dans le temps, restrictions
d’accès (conditions d’âge et de diplôme), allongement du stage
et conditionnement à la réussite de deux évaluations des efforts
de recherche d’emploi… En 10 ans, le nombre d’allocataires
d’insertion a littéralement fondu, chutant de 79%.
27
RCC (ex-prépensions)
120.000
100.000
80.000
60.000
40.000
20.000
0
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
111.347
15.549
-86%
Suite à de multiples réformes, l’accès au « régime de chômage
avec complément d’entreprise » est devenu tellement difficile
que le nombre de bénéficiaires baisse inexorablement d’année
en année : – 86% en une décénnie. Il s’agit d’un statut en voie
d’extinction.
28
Bénéficiaires du RIS (CPAS)
170.000
160.000
150.000
140.000
130.000
120.000
110.000
100.000
90.000
80.000
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
99.114
158.524
+60%
Les exclusions et sanctions prises contre les sans emploi
ont mis les CPAS sous pression. L’augmentation touche plus
particulièrement Bruxelles et la Wallonie, où la situation socioéconomique
est plus difficile. La limitation des allocations de
chômage dans le temps aggraverait la situation puisque près de
100.000 isolés et chefs de ménage se retrouveraient sans revenus
et n’auraient pas d’autre choix que de se tourner vers le CPAS.
29
Personnes en invalidité
(incapacité de travail de + d’1 an)
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
257.935
471.927
+83%
Les restrictions d’accès aux RCC et à la pension (anticipée ou
non) ont entraîné une explosion des maladies de longue durée,
principalement celles de nature psychologique (37% du total)
ou musculosquelettique (32%), des affections souvent liées aux
conditions de travail. La hausse est encore plus marquée chez les
femmes dont le nombre a plus que doublé, passant de 135.213
invalides en 2010 à 284.732 en 2022.
500.000
450.000
400.000
350.000
300.000
250.000
200.000
30
31
Défendre le chômage, c’est défendre l’emploi.
Provocateur ?
Contradictoire ?
En réalité, pas tant que ça.
Il ne s’agit évidemment pas de défendre le chômage en tant que
phénomène économique qui appauvrit et, le plus souvent, exclut.
Mais bien de défendre l’assurance chômage, en tant que droit
des travailleurs et travailleuses.
Une assurance chômage qui soit garantie, dont les conditions
d’admissibilité soient assouplies et les allocations revalorisées.
Pour que l’assurance chômage puisse à nouveau remplir son
double rôle de protection. Une protection individuelle, tout
d’abord, qui permet à chaque travailleur et travailleuse de ne pas
sombrer dans la pauvreté s’il perd son emploi ou a du mal à en
trouver.
Mais aussi une protection collective du monde du travail,
contre la flexibilisation de l’emploi, la baisse des salaires et la
précarisation des conditions de travail.
Peut-on réellement croire que c’est en envoyant tous les sans
emploi au CPAS ou à la rue que l’on va faire augmenter les
salaires ? On l’a vu, la part de cotisations sociales versées pour
le payement des allocations de chômage complet est dérisoire.
Même la suppression totale de l’assurance chômage ne ferait
gagner que quelques euros sur le salaire net.
En revanche, l’absence de protection sociale en cas de perte
d’emploi nous mènerait tout droit à une situation où le monde
du travail n’aurait plus aucune force de négociation pour mieux
répartir les richesses créées, augmenter les salaires, améliorer les
conditions de travail…
32
« Si vous n’êtes pas d’accord, la porte est là… Et bonne chance,
dehors ! Y en a des milliers qui sont prêts à prendre votre place »,
voilà ce que pourront répondre les employeurs face à toute
demande des travailleurs et travailleuses.
Sans parler des conséquences sociales et sociétales de tels choix
de société : explosion de la pauvreté et de l’exclusion, aggravation
des inégalités sociales, délinquance et économies parallèles…
Certaines personnes rétorqueront que c’est de la politique-fiction,
du catastrophisme… Pourtant, il n’y a qu’à regarder l’évolution du
nombre de bénéficiaires d’allocations d’insertion et de RCC pour
se convaincre du contraire.
Après 10 ans d’attaques contre ces statuts, les statistiques
ont dégringolé : – 80% ! Si les personnes en prépension et les
allocataires d’insertion étaient en moyenne 100.000 en 2014, ils
ne sont plus qu’environ 20.000 aujourd’hui. Et la baisse continue.
De véritables statuts en voie de disparition. En parallèle, on a
assisté à une banalisation et une généralisation de l’emploi
précaire, particulièrement chez les jeunes, qui ont été en première
ligne des mesures de démantèlement de l’assurance chômage.
Limiter le chômage dans le temps aura le même effet, sur
l’ensemble du monde du travail : il s’agit ni plus ni moins que de la
fin programmée de l’assurance chômage. Et, avec elle, du retour
au 19e siècle, où la protection sociale était inexistante et l’arbitraire
patronal régnait en maître.
Défendre l’assurance chômage, c’est défendre l’emploi de
qualité. Cette évidence, trop souvent ignorée, doit être rappelée,
martelée. Surtout à l’heure actuelle où certains responsables
politiques veulent clairement en finir avec notre modèle social.
33
L’ensemble des données, chiffres et statistiques de cette brochure proviennent
d’institutions officielles (ONEM, FOREM, Actiris, SPP Intégration sociale…)
ou d’études spécialisées. Afin d’alléger la lecture, les sources ne sont pas
mentionnées à chaque fois.
Sources : onem.be | forem.be | actiris.be | mi-is.be (SPP Intégration sociale).
Plusieurs études ont été consacrées aux effets des mesures de démantèlement
de l’assurance chômage. Les liens menant à celles-ci sont disponibles sur le site
du CEPAG (cepag.be).
Éditrice responsable :
Vanessa Amboldi
CEPAG
Rue de Namur 47
5000 Namur
© Juin 2024
Avec le soutien de
cepag.be
cepagasbl
cepagmouvement
CEPAGTV
BAROMÈTRE
SOCIO-ÉCONOMIQUE
2024
Table des matières
INTRODUCTION 5
1 POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES VERSUS PROFITS DES ENTREPRISES 6
L’inflation se stabilise : pas de spirale salaires-prix 7
Un pouvoir d’achat stable soutient l’économie belge 8
Problème structurel dans les salaires belges 10
Où va l’argent ? 11
Les coûts salariaux ne sont pas trop élevés 14
Une nouvelle inégalité sur le marché du travail : les rémunérations alternatives 17
Les salaires minimums méritent mieux 20
L’écart salarial entre les hommes et les femmes se réduit trop lentement 22
Revendications 26
2 TRAVAIL 27
Un taux d’emploi historiquement élevé 28
La qualité de l’emploi : faire un lien entre emploi et bien-être 31
Travailleurs étrangers : l’enjeu d’une meilleure intégration sur le marché du travail 34
L’enjeu de la formation professionnelle 36
Automatisation et intelligence artificielle (I.A.) : opportunités ou dangers pour le marché du travail ? 38
La pénurie sur le marché du travail : des nuances indispensables 40
Leviers financiers pour accepter un job 42
Les demandeurs d’emploi plus exposés au risque de pauvreté 46
La durée du temps de travail…une question sociétale 47
La course à la flexibilité des travailleurs 51
Les horaires atypiques 53
Le temps partiel, davantage subi que choisi 54
Les formes de travail atypiques augmentent le risque de pauvreté chez les travailleurs 57
Combinaison vie privée – vie professionnelle 58
Comment la détériotation du bien-être au travail affecte la santé des travailleurs 60
Les employeurs licencient plus souvent qu’ils ne réintègrent leurs malades de longue durée 62
Le télétravail structurel et ses impacts 64
Revendications 66
3 SÉCURITÉ SOCIALE 67
Le financement de la sécurité sociale présente des fuites 68
L’efficacité de la sécurité sociale peut être améliorée 72
Les adaptations des allocations sociales sont essentielles pour garantir l’efficacité des prestations 74
L’assurance chômage, de moins en moins une assurance 75
Revendications 76
4 FINANCES PUBLIQUES 77
Le cadre budgétaire européen néglige des investissements essentiels 78
Assurer une fiscalité équitable 81
Revendications 85
5 TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET POLITIQUE INDUSTRIELLE 86
La Belgique n’atteindra pas ses objectifs climatiques 87
Politique industrielle et transition écologique : un duo possible ? 89
Les investissements stratégiques en Belgique 93
L’économie circulaire, une économie tournée vers l’avenir 94
Transition juste et inégalités 97
Revendications 98
6 DIALOGUE SOCIAL ET LIBERTÉ SYNDICALE 99
La démocratie économique passe par le dialogue social dans les conseils d’entreprises 100
La durabilité des entreprises, encore un long chemin à parcourir 101
Libertés syndicales 102
Revendications 103
Genre
Toute référence à des personnes ou à des fonctions (par exemple, travailleur) s’appliquent à toutes et tous sans distinction de genre (f/m/x). Les données de cette brochure s’arrêtent aux données disponibles en novembre 2024.
INTRODUCTION
Le Baromètre socio-économique de la FGTB 2024 arrive à un moment où un changement politique majeur se profile à l’horizon. Les partis politiques autour de la table des négociations qui formeront le nouveau gouvernement fédéral ont des choix clairs à faire.
N Le financement de la sécurité sociale est sous pression : mettra-t-on fin aux régimes d’exonération sur toute une série de statuts et de « cadeaux » aux employeurs ?
N Les salaires ne suivent pas la productivité, ce qui a fait exploser les marges bénéficiaires ces dernières années : la loi sur les salaires sera-t-elle réformée pour que les interlocuteurs sociaux puissent négocier les salaires sans restrictions artificielles et injustes et répartir les richesses plus équitablement ?
N De plus en plus de travailleurs quittent les entreprises épuisés et stressés : oserons-nous enfin prendre des mesures structurelles pour améliorer la qualité des emplois et donner aux gens plus de temps et d’espace pour respirer ?
N Notre système fiscal est injuste. Les épaules les plus larges ne contribuent pas suffisamment. Met-on en place un système fiscal où tous les revenus sont taxés équitablement — progressivement, en mettant l’accent sur les grandes fortunes ?
N La Belgique et l’Europe sont confrontées à un énorme défi écologique, technologique et démographique. Pour rendre la transition possible dans ces trois domaines, des investissements massifs devront être réalisés : un prochain gouvernement osera-t-il prévoir un espace budgétaire suffisant pour cela et remettre en question le cadre budgétaire européen drastique ?
Ce ne sont là que quelques-uns des dilemmes sur lesquels un nouveau gouvernement fédéral devra trancher. Les choix socio- économiques doivent tenir compte des intérêts légitimes des travailleurs et doivent donc également être le résultat d’une concertation sociale pleine et entière. Ce baromètre fournit du matériel pour indiquer les bons choix : des choix pour l’humain, la justice et la solidarité.
1
POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES VERSUS PROFITS DES ENTREPRISES
Lors de la crise énergétique qui nous a frappé ces dernières années, le pouvoir d’achat des ménages a été bien protégé par l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. Il reste néanmoins un problème structurel dans la formation des salaires. Les Belges, en effet, sont de plus en plus productifs, mais leur rémunération n’augmente pas en conséquence. Selon la Banque nationale, ce phénomène est la principale raison de la forte augmentation des marges bénéficiaires des entreprises ces dernières années. Cela prouve que la formation des salaires a besoin d’une réforme en profondeur.
On observe également une augmentation des inégalités dans la pyramide des salaires : les hauts salaires, en effet, négocient plus facilement des rémunérations alternatives (avantages tels que voiture de société, options sur actions…). En cela, l’inégalité en termes d’options sur actions est aberrante. En revanche, les salaires les plus bas continuent d’être à la traîne : l’augmentation du salaire minimum belge est très inférieure à celle des autres pays industrialisés. Un rattrapage s’impose.
L’INFLATION SE STABILISE : PAS DE SPIRALE SALAIRES-PRIX
L’inflation — le rythme d’évolution du niveau des prix — dans la zone euro a atteint des sommets historiques à partir du second semestre 2021. En effet, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué un choc sur les marchés de l’énergie. Les prix de l’énergie ont fait grimper le niveau général des prix. En 2023 toutefois, l’évolution des prix de l’énergie a baissé très fortement dans l’indice des prix à la consommation belge. Jusqu’en mars 2024, l’inflation belge était constamment inférieure à celle du reste de la zone euro. On constate qu’il n’y a donc pas eu de spirale salaires-prix — le phénomène par lequel des salaires plus élevés entraînent des prix plus élevés —, ce contre quoi les économistes libéraux et les employeurs avaient pourtant mis en garde pendant des mois. L’inflation belge est actuellement légèrement plus élevée en raison de l’extinction des mesures de soutien qui étaient censées maintenir les factures d’énergie à un niveau supportable. Il s’agit d’un phénomène temporaire.
20%
15%
10%
5%
0%
-5%
L’inflation se stabilise
Pas de spirale prix-salaires
Source : Eurostat, IPCH – données mensuelles (taux de change annuel)
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
— Zone euro
UN POUVOIR D’ACHAT STABLE SOUTIENT L’ÉCONOMIE BELGE
L’explosion soudaine des prix de l’énergie fin 2021 a provoqué un choc sur le pouvoir d’achat des ménages. La hausse des prix a menacé d’éroder les salaires des travailleurs et travailleuses. Ce fut le cas dans de nombreux pays européens. En Belgique, l’indexation automatique a toutefois permis de limiter la perte. Bien que les salaires réels (c’est-à-dire après déduction de l’inflation) aient diminué en 2022, l’indexation a assuré un solide rattrapage en 2023.
Évolution des salaires réels : le pouvoir d’achat belge mieux protégé
Sur base annuelle
Source : Ameco (Commission européenne), compensation nominale par travailleur IPCH, calculs propres
6%
4%
2%
0%
-2%
-4%
-6%
-8%
-10%
2023
2022
2021
Croissance économique
(Q1 2018 = 100)
Source : Eurostat, namq_10_gdp
113
La stabilité du pouvoir d’achat des ménages belges a permis à notre pays de sortir plus rapidement de la contraction économique provoquée par le COVID-19. Notre situation économique est actuellement bien meilleure que celle de la plupart des autres pays de l’Union européenne.
108
103
98
93
88
83
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
— UE-27 pays (depuis 2020)
— Zone euro-20 pays (depuis 2023)
PROBLÈME STRUCTUREL DANS LES SALAIRES BELGES
Pourtant, tout n’est pas rose. Il existe un problème structurel dans la formation des salaires. Comme l’indique la Banque nationale dans sa publication de novembre 2023, « les coûts salariaux ont augmenté beaucoup moins que la productivité du travail (ce qui coïncide avec une diminution de la part des salaires dans le revenu national). Cela est dû aux diverses mesures politiques visant à améliorer la compétitivité des coûts des entreprises belges, tant par le biais des normes salariales (qui limitent la croissance des salaires réels) que par des mesures ad hoc dans la période post-2014, telles que la suspension temporaire des mécanismes d’indexation et les réductions des cotisations de sécurité sociale payées par l’employeur. »
En d’autres termes, les travailleurs et travailleuses belges rapportent de plus en plus à leur employeur, mais ne sont pas rémunérés équitablement pour leurs efforts. La productivité augmente d’année en année, mais la rémunération ne progresse pas de la même manière. L’une des raisons principales est évidemment la loi sur la norme salariale (loi de 1996). Elle limite l’augmentation des salaires en Belgique de manière anormale. Il faut absolument la réformer.
* La rémunération réelle mesure le pouvoir d’achat en tenant compte de la hausse des prix (inflation).
Les salaires ne suivent plus
la productivité depuis longtemps
(1995 = 100)
Source : OECD Compendium of Productivity Indicators
— Productivité
— Rémunération réelle
140
130
120
110
100
OÙ VA L’ARGENT ?
Lorsque les salaires n’évoluent pas au même rythme que la productivité, cela signifie que la part des salaires dans l’économie diminue. En d’autres termes, la part du gâteau revenant aux travailleurs est de plus en plus mince. Le mouvement inverse est également vrai : la part des profits est en hausse depuis plus de deux décennies.
La part des salaires se réduit
Source : BNB, Principaux indicateurs des comptes de secteurs trimestriels
— Part des salaires en pourcentage
de la valeur ajoutée
— Part du capital en pourcentage
de la valeur ajoutée
70%
65%
60%
55%
50%
45%
40%
35%
30%
L’analyse qui précède est plutôt de nature macroéconomique. Si l’on examine les chiffres des bénéfices des entreprises elles-mêmes, on constate que les marges bénéficiaires ont systématiquement augmenté au cours des deux dernières décennies. Alors qu’au début de ce millénaire, les marges bénéficiaires se situaient autour de 35%, elles dépassent aujourd’hui systématiquement les 40%. La crise de l’énergie et les hausses de salaires n’ont donc en rien affecté ces marges bénéficiaires, malgré les déclarations catastrophistes des organisations patronales. Il y a donc une grande marge de manœuvre pour rémunérer les travailleurs en fonction de leur productivité accrue.
Marges bénéficiaires* des entreprises en Belgique à la hausse
* Comme indicateur de la marge bénéficiaire, l’excédent brut d’exploitation est comparé à la valeur ajoutée de l’entreprise (en %). Brut signifie : sans tenir compte des amortissements.
Source : BNB
46%
44%
42%
40%
38%
36%
34%
De plus, les entreprises belges n’ont pas à se plaindre sur le plan international, leurs marges bénéficiaires ayant tellement augmenté depuis le début des années 2000, qu’elles surpassent les pays voisins. Seules les marges bénéficiaires des entreprises néerlandaises se trouvent, depuis peu de temps, sur le même niveau élevé que les marges bénéficiaires belges.
Marges bénéficiaires Comparaisons avec les pays voisins
Source : Eurostat, Gross profit share of non-financial corporations
45%
40%
35%
30%
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
LES COÛTS SALARIAUX NE SONT PAS TROP ÉLEVÉS
Malgré ces bénéfices élevés, les employeurs continuent de se plaindre du coût du travail en Belgique. De nombreux arguments suggèrent pourtant que les coûts salariaux belges ne sont en réalité pas problématiques pour la position concurrentielle de notre pays.
Tout d’abord, la part des coûts salariaux dans les prix de production est très limitée : dans l’industrie, elle n’est que de 11% et suit une tendance à la baisse. Par rapport aux pays voisins, le coût salarial joue un rôle plus limité dans la fixation des prix.
Part des coûts salariaux dans les prix de production
Industrie
Source : Eurostat, comptes nationaux agrégés par industrie, d’après le Think Tank Minerva
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
— Zone euro – 20 pays (depuis 2023)
25%
20%
15%
10%
Si l’on tient compte de la productivité et que l’on considère ce que l’on appelle le « coût salarial par unité produite » (coût salarial par valeur ajoutée produite), les coûts salariaux belges sont, selon les dernières données disponibles, inférieurs à ceux des trois pays voisins.
Coût salarial par unité produite à la baisse
En euros
Source : BNB, BNB Economic Review 2023 No 8
0,67
0,65
0,63
0,61
0,59
0,57
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
Un autre élément qui place les coûts salariaux dits « excessifs » dans une perspective différente est celui des subventions salariales. Celles-ci ont augmenté massivement ces dernières années. Et elles sont nombreuses en Belgique : pour le travail de nuit, les heures supplémentaires, le travail posté, la RED… En 2022, ces subventions salariales s’élevaient à plus de 9 milliards d’euros. Ces subsides constituent l’aide économique la plus importante en Belgique. Dans les pays voisins, ils n’existent pratiquement pas, comme l’indique le graphique suivant. Lorsque l’on calcule la différence de coûts salariaux (le « handicap salarial ») entre la Belgique et les pays voisins, les subventions salariales ne sont pas incluses. Le handicap salarial est donc largement surestimé.
Les subsides salariaux restent élevés
En % masse salariale totale
Source : Conseil Central de l’Économie, rapport 2023 sur le handicap salarial
6% — Belgique
— Allemagne
5%
— France
4% — Pays-Bas
3%
2%
1%
0%
UNE NOUVELLE INÉGALITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL : LES RÉMUNÉRATIONS ALTERNATIVES
Les rémunérations alternatives sont des avantages que les salariés reçoivent en plus de leur salaire normal. Dans les années 1990, les entreprises ont commencé à négocier de plus en plus d’avantages sociaux, tels que des chèques-repas et des voitures de société. Cette évolution a été encouragée par des allégements fiscaux et parafiscaux, qui ont rendu ces formes de rémunération plus attrayantes tant pour les employeurs que pour les salariés. Au cours des dernières décennies, on a assisté à une prolifération d’offres de rémunération alternatives telles que les warrants, les bonus et les plans cafétéria.
Ces formes alternatives de rémunération posent deux problèmes. Tout d’abord, d’un point de vue fiscal et parafiscal, elles ne sont pas traitées de la même manière que le salaire brut. Elles ne permettent donc pas de se constituer des droits sociaux, comme la pension. Plus le glissement du salaire brut à des formes alternatives de rémunération se poursuit, plus le financement de la sécurité sociale et des services publiques est difficile, et plus les droits sociaux accumulés sont limités.
Deuxièmement, les formes alternatives de rémunération sont inégalement réparties. Ce sont les classes salariales les plus élevées qui sont en sont majoritairement bénéficiaires. Il s’agit donc d’une inégalité supplémentaire dans la distribution des salaires. Les voitures de société, les primes de résultat et les primes collectives (convention collective 90) sont principalement réservées aux revenus les plus élevés. En outre, une différence importante entre les sexes peut être observée : la rémunération alternative est accordée relativement plus aux hommes qu’aux femmes.
Les revenus les plus élevés obtiennent plus facilement des rémunérations alternatives*
Montant moyen pour l’ensemble des salariés sur base annuelle
Source : ONSS, en collaboration avec SD Worx
* Il convient de noter que l’analyse ci-dessus n’inclut pas les formes alternatives de rémunération suivantes en raison de différences méthodologiques : options d’achat d’actions, deuxième pilier de pension et budget de mobilité.
5.000 €
4.500 €
4.000 €
3.500 €
3.000 €
2.500 €
2.000 €
1.500 €
1.000 €
500 €
0 €
Chèques sports et autres Téléphone et internet Allocations familiales Prime de bénéfice Chèques-repas
CCT90
Éco-chèques Transport public Indemnité vélo Voiture propre Voiture de société
Outre les autres formes de rémunération mentionnées ci-dessus, l’inégalité la plus prononcée concerne les options sur actions/stock-options (une option d’achat d’actions ou un bon de souscription d’actions donne à son détenteur le droit d’acheter des actions au cours d’une période prédéterminée, à un prix déterminé à l’avance).
Ce sont les plus hauts revenus qui reçoivent le plus d’options. Parce qu’elles sont souvent accordées individuellement, les options sur actions passent souvent entre les mailles de la loi de 1996. Autrement dit, les PDG qui applaudissent le carcan strict de la loi de 1996 s’accordent un avantage substantiel sous la forme d’options sur actions par des moyens détournés.
Au cours de l’exercice 2022, 151.212 salariés se sont vu attribuer des options d’achat d’actions pour une valeur d’environ 1,7 milliard d’euros.
Montant moyen des options sur actions par tranche salariale
Sur base annuelle
Source : ONSS, en collaboration avec SD Workx
140.000 €
120.000 €
100.000 €
80.000 €
60.000 €
40.000 €
20.000 €
0 €
Tranches de revenus sur base annuelle
LES SALAIRES MINIMUMS MÉRITENT MIEUX
Fin 2022, l’Union européenne a adopté la directive sur le salaire minimum adéquat. Cette directive a pour ambition d’augmenter les salaires minimums dans les pays où il existe un salaire minimum légal. La directive cite deux références comme critères possibles, à savoir une comparaison avec le salaire médian (au moins 60% de celui-ci) et le salaire moyen (au moins 50% de celui-ci).
En Belgique, au cours des dernières décennies, le rapport entre le salaire minimum et le salaire médian (le salaire situé au milieu de la distribution des salaires, la moitié gagnant plus, l’autre moitié gagnant moins) a diminué. Cela signifie que l’augmentation du salaire minimum est restée à la traîne par rapport aux autres salaires. La Belgique allait ainsi à l’encontre d’une tendance internationale : dans les autres pays industrialisés, le salaire minimum se rapproche du salaire médian.
Heureusement, cette situation a changé. Grâce notamment à la campagne FGTB #fightfor14, les salaires minimums belges ont augmenté plus rapidement que les autres salaires au cours des trois dernières années. Le rattrapage est enfin en cours.
Rapport entre le salaire minimum et le salaire médian
Source : OCDE, Salaire minimum par rapport au salaire médian des travailleurs à temps plein
— Moyenne pays OCDE
— Belgique
55%
50%
45%
40%
Rapport entre le salaire minimum vis-à-vis du salaire médian
et du salaire moyen
(2023)
Source : OCDE, Salaire minimum par rapport au salaire médian des travailleurs à temps plein
% salaire moyen
% salaire médian
Mais ce rattrapage est insuffisant pour atteindre les seuils européens de 60% (rapport au salaire médian) et de 50% (rapport au salaire moyen). Seuls trois pays atteignent actuellement l’un ou l’autre de ces deux seuils : le Portugal, la Slovénie et la France. La Belgique est dans la deuxième moitié du peloton.
Portugal Slovénie France Luxembourg
Pologne Espagne Allemagne Slovaquie
Grèce Pays-Bas Belgique Irlande Hongrie Lituanie
Rép. tchèque
Estonie Lettonie
0% 10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
L’ÉCART SALARIAL
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SE RÉDUIT TROP LENTEMENT
Entre 2021 et 2022, il y a une baisse de l’écart salarial entre les hommes et les femmes tous secteurs confondus de 1,1%. En effet, il était de 21% en 2021. L’écart se réduit, mais très lentement, notamment grâce à l’attention syndicale depuis 20 ans.
Évolution de l’écart salarial entre les hommes et les femmes
Source : Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes
25%
20%
15%
10%
5%
— Écart salarial
AVEC correction pour la durée de travail
— Écart salatial
SANS correction pour la durée de travail
Salaires annuels bruts moyens, sans correction pour la durée du travail
(2022)
Source : Institut pour l’égalité entre les hommes et les femmes
40.000 €
30.000 €
20.000 €
10.000 €
0 €
32.086 € 40.073 €
Les causes de cet écart salarial sont diverses. Les filles suivent encore souvent des filières d’études qui mènent à des emplois et des secteurs moins rémunérateurs. De même, les femmes sont surreprésentées dans les professions et les secteurs qui ont des salaires bas. On trouve également plus de femmes dans des secteurs où seuls des contrats à temps partiel sont proposés. Les femmes sont plus souvent discriminées à différents stades de leur carrière, depuis le recrutement et la sélection jusqu’aux promotions. Ce plafond de verre les coince dans des postes inférieurs moins rémunérateurs. Une autre source d’accentuation de cet écart moyen se trouve dans la répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants et proches dépendants. Cette répartition inéquitable pèse bien souvent sur les femmes, qui se voient dans l’obligation de réduire leurs horaires de travail et donc de perdre en rémunération. L’écart salarial se creuse aussi si on tient compte des avantages extra-légaux qui sont plus souvent accordés aux hommes qu’aux femmes (voir point sur les rémunérations alternatives).
DES PROPOSITIONS QUI VONT NUIRE AU POUVOIR D’ACHAT
N « N’indexer les salaires nets que lorsque l’inflation est élevée » : en tant que travailleur, vous gagnez à court terme, mais vous perdez à long terme. Les droits sociaux sont calculés sur la base du salaire brut. Moins de salaire brut signifie moins de pension, moins d’indemnités de maladie et moins d’indemnités de chômage lorsque vous en avez besoin. De plus, c’est un cadeau pour les employeurs, car leurs cotisations sociales sont calculées sur la base des salaires bruts.
N « Pas d’indexation pour les salaires élevés lorsque l’inflation est forte » : cela semble juste, mais cela sape l’objectif de l’indexation automatique. Pour la redistribution, notre système fiscal progressif existe : plus votre indexation est élevée (en argent), plus votre contribution fiscale est élevée. En n’accordant pas l’indexation aux salaires élevés, on risque de remettre en cause le système d’indexation dans son ensemble : une partie importante des travailleurs ne le soutiendraient plus. La solidarité entre les travailleurs est ainsi brisée.
N « Un indice de durabilité » : retirer les combustibles fossiles de l’indice. L’indice est conçu de manière à ce que l’augmentation des dépenses moyennes des ménages soit compensée. Les combustibles fossiles représentent toujours une part importante des dépenses des ménages. Les retirer de l’indice signifie une forte baisse du pouvoir d’achat à l’avenir, car on s’attend à ce que les prix des combustibles fossiles augmentent fortement.
N « Une réforme de la TVA » : l’augmentation du taux réduit de TVA sur les produits de base de 6% à 9% entraînera une augmentation directe du prix du panier des ménages: entre 10 et 20 euros de plus par mois pour l’alimentation ; 15 euros de plus par mois pour le gaz et l’électricité ; une moyenne de 30 euros de plus par an pour les médicaments. Cela revient à une augmentation de la facture pour une famille moyenne de près de 400 euros par an.
Dépenses moyennes des ménages
Source : Enquête sur le budget des ménages et calculs propres
Dépenses moyennes pour la totalité des ménages (par an en euros)
Dépenses moyennes pour la totalité des ménages (par an en euros)
si modification du taux de TVA
REVENDICATIONS
N Les travailleurs doivent avoir le droit de négocier collectivement leurs salaires, en fonction des critères qui comptent : productivité, augmentation des marges bénéficiaires, inflation. La loi sur la fixation des salaires — la loi de 96 — ne le permet pas actuellement. Cette loi doit être réformée en profondeur : la norme salariale doit devenir indicative et la différence salariale avec les pays voisins doit être calculée correctement. C’est à dire en tenant compte des subventions et des réductions de cotisations qui allègent les
« coûts salariaux ».
N L’indexation automatique doit être garantie dans sa forme actuelle, c’est la meilleure protection contre la perte du pouvoir d’achat.
N Les formes alternatives de rémunération doivent être traitées, au niveau fiscal et parafiscal, de la même manière que la rémunération brute, pour ainsi contribuer au financement des services publics et de la sécurité sociale, et ainsi permettre au travailleur de se constituer des droits sociaux.
N Les salaires minimums sont à la traîne par rapport au salaire médian. Ils doivent se rapprocher de 60% de ce dernier, à court terme. Notre revendication est d’atteindre en 2030, 17 euros l’heure et 2.800 euros par mois.
N Combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes passe par une plus grande attention à la dimension de genre dans l’éducation et une plus grande participation des femmes au marché du travail. De même, davantage de structures d’aide sociale et de soin vont permettre à plus de femmes d’accéder au marché du travail, dans des emplois à temps plein. Une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et recrutement compensatoire pour tous les secteurs et toutes les catégories d’employés permettrait aussi de mieux distribuer le travail.
N Dans ce contexte, rappelons qu’il est nécessaire de transposer de manière maximaliste et le plus rapidement possible la directive européenne sur la transparence des rémunérations, qui s’attaquent à la discrimination en matière de rémunération et plus précisément à l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Les États membres ont jusqu’en 2026 pour transposer la directive dans leur législation nationale.
2
TRAVAIL
Le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé, depuis plus de 20 ans. Néanmoins, le bien-être physique et mental des travailleurs et travailleuses se détériore. Le nombre de malades de longue durée explose. On n’a qu’une santé ! Et aujourd’hui trop de personnes la perdent en travaillant. La prévention de la santé et sécurité au travail doit devenir une priorité sociétale, et les employeurs doivent prendre leurs responsabilités.
La flexibilité accrue fragilise les travailleurs en créant des emplois précaires au détriment de contrats stables. La FGTB se bat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de l’ensemble des travailleuses et travailleurs.
UN TAUX D’EMPLOI HISTORIQUEMENT ÉLEVÉ
Le marché du travail en Belgique se porte plutôt bien. Le constat est posé par le dernier Rapport de Conseil supérieur de l’emploi qui souligne que « la résilience du marché du travail durant la crise sanitaire et le dynamisme de la reprise ont largement surpassé les attentes. Les créations nettes d’emplois ont atteint des niveaux que le pays n’avait jamais connu. Elles se sont élevées à environ 100.000 unités en 2021 et 2022. On est revenu en 2023 à des valeurs proches de la moyenne historique qui se chiffre à 43.000 unités. »
En effet, en 2023, le taux d’emploi général s’élève à 72,1%, avec des différences régionales. Néanmoins, il existe de grandes différences du taux d’emploi entre les hommes et les femmes, ainsi que selon le niveau d’instruction.
Évolution du taux d’emploi des 20-64 ans entre 2000 et 2023
Source : Statbel
80%
75%
70%
65%
60%
55%
— Hommes
— Femmes
50%
2000
2005
2010
2015
2020
2025
— Total
Bien que le taux d’emploi des femmes reste inférieur à celui des hommes, il a connu une croissance très Taux d’emploi
selon le niveau d’instruction
Source : Statbel
importante ces 20 dernières années, +12,3%, en 90%
3,5%
passant de 56% à 68,3%. Pendant cette même période, le taux d’emploi des hommes a progressé de 0,4%.
80%
3,26%
3,0%
Selon l’Enquête sur les forces de travail 2024, le taux 70% 2,95% 2,5%
d’emploi des personnes avec un niveau d’instruction 60% 85,6% 2,0%
faible s’élève à 47,2% contre 85,6% pour les personnes avec un niveau d’instruction élevé. Entre 2017 et 2024, tous les taux d’emploi ont augmenté mais à des rythmes 50%
40% 68,1%
47,2% 1,5%
1,0%
différents (+ 2,9%) pour les personnes avec un niveau 30% 0,5%
d’instruction faible, contre +3,3% pour celles avec un 20% 1,03%
0%
niveau d’instruction élevé. Cela démontre l’importance du niveau d’instruction et du diplôme sur le marché du travail en Belgique. 10%
0% 10%
0%
Niveau d’instruction faible
Niveau d’instruction moyen
Niveau d’instruction élevé
Taux d’emploi
Évolution 2017-2024
Concernant les personnes âgées de 55 à 64 ans, on remarque une augmentation forte du taux d’emploi. Pour la Belgique, ce taux était de 26,3% en 2000 et de 56,6% en 2022. Ceci s’explique notamment par la remontée progressive de l’âge légal de la pension à taux plein et l’accès plus compliqué aux prépensions. En outre, il y a aussi un effet de génération. Aujourd’hui, il y a plus d’hommes et femmes actifs dans cette tranche d’âge. Les travailleurs actuels restent aussi actifs plus longtemps sur le marché du travail pour des raisons sociologiques (études plus longues, constitution d’une famille plus tardive, enfants aux études, etc.).
Taux d’emploi des 55-64 ans en Belgique à la hausse
Source : Statbel
60%
55%
50%
45%
40%
35%
30%
25%
LA QUALITÉ DE L’EMPLOI :
FAIRE UN LIEN ENTRE EMPLOI ET BIEN-ÊTRE
La qualité de l’emploi, c’est quoi ? La définition comprend l’ensemble des caractéristiques de l’emploi qui ont une influence sur la santé et le bien-être. Une analyse de la qualité de l’emploi est nécessaire pour plusieurs raisons :
N Au plus la qualité des emplois est élevée dans un pays, au plus celui-ci peut alors attirer de travailleurs qualifiés. Ce qui entraîne une augmentation de la productivité et de la croissance économique.
N Des emplois de haute qualité permettent d’apporter une sécurité et une stabilité financières aux travailleurs et travailleuses, ainsi qu’à leurs familles, améliorant ainsi la qualité de vie globale.
N Des emplois de haute qualité peuvent accroître la satisfaction au travail et la motivation des travailleurs et travailleuses. C’est bon pour la productivité et le moral au travail.
Selon l’analyse du SPF emploi réalisée en 2023* (sur base de l’Eurofound de 2021), la situation s’est améliorée entre 2015 et 2021 au niveau des caractéristiques suivantes : les contrats à temps plein, les opportunités de carrière, la participation et la représentation des travailleurs. Les perspectives de carrière et la représentation des travailleurs se sont également améliorées.
* Sur base de l’Eurofound de 2021, l’enquête 2024 est en cours de réalisation.
Caractéristiques de l’emploi et du travail des salariés
en 2015 et 2021
Score entre 0 et 100
Note : une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Les lignes jaunes représentent le lieu de travail. Un score de 100 indique « toujours », un score de 0 signifie « jamais ». À l’exception des caractéristiques indiquées par le symbole « * » pour lesquelles le chiffre représente le pourcentage de répondants concernés.
Source : SPF Emploi, basé sur EWCS 2015 et 2021, d’après les calculs de l’HIVA
Autonomie ordre des tâches Autonomie méthodes de travail Autonomie vitesse de travail Positions fatiguantes
Soulever des personnes Porter des charges lourdes Mouvements répétitifs Exposition produits chimiques Exposition matériaux infectieux
Travailler dans le bruit Travail dans locaux de l’employeur
Travail chez les clients Travail dans un véhicule Travail à domicile
Travail dans d’autres endroits
Contrat permanent* Travail à temps plein* Formation sur le tas*
Formation payée par l’employeur*
Travail de nuit Opportunités de carrière
Participation Représentation*
Intimidation et harcèlement moral* Attentions sexuelles non désirées* Menaces ou violences verbales*
Soutien des collègues Soutien du responsable hiérarchique
2015
2021
0 20 40 60 80 100
Par contre, en ce qui concerne la santé et le bien-être des travailleurs, la plupart des marqueurs se sont détériorés, ou sont restés au même niveau.
Bien-être psychologique et santé des salariés en 2015 et 2021
Score entre 0 et 100
Note : une ligne verte indique une amélioration de la situation du travailleur entre 2015 et 2021, une ligne rouge une diminution, un point orange une stagnation. Un score de 100 indique « toujours », un score de 0 signifie « jamais ». Pour les caractéristiques indiquées par le symbole « * », le chiffre représente le pourcentage de répondants concernés. Pour l’insécurité de l’emploi (°) l’échelle est 0 pour « pas du tout d’accord » et 100 pour « tout à fait d’accord ».
Source : SPF Emploi, EWCS 2015 et 2021, d’après les calculs de l’HIVA
Satisfaction au travail
Présentéisme*
Insécurité de l’emploi°
Epuisement physique Epuisement mental
Impact négatif du travail sur la santé* Se sentir bien et de bonne humeur Se sentir calme et tranquille
Se sentir plein d’énergie et vigoureux Se sentir frais et reposé au réveil
Vie quotidienne remplie de choses intéressante
TRAVAILLEURS ÉTRANGERS :
L’ENJEU D’UNE MEILLEURE INTÉGRATION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
En Belgique, le taux d’emploi officiel des personnes de nationalité étrangère est systématiquement inférieur à celui des travailleurs de nationalité belge. Mais cela ne reflète que partiellement la réalité sur le terrain. De nombreux travailleurs passent en effet sous les radars des statistiques officielles.
Pourtant, augmenter le taux d’emploi et les salaires des personnes nées à l’étranger serait une manière d’augmenter leur contribution positive aux finances publiques. Cela passe par une sortie du travail informel (travail au noir) et par des régularisations plus rapides pour les personnes sans droit de séjour.
Taux d’emploi selon la nationalité
Source : indicators.be
— Belges
— Citoyens UE27 hors Belges
— Citoyens non UE
80%
70%
60%
50%
40%
30%
Selon les chiffres de l’OCDE et l’OIT, les immigrés (selon l’OCDE, les « ressortissants de pays tiers ») ne bénéficient pas de plus d’allocations sociales que les personnes nées dans le pays. Au contraire, ils contribuent plus qu’ils ne « coûtent ».
En effet, selon la dernière étude de l’OCDE*, dans les 25 pays pour lesquels des données sont disponibles, en moyenne au cours de la période 2006-2018, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations a été supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation.
* Source : Perspectives des migrations internationales 2021.
La contribution fiscale des immigrés est supérieure aux dépenses consacrées à leur protection sociale, leur santé et leur éducation
Source : OCDE, 2021
Autres
Recettes
Autres (n.c. services publics généraux E défense)
Éducation
Dépenses
Contributions sociales des employeurs
Impôts
2.500
milliards
$ US*
Impôts E contributions sociales
Protection
2.000
milliards
$ US*
Santé
indirects (ex. TVA)
* Inclut 25 pays de l’OCDE, 2017
sociale (autres)
Vieillesse
La contribution budgétaire nette des immigrés reste positive dans tous les pays, à l’exception des pays baltes. Ceci implique que, dans presque tous les pays, les immigrés financent pleinement leur part des dépenses consacrées aux biens publics.
L’OIT ajoute en outre que les travailleurs migrants contribuent à la croissance et au développement de leur pays de destination, tandis que les pays d’origine bénéficient de leurs envois de fonds et des compétences acquises au cours de leur expérience migratoire.
L’ENJEU DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
Les leviers pour accéder à l’emploi sont nombreux. Parmi ceux-ci, vu le lien important entre le taux d’emploi et le niveau d’instruction dans notre pays, la formation professionnelle est capitale.
L’apprentissage tout au long de la vie était un élément principal de la stratégie de Lisbonne en 2000. Cette stratégie européenne avait pour objectif d’élever le niveau général de formation de la population et la structure des qualifications, en partant du constat que l’Union Européenne souffrait d’une insuffisance de main-d’œuvre qualifiée. Et ce, dans un contexte où la demande de travailleurs qualifiés augmentait fortement. Depuis cette date, peu de progrès ont été enregistrés en Belgique. En 2023, à peine 11% des travailleurs déclaraient avoir suivi une formation professionnelle
— formelle ou informelle — payée ou non par l’employeur au cours des quatre dernières semaines. Cela reflète le peu d’investissement des employeurs en la matière, alors même que la Belgique se trouve en queue de peloton européen.
En outre, entre 2000 et 2022, la Belgique est parmi les pays qui ont le moins progressé, soit
+4,9%. Certains, comme la Suède, ont fait des avancées de +17%.
La formation professionnelle relève d’une responsabilité collective. Les employeurs doivent notamment s’assurer que leurs travailleurs maintiennent des compétences en adéquation avec l’évolution des besoins de la société et du marché du travail. La formation continue au sein des entreprises et des secteurs doit impérativement être favorisée. Le compte individuel de formation qui garantit en moyenne à tous les travailleurs 5 jours de formation par an est un premier pas dans la bonne direction et ne peut être supprimé. Toutefois, ce mécanisme nécessite un contrôle pour éviter que cela ne devienne une boîte vide.
Participation des adultes à la formation au cours
des quatre dernières semaines
Source : Eurostat
2023
2000
Suède Danemark
Suisse Pays-Bas Islande Finlande Estonie Norvège Autriche Luxembourg
Espagne France Portugal
UE- 27 pays (àpd 2020)
Irlande Italie Belgique Hongrie Pologne Allemagne
Grèce
0%
5% 10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
AUTOMATISATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (I.A.) : OPPORTUNITÉS OU DANGERS POUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL ?
Quel sera l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi ? Bien que personne ne dispose de boule de cristal, certains indicateurs nous permettent de penser que l’impact sera moins dévastateur qu’annoncé il y a une dizaine d’années. À l’époque, certains (notamment Carl Frey et Michael Osborne, chercheurs à Oxford) estimaient que plus de 40% des emplois pourraient disparaître. Les études plus récentes sont plus nuancées.
L’OCDE estime que dans la zone OCDE, 27% des emplois en moyenne sont très exposés au risque d’automatisation.
40%
Pourcentage d’emplois fortement exposés au risque d’automatisation
En 2021
Source : OCDE
30%
20%
10%
0%
Une récente étude de l’OIT* suggère que la plupart des emplois et des industries ne sont que partiellement exposés à l’automatisation et sont plus susceptibles d’être complétés que remplacés par la dernière vague d’IA générative, telle que chatGPT. Par conséquent, l’impact le plus important de cette technologie ne sera probablement pas la destruction d’emplois, mais plutôt les changements potentiels de la qualité des emplois, notamment l’intensité du travail et l’autonomie. Ces impacts varient fortement selon les secteurs et les fonctions.
Le travail de bureau s’avère être la catégorie la plus exposée aux technologies d’intelligence artificielle, avec près d’un quart des tâches considérées comme très exposées et plus de la moitié des tâches présentant un niveau d’exposition moyen.
Dans d’autres catégories professionnelles — notamment les cadres, les professionnels et les techniciens — seule une petite partie des tâches est considérée comme très exposée, tandis qu’environ un quart d’entre elles présentent un niveau d’exposition moyen.
L’étude, de portée mondiale, met en évidence des différences notables dans les effets sur les pays, en fonction du niveau de développement de ces derniers. Ces différences sont liées aux contextes économiques et aux écarts technologiques déjà existants. L’étude constate que 5,5% de l’emploi total dans les pays à revenu élevé est potentiellement exposé aux effets d’automatisation de la technologie, alors que dans les pays à faible revenu, le risque d’automatisation ne concerne qu’environ 0,4% de l’emploi**.
L’IA est déjà utilisée dans beaucoup de secteurs et pour une multitude d’application (transports, soins de santé, construction, RH, etc.). Les enjeux qui y sont liés sont nombreux : la vie privée, la protection des données, l’exactitude des données, les systèmes de prise de décision algorithmique, la gestion algorithmique, la surveillance, etc.
* Generative AI and Jobs : A global analysis of potential effects on job quantity and quality, août, 2023
** Voir le classement des pays par revenu : https ://ilostat.ilo.org/fr/methods/concepts-and-definitions/classification-country-groupings/
LA PÉNURIE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL :
DES NUANCES INDISPENSABLES
Selon la définition d’ Eurostat*, au premier trimestre 2024, la Belgique a le 2e plus haut taux d’emploi vacant dans l’UE. Il s’élève à 4,4% après l’Autriche (4,5%). Le taux de vacance d’emploi est plus élevé en Région flamande (4,85%) qu’en Région de Bruxelles-Capitale (3,72%) et qu’en Région wallonne (3,54%).
* Le taux d’emplois vacants mesure la proportion de l’ensemble des emplois qui sont vacants. Il est exprimé en pourcentage : nombre d’emplois vacants / nombre d’emplois occupés + nombre d’emplois vacants.
5%
Taux d’emplois vacants 4% Ensemble de l’économie,
1er trimestre 2024
Données non corrigées des variations saisonnières
Source : Eurostat 2%
1%
0%
Derrière ce chiffre, qui semblent indiquer une pénurie généralisée de main-d’œuvre, se cachent différentes réalités.
De manière générale, le vieillissement de la population joue un rôle plus important que dans d’autres pays européens: l’offre de main d’oeuvre est plus limitée.
Premièrement, il est plus difficile d’embaucher dans certains secteurs et professions que dans d’autres. Les causes en sont multiples et souvent, se combinent. En effet, il ressort de différentes études du FOREM et du VDAB que les conditions de travail (type de contrat, temps plein ou temps partiel, salaire, statut, horaire, difficultés de conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, distance par rapport au lieu de travail, pénibilité, cadre de travail…) et de recrutement (digitalisation accrue, entretien virtuel…) proposés pour ces métiers constituent un facteur déterminant dans l’existence de la tension, voire de la pénurie. Ensuite, ces études soulignent également qu’il existe une disproportion entre exigences patronales (en termes d’expérience, de connaissance des langues, de détention du permis ou d’un véhicule) et conditions de travail. Ces exigences peuvent bien entendu avoir leurs raisons d’être pour certaines fonctions, mais sont clairement injustifiées pour de nombreuses autres et constituent des freins pour beaucoup de candidats potentiels. De plus, certaines filières d’études n’attirent pas suffisamment de jeunes, en raison d’un manque de connaissance des professions qui y sont liées ou de l’image négative de certains secteurs. Finalement, certains secteurs n’anticipent pas suffisamment les changements dus aux transitions (climat, numérisation…), ce qui provoque un manque de main-d’œuvre.
LEVIERS FINANCIERS POUR ACCEPTER UN JOB
Les libéraux veulent lutter contre les supposés « pièges à l’emploi » qui « inciteraient » les travailleurs à rester dans l’inactivité plutôt que d’accepter un emploi. Pour ce faire, ils prétendent
« créer » un différentiel de 500 euros entre le non-emploi et l’emploi. Or, aujourd’hui, la différence entre une allocation de chômage nette et le salaire minimum net est déjà de 545 euros pour une personne qui a le statut d’isolé (624 euros si l’on prend en compte le pécule de vacances).
Grâce à la FGTB, au 1er avril, le salaire minimum net a augmenté de 50 euros, ce qui veut dire que la « promesse électorale » des libéraux — d’une différence d’au moins 500 euros nets entre une allocation de chômage et l’emploi, c’est promettre quelque chose qui existe déjà ! La majorité des chômeurs a un intérêt financier à travailler. La différence de revenu est substantielle. Et souvent, le travail donne accès à des avantages extra-légaux (chèques-repas, assurances, etc.) qui ne sont pas pris en compte dans cette estimation. Une étude de l’université d’Anvers de mai 2024 ainsi qu’une autre de l’Institut pour un Développement durable* confirment ce constat.
* L’emploi progressif dans divers systèmes de prestations, étude exploratoire des possibilités et des pièges, Johannes Derboven, Ive Marx E Gerlinde Verbist, mai 2024.
Différence entre allocation et travail
Source : calculs propres sur base de données ONEM, INAMI et CPAS (mai 2024)
Allocation nette
Salaire minimum net
Revenu d’intégration cohabitant
Chômage cohabitant (M13-24)
Chômage cohabitant (M1-3)
Revenu d’intégration isolé
1.094 €
1.019 €
733 €
666 €
Incapacité de travail travailleurs irrégulier isolé (à partir de M7)
Chômage isolé
Incapacité de travail travailleurs régulier isolé (à partir de M7)
Chômage chef de ménage (parent isolé avec 2 enfants)
Revenu d’intégration chef de ménage (parent isolé avec 2 enfants)
666 €
545 €
349 €
326 €
324 €
0 € 500 €
1.000 €
1.500 €
2.000 €
En conclusion, ce « slogan » des libéraux vise seulement à marginaliser, culpabiliser et pointer du doigt les personnes privées de travail et d’ainsi les opposer aux travailleurs et travailleuses intégrés sur le marché de l’emploi.
La limitation dans le temps des allocations de chômage aurait de nombreuses conséquences à différents niveaux. Premièrement, au niveau national. Sachant que le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration social (RIS) en avril 2024 est de 165.620, si l’ensemble des chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi de plus de 2 ans (isolés et chefs de ménage) devaient basculer vers le RIS, le pays verrait une augmentation de 90.170 RIS, soit un total de 255.790 de personnes. Il y a une différence régionale comme l’indique le tableau ci-dessous.
Impact de la limitation des allocations de chômage à 2 ans
Chiffres : avril et juin 2024 Source : calculs propres
RIS actuels (personnes) Augmentations (personnes) Total (personnes) Pourcentage d’augmentation
Wallonie 75.318 38.091 113.409 50,57%
Flandre 43.595 26.129 69.724 59,94%
Bruxelles 46.707 25.950 72.657 55,56%
Belgique 165.620 90.170 255.790 54,44%
Les CPAS (donc le niveau communal) en subissent aussi les répercussions. En effet, si l’on regarde la tendance dans le temps, on constate que le nombre de bénéficiaires du RIS ne fait qu’augmenter (il a doublé en 20 ans), passant d’un peu moins de 80.000 personnes en 2003 à un peu moins de 165.000 en mai 2024 (2,22% de la population belge en âge de travailler).
Bénéficiaires du revenu d’intégration sociale
Nombre moyen mensuel
Source : baromètre de l’intégration sociale, Belgique, 2024
180.000
160.000
140.000
120.000
100.000
80.000
60.000
Avec la simulation de basculement des exclus du chômage vers le RIS, on serait à 3,43% de cette population d’âge actif. Outre l’impact sur les dépenses des communes, cette mesure poserait aussi des défis organisationnels et logistiques : personnel supplémentaire, investissement dans du matériel pour accompagner l’augmentation des usagers, etc. Dans les grandes villes (celles qui, numériquement, seront le plus impactées par la limitation), un travailleur social de première ligne d’un CPAS gère en permanence 80 à 100 dossiers. Comment donc suivre l’afflux massif de nouveaux bénéficiaires et faire en sorte que personne ne disparaisse des radars ?
LES DEMANDEURS D’EMPLOI
PLUS EXPOSÉS AU RISQUE DE PAUVRETÉ
Une limitation des allocations de chômage dans le temps ignore le fait que 4 demandeurs d’emploi sur 10 vivent dans la pauvreté. Une politique qui viserait à aggraver leur situation est une politique cynique.
En Belgique, le taux de pauvreté est de 12,3%. Plus précisément, cela signifie que 12,3% de la population vit dans un ménage dont le revenu est inférieur à 1.450 euros nets par mois pour une personne seule ou à 3.045 euros nets par mois pour un ménage composé de deux adultes et de deux enfants (<14 ans). Ce taux est de plus de 40% pour les demandeurs d’emploi.
Taux de pauvreté monétaire
(2024)
Source : Statbel et service de lutte contre la pauvreté
Travailleurs Pensionnés
Général Demandeurs d’emploi
0% 5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
LA DURÉE DU TEMPS DE TRAVAIL… UNE QUESTION SOCIÉTALE
La réduction collective du temps de travail est une revendication historique de la FGTB. Cela se concrétise par la volonté d’aboutir à une semaine de 32h pour un temps plein (avec maintien du salaire et recrutement compensatoire, etc.) ou encore par l’instauration d’une 5e semaine de congés annuels supplémentaire.
En effet, avec un minimum légal de 20 jours de vacances annuelles, la Belgique est à la traîne en Europe : 30 jours de congé en Espagne, 26 au Luxembourg, 25 en France, 24 jours en Allemagne. Selon le Baromètre des parents (sondage Ipsos, 2022), seuls 44% des parents ont droit à plus de 20 jours de congé par an en Belgique. Les travailleurs à bas revenus subissent une double peine, ayant encore moins accès que les autres à des jours de congé supplémentaires.
Les réductions conventionnelles du temps de travail ont largement contribué à la baisse du temps de travail moyen des salariés, principalement avant 1980. Depuis 2001 et le passage à la semaine des 38 heures, le temps de travail n’a plus été réduit de manière généralisée alors que la productivité a augmenté. Néanmoins, certains secteurs ont réduit la durée du travail hebdomadaire moyenne via des CCT sectorielles. Cela peut aller de 37h50 (ex. : industrie verrière) à 35 h par semaine (ex. : les banques).
Réduction collective du temps de travail
Au niveau européen, la Belgique semble également à la traîne en matière de réduction du temps de travail. Depuis les années 1970, le temps de travail moyen par salarié a diminué de plus de 25% dans les pays voisins et les économies comparables. En Belgique, le temps de travail a diminué de 18% depuis 1970.
Nombre moyen d’heures annuelles prestées par travailleur
Source : OCDE
2.000
1.900
1.800
1.700
1.600
1.500
1.400
1.300
— Belgique
— Allemagne
— France
— Pays-Bas
— Finlande
— Danemark
Concrètement, depuis presque 40 ans en Belgique, le nombre d’heures travaillées par semaine par les personnes à plein temps n’a presque pas évolué.
Moyenne des heures hebdomadaires habituelles prestées dans l’emploi principal
Source : OCDE
40,0
39,5
39,0
38,5
38,0
37,5
37,0
36,5
36,0
Une réduction collective du temps de travail et une meilleure répartition des heures supplémentaires permettraient de mettre plus de personnes à l’emploi.
Malheureusement, il n’existepasdestatistiquesdisponiblessurlenombred’heuressupplémentaires(rémunérées ou pas) en Belgique. Toutefois, selon une enquête interne à la FGTB réalisée en 2024 sur un échantillon de plus de 13.000 travailleurs, on constate qu’environ 15% des travailleurs prestent plus de 5h supplémentaires par semaine. Cela revient à prester 1 heure supplémentaire par jour de travail (dans un régime de 5 jours de travail).
Pendant cette période, les formes de réductions individuelles du temps de travail se sont développées (crédit- temps, congé parental, congés pour soins palliatifs, etc.). Ces formes de congés individuelles répondent à un besoin, mais ne sont pas accessibles à tous les travailleurs (frein financier, accord de l’employeur, répercussions sur les opportunités de carrière, impacts sur les formations, etc.). Alors qu’une réduction collective du temps de travail permettrait de mieux partager le travail et d’assurer à chaque travailleur et chaque travailleuse une meilleure qualité de vie.
LA COURSE À LA FLEXIBILITÉ DES TRAVAILLEURS
Comme le souligne le Conseil supérieur de l’emploi (2024), les formes de travail plus flexibles et à coût réduit pour les employeurs progressent rapidement. Ces 20 dernières années, les jobs étudiants ont connu une évolution du cadre légal. En 2023 et 2024, le temps de travail maximal a été porté à 600 heures par an. Dès 2025, ce temps de travail repasse à 475 h, sous réserve d’une autre décision prise par un prochain gouvernement. À titre d’illustration, 600 h représentent plus qu’un trimestre de travail à temps plein.
120
100
80
60
40
20
0
Flexi-travailleurs
Milliers de personnes
Source : conseil supérieur de l’emploi
Nouvel élargissement des secteurs
🡓
600
500
400
300
200
100
0
Jobs étudiants
Milliers de personnes
Source : conseil supérieur de l’emploi
En 10 ans (de 2012 à 2023), le nombre de jobs étudiants a augmenté de +75%. Hors période de crise, le nombre de postes de travail étudiant est croissant. Cette augmentation a des répercussions directes sur le financement de la sécurité sociale, puisque les cotisations versées pour les jobistes sont inférieures à celles versées pour les emplois ordinaires : seule une cotisation de solidarité de 8,13% (dont environ 5% à charge de l’employeur) s’applique. En 2022, les cotisations des jobistes s’élevaient à 141.234.587 euros, soit un manque à gagner de 412.941.885 euros pour la sécurité sociale. Cette somme ne prend pas en compte le travail non déclaré qui est encore présent dans certains secteurs (voir ci-dessous).
Outre la question des cotisations, le nombre de jobistes en augmentation constante soulève la question de la précarité étudiante, et de la nécessité de cumuler études et emploi. Trop souvent au détriment à la fois du parcours scolaire du jeune, et de l’emploi classique dans les secteurs concernés.
En parallèle et pour rappel, les flexijobs ont été introduits en 2015 dans l’Horeca. En 2018 et 2024, le système a été étendu à davantage de secteurs. Aujourd’hui, près de 131.000 personnes sont occupées via un contrat de flexi-travailleur.
Jobs étudiants ou flexijobs, ces formes flexibles et précaires d’emploi privent certains travailleurs réguliers de contrats stables. Il s’agit principalement de travailleurs avec un faible niveau de formation et des salaires bas. Ce groupe affiche le taux d’emploi le plus bas. Comme dans le secteur de la distribution dans lequel les étudiants ont remplacé beaucoup de travailleurs et travailleuses. Les employeurs effectuent leur « shopping » entre les formes flexibles d’emploi au lieu de donner plus d’heures de travail (via des avenants aux contrats) aux travailleurs réguliers à temps partiel.
LES HORAIRES ATYPIQUES
Le travail est déjà bien assez flexible en Belgique. Pour preuve : 550.000 salariés travaillent habituellement dans un système de travail en équipe. Cela représente 13,2% de l’ensemble des salariés. Il s’agit de 15% des hommes et de 11,5% des femmes. Les trois secteurs qui enregistrent le pourcentage le plus élevé de travail en équipe sont l’industrie manufacturière (28.8%), les transports et l’entreposage (26%), la santé humaine et l’action sociale (24,6%). De même, près d’un tiers de l’ensemble des salariés et salariées travaillent le soir et/ou le samedi (commerces, soins de santés, etc.). Un travailleur sur dix travaille la nuit et un sur cinq travaille le dimanche.
Salariés dans les horaires atypiques
(2021)
Source : Statbel
Ces horaires inconfortables pour la vie quotidienne ont des répercusions tant sur la santé des travailleurs que sur leur vie familale et privée. Développer ces formes d’emploi est néfaste et engendre des coûts supplémentaires pour les travailleurs (garde d’enfants, frais de mobilité, etc.).
En Belgique, le travail de nuit commence à 20h. Certains partis politiques voudraient reporter le début du travail en soirée à minuit, cela représente une perte financière pour les travailleurs et travailleuses concernés (qui ne percevraient plus le
Travail de nuit
Travail
le dimanche
Travail le samedi
Travail le soir
sursalaire liée à l’inconfort de cet horaire pour les 4 première heures).
LE TEMPS PARTIEL, DAVANTAGE SUBI QUE CHOISI
L’Enquête sur les Forces de travail nous apprend qu’en 2023, 26% des salariés en Belgique travaillaient à temps partiel, surtout des femmes ! En effet : 40,2% des femmes salariées travaillent à temps partiel, contre 12,1% des hommes salariés.
Personnes occupées à temps partiel selon le sexe
En milliers axe gauche, en % axe droit
Source : Statbel
Femmes à temps partiel
Hommes à temps partiel
— % femmes à temps partiel
— % hommes à temps partiel
— % personnes à temps partiel
1.200
1.000
800
600
400
200
0
51,0%
42,5%
34,0%
25,5%
17,0%
8,5%
0
Le travail à temps partiel n’est pas une réalité récente. Le pourcentage de travailleurs à temps partiel parmi les salariés a progressivement évolué de 8,3% en 1983 pour atteindre 25% début des années 2000. L’analyse des raisons du travail à temps partiel révèle que dans près de 50% des cas, ce n’est pas un choix délibéré. Ces temps partiels « involontaires » existent soit parce que les travailleurs ne trouvent pas d’emploi à temps plein ou que l’emploi n’est pas proposé à temps plein (17,9%), soit parce que le travailleur, et plus souvent encore la travailleuse, doit s ’occuper d’une personne dépendante (22,3%) ou pour d’autres raisons familiales (9,5%).
Motifs du temps partiel
(2023)
Source : Statbel
Total
Femmes
Hommes
Autre raison
Autres raisons personnelles
Autres raisons familiales
Pour s’occuper des enfants ou d’une autre personne dépendante
En raison d’une maladie ou d’une incapacité de travail
Suivi d’un enseignement
ou formation
Pas d’emploi à temps plein trouvé ou emploi n’est pas poposé
à temps plein
0%
5% 10%
15%
20%
25%
25,3%
Cette donnée sur le temps partiel involontaire est renforcée par l’analyse des offres d’emploi des services régionaux de l’emploi (Actiris, FOREM et VDAB). En Flandre, 26% des emplois ne sont proposés qu’à temps partiel, en Wallonie ce taux s’élève à 20%. À Bruxelles, il est plus bas — à savoir 10% — en raison de la nature des emplois proposés dans la capitale. Ce chiffre varie fortement selon les secteurs et selon la région.
Pour les femmes salariées, la principale raison du travail à temps partiel est le soin aux enfants ou à d’autres personnes dépendantes (25,8%). Ceci s’explique notamment par le manque de place d’accueil pour la petite enfance en Belgique. La Belgique est dans le bas du classement au niveau européen. Les objectifs européens de Barcelone pour 2030 recommandent qu’au moins 45% des enfants de moins de trois ans participent aux systèmes d’éducation et d’accueil de la petite enfance. La Belgique atteint à peine cet objectif.
Taux de couverture dans l’accueil de la petite enfance
0-3 ans (2022)
Source : IBSA, IWEPS, opgroeien.be
Wallonie
Bruxelles
Flandres
LES FORMES DE TRAVAIL ATYPIQUES AUGMENTENT LE RISQUE DE PAUVRETÉ CHEZ LES TRAVAILLEURS
Selon le SPP Intégration sociale, aujourd’hui, en Belgique, un travailleur sur 25 se trouve dans une situation de précarité, soit près de 165.000 travailleurs. Les travailleurs nés hors de l’Union européenne présentent quant à eux six fois plus de risques de se retrouver dans une situation précaire.
Le nombre élevé d’emplois précaires, de contrats temporaires et de statuts hybrides contribuent notamment à cette situation. L’étude du SPP Intégration sociale pointe aussi que certains travailleurs sont contraints de cumuler plusieurs emplois, d’enchaîner les heures de travail ou encore d’accepter des tâches au détriment de leur santé afin de joindre les deux bouts.
D’après le SPP Intégration sociale, la pauvreté chez les travailleurs n’est pas seulement une question de salaire, mais aussi un problème lié au nombre d’heures de travail proposées et/ou à la précarité de contrat (temps partiel avec peu d’heures de travail, travail intérimaire, travail via les plateformes, travail à durée déterminée de courte durée, etc.).
1 travailleur sur 25
est un travailleur pauvre
Source : SPP Intégration sociale
COMBINAISON
VIE PRIVÉE – VIE PROFESSIONNELLE
En 2024, la FGTB a mené une enquête auprès de 14.000 de ses membres concernant le système de congés. Selon cette enquête, les priorités pour améliorer le système des congés sont les suivantes :
1. Augmenter le nombre de jours de congés annuels
2. Instaurer un système de réduction collective du temps de travail
3. (Ré)Introduction du crédit-temps sans motif
4. Augmenter les allocations d’interruption (octroyées pour les systèmes de crédit-temps)
En outre, 86% des répondants sont favorables à un système de réduction collective du temps de travail.
25% signalent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée, 40% considèrent que l’équilibre est suffisant. 35% sont satisfaits à très satisfaits.
Comment qualifiez-vous votre conciliation entre vie privée et vie professionnelle ?
Source : enquête FGTB
Les raisons qui expliquent un équilibre difficile entre vie privée et vie professionnelle :
N Travail fatigant/exigeant
N Longues journées de travail
N Horaires de travail difficiles ou changeants N Peu de soutien de la part de la direction N Absence de collègues
N Rémunération trop faible par rapport au revenu nécessaire à la famille
N Longs déplacements vers le travail
COMMENT LA DÉTÉRIOTATION DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL
AFFECTE LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS
En 2023, près d’un demi-million de travailleurs étaient malades de longue durée, soit près d’un quart de plus que cinq ans auparavant. Plus d’un sur quatre souffre de problèmes mentaux, tels que la dépression ou le burnout. Notons que ces données comprennent aussi les travailleurs à temps partiel pour raisons médicales, ce qui vient nuancer légèrement ces données. Néanmoins, tous ces travailleurs vivent les conséquences de la détérioration de la santé et du bien-être au travail.
Nombre de malades longue durée
Salariés et demandeurs d’emploi
Source : INAMI
Total malades de longue durée
Dont dépression et burn out
500.000
400.000
450.000
300.000
350.000
250.000
200.000
150.000
100.000
50.000
0
2016
2017
2018
2019
2020
2021 2022 2023
Plusieurs indicateurs vont dans ce sens. Premièrement, le nombre de personnes en incapacité de travail pendant un an pour cause d’épuisement professionnel ou de dépression a augmenté de 43% en cinq ans entre 2018 et 2023. Une recherche menée en 2024 par l’INAMI* a mis en évidence que les femmes constituent 70% des personnes en incapacité de travail longue durée due à un burnout, 64,9% à des troubles de l’humeur et 68,1% à des troubles d’anxiété. À titre de comparaison, les femmes représentent 54,7% des personnes en incapacité de travail. Les 50 ans et plus constituent une partie importante des travailleurs en invalidité. La baisse observée dans la tranche d’âge 60-64 ans s’explique par le fait qu’il y a moins de gens disponibles sur le marché du travail dans cette catégorie d’âge (RCC, pensions anticipées, etc.). La baisse importante des incapacités de travail pour les travailleurs après 60 ans s’explique par le syndrome « healthy workers effect »** . En effet, les travailleurs de 60 ans et plus qui sont encore à l’emploi sont ceux qui jouissent généralement d’une bonne santé et d’un bon cadre de travail.
* Source : « Incapacité de travail de longue durée et invalidité dues à des troubles psychosociaux, Profil socio-démographique, médical et de consommation de soins »
** Travailleur en bonne santé
Focus sur les femmes
et les seniors
Source : INAMI
Femmes
Hommes
300.000
250.000
200.000
150.000
100.000
50.000
0
LES EMPLOYEURS LICENCIENT PLUS SOUVENT QU’ILS NE RÉINTÈGRENT LEURS MALADES
DE LONGUE DURÉE
Ces dernières années, la réintégration des personnes en incapacité de travail a fait l’objet de beaucoup d’attention politique. On constate une tendance à la hausse du nombre de trajets de réintégration socioprofessionnelle entamés. Ils passent d’un peu plus de 1.000 en 2012 à presque 6.400 en 2022.
Le groupe des malades de longue durée est souvent présenté comme un fait immuable. C’est une erreur. Les sorties de l’incapacité de travail (malade <1 an) et de l’invalidité (malade >1 an) sont nombreuses.
N Parmi les travailleurs invalides, 30.910 personnes sont retournées vers l’emploi ou le chômage en 2023 (et 23.907 sont parties à la retraite).
N Tout en étant reconnu en invalidé, 78.572 travailleurs ont repris une activité,
Travailleurs malades longue durée
qui reprennent une activité à temps partiel
Source : INAMI
suite à une autorisation du médecin conseil, à temps partiel en 2023 (soit 15,95%
des invalides). Ce pourcentage est en augmentation constante.
2017
2023
Le nombre de malades de longue durée qui entament volontairement un programme de formation via le VDAB ou le FOREM augmente également, passant de 5.612 en 2022 à 6.981 en 2023. Pour 2024, on constate que les chiffres des premiers mois sont presque deux fois plus élevés que ceux du premier semestre 2023.
En 2022, la procédure de réintégration a été modifiée. Jusqu’en 2022, les entreprises ne pouvaient proposer à leurs employés malades de longue durée qu’un parcours de réintégration, qui conduisait parfois à un travail aménagé, et le licenciement n’avait lieu qu’en cas d’échec du parcours. Depuis 2022, deux voies existent : la procédure de réintégration ou la procédure de licenciement pour cause de force majeure médicale. Les derniers chiffres du SPF Emploi montrent qu’en 2023, sur les quelque 22.800 travailleurs malades de longue durée appelés à reprendre le travail, à peine 18% d’entre eux avaient entamé une procédure de réintégration pour retrouver un travail adapté au sein de leur entreprise. Plus de 80% d’entre eux ont été licenciés pour cause de « force majeure médicale ».
Le nombre élevé de malades de longue durée est donc en grande partie dû au manque de volonté des employeurs de les réintégrer dans l’entreprise.
LE TÉLÉTRAVAIL STRUCTUREL ET SES IMPACTS
En 2023, le Service Public Fédéral Mobilité et Transports a mené une enquête sur le télétravail en Belgique. Il ressort de cette enquête qu’en 2018, 17% des Belges télétravaillaient au moins un jour par semaine. En 2022, ce pourcentage s’élevait à 32%. Soulignons d’emblée, que le télétravail n’est pas accessible à tous les travailleurs. Certains métiers exigent une présence physique sur le lieu de travail. Cela crée des nouvelles inégalités. Cette nouvelle réalité a des impacts en termes d’environnement et de mobilité, notamment. Le SPF estime que cela représente une économie de 36 millions de kilomètres par jour pour les déplacements domicile-lieu de travail qui ne sont pas effectués par les télétravailleurs en 2023.
40%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
Salariés qui travaillent parfois ou habituellement à domicile
En % des salariés
Source : Statbel
Télétravailleurs selon
la distance domicile-travail
En % des télétravailleurs
Source : SPF Mobilité et transport
80%
Les données de l’enquête montrent que la proportion de télétravailleurs progresse à mesure que la distance entre le domicile et le lieu de travail augmente. Au-delà de 50 km, plus de la moitié des répondants télétravaillent au moins un jour par semaine. Le SPF dit que, en principe, le télétravail réduit le trafic sur les routes, cause moins de nuisances sonores et moins de pollution atmosphérique, surtout en ville. Moins de kilomètres est synonyme de moins d’accidents. Le télétravail est également bénéfique pour la mobilité puisqu’il permet d’étaler certains déplacements sur la journée ou la semaine. Mais pour certains travailleurs, le télétravail rend plus difficile la séparation entre vie professionnelle et vie privée. De plus, il peut conduire à un manque de contact social et rendre la communication avec les collègues plus difficile.
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
0-5 km 6-25 km 26-50 km 51-75 km >75 km
REVENDICATIONS
La mise en concurrence des travailleurs doit s’arrêter. Les formes d’emploi précaires et flexibles qui permettent aux employeurs de payer moins de cotisations sociales ont des répercussions sur le financement de la sécurité sociale et des services publics ainsi que sur la santé des travailleurs. Donc sur l’ensemble de la société.
Afin d’améliorer la qualité des emplois et de réussir la transition vers une économie encore plus digitalisée, les investissements des employeurs dans la formation professionnelle des travailleurs sont indispensables. Ils doivent par ailleurs garder un caractère obligatoire et individualisé pour faire évoluer les compétences et/ou pour en développer de nouvelles.
De plus, lorsque les technologies émergentes font partie de la vie quotidienne des travailleurs au sein de l’entreprise, elles doivent faire l’objet d’un dialogue social. D’un point de vue syndical, il faut s’approprier le thème de l’I.A. et développer le dialogue social autour de ce thème. Ceci nécessite que les employeurs mettent tout en œuvre afin que les travailleurs comprennent de quelle manière l’I.A. impacte leur travail.
Pour garantir que le travail protège de la pauvreté, il doit assurer stabilité et revenu régulier décent. C’est pourquoi nous revendiquons des contrats à durée indéterminée et la possibilité de négocier des augmentations de salaire. En outre, l’accès à la formation, la création d’infrastructures publiques et collectives dédiées à la garde des enfants et de services d’accueil (garde d’enfants malades, accueil extrascolaire…) à prix abordables sont des leviers pour assurer l’accès à l’emploi à tous les citoyens.
La limitation dans le temps des allocations de chômage est une mauvaise idée. Elle n’est pas un outil efficace pour activer les travailleurs, et affaiblit plus encore un groupe déjà vulnérable.
3
SÉCURITÉ SOCIALE
Notre sécurité sociale tient encore debout. On ne répétera jamais assez l’importance qu’elle a eue lors des dernières crises. Elle en a été le principal amortisseur à plusieurs niveaux : non seulement elle a fourni à toutes et tous des soins de santé abordables et de qualité lors du Covid-19, mais le système de chômage temporaire mis en place a sauvé des dizaines de milliers d’emplois. Pourtant, malgré son efficacité maintes fois démontrée, ce système de sécurité sociale est soumis à de fortes pressions.
Cette pression s’accroît depuis le début des années 90, surtout sur le plan financier. Les cotisations patronales sont systématiquement en baisse, tantôt à cause de diminutions du taux, tantôt par la mise en oeuvre de nouvelles formes de diminution des cotisations patronales. En outre, de plus en plus de rémunérations évoluent vers des formes alternatives de rémunération sur lesquelles les cotisations sociales sont moindres, voire inexistantes. Résultat : les pouvoirs publics doivent intervenir de plus en plus pour combler ces diminutions de recettes. Et par conséquent la sécurité sociale entre en ligne de compte lorsque, sous la pression européenne, le budget du gouvernement doit être réorganisé. À la FGTB, nous disons : « rétablissez les cotisations patronales, évaluez l’efficacité de toutes ces réductions. Veillez à ce que tout le monde contribue. »
Mais la pression ne vient pas seulement du côté des revenus. Sur le plan politique, tout est mis en œuvre pour éroder les droits acquis des travailleuses et des travailleurs en matière de chômage et d’indemnités de maladie notamment. Tout cela sous le couvert d’économies et d’un gouvernement prétendument « efficace ».
LE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE PRÉSENTE DES FUITES
La principale source de revenus de la sécurité sociale est constituée des cotisations des travailleurs et des employeurs. Une partie du salaire brut — dans la plupart des cas, 13,07% — est affectée à la sécurité sociale. L’employeur verse une cotisation supplémentaire : la cotisation patronale. Toutefois, cette part a systématiquement diminué au cours des dernières décennies. Alors qu’à la fin des années 1990, les cotisations patronales représentaient encore environ 34% de la masse salariale, elles sont aujourd’hui 10% plus basses (soit 24%). Cette baisse est le résultat d’une série d’exemptions et du fameux tax shift du gouvernement Michel en 2014.
Baisse des cotisations patronales de sécurité sociale
Source : Bureau Fédéral du Plan, Prévisions à moyen et long terme
35%
30%
25%
20%
15%
10%
— Cotisations patronales (en % de la masse salariale)
— Cotisations des travailleurs (en % de la masse salariale)
Contribution aux revenus de la sécurité sociale
En % des revenus totaux, régime salariés
Source : ONSS
Le budget de la sécurité sociale a été dilué ces dernières années. Dans le passé, lorsque les cotisations sociales diminuaient, une solution politique était recherchée en prévoyant un financement alternatif concluant (via la TVA et le précompte mobilier, par exemple). Le gouvernement Michel a supprimé ce principe en finançant insuffisamment le tax shift. Résultat : les cotisations sociales ont diminué, mais les nouvelles recettes ont été insuffisantes. Dès lors, via la dotation d’équilibre — un mécanisme destiné à couvrir des déficits temporaires limités — le gouvernement a dû combler des milliards. Par conséquent, la dotation d’équilibre sert principalement à financer un ensemble de mesures de soutien aux entreprises. Le déficit structurel du financement de la sécurité sociale doit être résolu, car il rend notre sécurité sociale politiquement vulnérable.
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1995 2024
Autres (transferts externes, investissements, fraude sociale, …)
Financement alternatif
Dotation d’équilibre
Subventions publiques (hors allocation d’équilibre)
Cotisations (salariés et employeurs)
En revanche, si l’on visualise les aides et les réductions de cotisations accordées aux entreprises, celles-ci sont en hausse constante. L’aide aux entreprises, tant par le biais de la fiscalité (subventions salariales) que de la sécurité sociale (réductions des cotisations patronales), s’élève à plus de 15 milliards d’euros par an. Il convient de souligner le rôle joué par le tax shift. Depuis 2015, il a été omniprésent, avec une augmentation substantielle de l’aide chaque année.
16.000 €
14.000 €
12.000 €
10.000 €
8.000 €
6.000 €
4.000 €
2.000 €
0 €
Réduction de cotisations à la sécurité sociale et subsides salariaux au profit des entreprises
En millions
Source : BfP, Prévisions à moyen et long terme, juin 2024 – Mise en graphique Minerva
Subsides spécifiques aux secteurs
Subsides généraux
Recherche et
développement (entreprise)
Heures supplémentaires
Subsides pour le travail de nuit et en équipe
Subsides salariaux pour les groupes cibles dans
les régions
Subsides salariaux pour les groupes cibles au
fédéral Tax shift
Réductions générales hors tax shift
L’EFFICACITÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE PEUT ÊTRE AMÉLIORÉE
L’efficacité d’une allocation sociale est déterminée par sa relation avec le seuil de pauvreté. En effet, une allocation sociale doit permettre aux bénéficiaires de disposer d’un revenu digne sans tomber dans la pauvreté.
Les derniers chiffres montrent que l’efficacité (ou l’adéquation) des allocations minimales s’est améliorée ces dernières années. Un effort a été fait en particulier pour les personnes âgées en augmentant les pensions minimales et en portant la garantie de revenu (GRAPA) au niveau du seuil de pauvreté pour les personnes seules. Néanmoins, une proportion importante de familles bénéficiant d’allocations minimales doit encore se contenter d’un revenu (très) inférieur au seuil de risque de pauvreté. C’est notamment le cas pour le revenu d’intégration, l’allocation de remplacement du revenu (ARR) et l’assurance chômage.
Invalidité Allocation de remplacement de revenus
Chômage Revenu d’intégration
Chômage Revenu d’intégration
Efficacité des allocations sociales minimales : insuffisantes
En % du seuil de pauvreté
Source : SPF sécurité sociale
— 2020
— 2024
Invalidité Allocation de remplacement de revenus
Chômage Revenu d’intégration Pension de retraite
Garantie de revenus aux personnes âgées
Invalidité Allocation de remplacement de revenus
Chômage Revenu d’intégration Pension de retraite
Garantie de revenus aux personnes âgées
0
20 40 60
80 100 120
LES ADAPTATIONS
DES ALLOCATIONS SOCIALES
SONT ESSENTIELLES POUR GARANTIR L’EFFICACITÉ DES PRESTATIONS
1.800 €
Prestations avec ou sans liaison bien-être
Isolés
Source : ONEM, calculs propres
Les allocations sociales doivent être augmentées au-delà de l’indexation. C’est ce que l’on appelle « la liaison au bien-être » des allocations. Ce sont les interlocuteurs sociaux qui, depuis 2008, décident tous les deux ans des allocations qui seront augmentées et de leur montant. Sans l’adaptation de l’enveloppe bien-être, l’évolution des allocations seraient nettement inférieures à l’évolution des salaires et se situeraient en dessous du seuil de pauvreté (+/- 1.500 euros pour un isolé). Le graphique ci-contre montre la différence entre trois types d’allocations, avec et sans ajustement de l’aide sociale via l’enveloppe bien-être, pour les isolés. Les allocations de chômage seraient inférieures de 20% à ce qu’elles sont aujourd’hui, la pension minimale de 17% et les allocations de maladie de 16%.
1.600 €
1.400 €
1.200 €
1.000 €
800 €
600 €
400 €
200 €
0 €
Pension min. garantie
Incapacité de travail min.
(travailleur régulier)
Chômage min.
Montants mai 2024
Montants sans liaison au bien-être
L’ASSURANCE CHÔMAGE,
DE MOINS EN MOINS UNE ASSURANCE
Seule la moitié des demandeurs d’emploi perçoit effectivement des allocations. Autrement dit, ’assurance chômage n’est plus une assurance pour près de la moitié des demandeurs d’emploi.
Le nombre de demandeurs d’emploi indemnisés a fortement diminué au cours des 15 dernières années. La forte création d’emplois en est la principale raison. Toutefois, une évolution tout aussi importante s’est produite chez les demandeurs d’emploi non indemnisés. Le renforcement de la durée d’insertion professionnelle des jeunes et la politique plus stricte en matière de sanctions en sont les principales raisons ainsi que la multiplication des petits contrats (interim, CDD, etc.).
Niveau record du nombre de demandeurs d’emploi non indemnisés
Source : ONEM
— Chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi
— Demandeurs d’emploi non indemnisés
700.000
600.000
500.000
400.000
300.000
200.000
100.000
REVENDICATIONS
N Reboucher les trous dans le financement de la sécurité sociale. Évaluer toutes les réductions de cotisations patronales qui ont été accordées au cours des dernières décennies. Les supprimer si leur efficacité n’a pas été prouvée, comme l’exonération pour une première embauche.
N Limiter les (fausses) sociétés de gestion, afin que les employeurs payent des cotisations de sécurité sociale sur ces dizaines de milliers d’emplois.
N Traiter les formes alternatives de rémunération de la même manière (para) fiscale qu’un salaire régulier.
N L’adaptation au bien-être des allocations sociales est essentielle pour garantir le caractère assurantiel de celles-ci contre la pauvreté. L’enveloppe bien-être doit être allouée en totalité. Couper dans l’enveloppe bien-être ne ferait qu’aggraver la baisse déjà considérable des revenus en cas de maladie, de chômage temporaire et la pension.
4 €
FINANCES PUBLIQUES
Le dogme de l’austérité est à nouveau au centre des préoccupations de nombreux chefs de gouvernement.
Une réforme des règles budgétaires prévoit qu’à partir de 2025, de nombreux États membres de l’Union européenne devront serrer le frein budgétaire, avec toutes les conséquences négatives que cela implique pour l’économie européenne.
Nos finances publiques doivent être assainies, mais ce n’est qu’en rétablissant notre système fiscal et en mettant tout le monde à contribution que nous pourrons redresser nos budgets. Pas en appauvrissant les gens et en les privant de services publics efficaces et de soins de santé de qualité.
LE CADRE BUDGÉTAIRE EUROPÉEN NÉGLIGE DES INVESTISSEMENTS ESSENTIELS
Les économies européennes ont besoin de milliards d’investissements dans les années à venir. Les transitions en matière de climat, d’énergie et de technologie nécessiteront des milliards d’euros. Que propose l’Europe à la place de ces investissements nécessaires ? Une nouvelle campagne d’austérité budgétaire. Cette année, les règles budgétaires européennes ont été renforcées : les États membres devront réduire drastiquement leurs déficits budgétaires et accélérer le désendettement dans un délai et à un rythme imposé.
L’impact de ces mesures se fait sentir en Belgique (effort budgétaire requis de 28 milliards d’euros) mais aussi dans certains grands États membres. Au total, plus de 430 milliards d’euros devront être comblés entre 2025 et 2031. Il ne fait aucun doute que cela aura un impact négatif sur la croissance économique, mais aussi sur le potentiel, sur la compétitivité de l’économie européenne. La Belgique se classe en deuxième position si l’on considère l’effort à faire par habitant.
3.000 €
2.500 €
2.000 €
1.500 €
1.000 €
500 €
0 €
Effort par habitant
Total période 2025-2031
Source : Commission Européenne, trajets de référence sur 7 ans, calculs propres
Des économies alors que des milliards d’investissements sont nécessaires. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’Allemagne, traditionnel moteur économique de l’Europe, a considérablement baissé ses investissements publics et que, selon les économistes, c’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’économie allemande ne se porte pas bien actuellement. Le modèle d’austérité que l’Allemagne a imposé au reste de l’Europe ces dernières années revient comme un boomerang.
7%
Mais qu’en est-il de la dette nationale ? N’est-elle pas trop élevée ? Le gouvernement est un acteur économique important qui, comme les familles et les entreprises, doit pouvoir s’endetter. La viabilité de la dette ne dépend pas d’un pourcentage arbitraire, mais dépend de la croissance économique et de la richesse générée. Une étude du FMI montre que les opérations d’austérité menées dans un certain nombre de pays au cours des 30 dernières années n’ont jamais conduit à une diminution de la dette, mais à une augmentation, parce qu’elles ont paralysé la croissance économique.
La dette publique s’élève à 105% du PIB. Cette dette est principalement apparue il y a 40 ans : entre 1979 et 1983, le taux d’endettement est passé de 66,6% à 106,8%, soit une augmentation de plus de 40%. La Belgique a enregistré des déficits budgétaires élevés au moment où les taux d’intérêt internationaux atteignaient des niveaux historiquement élevés. Depuis lors, le taux d’endettement de la Belgique n’est jamais retombé à son niveau d’avant 1980 malgré une politique budgétaire saine. La Belgique a affiché des excédents budgétaires continus de 1985 à 2009. Après une brève baisse (suite à la crise financière), la Belgique a de nouveau enregistré des excédents budgétaires jusqu’en 2019 (pré-Covid). Le mythe selon lequel le gouvernement belge dépensait sans compter n’est donc pas réel.
Au cours des deux dernières décennies, la dette publique de la Belgique a augmenté en raison de la crise financière et du covid-19. Le gouvernement a joué son rôle d’amortisseur. Il n’y a donc pas lieu de céder à une panique aveugle. Nous devons éviter d’augmenter nos déficits primaires (déficits sans charges d’intérêts) dans le budget. Cela peut être évité en rendant enfin notre système fiscal équitable et en s’attaquant aux fuites dans les recettes de la sécurité sociale (voir chapitre 3).
Dette publique belge 1940 – 2023
140%
120%
ASSURER UNE FISCALITÉ ÉQUITABLE
La fiscalité doit être rééquilibrée. Toutes les institutions internationales
Inégalité du patrimoine : les 1% les plus riches possèdent 25% des richesses totales
Source : A one-off wealth tax for Belgium : 2 Revenue potential, distributional impact, and environmental effects, Arthur Apostel and Daniel W. O’Neill
indiquent que le travail est trop lourdement taxé et le capital trop peu. Il faut donc travailler sur un impôt sur le patrimoine et les plus-values.
L’inégalité des richesses a été gravement sous-estimée jusqu’à présent. Les 1% des Belges les plus riches possèdent environ 24% de la richesse nette (c’est-à-dire après endettement), soit autant que les 75% les plus pauvres réunis. Chaque individu faisant partie des 1% les plus riches dispose d’un patrimoine minimum de 4,8 millions d’euros. Celles et ceux qui disposent d’un patrimoine supérieur à 1,1 million d’euros font partie des 10% les plus riches de Belgique. Ces 10% les plus riches possèdent 54% de la richesse totale.
Les chiffres de la Banque nationale montrent que ces 10% de Belges les plus riches possèdent environ 29% des habitations et 79% des actions. Nous pouvons écrémer cette richesse avec un impôt sur la fortune. La FGTB le préconise depuis des années et opte pour une contribution progressive : 0,5% à partir d’un patrimoine net d’un million d’euros (sans tenir compte de l’habitation propre), puis 2% à partir d’un patrimoine net
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1%
5% 10%
4,5 Mio
4,0 Mio
3,5 Mio
3,0 Mio
2,5 Mio
2,0 Mio
1,5 Mio
1,0 Mio
de 10 millions d’euros, par exemple. Selon les simulations, une taxe de 1% sur les patrimoines supérieurs à 5 millions d’euros pourrait rapporter
les + riches
les + riches
les + riches
environ 6 milliards d’euros par an.
Part de la richesse totale (en %, échelle à gauche)
— Richesse minima nette
(en millions d’euros, échelle à droite)
Comme indiqué plus haut, le fait de posséder des actions est un élément majeur de l’inégalité des richesses : 79% de la valeur des sociétés cotées en bourse est détenue par les 10% les plus riches de notre société. Il est donc faux de prétendre qu’un impôt sur les plus-values des actions ferait peser une charge fiscale supplémentaire sur la classe moyenne. Il s’agit bien d’un impôt sur la fortune. Des simulations effectuées par le Bureau du Plan dans le cadre des programmes électoraux montrent qu’une taxe de 30% sur les plus-values pourrait rapporter 2,9 milliards. Sachant que la Belgique est l’un des rares pays à ne pas avoir de taxe sur les plus-values des actions, c’est presque une évidence.
Actionnariat
En total de la valeur des actions côtées en Bourse
Source : BNB
10% les + riches
Décile 9
Décile 8
Décile 7
Décile 6 50% des revenus les + bas
0% 10%
20%
30%
40%
50%
60%
70% 80%
Les salaires belges ont un taux de taxation 50% plus élevés que les revenus du capital. Or, en Belgique, le déséquilibre est énorme. Les revenus du travail sont taxés plus de 50% plus lourdement que les revenus du capital (dividendes et plus-values). De tous les pays de l’OCDE, la Belgique est celui qui présente le plus grand déséquilibre à cet égard.
Les salaires belges ont un taux de taxation 50% plus élevés que les revenus du capital
Différence entre les taux de taxation (en pourcentage) effectif individuels des revenus du travail et des profits financiers
Source : OCDE
40%
20%
0%
Explosion des richesses des plus riches
Richesses du top 0,0001% dans le monde en pourcentage du PIB mondial
Source : G. Zucman ( juni 2024) A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals
14%
12%
Un problème majeur se pose à l’échelle mondiale. Les richesses sont de plus en plus concentrées au sommet. Les documents de recherche communiqués au G20 (les principales nations industrielles) en juin 2024 montrent que les ultra-riches (environ 3.000 milliardaires dans le monde) contrôlent près de 14% de l’ensemble des richesses. Il y a vingt-cinq ans, ce pourcentage était de 6%.
10%
8%
6%
4%
2%
REVENDICATIONS
Le nouveau cadre budgétaire européen met à rude épreuve la croissance durable et le progrès social. Il doit être suspendu et réformé en profondeur. Il doit y avoir plus de place pour l’investissement public. Les dépenses sociales doivent être reconnues comme un facteur important de stabilité et de croissance économiques.
Afin de permettre davantage d’investissements publics, un financement commun devrait être fourni au niveau européen par le biais d’un nouveau Fonds européen d’investissement (successeur du Fonds pour la reprise et la résilience). Celui-ci devrait être financée par des prêts au niveau européen.
Un impôt sur la fortune constitué d’un apport croissant : 0,5% à partir d’un capital net de 1 million d’euros (hors logement familial), augmentant progressivement à 2% à partir d’un capital net de 10 millions d’euros. Des simulations montrent qu’un impôt de 1% sur les actifs supérieurs à 5 millions d’euros peut générer environ 6 milliards d’euros par an.
L’instauration d’un impôt sur les plus-values de 30% sur les produits financiers et sur les cryptomonnaies.
5
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET POLITIQUE INDUSTRIELLE
Pour la FGTB, la transition climatique doit être une transition juste* autrement dit, elle ne doit pas accentuer les inégalités, ce qui risque d’arriver si la dimension sociale n’est pas prise en compte dans ce débat.
Pour assurer une transition juste au service de l’ensemble de la société, nous revendiquons des investissements publics qui vont permettre cette transition. En outre, les réflexions sur une politique industrielle sont intimement liées à celles sur la transition climatique. Celle-ci ne sera réalisable qu’avec un dialogue social et une participation des travailleurs. Les compétences des travailleurs (d’aujourd’hui et de demain) sont un enjeu majeur pour une transition réussie. Or, la fuite des industries hors d’Europe entraine la disparition du know-how des travailleurs. Les employeurs doivent prendre des mesures afin de former et/ou assurer des reconversions.
* Définition OIT : « Une transition juste signifie rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi juste et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne à l’écart. Une transition juste implique de maximiser les opportunités sociales et économiques de l’action climatique, tout en minimisant et en gérant les défis — notamment grâce à un dialogue social efficace parmi tous les groupes concernés, et le respect des principes et droits fondamentaux du travail. »
LA BELGIQUE N’ATTEINDRA PAS SES OBJECTIFS CLIMATIQUES
La principale cause du réchauffement climatique est l’activité humaine (transport routier, agriculture, industrie, déforestation, etc.). En 2013, le GIEC a conclu que le réchauffement du système climatique ne fait aucun doute et que ce réchauffement est grandement lié aux émissions de gaz à effet de serre. Les signaux les plus évidents du réchauffement climatique sont les vagues de chaleur extrêmes, des épisodes de sécheresse et des inondations dévastatrices. Les conséquences affectent plusieurs domaines de la société : la biodiversité, la santé, l’économie, l’énergie, etc. La Belgique commence aussi à en sentir les effets (inondations, périodes de canicules, etc.).
Afin de contenir la hausse des températures, l’Europe a décidé de poursuivre plusieurs objectifs climatiques et énergétiques pour 2030 :
1. Un objectif de réduction contraignant pour l’UE d’au moins 55% (par rapport à 1990) des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire de l’UE, réparti entre un objectif européen pour les secteurs relevant de l’ETS (Émissions Trading System càd le système européen d’échange de quotas d’émissions) et des objectifs nationaux contraignants pour les secteurs non-ETS (comprenant principalement le transport, les bâtiments et l’agriculture)
2. Au niveau européen, un accord politique a été conclu en faveur d’un objectif global de l’UE d’au moins 42,5% d’énergies renouvelables d’ici 2030
3. Un objectif de réduction obligatoire pour les états membres d’au moins 1,49% par an en ce qui concerne l’utilisation de l’énergie pour 2024-2030
4. Un objectif d’interconnexion (liaison entre des réseaux électriques de différents pays) de 15% dans le secteur de l’électricité.
Où en est la Belgique ? Selon les hypothèses du Bureau fédéral du Plan, la Belgique n’atteindra pas globalement les objectifs européens.
Indicateurs sur les objectifs européens (horizon 2030)
Source : Bureau fédéral du plan
Réalisations Objectifs
Réductions d’émissions dans les secteurs SER (par rapport à 2005) -32% -47%
Part des énergies renouvelables 24,1% 34%
Consommation finale d’énergie (par rapport à REF 2020) -7,9% -11,7%
Dans le cadre des objectifs européens climat-énergie 2030, la Belgique s’est vu attribuer un objectif de réduction de 47% en 2030 par rapport à 2005, pour les émissions de gaz à effet de serre des secteurs non couverts par le système européen d’échange de droits d’émissions (secteurs dit
«non-ETS»)
Les secteurs non-ETS affichent une tendance à la baisse de leurs émissions, mais ne parviennent qu’à une réduction de 32% des émissions entre 2005 et 2030, ce qui est inférieur à l’objectif européen » (objectif = 47%)
En ce qui concerne la part des énergies renouvelables, sur base de la compilation des projections des différentes entités, la part d’énergie renouvelable s’élève à 24,1% en 2030. La Belgique n’atteint pas l’objectif de 34%.
Pour ce qui est de la consommation finale d’énergie, la Belgique doit la réduire de 11,7% par rapport à 2020. Selon les projections du Bureau fédéral du Plan, la Belgique n’atteindra pas cet objectif.
POLITIQUE INDUSTRIELLE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE : UN DUO POSSIBLE ?
Une politique industrielle et d’innovation efficace est essentielle pour maintenir les secteurs stratégiques en Europe. Cela est possible en se concentrant simultanément sur la durabilité, l’augmentation de la productivité et le renforcement de l’inclusion sociale. Ce faisant, nous devons jouer sur nos points forts, tels que : la haute qualification des travailleurs, les produits de qualité et les points forts (dialogue social, présence d’autorités bien développées). La transition écologique (durabilité) et le renouvellement de la politique industrielle vont de pair.
La valeur ajoutée de l’industrie dans l’économie belge ne cesse d’augmenter. En revanche, il y a une baisse de l’emploi. Alors qu’en 1995, l’industrie représentait encore 18,6% de l’emploi, en 2023, sa part n’était plus que de 11%.
Indice de la production industrielle
Évolution en volume de la valeur ajoutée (2021 = 100)
Source : Statbel
110
100
90
80
70
60
50
Cependant, il y a des nuances à apporter. L’industrie connaît un fort mouvement d’externalisation : les emplois dans le nettoyage et l’administration, mais aussi les emplois techniques sont sous-traités vers des entreprises externes. Ces entreprises se retrouvent dans le secteur des services, il y a donc aussi un biais statistique. Dans l’ensemble, le nombre d’emplois ne diminue pas, principalement en raison de niveaux de scolarité plus élevés et de gains de productivité élevés. Enfin, on peut dire que le nombre d’emplois dans le secteur des services qui dépendent de l’industrie est devenu très important.
Évolution de l’emploi par secteur
En milliers d’emplois, entre 1995, entre 1995 et 2023
Source : Statbel
1995
2023
Services Industrie Construction
Agriculture, foresterie E pêche
0 500
1.000
1.500
2.000
2.500
3.000
3.500 4.000
L’Europe devra trouver une réponse aux conditions de concurrence inégales : d’un côté, une production massivement subventionnée en provenance d’Asie et de l’autre une économie américaine qui fonctionne avec de l’énergie bon marché. En Europe, les prix de l’énergie sont plus élevés que dans les autres parties du monde. Aux USA, les prix sont plus bas grâce à la plus grande présence de gaz naturel. En Europe, étant donné que le prix de l’électricité est lié à l’évolution du prix du gaz, les prix de l’électricité sont plus élevés qu’aux États-Unis. Toutefois en Belgique, contrairement aux discours patronaux, une étude indépendante des 4 régulateurs du marché de l’énergie stipule qu’en 2024, tous les profils industriels (électro-intensifs et non électro-intensifs) ont un avantage compétitif sur le prix de l’électricité en Belgique par rapport aux pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas, UK).
Différence de coût pondéré de l’énergie
(Électricité et gaz) entre les régions de Belgique et la moyenne des coûts dans les pays voisins (y compris le Royaume-Unis), pour les entreprises électro-intensives et non électro-intensives*
* Le terme « électro-intensifs » désigne des entreprises dont l’activité nécessite une consommation importante d’électricité. Les électro-intensifs sont principalement concentrés dans quelques secteurs industriels parmi lesquels : l’industrie du papier-carton, la chimie, la sidérurgie, le verre, le ciment, etc.
Source : CREG △
5%
Non électro-intensif
Électro-intensif
0%
-5%
-10% ▽
15%
-20%
-25%
La politique industrielle doit être un levier pour la transition en favorisant une industrie durable, orientée vers l’avenir. En effet, l’industrie est une source directe et indirecte importante d’activité économique et d’emploi dans d’autres secteurs (via la sous-traitance). Pour une industrie prospère, les entreprises doivent investir dans l’innovation et la productivité dans le secteur. La politique de recherche et développement joue donc un rôle central dans la politique industrielle et celle-ci doit être stimulée dans tous les secteurs.
LES INVESTISSEMENTS STRATÉGIQUES EN BELGIQUE
Dans le cadre du Pacte national d’investissements stratégiques, un groupe d’experts indépendants a évalué les besoins en investissements stratégiques en Belgique à l’horizon 2030. Ces besoins couvrent six domaines dont l’énergie et la mobilité. Le besoin en investissement s’élève à 84 milliards d’euros, dont 56 milliards d’investissements privés et 28 milliards publics. Ce dernier montant correspond à l’effort budgétaire que la Belgique doit faire selon les nouvelles règles budgétaires européennes.
Besoins d’investissements stratégiques en Belgique
Jusqu’en 2030, par domaine, en milliards d’euros
Source : climat.be
Autres mobilité (solutions de mobilité intelligente, gestion, cadre de soutien)
Construire et entretenir des réseaux de transport et des services de transport intégrés
Autres energie (déploiment carburants alternatifs, démantèlement nucleaire)
Privé
Public
Renforcer les réseaux énergétiques Sécurité d’approvisionnement de l’énergie
+ développement des énergies renouvelables
+ développement de stockage
Rénovation complète des bâtiments gouvernementaux
0
5 10
15 20 25
L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE,
UNE ÉCONOMIE TOURNÉE VERS L’AVENIR
L’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire qui se débarrasse des produits et matériaux en fin de vie économique. La transformation de notre économie d’un modèle linéaire vers un modèle circulaire permet de réaliser des économies, de mettre en œuvre une utilisation plus efficace des ressources, de générer des emplois (en partie non délocalisables), et de réduire l’impact de la production et consommation sur l’environnement.
L’augmentation du taux de circularité* de l’utilisation des matériaux réduit donc la pression sur les ressources naturelles et, par conséquent, l’impact sur l’environnement et le climat. En Europe, les taux varient considérablement d’un pays à l’autre. Notre pays se situe dans le peloton de tête de l’UE. Ce taux est en croissance depuis 10 ans, en passant de 17% en 2013, à 22,2% en 2022. Cela signifie que 22,2% de tous les matériaux utilisés dans l’économie belge sont des déchets recyclés. Notre pays est en bonne voie pour atteindre l’objectif de l’UE d’ici 2030 qui est de 23,4%.
* Le taux de circularité de l’utilisation des matériaux reflète la proportion de déchets recyclés par rapport à la quantité totale de matériaux utilisés.
Taux de circularité de l’utilisation
des matériaux
(2022)
Source : Eurostat
Pays-Bas Belgique France Italie Estonie Malte Autriche Allemagne Tchéquie
UE-27 pays (àpd 2020)
Slovénie Slovaquie Pologne Hongrie Danemark Espagne Suède Croatie Lettonie Luxembourg
Bulgarie Lituanie Chypre Grèce Portugal Irlande Roumanie
0% 5%
10%
15%
20%
25%
30%
L’économie circulaire a des implications multidimensionnelles (environnementales, économiques, industrielles, technologiques, etc.) mais aussi sociales, trop peu mises en évidence. En effet, le marché du travail et les travailleurs aussi doivent s’y adapter, avec des défis tels que le développement des talents et des compétences, l’apprentissage tout au long de la vie, la diversité ou l’inclusion. Selon la dernière étude de la Fondation Roi Baudoin sur le sujet (2022), en Belgique, 262.000 emplois sont circulaires (7,5% de tous les emplois). Les secteurs du recyclage et de la réparation et l’entretien créent ensemble plus de 80.000 emplois (30% de tous les emplois circulaires). Les autres emplois se retrouvent dans des activités indirectement liées à l’économie circulaire telles que la logistique, la technologie, les administrations publiques, etc. Au niveau mondial, l’économie circulaire devrait générer une augmentation de 3% de l’emploi d’ici 2030. En Europe, on parle de 700.000 emplois sur cette même période. Dans son scénario le plus ambitieux, l’économie circulaire pourrait même créer jusqu’à 100.000 emplois en Belgique d’ici à 2030.
TRANSITION JUSTE ET INÉGALITÉS
Le Haut Comité pour la Transition juste (2024) constate que tout le monde ne contribue pas de la même manière au changement environnemental. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, on observe de grandes disparités entre les ménages en Belgique. Selon des chiffres de la banque de données internationales, World Inequality Database, en Belgique, les 10% de ménages les plus riches émettent plus de 10 fois plus de gaz à effet de serre que les 10% de ménages les plus pauvres.
Émissions de CO2/habitant
Ménages belges en 2019,
en tonnes d’équivalent CO2 50
Source : Haut Comité pour la
Transition Juste
40
30
20
10
0
1 2 3 4
5 6 7 8
9 10
Déciles de revenus
REVENDICATIONS
Une industrie durable, orientée vers l’avenir est nécessaire dans une société prospère. Une économie qui présente une large diversité de secteurs sera plus résiliente et résistante aux chocs. Etant donné que l’industrie est une source indirecte importante d’activité économique et d’emploi dans d’autres secteurs, elle mérite une attention politique spécifique. En outre, la politique de RED joue donc un rôle central dans la politique industrielle car une industrie qui est à la traîne au niveau technologique et de la productivité, sera toujours en difficulté au niveau mondial. Les autorités (européennes) doivent jouer sans tarder la carte du climat et de la transition énergétique. La dimension sociale doit être au cœur de cette transition, sans quoi les inégalités sociales seront accentuées.
Soulignons aussi que cette transition a besoin d’une assise sociétale forte. C’est pourquoi les travailleurs et la concertation sociale doivent jouer un rôle clé dans les processus de changement. Enfin, au vu de l’urgence de la question climatique et environnementale et des perspectives d’avenir pour l’industrie même, il est temps de mettre l’accent sur la circularité et la gestion des matières premières.
Le secteur industriel a vu ses bénéfices augmenter ces dernières années, mais ces bénéfices reviennent de plus en plus souvent aux actionnaires, au détriment des investissements nécessaires dans le secteur. Comment l’industrie peut-elle se réorienter si ses capacités d’investissements lui sont enlevées ?
6
DIALOGUE SOCIAL
ET LIBERTÉ SYNDICALE
Le respect du dialogue social et des libertés syndicales sont un des fondements de la démocratie. Dans ce cadre, le dialogue social, dans les entreprises devra s’enrichir très prochainement de débats sur la durabilité des entreprises. Ces rapports « durabilité » sont bien plus qu’une compilation d’indicateurs sociaux, environnementaux et de gouvernance, ils sont une occasion unique de mener un dialogue social sur l’avenir des entreprises avec les travailleurs, via les conseils d’entreprises.
En ce qui concerne les libertés syndicales, celles-ci sont attaquées de toute part, au niveau mondial et national. Nos droits sociaux peuvent sembler définitivement acquis, mais il n’en est rien. Il faut continuer à les défendre.
LA DÉMOCRATIE ÉCONOMIQUE PASSE PAR LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES CONSEILS D’ENTREPRISES
Le conseil d’entreprises (CE) est l’organe d’information et de consultation des travailleurs sur les matières économiques liées à l’activité de l’enteprise. L’Arrêté Royal de 1973 fixe les informations qui doivent être transmises au CE pour information et discussion. Chaque année, la direction « organes de participation » du SPF Emploi assure des contrôles du respect de cette législation. Environ 40% des entreprises sont en infraction. Ces infractions prennent des formes diverses : le manque total d’informations ; le non-respect des formes imposées par la loi (absence de documents écrits ou transmission tardive des documents, etc.) ou encore le non-respect du contenu imposé par la loi.
De plus, elles peuvent concerner l’information de base, annuelle, périodique ou occasionnelle.
Types d’infractions constatées
Lors du contrôle de l’information obligatoire dans les conseils d’entreprises (2023)
Source : SPF Emploi
60%
50%
40%
Informations de base
Informations annuelles
Informations périodiques
Informations occasionnelles
Confidentialité
30%
20%
10%
0%
Entreprises
en infraction
Aucune information fournie
Contenu incomplet
Exigences de forme non respectées
LA DURABILITÉ DES ENTREPRISES, ENCORE UN LONG CHEMIN À PARCOURIR
À partir de 2024, un grand nombre d’entreprises seront tenues de rendre compte de leurs politiques et performances en matière de durabilité. La directive CSRD (directive sur les rapports de durabilité des entreprises) devrait garantir des informations transparentes et de qualité sur la durabilité des entreprises. Les grandes entreprises vont devoir publier des données qui font la transparence sur les risques que leurs activités font peser sur leur environnement, mais aussi sur les risques auxquels elles sont exposées — en ce compris dans leur chaîne de valeur, c’est-à- dire au niveau de leurs fournisseurs, et même une fois leurs produits ou services vendus à leurs clients. Selon les chiffres de l’Institut des réviseurs d’entreprises, en Belgique, 2.280 entreprises seront directement concernées par les nouvelles obligations. Ces entreprises représentent 28% de la valeur ajoutée brute de l’économie belge, et emploient 42,6% des travailleurs du pays (plus d’un million). Selon le dernier baromètre annuel des entreprises du bureau d’audit et de conseil financier BDO, 75% des entreprises ne disposent pas (encore) de stratégie globale en matière de durabilité. Alors que l’obligation d’établir des rapports sur la durabilité des entreprises est sur le point d’être imposée aux moyennes et grandes entreprises, pas moins de 40% d’entre elles craignent de ne pas être prêtes à temps.
Les rapports « durabilité »
Source : groupe audit BDO
— Entreprises AVEC une stratégie globale de durabilité
— Entreprises SANS une stratégie globale de durabilité
LIBERTÉS SYNDICALES
La Confédération Syndicale Internationale publie chaque année son « indice des droits dans le monde ». Un indice qui évalue, par pays, comment les droits et libertés du monde du travail sont respectés ou bafoués. Sont analysés : le respect des droits fondamentaux, des libertés syndicales, le droit d’action des syndicats… Le résultat ? Depuis 11 ans, l’Indice enregistre un net recul des droits des travailleurs et des travailleuses et des libertés syndicales dans toutes les régions du monde. En effet, 87% des pays ne respectent pas le droit de grève, 79% des pays violent le droit à la négociation collective, des travailleurs et travailleuses ont été arrêtés et détenus dans 74 pays, des travailleurs et travailleuses ont subi des violences dans 44 pays, 22 syndicalistes ont été assassinés (Bangladesh, Colombie, Guatemala, Honduras, Philippines, Corée du Sud).
Même si l’Europe est traditionnellement la région qui connaît le moins de violations par rapport aux autres parties du monde, c’est aussi la région qui a connu le recul le plus important dans le respect des libertés syndicales. Trois quarts des pays européens ne respectent pas le droit de grève et 54% de ces pays violent le droit à la négociation collective. En ce qui concerne la Belgique, après avoir régressé en quelques années de la catégorie 1 (violations sporadiques des droits) à la catégorie 3 (violation régulière des droits), elle se maintient dans cette catégorie peu glorieuse.
Indice des droits syndicaux dans le monde
Source : CSI
5+ Aucune garantie des droits à cause de l’effondrement de l’État de droit
5 Aucune garantie des droits
4 Violations systématiques des droits
3 Violations régulières des droits
2 Violations réitérées des droits
1 Violations sporadiques des droits
REVENDICATIONS
La défense de la démocratie dans les entreprises via le dialogue social est une priorité syndicale. Pas de défense du monde du travail sans dialogue social. Il s’agit d’une composante essentielle de la concertation sociale en Belgique. C’est pourquoi la FGTB continuera à la défendre.
Le respect des libertés syndicales, sous toutes ses formes, fait également partie des points d’attention pour les années à venir.
Récits Livrés
Homosexualité, ici et là-bas
Éditeur responsable:
Maison Arc en Ciel de Verviers – Ensemble Autrement ASBL
Rue Xhavée 21 – 4800 Verviers
+32 495 13 00 26 – contact@ensembleautrement.be – www.ensembleautrement.be
Crédits:
Rédaction: Hardenne Vinciane / Gilsoul Coline / Bovy Jonathan / Baeyens Daniel
Illustrations: Dieng Madior
Graphismes et mise en page: Gany Mélissa et Brasseur Sabrina
Maison Arc en Ciel de Verviers – Ensemble Autrement ASBL
Récits Livrés
Homosexualité, ici et là-bas
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Table des matières
Introduction ……………………………………………………………………….. p. 7
Constats ……………………………………………………………………………. p. 9
Carte ILGA « Les lois sur l’orientation sexuelle dans le monde » …………………….. p.p. 10-11
Témoignages, Cameroun………………………………………………………….. p. 13
La vie dans le centre ………………………………………………………………. p. 15
Témoignages, Cameroun………………………………………………………….. p. 17
Témoignages, Cameroun………………………………………………………….. p. 21
Témoignages, Mauritanie …………………………………………………………. p. 25
Témoignages, Congo ……………………………………………………………… p. 27
Témoignages, Somalie …………………………………………………………….. p. 29
Témoignages, Somalie …………………………………………………………….. p. 31
Témoignages, Somalie …………………………………………………………….. p. 33
Témoignages, Côte d’Ivoire ………………………………………………………. p. 37
Témoignages, Côte d’Ivoire ………………………………………………………. p. 41
Daniel, Bénévole à la macverviers ………………………………………………… p. 49
Contacts……………………………………………………………………………. p. 51
Remerciements ……………………………………………………………………. p. 53
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Introduction
¹En réponse à un appel à projet de la Région Wallonne.
²Le oung c’est le fait de dénoncer l’orientaon sexuelle publiquement et sans le consentement de
la personne concernée.
Ensemble Autrement est une association active en Province de Liège depuis huit ans auprès des personnes
Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Transgenres, Queers, Intersexes, Autres. Notre association
est également présente pour accueillir les proches du public LGBTQI+ via notre équipe
pluridisciplinaire proposant des accompagnements psycho-sociaux et des activités diverses.
En tant qu’opérateur en Initiative Locale pour l’Intégration¹ des personnes étrangères ou d’origines
étrangères, nous recevons, via l’Appel à Projet de 2019, 2020 et 2021, un public en demande
de protection internationale sous les critères de l’homophobie et/ou de la transphobie vécue au pays.
Le public migrant LGBTQI+ que nous recevons nous sollicite principalement pour une aide
et un soutien dans la procédure d’asile, mais également pour des demandes d’entretiens individuels
afin de pouvoir verbaliser leur orientation sexuelle et/ou leur identité/expression de genre dans
le but de poser des mots sur ce qu’ils/elles ont vécu dans leur pays d’origine.
Ces personnes sont, la plupart du temps, confrontées au choc et au stress post traumatique. En effet,
les récits de vie qu’ils/elles nous livrent sont bien souvent tragiques, ce sont des parcours difficiles
comportant de la violence physique et psychologique. Ajoutons à cela le déracinement, la déchirure
familiale, le choc culturel, le placement en centre, la procédure d’asile et enfin, la peur de se voir
refuser le titre de séjour.
A l’heure actuelle, il persiste encore une dizaine de pays dans le monde où l’homosexualité
et la transidentité sont punies de la peine capitale et des dizaines d’autres dans lesquels les peines
varient entre amendes, jusqu’à 17 années d’emprisonnement, humiliations, tortures…
Dans de telles conditions, ces personnes nous expliquent qu’ils/elles doivent vivre de façon
très prudente et cacher leurs relations. Cependant, malheureusement bien souvent, l’élément
déclencheur résulte du outing² d’un proche. L’exil du pays d’origine se fait de façon précipitée,
sans préparation préalable car la personne se retrouve dans l’urgence pour sauver sa vie directement
menacée. S’en suit alors le parcours migratoire, épreuve supplémentaire, durant laquelle il arrive
parfois que pour pouvoir payer les passeurs, ces personnes n’aient pas d’autres choix que de se livrer
à la prostitution ou encore à des travaux tels que déplacer des corps morts.
Si l’arrivée sur le territoire belge est perçue comme une forme d’aboutissement et de soulagement,
la personne doit encore faire face au placement et à la vie en centre où il règne au travers
de cette mixité des communautés, un fort climat homophobe/transphobe, la lourdeur et la lenteur
des procédures administratives et juridiques, les interviews durant lesquelles il faut crédibiliser
son homosexualité/sa bisexualité/sa transidentité. Durant ces interviews, on leur demande
de parler, de tout livrer, bien souvent plus que ce qu’ils/elles ne peuvent ou veulent exprimer.
Ce projet a donc pour but de leur donner la parole, de livrer leur témoignage avec ce qu’ils/elles
veulent exprimer ou dénoncer.
Dans le domaine de la psychologie, nous savons combien la parole des victimes est importante pour
pouvoir se reconstruire. Verbaliser et faire entendre sa voix, c’est avancer vers un mieux-être.
Cette parole peut être écoutée et entendue afin de permettre au grand public de se conscientiser
à ces réalités de vie, de susciter l’empathie, mais aussi de déconstruire d’éventuels préjugés
ou stéréotypes.Tels sont les buts de ce livret et nous tenons a remercier nos membres de partager leur
histoire avec nous, avec vous.
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Constats
A travers la carte sur les deux pages suivantes³, publiée par l’organisation internationale ILGA⁴,
vous pouvez constater les différentes législations quant aux droits LGBTQIA+ à l’échelle mondiale.
En quelques mots, les pays bleutés reconnaissent la protection contre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle contrairement aux pays représentés dans les tons rougeâtres criminalisant
les pratiques homosexuelles.
Nous estimons important de vous informer que la majorité de nos suivis en demande de protection
internationale sont originaires du continent africain. Il n’empêche que nous avons pu rencontrer
un grand nombre d’origines issues des quatre coins du monde. Les personnes ayant accepté
de témoigner sont originaires de cinq pays du continent africain que sont la Somalie, le Cameroun,
la Côte d’Ivoire, le Congo et la Mauritanie. Il ne s’agit en aucun cas d’une forme de discrimination,
de stéréotype et/ou de préjugé.
Sur base de notre réalité de terrain, nous avons pu constater que malgré la présence d’un
cadre légal autour de l’orientation sexuelle, de nombreuses discriminations en découlent.
Au niveau de l’Amérique latine et de l’Europe de l’Est, diverses cultures existantes
se montrent violentes envers la communauté LGBTQIA+ comme certains demandeurs de
protection internationale d’origine vénézuélienne et tchétchène ont pu nous le partager.
Cette expérience sur le terrain nous a permis de prendre connaissance que la législation est
appliquée par les instances juridiques ainsi que par la population. Cela double la pénalisation
de l’orientation sexuelle.
³Les lois sur l’orientaon sexuelle dans le monde, ILGA.
hps://ilga.org/fr/cartes-lois-orientaon-sexuelle (consulté le 26 novembre 2021).
⁴Internaonal Lesbian Gay Bisexual Trans and Intersex Associaon.
9
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Témoignages
Mon enfance n’a pas été facile pour moi parce que je sais qu’il y a des enfants qui ont une famille unie,
avec des frères et soeurs, un père et une mère. Pour moi, c’était différent. Ma mère était la deuxième
femme de mon père, j’avais des demi-frères et soeurs. J’ai un frère consanguin. La première femme
de mon père est morte, elle a refusé de partager l’héritage avec mon père. Ma mère s’est battue pour nous
offrir une vie, une éducation à mon grand-frère, ma petite soeur et moi.
Quand je grandissais, les gens sentaient que je grandissais comme une fille, mon grand-frère me jugeais
aussi « tu fais tout avec les filles », je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je ne voyais pas de différence.
Au fur et à mesure des années, ça allait de pire en pire avec mon demi-frère qui, lorsque j’avais 10 ans, j’ai
ressenti cette différence en moi, quelque chose qui n’allait pas mais je ne savais pas quoi. J’étais tellement
préoccupé à chercher de l’argent, depuis l’âge de 7 ans, je devais aider ma mère. Je travaillais. J’apprenais
à faire des économies et à donner l’argent à ma mère à la fin du mois. Face à ça, je n’avais pas la tête
à l’école.
A 12 ans, j’ai arrêté l’école. Je me suis vraiment lancé dans la recherche de l’argent pour que ma famille
puisse vivre et que ma petite soeur ne ressente pas la souffrance que j’ai ressentie depuis le bas-âge.
Mon demi-frère continuait de m’insulter de « pd », de « fille ». Je ne savais pas quoi lui répondre.A 14 ans,
dans le mouvement avec les gars de mon quartier, je disais bonjour à tout le monde et inversément.
Un ami a demandé à ma mère pour que je l’accompagne dormir chez lui. Cette nuit-là, j’ai vécu ma
première relation sexuelle. Le deuxième jour, nous avons été attrapés par son grand-frère qui nous a
surpris en rentrant dans la chambre par surprise. Il a crié au scandale dans la maison. Les gens du quartier
sont sortis et on a été amenés chez le chef du quartier qui a nommé cet acte « de la sorcellerie ».
A l’époque, ma mère était malade, quand elle a appris ça, sa maladie s’est empirée. On m’a envoyé chez
un marabout pour me traiter. J’ai fait 2 mois chez ce marabout. J’ai des signes physiques sur le visage
d’après cet homme. Ma mère est morte d’un AVC l’année suivante.
Après sa mort, je ne pouvais plus vivre au village, je ne supportais plus la vie là-bas. Mes frères disaient
que j’étais responsable de la mort de ma mère, que j’étais dans la sorcellerie, que je ne pouvais pas rester
avec eux au risque de me faire tuer. Ma petite-soeur était trop petite pour comprendre. Financièrement,
je reste responsable d’elle. Je suis allé habiter ailleurs dans une grande ville. Je devais chercher quelque
chose à faire, un travail. Je n’avais rien comme compétence sauf dans le commerce.
Je sais bien cuisiner, et un ami m’a proposé de faire une formation dans le domaine de la cuisine.
Mais pour ça, il faut encore payer, j’avais déjà ma soeur à charge. Je n’avais que 20 ans. J’ai eu un peu
d’argent avec lequel j’ai payé le reste des frais de ma soeur. J’ai postulé dans un hôtel qui a accepté
de me former pendant 6 mois. Après la formation, j’ai continué là-bas. J’ai poursuivi ma vie d’homo-
Cameroun
14
sexuel. J’étais toujours poursuivi par ma famille, je recevais des messages de menace, j’étais banni
de ma propre famille. J’ai continué de partir. Je suis rentré travailler dans la famille présidentielle.
Dans mon pays, il n’y a pas de contrat de travail, l’argent n’est jamais sûr. Un jour on peut te payer,
le lendemain non. J’ai commencé à préparer mon départ, je savais que les homosexuels étaient interdits.
J’ai déjà été chassé de ma famille, je n’avais plus d’amis, je ne savais pas qui était mon ennemi. J’ai décidé
de sauver ma peau et de fuir le pays.
La semaine avant ma fuite, j’avais souvent entendu des problèmes comme des attaques de la police dans
des maisons. J’étais en danger. J’avais un copain qui m’aidait, on vivait ensemble mais lui était marié.
Il a fêté son anniversaire chez moi avant de partir chez lui. Je l’ai raccompagné jusqu’à sa voiture.
Il cherchait un truc dans sa voiture, le plafonnier était allumé. Je l’embrasse pour lui dire au revoir.
Des gens ont commencé à crier « Des pd, des pd ». En 15 minutes, il y avait un regroupement d’une
centaine de personnes à l’extérieur qui criait « si tu ne sors pas, on va te bruler dans cette maison ».
Le propriétaire était mon voisin, il a appelé la police. J’ai décidé de ne pas balancer mon copain.
J’ai été bastonné et enfermé au commissariat. Mon copain est allé voir l’enquêteur. En échange d’argent,
ma fuite a été organisée dès le lendemain matin. Une personne m’a attendu en voiture,
et je suis parti me cacher dans une maison abandonnée plusieurs mois. Je devais partir n’importe où,
mais j’avais toujours l’aide de mon copain et de ses contacts. Je ne voulais pas abandonner ma petite soeur
mais je devais sauver ma tête. Il m’a obligé de penser à moi et non à ma famille. Il m’a rappelé le traitement
que l’on réserve en prison aux homosexuels.
Je suis arrivé en Belgique. Un homme m’a déposé dans un café de Bruxelles. Il est parti acheter
des vêtements. Je suis resté au bar à l’attendre jusqu’à la fermeture. J’étais perdu, je ne savais même pas
dans quel pays j’étais arrivé. Le barman m’a expliqué que je ne reverrais plus l’homme qui m’avait
accompagné, c’était un passeur. Il m’a proposé de m’accompagner à l’endroit où l’on demande l’asile.
J’ai accepté son aide. Après avoir dormi dans le café, fait mes soins d’hygiène comme je pouvais,
il m’a déposé au Petit Château à 5h du matin. Il y avait déjà une file dehors. J’ai attendu toute la journée
jusqu’à ce qu’on m’envoie dans un centre.
Dans le centre et même au Petit Château, je n’ai pas caché mon homosexualité. J’ai parlé pour la première
fois avec l’assistante sociale. Je lui ai tout raconté. A partir de là, j’ai compris ce qu’était l’asile.
Elle m’a orienté comme elle pouvait. J’ai rencontré l’avocat et il m’a accompagné vers l’obtention
du statut de réfugié.
Selon Amnesty internaonal concernant les violences fondées sur le genre , « L’OCHA a enregistré 676 cas de violences
fondées sur le genre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en septembre (contre 567 cas en août). Il a toutefois
indiqué que ces chiffres étaient probablement en deçà de la réalité car il avait un accès limité aux populaons concernées.
Sur l’ensemble des cas signalés, 39 % concernaient des violences sexuelles. Les vicmes de violences liées au genre étaient
en majorité des femmes (64 %). »
Code pénal de 1965/2016 – Arcle 347 bis [Relaons sexuelles avec une personne de même sexe] :
« Est puni d’un emprisonnement de 6 (six) mois à5 (cinq) ans et d’une amende de 20.000 (vingt mille) à 200.000 (deux
cent mille) francs toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. »⁵
D’après plusieurs lecture, les camerounais dit ‘’an-gay’’, harcèle, menace et chasse toutes les personnes qui défendent
les droits des LGBTI.
⁵AENGUS CARROLL ET LUCAS RAMON MENDOS. (2017, juillet). HOMOPHOBIE D’ET AT.
associaon internaonale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexe.
Consulté le 16 novembre 2021.
hps://ilga.org/downloads/2017/ILGA_State_Sponsored_Homophobia_2017_French.pdf
15
La vie dans le centre
Elle n’a pas été facile, je n’ai pas été accepté par
tout le monde. Mais à force d’insister, certaines
personnes ont compris que je ne changerais pas.
Je ne pouvais pas m’assoir à côté de certains
parce que je suis homosexuel. J’ai décidé
de m’imposer, je n’avais pas froid aux yeux.
A force de m’insulter, à force de répondre, j’ai
gagné le match.
La directrice du centre a compris que je ne
me laissais pas faire. Je n’étais plus en Afrique,
je n’avais plus besoin de cacher mon homosexualité.
J’ai dû changer de centre parce que
j’ai une santé fragile et le coronavirus a débarqué
dans le centre. J’avais le choix de retourner dans
le premier centre mais je préférais rester
et terminer au second centre.
J’ai entendu qu’on disait des étrangers qu’ils
venaient profiter du pays et des papiers.
Pourtant, dans le premier centre, j’étais avec
quelqu’un, qui m’a proposé un mariage pour que
j’obtienne les papiers et j’ai refusé. Je voulais
faire ma procédure d’asile. Ce sont mes frères
autrefois qui ont créé les stigmates d’aujourd’hui.
Tout le monde n’est pas comme ça.
Ce que disent les gens est comme une publicité.
Ils n’ont pas de salaire. Ils pourraient au moins
faire ça bien. J’ai affronté les critiques des autres,
je ne me suis jamais bagarré. J’ai décidé de
donner un nom à ma vie, la patience. Si je n’étais
pas patient dans ma vie, je ne pourrais pas vivre.
Comme je sais patienter, je sais garder ma
tranquillité et observer les gens. Grâce à
la patience, j’ai obtenu le statut de réfugié
en Belgique, comme si je n’avais jamais souffert
auparavant. Beaucoup de gens m’ont appelé pour
me demander ce que j’avais fait pour réussir
à avoir une positive en seulement un entretien.
Je leur ai dit que si tu es homosexuel, tu dois être
réel. Il faut être réel dans ses actes.
Pour terminer, je voudrais que les gens soient
réels, c’est-à-dire que quelqu’un qui vient
en Belgique, ou ailleurs en Europe, il faut être
homosexuel de la réalité. Nous en avons marre
des gens qui mentent sur leur orientation
sexuelle, ce qui affirme les stigmates qui existent
sur nous. Je connais l’histoire de plusieurs
africains qui demandent l’asile avec l’excuse
d’une fausse homosexualité. Ça m’a fait mal.
J’encourage mes amis à faire attention à leur
entourage. Assure-toi que la personne est réelle
parce que les homophobes sont présents.
J’ai reçu des appels qui m’ont interdit de partager
ce que je voulais sur des groupes LGBT.
Être réel, c’est la clef de la vérité. Il ne faut pas
enseigner le mensonge, la vie d’un homosexuel
aux personnes qui vont mentir sur leur procédure
d’asile. Des menteurs obtiennent l’asile
alors que mes frères homosexuels réels, parce
qu’ils ne savent pas parler, sont refusés. Laissez la
place aux vrais homosexuels, ne prenez pas
ce qui ne vous appartient pas.
16
17
Je n’ai jamais eu l’intention de venir en Belgique, ni de quitter mon pays car je me battais pour m’en
sortir. J’avais mon magasin de chaussures pour femme donc je ne voulais pas le quitter. J’avais ma vie
intime aussi mais dans mon pays les gens disent que c’est de la sorcellerie, que c’est la maladie
des blancs, des sectes…
Le 2 juin 2020, j’étais dans un restaurant avec Jeremy, mon copain. Il y a eu un malentendu,
on s’est disputé et Jeremy m’a ramené chez moi. Le lendemain, il a essayé de m’appeler toute
la journée mais je ne voulais pas répondre. Le soir même, mon copain est venu, on s’est crié dessus,
je voulais une pause mais Jeremy ne voulait pas. Finalement, on s’est mis d’accord et on s’est
embrassé.
Mon voisin, le fils de mon propriétaire, a entendu les cris et donc il est monté, j’avais oublié de fermer
la porte, Jeremy et moi étions au salon. Mon voisin est rentré et nous a surpris. Lorsqu’il nous a vus,
il a crié « sorcellerie », il m’a frappé et les autres voisins sont arrivés et m’ont vu en serviette.
Jeremy avait eu le temps de s’habiller avant qu’ils n’arrivent.
Les voisins nous ont tirés dehors et emmenés sur la place publique. En sortant du bâtiment, Jeremy a
pu s’enfuir car il était porté par des personnes plus âgées et plus faibles. Il a escaladé le mur et a trouvé
une moto pour s’enfuir.
Ils m’ont emmené sur la place publique où il y a des grands fours. Ils m’ont frappé pendant plus
d’une heure avec des bouts de bois en feu. Ils voulaient savoir où habite Jeremy. Dans mon pays,
un homosexuel est frappé voir tué par la population. Si vous avez un peu de chance, quelqu’un va
appeler la police et vous serez emmené en prison.
Lorsque j’ai été battu, il y avait beaucoup de monde sur la place car tout le monde se poussait pour
voir. Après plus d’une heure de torture, mon bailleur a appelé la police. La police m’a emmené
au commissariat où je suis resté 3 jours.
Jeremy a des relations et a su me faire évader grâce à l’aide d’un policier. Le troisième jour au commissariat,
un policier m’a donné un numéro de téléphone, le numéro de Jeremy. J’étais toujours nu,
un détenu m’a donné un vieux short et un t-shirt déchiré.
Le policier, le contact de Jérémy, m’a dit de demander pour aller aux toilettes. Il m’y a donc emmené.
De là, il m’a fait sortir du commissariat. Je devais escalader un mur pour arriver sur le grand marché.
Avant d’escalader, le policier m’a dit que je devais quitter le pays car si j’étais retrouvé, ma peine serait
doublée. J’ai escaladé le mur puis le policier a tiré en l’air. J’ai pu me faufiler dans la ville et me cacher
Cameroun
pour passer la nuit. À 6h du matin, les gens commençaient à sortir pour aller travailler. J’ai demandé
à plusieurs personnes leur téléphone mais ils refusaient car ils avaient peur que je parte avec. J’ai réussi
à trouver un monsieur qui a composé le numéro de téléphone et m’a tendu le GSM en le tenant pour
que je ne le vole pas. J’ai pu donner ma position à Jeremy qui est venu me chercher en voiture.
Je suis resté caché chez Jeremy pendant deux jours, Jeremy a organisé ma fuite vers l’Europe. Il a
appelé un gars qui faisait de la moto, il est venu me cherche le 10 juin à 4h30 du matin. Il m’a emmené
jusqu’à Buéa car la frontière était trop loin pour lui. À Buéa, j’ai trouvé un autre homme à moto qui
m’a fait passer la frontière dans une malle cachée sous une bâche car à la frontière, il faut montrer
les papiers et je n’avais plus rien avec moi. Une fois la frontière passée, le motard m’a laissé et
une autre personne, envoyée par Jérémy, m’a conduit jusqu’en Libye, j’y suis arrivé le 20 juin.
J’ai téléphoné à Jérémy qui m’a dit que le premier motard était mort dans un accident de la route sur
le chemin du retour. Depuis ce coup de téléphone, je n’ai plus eu de nouvelle car il a dû changer
de numéro pour qu’on ne me retrouve pas. C’est Jérémy qui a financé mon voyage et qui a vendu
ma boutique. Jeremy m’a envoyé 1.000 € de la vente de la boutique lorsque j’étais en Libye.
Si j’avais eu le choix, je serai retourné au Cameroun car la Libye c’est l’enfer, c’est la guerre ! Les noirs
sont très mal vus et nous sommes moins bien traités que les animaux. Dès qu’un arabe te voit, il va te
vendre comme esclave, ils vont te torturer et ils font payer pour te libérer, l’argent passe souvent par
la Somalie et le Niger. J’y ai vu des femmes à qui ils ont demandé 5.000 dollars pour être libérées.
En Libye, tu vois la mort devant tes yeux. Je ne pouvais pas rester là car les arabes tuent les noirs.
J’ai donc voulu partir pour sauver ma peau.
Lors de la fête du mouton, j’ai pu m’échapper en voiture pour aller vers l’Italie mais le lendemain,
à 8 heures, les libyens nous ont arrêté, ils ont tiré sur tout le monde, en criant en arabe « les noirs
n’ont pas le droit d’exister ». J’ai pleuré, je voulais rentrer chez moi, mais je n’avais pas le choix.
Les policiers nous ont amenés au port, chez l’homme qui a la plus grande prison de Libye.
Les Libyens sont tous militaires, ils ont tous des armes, même les enfants. Les libyens tirent tout
le temps, sur les gens, en l’air…
J’ai passé trois semaines en prison, j’ai pu m’échapper grâce au travail : en Libye, si un chef de chantier
a besoin de main-d’oeuvre gratuite, il va la chercher en prison. Il passe chercher les détenus le matin
et vient les ramener le soir. Les détenus veulent partir travailler car sur le chantier, ils nous donnent à
manger alors qu’en prison, on ne nous donne qu’un petit morceau de pain le matin. Je suis parti sur
le chantier avec mon frère. En prison, si vous trouvez quelqu’un qui vous ressemble et avec qui vous
vous entendez bien, vous devenez comme des frères. Nous avons été négligés par le patron, il ne nous
surveillait pas, donc nous nous sommes échappés. Quelqu’un est venu me chercher grâce à un numéro
de téléphone. J’ai pu fuir grâce à cela. Cet arabe, en échange d’argent, nous a amenés à un « bateau »
pour fuir la Libye. Le « bateau » était fait avec un pneu et un bout de contreplaqué. Mais ce jour-là,
il y avait des vagues très fortes mais l’arabe ne voulait pas qu’on reste. Le bois a craqué et donc après
une heure de « voyage », l’eau est rentrée dans le radeau. Donc, on est retournés en Libye. Ils ont dû
appeler un autre arabe qui les a pris sur un autre bateau mais une vague a frappé le bateau.
L’eau a rejeté certaines personnes (40) sur la terre, ils sont morts. J’ai récupéré une chemise et
un pantalon de mon ami qui est décédé en mer.
Au bout de trois jours, il n’y avait presque plus de carburant, la mer était agitée, le monsieur
qui regardait les radars a dit qu’on était encore à 65 km de Lampedusa. On a vu la lumière au loin,
le conducteur a essayé de suivre la lumière car lumière égale terre. Quand les vagues étaient trop
fortes, le conducteur devait couper le moteur car c’était trop dangereux et il n’y avait pas de gilet
de sauvetage. La lumière était en fait un grand navire en quarantaine. Le navire a refusé que les gens
montent. Mais de l’autre côté, on a vu une petite maison, le conducteur a donc cherché une terre pour
accoster. On a trouvé une plage vers 5h30.
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Les ONG ont été appelées plus de trente fois lors du voyage mais elles ne venaient jamais. Quand nous
avons accosté, on ne savait pas qu’on était en Italie, tout le monde est sorti du bateau, on est allé
jusqu’à la maison. Des gens sont arrivés, des civils et des policiers. Ils sont descendus et ont parlé
en arabe. Quand ils ont parlé en arabe, on a tous cru qu’on était toujours chez les arabes et qu’on allait
tous retourner en prison. Des filles ivoiriennes ont commencé à courir pour échapper à la prison.
Elles voulaient retourner dans l’eau, là, les policiers ont crié « attendez, vous êtes en Italie ».
On a passé 3 jours sur l’eau, sans nourriture et sans sommeil parce que si tu dors, tu tombes dans l’eau
et comme il n’y a pas de secours, tu meurs.
Les policier nous ont tous amenés dans un bâtiment et ont séparé le groupe en plusieurs parties pour
des tests covid, ils nous ont emmenés dans un camp à Lampedusa. À Lampedusa, nous sommes restés
en quarantaine pendant 3-4 jours.
A la fin de la quarantaine, le 19 novembre 2020, ils ont départagé notre groupe, dans mon document
la croix rouge avait noté Bologne, mais ils m’ont envoyé à Fiuggiavec des sortes de papier d’identité
mais nous, on ne connaissait rien, on n’avait pas compris que c’était différent. Ils nous ont amenés
dans une grande salle pour vérifier nos papiers. Ils nous ont donné du lait chaud et ont repris tous
les documents du bateau. Il n’y avait pas de porte aux chambres, il y avait des problèmes d’eau,
pas d’eau chaude pour se laver, il y avait de l’eau chaude en bas mais c’était pour les arabes et
les afghans. Comme nous venions de la Libye, on était tous malades (corps qui gratte), ils nous disaient
qu’on devait payer les médicaments, le médecin venait 1 fois par semaine mais on devait acheter
les médicaments nous-mêmes, je n’avais plus assez d’argent pour les acheter.
Fatigue extrême et problème de langue, les personnes ne nous acceptaient pas car la traductrice
était arabe, et elle ne faisait rien pour les noirs, elle ne traduisait pas correctement,
elle nous a dit qu’on allait mourir, elle nous a dit de faire une grève, mais on n’allait pas faire
une grève alors qu’on venait d’arriver. On se plaignait du centre et la dame nous disait de crever,
elle ne nous aidait pas. On ne pouvait pas partir parce qu’on n’avait pas de copie de nos documents.
Il y avait une seule assistante sociale pour tout le centre donc elle ne pouvait pas faire grand-chose.
Ils ne voulaient pas nous montrer les documents car ils nous avaient détournés de notre centre
assigné au départ.
Une connaissance qui était partie du centre m’explique comment faire, je suis parti parce
que j’en avais marre et j’avais mal à mes blessures non soignées. Je suis parti et je suis arrivé
en France, à la porte de la chapelle à Paris, le 6 janvier. Il faisait très froid, j’avais déjà passé plusieurs
nuits dehors, un gars vient vers moi pour demander une cigarette, je lui explique mes problèmes
de santé, il me dit qu’en France pour avoir un logement et des soins de santé, il faudra attendre
au minimum trois mois. Il m’a conseillé la Belgique car ils me prendront en charge plus rapidement.
Il m’a expliqué comment y arriver. J’ai pris un taxi, 40 euros pour aller à Bruxelles en voiture.
Je suis arrivé en Belgique le 7 janvier. J’ai passé la nuit à la gare du Nord. Le chauffeur m’a montré
à qui demander des informations pour ma demande d’asile.
Le matin vers 5h, j’ai commencé à chercher mon chemin, je suis arrivé à Fédasil à 6h du matin.
Ils m’ont tout de suite demandé si j’avais des problèmes de santé et j’en suis très reconnaissant
car ils ont soigné mes problèmes de peau tout de suite.
Il y a toujours des gens qui sont contre l’homosexualité, que ça soit des noirs ou des blancs. Le souci,
c’est que c’est difficile de mélanger les gens de la communauté LGBT avec des personnes qui
ne le sont pas dans des centres parce qu’ils ne se comprennent pas. J’ai des problèmes quand je veux
discuter avec des hommes parce que quand je suis en appel, je suis obligé de mettre des écouteurs pour
entendre ce que l’on me dit mais moi, je ne parle pas pour ne pas qu’on m’écoute. Si j’étais dans
un centre pour personnes LGBT, je pourrais ne pas avoir peur et honte.Actuellement, j’ai peur qu’on
découvre que je suis gay et qu’un autre résident le découvre en fouillant dans mes affaires ou
en prenant mon téléphone lorsque je ne suis pas là parce que ça s’est déjà produit.
J’ai l’impression que certaines personnes le savent quand même depuis que l’un des résidents
est tombé sur des photos dans mon téléphone. Une personne a dit « je sais qu’il y a des PD dans
ce centre » en me regardant. Il y a des soupçons. Même quand je viens à la Maison Arc-en-ciel,
je croise des personnes du centre et je suis obligé de faire des détours pour ne pas que l’on comprenne
que je viens à l’association.
Quand je suis arrivé en Belgique depuis Bruxelles, je pensais qu’il y avait des centres pour
les personnes LGBT et l’assistante sociale de Fédasil m’a expliqué que ça n’existait pas. Je veux juste
pouvoir être tranquille et que les gens ne me détestent pas pour qui je suis.
Je suis dans mon coin, je n’ai pas d’amis, ni d’ennemis pour le moment. Je ne cherche pas
les problèmes et je ne juge la vie de personne. Parfois, je sors et je vais me balader pour voir des amis
que j’ai rencontré depuis que je suis en Belgique. Quand je suis dans des endroits qui sont LGBT
friendly, je peux me sentir à l’aise et être moi-même. Si des centres venaient à voir le jour
ici en Belgique, je me sentirais en sécurité et je pourrais être tranquille. Ça serait bien d’enfin pouvoir
vivre dans un endroit qui ne me force pas à cacher qui je suis.
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Je suis arrivée en Belgique en 2019. Au début, je suis allée au Petit Château pour la procédure « d’arrival ».
J’étais avec des rwandaises, des nigérianes, des camerounaises et ça se passait bien. A ce moment,
je ne voyais pas encore le très long tunnel sombre que j’allais bientôt traverser. J’ai parlé à mon assistant
social des raisons pour lesquelles j’ai quitté mon pays et il m’a dit qu’il m’enverrait dans un centre avec
des personnes LGBT pour que je m’y sente bien.
Je suis donc allée au centre Fédasil de Spa. J’étais dans un bungalow avec d’autres personnes. Nous étions
5, au début la vie se passait normalement. On se faisait à manger entre nous, on faisait notre vie.
Mais j’ai eu le béguin pour une femme dans le centre. J’ai cru qu’elle était comme moi, parce qu’elle
vivait avec d’autres femmes et j’ai cru comprendre qu’elle était homosexuelle. Je me suis trompée,
et c’est là que les ennuis ont commencé. Je l’ai draguée, elle m’a dit non et je n’ai pas insisté.
Mais une de ses copines l’a très mal pris et était homophobe. Elle a fait pleuvoir sur moi des insultes en
permanence, des insultes homophobes, des insultes racistes… Ça a commencé à me rendre la vie très
dure. J’ai même été convoquée par la directrice, car on lui avait dit que j’étais une harceleuse et que
je continuais de draguer alors que j’avais arrêté. Se tromper ça arrive, qu’on te dise « non », ça arrive,
mais j’avais compris, j’avais arrêté. La directrice ne m’a pas écoutée. C’est allé dans tous les sens,
elle ne me soutenait pas, elle était homophobe et défendait celles qui me harcelaient. On m’a même
interdit de faire des travaux communautaires. Mon ami Arthur m’a défendu, il s’interposait. Sans lui,
j’aurais eu plus de mal.
La veille de mon interview à l’Office des Étrangers, la fille qui me détestait m’a insultée jusque trois
heures du matin alors que je me levais tôt. J’ai passé l’entretien dans de très mauvaises conditions, j’étais
tellement pâle que la femme avec qui j’ai fait l’entretien m’a demandé ce qui n’allait pas. J’ai expliqué,
et elle m’a dit de porter plainte car l’homophobie est illégale en Belgique. Après cela, on m’a changée
de chambre mais le harcèlement a continué. C’est à ce moment que j’ai pris contact avec Ensemble
Autrement. Je pense que j’ai tenu le choc grâce à l’équipe Arc en Ciel et Margaux qui m’a mise en contact
avec une psy.
Dans ma nouvelle chambre, il y avait des abus. Il était interdit dans le centre de fumer ou d’allumer de
l’encens pour des raisons de sécurité, mais une des femmes allumait tout le temps de l’encens, même
quand j’étais là. Ça me dérangeait, je lui ai fait remarquer qu’elle devait au moins me demander si ça ne
me dérange pas ou faire ça quand je ne suis pas là. Elle n’a pas pris en compte mes demandes. A la place,
elle s’est mise à m’insulter tous les jours. Elle savait que je suis homosexuelle alors elle savait où taper
pour que ça fasse mal. Elle m’a poussée loin, je n’avais que mes larmes. J’ai pensé au suicide. Une fois
de plus la directrice ne m’a pas soutenue, même quand je n’avais rien fait, même quand j’avais raison,
on me disait de présenter mes excuses et de demander pardon.Toujours demander pardon.Toujours.
Cameroun
Heureusement que la Maison Arc en Ciel était là, quand je parlais à Margaux c’était la seule qui
m’écoutait.
En suivant les conseils de mon frère, je me suis repliée sur moi-même. Je me suis faite la plus discrète
possible pour qu’on m’oublie. Je me faisais force pour ne plus parler aux gens, j’agissais comme
un chat, caché de peur qu’on me fasse du mal. J’ai arrêté de manger avec les gens, je ne mangeais
que pendant les heures où je pouvais être seule. Quand le corona est arrivé, des gens qui n’étaient pas
de notre chambre rentraient sans masque dans la chambre, et c’était interdit par les mesures de
sécurité. Je me suis plaint aux travailleurs du centre mais on m’a dit que j’exagérais.
Un des travailleurs était homophobe et ne m’écoutait pas. Il a fini par être viré de Fédasil parce qu’il
a entretenu une relation amoureuse avec une femme du centre. Une guinéenne est arrivée
dans le centre, elle n’aimait pas les homosexuel.le.s et parlait beaucoup. Des gens ont parlé, et elle a
appris très vite que j’étais homosexuelle.
Et un jour, le centre de Spa a fermé. Une fête a été organisée pour que nous quittions les travailleurs
dans de bonnes conditions, même si la rancoeur est restée. Nous nous sommes faits des cadeaux,
on s’est dit au revoir. Après nous avons dû changer de centre et je me suis retrouvée à Herbeumont
avec la même bande de harceleuses. Les mêmes personnes. Le harcèlement a continué. J’ai pensé que
c’était un nouveau départ, je me suis fait la plus discrète possible pour qu’on me laisse tranquille.
Mais la guinéenne s’est mise à parler beaucoup et en une semaine à peine, tout le centre savait pour
moi. Cette femme s’est fait un groupe d’amies qui s’amusait à m’insulter et se moquer de moi
à chaque fois qu’elles me voyaient. Elles se moquaient de mes vêtements, de mon homosexualité,
elles se moquaient de moi pour tout, et parfois même pour rien. Il y avait 5 personnes de nouveau dans
ma chambre et ça s’est encore mal passé. J’ai beaucoup appelé ma psy, je l’appelais tout le temps
en visioconférence. Une fois de plus, je ne pouvais compter que sur Arthur pour me soutenir car
le directeur ne m’écoutait pas. Arthur me donnait des conseils pour aller mieux, il me soutenait,
il m’écoutait.
Une fois j’ai craqué, je me suis disputée, j’ai dit à ma harceleuse qu’elle ne connaissait pas ma vie
et que j’en avais marre, qu’elle n’était pas légitime pour parler de moi et de ma souffrance
puisqu’elle ne me connait pas. On a fini par me changer d’endroit et je me suis retrouvée dans
un bungalow avec des mères qui avaient des enfants. Au début ça m’a changé, c’était plus tranquille.
Mais certaines ne voulaient pas porter de masque, comme certaines ne voulaient pas respecter
la règle, le directeur a demandé à une personne de changer de centre. On m’a dit que c’était de
ma faute et l’ambiance dans la chambre a changé, c’est devenu tendu.
Moi, j’aime regarder des films, c’est mon truc. Je regarde beaucoup de films de genre avec
des personnes qui ont des relations avec des personnes du même sexe. Elles n’aimaient pas du tout,
elles n’acceptaient pas ça. Et à chaque fois que je regardais mes films, tranquille dans mon lit,
on me disait « dieu te pardonne » parce que c’est contre la religion musulmane, elles voulaient m’en
empêcher. La situation a empiré, c’est devenu de pire en pire, je pleurais les larmes de ma vie.
J’ai failli en venir aux mains, j’étais en colère. J’ai demandé à mon assistante sociale qui m’a dit qu’elle
était responsable de ma sécurité. J’ai demandé à changer de centre, j’ai pu changer deux semaines
après.
En décembre 2020, je suis arrivée au centre de Couvin, et jusque-là tout va bien. Mon assistante
sociale et ma directrice m’écoutent cette fois.
J’ai l’impression que les directeurs Fédasil ne sont pas formés, ils ne savent pas les problèmes
des personnes LGBT. Les lois punissent l’homophobie mais les lois ne servent à rien si elles ne sont
pas appliquées, s’il n’y a pas de sanction. L’homophobie doit être punie et dans les centres,
il n’y a que l’impunité. Si ça continue, il y aura des suicides. Je ne suis pas toute seule à y avoir pensé.
Il faut donner aux personnes LGBT un environnement paisible et convivial. À quoi ça sert d’être
en Belgique dans un centre si le centre n’assure pas la sécurité et favorise les homophobes ?
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Je suis homosexuelle et ça, je ne l’ai pas choisi. C’est naturel, je n’y peux rien. J’aimerais qu’on
respecte enfin ça. En centre, il faut faire une place pour les gens qui n’ont pas choisi. Créer un centre
spécial pour les personnes LGBT ne réglerait pas tous les problèmes mais permettrait plus
de sécurité, de ne plus avoir à se cacher, de ne plus avoir peur des représailles pour ce qu’on est.
La vie actuelle est impossible, il faut que ça change.
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Mauritanie
Je m’appelle Izy et je viens de Mauritanie. A l’âge de 15 ans, j’ai été violée pendant 2 ans par
un professeur qui me donnait des cours à la maison. J’ai raconté mon histoire à ma cousine,
c’est comme une meilleure amie pour moi, j’ai grandi avec elle. Nous avons eu des rapports sexuels
ensemble. Personne ne savait que nous avions des rapports parce que nous savions qu’avoir
des rapports homosexuels étaient interdits. Pendant 6 ans, nous avons eu ces rapports jusqu’à
son décès dans un accident de voiture en 2013.
Après sa disparition, j’ai commencé à travailler dans un centre de sport. Je me suis liée d’amitié
avec une fille footballeuse et je lui ai raconté tout.
Je suis sortie avec elle jusqu’à ce qu’on soit surprises alors que nous nous embrassions dans un
des bureaux. Le chef a appelé les personnes présentes dans les bureaux ainsi que la police. Nous avons
été gardées enfermées durant 7 jours. Nous devions être envoyées en prison. Nous avons choisi de fuir
avant d’y entrer. Ma tante m’a aidé à fuir en Espagne jusqu’au jour où mon père m’a retrouvée.
Si je n’étais pas en prison, il voulait me tuer. J’ai fui vers la Belgique.
Depuis que je suis arrivée en Belgique, je me sens bien, je me sens protégée et je suis libre de faire ce
que je veux.
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Congo
Je m’appelle Cédric. Pour le moment, je suis mal à l’aise à cause de la vie en centre et un peu à cause
de la procédure. J’ai le besoin de vivre ma vie. La vie en centre ne me correspond pas, je n’ai pas
d’intimité, et je ne veux pas de problème avec les autres communautés.
Je n’aime pas la vie en centre. Si un jour Dieu me donne la possibilité de quitter le centre, je le ferai.
Je suis timide là-bas, les autres regardent ma façon de marcher, de m’habiller, de parler. Je reste seul
la majorité du temps, je prends mon repas et je retourne directement dans ma chambre.
Je sors uniquement pour fumer ou pour partir travailler quand j’en ai la possibilité. Je ne cause pas
trop avec les gens, parce que quand tu causes beaucoup, les gens en savent trop.
J’avais un ami qui aujourd’hui n’est plus en centre. Il me disait « tu es sociable, tu n’as pas d’âge ».
C’est vrai, comme je ne parle pas, je ne dérange pas en soi. J’aime quand même rire de tout et de rien.
Je n’ai jamais été insulté jusqu’à maintenant, mais on m’a déjà dit que j’avais une démarche de femme,
je parle comme une femme. J’ai répondu à la personne de ne pas me regarder et de se limiter à dire
bonjour et au revoir. Je préfère rester seul pour éviter les problèmes.
J’ai quitté le Congo pour l’Angola en 2014, j’avais 32 ans, jusqu’en 2019.
Je suis ensuite passé en Grèce avant de rejoindre la Belgique.
Au Congo, j’ai rencontré Cédric junior, je l’ai aimé de tout mon coeur, aujourd’hui, il n’est plus de ce
monde. Durant mon parcours, il a été ma force de fuir. Ma famille ne savait rien de mon homosexualité.
Je sortais avec quelqu’un et personne ne le savait. La famille de cette personne ne savait pas
non plus que celui-ci était homosexuel. Au Congo, l’homosexualité de Cédric était vue comme
une malédiction, un envoutement. Mon petit copain est décédé en 2016. Je n’étais plus au Congo,
lui était resté là-bas. Aujourd’hui, bien que je fasse ma vie, l’amour que mon petit copain m’a donné
était le plus fort. Aujourd’hui, j’ai 39 ans. Cédric est toujours dans mon coeur.
Ici en Belgique, je n’ai pas d’amis, je n’aime personne réellement. J’ai des connaissances.
Par rapport à mon avenir, je suis à l’aise en Belgique. Quand je marche dans la rue, personne ne me
regarde, personne ne m’insulte. Je pourrais continuer ma vie ici, je pourrais continuer à venir dans
les associations LGBT. Je me sens comme un petit bébé, je ne connais rien et je ne fais rien.
Je sais qu’un jour, je grandirai. Je n’ai pas le temps de pleurer. Un jour, je sais que je rencontrerais cette
personne qui succèdera à Cédric, ce jour-là, je marcherai tout seul. J’ai besoin d’un compagnon,
de quelqu’un près de moi pour m’accompagner, rigoler, me câliner. Je souffre d’être seul au
quotidien. J’ai besoin de quelqu’un qui me guide, qui me conseille, je veux que quelqu’un me dise
« cette chemise n’est pas belle, mets une autre ». C’est pour ça que je dis que je suis un bébé.
Arcle 409. Homosexualité[Rapport avec une personne du même sexe]
« Quiconque a une relaon charnelle avec une personne de même sexe sera puni, lorsque l’acte ne constue
pas un crime plus grave, d’un emprisonnement de trois mois àtrois ans. Lorsque l’acte commis constue
un acte de luxure diffeŕ ent du rapport charnel, la peine imposeé sera réduite d’un ers. »
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Somalie
Je ressens une attirance pour le même genre depuis l’âge de 12 ans. En Somalie, mon pays d’origine,
j’ai été battu et abusé par des membres de ma famille, certains de leurs amis ainsi que par des habitants
de ma région.
J’ai fui la Somalie en me rendant en Iran, ensuite en Turquie et pour finir en Grèce, où j’ai introduit
une première demande d’asile. J’ai fini par fuir la Grèce pour me rendre en Belgique. Par rapport
à mon parcours d’exil, si je devais recommencer, je le ferais. C’était et ça serait pour me sauver la vie.
La vie en Belgique me donne une impression de sécurité. Mais la procédure d’asile ne garantit pas
une réponse positive. J’espère l’obtenir.
Dans le centre, je ne me sens pas à l’aise. Je n’ai presque pas de contact en centre et je n’aborde jamais
mon orientation sexuelle avec les autres résidents parce que cela engendrerait des réactions homophobes,
rien qu’avec ma propre communauté somalienne. Je préfèrerais vivre avec d’autres personnes
LGBTQI afin d’avoir une situation similaire. Ce pourquoi l’idée d’un centre spécifique LGBTQI
pourrait être une solution sécurisante.
Je rêve à l’avenir de pouvoir rester sur le territoire belge, de trouver un emploi et de rencontrer
un homme avec qui partager le reste de ma vie.
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Somalie
Je m’appelle Sulayka et voici une partie de mon histoire. Je vivais dans mon pays d’origine
qui est la Somalie. Je vivais avec ma famille et j’avais un petit ami, ma vie était très difficile. J’ai étudié
seulement une année quand j’étais à l’école parce que mes parents n’avaient pas beaucoup
les moyens.
Après ça, je suis parti au Kenya, j’avais 14 ans, parce que je ne voulais pas que ma famille découvre que
j’étais gay. Ils sont musulmans, comme moi et ce n’était pas dans leurs projets. Ils voulaient que je me
marie avec une fille.Je suis resté au Kenya un an et demi, j’y ai rencontré beaucoup de personnes gays
ainsi qu’une association qui aide la communauté LGBTQIA+.
Malheureusement, je n’avais pas de papiers et la police m’a dit de quitter le pays car je n’avais pas
le droit d’y rester. J’ai donc quitté le Kenya pour l’Ouganda où je ne connaissais personne.
J’y suis resté pendant un an où j’ai rencontré une personne homosexuelle comme moi. Il y a beaucoup
de problèmes car ce pays n’accepte pas la communauté LGBTQIA+ et vous risquez de vous faire tuer
par la police si elle découvre que vous êtes gay.
L’homme que j’ai rencontré en Ouganda était plus vieux que moi et me faisait des avances.
Il me menaçait de me dénoncer si je n’acceptais pas ses avances. Des fois, j’acceptais et des fois
je refusais. Un jour, j’ai refusé et il a appelé la police en disant qu’il connaissait une personne gay
somalienne.La police est venue et m’a arrêté. Je suis resté 3 mois en prison. Je dormais par terre
et je ne mangeais que le matin et le soir en très petite quantité.
Après 3 mois je suis sorti de prison et j’ai rencontré un autre homme gay qui m’a aidé. Il avait un bon
travail et il m’a dit que si j’acceptais ses avances, il payerait pour le « conducteur » qui me conduirait
en Lybie. Il m’a donné un peu d’argent après.
Je suis alors parti pour la Lybie où je suis resté 3 mois. Malheureusement, cela ne se passait pas bien
pour moi car je n’avais pas beaucoup d’argent. Des libyens m’ont dit que j’étais grand et mignon
et que si je faisais ce qu’ils me demandaient, ils m’aideraient.Ils m’ont menti, m’ont emmené
dans un endroit, enfermé dans une chambre. Ils menaçaient souvent de me tuer et me faisaient subir
d’autres choses. J’ai été violé quand ils m’ont amené là, par 6 personnes et cela a duré toutes les nuits
durant 3 mois. C’est comme ça que j’ai découvert la sexualité, en répondant aux avances d’autres
hommes.
Un jour, une des personnes a oublié ses clefs sur la porte. Je ne pouvais plus supporter cela, ils ne me
nourrissaient qu’avec du riz et de l’eau. J’avais attrapé des allergies sur tout le corps. J’ai ouvert la
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porte et j’ai couru jusqu’à un groupe de personnes que j’ai aperçu dans la ville. Par chance, l’un d’eux
était somalien et m’a dit qu’ils allaient partir pour l’Italie. C’était ma chance d’y aller et je l’ai suivi.
Le voyage pour arriver en Europe était très dur. J’ai voyagé par la mer dans une embarcation très
petite avec beaucoup de gens à bord. Il y avait deux embarcations avec 1200 personnes, 600 dans
chacune d’elles. Les embarcations étaient trop petites et pour survivre, j’ai beaucoup nagé à côté
du bateau. Certaines personnes étaient mortes et j’ai pris un gilet de sauvetage sur un mort pour
pouvoir continuer à nager et me reposer.
Après deux heures, le moteur du bateau a cassé, une heure après les personnes mourraient et
je pensais mourir aussi. Par chance, un bateau italien est arrivé et j’ai été emmené jusqu’en Sicile.
Je devais être envoyé dans un centre mais quand je suis arrivé, le bureau était fermé donc on m’a dit
de dormir où je me trouvais et d’attendre qu’on vienne prendre mes empreintes. Je ne voulais pas être
en Italie donc je me suis enfuis. J’ai vécu dehors 3 jours, on m’a conseillé de mendier. Quand j’ai eu
10 euros, j’ai pris le bus pour aller dans une autre ville, à Cartania.
Là-bas, j’y ai rencontré beaucoup de personnes somaliennes qui m’ont dit d’aller en Allemagne.
Ils m’ont donné un ticket pour prendre le flixbus.Arrivé en Allemagne, je suis allé dans un centre,
ils m’ont pris les empreintes, je leur ai expliqué que j’étais homosexuel, j’ai expliqué mes problèmes
et ils m’ont dit d’attendre l’interview.
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Somalie
Je m’appelle Suheeb, je viens de Somalie et je suis homosexuel. J’ai quitté ma famille en Somalie
pour des problèmes au pays liés à mon homosexualité. Cela n’est pas toléré dans mon pays et j’ai été
confronté à de multiples violences suite à mon orientation sexuelle.
J’avais un petit ami en Somalie que je fréquentais régulièrement en cachette. Mais un ami de mon frère
nous a démasqué et lui a expliqué que j’avais des relations intimes avec un garçon. Ils nous ont ensuite
agressé tous les deux, mon petit ami est décédé des coups de couteaux et moi, j’ai reçu des coups de
bâtons, notamment sur la tête. Je suis alors tombé.
Quand je me suis réveillé, j’étais à l’hôpital avec ma maman.A notre retour, mon frère et ma mère ont
eu des discussions animées. Dans ma famille, et général en Somalie, il y a toujours un membre
de la famille qui est plus respecté et qui décide pour l’ensemble du groupe. C’était le cas de mon frère.
Mon frère ne me tolérait absolument pas, il voulait que je meure suite à mon homosexualité. Ma mère
a essayé d’adoucir ses propos car elle m’aime et voulait me protéger. Quand ma maman m’a demandé
si j’étais homosexuel, à plusieurs reprises, je lui ai menti pour la protéger. Je lui assurais que non.
Elle était fragile médicalement et je ne voulais pas lui faire de mal. Dans notre entourage, tout le
monde m’accusait de cette homosexualité, je n’étais plus en sécurité. La famille de mon petit ami me
menaçait également de mort, non pas parce que mon frère l’avait tué mais parce que, moi aussi, je
méritais de mourir parce que j’étais homosexuel. Cet évènement a eu lieu fin 2016, j’avais 16 ans.
Ma maman a alors appelé ma tante, qui vit à la capitale, pour lui demander de l’aide. Elle accepté
de m’accueillir chez elle afin que je quitte ma région. Quand je suis arrivé à la capitale en 2017,
ma vie là-bas n’était pas facile, j’avais également des agressions en rue, des menaces liées à
mon homosexualité. Je devais faire vraiment attention à mon attitude, ma démarche, ma manière
de parler qui est plus féminine que les hommes en Somalie. Je gardais contact avec ma maman,
elle avait peur que mon frère me retrouve. Elle a demandé à ma tante de m’aider à quitter le pays,
ce qu’elle a accepté.
Je suis donc parti en septembre 2017 pour la Turquie. Malheureusement, ma tante est décédée
un mois après mon départ. J’ai pris l’avion pour l’Iran, avec une escale dans un autre pays d’Afrique,
peut-être le Kenya. Là-bas, après trois – quatre jours, j’ai pris la route pour rejoindre la Turquie
à pied. Nous étions un groupe 5-6 personnes. J’avais peur de la police, nous avons marché sans arrêt
durant cinq jours. C’était très dur. Il faisait froid. Je suis arrivé le 1er octobre en Turquie. Je pensais
que tous les problèmes allaient s’arrêter. Je remercie infiniment ma tante de m’avoir aidé. Sur place,
j’ai téléphoné à son amie qui devait prendre soin de moi. Elle est effectivement venue me chercher
à l’endroit prévu et j’ai pu habiter avec elle quelques temps. Mais je n’étais pas vraiment accueilli ;
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je dormais dans la cuisine, devais faire pleins de tâches ménagères, m’occuper des poubelles,
m’occuper des enfants, etc. En échange, je ne recevais pas de nourriture, il est même arrivé
qu’elle me batte. Si je m’opposais, elle me menaçait de me livrer à la police pour retourner
en Somalie, ce que je refusais par-dessus tout.
Lorsqu’au téléphone, elle a appris que ma tante est décédée, elle m’a mis dehors. Je ne connaissais
rien, juste la place où il y avait des poubelles. Je suis resté dehors, je pleurais beaucoup. Un homme
somalien, qui a étudié en Turquie, est venu près de moi. Je pensais que j’allais mourir. Je croisais que
des personnes qui avaient bu, j’avais peur de la police. Il m’a accueilli chez lui, dans une colocation
avec d’autres personnes somaliennes, il m’a donné du thé, un manteau, de la nourriture, cela faisait
24h que je n’avais plus rien mangé. Ils m’ont demandé de me calmer car je pleurais beaucoup.
Ils souhaitaient savoir les raisons de ma venue en Turquie, mais je n’osais pas expliquer ma situation,
ni mon homosexualité. J’ai expliqué que je venais d’Iran et que je voulais fuir la Somalie. Je suis resté
5 ou 6 jours sur place. Ils m’ont donné deux options ; rejoindre un groupe de personnes qui
retournaient en Somalie ou rejoindre la Grèce avec un autre groupe.
J’ai accepté la seconde option mais je n’avais pas d’argent. Ils ont accepté de se cotiser pour moi,
pour m’aider. Après, ils ont discuté avec un passeur. Le 11 novembre 2017, je suis arrivé sur l’île
de Chios par bateau. Je me disais que j’étais en Europe et que les problèmes allaient enfin s’arrêter.
Je suis arrivé dans un camp de réfugiés immense, avec des tentes, des déchets, des milliers
de personnes qui vivent dans la rue car il n’a pas de places pour tout le monde sous les tentes.
Il n’y avait pas de sécurité là-bas, ni de bonnes conditions d’accueil. Pour la nourriture, ils nous
donnaient 1L d’eau, du pain et un plat mais il n’y en avait pas systématiquement pour tout le monde
car la file d’attente était très longue. Ils ont pris mes empreintes pour enregistrer ma demande d’asile
et m’ont conduit auprès des personnes de ma communauté, des somaliens, pour négocier avec eux un
endroit pour dormir. Je ne connaissais personne. J’avais froid, il y avait des bagarres entre communauté.
Entre les somaliens et les afghans par exemple, des personnes mettaient le feu, des vols,etc.
J’ai été agressé à plusieurs reprises, soit parce que j’étais somalien, soit parce que j’étais homosexuel.
Je ne pouvais pas trouver quelqu’un pour m’aider et en parler. Je gardais espoir de pouvoir trouver
une porte de sortie à cet enfer.
En dehors du centre, les grecs étaient aussi virulents envers moi et les personnes qui demandent
l’asile, ils ne toléraient pas notre présence. Un jour, un grec a ordonné à son chien de me poursuivre
pour me mordre. Je préférais dormir à l’extérieur du centre malgré tout.
Je suis resté là-bas durant un an avant de recevoir une décision de reconnaissance du statut
de réfugié. Lorsque j’ai reçu ma carte d’identité, je suis parti à la capitale, à Athènes en espérant
une nouvelle vie plus sécurisante pour moi. J’étais sûr que l’Europe allait m’offrir une meilleure vie.
Mais à mon arrivée, je n’avais nulle part où aller. Je n’avais pas d’aide, juste ma carte d’identité.
Je dormais dans la rue, sans argent. Personne ne m’a guidé ou aidé. Je trainais près des restaurants
pour avoir de la nourriture ou je mendiais dans les arrêts de bus. Lors d’un contrôle de police,
j’ai couru et j’ai perdu ma carte d’identité. J’étais perdu et je ne savais pas comment je pouvais
me sortir de cette situation. J’ai été au poste de police pour récupérer une carte d’identité mais
ils ont refusé car je n’avais pas de documents à leur présenter pour prouver mon identité.
Un homme âgé de Somalie est venu vers moi et m’a demandé si je venais de Somalie. Il m’a demandé
ce qu’il se passait, je lui ai expliqué ma situation sans parler de mon homosexualité. Il m’a proposé
de m’aider à rejoindre l’Europe centrale avec un faux passeport. Il m’a dit que c’était mieux pour moi,
que je serai plus heureux ailleurs mais qu’il y avait des risques. J’ai accepté.
Grâce à Dieu, j’ai réussi à prendre un avion du premier coup avec le faux passeport. J’ai suivi
les instructions de la personne responsable de mon transfert. J’attendais. Je ne savais où j’allais atterrir
mais je suivais.
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Le 18 février 2019, je suis arrivé à Bruxelles durant la nuit. Le lendemain, j’ai été au Petit-Château
pour demander l’asile. A mon enregistrement, j’ai expliqué toute ma situation. J’ai ensuite été
transféré au centre Fédasil de Lommel.
Le 5 avril 2019, j’ai reçu le cachet Dublin suite à mon séjour en Grèce mais cette procédure a été
annulée le 25 avril 2019.
Le 16 septembre 2019, j’ai réalisé mon interview à l’Office des Étrangers qui a ensuite transféré
mon dossier au CGRA.
Le 30 novembre 2019 j’ai réalisé mon interview au CGRA, qui m’a rendu une réponse négative
en décembre 2019 suite au fait que j’avais reçu un statut de protection en Grèce. Mon avocat n’a pas
voulu faire de recours et le délai de recours était dépassé quand j’ai voulu changer d’avocat. J’étais très
anxieux parce que je ne voulais pas retourner en Grèce et revivre une mauvaise expérience sur place.
J’ai reçu l’ordre de quitter le territoire le 7 mai 2020 d’un délai de 30 jours. Avec l’aide de
l’association Merhaba à Bruxelles, j’ai reçu un rapport d’Emantes faisant état des discriminations
subies par les personnes LGTBQI+ refugiées en Grèce. J’ai donc, avec ce document, pu faire une
nouvelle demande d’asile le 10 septembre 2020.
Actuellement, je suis en recours contre la décision d’irrecevabilité de ma deuxième demande d’asile.
J’espère que la Belgique va comprendre ma situation et m’offrir la possibilité d’une vie sécurisante
et plus heureuse.
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Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, j’adhérais à une association LGBT, je n’étais pas un membre actif mais
je les soutenais. À Abidjan, j’étais vraiment bien, je me sentais très bien, je ne me voyais pas du tout
venir ici. J’avais un très bon boulot qui me permettait de très bien gagner ma vie parce que je travaillais
sur les plateformes pétrolières. Je n’envisageais absolument pas de venir en Europe.
Comme je l’ai déjà dit, je faisais partie d’une association pour les personnes LGBT mais je n’étais
pas un membre actif par contre je leur prêtais un espace pour qu’ils puissent se réunir et faire
leurs réunions afin qu’ils soient tranquilles. Ils venaient en petit comité et ils parlaient des sujets
qu’ils voulaient. Ils savaient ma position, je préférais rester discret car petit, on m’avait déjà frappé
pour avoir eu des comportements homosexuels. J’avais 12 ans quand on m’a surpris et c’est à partir
de là que j’ai commencé à vouloir sortir avec toutes les filles que je voyais, je sortais à gauche
et à droite pour ne pas qu’il y ait des doutes. Je ne voyais pas les filles comme des amies parce
que j’aimais la douceur, c’est d’ailleurs ce que je recherche aussi chez les hommes. Et c’est d’ailleurs
pour effacer cette vision de l’homosexualité que les gens avaient eu de moi à 12 ans que j’ai eu
mon premier enfant à 15 ans. J’ai fait trois enfants avec la même femme et aujourd’hui, je ne les vois
plus parce que ma famille est restée à Abidjan.
Le fait qu’on découvre mon homosexualité est arrivé à cause d’elle. Nous n’avons pas vécu
directement ensemble mais quand c’est arrivé, je me suis rapidement rendu compte que je n’étais pas
à l’aise et que je voulais vivre avec un homme. Je lui ai donc donné de quoi pouvoir vivre
correctement, je l’entretenais et je vivais souvent en faisant des allers-retours entre la maison
de ma femme et une autre maison que j’avais gardée où j’y voyais mon compagnon. Quand les gens
ont eu des doutes en se demandant pourquoi je ne me mariais pas, j’ai fait un deuxième enfant.
J’ai eu de la chance parce que cette femme était très compréhensive avec moi, tolérante
et très patiente. J’avais beaucoup d’affection pour elle et ce qu’elle faisait pour moi. Lorsqu’on a eu
notre deuxième enfant, j’ai décidé de prendre un grand appartement parce que j’avais les moyens.
Mon compagnon de l’époque comprenait mes choix parce que nous étions en Afrique et il savait qu’on
ne pourrait jamais vivre notre vie comme nous le voulions et se marier. On a donc gardé la petite
maison pour nous deux et pour que nous puissions nous voir puisque j’avais les moyens de pouvoir
garder les deux. J’ai aménagé la nouvelle grande maison pour qu’elle puisse être bien avec les enfants
et moi je bougeais beaucoup entre le travail et les deux maisons.
C’est le jour de la naissance de mon dernier enfant que tout a changé parce que ma compagne
ne sortait jamais sauf lorsque ma dernière fille est née car elle a voulu montrer le bébé aux personnes
que nous connaissions et qui vivaient près de la petite maison. Elle pensait que j’avais loué la maison
à des amis et c’est en voulant leur présenter le bébé qu’elle m’a surpris avec mon compagnon
dans une position délicate. Elle est donc rentrée et nous a surpris. Elle a commencé à crier
et à nous injurier. Les voisins ont été interpellés par les cris et sont venus voir ce qu’il se passait.
Elle a appelé mon oncle et mon cousin pour expliquer ce qui venait de se passer et ils m’ont menacé
en me disant que s’ils m’attrapaient, ils allaient me tuer. J’avais déjà été battu et enfermé pendant
3 jours lorsque j’avais 12 ans, ma mère avait même dû intervenir donc je savais que j’allais revivre
ça et probablement pire. Chez nous, avoir un enfant homosexuel, c’est un déshonneur pour la famille.
Ce n’est pas tellement la violence physique qui me faisait peur, c’est surtout le rejet de ma famille,
la manière dont on me traiterait, etc.
Quand cette histoire est arrivée, je suis resté deux semaines encore à Abidjan puis je suis allé travailler.
Au travail, je réfléchissais beaucoup parce que je ne me voyais plus rester en Côte d’Ivoire avec tout
ce qui s’était passé. J’avais envie de vivre ma vie, de m’exprimer comme je le voulais. Je n’étais pas
prêt à affronter le monde entier pour pouvoir vivre mon homosexualité. J’ai donc parlé à un ami
homosexuel qui travaillait avec moi afin d’avoir tous les papiers dont j’avais besoin, il m’a conseillé
d’aller en Europe.
J’ai pris l’avion puisque j’avais un passeport et des visas grâce à mon travail. Je suis arrivé en France
en me disant que je pourrais trouver du travail et m’en sortir parce que je suis quelqu’un de fort débrouillard.
Je ne connaissais pas du tout le système de protection internationale et de demande d’asile.
Il m’a donné le contact d’une connaissance en France qui pourrait m’héberger en contrepartie
d’une aide financière et ménagère.
Lorsque mon visa fut prêt, j’ai pris l’avion et je suis arrivé à Paris, j’ai appelé mon contact qui était
censé venir me chercher. Il m’a demandé si j’avais son argent mais on ne m’avait déjà parlé de ça donc
il a raccroché en me laissant là. Mon idée était d’essayer de le trouver par moi-même parce que
je savais dans quel quartier il habitait. Je suis donc allé pour tenter de trouver où il vivait mais
je n’ai pas réussi surtout qu’il avait bloqué mon numéro. J’étais seul avec mon sac à dos, dans la rue,
sans rien du tout. C’était compliqué parce que j’ai dû dormir dans la rue pendant quelques jours avant
de décider, suite au conseil d’un ami, d’aller à Bruxelles pour me rendre à Fédasil. J’ai pris
un covoiturage avec l’argent qu’il me restait pour y aller. Mon ami m’a hébergé sur Bruxelles
deux jours, je lui ai raconté ce qui m’avait conduit à venir en Europe parce qu’il était étonné
de me voir en Europe puisque j’avais une très bonne vie en Côte d’Ivoire. Ensuite, je me suis rendu
à Fédasil et ma procédure a commencé.
Aujourd’hui, cela fait un an et demi que je suis en Belgique. Je parle de temps en temps à ma femme
restée au pays pour pouvoir garder contact avec mes enfants et ma petite soeur qui est moins
homophobe que le reste de ma famille.
Ma procédure est très longue puisque j’ai eu d’abord une procédure Dublin à cause de mon passage
en France qui a d’ailleurs été cassée grâce à mon avocate. Maintenant, je suis ma formation, je bouge
beaucoup donc ça se passe bien mais je suis toujours en attente.
Je pense que nous pouvons vivre dans les centres avec les personnes qui ne font pas parties
de la communauté LGBT. Je pense que ce type de centre peut être bénéfique pour les personnes
transgenres parce qu’iels sont plus exposé.e.s. Il faut trouver un juste milieu pour vivre avec les autres.
Je n’aime pas m’afficher, pas parce que j’ai honte de qui je suis mais j’ai eu du mal à m’ouvrir. Je pars
du principe que si on n’offense personne en s’affichant, les autres ne feront rien et ne diront rien.
Ils savent au centre où je suis que je suis homosexuel mais ça va, je n’ai pas de problème. Par contre,
je trouve que le vrai problème, c’est la direction et les personnes qui travaillent dans le centre qui
peuvent parfois être homophobes. Par exemple, lorsque j’ai débarqué dans mon premier centre,
la réceptionniste qui nous accueillait a dit à voix haute en me regardant « ah voilà,elle vient d’arriver
». Je n’ai rien dit sur le coup mais ça m’a bloqué. Je suppose qu’elle a dit ça parce qu’on lui a dit
qu’une personne LGBT devait arriver. On devrait former les professionnels aux thématiques LGBT
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qui seraient capables d’intervenir de manière adéquate face aux discriminations qu’on subit parce
que si c’était le cas, je pense que les autres résidents des centres n’oseraient pas autant se montrer
homophobes. La directrice du centre dans lequel je suis maintenant intervient vite et on a plus
de soucis.
Les actes homosexuels n’y sont pas illégaux. Il n’y a pas dans le pays, une reconnaissance juridique
des couples homosexuels. Le gouvernement ne reconnaît pas le mariage homosexuel et il n’y a pas de loi
an-discriminaon protégeant les personnes LGBT. En Côte d’Ivoire la sgmasaon et le rejet des LGBT
dans les centres de santé est une réalité. Il faut signifier aussi que des journaux locaux, à travers des propos
homophobes, incitent à la haine envers les minorités sexuelles.
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Côte d’Ivoire
Je m’appelle Giles. J’ai 26 ans et je suis d’origine ivoirienne. Mon histoire débute depuis l’âge de 15
ans, précisément en 2010. C’était, en effet, à cet âge que j’avais rencontré Simon qui lui était âgé
de 4 ans de plus que moi. Il était en première année d’informatique, à mon école ITES II Plateaux.
Il venait nous aider à étudier nos cours d’électronique et informatique en tant que bénévole.
Et tout de suite, le courant est passé entre nous, nous passions de plus en plus de temps ensemble, mais
sans nous avouer notre attirance l’un envers l’autre, et ceci pendant 3 années successives
jusqu’à ce que lui soit parti de l’établissement parce qu’il avait obtenu son BTS et que moi, je sois en
classe de Terminale, nous étions en l’année scolaire 2012-2013.
C’est un jour de révision, juste avant le BAC, qu’il se décide à m’avouer ses sentiments pour moi,
ce qui était partagé et dès lors on commença, en secret, notre relation. Car Simon venait me rendre
visite chez moi à chaque fois qu’il avait l’occasion. Mais plus nous nous plaisions à ce jeu et plus
les gens du quartier et d’ailleurs était très méfiants à notre égard, souvent même nous refusant
l’entrée dans leur magasin de vêtements.
Puis vient le jour où des mots de menaces étaient laissés devant la porte de chez moi, me demandant
d’arrêter d’envoyer cet « efféminé d’homme » dans le quartier ainsi que de cesser toute relation
avec lui en plus d’un dessin d’un crâne de mort pour signature. Ces évènements agrandissent ma peur
d’abord pour ma vie, parce qu’en 2010 pendant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire,
deux homosexuels bien connus du quartier ont tout de suite été désignés par les habitants du quartier
aux forces rebelles. Ces derniers les ont frappés publiquement devant nos yeux en guise d’exemple
puis les ont embarqués et jusqu’au jour d’aujourd’hui, nous sommes restés sans nouvelles.
C’est d’ailleurs la vue de cet événement qui nous à pousser ma famille et moi, à quitter notre maison
pour Aboudé, le village de mon père situé à plus de 100 km d’Abidjan. Alors, je savais que certains
habitants du quartier, membre du régime Ouattara, pouvaient exécuter ses menaces à mon encontre.
Ensuite, ma deuxième peur était celle de la famille qui était déjà en plein deuil par la mort
de mon père en ce mois de mars 2013. Et donc, avec cette douleur de décès à encaisser, d’abord
pour moi et ensuite pour ma famille, si en plus mon orientation sexuelle leur avait été révélée,
ça aurait été de la folie, car l’homosexualité a toujours été considérée comme tabou et sujet de bien
des divisions dans plusieurs familles. Face à tout ça, je décide de stopper momentanément ma relation
avec Simon, le temps de calmer les anonymes expéditeurs de menaces et aussi le temps de se recueillir
en famille afin de mieux organiser les obsèques de mon père.
Après environ deux ans sans s’être vus, il n’arrivait plus à tenir la distance et se rend un jour
chez moi, exactement le dimanche 11 janvier 2015, sans prévenir. Déboussolé et surpris, je décide de
sortir me promener avec lui en prenant mon sac à dos avec tout mon matériel informatique
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et électronique ainsi que des bijoux que je devrais envoyer à ma tante Cindy le lendemain, l’une
des amies de ma mère. Ceci tout en prétextant, auprès de ma famille, aller travailler sur un projet avec
Simon. Nous nous promenons dans le quartier jusqu’à la nuit, vers 18 h, nous nous sommes assis sur
le banc public à l’entrée de notre cité, dans le parking, à discuter. Pendant un moment, nous pensions
être seuls et là, on s’est rapproché puis embrassé. C’est à ce moment, qu’un homme sorti de derrière
nous, s’est jeté sur nous avec force et nous a saisis en nous accusant de tous les maux. Nous disant
même que lui et ses gars nous avaient remarqués, Simon et moi depuis bien longtemps,
mais attendaient le bon moment pour agir.
Cet homme nous a saisi à la force de ses bras et il a tellement crié au scandale que d’abord deux autres
gars sont venus, probablement ses amis parce qu’ils n’ont pas cherché à comprendre et se sont tout
de suite rangés du côté du premier homme. Ils ont pris mon sac et nous ont frappés, marché dessus
et ils ont crié que des PÉDÉS sont par ici et les gens se sont empressés de venir nous entourer.
Dans l’émotion, Simon et moi prenons la fuite dans un hôtel du quartier voisin. Nous ne rentrerons
pas chez moi ce soir, car les évènements s’étant déroulés près de chez moi, il était déjà évident
de penser que la nouvelle ait été portée vers mes parents et donc je craignais que tout ce dont je n’avais
jamais souhaité arrive maintenant. Le lendemain ,je me rends à la Police pour porter plainte. Pour
le vol de tout mon matériel informatique, estimé à un peu plus de 1 million de francs CFA et ce, sans
expliquer au policier la raison qu’était mon homosexualité révélée car j’avais peur toujours à cause du
sort que réserve la loi ivoirienne aux gays.
Juste après j’ai appelé ma mère qui n’a évidemment pas décroché son téléphone après maintes
reprises. Aussi, j’ai appelé ma soeur et c’est elle qui ma annoncé ce à quoi je m’attendais. Maman et
toute la famille a été honnie par ma faute. Ma famille ne serait plus jamais respectée et avait décider
de ne plus m’avoir à leur côté. Selon eux si mon père vivait il serait l’homme le plus déshonoré
du monde par ma faute, je restais à me morfondre ne sachant plus où aller. C’est ainsi que Simon m’a
proposé de quitter le pays pour échapper à cette homophobie. Et que lui-même avait prévu
m’en parler avant, mais ne savait pas si j’étais vraiment prêt à tout abandonner au pays pour qu’on ait
une vie libre dans un pays ou les droits des LGBT sont respectées.
Craignant les représailles qui m’attendaient je pars vivre chez son ami et ex Landry qui accepte
de me cacher un moment chez ses parents et qui habitaient le quartier ABOBO.Vivant toujours caché
craignant de me faire reconnaître par quelqu’un de mon ancien quartier ainsi que rester sans argent
était difficile. C’est Simon qui m’apportait un peu d’argent pour vivre de temps en temps et
me demandait d’être patient pour le jour du départ.
Certaines fois j’aurais voulu rentrer en force chez moi, dans ma famille, mais la nouvelle
de l’arrestation de deux homos attrapés pendant leurs ébats, faisait la une des journaux en l’an 2016,
un an ayant quitté ma maison et ayant perdu tout contact avec mon ancienne vie.
Le 4 mai 2017, Simon et moi quittons Abidjan en car et arrivons au Burkina Faso le lendemain la nuit
et restons bloqués à la frontière par les autorités Burkinabè qui en avaient après nous les ivoiriens parce
qu’ils nous croient riches. Ensuite nous continuons la route et autant avons-nous eu des contrôles de
police, nous avons été forcés de payer et arrivé à la frontière du Niger, Simon me mit au courant qu’il
ne lui restait plus rien en poche. C’est ainsi que nous sommes allés voir le chauffeur et il a accepté
de nous cacher dans la soute à bagage tout au bas du car durant les jours qui ont suivi jusqu’à ce qu’on
arrive à Niamey, nous sommes restés couchés sans air pour respirer et à ressentir tous les dégâts sur
la route et dans une chaleur des plus extrêmes.
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Le car ne s’arrêtait que pour des contrôles donc même les passagers en cabine ne pouvaient pas sortir
se reposer un moment. Je me souviens que Simon et moi urinions dans nos gourdes censées garder
notre eau et nous faisons tout ou presque pour ne pas faire de bruit, car le chauffeur nous avait prévenu
que si Simon et moi nous faisons attraper, lui niera nous connaître et nous serons laissés pour compte.
Après 3 jours de route depuis notre entrée au Burkina Faso nous arrivons à Niamey au Niger encore
dans la nuit. Pour ensuite prendre le Car pour Agadez ou pendant cette route nous avons aussi eu des
contrôles de police, mais sans problèmes jusqu’à ce que nous arrivons à un certain poste de contrôle
ou cette fois les policiers nous ont tous fait descendre (tous les passagers du car) et leur chef
nous a tous rassemblés en nous expliquant qu’il savait que nous allons à Agadez pour préparer notre
Traversée pour l’Europe et qu’il allait nous enfermés tous dans ses prisons sans nous fouillés parce
qu’il fait ce travail depuis longtemps et qu’il sait que nous avons plus d’argent sur nous.
Il mettrait un téléphone à notre disposition pour qu’on appelle nos familles afin qu’elles envoient
de l’argent pour nous libérer. Et tout de suite avec les armes en mains les policiers nous conduisent et
entassent tous dans les prisons du post de contrôles. Nous étions environs 30 personnes en plus
du chauffeur dans deux cellules de prison. C’est à ce moment que Simon et tous ceux qui avaient
quelqu’un a appelé l’ont fait et quelques heures plus tard ceux dont la famille avait réagi ont été tout
de suite libérés. Le chauffeur a lui aussi payé une certaine somme aux policier.
Dès ce moment le groupe qui avait été libéré continuer la route était d’environ de 15 personnes.
Les autres sont restés enfermés et nous continuons la route pour enfin arriver à Agadez. Le contact de
Simon nous attendait à moto et nous a conduits à une maison où étaient logés déjà depuis plusieurs
jours d’autres voyageurs. Cette maison a été notre premier camp de vie. Chaque matin le chef du
camp appelé Malien nous envoyait de la viande, du riz, mais pour tous les autres ingrédients de cuisine
c’était à chacun de nous de donner de l’argent pour la cotisation commune. Chose que Simon m’a dit
que ce n’était pas prévu. Malien nous apportait aussi de l’eau, mais nous les voyageurs étions
formellement interdit de sortir sous peine de nous faire abattre par les autorités nigériane qui étaient
au courant de la vague de migrant qui transitent par leur ville.
Nous restons dans ce camp à Agadez pendant 1 semaine et ensuite nous sommes transférés dans
une autre maison à quelques kilomètres de là, mais toujours dans la même ville Agadez.
Le lendemain matin de notre arrivée à la deuxième maison nous avons encore assisté au fil des heures
à la venue de plusieurs autres migrants. Nous devenons nombreux, il y avait vraiment beaucoup
de personnes dans cette maison encore plus que dans la première. Il n’y avait plus de place à l’intérieur
des chambres donc les femmes et bébés ont occupé les chambres et tous les hommes dormaient dans
la cour, dehors, à même le sable et sans couverture, sans nourriture ni eau pour se laver. Car en effet
Malien nous avait tous prévenu que lorsque nous quitterons cette deuxième maison nous irons
affronter le désert et que nos réserves d’eau devraient être bien conservées jusqu’à ce qu’on arrive
à la première ville libyenne.
Après 2 ou 3 jours passés dans cette deuxième maison, un matin 5 voitures pick-up (3 places à l’avant
et une grande benne à l’arrière) avec 2 chauffeurs par voiture ainsi qu’une grande barrique d’eau
par voiture, sont arrivés et là nous avons été tous embarquer d’abord nos bagages ensuite nos gourdes
remplies d’eaux puis nous montons chacun choisit sa voiture, mais il n’y avait pas de place pour tous
à l’arrière de chaque voiture vu le grand nombre de voyageur que nous étions. Alors les chauffeurs
tous armés sortaient nous menacer de tous nous entasser pour qu’on puisse prendre la route au plus
vite possible. Nous roulons ce même jour jusqu’à la nuit traversant plusieurs villages et routes avec et
sans goudron.
Tard dans la nuit nous arrivons à un endroit avec peu de broussaille et des arbres au milieu de tout
ce terrain rempli de terre dur et rocailleux. Cet endroit était à proximité d’un village parce qu’on
apercevait la lumière provenant de ce dernier. Les chauffeurs nous laissaient là et partirent. Nous nous
sommes installés puis avons bu un peu d’eau et nous nous sommes endormis. Encore plus tard dans
cette même nuit un groupe de 4 ou 5 personnes armés sont venu à moto, nous ont réveillés
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et nous mettaient par terre. Ils nous ont tous fouillés et dépouillés de tout l’argent qu’ils trouvaient
sur chacun d’entre nous. Une fille s’est faite violée par leur chef pendant que les autres nous prenaient
notre peu d’argent restant. Tous regroupés on pouvait entendre les cris de la jeune fille pleurant
et demandant pardon (SABARI) en langue malinké à son agresseur. Quand les agresseurs eurent fini,
ils partirent avec leurs motos.
J’ai été tabassé avec la crosse d’une arme à feu à mon dos et Simon a failli être tué ce jour pour avoir
essayé de me défendre. Il y a eu des blessés, mais aucun mort. Après leur départ nous sommes restés
tous éveillés jusqu’au lendemain avec toute nos gourdes vidées. Ce même lendemain les chauffeurs
sont arrivés avec les mêmes voitures et grandes barriques pleine d’eaux à bord. Et cette fois
les chauffeurs nous ont mis en un long rang et nous ont triés en 5 groupes. Simon et moi n’étions
pas ensemble dans le même groupe. J’ai essayé de le rejoindre, mais j’ai encore été frappé par un
des chauffeurs. Ce jour, là toutes familles ou personnes venues accompagnés ont été séparés.
Il y avait des cris et des pleurs parce que chauffeurs continuaient de battre tous ceux qui ne voulaient
pas rester sage dans les groupes qu’ils avaient désignés. 4 groupes étaient essentiellement des groupes
d’hommes et le dernier était celui de femmes, mais les femmes et leurs bébés étaient assez
nombreuses donc celles n’ayant pas eu de place sont venu compléter les autres voitures.
Depuis cet instant Simon et moi n’avions plus voyagé dans le même véhicule. Nous prenions le départ
en traversant encore des villages et des paysages sans vie et cela pendant des nuits et des jours.
A un moment quand nous avions atteint les sables du désert, la police nigériane était à nos trousses.
Alors les chauffeurs se sont séparés et ont commencé à vraiment accélérer. Tout en roulant à vive
allure, la nuit noire, toutes les voitures se sont rejoint et roulaient cette fois côte à côte et non en file
comme auparavant, mais avec les feux éteints et on pouvait encore apercevoir la lumière des voitures
de police derrière nous. Mais nous roulions dans la peur, car sans feux et à vive allure,
dans des positions plus ou moins assises à cause du grand nombre de personnes que nous étions
à l’arrière de la voiture. N’ayant plus de place à bord, certains sont restés debout tout le temps de
la traversée du désert. Nous conduisions encore nuits et jours sans nous arrêter, sans boire ni manger
et étions tous très fatigués au point que ceux qui étaient debout voulaient s’assoir, mais il n’y avait
aucune place.
Un soir, deux voitures de police étaient à nos trousses.Alors les chauffeurs des 5 voitures nous ont fait
tous descendre en plein milieu du désert juste au bas d’une dune de sable afin qu’on reste cachés.
Ils nous ont pris toutes nos pièces d’identité puis sont partis en nous abandonnant, seuls dans
cet endroit très froid et en pleine nuit. Mais ce n’était rien comparé à ce qui nous attendait.
Le lendemain matin dès que le soleil s’est levé et la température atteignait déjà ce dont nous avons
chez nous à Abidjan aux environs de midi, et ça c’est chaud. Mais plus les heures passaient et plus
la température grimpait encore et encore.
Il faisait tellement chaud que certaines personnes se sont subitement mises à trembler sans que
quelqu’un ne puisse faire quoi que ce soit pour les aider. Nous n’avions rien pour nous couvrir
la tête, car les chauffeurs sont parti avec nos bagages et gourdes d’eaux la veille.Tout le monde avait
extrêmement soif, je n’avais même plus de salive en bouche. Nos bouches se sont asséchées.
Mes urines étaient tout rouges, les bébés et leurs mères pleuraient. Sans rien, certaines mères
retiraient leurs vêtements pour couvrir leur bébé et certains hommes, à bout de souffle, demandaient
de l’eau, mais en vain. Simon m’a regardé en pleurs. Je me suis mis moi aussi à pleurer.
Nous avons tous pleuré et assister à la mort de deux jeunes hommes sans être capable de faire quoi que
ce soit. Nous avions l’impression que le temps s’écoulait très lentement. La peau de Simon était
devenue toute sèche. La nuit tombée, le froid s’est installé. Les cris et pleurs ont cessé, mais la soif,
la fatigue et la faim étaient toujours présentes. Je ne pouvais plus marcher sur mes pieds à cause
du vertige donc je me déplaçais à 4 pattes pour aller demander de l’eau et des médicaments
aux autres, mais en vain. Je revins auprès de Simon qui lui ne pouvait même plus bouger. Il me disait
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que si le lendemain il était mort comme les autres, que je devrais continuer. Sinon la police libyenne
allait s’abattre sur moi. Dès le lendemain, ce sont des pleurs qui nous ont réveillés à cause de la chaleur
infernale du matin et parce qu’il y avait encore un mort. Nous sommes restés sans voix parce
que nous n’avions même plus de force pour nous tenir debout et d’autres ont continué à pleurer.
Au milieu de la journée, ceux qui avaient encore des forces se sont mis à marcher pour trouver
un village ou avoir de l’eau. Mais plus tard, deux chauffeurs sont venus et ont embarqué les passagers
qui étaient présents. Mon chauffeur était venu et pas celui de Simon. Je refusais de partir et de laisser
Simon derrière moi, mais avec son arme le chauffeur nous a séparés et m’a embarqué avec le reste
du groupe, sauf deux qui étaient morts la veille et un autre qui avait suivi le groupe chercher de l’eau.
Le chauffeur n’en avait rien à faire. Nous avons continué la route en file de deux voitures.
Nous roulions et roulions encore jusqu’à nous arrêter une nuit pour nous reposer. Là, une autre
voiture nous a rejoint mais ce n’était pas celle de Simon. Nous nous reposions à cet endroit jusqu’au
lendemain et embarquions pour continuer la route. Nous roulions toujours, mais on avait tellement
soif que personne ne pouvait parler. Je me demandais toujours où était Simon et les chauffeurs
ne pouvait m’aider parce qu’ils ne parlaient pas français, mais arabe. C’est ainsi que notre traversée
continua avec les 3 voitures de jour comme de nuit. Plusieurs fois les pneus des voitures restaient
enfoncés dans le sable alors toutes les autres voitures s’arrêtaient. On était forcés et battus pour aller
soulever, pousser cette voiture.
On fait escale dans plusieurs villes puis on arrive à Bani Walid en Libye. Dans une première maison,
nous avions été tous enfermés dans une chambre d’à peine quelques mètres carrés toute la nuit.
On entendait des tirs à l’arme lourde ce jour-là. Le lendemain matin un libyen est passé,
il nous a triés et nous a embarqué dans sa voiture. Nous étions six personnes visiblement choisies
à cause de notre corpulence. Cet homme portait une arme automatique. Il nous a envoyé
sur un chantier de construction et nous a forcés à ramasser les briques, les poutres de bois massif ainsi
qu’à assembler le sable et laver ses moutons.Tout ceci sous la contrainte de l’arme à feu et pendant
toute la journée. La nuit nous avons tous été conduits dans une seconde maison ou nous sommes restés
un peu plus d’un mois.
Ensuite, nous avons quitté Bani Walid dans un camion de livraison de sable pour une autre ville.
D’abord nous passons une semaine dans une première maison. Ensuite, dans une deuxième maison,
cette fois juste au bord de l’eau, où nous passons encore une semaine avant d’embarquer
dans un bateau gonflable. Ce jour-là, quatre bateaux gonflables ont été lancés à la mer vers une heure
du matin. A bord de notre bateau, nous étions environ cent soixante personnes à bord assises les unes
sur les autres, sans gilet de sauvetage. Nous ne bougions pas parce que le bateau n’était pas stable
et se dandinait à la moindre occasion. Juste après quelques minutes à bord du bateau, on s’est rendu
compte que l’eau s’infiltrait. Nous avons voulu nous retourner vers les côtes pour le dire aux libyens
mais dès qu’ils nous ont vus, ils ont commencé à nous tirer dessus. Nous nous sommes retournés.
Dans la panique un homme assit sur le bord du bateau est tombé à l’eau. Ne sachant pas nager,
il se noya. Celui qui pilotait le bateau ne voulait pas s’arrêter car les Libyens continuaient de nous tirer
dessus. Nous avons été recueillis entre 12 h et 13 h par le bateau de sauvetage « AQUARIUS ».
Ce bateau mit 3 jours en mer avant qu’on arrive en Italie. Nous sommes au mois de juillet 2017.
Arrivé en Belgique en octobre 2018, j’ai d’abord résidé environ 4 mois chez Frédérique, un ami
à Simon qu’il avait rencontré quelques années auparavant au Maroc. Un homme bien qui m’avait
accueilli avec bonté. Il continue même d’accueillir plusieurs migrants dormant dans les rues
de Bruxelles. La vie chez lui se passait bien jusqu’au jour où il commença à me faire des avances.
Ne voulant pas le frustrer je lui ai gentiment fait comprendre que j’attendais Simon et que ma vie
ne serait rien s’il n’avait pas été là pour moi.
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Frédérique se montrant de plus en plus insistant j’ai donc demandé à aller vivre dans un centre pour
demandeurs d’asile. Et c’est ainsi que j’arrive au centre Bovigny situé dans les Ardennes en février
2019. J’étais loin de me douter de la vie qui m’attendait. Nous dormions à 6 personnes
dans une chambre dans un état déplorable. Les murs, les sols, carrelages étaient sales. Et le pire,
ce sont les toilettes qui, bien qu’elles étaient nettoyées chaque matin, se refaisaient salir car il n’y avait
aucune surveillance de la part des responsables. En effet certains résidents parfois malades y allaient
vomir et faire leur besoins sans même nettoyer par la suite.
Aussi il y’avait un manque total de liberté de mouvement, principalement dus à la localisation
géographique du centre, situé en plein milieu de nul part et dont les deux villes les plus proches,
Gouvy etVielsalm se trouvaient à plusiuers kilomètres. Il nous était presque impossible de sortir.
Nous ne disposions que de quelques navettes par jour pour un très grand nombre de personnes.
Du coup ceux qui n’obtenaient pas de place dans la navette faisaient le chemin à pied jusqu’à la gare
de Gouvy, située à plus de 8 km, ou celle de Vielsalm. Je l’ai fait plusieurs fois, tant à l’aller
qu’au retour, le même jour. Cela faisait plus de 4 heures de marche ! Vivant avec plusieurs autres
demandeurs d’asiles venant de pays et cultures différentes, les amitiés étaient rares. J’ai assisté
à ces mêmes regards moqueurs, accusateurs et homophobes dont j’avais été la cible dans mon pays car
dans ce centre, il y’avait un groupe de personnes originaires d’ethnies arabes qui ne cachaient pas
du tout leur homophobie.
Face à cela, j’étais méfiant envers tout le monde, il m’était difficile de tisser des amitiés.
Pour les résidents LGBT, il est difficile de ne pas nous remarquer car même lorsqu’il fallait se rendre
à des réunions dans des associations, le centre désignait une navette pour nous conduire à la gare.
Sauf que cela faisait de nous une des cibles : les autres résidents homophobes étaient aussi au courant
des heures et dates des navettes et parfois venaient s’arrêter juste autour pour regarder les visages
de chacun.
Il m’était difficile d’être en intimité lors de mes appels avec Frédérique, car il n’y avait qu’une seule
sale wifi et donc tout le monde pouvait nous entendre. Cela n’a pas changé en allant dans un autre
centre. Toujours aucune intimité, car toujours une seule salle wifi commune. Et aucune sécurité
car certaines personnes mal intentionnées profitent des résidents du centre.
Un jour, rentrant de ma formation, j’ai été abordé par un monsieur qui m’a proposé de me reconduire
au centre. Sauf qu’il m’a tout de suite montré des vidéos porno gay alors que je ne lui avait pas
demandé, et a commencé aussi à me toucher le genoux. Chose que je n’ai pas apprécié. J’ai été donc
porter plainte à la Police et j’ai tout de suite avertit le centre. Le problème est que ce monsieur était
très bien connu de tous, la police y compris. Les policiers disaient avoir eu plusieurs plaintes
le concernant pour des faits similaires. Mais il n’y’a jamais eu d’arrestation par manque de preuves.
Donc nous devions vivre au centre sachant qu’il y avait dehors, tout près de nous, des personnes
perverses avec des idées malsaines.
Jusqu’à présent, il n’y a qu’au sein des associations comme la Maison Arc en Ciel de Verviers où nous,
les demandeurs d’asile LGBT, pouvions librement nous affirmer.Tout mon souhait est que cet esprit
arrive dans les centres d’accueils car beaucoup de résidents et même parfois le personnel administratif
doivent être sensibilisés.
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En guise de préambule à mon texte et suite à la lecture des témoignages évoqués par les demandeurs
de Protection Internationale bénéficiaires auprès de la MAC Verviers, je ne peux que faire preuve
d’humilité et de respect devant ces récits de vie tout imprégnés de souffrances certes mais aussi
et surtout de dignité et de résilience par rapport à ces réalités rencontrées au cours d’une vie.
J’ai envie de dire, ces réalités marquées dans la chair mais aussi et de façon plus profonde et plus
durable dans la mémoire.
Pour ma part, c’est mon expérience professionnelle de 22 ans dans un Centre d’Accueil pour
demandeurs d’asile (expression utilisée lors de mon engagement) qui m’offre cette légitimité qui est
celle d’un humain en ayant rencontré bien d’autres, des moments de vie partagés avec ceux cherchant
une vie si non meilleure, du moins empreinte de davantage de liberté et de sécurité.
S’il est incontestable que le droit d’asile est globalement un droit accepté ultra-majoritairement
et que notre pays a mis en place un système d’accueil des demandeurs de Protection Internationale
dont la qualité apparaît largement d’un bon niveau, mon propos porte surtout sur une partie de ceuxci,
m’interrogeant volontairement sur l’accueil des personnes membres de la communauté LGBT
au sein des centres où résident ces personnes durant le traitement de leur demande par l’Office
des Etrangers, le CGRA et éventuellement le Conseil du Contentieux des Etrangers.
Il m’est apparu que si pour certaines de ces personnes l’intégration dans les structures d’accueil
s’effectue la plupart du temps sans difficultés majeures, pour d’autres peut-être rendues plus fragiles
par les multiples expériences traumatisantes rencontrées dans leur parcours, tant dans le pays
d’origine que sur le trajet de l’exil (vexations, insultes, humiliations, abus, mise au ban de la société,
violences verbales ou physiques voire menaces de mort ou d’incarcération à vie…) l’intégration
est plus compliquée voire source de stress et de peurs.
Il m’est d’avis que pour les DPI arrivant dans notre pays reconnu comme « friendly », le soulagement
n’a d’égal que la déception d’arriver en centre d’accueil, le désenchantement est en effet énorme.
La promiscuité vécue dans ces structures souvent occupées à 100% de leur capacité impose
des conditions de vie où l’espace personnel privé , intime se voit réduit au minimum voire inexistant.
Le séjour dans ces centres et j’en témoigne n’est souvent malheureusement que la continuation
des confrontations à des comportements de rejet imposant alors de continuer à faire semblant,
à taire ses motivations à quitter le pays d’origine, à surtout ne pas SE DIRE, SE RACONTER,
Belgique
Daniel, Bénévole à la macverviers
après 22 ans de travail au sein d’un centre ADA.
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ne rien laisser paraître qui pourrait mettre en péril sa sécurité. Il en est ainsi dans la chambre partagée
avec d’autres personnes, dans la communauté formée par les personnes accueillies parfois membres
de la même communauté d’origine, de la même religion… Ceci provoque souvent un sentiment
d’insécurité dû au groupe et à la pression exercée par un majorité peu encline à reconnaître comme
possible la liberté d’aimer autrement que celle imposée par telle société, telle culture, telle religion,
telle famille.
Quant au rapport avec l’équipe sociale, j’ai pu constater également beaucoup de réserve à se livrer
tant la méfiance à l’égard des travailleurs sociaux est bien présente, par crainte d’un malencontreux
et involontaire outing forcé mais aussi par le doute qui s’est installé à l’égard de personnes qui peu ou
prou sont vécues comme représentantes de l’autorité, celle la même qui a parfois conduit à l’exil.
Personnellement je puis attester de plusieurs personnes ayant tu leur appartenance à la communauté
LGBT durant de nombreux mois, le temps nécessaire à l’installation d’un sentiment de confiance
et d’assurance du respect intégral de la confidence. Je dois aussi reconnaître que tout être humain
possède ses propres convictions, valeurs et croyances. C’est là qu’intervient la nécessité de la mise
en place d’informations voire de formations des équipes socio-éducatives à grande échelle permettant
une attention et une bienveillance absolument indispensables à tout travailleur social.
Je pense qu’il est en effet plus que nécessaire de mettre en place ces types de rencontres afin aussi
d’informer du travail réalisé au sein des MAC et ce pour éviter de laisser penser que nous ne sommes
qu’un lieu de « délassement », un espace récréatif… Depuis mon engagement volontaire à la MAC
Verviers j’ai pu rencontrer une équipe dynamique, disponible et entièrement tournée vers le bien-être
des bénéficiaires mais surtout une équipe professionnelle maîtrisant la procédure d’asile et délivrant
des informations pertinentes à la préparation du DPI à l’interview au CGRA entre autres.
Je constate aussi et je le déplore même si c’est une chose que je n’ignorais pas le malaise de l’équipe
sociale des Centres d’accueil à faire circuler les infos concernant les droits en terme d’asile
des personnes de la communauté LGBT, j’ai moi-même été confronté à certaines résistances
des résidents ou des interprètes alors qu’il s’agissait d’aborder cette partie bien précise
de la Convention de Genève évoquant le point particulier de la question de la répression des minorités
LGBT.
Loin de jeter l’anathème, je dois constater que les travailleurs sociaux des centres d’accueil ont bien
peu de temps à consacrer à chaque résident et que dans ce contexte entraînant une gestion
de beaucoup de « dossiers » il est malaisé d’accorder des entretiens de longue durée, ce qui est loin
d’être le cas dans ma nouvelle vie de travailleur social. Quelle joie de pouvoir partager ces moments
de vie que j’évoquais au début de mon propos dans un cadre sécurisé et propice à pouvoir se raconter
librement .
A l’instant où j’écris ces lignes j’apprends qu’un centre d’accueil spécifique aux DPI membres
de la communauté LGBT ouvre ses portes dans la région bruxelloise et je ne peux que m’en réjouir
et être fier de l’action menée et du résultat obtenu. Je suis cependant convaincu qu’il s’agit là
d’une première étape qui mènera je l’espère à terme à l’ouverture des places ILA aux personnes issues
de pays dans lesquels la peine de mort est requise contre cette communauté souvent mise
au ban de la société.
Merci à la MAC Verviers – Ensemble Autrement de m’avoir laissé cet espace de parole dans ce livret
tellement riche en intensités qu’elles soient écrites ou illustrées.
Daniel
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Contacts
Arc-en-cielWallonie / BALIR
Rue Pierreuse, 25 – 4000 Liège
04 222 17 33
Maison arc-en-ciel deVerviers
Rue Xhavée, 21 – 4800Verviers
0495 13 00 26
https://ensembleautrement.be/ – contact@ensembleautrement.be
Maison Arc-en-ciel de liège
Rue hors-château, 7 – 4000 Liège
04 223 65 89
http://macliege.be/ – courrier@macliege.be
Maison Arc-en-ciel de Namur
Rue Eugène Hambursin, 13 – 5000 Namur
0471 52 44 21
http://www.cgln.be/ – info@macnamur.be
Maison Arc-en-ciel de Luxemburg
Avenue Bouvier, 87 – 6762Virton
063 22 35 55
http://www.lgbt-lux.be/ – courrier@lgbt-lux.be
Maison Arc-en-ciel de Charleroi
Rue de Marcinelle, 50 – 6000 Charleroi
071 63 49 41
http://maccharleroi.be/ – info@maccharleroi.be
Maison Arc-en-ciel de Mons
Boulevard Président Kennedy, 7 – 7000 Mons
065 78 31 52
http://www.mac-mons.be/ – info@mac-mons.be
Maison Arc-en-ciel du BrabantWallon
Rue des Deux Ponts, 15 – 1340 Ottignies – LLN
010 42 06 43
http://macbw.be/- info@macbw.be
CRVI asbl
Rue de Rome, 17 – 4800Verviers
087 35 35 20
https://crvi.be/ – perso@crvi.be
Espace 28
Rue de la Colline, 18 – 4800Verviers
087 34 10 53
http://espace28.be/ – info@espace28.be
CIEP
Rue Saint-Gilles, 29 – 4000 Liège
04 232 61 61
https://mocliege.be/activites/ciep-verviers/ – info@mocliege.org
Rainbow House
Rue du Marché au Charbon Kolenmarkt, 42 – 1000 Bruxelles
02 503 59 90
http://rainbowhouse.be/fr/
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Remerciements
Nous tenons à remercier nos membres qui ont acceptés de partager une partie de leur histoire de vie,
tout en sachant que la réminiscence des histoires du passé relève d’un don de soi complexe et riche
en émotions.
Merci à l’équipe de la Maison Arc-en-ciel pour leur investissement dans la réalisation de ce livret.
Merci à Madior pour le don de ses oeuvres qui ont permis d’illustrer ce livret.
Merci à Melissa et à Sabrina pour la mise en forme de ce projet de livre.
Merci au Département action sociale de la Province de Liège qui soutien l’édition de ce livret.
Merci à chaque personne qui prendra le temps de lire le fruit de ce travail et qui le partagera
autour d’iel.le.s.
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MAC Verviers – Ensemble Autrement asbl
Rue Xhavée 21 – 4800 Verviers
(entrée via le parking de la piscine communale)
+32 499 63 85 73
dpi@ensembleautrement.be
www.ensembleautrement.be
Si vous souhaitez de plus amples informations, n’hésitez pas à prendre contact avec notre équipe :
Ce livret réalisé au cours de toute l’année 2021, vous présente plusieurs récits de vie de
Demandeur.euse.s de protection internationale qui introduise leur demande sur base des critères
de protections liés à la persécution homophobe, biphobe, queerphobe, transphobe, interphobe
véçues au pays.
Sur base du travail social que notre équipe mène avec ces personnes au quotidien, nous et iel.le.s
ont estimé.e.s que les parcours de vie des personnes LGBTQIA+ migrantes est encore fort peu
connu du grand public.
Nous espérons que ces quelques témoignages vous permettrons de prendre conscience des réalités
pour toutes ces personnes.
Bonne lecture.__
L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique SOCIÉTÉ ET CITOYENNETÉ REGARDS STATISTIQUES Le Baromètre social de N° 11 la Wallonie 2023 2024 COLOPHON Auteur : Thierry Bornand (IWEPS) Édition : Évelyne Istace (IWEPS) Éditeur responsable : Sébastien Brunet (Administrateur général, IWEPS) Dépôt légal : D/2024/10158/2 Création graphique : Deligraph http://deligraph.com Reproduction autorisée, sauf à des fins commerciales, moyennant mention de la source. IWEPS Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique Route deLouvain-La-Neuve,2 5001 BELGRADE – NAMUR Tel : 081 46 84 11 http://www.iweps.be info@iweps.be Regards statistiques n°11 3 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Remerciements Le Baromètre social de la Wallonie a une histoire de vingt ans, et ma participation à cette histoire a débuté à mi-parcours. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers Rébécca Cardelli, avec qui j’ai collaboré depuis les éditions 2012 et 2013, et avec qui j’ai également travaillé à la réalisation de l’enquête 2018. Je la remercie sincèrement pour sa relecture attentive de la première ébauche de ce rapport et pour ses conseils éclairés sur la présentation des résultats et les traitements à effectuer. L’édition 2023 de l’enquête n’aurait pas été possible sans le soutien précieux de l’équipe méthodologique de notre institut (Stéphanie La Rocca, Dominique Fasbender et Baptiste Feraud), qui ont réalisé le tirage de l’échantillon, qui m’ont aidé lors de la phase de collecte des données et au posttraitement des données. Je tiens également à exprimer ma gratitude envers Aurélie Hendricks pour son assistance précieuse dans la réalisation de la version papier du questionnaire. Un grand merci à mes collègues qui m’ont apporté leur aide dans la conceptualisation et la réalisation des questions du module sur la transition écologique : Isabelle Reginster, Christine Ruyters, Julien Charlier et Frédéric Claisse. Mes remerciements vont également à Aurélie Hendricks et Laurent Verly pour la réalisation du podcast, ainsi qu’à Aurélie pour son travail pour la communication et la diffusion de ce rapport ; un spécial remerciement à Evelyne Istace pour le travail d’édition de celui-ci. Ce travail a été réalisé sous la direction de Sébastien Brunet, Administrateur général de l’IWEPS, et Frédéric Vesentini, directeur scientifique de la direction « Données et Indicateurs » à l’IWEPS. Je tiens à les remercier chaleureusement pour leur soutien constant et leurs relectures avisées. 4 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Table des matières Résumé …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 5 1. Le baromètre social de la wallonie : l’attitude des citoyens et citoyennes wallons depuis 20 ans …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 7 2. Méthodologie de l’enquête 2023 ………………………………………………………………………………………………………………………….. 9 3. Le sentiment d’appartenance ………………………………………………………………………………………………………………………………. 10 3.1. Sentiments d’appartenance et fierté…………………………………………………………………………………………………………………….11 3.2. Sentiments d’appartenance et fierté par profils …………………………………………………………………………………………… 14 3.3. Évolution des sentiments d’appartenance et de fierté……………………………………………………………………………..18 4. La confiance dans les institutions ………………………………………………………………………………………………………………………… 21 4.1. État des lieux de la confiance institutionnelle et dans les relations sociales en 2023 ……………22 4.2. Évolution de la confiance institutionnelle et dans les relations sociales………………………………………..27 5. Attitudes envers le système politique………………………………………………………………………………………………………………..31 5.1. Évaluation du système démocratique et de son fonctionnement…………………………………………………….32 5.2. Intérêt, efficacité politique perçue et intention de vote……………………………………………………………………………35 5.3. Changements pour une meilleure prise de décision politique (gouvernance) ………………………… 38 6. Attitudes envers la transition écologique ……………………………………………………………………………………………………….. 43 6.1. Enjeux perçus de la transition écologique ……………………………………………………………………………………………………….43 6.2. Enjeux perçus par profils …………………………………………………………………………………………………………………………………………….44 6.3. Conséquences de la transition écologique……………………………………………………………………………………………………..52 6.4. Conséquences de la transition par profils…………………………………………………………………………………………………………54 7. Perception du contexte socio-économique ………………………………………………………………………………………………….. 62 7.1. Perception du contexte socio-économique belge et wallon………………………………………………………………63 7.2. Perception des inégalités socio-économiques et positionnement personnel ………………………….64 7.3. Impact des crises sur la situation socio-économique personnelle…………………………………………………..69 7.4. Satisfaction de vie……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………74 8. Les relations sociales ………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 76 8.1. État des lieux des relations sociales en 2023………………………………………………………………………………………………….77 8.2. Les relations sociales par profils de la population………………………………………………………………………………………80 8.3. Évolution des relations sociales depuis 2007………………………………………………………………………………………………..88 9. Conclusion …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 91 Bibliographie ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 94 Annexe A : Déroulement de l’enquête de terrain et post-traitement ………………………………………………………………95 A.1. Déroulement de l’enquête de terrain …………………………………………………………………………………………………………………96 A.2. Post-traitement ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..97 Annexe B : Profils utilisés pour la comparaison au sein de la population ………………………………………………….. 102 Annexe C : Questionnaire de l’enquête ………………………………………………………………………………………………………………………. 104 Regards statistiques n°11 5 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Résumé Le Baromètre social de la Wallonie (BSW) est une enquête réalisée par l’IWEPS auprès d’un échantillon représentatif de la population wallonne de 18 ans et plus. Cette enquête est réalisée depuis 2003 à intervalle régulier, soit tous les quatre ou cinq ans environ. Elle interroge les citoyens et citoyennes sur de nombreuses thématiques telles que le sentiment d’appartenance (à la Wallonie, à la Belgique, à l’Europe…), la confiance dans les institutions, l’attitude vis-à-vis du système politique, l’attitude vis-à-vis de la transition écologique, la perception du contexte socio-économique ou encore les relations sociales. Les résultats de l’enquête 2023, basée sur un échantillon de 1 867 personnes vivant en Wallonie et représentatif de la population de 18 ans et plus sont présentés dans ce rapport. Les personnes ont été interrogées entre le 2 mars et le 2 juin 2023. En plus d’établir le constat pour l’année 2023, le rapport met en lumière l’évolution des attitudes depuis 2003 dans les différentes thématiques lorsque les données sont disponibles. Les analyses effectuées permettent de dresser les constats suivants. Au niveau du sentiment d’appartenance, on observe que l’identité belge est toujours le premier sentiment d’appartenance en Wallonie avec 88,7 % de la population qui se sent belge. Le sentiment d’appartenance wallonne existe quant à lui bel et bien (avec 73,7 % de la population qui se sent wallonne), mais il est généralement ressenti en complément au sentiment belge. Plus les personnes se sentent belges et plus elles ont tendance à se sentir wallonnes, et vice versa. On peut caractériser l’identité wallonne comme une identité civique, où l’appartenance est définie par l’adhésion à une communauté politique ou à un territoire, plutôt que comme une identité ethnique basée sur l’appartenance à une communauté linguistique ou culturelle. Les sentiments d’appartenance belge, wallonne, européenne ou encore locale sont assez stables au cours des vingt dernières années que mesure le baromètre. En ce qui concerne la confiance dans les institutions, son évolution temporelle montre un véritable contraste selon le type d’institutions auxquelles on s’intéresse. Pour les institutions de l’État social (sécurité sociale, système de santé et éducation) et celles des fonctions régaliennes (justice, police), on observe une confiance relativement élevée (de l’ordre de 65 à 80 % de la population qui est confiante selon les institutions) et qui est stable au fil des dernières années. En revanche, concernant les institutions politiques (État belge, Parlement fédéral, Gouvernement wallon, Commission européenne…), on observe une confiance qui est historiquement faible en 2023 (de l’ordre de 30 à 40 % de la population qui est confiante selon les institutions) et qui a baissé de l’ordre de 30 points de pourcentage par rapport à 2018. En ce qui concerne les attitudes vis-à-vis du système politique, en corollaire à la baisse de confiance politique, on observe une baisse de satisfaction envers le fonctionnement de la démocratie belge ou wallonne de 2018 à 2023. Mais cette baisse de satisfaction ne s’accompagne pas d’une remise en question de la démocratie puisque neuf personnes sur dix pensent toujours que la démocratie est préférable à toute autre forme de système politique. Cette baisse de satisfaction ne s’accompagne pas non plus d’une baisse de l’agentivité des citoyens et citoyennes en matière de politique, c’està-dire de leur capacité à se mobiliser et à se sentir compétent en politique. Concernant la transition écologique, on observe une préoccupation importante de la population visà-vis de ces questions. Sur neuf enjeux sur lesquels les participants et participantes devaient se prononcer, tous apparaissent comme importants : les plus importants étant « Davantage informer la population sur les enjeux en cours », « Moins dépendre des pays extérieurs pour subvenir à nos besoins » et « Faire en sorte que l’économie belge ne soit pas plus impactée que celle de ses voisins européens. » En termes d’impacts, la transition écologique est davantage vue comme facteur 6 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 d’amélioration pour la qualité de vie ou pour la création de nouveaux emplois. En revanche, elle est perçue comme facteur de détérioration pour l’économie wallonne et pour le pouvoir d’achat. Concernant la perception du contexte socio-économique, une grande majorité de la population (sept à huit personnes sur dix) se dit insatisfaite de l’état de l’économie en Belgique ou en Wallonie. De plus, près de neuf personnes sur dix jugent que les inégalités sociales sont élevées ou que cellesci ont augmenté au cours des dix dernières années. En revanche, paradoxalement, quand il s’agit de leur situation personnelle, les participants et participantes ont plutôt tendance à se percevoir comme avantagés par rapport aux autres. Au niveau des relations sociales, peu de changements significatifs sont observés sur les quinze dernières années. Environ moins d’une personne sur dix déclare ne pas avoir d’amis et amies ni rendre visite à ceux-ci et celles-ci, avec une stabilité dans ces chiffres. Les facteurs réduisant cet isolement sont principalement liés au niveau socio-économique des individus. Chez les personnes ayant une vie sociale active, plus de deux personnes sur cinq rendent ou reçoivent des visites d’amis et amies au moins une fois par semaine. Les relations familiales montrent également un dynamisme important, agissant comme un soutien réel, notamment chez les parents isolés avec une fréquence de contact plus élevée. Cependant, une possible polarisation des relations sociales en 2023 est suggérée, avec une partie de la population bénéficiant d’une vie sociale plus dynamique et une autre connaissant une dynamique moindre. Regards statistiques n°11 7 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 1. Le Baromètre social de la Wallonie : l’attitude des citoyens et citoyennes wallons depuis 20 ans Le Baromètre social de la Wallonie (BSW) est une enquête réalisée par l’IWEPS auprès de la population wallonne et qui interroge ses citoyens et citoyennes sur leurs habitudes et attitudes en termes de relations sociales, de sentiment d’appartenance, de confiance dans les institutions, de perception des inégalités ou encore, question plus récente, sur la transition écologique. Cette enquête a évolué progressivement pour devenir un outil permettant des comparaisons temporelles sur des thèmes centraux, tout en offrant la flexibilité nécessaire pour adapter son contenu à l’actualité du moment. Parallèlement, elle est menée selon des critères de qualité élevés, notamment en ce qui concerne le type d’échantillonnage utilisé (échantillon probabiliste plutôt que par quotas) et le suivi rigoureux de la collecte des données par notre Institut afin de s’assurer de la qualité des résultats obtenus. Cette enquête s’inscrit dans une histoire qui remonte maintenant à 20 ans, marquée par plusieurs jalons significatifs. En 2003, bénéficiant du soutien du Gouvernement wallon et en partenariat avec le Centre d’Étude de l’Opinion de l’Université de Liège (CLEO), un précurseur dans les enquêtes sur l’identité et le sentiment d’appartenance, l’IWEPS lance la première édition de ce qui était alors appelé « Identités et capital social en Wallonie ». Cette étude a interrogé plus de 2 500 citoyens et citoyennes âgés de 18 ans par téléphone, explorant des thématiques liées à leur participation à la vie sociale, culturelle et politique de la région, ainsi que leur niveau de confiance envers les institutions, leurs valeurs et leur sentiment d’appartenance à la région. Les résultats de cette première enquête ont été publiés dans un ouvrage collectif intitulé « Capital social et dynamique régionale » (2006). Quatre ans après l’expérience de 2003, l’IWEPS et les chercheurs du CLEO de l’Université de Liège ont lancé une nouvelle enquête sur les identités et le capital social très similaire à la précédente, de manière à pouvoir évaluer l’évolution des différents indicateurs. Cette enquête est alors réalisée en face-à-face à partir d’un échantillon probabiliste de 1 236 citoyens et citoyennes wallons âgés de 18 ans et plus. En 2011, le Gouvernement wallon exprime son intérêt de se doter d’un instrument de mesure sur le long terme, qui permette d’observer les changements au sein de la population wallonne. L’IWEPS est aussi chargé d’évaluer le Plan Marshall 2.0 dans lequel figurent des objectifs en lien avec l’identité wallonne. Il est alors décidé d’utiliser les questions sur le sentiment d’appartenance de l’enquête pour évaluer les mesures du Plan Marshall 2.0. L’enquête est transformée en véritable baromètre dont l’objectif est de mesurer les attitudes de la population wallonne à intervalle régulier et deux collectes de données sont réalisées en 2012 et 2013 auprès d’un échantillon probabiliste d’environ 1 200 citoyens et citoyennes. Les enquêtes ont de nouveau lieu en face-à-face et les résultats de l’enquête sont à la fois communiqués lors de la conférence annuelle de l’IWEPS et dans un second ouvrage collectif (Cardelli et al., 2014). En 2016, une nouvelle enquête est réalisée avec toujours un certain nombre de modules répétés, mais l’objectif est cette fois-ci d’évaluer les discriminations liées au genre et à l’origine ethnique en Wallonie, en lien avec la déclaration de politique régionale du Gouvernement wallon d’alors et du décret visant à lutter contre certaines formes de discrimination. Cette vague fera l’objet de communiqués de presse et de publications sur le site de l’IWEPS. En 2018, une nouvelle enquête BSW est 8 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 réalisée en mettant cette fois un focus spécial sur la perception de la démocratie et des institutions wallonnes. Cette enquête est toujours réalisée en face-à-face auprès d’un échantillon probabiliste de plus de 1 200 citoyens et citoyennes wallons. Les résultats disponibles sur le site de l’IWEPS ont aussi fait l’objet de diffusion à la presse. En 2023, en raison de contraintes budgétaires, la réalisation en face-à-face de l’enquête auprès des citoyens et citoyennes n’est plus envisageable. Pour relever ce défi, l’IWEPS décide d’entreprendre une nouvelle collecte de données, capitalisant sur son expérience des enquêtes antérieures. Cette fois-ci, l’approche adoptée consiste en une auto administration de l’enquête, à savoir l’utilisation d’un questionnaire en ligne et d’un questionnaire papier envoyé au domicile des personnes interrogées. Le tirage de l’échantillon se fait toujours de manière probabiliste et l’IWEPS internalise toute la procédure de collecte et de traitement de données de manière à en réduire les coûts1 . L’objectif principal de cette enquête est de suivre l’évolution des principaux indicateurs et d’en tirer des enseignements sur l’évolution de la société wallonne sur près de vingt ans. Cette analyse est présentée dans le rapport actuel, qui intègre également l’analyse d’un nouveau module portant sur la transition écologique. Le rapport débute par l’exposé des aspects méthodologiques de la collecte de données pour l’enquête de 2023. Ensuite, il se consacre à présenter les principales thématiques du Baromètre social de la Wallonie, en examinant l’évolution des réponses aux mêmes questions au fil du temps et en interprétant les tendances observées. La structure du rapport suit autant de chapitres qu’il y a de thématiques abordées dans l’enquête, à savoir les relations sociales, le sentiment d’appartenance, la confiance dans les institutions, les attitudes envers le système politique, les attitudes envers la transition écologique et la perception du contexte socio-économique. 1 Il n’est fait alors appel à un prestataire externe plus que pour imprimer et envoyer les courriers de contact et le questionnaire papier. Regards statistiques n°11 9 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 2. Méthodologie de l’enquête 2023 Cette partie présente succinctement le mode de collecte des données pour l’enquête 2023. Le détail de la méthodologie peut être consulté dans l’annexe sur le déroulement de l’enquête et le posttraitement. L’enquête 2023 est une enquête auto-administrée, c’est-à-dire qu’elle a été complétée directement par les participants et participantes et sans l’intervention d’un enquêteur ou enquêtrice. Il s’agit d’une enquête réalisée sur la base d’un échantillon probabiliste de 8 000 adresses tirées à partir du Registre national de la population belge. L’ensemble du territoire wallon a été sélectionné pour le tirage de l’échantillon à l’exception des neuf communes de la Communauté germanophone. La population de référence du tirage de l’échantillon était les personnes de 18 ans et plus domiciliées en Wallonie (hormis les neuf communes germanophones). L’enquête a été complétée entre le 2 mars et le 2 juin 2023 via un questionnaire en ligne ou via un questionnaire papier. Au final, ce sont 1 867 personnes qui ont rempli un questionnaire valide2 , ce qui représente un taux de réponse net de 23,3 % (1 867/8 000). Ce taux de réponse est considéré comme satisfaisant pour ce mode de collecte de données. L’échantillon a ensuite été redressé, c’est-à-dire qu’un poids différent a été attribué à chaque individu afin de tenir compte du taux de réponse variable en fonction des caractéristiques de chaque individu. Les caractéristiques prises en compte étaient : le sexe, l’âge, la province, le degré d’urbanisation, le niveau d’éducation, le revenu et le type de ménage. À la suite de cette procédure, décrite plus longuement dans l’annexe méthodologique, les poids finaux des individus de l’échantillon étaient compris entre 0,5 et 2, ce qui indique une faible correction, et donc une bonne représentativité de l’échantillon par rapport à la population de référence. Les résultats de cette enquête sont systématiquement présentés avec des intervalles de confiance dans les graphiques et les tableaux de ce rapport. Ces intervalles de confiance sont essentiels pour comparer les résultats entre les différentes vagues de l’enquête, compte tenu de la variation de la taille de l’échantillon. Ils doivent être interprétés comme des plages dans lesquelles on est certain à 95 % que la proportion indiquée correspond à la valeur pour la population cible. Dans les graphiques, les intervalles de confiance sont représentés par un segment de couleur noire. En dehors de tests statistiques plus appropriés, une différence entre deux proportions peut être considérée comme significative si elle dépasse l’intervalle de confiance. Cet intervalle varie en fonction de la taille de la population de référence (qui varie à chaque vague de l’enquête et selon le sousensemble de la population considéré, par exemple, les 18-24 ans) et selon la proportion de réponses (atteignant son maximum lorsque la réponse est de 50 %). À titre illustratif, pour l’enquête de 2023 (n=1 867), la marge d’erreur maximale à un niveau de confiance de 95 % est de 2,27 %. Cette marge d’erreur maximale est atteinte lorsque la proportion de réponses à une question est de 50 % (p.ex. si 50 % des personnes se disent confiantes la marge d’erreur est alors de +/- 2,27 %). Cette marge d’erreur diminue lorsque la proportion se rapproche de 0 % ou de 100 %. 2 Les questionnaires complétés de manière trop partielle ou ne remplissant pas des critères de qualité (temps de réponse trop court) ont été supprimés. Voir l’annexe méthodologique pour les détails. 10 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 3. Le sentiment d’appartenance Le thème du sentiment d’appartenance constitue l’une des principales préoccupations du BSW depuis les premières vagues d’enquête. Cette thématique a déjà fait l’objet de nombreuses publications sur les données antérieures de l’enquête3. La question centrale, dans le cadre de cette enquête, porte sur le sentiment d’appartenance wallonne et son articulation avec d’autres sentiments d’appartenance tels que le sentiment d’appartenance belge, européenne ou encore locale (comme celui envers la commune de résidence). L’approche adoptée pour étudier le sentiment d’appartenance s’inscrit dans la perspective de la théorie de l’identité sociale de Tajfel (1978) et Tajfel & Turner (1979). Selon cette théorie, les identités sont des constructions sociales qui ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives : un individu peut se sentir à la fois wallon et belge, par exemple, ou seulement l’un des deux, voire aucun. Cependant, ces éventuelles oppositions ou complémentarités sont socialement construites et dépendent du contexte social. L’analyse du sentiment d’appartenance s’effectue ici à travers deux perspectives distinctes. La première concerne la fréquence du sentiment d’appartenance, c’est-à-dire dans quelle mesure une identité occupe une place importante dans la vie des citoyens et citoyennes. Est-elle centrale dans leur façon de se définir, ou au contraire secondaire ? La deuxième perspective concerne la valence émotionnelle de l’identité, à savoir si l’identité wallonne ou belge est perçue comme positive (source de fierté) ou négative (source de moindre fierté). Ainsi, chaque identité est examinée à travers deux questions clés : • À quelle fréquence vous arrive-t-il de vous sentir [wallon ou wallonne, belge…] ? • Lorsque vous vous sentez [wallon ou wallonne, belge…] en êtes-vous fiers ? Les analyses réalisées dans ce chapitre permettent d’évaluer la fréquence et la valence de chacune des identités en fonction de différents profils de la population, ainsi que leur évolution au fil des années. 3 Le lecteur peut se référer à quelques-unes des références citées dans la bibliographie, notamment celles de M Jacquemain et P. Italiano. Regards statistiques n°11 11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 3.1. SENTIMENTS D’APPARTENANCE ET FIERTÉ Graphique 3.1 : Sentiment d’appartenance (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes répondaient à la question suivante : « Vous arrive-t-il de vous sentir… » • européen ou européenne ; • belge ; • wallon ou wallonne ; • attaché à votre commune. Les résultats montrent que le premier sentiment d’appartenance est celui de la Belgique avec 42,3 % de la population qui se sent « tout le temps » belge et 88,4 % qui se sent belge au moins de temps en temps (cumule de « tout le temps », « souvent » et « de temps en temps »). Le deuxième sentiment d’appartenance est celui de la Wallonie avec 28,6 % de la population qui se sent « tout le 12 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 temps » wallonne et 73,7 % qui se sent wallonne au moins de temps en temps. Le troisième sentiment d’appartenance est celui du niveau local au même niveau que le sentiment européen si l’on prend la proportion des personnes se sentant « tout le temps » appartenir à ces identités (respectivement 18,8 % et 19,1 %). On notera cependant une différence entre ces deux identités lorsque l’on tient compte des modalités de fréquence plus faibles. Le sentiment d’appartenance au niveau local est plus important que pour le niveau européen lorsque l’on tient compte des modalités « souvent » et « de temps en temps ». Il faut noter aussi que le sentiment d’appartenance à la Wallonie ne s’exprime pas en opposition avec le sentiment d’appartenance à la Belgique. Italiano et Jacquemain (2014) ont montré en effet que dans le contexte de la Wallonie, ces identités sont complémentaires et se renforcent : plus on est fier d’être wallon, plus on est fier d’être belge. On constate donc que pour la Wallonie, et c’est probablement sa spécificité par rapport à d’autres régions (Billiet et al., 2021), le sentiment wallon n’est pas exclusif d’autres niveaux d’appartenance. Graphique 3.2 : Parmi les unités géographiques suivantes, à laquelle avez-vous le sentiment d’appartenir avant tout ? (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Le graphique ci-dessus montre la répartition des réponses lorsque les participants et participantes répondent à la question : « Parmi les unités géographiques suivantes, à laquelle avez-vous le sentiment d’appartenir avant tout ? ». Bien que cette formulation soit en contradiction avec ce qui a été dit concernant la non-exclusivité des identités, elle permet de révéler ce que les participants et participantes répondent lorsqu’ils ou elles sont dans un choix forcé. On retiendra alors que l’identification belge est la première retenue, sans grande surprise au vu des résultats présentés plus haut. Plus surprenant, par contre, c’est l’apparition en deuxième position de l’identité locale (la ville, la localité, le quartier où vous habitez…). Enfin, l’identification au « monde » (se sentir « citoyen et citoyenne du monde ») apparaît en troisième position devant l’identification à la Wallonie (10 %) et à l’Europe (8 %). Regards statistiques n°11 13 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Il est intéressant de voir qu’il n’y a pas de revendication forte vis-à-vis de l’identité wallonne comparativement à l’identité belge, locale ou mondiale. Cela va dans le sens de ce qui a été dit au préalable, à savoir que l’identité wallonne ne se construit pas en opposition à d’autres. Comme l’ont montré Jacquemain et Italiano (2014) dans leur analyse sur le contenu de l’identité wallonne, les personnes qui se sentent attachées à la Wallonie expriment en première position leur attachement à la qualité de vie (« une région où il y fait bon vivre », en deuxième position, leur attachement aux gens et en troisième position, leur attachement à la nature). Le fait que l’identité wallonne ne s’exprime pas en opposition avec une autre identité fait que les participants et participantes ne choisissent pas forcément celle-là dans une situation de choix forcé. Plus étonnant, par contre, c’est le pourcentage élevé de la population qui choisit « la ville, la localité, le quartier […] » comme référence identitaire. On peut y voir un attachement au lieu de vie indépendamment de son existence juridico-administrative. Graphique 3.3 : Fierté du sentiment d’appartenance (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS 14 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Les participants et participantes répondaient à la question suivante : Lorsque vous vous sentez […], en êtes-vous… ? • européen ou européenne ; • belge ; • wallon ou wallonne ; • attaché à votre commune. Cette fois-ci, la réponse à cette question révèle la valence associée à chaque identité plutôt que la fréquence du sentiment d’appartenance. Bien que ces deux aspects soient généralement corrélés – en règle générale, on ressent un sentiment d’appartenance dont on est fier – il est important de noter qu’ils ne sont pas nécessairement liés. Il est tout à fait possible d’avoir un sentiment d’appartenance dont on n’est pas fier. Par conséquent, il est judicieux d’analyser ces deux dimensions de manière indépendante. Ici, le premier constat est que les différentes identités sont généralement valorisées. On observe, en effet, qu’en cumulant « plutôt fier » et « très fier », 80,6 % de la population se sent fière d’être belge, 73,9 % se sentent fiers de leur commune, 68,6 % se sentent fiers de la Wallonie et 68,5 % se sentent fiers de l’Europe. En termes d’image, la Belgique occupe bien la première place des identités positives, parmi celles citées. En termes de valorisation, la Wallonie semble tenir une image moins bonne que le niveau local. En effet, la proportion des personnes se disant « très fières » est la même pour les deux (la différence est comprise dans l’intervalle de confiance), mais la proportion de personnes se disant « plutôt fières » est plus élevée pour le niveau local que pour la Wallonie. Enfin, la valorisation est la plus faible pour l’Europe, mais reste tout de même relativement importante, avec 10,7 % qui se sentent « très fiers » et 57,8 % qui se sentent « plutôt fiers ». En conclusion, le sentiment d’appartenance à la Wallonie peut être qualifié de relativement important, mais il va de pair avec le sentiment d’être belge : plus on se sent belge et plus on se sent wallon comme signe d’attachement à son lieu d’habitation. Mais l’identité wallonne ne comprend pas, ou auprès de peu de personnes, une dimension spécifique qui la ferait se distinguer d’autres identités. C’est ce que révélait l’analyse qualitative réalisée sur le contenu de l’identité wallonne qui montrait que les dimensions de « bien-vivre », « convivialité », « nature » figuraient parmi les premières citées (Jacquemain & Italiano, 2014). Cela se confirme aussi par le fait que lorsque l’on demande aux personnes de choisir entre une seule identité, l’identité wallonne ne figure que comme quatrième choix, derrière l’identité belge, locale et mondiale (citoyen ou citoyenne du monde). 3.2. SENTIMENTS D’APPARTENANCE ET FIERTÉ PAR PROFILS Dans cette section, le croisement du sentiment d’appartenance et de la fierté a été effectué au sein de divers profils de la population afin de mettre en évidence d’éventuelles différences au sein de ces groupes. Les croisements ont été faits en tenant compte des critères suivants : • le sexe ; • l’âge ; • le revenu disponible équivalent (quintile) ; • le diplôme. Les graphiques ci-dessous ne reprennent que les croisements pour lesquels des différences sont observées. Regards statistiques n°11 15 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 3.4 : Indice du sentiment d’appartenance à l’identité locale (commune) par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne du sentiment d’appartenance. Il peut varier de 0 « Jamais » à 4 « Tout le temps ». Graphique 3.5 : Indice du sentiment d’appartenance européenne par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne du sentiment d’appartenance. Il peut varier de 0 « Jamais » à 4 « Tout le temps ». 16 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Les variations constatées dans les sentiments d’appartenance selon les profils sont généralement assez modérées. Cela signifie que, au sein de la population, le sentiment d’appartenance varie peu en fonction du sexe, de l’âge, du revenu ou du niveau de diplôme. Ces différences, en tous les cas pour le sentiment d’appartenance belge et wallonne, ne sont pas significatives et ne sont donc pas présentées ici. Concernant les sentiments d’appartenance locale et européenne, on observe là quelques différences significatives selon le profil des individus bien que l’amplitude de ces différences reste mesurée. L’indice représenté ici correspond à la valeur moyenne du sentiment d’appartenance qui peut varier de 0 « jamais » à 4 « tout le temps ». Le premier graphique montre que concernant le sentiment d’appartenance locale les personnes entre 65-79 ans semblent plus attachées que les personnes d’autres catégories d’âge. Le deuxième graphique montre lui que le sentiment d’appartenance européenne est plus important chez les personnes appartenant au cinquième quintile de revenu par rapport aux autres quintiles de revenu. De plus, les personnes qui ont un diplôme universitaire se sentent légèrement plus européennes que les personnes qui ont un diplôme supérieur non universitaire, qui se sentent ellesmêmes légèrement plus européennes que les personnes sans diplôme du supérieur. On peut donc dire que le sentiment d’appartenance européenne est plus fort chez les personnes qui ont un diplôme du supérieur. Graphique 3.6 : Fierté du sentiment d’appartenance à la Wallonie par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la fierté d’appartenance. Il peut varier de -2 « Pas fier du tout » à +2 « Très fier ». Regards statistiques n°11 17 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 3.7 : Fierté du sentiment d’appartenance à l’Europe par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la fierté d’appartenance. Il peut varier de -2 « Pas fier du tout » à +2 « Très fier ». Concernant la fierté d’appartenance (l’indice allant de -2 « pas fier du tout » à +2 « très fier »), on observe cette fois pas de différence en fonction du profil pour la fierté d’être belge et la fierté locale. En revanche, on observe quelques différences pour le sentiment de fierté wallonne et le sentiment de fierté européenne. Dans le premier cas, on observe une baisse de fierté avec la progression du revenu disponible. Ainsi, les personnes se trouvant dans le cinquième quintile du revenu disponible équivalent sont moins fières d’être wallonnes que les personnes se trouvant dans le premier ou le deuxième quintile. Avec le diplôme, on observe aussi une baisse de fierté plus le niveau de diplôme est élevé. Dans le cas européen, on observe un effet inverse, mais moins prononcé. Ce sont les personnes avec un diplôme supérieur qui se sentent plus fières d’être européennes par rapport aux personnes sans diplôme supérieur. 18 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 3.3. ÉVOLUTION DES SENTIMENTS D’APPARTENANCE ET DE FIERTÉ Graphique 3.8 : Évolution des sentiments d’appartenance (2003-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS L’évolution du sentiment d’appartenance dans le temps est évaluée en créant un indice qui somme le pourcentage de personnes qui répondent « tout le temps », « souvent » ou « de temps en temps » à la question : vous arrive-t-il de vous sentir… ? À partir de cet indice, on peut faire les constats suivants concernant l’évolution des sentiments d’appartenance : • Structurellement, la hiérarchie entre les différentes identités n’a pas changé au cours des vingt dernières années. L’identité belge est toujours la plus importante en termes de fréquence du sentiment d’appartenance, l’identité wallonne vient en deuxième position et l’identité européenne vient en dernière position sur les trois. • Le sentiment d’appartenance à la Belgique reste relativement stable au cours des vingt dernières années. En 2003, 87,7 % de la population se sent belge ; en 2016, où le pourcentage est Regards statistiques n°11 19 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 le plus élevé, c’est 92,0 % de la population qui se sent belge et en 2023 c’est 88,3 % de la population qui se sent belge. Concernant le sentiment d’appartenance à la Wallonie, on observe une légère progression de ce sentiment de 2003 (75,7 % de la population) à 2016 (81,4 % de la population), puis une légère baisse jusqu’en 2023 (73,7 % de la population). Enfin, le sentiment d’appartenance à l’Europe apparaît comme plus indépendant que les deux premiers et varie aussi plus au cours des vingt dernières années. En 2003, c’est 62,7 % de la population qui se sent européenne. Cette proportion reste stable jusqu’en 2012, puis progresse jusqu’en 2016, pour atteindre 71,8 % de la population. Enfin, cette proportion baisse à nouveau pour atteindre 65,3 % de la population en 2023. Graphique 3.9 : Évolution de la fierté du sentiment d’appartenance (2003-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Cet indice est obtenu en agrégeant le pourcentage de personnes ayant répondu « très fier » ou « plutôt fier ». L’évolution de cet indice donne une lecture moins optimiste de la situation. En effet, on observe une baisse du sentiment de fierté de 2018 à 2023 pour les quatre identités mentionnées. Ces variations sont statistiquement significatives, dépassant à chaque fois l’intervalle de confiance. Pour la Belgique, le pourcentage passe ainsi de 90,9 % en 2018 à 80,6 % en 2023 ; pour la Wallonie 20 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 de 87,7 % à 68,5 %y ; pour le local de 84,7 % à 73,9 %, et pour l’Europe de 78,2 % à 68,5 %. Notamment, il est à souligner que la diminution du sentiment de fierté est plus marquée pour la Wallonie que pour les trois autres identités. On mettra alors peut-être cela en lien avec les révélations sur les affaires qui ont ébranlé le Parlement de Wallonie. Celles-ci ont été évoquées dans la presse fin 2022 et en avril 2023, alors que l’enquête a été réalisée du 2 mars au 2 juin 2023. Regards statistiques n°11 21 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 4. La confiance dans les institutions Une autre thématique fondamentale au sein du BSW depuis ses débuts concerne la confiance dans les relations interpersonnelles et les institutions. Au fur et à mesure des vagues, cette thématique s’est d’ailleurs étoffée pour prendre en compte une variété de relations interpersonnelles et d’institutions toujours plus importantes. La répétition des mêmes questions au fil de ces vagues permet ainsi d’avoir une évolution sur vingt ans. Les résultats sont présentés en cinq parties, regroupant à chaque fois les relations interpersonnelles ou les institutions dont la confiance est fortement corrélée. Une analyse factorielle a permis, en effet, de regrouper ces institutions et relations interpersonnelles en cinq groupes cohérents au sein desquels la confiance est évaluée de la même manière par les participants et participantes à l’enquête. Ces cinq groupes sont utilisés pour présenter les résultats. Il s’agit de : • la confiance dans les proches et les relations sociales ; • la confiance dans l’État social et les fonctions régaliennes ; • la confiance dans les institutions politiques • la confiance dans la politique locale et ses institutions ; • la confiance dans les médias et les syndicats. Cette partie présente, de la même manière que les précédentes, un état des lieux de la confiance en 2023 au sein de ces cinq groupes, puis une analyse de l’évolution de la confiance au fil du temps. 22 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 4.1. ÉTAT DES LIEUX DE LA CONFIANCE INSTITUTIONNELLE ET DANS LES RELATIONS SOCIALES EN 2023 Graphique 4.1 : Confiance dans les proches et les relations sociales (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente la confiance dans les proches et les relations sociales. Ces quatre groupes de personnes présentent une forte corrélation, indiquant que lorsqu’un participant ou participante à l’enquête attribue un score élevé à l’un des groupes, il ou elle attribuera également un score élevé aux autres groupes, et vice versa. Sans grande surprise, le niveau de confiance le plus élevé est accordé à la famille, avec 94,5 % de la population se déclarant confiante (cumulant les catégories « confiance totale », « grande confiance » et « confiance moyenne »). La confiance dans les amis et amies se positionne en deuxième place, avec 93,1 % de confiance (cumulant toujours les mêmes modalités). Enfin, la confiance dans les enseignants et enseignantes se classe en troisième position, avec 78,7 % de confiance, tandis que la confiance dans les voisins et voisines occupe la quatrième position, avec 71,3 % de confiance. Regards statistiques n°11 23 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 4.2 : Confiance dans l’État social et les fonctions régaliennes (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente la confiance dans l’État social et les fonctions régaliennes. Ce groupe d’institutions remporte globalement assez de confiance de la population. Le système de santé est l’institution qui remporte le plus de confiance avec 87,1 % de la population qui exprime sa confiance (« confiance totale », « grande confiance » et « confiance moyenne » cumulées). La Sécurité sociale remporte 83,1 % de confiance, la police 80,9 %, l’éducation 78,5 % et la justice remporte 65,7 % de confiance auprès de la population. 24 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 4.3 : Confiance dans les institutions politiques (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente la confiance dans les institutions ou groupes de personnes liées au système politique. C’est ce groupe qui définit ce que l’on appelle la « confiance politique ». Il se caractérise, ici, par une très faible confiance au sein de la population. En effet, aucun de ces institutions ou groupes de personnes ne dépasse les 50 % de confiance. Parmi celles obtenant malgré tout le moins mauvais score, il y a l’administration wallonne qui obtient 41,2 % de confiance (mais 26 % de la population se dit tout de même « pas du tout confiant »). Les hommes politiques sont quant à eux le groupe obtenant le plus mauvais score avec seulement 18,8 % de confiance (et 46,4 % de la population se disant « pas du tout confiant »). On peut faire le constat général suivant sur les institutions politiques. L’administration (wallonne) est l’institution qui obtient le moins mauvais score (41,2 % de confiance), ce qui la détache un peu des autres institutions politiques. Un deuxième sous-groupe est constitué de tous les organes de pouvoir tels que les gouvernements et parlements des différents niveaux de pouvoir. Il est intéressant de constater qu’il n’y a pas de différence de confiance ni entre les niveaux de pouvoirs ni entre organe Regards statistiques n°11 25 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 exécutif (gouvernement) et législatif (parlement) (toutes les différences sont comprises dans l’intervalle de confiance). Un troisième sous-groupe comprend les personnes qui exercent la politique (hommes et femmes politiques) ainsi que les partis politiques eux-mêmes. On observe que ce sousgroupe se détache encore un peu plus du précédent, avec un niveau de confiance plus faible. Graphique 4.4 : Confiance dans la politique locale et ses institutions (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente la confiance dans l’administration communale et les institutions politiques locales (Conseil communal et Bourgmestre). Ce groupe se caractérise par une confiance plus élevée que les institutions politiques des autres niveaux de pouvoir (cf. graphique 4.3). On observe en effet que l’administration communale obtient un niveau de confiance de 68,7 % (« confiance moyenne » à « totale » cumulée) contre 41,2 % pour l’administration wallonne, par exemple. Les élus et élues politiques locaux obtiennent eux aussi un score de confiance plutôt élevé comparativement aux élus et élues politiques à d’autres niveaux de pouvoir. Le conseil communal obtient ainsi un score de confiance cumulé de 59,2 % et les bourgmestres obtiennent un score de 57,7 %. La proximité de ces institutions et de ces élus et élues avec la population joue donc clairement en faveur d’une plus grande confiance accordée à ceux-ci et celles-ci. 26 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 4.5 : Confiance dans les médias et les syndicats (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique illustre le niveau de confiance accordé aux médias, aux réseaux sociaux et aux syndicats. Ce groupe se révèle relativement diversifié, ces trois items étant regroupés par l’analyse factorielle probablement davantage en raison de leur différence avec les entités précédentes qu’en raison d’une réelle cohérence intrinsèque entre eux. La confiance accordée aux syndicats et aux médias traditionnels est moyenne, mais supérieure à celle accordée aux institutions politiques. Pour les syndicats, la confiance cumulée (« moyenne » à « totale ») est de 57,9 % et pour les médias traditionnels elle est de 51,5 %. Dans les deux cas, elle est donc supérieure à la limite symbolique des 50 %. Finalement, le dernier item concerne les réseaux sociaux. Ici, sans grande surprise, la confiance n’est que de 13,8 % ! Regards statistiques n°11 27 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 4.2. ÉVOLUTION DE LA CONFIANCE INSTITUTIONNELLE ET DANS LES RELATIONS SOCIALES Dans cette section, l’évolution de la confiance est appréhendée en observant l’évolution du pourcentage cumulé de « confiance moyenne », « grande confiance » et « confiance totale » pour chaque item. Le cumul de ces trois modalités de réponse permet ainsi d’obtenir un indice de confiance qui peut être suivi au fil du temps Graphique 4.6 : Évolution de confiance dans les proches et les relations sociales (2003-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique met en évidence la stabilité générale de la confiance envers la famille et les amis et amies au fil du temps, avec un indice de confiance très élevé dépassant les 90 %. En revanche, la confiance envers les enseignants et enseignantes a connu une diminution depuis 2018, passant d’un indice de 89,5 % à l’actuel 78,7 %. Les raisons de cette baisse sont difficiles à expliquer à ce stade. Il peut s’agir de suites de la crise de la Covid-19 sur la perception du corps enseignant ou de l’effet de réformes en cours au sein de l’enseignement sur la perception de celui-ci. Cette difficulté est 28 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 accentuée par le fait que cette question n’existait pas dans les vagues précédentes, rendant délicat de déterminer s’il s’agit d’une baisse liée au contexte ou à la variation de l’indice. En ce qui concerne la confiance envers le voisinage, on observe également une baisse depuis 2018, passant de 78,5 % à l’actuel 71,3 %. Cependant, cette diminution est moins prononcée et, surtout, le niveau de confiance redevient comparable à celui de 2013 (75,3 %) et 2012 (71,6 %). Graphique 4.7 : Évolution de confiance dans l’état social et les fonctions régaliennes, 2003-2023 Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique sur la confiance dans l’État social et les fonctions régaliennes montre deux tendances selon le type de service que l’on observe. D’une part, l’évolution de la confiance dans la police et la justice montre une progression importante jusqu’en 2018, puis une légère baisse en 2023. Ce phénomène est lié à un niveau de confiance historiquement bas dans les années 2000, en particulier en raison de l’affaire Dutroux (dont le procès s’est déroulé en 2004). De plus, une tendance similaire de regain d’attachement aux institutions régaliennes (armée, police, justice, etc.) a aussi été observée à travers l’Europe au cours de la dernière décennie, expliquant également la hausse de l’indice de confiance envers ces institutions. Regards statistiques n°11 29 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 D’autre part, la deuxième tendance concerne l’évolution de l’État social (éducation, système de santé, sécurité sociale). On observe là des évolutions plus stables. Concernant le système de santé tout d’abord, l’évolution est relativement stable avec un niveau de confiance plutôt élevé (87,0 % en 2023). Concernant l’éducation, l’indice a baissé de 2013 à 2018, mais est resté stable depuis (la différence entre 2018 et 2023 reste comprise dans l’intervalle de confiance). Remarquons, à ce propos, qu’on observe une baisse de la confiance dans le corps enseignant de 2018 à 2023 (cf. graphique 4.6), mais que cette baisse ne s’observe pas dans le système d’éducation. Enfin, concernant la Sécurité sociale, on observe là aussi une légère baisse de confiance de 2018 (88,2 %) à 2023 (83,2 %), bien que la question n’ait pas été posée dans les années antérieures. Graphique 4.8 : Évolution de confiance dans les institutions politiques (2003-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente l’évolution de la confiance politique au fil du temps à travers toutes les institutions politiques mesurées dans le cadre du BSW. La baisse de confiance entre 2018 et 2023 est frappante par son ampleur. On observe en effet une baisse de près de 30 points de pourcentage pour certaines des institutions politiques. L’administration wallonne passe ainsi de 73,6 % de confiance en 2018 à 41,2 % en 2023, l’État belge passe de 70,5 % à 39,0 %, la Région wallonne de 68,9 % 30 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 à 35,2 %, le Parlement de Wallonie de 62,9 % à 33,7 %, la Commission européenne de 57,4 % à 37,0 %, les hommes et les femmes politiques de 35,6 % à 18,8 % et les partis politiques de 31,5 % à 21,9 %. On assiste donc à une baisse très importante de la confiance envers les institutions politiques qui passent toutes en dessous du seuil symbolique de 50 % de confiance. Graphique 4.9 : Évolution de confiance dans les médias et syndicats (2003-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Ce graphique présente l’évolution de la confiance envers les médias traditionnels et les syndicats. La question sur la confiance envers les réseaux sociaux n’est pas incluse, car elle n’a été posée qu’en 2023. L’analyse de ce graphique révèle que la confiance envers les syndicats a connu une augmentation significative de 2003 (47,8 %) à 2018 (63,8 %) pour ensuite diminuer en 2023 (57,9 %). La baisse entre 2018 à 2023 est significative, et le niveau atteint en 2023 est comparable à celui de 2012 (56,4 %) et 2013 (57,1 %). Il reste cependant supérieur à celui de 2003. Quant à la confiance dans les médias traditionnels, on observe une légère augmentation entre 2003 (45,1 %) et 2023 (51,5 %). Au cours de cette période, la confiance avait augmenté de 2003 à 2007 (52,9 %), puis avait diminué en 2012 (44,5 %) pour à nouveau augmenter de 2018 (45,2 %) à 2023 (51,5 %). On peut donc conclure que l’évolution de 2003 à 2023 s’inscrit dans les fluctuations observées au cours de cette période. Regards statistiques n°11 31 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 5. Attitudes envers le système politique L’engagement politique et la vie politique jouent un rôle important pour le développement de la Wallonie. Tout comme les relations sociales sont fondamentales pour le bon fonctionnement de la société, la participation active des citoyens et citoyennes à la vie politique constitue un pilier essentiel de l’évolution et de la prospérité d’une région. Or, l’engagement des citoyens et citoyennes dans la société civile et dans la vie politique est en partie lié à la perception qu’ils et elles ont du fonctionnement des institutions politiques. Pour cette raison, il est crucial de comprendre leur perception de la politique, que ce soit en ce qui concerne ses fondements et ses principes, dans son mode de fonctionnement, ou dans leur perception des individus qui la mettent en pratique au quotidien. Le chapitre précédent a déjà abordé le rapport des citoyens et citoyennes avec la politique et ceux qui l’exercent à travers la notion de confiance, ce chapitre aborde le rapport des citoyens et citoyennes wallons avec la politique de manière complémentaire à travers trois sous-chapitres qui tentent chacun de répondre à une question différente : 1) Comment les citoyens et citoyennes évaluent-ils ou elles la démocratie belge et wallonne et leur fonctionnement ? 2) Les citoyens et citoyennes se sentent-ils ou elles impliqués dans la vie politique wallonne ? 3) Que préconisent-ils ou elles pour améliorer le fonctionnement de la démocratie en Wallonie ? 32 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 5.1. ÉVALUATION DU SYSTÈME DÉMOCRATIQUE ET DE SON FONCTIONNEMENT Graphique 5.1 : Évaluation de la démocratie belge et de son fonctionnement (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes se positionnaient par rapport aux quatre questions/affirmations suivantes : • La démocratie peut poser problème, mais c’est quand même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement (Perception de la démocratie) ; • Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de la manière dont la démocratie fonctionne en Belgique ? (Satisfaction démo BE) ; • Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de la manière dont la démocratie fonctionne en Wallonie ? (Satisfaction démo Wal) ; • La plupart des décisions politiques servent le bien-être de toutes et tous (Bien-être de toutes et tous) ; Regards statistiques n°11 33 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 • Le processus de décision démocratique est trop complexe, trop obscur et trop lent (Démocratie complexe) ; • Les hommes et les femmes politiques parlent trop et n’agissent pas assez (Les politiques parlent trop). Dans ce premier graphique, on observe que l’adhésion au principe démocratique est toujours très importante en Wallonie. À la première question sur la comparaison de la démocratie avec d’autres formes de gouvernement, on observe que 76,0 % sont d’accord, 17,4 % sont indécis et seulement 6,6 % ne sont pas d’accord. En additionnant les personnes d’accord et indécises, on obtient ainsi 93,4 % qui adhèrent aux principes démocratiques. Le graphique suivant (graphique 5.2) montre même que cette adhésion est en légère augmentation par rapport à 2018. Le deuxième constat est que, en revanche, les citoyens et citoyennes sont extrêmement sévères quant au fonctionnement de celle-ci, que ce soit au niveau belge ou au niveau wallon. En effet, pour la démocratie en Belgique, seulement 25,7 % sont satisfaits contre 39,4 % d’insatisfaits et 34,9 % d’indécis. Pour la démocratie en Wallonie, le niveau de (in)satisfaction est comparable car les différences avec la Belgique se trouvent dans les intervalles de confiance. Les satisfaits sont ainsi seulement 23,0 %, contre 42,6 % d’insatisfaits et 34,4 % d’indécis. Il y a donc près de deux fois plus d’insatisfaits que de satisfaits. Par ailleurs, le niveau d’(in)satisfaction est comparable pour la démocratie en Wallonie et en Belgique. D’autres questions, en lien avec le fonctionnement de la démocratie, étaient aussi posées et permettent d’éclairer quelques-unes des raisons de cette insatisfaction. D’abord, on observe que seulement une minorité (18,8 %) pense que « la plupart des décisions politiques servent le bien-être de toutes et tous » contre (49,9 %) qui pensent le contraire et (31,3 %) d’indécis. Ce résultat peut être assez interpellant si on le met en regard de certaines politiques qui ont pour objectif d’être au profit de toutes et tous. Mais deux autres questions permettent aussi d’éclairer cette insatisfaction vis-àvis de la démocratie. En effet, la majorité des personnes (69,5 %) pensent que « le processus de décision démocratique est trop complexe, trop obscur et trop lent » contre seulement 10,6 % qui pensent le contraire et 19,9 % d’indécis. Enfin, dans le même ordre d’idée, la majorité des personnes (77,9 %) pensent que « les hommes et les femmes politiques parlent trop et n’agissent pas assez », contre 6,0 % qui pensent le contraire et 16,1 % d’indécis. 34 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 5.2 : Évolution de l’évaluation de la démocratie belge et de son fonctionnement (2018- 2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Dans ce deuxième graphique qui présente l’évolution des indices dont les questions sont disponibles en 2018 et 2023, on observe un attachement toujours aussi important, voire un peu plus, au fonctionnement démocratique. En revanche, on observe une évaluation plus négative du fonctionnement de la démocratie, de sa capacité à servir le bien-être de toutes et tous et d’être inutilement complexe. Regards statistiques n°11 35 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 5.2. INTÉRÊT, EFFICACITÉ POLITIQUE PERÇUE ET INTENTION DE VOTE Un facteur crucial pour le dynamisme de la vie politique réside dans la perception que les citoyens et citoyennes ont de leurs compétences dans ce domaine. C’est à travers ces compétences et la confiance qui les accompagne que les citoyens et citoyennes peuvent potentiellement jouer un rôle actif dans la vie politique, comme le souligne la littérature sur l’empowerment ou encore l’agentivité. L’évaluation de cette agentivité politique se fait à travers les différentes questions analysées ici : • L’intérêt politique des citoyens et citoyennes et son évolution entre 2018 et 2023 ; • L’évaluation que ces derniers font de leurs compétences politiques et l’évolution de cellesci sur la même période ; • L’intention de voter, en l’absence d’une obligation de vote ; ce point reflétant potentiellement la perception de l’utilité associée à l’acte de voter. Graphique 5.3 : Dans quelle mesure vous intéressez-vous à la politique ? (2018-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS 36 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 5.4 : Auto-évaluation des compétences politiques (2018-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes se positionnaient par rapport aux questions/affirmations suivantes : • Je m’estime compétent pour participer à la vie politique. (item 1) ; • Je pense que je ferais de l’aussi bon travail que la plupart des politiciens et politiciennes que nous avons élus (item 2) ; • Je pense que je suis mieux informé sur la vie politique que la plupart des autres personnes. (item 3) ; • J’estime que je comprends assez bien les problèmes importants auxquels est confrontée notre société. (item 4). Regards statistiques n°11 37 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 5.5 : Intention de voter si le vote n’était plus obligatoire (2018-2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes se positionnaient par rapport à la question suivante : Si le vote n’était plus obligatoire en Belgique, iriez-vous encore voter […] • aux élections communales ? (Com) ; • aux élections législatives (fédérales) ? (Bel) ; • aux élections régionales ? (Reg) ; • aux élections européennes ? (EU). Les résultats sur l’intérêt politique en 2023 montrent qu’une majorité de citoyens et citoyennes (65,3 %) ne s’intéresse pas à la politique. Par rapport à 2018, la situation s’est aggravée puisqu’à l’époque on comptait 56,3 % de la population qui déclarait se désintéresser de la politique. Cette différence est significative puisqu’elle est supérieure aux intervalles de confiance. 38 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 En ce qui concerne l’auto-évaluation des compétences politiques, un phénomène inverse se manifeste, avec une augmentation des compétences perçues sur les quatre questions posées. La compétence à participer à la vie politique passe de 23,7 % en 2018 à 36,7 % en 2023, la capacité à réaliser le même travail que les hommes et les femmes politiques augmente de 29,3 % à 50,3 %, la capacité à être informé en politique passe de 21,1 % à 32,9 % et l’évaluation de la compréhension des problèmes de société progresse de 66,3 % à 79,6 %. On constate ainsi une augmentation des compétences politiques perçues par les citoyens et citoyennes, même en présence d’une diminution de l’intérêt pour la politique. Bien que cela puisse sembler paradoxal, cela témoigne surtout du fait que la baisse d’intérêt n’est pas nécessairement liée à une compréhension moindre de la politique. Elle pourrait plutôt résulter du constat que la vie politique ne parvient pas à fournir une orientation claire sur les questions de société qui préoccupent les citoyens et citoyennes. Les résultats concernant l’intention de voter en l’absence d’une obligation confirment un désengagement envers les formes conventionnelles d’engagement politique. En effet, quel que soit le niveau de pouvoir considéré, on observe systématiquement une diminution de l’intention de voter entre 2018 et 2023. En 2023, le niveau communal demeure celui où les citoyens et citoyennes estiment que leur voix compte le plus, avec 47,1 % des personnes interrogées déclarant qu’elles iraient toujours voter. Les niveaux belge (43,6 %) et régional (41,9 %) occupent une position intermédiaire, tandis que le niveau européen ne recueille que 36,7 % de réponses positives, probablement en raison de l’impression que, à ce niveau, leur voix a moins d’impact. 5.3. CHANGEMENTS POUR UNE MEILLEURE PRISE DE DÉCISION POLITIQUE (GOUVERNANCE) Après l’évaluation du système démocratique et l’efficacité politique perçue, la question suivante porte sur les changements à apporter au système politique pour améliorer celui-ci. Les participants et participantes devaient se prononcer, de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord », sur une liste de propositions, à la suite de l’énoncé suivant : « Parmi les propositions suivantes, quelles sont celles qui selon vous permettraient d’améliorer la prise de décision politique ? ». Une analyse factorielle4 sur ces propositions révèle qu’elles peuvent être regroupées en trois groupes : 1) les changements sur le fonctionnement du système politique (quatre premiers items) ; 2) les changements sur la participation aux prises de décision et la parité (trois items suivants) ; 3) les changements en matière de fonctionnement autoritaire (deux derniers items). Les résultats sont donc présentés en tenant compte de ces regroupements. 4 L’analyse factorielle est une méthode statistique visant à révéler la structure sous-jacente d’un ensemble d’items en regroupant ceux qui présentent des similitudes, basées sur les réponses recueillies. Regards statistiques n°11 39 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 5.6 : Changement en matière de fonctionnement (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les quatre propositions qui ont été regroupées dans un premier groupe par l’analyse factorielle sont les suivantes : • Davantage de transparence et de mécanisme de contrôle sur le travail des parlementaires et des mandataires politiques actuels (Cntr travail) ; • Davantage contrôler les conflits d’intérêts entre certaines fonctions et certains mandats politiques (Cntr intérêt) ; • Réduire le nombre d’élus et élues politiques au profit d’une gestion par des experts et expertes (panels d’experts et expertes (+Experts) ; • Davantage faire intervenir des experts et expertes dans le choix de politiques à mener pour des questions complexes (Experts cplx). Ces résultats indiquent une demande significative de transparence et de gestion des conflits d’intérêts parmi les élus et élues et mandataires politiques. En effet, les deux premiers items obtiennent respectivement des taux d’approbation de 88,0 % et 87,7 % auprès de la population. En ce qui concerne l’implication d’experts dans les décisions politiques, une adhésion importante est également 40 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 observée (72,7 % et 76,7 % respectivement), bien que l’on note un pourcentage relativement élevé d’indécis dans ces deux cas (18,1 % et 15,6 %). Dans tous les cas, il est évident que les citoyens et citoyennes expriment le besoin de réformes visant à renforcer le contrôle et la transparence du système politique et, dans une certaine mesure, à accroître l’intervention d’experts, quitte à réduire le nombre d’élus et élues. L’adhésion significative à ces changements semble refléter un mécontentement ressenti par une partie de la population à l’égard du système politique et des hommes et femmes politiques, comme en témoigne la baisse importante de la confiance dans les institutions politiques. Graphique 5.7 : Changement en matière de participation et de parité (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les trois propositions qui ont été regroupées dans un second groupe par l’analyse factorielle sont les suivantes : • Davantage de consultation des citoyens et citoyennes sur les décisions du gouvernement (référendum…) (Référ) ; • Davantage intégrer les citoyens et citoyennes dans le processus délibératif d’élaboration de politiques (assemblée citoyenne, budget participatif, initiative citoyenne…) (Délibé) ; • Davantage de parité hommes-femmes dans les organes de décisions politiques. (Parité ho-fe). Regards statistiques n°11 41 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Ces résultats indiquent un positionnement favorable des citoyens et citoyennes pour être davantage impliqués et consultés dans la vie politique que ce soit par le biais de référendums (77,2 % d’avis favorables) ou par le biais de processus délibératifs ou participatifs (74,0 % d’avis favorables). La majorité des personnes interrogées (63,4 %) pensent également qu’une plus grande parité des hommes et des femmes dans les organes de décision permettrait d’améliorer la prise de décision politique. Graphique 5.8 : Changement pour un fonctionnement autoritaire (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les deux propositions qui ont été regroupées dans le dernier groupe par l’analyse factorielle sont les suivantes : • Concentrer le pouvoir dans les mains d’un ou une seule leader forte afin d’imposer des choix de société (Leader forte) ; • Un système politique plus autoritaire et moins démocratique (Autoritaire). Ces résultats mettent en évidence que la majorité des individus (65,1 % d’opinions défavorables et 18,8 % d’indécis et indécises) ne considèrent pas qu’une concentration du pouvoir entre les mains 42 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 d’un ou une leader forte améliorerait la prise de décision politique. De manière similaire, lorsqu’il est explicitement question d’un système autoritaire, le pourcentage d’opinions défavorables reste comparable (64,6 %). Il est important de noter que, dans les deux cas, le pourcentage d’opinions quant à lui favorables tourne autour de 16 %. Bien entendu, on peut estimer que ce pourcentage demeure trop élevé. Cependant, il faut rappeler qu’à la question « La démocratie peut poser problème, mais c’est quand même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement. » 93,4 % étaient d’accord et seulement 6,6 % contre. Il faut donc probablement interpréter les 16 % de réponse pour un système plus autoritaire comme l’expression d’une critique forte plutôt que comme une réelle volonté de changer le fonctionnement du système. Regards statistiques n°11 43 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 6. Attitudes envers la transition écologique La transition écologique constitue assurément l’un des défis majeurs pour nos sociétés. Dans ce contexte, il est crucial de comprendre l’opinion des citoyens et citoyennes concernant les enjeux sociaux et politiques associés à cette transition. Bien que la transition écologique soit reconnue comme un défi majeur de manière unanime, les moyens pour y parvenir ne sont pas nécessairement appréciés de la même manière par l’ensemble de la population. C’est dans cette perspective que de nouvelles questions ont été incluses dans cette édition de l’enquête. Cette section aborde donc la question de la transition écologique à travers deux questions : 1) Pour les citoyens et citoyennes, quelle est l’importance de différents enjeux dans le cadre de la transition écologique ? 2) Dans quelle mesure les conséquences de la transition écologique sontelles perçues comme positives ou négatives pour la société dans différents domaines (qualité de vie, solidarité, économie, pouvoir d’achat…) ? Les résultats à ces deux questions sont d’abord présentés pour l’ensemble de la population. Ensuite, une analyse différenciée est effectuée en fonction des profils de la population (sexe, âge, revenu, diplôme), ainsi qu’en fonction de ce que les personnes ont voté aux élections de 2019 (profil électoral). 6.1. ENJEUX PERÇUS DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE Graphique 6.1 : Perception des enjeux de la transition écologique (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS 44 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Les participants et participantes se positionnaient par rapport aux énoncés suivants : Quelle est, selon vous, l’importance des aspects suivants dans la protection de l’environnement, la transition écologique et la lutte contre les changements climatiques ? • Davantage informer la population sur les enjeux en cours (Info citoy) ; • Dépendre moins des pays extérieurs pour subvenir à nos besoins (Dépend) ; • Faire en sorte que l’économie belge ne soit pas plus impactée que celle de ses voisins européens (Eco Bel) ; • Investir davantage de moyens publics pour la protection de l’environnement, la transition écologique et le changement climatique (+Moyens) ; • Faire en sorte que les mesures prises n’accroissent pas les inégalités sociales (Ineg) ; • Faire en sorte que les taxes pour lutter contre les changements climatiques et protéger l’environnement soient dépendantes du niveau de pollution associé à des produits ou activités (principe du pollueur-payeur) (Tax polu) ; • Évaluer l’effet des mesures sur le bien-être des citoyens et citoyennes plutôt que sur la performance économique (Bien-être) ; • Faire en sorte que les catégories plus aisées de la population contribuent plus au système de redistribution que les catégories moins aisées (Aisés) ; • Veiller à ce que les citoyens et citoyennes et groupes socioéconomiquement défavorisés puissent faire entendre leur voix dans les débats médiatiques, politiques ou au niveau juridique (Voix défa). Le premier constat concernant les enjeux de la transition écologique est qu’il y a un certain consensus à dire que tous les enjeux sont importants. Il est en effet frappant de constater que l’ensemble des enjeux sont évalués comme importants par la majorité de la population (le degré d’accord variant selon les mesures de 89,2 % à 74,5 %). Par ailleurs, une analyse factorielle sur l’ensemble de ces questions ne fait ressortir qu’une seule dimension, ce qui signifie que ces enjeux ne peuvent être regroupés par sous-dimensions. En d’autres termes, le niveau de réponse d’une personne pour un enjeu particulier est fortement lié à son niveau de réponse pour les autres enjeux. Parmi l’ordre de priorité, en se basant sur les réponses « très important », on notera le fait de « davantage informer la population sur les enjeux en cours » figure parmi les enjeux prioritaires avec le fait de « moins dépendre des pays extérieurs pour subvenir à ses besoins ». Avec ce premier item, c’est bien l’importance de la communication sur ce qui est fait qui est mis en avant. Les analyses suivantes visent à identifier quels sont les profils socio-économiques ou en matière de comportements électoraux qui font éventuellement ressortir des différences en termes de perception de ces différents enjeux. Seuls les enjeux pour lesquels des différences significatives par profil apparaissent sont alors reportés ici. 6.2. ENJEUX PERÇUS PAR PROFILS Remarquons d’emblée que la comparaison des réponses par profils socio-économiques ou électoraux ne montre pas de variations très importantes sur les enjeux de la transition écologique. Les graphiques ci-après montrent en effet que les réponses varient peu par rapport à l’étendue complète de l’échelle (celle-ci pouvant aller de -2 « pas du tout important » à +2 « très important »). Comme ceci a déjà été souligné, ces enjeux font globalement l’objet d’un certain consensus, signifiant par là qu’ils sont tous importants. Nous ne commenterons donc ici que les enjeux pour lesquels il existe des différences significatives par profils. Regards statistiques n°11 45 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.2 : Perception des enjeux « Que l’économie belge ne soit pas impactée…», par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Le premier enjeu qui fait l’objet de différence par profils est celui de faire en sorte que l’économie belge ne soit pas plus impactée que celle de ses voisins européens. On notera qu’au niveau des profils socio-économiques, les différences s’observent principalement en fonction de l’âge. Ainsi, les jeunes adultes semblent moins préoccupés de cet aspect (même s’ils le jugent globalement aussi important) que les adultes plus âgés. En revanche, on n’observe pas ou moins de différences sur les autres profils socio-économiques (sexe, revenu, diplôme). Concernant l’électorat, on observe ici que ce sont les personnes qui ont voté pour Ecolo qui pensent (comme les jeunes) que cet enjeu est moins important comparativement à la population totale. À l’opposé, les personnes ayant voté pour le PTB pensent que cet enjeu est plus important que la population totale. 46 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.3 : Perception des enjeux « Investir davantage de moyens…», par profils socio-économiques et par électorat (en 2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Concernant les moyens publics à investir dans la transition écologique, on observe des différences en fonction des profils socio-économiques principalement en fonction du niveau de diplômes. Les personnes plus diplômées répondent qu’il faut davantage investir de moyens publics que les personnes moins diplômées pour la transition écologique. Les autres profils montrent peu ou pas de différence (on observe en effet une légère différence en faveur des femmes pour davantage de moyens par rapport aux hommes, mais il n’y a sinon pas de différence en fonction de l’âge ou du revenu). Par électorat, on observe aussi des différences. Les personnes ayant voté pour le PS et le CdH/Les Engagés donnent des réponses similaires à la population totale. Les personnes ayant voté pour le MR ou le PTB ont tendance à répondre qu’il faut moins de moyens publics (mais les intervalles de confiance se recoupent partiellement). Par contre, l’électorat d’Ecolo se distingue de la population totale en voulant davantage investir de moyens publics pour la transition écologique. Regards statistiques n°11 47 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.4 : Perception des enjeux «Ne pas accroître les inégalités sociales…», par profils socioéconomiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Concernant l’importance de ne pas accroître les inégalités sociales, on observe une différence en fonction du sexe et du diplôme. Les femmes sont en effet plus sensibles à cet aspect que les hommes (elles y répondent plus par l’affirmative). Concernant le diplôme, ce sont les personnes qui ont un niveau de diplôme du supérieur qui y sont le plus sensibilisées. À propos de l’électorat, on observe une différence essentiellement entre trois partis sur cette question. Les personnes ayant voté pour le MR apparaissent comme moins sensibles à cette question que les personnes ayant voté pour Ecolo ou le PTB. 48 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.5 : Perception des enjeux « Les taxes pour la protection et la lutte contre les changements climatiques soient dépendantes de la pollution [occasionnée]…», par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Concernant le lien entre niveau de pollution et niveau des taxes (principe du pollueur-payeur), on observe tendanciellement des différences par catégorie d’âge et par niveau de diplôme (les intervalles de confiance se recoupent en partie). Concernant l’âge, il est intéressant de noter que ce sont les personnes plus âgées qui adhèrent le plus au principe du pollueur-payeur et les jeunes qui y adhèrent le moins. Cela va dans le sens d’une plus grande préoccupation environnementale chez les ainés, alors que la littérature rapporte un lien qui peut aller dans un sens comme dans l’autre entre les attitudes environnementales et l’âge (Hines et al., 1987 ; Roberts, 1996). Quant au diplôme, on observe une adhésion plus importante à ce principe chez les personnes qui ont un diplôme plus élevé. Au niveau de l’électorat, ce principe est plus d’application chez les personnes ayant voté pour Ecolo, il l’est moins chez les personnes ayant voté pour le MR. Le vote pour les autres formations politiques ne révèle pas de différence sur cette question. Regards statistiques n°11 49 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.6 : Perception des enjeux «Évaluer l’effet des mesures sur le bien-être des citoyens et citoyennes plutôt que sur la performance économique…», par type d’électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Sur la question de l’évaluation des mesures sur le bien-être plutôt que sur la performance économique, on n’observe pas de différence au niveau des profils socio-économiques. On observe en revanche des différences en fonction de l’électorat. Les personnes ayant voté pour Ecolo ou le PTB pensent davantage que cela est important que les personnes ayant voté pour le MR. 50 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.7 : Perception des enjeux « Les plus aisés contribuent davantage…», par profils socioéconomiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Concernant l’idée que les plus aisés doivent davantage contribuer au système de redistribution, on observe de nouveau ici une différence où les femmes pensent que c’est un enjeu plus important que les hommes ; on observe également un effet de l’âge où les catégories d’âge plus élevé pensent que c’est un enjeu plus important ; au niveau du revenu, la différence s’observe surtout entre le cinquième quintile (moins favorable) et le deuxième quintile (plus favorable) ; en revanche, on n’observe pas de différence selon le diplôme sur cet enjeu. Au niveau de l’électorat, on observe classiquement une opposition gauche-droite sur cette question. Les personnes ayant voté pour le PS, Ecolo ou le PTB pensent davantage que c’est un enjeu important, les personnes ayant voté pour le MR le pensent moins, et les personnes ayant voté pour le CdH/Les Engagés se positionnent entre les deux. Regards statistiques n°11 51 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.8 : Perception des enjeux «Veiller à ce que les groupes défavorisés puissent faire entendre leur voix…», par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de perception de l’enjeu. Il peut varier de -2 « Pas du tout important » à +2 « Très important ». Sur le fait de veiller à ce que les groupes défavorisés puissent faire entendre leur voix, on observe aussi des différences par profils socio-économiques. On note ici aussi que les femmes pensent plus que c’est un enjeu important que les hommes ; on observe également un effet de l’âge où plus la catégorie d’âge est élevée plus cela est perçu comme un enjeu important. Au niveau des revenus, seul le deuxième quintile (pour qui c’est un enjeu important) se distingue des quintiles supérieurs. Quant au diplôme, ce sont les personnes ayant un diplôme supérieur universitaire qui se distinguent en pensant que c’est un enjeu moins important. Au niveau de l’électorat, on observe principalement une opposition entre les personnes ayant voté pour le MR (pour qui l’enjeu est moins important) et les personnes ayant voté pour le PTB (pour qui l’enjeu est plus important). 52 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 6.3. CONSÉQUENCES DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE Graphique 6.9 : Perception des conséquences de la transition écologique (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes se positionnaient par rapport aux énoncés suivants : Les mesures prises par les pouvoirs publics pour la transition écologique, la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques sont susceptibles d’avoir des conséquences dans de nombreux domaines. Quel impact pensez-vous que ces mesures auront sur : • La qualité de vie (Qual. vie) ; • La création d’emploi (Nv. emploi) ; • La participation citoyenne dans la prise de décisions (Parti. citoy) ; • La cohésion sociale et la solidarité entre les citoyens et citoyennes (Solida) ; • La qualité des emplois (leur rémunération, mais aussi le type de contrat et les conditions de travail) (Qual. emploi) ; Regards statistiques n°11 53 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 • La gouvernance (capacité à prendre des décisions, mise en œuvre et contrôle des mesures…) (Govnance) ; • L’économie wallonne (Eco wal) ; • Le pouvoir d’achat (P. achat). Concernant les conséquences de la transition écologique sur la société, on observe au niveau des résultats que les réponses dans de nombreux domaines ne sont pas consensuelles. En effet, on observe un relatif partage entre les avis qui pensent à une détérioration et ceux qui pensent à une amélioration. Si l’on passe en revue les différents domaines, voici ce que l’on peut en dire. À propos de la qualité de vie, les avis sont assez partagés, il y a un peu plus de la moitié des personnes qui pensent qu’elle va être améliorée (48,1 %) et l’autre moitié qui pense qu’elle va être détériorée (41,8 %) Les avis sont aussi partagés concernant la création d’emploi (46,2 % d’amélioration contre 32,3 % de détérioration) et la participation citoyenne (36,0 % d’amélioration contre 27,6 % de détérioration). Pour les trois domaines suivants, les avis penchent globalement plus vers une détérioration, que ce soit la cohésion et la solidarité sociale (32,9 % d’amélioration contre 37,9 % de détérioration), la qualité des emplois (33,6 % d’amélioration contre 35,6 % de détérioration) ou la gouvernance (23,6 % d’amélioration contre 36,6 % de détérioration). Enfin, concernant les deux derniers, les avis penchent globalement plus clairement vers une détérioration. Il s’agit des conséquences sur l’économie wallonne (25,9 % d’amélioration contre 57,7 % de détérioration) et des conséquences sur le pouvoir d’achat (16,3 % d’amélioration contre 67,0 % de détérioration). On peut donc dire que ce sont ces deux domaines pour lesquels les conséquences de la transition écologique inquiètent plus particulièrement la population wallonne. Les analyses suivantes présentent l’évaluation de ces conséquences en fonction des profils socioéconomiques de la population et en fonction des comportements de vote lors des élections de 2019 ; l’objectif étant de voir quels sont les caractéristiques socio-économiques ou les comportements de vote qui font ressortir des avis divergents dans chacun des domaines. 54 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 6.4. CONSÉQUENCES DE LA TRANSITION PAR PROFILS Graphique 6.10 : Conséquences de la transition écologique sur la « Qualité de vie », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant la qualité de vie, on n’observe pas d’avis divergent selon le sexe ou l’âge de la population. En revanche, on observe une différence selon le revenu ou selon le diplôme. Les personnes avec un revenu plus élevé ont tendance à anticiper une amélioration en termes de qualité de vie alors que les personnes avec un revenu plus faible ont tendance à anticiper une détérioration en termes de qualité de vie. Le résultat est alors à peu près similaire entre les personnes diplômées du supérieur (amélioration) et les non-diplômées du supérieur (détérioration). Il s’agit bien sûr d’anticipation perçue sur les conséquences de la transition écologique. On peut cependant y déceler là un risque d’accroissement des inégalités entre une population au revenu et au niveau d’éducation supérieurs qui percevrait et bénéficierait d’une amélioration de la qualité de vie et une population au revenu et au niveau d’éducation inférieurs qui percevrait et bénéficierait du contraire. Au niveau de l’électorat, on observe aussi un avis divergent entre les personnes ayant voté Ecolo (amélioration) et les personnes ayant voté PTB (détérioration). Regards statistiques n°11 55 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.11 : Conséquences de la transition écologique sur la «Création d’emplois », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant la création d’emploi, on observe approximativement le même schéma que concernant la qualité de vie pour le revenu et le diplôme, à savoir que plus ceux-ci sont élevés, plus les personnes perçoivent potentiellement une amélioration pour ce domaine. Au niveau de l’électorat, ce sont les personnes qui ont voté pour Ecolo qui perçoivent le plus d’amélioration possible pour la création d’emploi par rapport aux personnes ayant voté pour les autres partis. 56 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.12 : Conséquences de la transition écologique sur la « Participation citoyenne », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Au niveau des conséquences potentielles concernant la participation citoyenne, on observe un effet tendanciel de l’âge, à savoir que les 18-24 ans y perçoivent potentiellement plus d’amélioration et les 80 ans et plus potentiellement moins. Le revenu ne semble pas un élément discriminant dans les réponses cette fois-ci, alors que le niveau de diplôme reste lui discriminant. Concernant le profil des électeurs, on observe de nouveau que les personnes ayant voté pour Ecolo se distinguent des personnes ayant voté pour les autres partis. Regards statistiques n°11 57 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.13 : Conséquences de la transition écologique sur la «Cohésion sociale et la solidarité », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant la cohésion sociale et la solidarité, l’avis général est cette fois plutôt d’une détérioration de la cohésion sociale et de la solidarité comme conséquence de la transition écologique. Les 18-24 ans sont les seuls à ne pas partager cet avis pessimiste, de même que les personnes ayant un diplôme du supérieur ou encore les personnes ayant voté pour Ecolo. 58 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.14 : Conséquences de la transition écologique sur la « Qualité des emplois », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant la qualité des emplois, l’avis général est plutôt neutre à négatif. Les seuls profils qui se détachent et qui ont une perception plus optimiste de la transition écologique dans ce domaine sont les personnes ayant un diplôme du supérieur et les personnes ayant voté pour Ecolo. Regards statistiques n°11 59 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.15 : Conséquences de la transition écologique sur la « Gouvernance », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant la gouvernance (capacité à prendre des décisions, mise en œuvre et contrôle des mesures…), il y a un certain consensus sur le fait que la transition écologique risque de réduire la gouvernance plutôt que de l’améliorer (l’indice est soit négatif pour presque tous les profils soit égal à zéro). Le détail par profil montre qu’il n’y a pas de différence significative pour la plupart des caractéristiques sociodémographiques, à part pour le niveau de diplôme ou encore pour les comportements électoraux. De plus, on n’observe pas de différence significative en fonction des caractéristiques sociodémographiques, à part pour le niveau de diplôme et pour le comportement de vote. Pour le niveau de diplôme, on observe que les personnes n’ayant pas un diplôme du supérieur pensent que la transition écologique va détériorer la gouvernance, alors que les personnes ayant un diplôme supérieur pensent que la transition écologique ne va rien changer à la gouvernance. Concernant les comportements de vote, on observe que les électeurs de tous les partis, hormis ceux d’Ecolo, pensent qu’elle va réduire la gouvernance, alors que pour ces derniers elle ne va rien changer. 60 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.16 : Conséquences de la transition écologique sur l’«Économie wallonne », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant les conséquences sur l’économie wallonne, on a là aussi un avis général de détérioration par la transition écologique. La comparaison entre profil montre que cela est encore plus vrai pour les personnes ayant un faible niveau de diplôme. En termes d’électorat, on observe de nouveau un avis neutre sur la question de l’électorat Ecolo contrairement à l’électorat des autres partis. Regards statistiques n°11 61 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 6.17 : Conséquences de la transition écologique sur le « Pouvoir d’achat », par profils socio-économiques et par électorat (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la conséquence perçue. Il peut varier de -2 « Une détérioration importante » à +2 « Une amélioration importante ». Concernant a conséquence sur le pouvoir d’achat, il s’agit là du domaine où l’on observe une unanimité quel que soit le profil de la population. Tout le monde pense en effet que la transition écologique va avoir pour effet de détériorer le pouvoir d’achat. On observe en effet des variations d’intensité de la réponse, mais tous perçoivent une détérioration de celui-ci (y compris pour les personnes ayant voté pour Ecolo). 62 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 7. Perception du contexte socio-économique Les récents événements comme la pandémie de Covid-19, les inondations, les épisodes de sècheresse, la guerre en Ukraine, l’inflation, la crise énergétique, l’augmentation des inégalités sociales mettent sous tension nos sociétés et interrogent sur notre capacité à faire face à des enjeux systémiques de plus en plus importants et urgents. Dans cette perspective, il devient crucial de comprendre comment les citoyens et citoyennes perçoivent la situation socio-économique en Belgique, et plus particulièrement en Wallonie. Dans quelle mesure perçoivent-ils ou elles que la cohésion sociale est mise en péril ? Quelles conséquences ces crises successives ont-elles sur leur vie quotidienne ? Dans ce chapitre, nous débuterons par explorer la perception du contexte économique en Belgique et en Wallonie. Ensuite, nous nous pencherons sur la manière dont les citoyens et citoyennes perçoivent les inégalités sociales. Nous analyserons également la façon dont les individus évaluent leur propre situation économique par rapport à autrui. Par la suite, nous étudierons l’impact des crises successives sur le quotidien des citoyens et citoyennes. Enfin, nous évaluerons le niveau global de satisfaction de vie. Regards statistiques n°11 63 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 7.1. PERCEPTION DU CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE BELGE ET WALLON Graphique 7.1 : Évaluation de l’état de l’économie (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes devaient se positionner par rapport à ces deux questions : • De façon générale, comment évaluez-vous l’état de l’économie en Belgique ? (par rapport aux pays limitrophes) (Économie en Belgique) ; • De façon générale, comment évaluez-vous l’état de l’économie en Wallonie ? (par rapport à la Belgique) (Économie en Wallonie). On observe que les citoyens et citoyennes se montrent très majoritairement insatisfaits (66,8 %) de l’état de l’économie en Belgique, pour deux tiers de la population, contre seulement un tiers (33,2 %) de satisfaits. En ce qui concerne l’état de l’économie de la Wallonie, le constat est encore plus sévère avec 81,5 % d’insatisfaits et seulement 19,5 % de satisfaits. 64 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 7.2. PERCEPTION DES INÉGALITÉS SOCIO-ÉCONOMIQUES ET POSITIONNEMENT PERSONNEL Graphique 7.2 : Perception des inégalités socio-économiques (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes devaient se positionner par rapport à ces deux questions : • Selon vous, en Belgique, l’écart de revenu entre les personnes les plus pauvres et les personnes les plus riches est … ? (Perception des inégalités 1) ; • Selon vous, l’écart de revenu entre les personnes les plus pauvres et les plus riches a-t-il diminué ou augmenté, en Belgique, au cours des dix dernières années ? (Perception des inégalités 2). Le constat précédent, qui était sévère sur l’état de l’économie belge et wallonne, est visiblement accompagné de la perception d’un niveau important des inégalités au sein de la société. En effet, 92,1 % de la population juge l’écart de revenus entre les personnes les plus pauvres et les plus riches comme plutôt élevé à très élevé ; seuls 4,9 % de la population le juge « ni faible, ni élevé » et 3,0 % le jugent comme faible. À la question si cet écart a diminué ou augmenté au cours des dix dernières années en Belgique, de nouveau la réponse est sans appel : 88,8 % de la population juge qu’il a augmenté (de « fortement » à « légèrement »), 4,9 % pensent qu’il est identique et 6,3 % pensent qu’il a diminué. Regards statistiques n°11 65 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.3 : Perception présente des inégalités socio-économiques, par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la perception de l’écart de revenu entre les personnes les plus pauvres et les plus riches. Il peut varier de -3 « Très faible » à +3 « Très élevé ». Graphique 7.4 : Perception de l’évolution des inégalités socio-économiques, par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de la perception de l’évolution de l’écart de revenu entre les personnes les plus pauvres et les plus riches. Il peut varier de -3 « Fortement diminué » à +3 « Fortement augmenté ». 66 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Les graphiques 7.3 et 7.4 présentent la perception des inégalités, en reprenant la réponse moyenne à chacun des items précédents (la réponse pouvant varier de -3 « très faible/fortement diminué » à +3 « très élevé/fortement augmenté »). Les analyses révèlent que l’écart entre les pauvres et les riches est largement considéré comme élevé en Belgique, avec une réponse moyenne d’environ 2, ce qui correspond à une perception « élevée ». De plus, cette perception semble être assez consensuelle au sein de la population, comme le montre le graphique 7.3, où elle varie très peu parmi les différents profils. Deux exceptions sont observées : les personnes entre 18 et 24 ans, qui perçoivent légèrement moins d’inégalités, et celles ayant un diplôme du primaire, qui perçoivent également moins d’inégalités. En ce qui concerne l’évolution des inégalités au cours des dix dernières années, les réponses varient davantage selon le profil de la population, mais l’idée d’une augmentation des inégalités reste consensuelle. Comme pour la question précédente, il apparaît que les personnes de 18 à 24 ans et celles ayant un niveau de diplôme « primaire » pensent un peu moins que la population générale que les inégalités ont augmenté. Par ailleurs, un léger effet du revenu est observé, les personnes avec un revenu élevé ayant tendance à percevoir une augmentation des inégalités plus marquée que celles avec un revenu moins élevé. La question qui se pose est donc de quelle manière les personnes réagissent face à ce constat d’inégalités importantes au sein de la société. Éprouvent-elles un certain ressentiment envers celles qui sont plus riches qu’elles ? Ou, au contraire, demeurent-elles malgré tout satisfaites de ce qu’elles possèdent ? Et surtout, dans quelle mesure cette réaction est susceptible de varier selon le profil des individus ? C’est ce qui est exploré dans la suite des résultats. Regards statistiques n°11 67 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.5 : Comparaison de la situation économique personnelle (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes devaient se positionner par rapport à ces deux questions : • De façon générale, quand je pense à ce que d’autres ont par rapport à moi, je me sens « désavantagé » (Situation éco personnelle 1) ; • Quand je compare ce que j’ai avec d’autres, je réalise que je suis plutôt bien (Situation éco personnelle 2). Le constat suivant peut-être fait à partir de ces deux questions sur la comparaison de la situation économique personnelle. Premièrement, contrairement à la perception des inégalités dans la société, la comparaison de sa situation économique personnelle n’est pas aussi négative. En effet, à la question de savoir si les personnes se sentent désavantagées par rapport à ce que d’autres ont, 22,1 % répondent « d’accord », 36,1 % sont « ni d’accord, ni pas d’accord » et 41,7 % ne sont pas d’accord. Le constat est alors assez similaire avec la question : lorsque vous comparez ce que vous avez, par rapport à d’autres, pensez-vous que vous êtes plutôt bien ? Parmi la population ; 16,8 % répondent « pas d’accord », 29,7 % répondent « ni d’accord, ni pas d’accord » et 53,5 % répondent 68 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 « d’accord ». Il y a donc la majorité de la population (41,7 %) qui se sent plus plutôt avantagée ou qui, lorsqu’elle se compare, se sent plutôt bien (53,5 %). Ces résultats mettent en lumière que si les inégalités sociales sont perçues comme très élevées en Wallonie, lorsque les individus évaluent leur propre situation économique par rapport aux autres, ils ne sont pas aussi pessimistes. Il reste qu’environ 20 % de la population pense que sa situation économique personnelle par rapport à d’autres est soit désavantagée soit « pas bien ». La perception favorable de sa situation économique personnelle par rapport aux autres est susceptible de varier selon les caractéristiques socio-économiques des individus montrant par-là que ce « biais » est plus accentué chez certaines catégories de la population par rapport à d’autres. L’analyse qui suit présente donc la réponse à cette question en fonction des caractéristiques socio-économiques des individus. Graphique 7.6 : Comparaison de la situation économique personnelle « désavantagé vs avantagé », par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne des réponses à la question : « De façon générale, quand je pense à ce que d’autres ont par rapport à moi, je me sens désavantagé ». Il peut varier de -2 « Pas du tout d’accord » à +2 « Tout à fait d’accord ». Les résultats de l’indice à partir de la question « par rapport à d’autres je me sens désavantagé » (-2 « tout à fait d’accord », +2 « pas du tout d’accord ») montrent une influence certaine de certains profils de la population. Tout d’abord, précisons qu’il n’y a pas de différence selon le sexe ou la catégorie d’âge. En revanche, on observe un lien fort avec le niveau de revenu (ce qui n’est pas particulièrement surprenant) où plus le revenu est élevé plus les personnes ont tendance à se sentir avantagées. On observe alors aussi un effet du diplôme qui va dans le même sens que celui du revenu. Selon le type de ménage, ce sont les couples avec enfants qui se sentent légèrement plus avantagés que les parents isolés. Au niveau de la zone d’habitation, on observe aussi une différence entre les personnes vivant en zone péri-urbaine ou rurale et celles vivant en zone urbaine qui se sentent moins avantagée. Regards statistiques n°11 69 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.7 : Comparaison de la situation économique personnelle « je réalise que je suis plutôt bien », par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne des réponses à la question : « Quand je compare ce que j’ai avec d’autres, je réalise que je suis plutôt bien. ». Il peut varier de -2 « Pas du tout d’accord » à +2 « Tout à fait d’accord ». Avec l’indice sur la question « se sentir bien » (-2 « pas du tout d’accord », +2 « tout à fait d’accord »), on observe de nouveau un effet du revenu et du diplôme. Concernant les types de ménages, les couples avec ou sans enfants se distinguent en ayant un score supérieur par rapport aux personnes seules ou aux parents isolés. Au niveau de la zone d’habitation, on observe de nouveau une différence en défaveur des personnes vivant en milieu urbain. 7.3. IMPACT DES CRISES SUR LA SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE PERSONNELLE La section suivante examine les répercussions de la crise énergétique et de l’inflation, la crise la plus aiguë au moment de la réalisation de l’enquête, sur la vie quotidienne de la population. Quels sont les impacts de cette crise sur la vie quotidienne, tenant compte que d’autres crises, telles que la pandémie de Covid-19 ou les inondations, avaient probablement déjà perturbé le quotidien de la population dans d’autres domaines ? 70 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.8 : Impact de la crise énergétique et de l’inflation sur le quotidien (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Les participants et participantes devaient se positionner par rapport à la question suivante : Comment évalueriez-vous l’impact que la crise énergétique et l’inflation ont (eu) sur vous, dans les domaines suivants : • Votre manière de chauffer votre habitation (Chauf) ; • Vos vacances (Vac) ; • Votre moral (humeur, anxiété) (Moral) ; • Vos achats de biens (meubles, appareils et ustensiles ménagers, électronique…) (Meubles) ; • Vos achats vestimentaires (Habits) ; • Vos sorties, vos loisirs culturels et sportifs (Loisirs) ; • Vos habitudes alimentaires (Alim) ; • Vos déplacements contraints (se rendre au travail, faire les courses, amener les enfants à l’école…) (Dépla) ; • Votre état de santé (effet direct ou report de soins) (Santé). Il ressort de ces résultats que le domaine que la crise énergétique et l’inflation ont impacté le plus était la manière de chauffer son habitation, pour 81,0 % de la population avec un impact au moins « moyen », et les vacances (69 %). Le moral des personnes est aussi affecté à un niveau comparable (70 %). L’acquisition de biens, l’achat d’habits, les loisirs ou encore l’alimentation sont tous aussi relativement impactés par cette crise. Finalement, l’état de santé est le domaine qui proportionnellement semble un peu moins affecté, mais pour lequel tout de même 55 % de la population évalue l’impact de cette crise comme au moins « moyen ». Face à ce constat d’impact massif dans tous les domaines, la question est donc de savoir dans quelle mesure les différents profils de la population ont été diversement affectés par cette crise. Regards statistiques n°11 71 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.9 : Impact de la crise énergétique et de l’inflation, par profil (2023) (partie 1) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de l’évaluation de l’impact de la crise énergétique et de l’inflation. Il peut varier de 0 « Aucun » à 5 « Très élevé ». 72 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.10 : Impact de la crise énergétique et de l’inflation, par profil (2023) (partie 2) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de l’évaluation de l’impact de la crise énergétique et de l’inflation. Il peut varier de 0 « Aucun » à 5 « Très élevé ». Regards statistiques n°11 73 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 7.11 : Impact de la crise énergétique et de l’inflation, par profil (2023) (partie 3) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de l’évaluation de l’impact de la crise énergétique et de l’inflation. Il peut varier de 0 « Aucun » à 5 « Très élevé ». 74 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 L’analyse par profil a été à nouveau faite en comparant les valeurs moyennes pour chaque profil (l’étendue de l’échelle de l’impact pouvant aller de 0 (« aucun ») à 5 (« très élevé »)). Tout d’abord, il est notable que les réponses par profils ne présentent pas de distinctions significatives en ce qui concerne la manière de chauffer son habitation, indiquant ainsi que l’ensemble de la population a été touché dans ce domaine par cette crise. La première disparité par profil apparaît concernant les vacances, où les personnes ayant le revenu le plus élevé (cinquième quintile) déclarent avoir été moins affectées que les autres personnes (bien qu’il n’y ait pas de différence entre les autres niveaux de revenus). Par ailleurs, on observe que le moral des personnes est graduellement affecté plus le revenu est faible. Dans d’autres domaines, la différenciation selon le revenu des individus est la caractéristique prédominante pour déterminer si une personne se dit impactée ou non. De plus, il est remarquable que le domaine de la santé, initialement perçu comme ayant l’impact le moins important, est en réalité celui où la disparité en fonction du revenu est la plus marquée, suggérant que c’est dans ce domaine que la variation en fonction du revenu est la plus notable. 7.4. SATISFACTION DE VIE Enfin, dans ce contexte perçu comme difficile, la question de la satisfaction globale de vie a été posée. Il s’agit là d’une question standard posée dans de nombreuses enquêtes d’opinion qui aborde la satisfaction de vie. Outre les résultats concernant les réponses de la population globale, nous présentons également comment la satisfaction de vie est influencée par le profil de la population. Graphique 7.12 : Satisfaction de vie (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Regards statistiques n°11 75 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Les participants et participantes devaient se positionner, sur une échelle de 0 à 10, par rapport à la question suivante : • Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre vie actuelle ? Il s’agit d’une question standard posée dans de nombreuses enquêtes portant sur la satisfaction de vie. Les résultats de ces enquêtes montrent généralement que la modalité de réponse la plus fréquente est de 7 ou 8 sur l’échelle de 0 à 10. Par convention, on regroupe alors les personnes répondant de 0 à 5 comme insatisfaites, soit ici 30,5 % de la population, celles répondant 6 ou 7 comme neutres, soit 43,7 %, et celles répondant de 8 à 10 comme satisfaites, soit 25,8 %. Cependant, il s’agit davantage d’une convention, et il est donc plus intéressant d’analyser l’évolution de cet indicateur dans le temps ou de comparer les réponses par profil. Malheureusement, cette question n’a été posée que lors de la dernière vague de l’enquête, ce qui rend impossible l’évaluation de son évolution dans le temps. En revanche, une analyse par profil est possible, et c’est ce qui est réalisé dans la suite. Graphique 7.13 : Indice de satisfaction de vie par profil (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Note : L’indice correspond à la valeur moyenne de satisfaction de vie sur une échelle de 0 à 10. L’analyse par profil de cette question montre que, parmi les facteurs pris en compte ici, il y en a deux qui ont plus d’influence que les autres sur la satisfaction de vie : le niveau de revenu et le niveau de diplôme. Parmi les facteurs liés au type de ménage, on observe que les personnes en couple (avec ou sans enfant) se disent plus satisfaites que les personnes seules ou les parents isolés. On observe enfin aussi un effet lié au lieu d’habitation, à savoir que les personnes vivant en milieu rural ou intermédiaire se disent plus satisfaites que les personnes vivant en milieu urbain. 76 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 8. Les relations sociales Les relations sociales sont essentielles au bon fonctionnement de la société. Elles sont à la base des interactions entre personnes et, à ce titre, figurent comme un des socles du développement des sociétés humaines (Putnam, 2000 ; Putnam et al., 1993). L’importance de celles-ci s’est d’ailleurs fait ressentir de manière aiguë lors de la récente crise de la Covid-19. Dans sa théorisation du capital social, Robert D. Putnam met en avant l’importance des relations sociales pour le développement de valeurs de coopération et de confiance au sein de la société. On peut alors distinguer deux formes d’interactions au sein des relations sociales : les interactions formelles et les interactions informelles. C’est de cette deuxième catégorie qu’il s’agit ici, la première faisant référence aux interactions dans un contexte plus formalisé, par exemple, au sein des associations ou dans le contexte professionnel. Cette partie aborde les interactions informelles au sein des relations sociales à travers trois indicateurs : • la taille du réseau d’amis et amies proches ; • la fréquence des visites rendues (et reçues) aux amis et amies ; • la fréquence des visites rendues (et reçues) à la famille. Dans un premier temps, l’analyse réalisée dans cette partie fait un état de la situation en 2023. Celleci permet de répondre à la question : « Comment la population wallonne se répartit-elle au niveau de la taille du réseau d’amis et amies ou au niveau de la fréquence des visites faites aux amis et amies et à la famille » ? Dans un deuxième temps, l’analyse compare les relations sociales au sein de différents profils de la population (sexe, âge, diplôme, revenu…). Elle vise à répondre à la question : « Quelles sont les catégories de la population pour lesquelles les relations sociales sont moindres/importantes au sein de la population wallonne » ? Enfin, l’analyse compare les relations sociales au cours du temps. Elle vise à répondre à la question : « Comment les relations sociales ontelles évolué au cours du temps ? ». Regards statistiques n°11 77 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 8.1. ÉTAT DES LIEUX DES RELATIONS SOCIALES EN 2023 Graphique 8.1 : En dehors des membres de votre ménage, combien avez-vous d’amis et amies proches, sur qui vous pouvez compter ou à qui vous pouvez vous confier ? (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Au niveau de la taille du réseau d’amis et amies proches, on observe que la part la plus importante de la population (33,2 %), soit une personne sur trois, a entre un et deux amis et amies proches, 27,0 % ont entre deux et quatre amis et amies et 21,6 % ont entre cinq et neuf amis et amies. Seulement 8,6 % de la population a plus de dix amis et amies proches. Et enfin, 9,6 % de la population n’a pas du tout d’ami ou amie. 78 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 8.2 : Concernant vos relations avec vos amis et amies, pouvez-vous dire à quelle fréquence vous passez du temps avec elles ou eux, que ce soit en les invitant chez vous, en allant chez elles ou eux ou à l’extérieur (balade, restaurant, cinéma…) ? (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Concernant les visites aux amis et amies, la fréquence la plus courante au sein de la population est « d’une à plusieurs fois par mois » pour 28,5 % de celle-ci. Cependant, en cumulant les fréquences plus élevées, on observe que 42,3 % de la population rend ou reçoit des visites d’amis et amies à raison d’au moins une fois par semaine. Concernant les fréquences moins élevées, 22,7 % rendent ou reçoivent de visite seulement une à plusieurs fois par an. Et finalement, 6,5 % de la population ne rend ou reçoit jamais de visite. Regards statistiques n°11 79 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 Graphique 8.3 : Concernant vos relations avec votre famille, pouvez-vous dire à quelle fréquence vous passez du temps avec des membres de votre famille qui n’habitent pas dans le même domicile que vous, que ce soit en les invitant chez vous, en allant chez eux ou à l’extérieur (balade, restaurant, cinéma…) ? (2023) Source et calculs : Enquête BSW 2023 IWEPS Au niveau des visites à la famille, la fréquence la plus courante est de l’ordre d’une fois par semaine pour 26,3 % de la population. Si l’on cumule les trois fréquences les plus élevées, on obtient que 52,8 % de la population, soit une personne sur deux, rend ou reçoit des visites à sa famille au moins une fois par semaine. Comme on pouvait s’y attendre, la fréquence des visites à la famille est plus élevée que pour les amis et amies, qui était de 42,3 % pour les visites à raison d’au moins une fois par semaine. Parmi les visites moins fréquentes, 25,1 % rendent ou reçoivent des visites une à plusieurs fois par mois et 16,9 % une ou plusieurs fois par an. Et enfin, 5,2 % de la population ne rend ou reçoit jamais de visite à sa famille (ou qu’elle n’a pas ou plus de famille). 80 Regards statistiques n°11 Le Baromètre social de la Wallonie 2023 8.2. LES RELATIONS SOCIALES PAR PROFILS DE LA POPULATION Dans la partie qui suit, les trois indicateurs (taille du réseau, visite aux amis et amies, visite à la famille) ont été croisés avec les profils de la population suivants : • le sexe ; • l’âge (cinq classes) ; • le diplôme ; • le revenu disponible équivalent – RDE (par quintile) ; • le type de ménage ; • la zone d’habitation. Les résultats ci-dessous ne reprennent que les croisements pour lesquels des différences significatives sont observées. Par exemple, le croisement des relations sociales avec le sexe n’est pas présenté car aucune différence significative n’a été observée entre les femmes et les hommes. Un croisement est jugé significatif lorsque la « p-value » du tableau est inférieure à 0.05. Cela signifie qu’il y a au moins 95 % de chance que la distribution avec croisement ne soit pas identique à celle sans croisement (Total). 8.2.1. L’âge Tableau 8.1 : Nombre d’amis et amies proches par catégorie d’âge (2023) Nombre d’amis et amies Classes d’âges 18 à 24 ans 25 à 44 ans 45 à 64 ans 65 à 79 ans 80 ans et plus Total 0 6,7 % 7,4 % 11,8 % 9,9 % 14,6 % 9,6 % 1 à 2 24,0 % 29,0 % 36,1 % 35,7 % 55,0 % 33,2 % 3 à 4 30,7 % 30,6 % 24,4 % 25,6 % 16,8 % 27,0 % 5 et plus 38,7 % 33,0 % 27,7 % 28,7 % 13,6 % 30,3 % Nombre de répondants 232 584 630 332 89 1 867 Non-réponse 1 5 13 9 3 31 Note : Test du khi carré : p-value
L’ÉMANCIPATION UN MENSUEL SOCIAL L’Émancipation est un journal distribué dans le cadre du festival Rêve Général et de l’exposition En Lutte, Histoires d’émancipation. Cette exposition est accessible tous les jours à La Cité Miroir. Au travers de ce journal, il ne s’agit pas seulement de faire revivre le passé mais bien d’inscrire les combats pour les conquis sociaux dans le temps, selon un mode d’articulation passé, présent et futur. Dans le cadre des élections 2024, nous publions cet exemplaire complémentaire sur les enjeux que constituent la sécurité sociale. LA SÉCURITÉ SOCIALE UN PATRIMOINE SOCIAL À RENFORCER ! « Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais » Ambroise Croizat1 Grâce à la sécurité sociale, nous bénéficions, face aux risques de la vie, d’un réel système de protection. Ce système social n’est pas tombé du ciel, il faut le rappeler, mais résulte de luttes historiques. Issu d’une construction sociale, il n’est pas immuable et peut donc tout à fait faire l’objet d’une déconstruction ou d’une amélioration. Souvent réduite à son aspect technique, la sécurité sociale est mal connue et parfois dévalorisée. Elle correspond pourtant à un projet de société ambitieux qui intègre « le care 2 » au cœur de notre système organisationnel. Une société du « prendre soin » qui part du constat suivant : notre commune vulnérabilité humaine nécessite une prise en charge structurelle à l’échelle de la société. Tout au long de notre vie, nous avons en effet, toutes et tous besoin de soins divers et variés. Ces soins peuvent être considérés comme « vitaux » pour permettre de mener une vie digne. La sécurité sociale énumère à ce titre, un certain nombre de risques et charges contre lesquels elle entend 1 Ministre du Travail de novembre 1945 à mai 1947 dans le Gouvernement Charles de Gaulle, il mit en place le régime général de la sécurité sociale en France. 2 Le care est une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, qui soutient à la vie. protéger les personnes (maladie, vieillesse, parentalité, maladie professionnelle, accident du travail, perte de revenu professionnel). Ces risques, parce qu’ils sont considérés comme une affaire commune et concernent l’ensemble de la société, doivent dans cette perspective faire l’objet d’une prise en charge collective. Il s’agit, via ce système, de sortir ces risques de la sphère marchande pour permettre à chacun de vivre une vie conforme à la dignité humaine. La sécurité sociale, est à ce titre un patrimoine social, véritable outil de solidarité, qu’il convient non seulement de défendre et pourquoi pas d’étendre à d’autres prestations. Un système à renforcer plutôt qu’à affaiblir. La sécurité sociale alimentaire pourrait à cet égard, constituer une nouvelle branche de la sécurité sociale. Le projet de base prévoit que chaque mois, chaque individu reçoive au moins 150 euros de budget alimentaire. Il s’agirait bien d’un droit pour tous respectant un principe d’universalité. Le système serait financé grâce aux cotisations de chaque citoyen·ne. L’idée étant que tout le monde verrait une partie de ses revenus (salaire, chiffre d’affaires, retraite ou chômage, etc.) transformés en cotisations. Le mode de financement est un enjeu crucial puisqu’il déterminera la capacité du dispositif à redistribuer la richesse et à réduire les inégalités sociales. Évidemment, cet aspect, comme les autres, est toujours en réflexion. Les cotisations seraient ensuite versées à des caisses de sécurité sociale gérées démocratiquement à l’échelle locale. Une utopie qui peut devenir concrète… À suivre ! LA SÉCURITÉ SOCIALE : un enjeu électoral en 2024 En juin prochain, nous serons appelé·s à voter pour choisir nos représentant·es à différents niveaux de pouvoir (fédéral-régional-européen). Ces élections revêtent des enjeux cruciaux pour notre sécurité sociale. Un front politique s’organise pour s’attaquer aux piliers de notre système de solidarité. La limitation des allocations de chômage à deux ans sera probablement sur la table des négociations du futur gouvernement fédéral. À l’heure où nous rédigeons ces lignes, la campagne électorale est lancée et les discours dans ce sens vont bon train. Le président de la N-VA, Bart De Wever a déclaré souhaiter, à l’issue des élections, une réforme de l’État qui permette à la Flandre « de retrouver sa prospérité ». Entendons au travers cette déclaration, sa volonté d’acheminer la Belgique vers le confédéralisme et régionaliser la sécurité sociale (ce qui est déjà en marche). Le financement de la sécurité sociale sera sans aucun doute au cœur du futur accord du gouvernement et certains partis ne cachent pas leur volonté de tailler dans les dépenses sociales. Ce journal a pour objectif de rappeler que la sécurité sociale est issue d’une histoire collective, un système de protection qu’il faut réellement préserver au niveau fédéral. Il vise à rappeler que l’État social n’est pas le problème, il est la solution. La sécurité sociale est un système efficace qui fait ses preuves depuis des décennies dans tous les pays où elle existe. Comme suggéré dans ce journal, proposer de l’étendre à l’alimentation ou encore au logement permettrait de sortir d’une posture défensive à son sujet. spécial élections 2024 Notre système de sécurité sociale est le résultat de nombreuses luttes sociales. En réalité, ce système est né pour répondre à l’insécurité matérielle à laquelle était soumise la classe ouvrière au XIXe siècle. À cette époque, en cas de perte de revenus suite à la maladie, l’accident, le chômage ou la vieillesse, aucun revenu de remplacement n’est réellement prévu. Sous l’impulsion du mouvement ouvrier qui s’organise et se structure dès la fin du XIXe siècle, on assite dans l’entre-deux-guerres, à la mise en place d’assurances sociales basées sur la contribution des salariés et de l’État. Ces assurances libres subventionnées sont basées sur le principe de la prévoyance. Elles vont constituer les prémisses de notre sécurité sociale et permettre en cas « d’accident de la vie » de procurer un revenu de remplacement. Ces assurances conquises par des travailleuses et des travailleurs engagés ne sont alors pas encore véritablement structurées dans un ensemble institutionnel cohérent, elles permettent néanmoins de conjurer une certaine forme de vulnérabilité, d’insécurité en cas d’adversité. Au sortir de la guerre, le rapport de force existant permet enfin l’établissement d’un véritable Pacte social. Signé en décembre 1944 par les représentants des syndicats et du patronat réunis clandestinement pendant la guerre, ce pacte revêt la volonté d’un engagement mutuel afin d’améliorer les conditions d’existence de la population et d’offrir de meilleures conditions de vie. Il va permettre d’intégrer institutionnellement la question sociale. Le regard sur le paupérisme change enfin : il n’est plus perçu comme la conséquence d’un comportement individuel désinvolte ou immoral, mais comme un choix politique ainsi qu’une organisation sociale spécifique. Véritable dispositif de justice social, ce pacte va instituer le système d’assurance existant. Toutes les assurances sociales d’avant-guerre deviennent obligatoires en 1944 (pension, chômage, maladie-invalidité, accidents de travail, maladies professionnelles, vacances annuelles). Ce pacte va jeter les bases du développement de ce que l’on nommera plus tard « L’État social ». La sécurité sociale, à côté des services publics et du droit du travail, deviendra l’un des trois piliers sur lesquels va se fonder cet État social. Ce système va permettre une redistribution indirecte des richesses dans le cadre d’une économie de marché en pleine croissance. Tous les mots ont leur importance, La sécurité est dite « sociale », d’une part car les risques qu’elle couvre sont des risques collectifs mais aussi parce qu’elle est à la fois financée par les travailleuses et les travailleurs, le patronat et l’État via les cotisations sociales. L’ensemble des cotisations sont récoltées via L’ONSS qui est chargée de la répartition entre les différentes branches de la sécurité sociale. La sécurité sociale est dès sa création, basée sur le principe de solidarité : chacune et chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit les prestations en fonction de ses besoins. Le budget de la sécurité sociale fait donc l’objet d’une gestion paritaire puisque son financement vient à la fois des travailleurs et du patronat. Le Pacte social de 1944 scelle à cet effet, la reconnaissance d’un acteur social représentatif, le syndicat et d’une méthode de concertation sociale, la négociation collective3 . Les trente glorieuses qui suivent la Seconde Guerre mondiale signent l’âge d’or du développement de la sécurité sociale. La croissance économique exceptionnelle (dans le cadre d’un pays en pleine reconstruction) crée le plein emploi et bénéficie aux travailleurs via les mécanismes de redistribution des richesses mis en place par ce que l’on nomme désormais « l’État Providence ». La sécurité sociale étend petit à petit la couverture des risques et offre ainsi une protection sociale accrue. À partir des années 1980, l’offensive néolibérale va s’attaquer à l’idée même de l’État social. Ce dernier va de plus en plus faire l’objet de critiques et être considéré comme inefficace : les individus tout comme l’État ne seraient pas assez actifs, et il faudrait davantage les activer. Cette idéologie va doucement imprégner la manière d’envisager les politiques sociales. L’État social va se muer en État social actif : « Il résulte que la gouvernance de cette société devrait davantage consister dans le renforcement de l’individu, dans l’accroissement de ses capacités pour qu’il soit apte à affronter la dure loi du nouveau régime du capitalisme dominé par la concurrence, et le faire à partir de la maximisation de son propre potentiel, ou capital humain. Sur ces bases s’opère une recomposition des politiques sociales et des interventions de l’État social, “l’État social actif”, dans le sens de l’activation de l’individu4 . » Concrètement on assistera à partir des années 1990 à une offensive de vaste ampleur contre les protections sociales jugées excessives. Le néolibéralisme va ainsi s’attaquer méthodiquement aux trois piliers de l’État social : en commençant par la privatisation de certains services publics, en dérégulant le droit du travail et en réduisant la couverture et les conditions d’éligibilité à la sécurité sociale : pensions, allocation de chômage et soin de santé. Parallèlement le néolibéralisme opérera une réforme fiscale favorable au capital (baisse des cotisations sociales, baisse de la fiscalité sur les hauts revenus, baisse de la fiscalité sur les bénéfices des sociétés…) une manière de s’attaquer au moyens de financement des politiques sociales. Cette mise en œuvre politique va donc affaiblir notre système social, elle s’accompagnera d’un arsenal idéologique visant à légitimer son détricotage. Les discours visant à décrédibiliser le système affluent dans les médias : « Le système ne serait plus soutenable financièrement, il favoriserait l’assistanat, l’inactivité dans laquelle la social-démocratie, l’État-Providence les a poussés… » Ce type de discours est systématiquement convoqué en période de campagne électorale. 3 « Économie belge de 1945 à 2005, Histoire non écrite », URL : http:// www.econospheres.be/IMG/pdf/Histoire_inedite_de_l_economie_en_Belgique-_De_1945_a_nos_jours-.pdf, Mis en ligne le 20/10/2009, Consulté le 1er juillet 2023, p.2. 4 Castel Robert, préface à La gestion des risques, Éditions de Minuit, 2011, p12. Un système de solidarité issu de luttes sociales État verse Subventions TVA Précompte mobilier Travailleurs cotisent Employeurs cotisent ONSS Of¬ ce national de Sécurité sociale distribue INAMI Institut national d’Assurance Maladie-Invalidité répartit Unions nationales de mutualités CAAMI Syndicat ou CAPAC Caisses de paiement Caisses de paiement Mutualités Béné¬ ciaires ONEM Of¬ ce national de l’emploi répartit ONVA Of¬ ce national des vacances annuelles répartit ONP Of¬ ce national des pensions répartit FMP Fonds des maladies professionnelles répartit FAT Fonds des accidents du travail répartit Bruxelles, 1930, IEV Aujourd’hui 75 % de la population mondiale ne dispose toujours pas d’une protection sociale de base. Lorsque ce système de solidarité n’existe pas, il contraint les personnes à s’assurer individuellement contre des risques via des assurances privées, ce que beaucoup n’ont pas les moyens de faire. Ce système permet de préserver nos droits sociaux et constitue une invention sociale qui va à l’encontre du capitalisme « un outil d’émancipation du salariat géré par les travailleur·euses5 . » La sécurité sociale est la résultante de l’histoire d’un rapport de force, elle est toujours à ce titre au cœur d’enjeux politiques, financiers et sociaux importants aujourd’hui. L’esprit du pacte social : offrir une véritable assurance sociale contre les risques liés au fonctionnement de notre système semble compromis par les tenants du capitalisme pour qui privatiser (soins de santé, système de pension…) constitue potentiellement une source de profit important. Arracher à la logique marchande une série de matière sociale relève pourtant de la raison, la période COVID nous a en effet démontré l’importance d’un système de soin de qualité. Aujourd’hui ce sont bel et bien tous les piliers de la sécurité sociale qui sont attaqués par une logique de marchandisation. 5 Bernard Friot et Christine Jakse, « Une autre histoire de la Sécurité sociale », Le Monde diplomatique, décembre 2015. D’autre part l’idée de régionaliser en partie la sécurité sociale est régulièrement mise à l’agenda des réformes notamment sous la pression du Voka6 . Notons que la sécurité sociale est déjà partiellement régionalisée. Depuis la dernière réforme de l’Etat, les allocations familiales sont ainsi gérées par les régions. Mais d’autres pans de la sécurité sociale sont menacés de régionalisation : le chômage et les soins de santé. Par ailleurs, les réductions des cotisations sociales (tax shift) mais aussi les politiques d’austérité menées par l’État, mettent en péril la viabilité du système. Dans cette logique, les dépenses sont systématiquement adaptées aux recettes. Ces tensions budgétaires se traduisent sur le terrain du soin notamment. Les blouses blanches sortent régulièrement dans la rue pour témoigner des terribles conditions de travail auxquelles elles doivent faire face et des conséquences désastreuses pour les patientes et les patients que ce définancement génère. Se débarrasser des dispositifs de solidarité, faut-il le rappeler, est dangereux pour notre démocratie. Les déclarations politiques qui vont dans ce sens sont inquiétantes et risquent de provoquer une explosion de notre système tout entier en favorisant le repli identitaire et la logique du chacun pour soi. 6 Le VOKA est l’organisation patronale flamande. « La sécurité sociale est devenue infinançable en Belgique ! » La sécurité sociale est financée par 3 biais : • Les cotisations sociales • Le financement alternatif (dont la TVA ou des accises sur les produits nocifs, telles que les cigarettes) • Subvention de l’État Poser la question du financement, c’est surtout s’interroger sur le manque de justice fiscale qui plombe les finances publiques. Une politique de lutte efficace contre l’optimisation fiscale pourrait être mise en œuvre à cet égard. Ces pratiques génèrent une perte de plusieurs milliards d’euros par an qui ne rentrent pas dans les caisses de l’État. Ces mécanismes fiscaux utilisés par les multinationales qui refusent de payer leur part contributive, créent des inégalités sociales importantes. Depuis plusieurs années on assiste à une baisse des cotisations sociales dans la part du financement de la sécuriFinancement alternatif (TVA) 15,7 M€ Cotisations sociales 63 M€ Subventions État 22,2 M€ LE PACTE SOCIAL EXISTE-T-IL ENCORE AUJOURD’HUI ? té sociale. Modifier le financement de la sécurité sociale en diminuant les cotisations prélevées sur les salaires et en compensant cette perte de recette via la TVA est une fausse bonne idée. En effet, financer davantage la sécurité sociale par le biais de la TVA est problématique, cette dernière est une taxe qu’on peut considérer comme injuste. Taxant la consommation, elle concerne d’abord celles et ceux qui consacrent, en proportion, la plus grande part de leurs revenus à ces dépenses plutôt qu’à l’épargne, c’est-à-dire les plus modestes… « Les charges patronales sont trop importantes, cela constitue un coût du travail trop important et un frein à l’embauche ! » Les cotisations sociales ont fait l’objet de réductions ces dernières années. Les cotisations des employeuses et des employeurs, avant le tax shift s’élevaient à 32,5 % du salaire brut. Après le tax shift (2018) 25 % du salaire brut. Ensuite, il n’est pas neutre que soient présentés comme des charges, des versements qui sont en réalité des cotisations versées par les employeurs (mais aussi par les personnes salariées) aux organismes de protection sociale. Or ces cotisations sociales constituent bel et bien une partie de notre salaire. C’est ce que l’on appelle un salaire différé qui est perçu lors des différents remboursements que nous octroie la sécurité sociale. Lorsque l’on baisse les cotisations patronales, on baisse donc en réalité notre salaire. L’idée selon laquelle les cotisations sociales sont la cause principale du chômage de masse, et que la lutte contre celui-ci passe nécessairement par leur baisse est très relative. L’abaissement des cotisations serait ainsi un moyen magique de réduire le coût du travail sans diminuer le revenu disponible des salariés. Pourtant « lorsque le gouvernement accorde des baisses de cotisations sociales ou d’impôt aux entreprises, rien ne prouve que ces dernières vont engager des travailleuses et des travailleurs en retour. Tout dépendra si leur carnet de commandes l’exige ou pas. Ce qui est par contre certain, c’est que ces réductions fiscales ou de cotisations vont mettre à mal le budget de l’État et celui de la sécurité sociale et donc le financement de l’emploi public. Nous ne sommes donc pas ici devant la création d’emplois, mais plutôt face à un phénomène de substitution de l’emploi privé à l’emploi public7 . » 7 Cédric Leterme, « Déconstruire les théories du chômage et les politiques de l’emploi en Belgique » avril 2019, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/Deconstruire-les-theories-du-chomage-et-les-politiques-de-l-emploi-en-Belgique. QUELQUES IDÉES REÇUES SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE Tous ces éléments attestent bien de l’idée selon laquelle l’État et une partie du patronat ont rompu avec l’esprit du Pacte social tel qu’il avait été plébiscité en 1944. Il ne s’agit évidemment pas ici de défendre l’idée de conserver le Pacte social de 1944 tel quel mais d’en retrouver l’esprit initial tout en tenant compte des défis que requiert son actualisation : la protection sociale dans la soutenabilité écologique et l’intégration des limites structurelles liées aux dimensions de genre et de race (particulièrement dans le secteur du care où les femmes et personnes racisées accomplissent un travail souvent mal rémunéré). Les élections approchent et la sécurité sociale sera au cœur des débats de société. Soulignons néanmoins qu’aucune des grandes conquêtes sociales (abolition de l’esclavage, fin de la colonisation, sécurité sociale, droits des femmes…) n’a été obtenue grâce au seul courage politique. Elles ont toutes été le fruit de luttes populaires qui ont permis de modifier le rapport de force en faveur des populations. Une véritable reconquête idéologique doit déconstruire les discours qui imprègnent nos idées reçues concernant notre sécurité sociale. Et ce, dans l’optique d’organiser la lutte pour renforcer politiquement notre modèle social. Dessin de Titom issu de « Dette sociale » : de quoi parle-t-on ? 14 février 2020, par Anouk Renaud, https://www.cadtm.org/Dette-sociale-de-quoi-parle-t-on STOP STOP Une publication de l’asbl Centre d’Action Laïque de la Province de Liège Dans le cadre de la campagne d’éducation permanente « Solde insuffisant, le choix de qui ? » Éditrice responsable : Véronique LIMÈRE, présidente Bd de la Sauvenière 33-35 – 4000 LIEGE Tél. 04 232 70 40 – Fax : 04 222 27 74 Courriel : info@calliege.be Site : www.calliege.be L’asbl Centre d’Action Laïque de la Province de Liège remercie l’ensemble des personnes qui ont contribué à cette réalisation, ainsi que l’imprimerie Vervinckt pour l’impression. Pour tous renseignements : service Solidarité Audrey Taets, coordinatrice – tél. 04 232 70 58 Cassandra Machi, déléguée – tél. 04 250 99 57 Courriel : solidarite@calliege.be « Les personnes bénéficiant d’allocations de chômage seraient des profiteuses… » sonnes en invalidité sont parfois stigmatisé·es et présenté·es comme des individus profitant du système, paresseux, dépendants, magouilleurs… Derrière ces représentations peu nuancées, il y a surtout une analyse politique qui ne date pas d’hier et qui est à nouveau très en vogue : convoquer la responsabilité individuelle pour expliquer le statut social de la personne, son état de précarité ou les difficultés auxquelles elle doit faire face. Cette grille d’analyse, invisibilise totalement l’environnement social, économique qui influe directement samment autonomes et valides pour envisager l’allongement des carrières. Or, ce n’est pas garanti, comme le démontre l’indice de l’espérance de vie « en bonne santé ». En 2020, l’espérance de vie en bonne santé s’élevait à 63,8 ans en Belgique10. Le financement des pensions relève avant tout d’un choix politique et de la manière dont on considère la vieillesse 10 https://indicators.be/fr/i/G03_HLY/Esp%C3%A9rance_de_vie_en_ bonne_sante « On vit plus vieux, il faut donc travailler plus longtemps ! » « Si l’espérance de vie augmente, l’âge légal de la pension devra aussi augmenter », déclarait Bart De Wever en mai 2019. Le principe évoqué par Bart De Wever semble simple : puisqu’on vit plus longtemps, il faudrait donc être actif plus longtemps. Dans le cas contraire, les pensions deviendraient impayables et ce modèle est décrit comme insoutenable à moyen terme. Il faut néanmoins nuancer ce propos. Indexer l’âge de la pension sur l’espérance de vie se base sur l’idée que l’augmentation de l’espérance de vie bénéficie de manière égalitaire à l’ensemble de la population, or il existe bien en la matière de fortes disparités dûes notamment aux déterminismes sociaux de la santé. « Le constat est sans appel : la proportion d’hommes qui n’atteignent pas 67 ans est deux fois plus élevée parmi les personnes les plus précarisées (26,9%) en comparaison des plus riches (13,1%). Appliquer à tous un relèvement de l’âge légal de la pension en se basant sur une moyenne d’espérance de vie nie ainsi l’existence des inégalités sociales de santé pourtant largement documentées, avec pour conséquence qu’un nombre important de personnes précarisées décèdera avant même de pouvoir accéder à une pension pour laquelle elles ont pourtant cotisé pendant toute leur vie8 . » D’autre part rien ne garantit que la moyenne de l’espérance de vie continue à augmenter, elle a d’ailleurs plutôt tendance à stagner9 . Enfin, si les gens vivent en moyenne plus longtemps qu’auparavant, encore faut-il qu’ils puissent rester suffi8 Leila Laron, François Perl, Jérôme Vrancken, « Inégalités sociales de santé et relèvement de l’âge de la pension », https://www.institut-solidaris.be/ index.php/etudes/personnes-agees/relevement-age-pension, 2023. 9 Ibid. 59,8 46,6 74,2 80,9 81,9 82,7 83,1 83,1 84,0 43,5 56,0 67,8 74,6 76,2 77,4 78,5 78,5 79,2 1885 1930 1970 2000 2005 2010 2015 2020 1970 Hommes Femmes dans notre société. Il serait donc utile de rouvrir le débat sur la réforme des pensions en tenant compte de la pénibilité des métiers ainsi que des inégalités sociales en matière de santé… Lectrrr sur les possibilités et choix de vie des personnes. Elle place toute la responsabilité sur les épaules des individus en difficulté sans s’interroger sur notre organisation sociale et les conséquences que cette organisation génère. STOP STOP Les idées moralisatrices sur la pauvreté ont jalonné l’Histoire et généré en regard, des réponses politiques spécifiques. Les chômeuses et chômeurs ou les per-
Accueil / Droits / Santé / Accompagnements / Jeunesse Éditeur responsable : Maison Arc-en-Ciel de Verviers – Ensemble Autrement ASBL Rue Xhavée 21 – 4800 Verviers +32 495 13 00 26 – contact@ensembleautrement.be – https://www.ensembleautrement.be Date de publication : Décembre 2022 Crédits : Rédaction : Bovy Jonathan Clerckx Antoine Collard Siméon Hardenne Vinciane Renard Sasha Illustrations : Fédération Prisme (via la plateforme PraTIQ.be) Célestin Eléonore Verbessem Relecture : Brasseur Sabrina Defaut Nathéo (pour l’asbl Face à toi-même) Delmée Clint Drigo Justine Fievez Déborah Montes Anaïs Poidlin Emilie Graphismes et mise en page : Gany Mélissa Brasseur Sabrina Maison Arc-en-Ciel de Verviers – Ensemble Autrement ASBL Accueil / Droits / Santé / Accompagnements / Jeunesse 5 Introduction ………………………………………………………………………………………………………………. p. 6 Lexique ……………………………………………………………………………………………………………………… p. 7 Concepts importants (Schéma) …………………………………………………………………………………… p. 13 Idées reçues ……………………………………………………………………………………………………………… p. 17 Comment faire son coming out ? ………………………………………………………………………………… p. 21 Conseils pour les proches ………………………………………………………………………………………….. p. 25 Conseils pour les professionnel·le·s ……………………………………………………………………………. p. 29 Législation ………………………………………………………………………………………………………………… p. 31 Santé ……………………………………………………………………………………………………………………….. p. 35 TH masculinisant ………………………………………………………………………………………………….. p. 36 TH féminisant ………………………………………………………………………………………………………. p. 39 Chirurgies ……………………………………………………………………………………………………………. p. 41 Epilations définitives …………………………………………………………………………………………….. p. 44 Santé sexuelle ……………………………………………………………………………………………………… p. 45 Jeunesse trans …………………………………………………………………………………………………………… p. 49 Contacts utiles …………………………………………………………………………………………………………… p. 51 6 La Maison Arc-en-Ciel de Verviers « Ensemble Autrement » est une association active en Province de Liège depuis 2013. Nos missions consistent en l’accueil et l’accompagnement des personnes Lesbiennes, Gays, Bisexuel·le·s, Transgenres, Queers, Intersexes, Autres. Il existe en effet de multiples façons de vivre, de ressentir et de définir ou pas, son/ses identité·s de genre ainsi que son/ses orientation·s sexuelle·s, c’est pourquoi il est important de respecter ce que l’on nomme le droit à l’auto-définition. C’est-à-dire que toute personne a le droit de se dire et de se définir selon son ressenti et sa zone de confort. Ces concepts peuvent sembler complexes à appréhender, c’est la raison pour laquelle, dans le cadre de nos missions, nous proposons à la fois, un accueil et un accompagnement, des groupes de paroles pour le public LGBTQI+ ainsi que leurs proches (famille, amis, conjoint, etc.) mais également des séances de sensibilisation, des animations et des formations à destination des professionnel·le·s. En effet, il nous arrive aussi d’être sollicités par des intervenants sociaux et pédagogiques qui cherchent à s’informer davantage sur nos thématiques afin de proposer un meilleur accompagnement à leurs usager·ère·s. Dans ce cadre, nous avons souhaité réaliser cette brochure d’informations avec un focus sur la thématique Trans*, qui nous semble encore, à l’heure actuelle, méconnue. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous vous proposons de redéfinir l’acronyme LGBTQIA+ et ensuite, de parcourir un vocabulaire spécifique à la thématique T, via le lexique qui se trouve sur la page suivante. 7 Lexique spécifique à l’acronyme LGBTQIA+ Queer Mot anglais signifiant « étrange », « peu commun », « bizarre » ou « tordu ». Il désigne toute personne qui ne s’identifie pas aux normes ayant trait au genre ou à l’orientation sexuelle ou romantique, sans s’enfermer dans une catégorie plus précise. Le terme exprime également une position plus politique liée au refus d’accepter que la société assigne un rôle à la naissance. Par exemple, une femme peut se définir comme cisgenre hétérosexuelle et refuser d’avoir des enfants, faire des travaux dits « masculins », ne pas vouloir se marier, prendre la parole en public avec aisance, être ambitieuse, pouvoir tenir tête à un homme, faire un sport de combat, ne pas être « féminine » … Cette femme pourtant cis hétéro pourrait, selon son droit à l’autoUne personne transgenre est une personne dont l’identité de genre n’est pas en adéquation avec le genre assigné à la naissance (par le sexe biologique). Il s’agit d’un terme coupole, incluant une pluralité d’identités de genre, en fonction de l’autodéfinition de chaque personne. Le terme Trans* peut aussi être utilisé afin d’inclure l’ensemble des groupes se définissant comme transgenre. A contrario le terme « cisgenre » désigne une personne dont l’identité de genre est en adéquation avec le genre assigné à la naissance (par le sexe biologique). Transgenre Selon le droit à l’autodéfinition, bisexuel·le désigne une personne dont le désir sexuel et/ou sentimental est orienté à la fois vers des personnes appartenant au même sexe/ genre mais aussi vers des personnes appartenant à un sexe/genre différent du sien. Bisexuel·le Selon le droit à l’autodéfinition, gay, désigne un homme (Cis* ou Trans*) homosexuel. Il s’agit d’un homme dont le désir est orienté exclusivement vers des personnes appartenant au même sexe/genre. Un gay est un homme qui est affectivement et/ou sexuellement attiré par d’autres hommes (Cis* ou Trans*). Gay Selon le droit à l’autodéfinition, lesbienne, désigne une femme (Cis* ou Trans*) homosexuelle. Il s’agit d’une femme dont le désir est orienté exclusivement vers des personnes appartenant au même sexe/genre. Une lesbienne est une femme qui est affectivement et/ou sexuellement attirée par d’autres femmes (Cis* ou Trans*). L esbienne 8 Désigne toute personne présentant des caractéristiques sexuelles qui, en raison d’une large gamme de variations génétiques naturelles, ne correspondent pas à la définition classique de type (ou phénotype) mâle ou femelle, notamment en ce qui concerne l’anatomie sexuelle, les organes reproducteurs internes ou externes, la structure et/ou le nombre des chromosomes sexuels, les hormones, la répartition des graisses, la pilosité … Ces variations naturelles peuvent être présentes à la naissance ou encore apparaître plus tard durant la croissance, notamment lors de la puberté. Certaines de ces variations ne sont pas forcément visibles, ce qui implique que parfois, elles peuvent, par exemple, être détectées à l’âge adulte à l’occasion d’une recherche en cas de stérilité, lors d’une opération, ou encore, ne jamais être détectées. Il existe plusieurs dizaines de formes d’intersexuations différentes. La proportion de la population présentant des caractères intersexués est estimée à 1,7 %. En majorité, les différentes formes d’intersexuations n’entraînent pas de problème de santé. Les intersexuations ne sont pas des maladies. Dyadique (antonyme d’intersexe) : Terme utilisé pour désigner toute personne n’étant pas intersexe. Attention: Intersexe, à ne pas confondre avec hermaphrodisme En effet, le terme « hermaphrodisme », employé par la médecine à partir de la fin du XIX° siècle est biologiquement erroné : les personnes intersexes ne sont pas des êtres mi-mâle, mi-femelle avec un double appareil génital fonctionnel.¹ ¹ Genres Pluriels(2017), “Visibilité Intersexe, informa�ons de base”, BXL. I ntersexe ou intersexué·e définition, se reconnaître aussi dans le terme Queer. Queer est donc un mouvement politique contre les rôles, la binarité et l’influence du patriarcat. Ce terme pourrait aisément faire office de terme coupole au LGBTIA+. L’appellation Queer qui convoque l’extravagance, le hors-norme, a longtemps été une injure homophobe avant que les militants américains du mouvement homosexuel, au début des années 1990, ne s’approprient ce terme pour se désigner eux-mêmes, et lui attribuent une connotation positive. Renvoie à une personne qui ne s’identifie à aucun genre. Agenre Désigne toute personne qui ne ressent pas d’attirance sexuelle pour autrui, indépendamment de son orientation émotionnelle ou romantique. Asexuel·le 9 Désigne toute personne qui ne ressent pas d’attirance romantique/émotionnelle pour autrui, indépendamment de son orientation sexuelle. Aromantique Selon le droit à l’autodéfinition, n’importe quelle autre définition dans laquelle la personne se reconnaitrait et ressentirait du confort, est, de ce fait, légitime. + Mais aussi : Acomme autre … Lexique spécifique à la thématique T Fait référence à une construction socioculturelle de rôles considérés par le collectif comme masculin ou féminin. Ceux-ci influencent nos représentations et nos rapports sociaux. Il peut évoluer à travers le temps et l’environnement. En d’autres mots, par « genre » on entend la construction socioculturelle des rôles masculins et féminins attendus par la société, ce qui implique, des rapports hiérarchiques entre les hommes et les femmes. Alors que « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques, être né(e) homme (mâle) ou femme (femelle), le genre décrit des fonctions sociales (masculinité/féminité) assimilées et inculquées culturellement. Genre Renvoie au genre auquel une personne s’identifie, qu’il corresponde ou pas à son genre assigné à la naissance. Autrement dit, certaines personnes peuvent se sentir « homme/ masculin », « femme/féminin », d’un genre plus fluide ou en dehors des normes binaires² en fonction du moment, des espaces et indépendamment du sexe biologique « mâle », « femelle ». Identité de genre Pour certaines personnes, l’expression de genre désigne les différentes manières d’exprimer le ou les genres auxquel·s iels s’identifient (attitude, habillement, posture, coiffure, manière de parler, …) et la perception qu’ont les autres de celles-ci. Pour d’autres, l’expression de genre peut ne pas coïncider avec le ou les genres auxquels iels s’identifient. Exemple: une personne peut s’identifier comme “homme/ masculin” et porter des vêtements, accessoires dits “féminins” (jupe, maquillage, …) tout comme une personne peut s’identifier comme “femme” et porter, par exemple, une barbe. Expression de genre ² vision manichéenne qui tend à penser et expliquer qu’il n’existe que deux pôles et absolument rien entre les deux. 10 Se dit d’une personne qui n’est pas trans, c’est à dire, dont l’identité de genre correspond à son genre assigné à la naissance. Exemple: un bébé nait avec une vulve, il sera donc assigné non pas femelle mais fille, femme avec une attente de rôle féminin (genre). En grandissant cette petite fille est en accord avec cette assignation, selon son droit à l’autodéfinition, elle pourrait se définir comme une personne cis(genre). Étymologiquement, cis=en deçà, trans=au-delà. Cisgenre est donc l’antonyme de transgenre. Cisgenre Se dit d’une personne dont l’identité de genre est différente du genre qui lui a été assigné à la naissance. Exemple, un bébé nait avec une vulve, il sera donc assigné non pas femelle mais fille, femme avec une attente de rôles féminins (genre). En grandissant cet enfant ne se reconnaît pas dans cette assignation, selon son droit à l’autodéfinition, iel pourrait se définir comme une personne trans(genre). Transgenre Terme parapluie regroupant toutes les identités de genre qu’on ne peut pas qualifier de cisgenre. Transidentité(s) Se dit d’une personne qui n’identifie pas son genre comme faisant partie de la binarité homme/femme. En effet, le genre peut être représenté comme un continuum ou un spectre plutôt que simplement deux cases. Certaines personnes se définissent comme agenre, donc comme n’ayant aucun genre en particulier. D’autres s’identifient comme bigenres (des 2 genres) ou de genre fluide (c’est-à-dire qu’elles peuvent se trouver à différents endroits du continuum de genre en fonction du moment et/ou de l’environnement). Il y a une multitude d’autres termes définissant des identités de genre, ce qui est logique selon le principe d’autodéfinition. Non-binaire Attitude négative manifestée à l’égard des personnes trans, menant au rejet et à la discrimination. Les discriminations peuvent se montrer sous différentes formes : violence verbale, violence physique, discrimination à l’embauche ou au logement, mais aussi, parfois, de façon institutionnalisées comme par exemple : la binarité des documents administratifs, le remboursement des soins de santé, la langue française … Transphobie Terme utilisé pour désigner tout ce qui est mis en place par une personne trans pour se rapprocher de son point de confort et ainsi être en accord avec son identité de genre. On parle souvent de transition sociale et de transition médicale. Notons que chaque transition est différente et qu’il n’y a pas de marche spécifique à suivre concernant ses propres choix, il n’existe donc pas de parcours type. Transition En d’autres mots, le genre ne fait pas forcément l’expression de genre tout comme l’expression de genre ne fait pas forcément le genre. Dans les deux cas, il convient de respecter les personnes, rappelez-vous toujours du droit à l’autodéfinition. 11 Représentation mentale d’un point ou d’une zone à atteindre afin d’être à l’aise physiquement et mentalement. Exemple: changer de coupe de cheveux, changer de garde-robe, effectuer une chirurgie, changer de prénom (officiellement ou non), changer le marqueur de genre sur la carte d’identité, utiliser d’autres pronoms, entamer un traitement hormonal, … Ce terme s’applique souvent aux personnes trans mais peut également s’appliquer aux personnes cis. Exemples : une personne qui est extrêmement mal à l’aise avec son nez et souhaiterait le faire refaire, une personne qui se fait faire une chirurgie bariatrique (sleeve, by pass), une augmentation mammaire, … Point de confort Action de mégenrer quelqu’un, c’est-à-dire de ne pas utiliser et donc de ne pas respecter le prénom ou les pronoms auxquels la personne s’identifie. Exemple : un ami vous demande de le genrer au masculin et vous utilisez le féminin quand vous vous adressez à lui. Mégenrer une personne n’est pas forcément volontaire voire malveillant, cela peut être une maladresse (vous avez genré une personne pendant des années au féminin, il n’est pas toujours facile de parler de lui au masculin). Sachez néanmoins que la redondance du mégenrage peut s’avérer blessante. En effet, si la personne vous reprend de manière agressive, il ne faut pas le prendre personnellement, pensez que vous êtes peut-être la énième personne à le faire sur la même journée. Genrer une personne selon sa demande est une marque de respect, si la personne n’est pas présente quand vous parlez d’elle il convient de la genrer correctement aussi. Idem si vous évoquez des souvenirs communs du passé, il convient d’utiliser le prénom/pronoms actuels. Mégenrage Termes anciennement utilisés à la place de « transgenre » et « transidentité ». Ces mots sont de moins en moins utilisés car issus de la psychiatrie. La psychiatrisation des personnes trans peut nuire grandement, empêchant leur inclusion dans la société, freinant la transition et l’estime de soi, … Certaines personnes trans continuent de les utiliser et se les réapproprient, en lien avec le droit à l’autodéfinition. Il est tout de même déconseillé aux personnes cis d’utiliser ces mots, le plus simple reste donc d’utiliser le terme “Trans*”. Ces termes mènent aussi à la confusion entre transidentité et orientation sexuelle. Il s’agit pourtant de deux dimensions distinctes. Notons également qu’il est souvent dit que le terme « transexuel·le » a un sens différent de « transgenre » car il désignerait les personnes qui ont eu recours à une chirurgie génitale : ce n’est pas le cas. Transsexuel·le, transsexualité, transsexualisme Terme également issu de la psychiatrie, « diagnostic » de la transidentité. Son utilisation est donc aussi controversée, un terme-diagnostique renforçant l’idée que les personnes trans souffrent d’une maladie mentale. Cependant, les termes « dysphorie », « dysphorique » restent utilisés au quotidien par beaucoup de personnes trans pour exprimer le sentiment de mal-être ou d’inconfort par rapport à leur corps ou leur identité. Son intensité diffère d’une personne à l’autre et peut évoluer à travers le temps. Cependant, toutes les personnes Trans* ne sont pas touchées par la dysphorie. Si souffrance il y a, questionnons-nous sur le système, sur certaines inégalités et discriminations, que vivent certaines minorités. Dysphorie de genre 12 Terme qualifiant un sentiment de bien-être ou de confort d’être respecté·e dans son genre ou d’être capable d’exprimer son genre comme on en a besoin (qui comme la dysphorie de genre peut être d’intensité variable, concerner divers éléments et fluctuer dans le temps). Par exemple, on peut ressentir de l’euphorie de genre lorsqu’on met un vêtement qui nous correspond. ³ Euphorie de genre Ce terme, dans le cadre des identités de genre, signifie « passer pour » cisgenre, idée selon laquelle la personne trans ne ressemble pas à une personne trans. Cette expression est utilisée par les personnes concernées (ex: “Aujourd’hui j’ai un mauvais passing, on m’a mégenré plusieurs fois !”) mais il faut faire attention à son utilisation. Effectivement tout le monde est différent et il n’y a pas de “physique trans”, certaines personnes bannissent ce terme et d’autres l’utilisent. Dans le doute il vaut mieux complimenter ou souligner un aspect en particulier plutôt que de souligner son passing (ex à un homme Trans* : “Oh tu as la barbe qui pousse !” ou à une femme trans : “Ta voix s’est fort féminisée ces derniers temps non ?”) Passing Le « coming out » est un terme issu de l’expression anglaise « to come out the closet » (sortir du placard) qui désigne le fait de révéler son homosexualité/sa bisexualité, sa transidentité ou encore son statut sérologique. La plupart du temps, il s’agit d’un processus qui se fait par étapes plus ou moins longues, à la fois intérieures (prise de conscience, acceptation de soi) et extérieures (ouverture progressive vers l’entourage). Le coming out est répétitif et représente à chaque fois une forme de prise de risque. Coming-out Un outing se définit par le fait de dévoiler l’identité de genre, l’orientation sexuelle ou le statut sérologique d’une personne, sans son accord. Cela peut être maladroit ou malveillant mais dans les deux cas, cela peut avoir de graves conséquences sur la personne : risque de rejet ou d’agression par exemple. Le outing est punissable par la loi car cela ressort de la vie privée de l’individu concerné.⁴ Outing ³ Source : h�ps://lavieenqueer.wordpress.com/2018/05/01/leuphorie-de-genre/ ⁴ Ce droit à la vie privé est contenu dans l’ar�cle 8 de la conven�on européenne des droits de l’homme, et les ar�cles 22 et 22bis de la cons�tu�on et dans les Principes de Yogyakarta 13 Le schéma ci-dessous, permet deux grilles de lecture : Un focus sur la différenciation entre attirance sexuelle, attirance romantique, genre (identité de genre), expression de genre, sexe assigné à la naissance et assignation de genre. Un focus sur la manière d’appréhender tous ces concepts d’une façon non figée et non binaire via les différents continuums. 1. 2. 14 orientation sexuelle – l’attirance physique et sexuelle que vous éprouvez pour autrui, avec ou sans sentiments amoureux ; orientation romantique – les sentiments amoureux ressentis pour autrui, avec ou sans attirance sexuelle ; genre – c’est l’identité à laquelle vous vous identifiez, c’est quelque chose de personnel, un ressenti orienté vers vous-même ; expression de genre – c’est lié à votre image, votre enveloppe, ce que les autres perçoivent de vous au premier coup d’œil ; sexe assigné à la naissance – ce sont vos organes génitaux externes, ce qui détermine au premier coup d’œil à la naissance que vous êtes mâle, femelle ou inter ; assignation de genre – c’est via l’étoile mauve que vous est assigné un genre (vulve = femme/féminin, pénis=homme/masculin, Inter*= réassignation chirurgicale pour ressembler soit à une vulve soit à un pénis). 1. Différentiation des différents concepts La norme hétéro/Cis* tend à ce que toutes ces notions soient liées et interconnectées, par défaut. Autrement dit, à titre d’exemple, naître avec un pénis engendre le postulat de l’acceptation du genre masculin (cisidentité), des rôles qui en découlent et d’une attirance automatiquement dirigée vers les femmes (hétérosexualité). Ce schéma est tout à fait légitime pour les personnes qui le ressentent de manière intrinsèque mais n’oublions pas que pour d’autres, ce schéma normatif pourrait être le résultat de la pression de conformité. Il existe une multitude de chemins, de trajectoires possibles, en dehors de ce qui est considéré par la société comme étant LA norme hétéro/Cis*. Elles sont TOUTES légitimes. Ce sont des réalités complexes. De ce fait, il faut différencier sexe (biologique), genre (construction socio-culturelle) et sexualité (attirance, acte). Quelques exemples : – Le sexe biologique ne fait pas forcément le genre ; on peut naître avec un pénis qui engendrerait, selon la norme, une attente de rôles masculins et ne pas être en adéquation avec cette assignation. La personne pourrait dès lors entamer une transition dite “féminisante”, s’identifier comme femme et malgré tout garder son pénis. – Le sexe biologique ne fait pas forcément l’orientation sexuelle ; on peut naître avec une vulve/vagin qui engendrerait, selon la norme, une attirance sexuelle vers les hommes (hétérosexualité). La personne pourrait pourtant aimer les femmes (homosexualité). – L’expression de genre ne fait pas forcément le genre ; on peut avoir une expression de genre dite féminine et pourtant ne pas s’identifier comme tel. – … tout est possible selon le droit à l’autodéfinition et le ressenti … 15 2. Les continuums Que ce soit au niveau des orientations sexuelles, des orientations romantiques, des identités de genre ou encore, des expressions de genre, rien n’est forcément figé dans le temps. En effet, le curseur de certaines personnes restera figé durant toute leur vie sur les différents continuums parce que cela correspond à leurs ressentis ou encore par pression de conformité. Pour d’autres, ce curseur évoluera selon le ressenti et les expériences. Prenons quelques exemples : Ex. 1 : Un homme pourrait très bien, durant les premières années de sa vie affective et sexuelle, ressentir une attirance uniquement envers les femmes, ses curseurs pourraient être placés comme suit : Après quelques années, son attirance pour les hommes pourrait évoluer sans pour autant que cela ne change son attirance pour les femmes. Ex. 2 : Une femme pourrait très bien durant une certaine période de sa vie être attirée sexuellement par les hommes et les femmes avec une petite préférence pour les hommes. Elle pourrait en même temps avoir une attirance romantique pour les hommes et les femmes avec une petite préférence pour les hommes. Voici ses curseurs à ce moment T de sa vie : Quelque années plus tard, selon ses ressentis, ses expériences,… ses curseurs pourraient évoluer. Elle pourrait donc très bien à un autre moment T de sa vie n’être attirée sexuellement que par les femmes et que romantiquement par les hommes : 16 Ex. 3 : Un jeune garçon pourrait très bien ressentir une part de féminité plus importante que sa masculinité … Ex. 4 : Un homme pourrait très bien ressentir plus de confort dans des codes vestimentaires, des attitudes, des façons de parler ou de se coiffer dits « masculins ». Il pourrait à un autre moment T de sa vie utiliser les codes dits « masculins » et « féminins » simultanément; porter les cheveux longs, se maquiller les yeux, mettre du vernis à ongles et porter la barbe, avoir une attitude et des comportements dits « masculins ». Quelques temps plus tard, il pourrait se questionner, évoluer et se ressentir pleinement en adéquation avec le genre féminin, se reconnaître dans le terme Trans*, et entamer une transition dite « féminisante ». ATTENTION : Un homme peut tout à fait ressentir une part de féminité et ne pas s’identifier comme Trans* , idem pour les femmes. 17 La transidentité n’a pas de lien direct avec l’orientation sexuelle/la sexualité, mais bien avec l’identité de genre. Il n’y a pas plus de suppositions à faire sur la sexualité d’une personne trans que sur celle d’une personne cis. Il s’agit d’une dimension qui est propre à chacun·e et qui ne regarde que soi. Par exemple : Une femme Trans* peut être bi, un homme Trans* peut être gay, une personne non-binaire peut aimer uniquement les femmes, etc. Transidentité = sexualité Il arrive parfois qu’il y ait confusion entre les deux (“vous êtes des deux sexes?”). Certaines personnes trans sont intersexes, mais cela ne veut pas dire pour autant que c’est toujours le cas ; la transidentité n’implique pas l’intersexuation et l’intersexuation n’implique pas la transidentité (Plus d’infos sur l’intersexuation dans le lexique et sur https://cia-oiifrance.org/) Rappelons que la transidentité correspond au ressenti lié à son genre. L’intersexuation touche à une réalité biologique. Une personne cisgenre peut également être intersexe. Transidentité = intersexuation Cette idée reçue est souvent accompagnée de l’expression “changer de sexe”. Celle-ci est parfois critiquée : une partie des personnes trans la rejettent parce que cela ne correspond pas à la définition qu’elles ont de leur transition, en effet, transitionner ne veut pas forcément dire ”changer de sexe” ; d’autres au contraire décident de l’utiliser, selon leur droit à l’autodéfinition. Dans tous les cas, nous nous devons de respecter la définition que la personne a de sa transition. Cette expression est donc à manier avec précaution. En conclusion, de nombreuses personnes trans ne souhaitent pas entamer une transition médicale et plus encore ne souhaitent pas avoir recours à une chirurgie génitale. Il existe une pluralité dans les parcours trans et chaque vécu est légitime. Chaque étape est différente et les personnes Trans* choisissent de s’arrêter là où elles atteignent leur point de confort. Notez que questionner une personne trans sur ce sujet est intrusif et irrespectueux. D’une part, cela touche à l’intimité et d’autre part, cela amène une vision réductrice de l’identité qui se verrait légitimée uniquement via ce qu’elle a entre les jambes. Questionnez-vous : est-il institué de questionner n’importe quel quidam sur ses parties intimes ? Toutes les personnes trans ont eu/veulent une chirurgie génitale. De nombreuses personnes ne se retrouvent pas dans la binarité homme/femme. Elles s’identifient souvent en tant que non-binaires. Les personnes non-binaires (terme coupole), tout comme l’ensemble des personnes trans, ont toujours existé et ce dans de multiples cultures. Il n’y a que deux genres 18 Dans une étude américaine (2015 US transgender survey), 8% des répondant·e·s ayant commencé une transition ont fait marche arrière. Dans ces 8%, seuls 5% ont indiqué avoir “dé-transitionné” parce que la transition n’était pas faite pour elleux. Cela représente donc 0,4% du total des participants, soit 4 personnes sur 1.000. Dans les raisons d’une détransition les plus fréquemment citées se trouvent la pression de la famille, la pression d’un·e partenaire, l’augmentation des discriminations après le début de la transition, la difficulté à trouver un travail … On peut aussi mentionner que l’influence de certain·e·s praticien·ne·s qui ont une vision binaire du genre pousse certaines personnes à transitionner d’une manière qui convient à cette idée. Ces personnes parfois poussées hors de leur point de confort voient leur droit à l’autodéfinition ignoré et peuvent aussi finir par détransitionner. Il arrive aussi parfois qu’une personne détransitionne suite à une évolution de son identité de genre (genres fluides). On peut donc en conclure que l’écrasante majorité des personnes trans ne vit pas “juste une phase”. ”C’est une phase” Grâce aux réseaux sociaux et internet facilitant l’accès à l’information, de plus en plus de gens ont pu mettre des mots sur leurs ressentis, d’où cette idée reçue. A cela s’ajoutent les médias qui abordent de plus en plus ces sujets de façon sensationnaliste. Le résultat de cela étant l’impression qu’ ”il y en a plus qu’avant ”, même si ce n’est pas réellement le cas. Gardons également en tête que l’évolution positive des mentalités, tant au niveau sociétal que législatif, ainsi que la multiplication des associations friendly (et donc de la représentativité) offrent un terreau plus propice aux coming- outs. La transidentité a toujours été présente d’une façon ou d’une autre dans l’histoire et ce dans de nombreuses cultures (les Hijra en Inde, les Two-Spirits chez les natifs américains, les Mahu en Polynésie pour en citer quelques exemples). Il n’y a malheureusement pas beaucoup de ressources à ce sujet en Europe suite à la destruction des archives concernant les thèmes LGBT+ durant la seconde guerre mondiale. ”C’est une mode” Il n’est jamais trop tôt ni tard pour commencer une transition. L’idée que toutes les personnes trans savent qu’elles le sont depuis l’enfance est fausse. Ceci dit, la prise de conscience peut survenir très tôt et il est nécessaire de prendre l’enfant au sérieux, de l’entendre dans ce qu’il vit et de le soutenir dans sa réflexion, peu importe la forme qu’elle peut prendre ; le sentiment d’identité se développe dès l’âge de 3 ou 4 ans. Chaque parcours est différent et parfois cela prend du temps pour trouver le courage de transitionner. En fonction des besoins, il peut être utile d’avoir des espaces de parole auprès des associations et/ou être accompagné par des psychologues formés aux thématiques. En Belgique, le changement de prénom dans le cadre de la transidentité est accessible à partir de 12 ans (avec l’accompagnement des parents/un·e tuteur·ice légal·e). Le traitement hormonal l’est à partir de 16 ans. Cependant, avant cela il est bien évidemment possible d’utiliser un prénom d’usage et les pronoms souhaités par l’enfant. (Peut-être que vous avez peur que votre enfant change d’avis. Dans ce cas, comprenez bien que si vous niez le coming out de votre enfant, cela ne fera que l’isoler, risquer de diminuer son estime de lui, générer des conflits, rendant les choses plus compliquées pour vous deux. Notez aussi que changer simplement la manière dont vous vous adressez à ellui n’a rien d’irréversible.) Trop vieux / trop jeune pour transitionner 19 Il n’y a jamais eu de preuve que les transidentités soient des maladies mentales, bien qu’elles soient toujours incluses dans le DSM (manuel diagnostique de l’association américaine de psychiatrie) et le CIM (classification de l’OMS), pour décrire la détresse d’une personne transgenre face à un sentiment d’inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre. Aussi, au fur et à mesure des révisions du DSM, les expressions “transsexualisme”, “incongruence de genre” puis “dysphorie de genre” ont été successivement utilisées pour se rapporter aux transidentités et sont tombées dans la langue usuelle. Cependant, depuis 2013, l’APA (Association des Psychiatres Americans), qui est à l’origine de la création du DSM, a communiqué sur le fait que les transidentités ne sont pas un trouble mental en tant que telles et s’aligne donc sur le discours des militant·e·s sur le terrain depuis de nombreuses années : la souffrance des personnes Trans* n’est pas due à une quelconque maladie mentale, mais bien à la transphobie ambiante dans la société. Transidentité = maladie mentale Lorsqu’une personne entame une transition, on peut souvent entendre que c’est un choix, qu’elle pourrait s’en passer. Pour comprendre pourquoi ce n’est pas le cas, il faut d’abord assimiler que la transidentité en elle-même n’est pas un choix mais un ressenti profond et intrinsèque. On pourrait éventuellement parler de choix dans la transition (ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas), mais au fond il s’agit plutôt de comprendre ce qui est le meilleur pour soi, ce qui rapproche le plus du point de confort ; tout cela est une nécessité pour être en phase avec soi-même. Certaines personnes décrivent leur transition comme une question de survie. En effet, atteindre son point de confort permet en même temps d’atteindre un bien-être psychologique. Dans le cas contraire, quand la transition se fait attendre/n’est pas possible, cela peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé mentale. C’est pour cette raison que ce n’est pas un luxe. Transitionner est un luxe dont on peut se passer 20 21 Ce chapitre est à prendre avec des pincettes. En effet, vous et vous seul·e êtes capable de savoir quelle est la manière de faire votre coming out la plus adaptée à votre situation. Tous les conseils que vous allez lire ne sont que des pistes et suggestions, et sont à prendre comme telles. Il n’existe pas de recette magique pour un coming out parfait garanti. Notez que vous n’êtes jamais obligé·e de faire votre coming out. Encore une fois, la décision reste dans vos mains, selon ce que vous jugez être le mieux pour vous. Prenez donc votre temps pour le faire si c’est ce que vous souhaitez, attendez d’être prêt·e et sûr·e de vous. Même si des personnes extérieures font pression pour que vous le fassiez, écoutez-vous avant tout. Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte pour mettre en place la manière de faire votre coming out : votre personnalité, la relation que vous entretenez avec la personne, … Où, quand, comment ? Après avoir pris la décision de faire votre coming out, il est nécessaire de se questionner sur la manière et le contexte dans lesquels vous voulez le faire. Pour le « quand », évidemment lorsque vous vous sentez prêt·e, mais aussi dans l’idéal quand vous sentez que la personne est prête à recevoir l’information et est ouverte au dialogue. Cela ne veut pas nécessairement dire que vous devez faire une annonce formelle et dramatique, vous pouvez aborder le sujet avec légèreté si cela vous convient. L’important est d’être dans un environnement calme et ouvert à la discussion. Ceci étant dit, si vous craignez une réaction hostile, vous pouvez décider d’amener le sujet dans un endroit public (un parc, un café…) afin d’éviter les débordements. Si vous n’êtes pas à l’aise d’aborder le sujet à l’oral, que vous avez peur d’oublier de dire certaines choses où que vous ne vous sentez pas capable d’affronter une réaction directe, vous pouvez aussi écrire une lettre ou envoyer un message expliquant toute la situation. L’inconvénient de ce choix est de ne pas savoir quand est-ce qu’une réponse arrivera, ce qui peut être anxiogène, mais d’un autre côté cela laisse le temps à la personne de réfléchir et de ne pas simplement réagir à chaud, de pouvoir intégrer toutes les informations. Vous pouvez aussi laisser quelqu’un d’autre faire votre coming out pour vous, là encore vous ne pourrez pas voir la réaction en direct et vous ne pourrez pas non plus être certain·e de comment l’information a été transmise, si ce qui a été dit vous convient. De plus, certaines personnes pourraient être vexées que vous ne leur ayez pas dit personnellement. Ceci dit, cela peut vous permettre d’économiser votre énergie voire de vous protéger. Choisissez donc bien une personne de confiance pour déléguer la tâche. Un autre moyen d’économiser votre énergie est de faire votre coming out à plusieurs personnes en même temps, que ce soit en tête-à-tête ou par message. Peut-être que certaines personnes ressentiront le besoin d’avoir une discussion, seules avec vous par la suite, ou que d’autres seront vexées de ne pas avoir eu cette attention en premier. C’est à vous de voir si cela conviendrait selon vos relations, leurs caractères et vos envies. 22 Se préparer Différentes réactions Avant le moment de l’annonce, il est important d’envisager à se préparer psychologiquement à toutes les réactions que vous pourriez recevoir, mais aussi de se préparer à répondre aux éventuelles questions. Il est aussi judicieux de réfléchir précisément à ce que vous voulez dire ou ne pas dire. Cela vous permettra d’être lae plus clair·e et compréhensible possible le moment venu. Parfois, il faut aussi se préparer à savoir poser ses limites si vous ne voulez pas répondre à de potentielles questions intrusives. N’hésitez pas à formuler les attentes que vous avez par rapport à la personne, que ce soit qu’elle vous accompagne pour vous choisir de nouveaux vêtements ou simplement que vous souhaitez qu’elle vous montre son soutien et son acceptation… Parfois, on ne s’attend pas du tout à certaines réactions comme de la culpabilité ou une remise en question personnelle de la part du proche. En effet, parfois vous aurez à les rassurer. Préparez-vous à rester calme et pédagogue ; la majorité des gens n’est que peu, voire pas du tout, renseignée sur les transidentités. Pensez aussi à rassurer la personne en disant que vous vous sentez mieux ainsi et que même si vous risquez d’avoir des difficultés ou des obstacles, vous allez vous épanouir. La majorité des réactions ne sont pas aussi terribles que ce à quoi l’on s’attend, beaucoup sont bienveillantes et favorables. Ceci dit, il est bon de se préparer à recevoir d’autres types de réactions. En préparant son coming out, on peut s’imaginer toutes sortes de scénarios mais on envisage rarement l’une des possibilités : l’indifférence. Pourtant, cette réaction n’est pas rare et il est intéressant d’en avoir conscience. Attention, le silence d’un·e proche ne signifie pas forcément que votre situation lui importe peu ou qu’iel y est complètement fermé·e. Peut-être simplement qu’iel l’a accepté immédiatement et ne voit pas ce qu’iel pourrait dire. Peut-être qu’iel s’est informé·e seul·e. Ou encore, iel est confus·e et/ou n’a pas bien compris la situation. Certaines personnes aimeraient poser des questions ou simplement continuer la discussion mais préfèrent se taire car elles ne savent pas comment ramener le sujet sur la table ou ont peur de vous gêner. Dans ce genre de cas, si vous ressentez le besoin de rediscuter avec la personne pour éclaircir son ressenti, n’hésitez pas ! Il vaut mieux cela que d’interpréter la situation de son côté. Parfois, il est aussi possible que la personne montre de l’indifférence car elle ne sait pas comment appréhender la situation et est sous le choc, dans une forme de déni pour se protéger de quelque chose qu’elle ne comprend pas. Dans ce cas, ce n’est pas simple de relancer la communication, mais c’est parfois possible si vous en avez l’envie avec de la patience et quelques autres outils (par exemple, vous pouvez proposer à la personne de la documentation, lui montrer que les personnes trans sont comme tout le monde, insister sur le fait que vous restez la même personne…). Vous pouvez également la réorienter vers des structures, associations qui pourraient la recevoir en entretien individuel et/ou lui proposer des groupes de parole pour les proches de personnes trans dans un but de partage et de soutien par les pairs. 23 Encore plus délicates que l’indifférence, les réactions hostiles sont à envisager bien qu’elles soient loin d’être la majorité. Elles peuvent se manifester par un déni direct de votre identité en un refus catégorique d’aborder le sujet à nouveau, un rejet pur et simple de votre personne, ou plus vicieusement par des essais répétés de vous faire culpabiliser, des reproches ou même des tentatives de vous « raisonner ». Et ce, que ce soit sur le ton de la colère ou sur un ton plus posé. Peu importe la forme, ce sont des situations violentes psychologiquement et elles sont compliquées à gérer émotionnellement. Elles peuvent s’expliquer par tout un tas de raisons mais l’important est de garder en tête qu’en aucun cas vous n’êtes responsable de ce rejet. La personne hostile pourrait se positionner en tant que victime de la situation alors qu’en vérité elle est victime de ses propres préjugés et méconnaissance quant à votre transidentité. Rappelez-vous donc que vous avez droit à autant de respect que n’importe qui d’autre. Cependant, si vous avez tout de même envie de garder un lien avec ces personnes, c’est parfois possible. Il peut être intéressant de comprendre quelle est l’origine de leur rejet (choc par rapport à la vision qu’iel avait de vous, déception que vous ne lui en ayez pas parlé plus tôt, ou plus couramment et simplement des idées préconçues provenant d’une conception figée des rôles de genre perpétuée par la société) afin de savoir comment renouer le contact le plus efficacement possible. Le temps aide aussi, il se peut que la personne finisse par s’apaiser et intégrer complètement votre transition. En effet, elle doit parfois faire le deuil des projections qu’elle s’était construites à propos de votre avenir. N’oubliez pas que si vous avez dû prendre du temps avant de réaliser votre coming out, il en va de même pour la personne qui le reçoit. Une autre idée est de faire appel à une personne de confiance qui vous soutient pour remplir un rôle de médiateur entre la personne hostile et vous. Cela dit, dans certaines situations, il est compréhensible que vous considériez l’option de couper les ponts avec la personne. C’est parfois la meilleure solution face à une attitude particulièrement hostile/violente. Comme toujours vous êtes lae seul·e à pouvoir estimer si ça l’est dans votre situation en considérant les risques (ce que vous risquez de perdre) et les avantages, tout en vous questionnant si vous avez l’énergie nécessaire pour tenter de renouer le contact ; votre bien-être doit faire partie intégrante de votre priorité. Toutefois, cette rupture peut être temporaire et vous pouvez renouer le contact une fois que vous vous sentez prêt·e. Dans tous les cas, si vous êtes dans une situation compliquée vous pouvez vous faire aider par une connaissance bienveillante, une association, ou un·e psy si vous en ressentez le besoin. Si la personne se montre violente ou si, par exemple, vous vivez chez vos parents et que ceux-ci vous menacent de vous mettre à la rue, vous pouvez prendre contact avec une association d’hébergement d’urgence (Le Refuge sur Bruxelles ou Le refuge Ihsane Jarfi sur Liège par exemple, qui sont des structures spécialement réservées aux personnes LGBTQI+). 24 25 Une personne de votre entourage vient de faire son coming out trans et vous vous sentez peut-être un peu perdu·e? C’est compréhensible, voici quelques conseils pour soutenir au mieux votre proche. Tout d’abord, il faut bien comprendre que la personne reste la même malgré sa transition. Elle ne devient pas soudainement un·e inconnu·e ! Sa personnalité, ses goûts, ses intérêts… ne vont, à priori, pas subitement changer. Tout ce que votre proche va mettre en place pour sa transition constitue avant tout un changement positif pour lui permettre d’avancer vers un mieux-être. Cependant, cette période rend souvent les personnes trans plus “vulnérables” aux discriminations, il est donc important de montrer que votre proche peut compter sur vous. Vous vous demandez peut-être pourquoi la personne a fait son coming out auprès de vous “seulement” maintenant. Sachez que ce n’est pas forcément par manque de confiance mais plutôt une question de se sentir prêt·e. En effet, le coming out est le résultat d’une longue réflexion personnelle qui peut passer par toutes sortes de sentiments: le déni, le doute, la honte, la peur, l’incompréhension, … tout cela freinant l’acceptation de soi. Cela explique aussi pourquoi la transidentité n’est pas une “phase”. Notons que la transidentité est souvent dépeinte par la société comme négative, ridicule, honteuse, étrange ou empreinte de souffrance, ce qui ne facilite pas non plus le processus de coming out. Vous avez peut-être quelques appréhensions si votre proche vous a demandé de s’adresser à lui différemment dorénavant, avec un nouveau prénom et/ou des pronoms différents. Le temps d’adaptation peut durer un moment et c’est normal, les habitudes ont la vie dure ! Il est néanmoins primordial de s’adresser à votre proche comme iel le souhaite, pour lui montrer que vous respectez son identité. Chaque erreur peut être ressentie comme un rejet. Si vous en faites une (et ça arrivera sans doute), corrigez-vous, excusez-vous brièvement et reprenez la conversation ! Se confondre en excuses et en explications immédiatement est peut-être tentant mais peut vite tomber dans l’inutile voire mettre mal à l’aise votre proche. Ne vous inquiétez pas, iel réalise que l’adaptation à ces changements n’est pas tout de suite facile. Cependant, si les erreurs continuent d’être fréquentes quelques temps après le coming out, il serait peut-être nécessaire d’avoir une discussion pour clarifier la situation. Notez également que le changement de prénom et/ou de pronoms est rétroactif : il marche aussi pour parler du passé ! Il est aussi judicieux d’éviter ce qu’on appelle des “faux compliments”, des phrases du type “on dirait une vraie femme/un vrai homme!”. Cela part sans doute d’une bonne intention mais peut s’avérer vexant. Dans cet exemple, votre proche EST une vraie femme/un vrai homme. Plutôt que de faire des compliments en rapport avec la transidentité, vous pouvez simplement en rester aux compliments de base sur la tenue, le maquillage, son assurance, etc, … Une manière d’aider votre proche est de lui proposer de l’aider à faire ses coming out, être présent pour prendre un rôle de médiateur·ice. Cela peut lui éviter du stress. En effet, faire son coming out c’est fatigant, cela demande souvent de la patience, 26 de la pédagogie, et puis on a rarement la certitude que l’interlocuteur.ice va réagir positivement. Il est donc possible que votre proche accepte votre proposition pour relâcher un peu la pression. Mais attention ! Il n’est pas question de faire son coming out à sa place sans son accord. Révéler l’identité de genre/l’orientation sexuelle de quelqu’un sans son accord, ça s’appelle l’outing et ça peut être dévastateur. En vous faisant son coming-out, votre proche vous fait confiance, ne trahissez pas celle-ci ! C’est la personne trans qui choisit qui doit savoir et quand, car c’est elle qui peut estimer le mieux quand la situation est propice ou non. Si la personne est d’accord pour que vous assistiez à son coming out, demandez-lui quelles informations vous pouvez partager ou non. Si vous avez un doute, n’en parlez pas à sa place ! Par contre, n’hésitez pas à sensibiliser les personnes de votre entourage. Vous pouvez les corriger en restant bienveillant mais avec fermeté: le respect ça n’a pas de compromis. Évidemment, ne le faites que si vous êtes sûr·e de ce que vous dites. En tant que parent, peut-être que vous vous demandez quelle est “l’origine” de la transidentité de votre enfant. En vérité, il n’y a pas de raisons. Les parents/ l’éducation n’ont rien à voir avec cette situation: les personnes trans viennent de toutes sortes d’horizons et ont toujours existé, il n’y a pas de facteurs responsables de la transidentité. Même s’il y en avait, il serait un peu inutile de les connaître ; il vaut mieux se concentrer sur le présent que sur le passé. En effet, la transidentité n’étant pas un problème en elle-même, il n’y a pas de solution à part celle d’être présent pour votre enfant. Peut-être que vous ressentez de la culpabilité; “on aurait pu s’en rendre compte plus tôt”. Encore une fois, il vaut mieux se concentrer sur le présent. D’autant plus que si vous aviez des doutes, il n’aurait été de toute façon pas judicieux d’en parler en premier à votre enfant. En effet, lui poser la question directement peut avoir pour effet de le/la paniquer s’iel n’est pas prêt·e à en parler, la/le pousser à mentir et rendre le coming out plus compliqué par la suite. Si vous pensez que votre enfant pourrait être trans, la meilleure chose à faire est de montrer votre ouverture à ces thématiques. Si votre partenaire vient de vous faire son coming out, vous avez sûrement de nombreux questionnements plus spécifiques, aussi bien sur votre partenaire que sur vous-même. Tout d’abord, n’hésitez pas à prendre un moment pour digérer l’information. Soyez honnête avec vous-même sur ce que vous ressentez exactement. Peut-être que vous vous sentez trahi·e, peut-être que vous avez de la rancœur. Le coming out vous a probablement brusqué·e, notamment pour des raisons qui ont déjà été évoquées précédemment. Pourquoi seulement maintenant? Comme dit plus haut, le manque d’informations et la représentation des médias quant aux transidentités retardent grandement la prise de conscience et le moment où la personne se sent prête à faire son coming out. A cela s’ajoute la peur de votre rejet et/ou que vous ne l’aimiez plus. Il faut comprendre que le silence de votre partenaire à propos de sa transidentité ne s’agit pas d’une trahison ou d’un mensonge délibéré, mais d’un processus d’acceptation d’ellui-même. Iel culpabilise d’ailleurs probablement de vous avoir fait subir ce silence. Nombre de couples se séparent suite à une transition, directement après le coming out ou quelques temps après. Votre partenaire reste évidemment la même personne que vous avez rencontrée mais votre relation va peut-être changer et vous amenez à trouver ensemble un nouvel équilibre. Comme dans la plupart des situations, la communication reste la clé. Soyez honnête avec votre partenaire sur vos sentiments 27 et vos limites, posez des questions, … Au-delà des questions que vous avez à propos de votre partenaire ou votre relation, vous vous en posez peut-être également sur votre orientation sexuelle. Si vous avez toujours été uniquement attiré·e par le genre auquel votre partenaire a été assigné·e à la naissance, c’est compréhensible. Si vous souhaitez continuer votre relation, gardez à l’esprit qu’il n’est pas obligatoire de se choisir un label pour définir votre orientation. Comment s’adresser à une personne non-binaire ? Le français est une langue profondément genrée. Ce fait peut être un problème quand on aborde le sujet de la non-binarité. Notez bien l’utilisation du mot « peut », car certaines personnes non-binaires décident tout de même de n’utiliser que des pronoms « usuels » ainsi que les accords qui vont avec (il ou elle + accords masculins ou accords féminins). Ceci dit, la non binarité regroupe de nombreuses identités, et donc avec cela de nombreuses façons d’adapter la langue pour se rapprocher au mieux d’un point de confort. Le meilleur moyen de savoir comment parler de / s’adresser à une personne non binaire est simplement de lui demander (« Quels sont tes pronoms ? Tu préfères quels accords ? ») ou d’observer comment la personne se genre elle-même. Voici quelques possibilités : • Pronom “il” de façon systématique : utilisation d’un seul pronom, accords au masculin. • Pronom “elle” de façon systématique : utilisation d’un seul pronom, accords au féminin. Il serait malvenu de partir du principe que vu que la personne est non-binaire, elle utilise forcément plusieurs pronoms ou un néo-pronom. • Pronoms il ou elle alternés : utilisation des deux pronoms, une fois l’un, une fois l’autre, ou en alternant de temps en temps. Certaines personnes n’utilisent qu’un seul pronom un jour et le lendemain utilisent uniquement un autre ; encore une fois, la méthode la plus efficace pour savoir quoi faire est de demander. Il ne faut pas partir du principe qu’une personne qui utilise de façon alternée le “il” et le “elle”, trouve confortable que vous n’en choisissez qu’un des deux. Si la personne demande l’utilisation des deux, c’est qu’il y a une raison. • “Néo pronom” tel que “iel”. Iel est le néo-pronom neutre le plus utilisé en français. Il en existe d’autres : ille, ul, ol, ael, … Souvent c’est accompagné d’accords dégenrés (ex : joli·e), parfois la personne utilise le néo-pronom accompagné d’accords exclusivement masculins ou féminins (ex : iel est beau/belle). • Pronoms “il” ou “elle” ou “iel” alternés : même remarque que pour le deuxième point. Peu importe la façon de se genrer que préfère la personne, l’important est de respecter sa demande. Cela ne coûte rien de prendre l’habitude et d’ainsi montrer son respect, afin que la personne soit à l’aise. Note pour les amoureux·euses de la langue française : une langue, ça change, ça évolue, sinon elle devient une langue morte. Il est normal que les usagers d’une langue l’adaptent et utilisent de nouveaux mots pour exprimer au mieux leur ressenti. 28 Accords dégenrés à l’écrit A l’écrit, les accords neutres se notent par l’écriture inclusive. Les accords masculins et féminins sont donc assemblés par un point, un point médian (·), un tiret … Parfois, les mots marchent bien en étant complètement combinés, sans ponctuation entre les accords. Exemple : saon (à la place de sa·son), lae (la/le), cellui, acteurice, belleau, … Et à l’oral ? C’est souvent ce qui pose question : encore une fois, plusieurs possibilités, certaines plus pratiques que d’autres dans certains cas. • Répéter deux fois l’accord, une fois d’un genre une fois de l’autre, exemple : Je suis heureux, heureuse, d’être là. • Combiner les deux accords quand ça sonne bien, comme un mot-valise, exemple : C’est d’ellui dont je t’avais parlé, iel est acteurice. • Prononcer « euh » pour ·e en inclusif, exemple : Iel est contenteuh. • Faire une petite pause avant l’accord, exemple : iel est étudian[…]te. Monsieur, madame ? Il est facile d’éviter d’utiliser monsieur ou madame à l’oral et même à l’écrit (par exemple, dans un courrier on peut utiliser « à qui de droit » au début tout en restant formel·le), cependant, il y a des alternatives : A l’écrit, en anglais la version neutre se note Mx. (prononcé mix), ce qui marche bien aussi en français pour remplacer Mme et Mr, le « x » étant souvent utilisé pour désigner l’indéterminé. Des mots comme Monestre, Monêtre, Menestre peuvent aussi être utilisés, mais ils sont plus minoritaires. Dans le même registre, il est utile de savoir que le mot français neutre pour désigner un ensemble de frères et/ou sœurs est « adelphe ». 29 Il y a une quantité d’aménagements possibles pour faciliter la vie des personnes trans à l’école, au travail, ou dans leurs loisirs. Si vous considérez que ce n’est pas nécessaire dans votre établissement, rappelez-vous que vous ne pouvez pas savoir si une personne est trans ou cis, et que vous ne perdez rien à pouvoir accueillir tout le monde de façon optimale. De plus, cela évitera de faire fuir une partie de votre public potentiel ! Voici donc quelques bonnes pratiques et conseils à mettre en place dans cet objectif : • L’usage des bons pronoms. Mise en place : demander en privé à chaque nouvelle personne comment vous devez vous adresser à elle (évidemment respecter la réponse et sans demander de justification), si ce n’est pas possible évitez de la genrer et écouter comment elle se genre elle-même. Inclure les pronoms sur les badges nominatifs et dans la signature mail … pour participer à la normalisation de cette pratique. • L’utilisation de l’écriture inclusive. • Eviter les civilités (madame, monsieur), que ce soit à l’écrit ou à l’oral. De manière générale, ne pas présumer le genre de qui que ce soit. • Eviter les séparations de groupe par genre quand ce n’est pas nécessaire/pertinent, et lorsque ça l’est, laisser la personne choisir dans quel groupe aller. • Eviter la mention genre sur les formulaires quand c’est possible, sinon, ne pas se cantonner qu’à deux choix. Il reste également la possibilité de permettre à la personne d’écrire elle-même le genre auquel elle s’identifie. • Faire en sorte que l’on puisse utiliser un prénom d’usage dans la base de données éventuelle et communiquer cette possibilité à tout le monde. • Protéger le prénom et le genre administratif s’il doit être enregistré. • Privilégier des lieux neutres aux lieux genrés, ou offrir une troisième option neutre. • Mentionner la transphobie au même titre que l’homophobie ou le racisme dans les comportements sanctionnables dans le règlement, ainsi que préciser que l’identité de genre et l’expression de genre ne peuvent faire l’objet de discriminations. • Limiter les obligations vestimentaires ou les rendre non-genrées. • Former le personnel aux thématiques trans en faisant appel à une association compétente. Pour l’enseignement supérieur, vous pouvez cliquer ici pour télécharger le Guide d’accompagnement pour l’inclusion des personnes trans ou vous rendre à cette adresse : https://ensembleautrement.be/documents/guidetrans.pdf 30 31 La loi relative à la “transexualité” du 10 mai 2007 avait été vivement critiquée par les associations militantes LGBTQI+ et , étant donné qu’elle ne tenait pas compte du point de confort de chacun·e. Elle portait sur une dimension « psychiatrisante », irréversible et imposait la stérilisation. En ce sens, elle mentionnait⁵ : “Tout Belge ou tout étranger inscrit aux registres de la population qui a la conviction intime constante et irréversible d’appartenir au sexe opposé à celui qui est indiqué dans l’acte de naissance et dont le corps a été adapté à ce sexe opposé dans toute la mesure de ce qui est possible et justifié du point de vue médical, peut déclarer cette conviction à l’officier de l’état civil [….] L’intéressé n’est plus en mesure d’avoir des enfants conformément à son sexe précédent. Lors de la déclaration, l’intéressé doit remettre à l’Officier de l’Etat civil une déclaration du psychiatre et du médecin généraliste.” Grâce au travail de ces associations militantes, la loi a été revue en 2018. Nous allons donc vous présenter ci-dessous, ces quelques modifications⁶ avec un focus sur les personnes majeures. En ce qui concerne les nouveautés législatives des mineur·e·s, nous vous renvoyons vers le dernier chapitre intitulé “jeunesse trans”. Les personnes trans majeures souhaitant modifier leur(s) prénom(s) ne doivent plus «prouver» leur transidentité avec des attestations médicales. La demande de changement de prénom consiste maintenant simplement en un document, une déclaration sur l’honneur attestant de la conviction que le sexe mentionné dans son acte de naissance ne correspond pas à son identité de genre vécue intimement. La demande de changement de prénom ne peut se faire qu’une fois sur base de cette raison et le(s) prénom(s) choisis doivent correspondre à cette conviction (il peut s’agir d’un prénom neutre/mixte). La procédure se fait auprès d’un·e officier·e de l’état civil de la commune où la personne est domiciliée. La demande est possible à partir de 12 ans, avec l’accompagnement des deux parents ou d’un·e représentant·e légal·e. Le coût est défini par chaque commune.(maximum 50€ pour le changement de prénom + le prix de la carte qui lui, dépend de la commune). ⁵ Source : h�ps://etaamb.openjus�ce.be/fr/loi-du-10-mai-2007_n2007009570.html ⁶ Source : h�ps://www.genrespluriels.be/La-cour-cons�tu�onnelle-suit-notre-posi�on-la-loi-transdoit-etre-adaptee Changement de prénom Changement de l’enregistrement du sexe (marqueur de genre) Cette procédure se fait en deux étapes. Première étape : Première déclaration auprès de l’officier·e de l’état civil de la commune où la personne est domiciliée. Cette déclaration atteste de la conviction que le sexe mentionné sur l’acte de naissance ne correspond pas à l’identité de genre vécue 32 intimement. Dans les trois jours, l’officier·e transmet la demande au procureur du Roi, qui rendra son avis dans les trois mois. L’avis peut être négatif pour contrariété à l’ordre public (très rare) ou encore si la personne tente d’échapper à des dettes. En l’absence d’un tel avis ou si aucun avis n’a été donné dans les trois mois, l’avis est considéré favorable. Deuxième étape : Minimum 3 mois et maximum 6 mois après la première déclaration, la personne se présente une deuxième fois devant l’officier·e de l’état civil et fait une seconde déclaration. L’officier·e fait alors l’acte de modification de l’enregistrement du sexe. Dans le cas d’un refus de l’officier·e (très rare), il est possible de faire appel auprès du tribunal de la famille dans les 60 jours. Pour les mineur·e·s : Les démarches administratives sont identiques à celles des majeur·e·s à l’exception près que pour le changement de prénom lea jeune doit avoir l’accord de ses parents ou tuteur·ice·s légaux et pour le changement de marqueur de genre, lea jeune doit avoir l’accord de ses parents ou tuteur·ice·s ainsi qu’une attestation d’un·e pédopsychiatre. Tout comme le changement de prénom (avec pour raison la transidentité), cette procédure n’est faisable qu’une seule fois de cette façon. Autrement dit, si vous souhaitez faire marche arrière, il est possible d’introduire une requête au tribunal de la famille. (Le coût du changement de sexe, lui est nul, + le prix de la carte qui lui, dépend de la commune). Conseil : s’il est de toute façon dans vos intentions de changer prénom et marqueur de genre, il est plus judicieux d’effectuer les deux changements en même temps afin d’éviter de payer deux fois l’édition de la carte. Attention toutefois, pour certaines opérations chirurgicales relatives à la transition, le remboursement pourrait être différent une fois le marqueur de genre changé. Exemple : certaines mutuelles pourraient ne pas rembourser une hystérectomie chez un homme trans si ce dernier a déjà changé sa motion de genre en M. En effet, encore à l’heure actuelle, beaucoup d’organismes ne sont pas suffisamment informés sur cette thématique. Pour reprendre l’exemple cité plus haut , le fait d’avoir un M sur sa carte d’identité induit que vous êtes un homme (mâle), un mâle n’étant pas censé avoir d’utérus, ceci provoque des dysfonctionnements et des bugs dans les programmes informatiques de certaines mutuelles, freinant de ce fait la possibilité des remboursements. N’hésitez pas à contacter votre conseiller·e auprès de votre mutuelle afin de lui expliquer la situation. Si vous rencontrez des difficultés à échanger avec ellui, n’hésitez pas à contacter la MAC la plus proche. 33 L’expression de genre, l’identité de genre et le « changement de sexe » sont assimilés à la notion de « sexe » dans la « loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes ». Cela fait donc partie des 19 critères protégés vis-à-vis des discriminations en Belgique. Cette loi interdit les discriminations directes ou indirectes, l’injonction de discriminer, le harcèlement et le harcèlement sexuel. Il importe de savoir que toute discrimination liée à un de ces 19 critères peut engendrer des sanctions alourdies parce qu’elles sont considérées comme délit de haine. (Pour plus d’informations : https://www.unia.be/fr/criteres-de-discrimination) Si vous êtes victime d’une ou plusieurs de ces discriminations, vous pouvez introduire une plainte. Vous pouvez également le signaler à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, compétent pour intervenir dans ces situations et pour fournir des infos et conseils juridiques (gratuitement). Le signalement de ces discriminations est aussi utile pour obtenir des chiffres, des statistiques sur leurs fréquences et natures. (Pour plus d’informations : https://igvm-iefh.belgium.be/fr) Protection liée aux discriminations 34 35 Sachez que si vous souhaitez commencer un traitement hormonal, vous n’êtes pas obligé·e de passer par un·e endocrinologue. En théorie un·e médecin traitant peut s’en occuper. Ceci étant dit, nous rappelons qu’un·e endocrinologue est spécialisé·e dans tout ce qui touche aux hormones et aux phénomènes physiologiques. Vous n’êtes pas non plus obligé·e de passer par un·e psy, mais il se peut que certains spécialistes qui gravitent autour de vous durant la transition vous le demandent. En effet, dans la pratique, il n’est pas toujours facile de trouver un médecin qui ne demande pas au moins une attestation psy (ils n’exigent pas forcément un suivi mais le papier). Les Maisons Arc-en-Ciel ont un réseau de psychologues safes et militants permettant de solutionner plus facilement la situation si l’exigence d’attestation devenait un gros blocage. N’oubliez pas que si la manière de faire de votre médecin ne vous convient pas, vous pouvez prendre rendez-vous avec un·e autre. Comme expliqué à la page 11 dans le lexique spécifique à la thématique T, le point de confort est une zone à atteindre afin de se sentir en adéquation avec soi-même. Afin de l’atteindre, il arrive que les personnes Trans* passent par certaines étapes telles que les traitements hormonaux, les chirurgies, etc. Le point de confort désigne toutes ces choses qui permettent aux personnes trans de se sentir bien par rapport à leur identité de genre. Ce sont des caractéristiques mentales, comportementales, vestimentaires ou corporelles. Chaque transition est différente. Cela veut dire qu’une personne peut choisir de faire son coming out dans certains milieux ou pas, de changer son style vestimentaire ou pas, d’entamer une transition médicale ou pas, … L’important c’est de se sentir en accord avec soi-même avant tout. Une transition est donc censée être « à la carte » ; vous avez le droit de choisir ce que vous voulez ou pas, et quand. En principe, cela s’applique donc aussi si vous choisissez d’entamer une transition médicale. Ne laissez donc pas une pression venant d’une quelconque personne (famille, professionnel·le·s de santé …) vous influencer, vous faites cela pour vous avant tout. Note : certains traitements et opérations peuvent être remboursés, renseignez-vous auprès de votre médecin et de votre mutuelle. Selon L’Organisme Mondial de la Santé, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Nous avons déjà abordé dans des points précédents les dimensions mentales et sociales participant au bien-être via les conseils liés à la prise en charge et l’accompagnement par des professionnel·le·s, le respect de la zone de confort, les conseils pour les proches, etc. Nous allons faire un focus sur l’aspect physique des transitions (traitements hormonaux, chirurgies) mais aussi sur la santé sexuelle, en sachant que tous ces axes participent également au bien-être complet de l’être. Point de confort Traitements hormonaux 36 En pratique, voilà les étapes qui permettront d’obtenir un traitement hormonal (TH) : • Rencontrer un·e médecin formé·e sur le sujet (ou quelqu’un qui pourra vous réorienter), lui expliquer votre désir de commencer un TH. Iel vous informera sur les impacts de celui-ci sur la santé, vous demandera vos antécédents pertinents et ceux de votre famille dans ce cadre (cancer du sein ou de l’utérus, par exemple). • Iel vous prescrira une prise de sang complète pour vérifier votre état de santé et pouvoir adapter le début de votre traitement à votre situation. Vous discuterez des résultats de cette prise de sang au second rendez-vous, n’hésitez pas à poser vos questions au médecin. C’est votre droit d’être informé·e et de bien comprendre votre état de santé. • Si lae médecin ne voit pas de contre-indications dans vos antécédents et les résultats de la prise de sang, vous aurez votre première prescription d’hormones ! Trois ou six mois après le début du traitement, vous passerez un second bilan sanguin. Si les résultats sont corrects, vous continuerez de voir votre médecin (et de faire des bilans sanguins) une à deux fois par an. Ce suivi est important pour vérifier que tout se passe toujours bien, et adapter votre dose d’hormones si nécessaire. Les effets réversibles : • Changement de la répartition des graisses. • Développement de la musculature. • Arrêt des menstruations (Attention ! ne fait pas effet de contraception pour autant, plus d’infos dans la catégorie santé sexuelle) • Changement de l’épaisseur et texture de la peau • Acné • Augmentation de la transpiration et changement de l’odeur corporelle • Augmentation de la libido • Augmentation de la pression sanguine (veines plus apparentes et augmentation de la chaleur corporelle) Les effets irréversibles : • Mue de la voix • Pilosité faciale et corporelle • Implantation de cheveux (recul de celle-ci sur le front et les tempes, possible apparition d’une calvitie si c’est dans vos gènes) • Elargissement du clitoris (appelé « dicklit ») • Grossissement de la pomme d’Adam • Si le TH est commencé alors que les hormones de croissance sont toujours actives, il est possible de grandir un peu (n’espérez pas prendre 10 cm) Notez que les effets et leurs intensités peuvent varier d’une personne à l’autre, ceux listés cidessus sont les plus fréquents. Certaines personnes rapportent aussi avoir une augmentation de l’appétit, des troubles du sommeil, des variations d’énergie selon le rythme des injections … 37 Source : h�ps://pra�q.be Souvent ces effets indésirables disparaissent ou s’apaisent avec le temps. Si quelque chose vous semble étrange ou que vous souhaitez adapter votre traitement car certains effets secondaires vous affectent trop, n’hésitez pas à en parler à votre médecin. Certains effets mettent plus de temps à apparaître chez certaines personnes que chez d’autres, et dans une intensité différente. Par exemple, il est possible que vous n’ayez jamais une barbe complète. Les gènes y sont pour beaucoup. Les effets apparaissent généralement en grande majorité lors de la première année de traitement et continuent leur développement sur une certaine durée. La pilosité faciale notamment met un certain temps à se stabiliser. Les contre-indications absolues pour prendre un TH masculinisant: • La grossesse et l’allaitement • Un type de cancer du sein sensible aux androgènes • Cardiopathie coronarienne incontrôlée • Cancer de l’endomètre (actif) D’autres contre-indications existent, mais elles n’empêchent pas forcément de prendre un TH, il se peut que cela soit possible avec un suivi rigoureux (maladies du foie, insuffisance rénale ou cardiaque, antécédents de cancer du sein ou de l’utérus, addictions, prise d’un traitement contre le VIH…). Il est souvent dit que la prise de testostérone accroît les risques de cancers utérins, ovariens, du sein et du col de l’utérus, cependant il n’y a pas d’études réellement concluantes sur le sujet, celles-ci n’ayant pas assez de données. Ceci est donc à prendre avec des pincettes. Récapitulatif : 38 Source : h�ps://pra�q.be Types de traitements Injections intramusculaires : Les injections sont la méthode la plus utilisée et la plus efficace. Elles se font le plus souvent dans la fesse ou la cuisse, parfois dans le bras. Le produit le plus souvent prescrit est le Sustanon et la posologie habituelle est d’une ampoule toutes les trois semaines. Cependant certain·e·s préfèrent une demi ampoule toutes les deux semaines. Il est conseillé de faire appel à un·e médecin ou un·e infirmier·e pour les premières injections, mais il est tout à fait possible de le faire soi-même. Conseil : changez de cuisse ou de fesse à chaque injection, la peau durcit avec les injections ! Les gels : Ils peuvent être prescrits seuls ou en complément des injections. L’application doit se faire quotidiennement, sur une grande partie du corps. Les effets ne mettent pas plus de temps à se manifester mais ont une intensité moindre par rapport à ce que l’on peut avoir avec les injections. Comprimés : Il est possible de prendre de la testostérone sous forme de cachets mais cette méthode fatigue le foie et les effets sont moins probants. 39 Les effets réversibles : • Diminution de la musculature • Répartition des graisses • Modification de la peau (plus fine et douce, moins grasse) • Diminution de la transpiration et modification de l’odeur corporelle • Diminution de la pression sanguine et de la chaleur corporelle • Baisse de la libido (parfois) • Réduction de la pilosité sans disparition complète. Si une calvitie a débuté, arrêt de la perte des cheveux. Les effets irréversibles : • Développement des seins • Elargissement des aréoles • Vergetures (parfois) Notez que les effets et leurs intensités peuvent varier d’une personne à l’autre, ceux listés ci-dessus sont les plus fréquents. Certaines personnes rapportent aussi une émotivité plus développée, une réduction légère de la taille du pénis et des testicules ainsi qu’une légère réduction de la taille des mains et des pieds. Certains effets mettent plus de temps à apparaître chez certaines personnes que chez d’autres, et dans une intensité différente. Vos gènes influencent beaucoup l’action des hormones. L’âge peut également avoir un impact, si vous commencez le traitement en étant jeune, le développement de la poitrine a des chances d’être plus rapide et plus important. Récapitulatif : Source : h�ps://pra�q.be 40 Types de traitement Il existe différentes méthodes de traitement hormonal féminisant, chacun ayant des avantages et inconvénients, et certains étant fortement controversés. Renseignez-vous un maximum et parlez-en à votre médecin afin de trouver celui qui vous conviendrait le mieux. Tous ces traitements existent sous différentes formes. Les œstrogènes peuvent être prescrits sous forme de comprimés, gel ou patch. La progestérone se trouve en comprimés ou en gel. Il est déconseillé de prendre ces traitements par voie orale car cela fatigue plus fortement le foie. Les anti-androgènes se présentent sous forme de comprimés. La prise de ces traitements se fait quotidiennement. Pour les œstrogènes, la dose initiale est généralement de 1,25g/jour et peut être ensuite augmentée jusque 3g/jour. Le plus souvent, 2g suffisent. La dose habituelle de progestérone est de 100 mg/jour mais peut aller parfois jusque 200mg. Œstrogènes seuls : Il est possible de prendre uniquement de l’œstrogène car un taux assez élevé de celui-ci réduirait (voire stopperait dans certains cas) la production de testostérone. Cette méthode évite la prise d’anti androgènes et donc les risques qui vont avec, et est aussi plus économique. Cependant, il faut veiller à ce que la dose soit augmentée progressivement. Œstrogènes et progestérone : La progestérone est souvent considérée inefficace pour réduire les taux de testostérone. Cependant, ajoutée aux œstrogènes, on peut observer un effet de synergie entre les deux hormones permettant de diminuer suffisamment la testostérone pour voir apparaître les effets. Malheureusement, cette méthode n’est pas efficace et ne peut être prescrite à tout le monde pour diverses raisons médicales. Œstrogènes et anti-androgènes : Les anti-androgènes ont pour but de bloquer complètement la production de testostérone. Il en existe une multitude, certains ayant des risques non négligeables ; il est donc important de bien se renseigner et d’en parler à votre médecin. Le plus connu de ces médicaments est l’Androcur, un produit très controversé pour ses effets secondaires. Ceux-ci peuvent engendrer, entre autres, une insuffisance hépatique, de la dépression, des accidents thromboemboliques, un méningiome (ce dernier étant lié à la dose et la durée du traitement). Contre-indications : • Hypertension grave • Antécédent d’hémorragie cérébrale • Antécédent de thrombose • Insuffisance hépatique grave Il est donc important de considérer chaque option avec votre médecin afin de trouver le traitement hormonal qui pourrait vous convenir sans vous mettre en danger. Notez également que le traitement contre le VIH peut entrer en interaction avec le traitement hormonal, mais la prise des deux est possible avec un suivi rigoureux, par votre médecin spécialiste du VIH et cellui qui prescrit les hormones. (Plus d’infos sur ce sujet dans le chapitre santé sexuelle) 41 Il existe de nombreuses possibilités de chirurgie dans le cadre d’une transition. Encore une fois, vous n’êtes obligé·e à rien et aucune chirurgie n’est un « passage obligatoire ». Ce qui compte c’est que vous vous rapprochiez de votre propre point de confort. Donc vous pouvez tout à fait ne vouloir aucune chirurgie ou en vouloir une mais pas d’autre, sans que cela ne mette en doute votre transidentité. Vous êtes libre de choix mais il est important de ne pas oublier qu’une intervention chirurgicale n’est pas sans risques, que ce soit au niveau physique mais aussi psychologique. Vous devez être sûr·e de vous et avoir eu une réflexion intime et profonde sur ce que vous désirez vraiment, ce qui vous rapprochera le mieux de votre point de confort. Chaque chirurgie ne sera pas détaillée dans les moindres détails techniques, il s’agit plutôt de vous donner ici une description globale et de vous informer des multiples possibilités. Chirurgies du visage Il existe des chirurgies ayant pour but de masculiniser un visage. Elles sont peu utilisées dans le cadre d’une transition, mais certaines personnes y ont recours donc voici les possibilités : • La masculinisation du front (frontoplastie) • Les implants temporaux. Les implants ne suffisent pas pour masculiniser le visage. Il faudra associer une masculinisation des pommettes, du menton et/ou des maxillaires. L’alternative à cette technique (la plus stable), est le lipofilling temporal. • Les implants malaires (de pommettes) • La liposuccion de masculinisation : retrait de la graisse au niveau des joues • La rhinoplastie de masculinisation • La masculinisation de la bouche: diminution de l’épaisseur des lèvres • La génioplastie d’augmentation (menton) Chirurgie du torse Cette opération consiste en une double mastectomie (ablation des seins) et la construction d’un torse dit «masculin ». Deux techniques différentes sont les plus fréquemment utilisées : la périaréolaire et la double incision. La première n’étant possible que pour les petites poitrines et laissant moins de cicatrices que la seconde. Il existe une troisième technique, appelée keyhole, pour les très petites poitrines. Celle-ci ne laisse qu’une cicatrice sur la partie inférieure de l’aréole. Selon la technique, l’opération dure de deux à quatre heures. Dépendant des cas, vous pouvez rentrer chez vous le jour même ou passer une à deux nuits à l’hôpital. Des consultations postopératoires auront lieu et quelle que soit la technique. Il arrive de devoir faire des retouches (qui sont bien moins lourdes, sans anesthésie générale, et parfois comprises dans le prix de la première opération). On voit le résultat final apparaître environ un an après l’opération (le temps de laisser la peau récupérer, cicatriser, retrouver de la sensibilité, etc.). Chirurgies masculinisantes 42 Phalloplastie Cette chirurgie consiste en la création d’un pénis à partir d’un lambeau de peau prélevé sur, généralement l’avant-bras, parfois la cuisse, plus rarement le côté du torse, le dos ou le ventre. Cette zone devra être épilée définitivement au préalable. Un prélèvement sur l’avant-bras donne en général de meilleurs résultats mais laisse une cicatrice non négligeable sur une partie souvent visible du corps. Généralement, une extension de l’urètre est également réalisée pour permettre au patient d’uriner debout. Une greffe de nerf rejoignant le tissu clitoridien est également faite. Le résultat donne normalement un pénis de taille moyenne (12-14 cm) qui ne change pas de taille lorsqu’il est en érection (rendu possible après ajout d’une prothèse érectile qui peut se faire un an après la phalloplastie). L’opération est longue (8-10h) et présente de nombreux risques et possibilités de complications, il est nécessaire d’en avoir conscience pour pouvoir faire un choix éclairé. Métaoïdioplastie Autre chirurgie génitale, c’est une opération moins longue que la phalloplastie et qui présente moins de risques de perte de sensibilité. Cependant le résultat est très différent. En effet, cette opération se basant uniquement sur le clitoris existant, le néopénis obtenu atteint une taille de 5,7 cm en moyenne (la fourchette étant de 4 à 7 cm en érection). En fait, le chirurgien coupe le clitoris des petites lèvres et sectionne le ligament suspenseur, ce qui le fait ressortir à la manière d’un pénis. Il est aussi possible de rallonger l’urètre lors de cette opération pour permettre au patient de pouvoir uriner debout. Scrotoplastie Cette opération consiste en la construction d’un scrotum à partir des grandes lèvres. Cela peut se faire en même temps ou après une phalloplastie ou métaoïdioplastie. Lors d’une seconde intervention, on place des implants testiculaires. Comme pour tout implant, il existe des risques de rejet. Hystérectomie L’hystérectomie est une opération ayant pour but de retirer l’entièreté ou une partie de l’utérus. Il existe donc plusieurs types de cette opération : • L’hystérectomie totale : ablation de l’utérus, du col de l’utérus, des ovaires et des trompes de Fallope • L’hystérectomie subtotale : ablation de l’utérus, des ovaires et des trompes de Fallope avec conservation du col de l’utérus. • L’hystérectomie simple : ablation de l’utérus seulement. Depuis 2018, cette opération n’est plus nécessaire pour pouvoir obtenir un changement du marqueur de genre, mais vous pouvez tout de même la demander si cela correspond à votre point de confort et/ou que vous craignez les possibles risques de cancer. Ovariectomie Après une ovariectomie ou ablation des ovaires, le corps ne produit plus d’œstrogènes. Etant donné que le corps a besoin d’hormones sexuelles pour fonctionner, il sera nécessaire de poursuivre un traitement hormonal à vie. 43 Chirurgies de la tête et du visage Il existe de nombreuses chirurgies ayant pour but de féminiser le visage ; évidemment elles ne sont pas obligatoires et c’est à vous de choisir si l’une ou l’autre convient à votre point de confort, ou simplement aucune. • Trois zones osseuses plus marquées sur le front dans un visage dit « masculin » peuvent être réduites/lissées : l’arcade sourcilière ou bosse du front, l’os du front, le rebord orbitaire latéral. • Lifting frontal : courant pour rajeunir le visage et le féminiser, cela corrige l’affaissement de la peau dans les zones du front, des sourcils et des paupières. • Chirurgie d’avancement du cuir chevelu ou implants capillaires si la calvitie est trop avancée • Rhinoplastie • Remodelage du menton • Lifting des lèvres Chirurgies du cou et de la voix • Chirurgie de la pomme d’Adam : réduction de la pomme d’Adam. Cela se fait par une petite incision sur le haut du cou, qui laissera une cicatrice peu visible car cachée par le menton. • Chirurgie des cordes vocales : peut être utilisée en complément de l’orthophonie, afin de féminiser la voix. Le but est d’augmenter la tension des cordes vocales afin d’obtenir une voix plus aiguë. Mammoplastie Opération d’augmentation mammaire consistant à ajouter des implants en silicone ou remplis de sérum physiologique, soit sous les glandes mammaires, soit sous le muscle pectoral. Il est conseillé aux personnes sous TH féminisant d’attendre au minimum un an après le début de celui-ci avant de faire cette opération. En effet, la pousse des seins prend un certain temps, l’attente permet donc de ne pas se retrouver avec une taille de poitrine supérieure à celle désirée. La durée de vie d’un implant est de 10 à 15 ans. Il est parfois nécessaire de faire un remplacement prématurément en cas de rupture de l’implant. Les cicatrices seront discrètes, les voies d’accès se situant au niveau de l’aisselle ou sous le sein. Vaginoplastie Chirurgie ayant pour but de créer un vagin et une vulve à partir du pénis et du scrotum. Il existe plusieurs techniques, celle la plus couramment utilisée en Europe étant celle de l’inversion pénienne. La vaginoplastie comporte un ensemble d’actes chirurgicaux : • La création du néo-vagin • La labiaplastie : création des grandes et petites lèvres • La création du néo-clitoris à partir du gland • Redirection de l’urètre Chirurgies féminisantes 44 Cette opération est donc assez lourde, longue et entraîne un temps d’hospitalisation (8 à 9 jours) et de convalescence (6 à 8 semaines) assez conséquents. Il peut y avoir des complications : cicatrisation difficile, hémorragie, perturbations de la fonction urinaire… Et dans certains cas, une retouche esthétique est nécessaire. Avant l’opération, il est également nécessaire de subir une épilation permanente de la zone génitale. Orchidectomie Opération consistant en l’ablation des deux testicules. Parfois, c’est la seule opération génitale envisageable, par exemple parce que la personne n’a pas la capacité de subir une opération lourde. Parfois, c’est simplement là que se trouve son point de confort. Après cette opération, le corps ne produit plus de testostérone, il sera donc nécessaire de prendre un TH à vie. Il se peut aussi qu’il faille ajuster le TH précédent s’il y a. Attention, l’orchidectomie n’empêche pas toujours les érections et éjaculations. Pour les personnes qui se féminisent, le TH est rarement suffisant pour diminuer la pilosité efficacement (surtout en ce qui concerne les poils du visage). Si vous souhaitez contrer ce problème (ou que vous devez avoir recours à une épilation définitive en vue d’une opération), il existe trois méthodes d’épilation dites « définitives » : laser, lumière pulsée, électrolyse. Chacune de ces méthodes a ses spécificités et est plus adaptée pour certains types de poils/peau : Un·e dermatologue pourra vous conseiller au mieux sur l’option qui vous conviendra le mieux. Les traitements d’épilation définitive ne sont pas remboursés, durent assez longtemps et ont un certain coût. (Comptez une centaine d’euros pour une séance de 15 minutes) Épilation au laser : pour tous types de poils et de peaux sauf les poils blancs ou très clairs. Épilation par lumière pulsée : pour tous types de poils sauf les poils blancs ou très clairs. Moins efficace sur les peaux foncées. Épilation par électrolyse : pour tous types de poils et de peaux, même les poils blancs ou très clairs. C’est plus douloureux que les autres méthodes. En pratique, il arrive souvent que le traitement commence par la méthode du laser puis passe à l’électrolyse. Pour toutes les méthodes, le nombre de séances nécessaire peut énormément varier d’une personne à l’autre mais on considère que la moyenne est de 8 séances. Il faut compter à peu près 6 semaines d’espacement entre chaque séance. Il est fortement déconseillé de s’épiler à la cire/épilateur électrique/pince à épiler avant une séance. Aussi, après chaque séance, il est impératif d’éviter d’exposer sa peau au soleil. 45 Pourquoi est-il nécessaire d’avoir une attention particulière pour la santé sexuelle des personnes trans ? La réponse est simple, il y a un cruel manque d’informations sur le sujet. Nous nous devons d’avoir des points d’interrogation : • Un traitement hormonal peut-il interagir avec un autre traitement tel que l’antirétroviral du VIH, ou encore la PreP⁷ ou le TPE⁸ ? • Certaines opérations peuvent-elles modifier les risques de transmission d’IST ? Quid de la perméabilité d’un néovagin (après une vaginoplastie) ? Idem pour un néopénis ? Quid des muqueuses ? • Quid du TH sur la fertilité ? Il faut savoir que ce n’est pas parce qu’une personne est sous TH qu’elle est forcément stérile. Cela dépend des individus. Il est préférable de s’adresser à des spécialistes en ce qui concerne ces trois points de questionnements. Vous trouverez quelques informations supplémentaires ci-dessous. Il faut néanmoins savoir que le TH peut influencer la vie sexuelle, la contraception et/ou la fertilité⁹ ¹⁰ : La prise de testostérone a quelques effets sur la vie sexuelle : • En général, une augmentation de la libido survient. • Souvent, une sécheresse vaginale est provoquée. Il existe des crèmes pour contrer la situation, mais il faudra en parler avec un·e médecin. Cette sécheresse est inconfortable mais elle entraîne aussi de plus grands risques d’irritation/ fissure, et donc de plus grands risques d’attraper une IST. N’oubliez donc pas le lubrifiant (et la capote) ! • La croissance du clitoris (« dicklit ») peut demander une légère adaptation des moyens de protection contre les IST. En effet, le carré de latex peut être plus compliqué à utiliser. Une solution peut être de couper un gant à partir du poignet jusqu’au début du pouce. Cela permettra de couvrir le dicklit et de laisser le reste pour protéger la vulve. En ce qui concerne la contraception, s’il n’y pas eu hystérectomie, il faut savoir que la testostérone ne rend pas stérile à coup sûr ! En effet, si le temps entre les prises ou le dosage change, une ovulation peut être provoquée. Si vous ne désirez pas une grossesse, discutez avec votre médecin des méthodes de contraception possibles, en plus des préservatifs bien sûr. Après un rapport qui pourrait entraîner une grossesse, il y a la possibilité de prendre la pilule du lendemain. Elle est disponible en pharmacie ou dans les plannings familiaux (gratuitement dans ceux-ci). Elle doit être prise le plus tôt possible, 72h maximum après le rapport à risque. Le principe de cette pilule est de déclencher les règles, en évitant ainsi l’ovule fécondé de se fixer à l’endomètre. Si la prise de testostérone est régulière, il n’y a à priori pas d’endomètre et donc pas de raison de prendre la pilule du lendemain. Dans le cas contraire, la prise de celle-ci est efficace ! Traitement masculinisant ⁷ Source : h�ps://www·exaequo.be/fr/ta-sante/tpe-et-prep/prep ⁸ Source : h�ps://www·exaequo.be/fr/ta-sante/tpe-et-prep/urgence-ppe ⁹ Source : h�ps://infotransgenre.be/m/soins/masculinisa�on/hormones/ ¹⁰ Source : h�ps://transgenderinfo.be/m/soins/feminisa�on/hormones/ 46 En cas de grossesse non désirée, l’IVG (interruption volontaire de grossesse) étant un droit en Belgique, les personnes trans masculines peuvent également y avoir recours. Si vous désirez une grossesse, cela reste possible après le début du traitement hormonal. Il faudra cependant arrêter la prise de testostérone afin de permettre à l’ovulation de refaire son apparition, ce qui peut prendre un certain temps. Si le traitement hormonal est stoppé pendant la grossesse, il n’y a aucun risque pour le fœtus. Au contraire, si vous le maintenez, il y a des probabilités accrues de malformations. Il est également possible de faire conserver ses ovocytes. Avant le prélèvement de ceux-ci, il faudra passer par trois semaines de traitement d’injections d’hormones ayant pour but de stimuler la maturation des ovocytes. Il est préférable d’entreprendre cette procédure avant le début du traitement hormonal masculinisant car dans le cas contraire, il faudra arrêter la prise de testostérone pendant 3 à 6 mois. Il faut compter entre 1.500 et 3.000 euros pour le coût total de cette démarche, en ajoutant 100 euros de « loyer » par an. Un traitement hormonal féminisant peut entraîner une baisse du désir sexuel, cependant cela n’est pas une généralité. Si vous êtes sous Androcur, les érections disparaissent et la stérilité survient. La production de spermatozoïdes diminue après environ deux mois de traitement hormonal féminisant, mais ce n’est pas suffisant pour être un moyen de contraception efficace, donc encore une fois n’oubliez pas les préservatifs ! Il est possible de faire conserver du sperme avant le début du traitement hormonal, afin de garder la qualité maximale des gamètes. Les prix sont raisonnables pour la cryoconservation du sperme : 100 euros de « loyer » pour les deux premières années et ensuite 50 euros par année supplémentaire. Les TH féminisants et les traitements ARV (antirétroviraux) Œstrogènes + ARV si la personne est déjà sous ARV lors du début du TH : Le TH est adapté en fonction des ARV afin de limiter les interactions. Il n’y a en général pas avec les œstrogènes naturels, mais les interactions avec les œstrogènes artificiels présentent un risque pour la santé, même si cela arrive de moins en moins avec les ARV modernes. Tout cela est à discuter avec votre médecin spécialiste du VIH. Œstrogènes + début d’un traitement ARV : Le traitement anti VIH déstabilise le TH, il faudra donc l’adapter en fonction. Progestérone + traitement ARV : La progestérone peut également avoir des interactions avec les ARV. Si lae médecin considère que la progestérone est nécessaire pour votre TH, iel adaptera selon la molécule utilisée pour le traitement anti VIH. Traitement féminisant Les traitements hormonaux et traitements contre le VIH 47 Les TH masculinisants et les traitements ARV Il y a énormément d’interactions possibles entre les traitements ARV et la testostérone qui dépendent des molécules utilisées pour l’ARV. Vous pouvez consulter ce site sur les interactions entre ces molécules et d’autres traitements : http://www.hiv-druginteractions.org/ et en parler à votre médecin spécialiste du VIH. Le manque de données ne permet pas d’assurer tout à fait qu’il n’existe pas d’interactions entre ces deux traitements. Vous pouvez donc utiliser la PrEP mais demandez tout de même l’avis de vos médecins (spécialiste du VIH et cellui qui prescrit vos hormones). Cette section a pour but de vous renseigner sur les particularités de ces sujets vis-à-vis de la transidentité, mais il s’adresse aussi aux partenaires qui ne sont pas renseigné·e·s sur les particularités des corps et identités trans, afin qu’iels puissent mieux vous respecter. Lors de la rencontre avec un·e potentiel·le partenaire sexuel·le il vous faudra faire un choix : l’informer de votre transidentité ou pas. Plusieurs choses peuvent influencer cette décision : votre acceptation ou pas de votre identité trans, l’avancée de votre transition, et votre aise à l’idée de l’annoncer. Tout dépend de la relation de confiance que vous avez tissée. Il peut être compliqué de savoir quand est le bon moment pour annoncer à sa·on partenaire éventuel·le que l’on est transgenre. Vous aurez sûrement peur que la personne réagisse mal : mépris, rejet, voire violence… et cela, que ce soit fondé ou pas. L’important c’est de placer sa sécurité avant tout ; si vous êtes persuadé·e que la personne pourrait devenir violente (que ce soit psychologiquement ou physiquement), il ne vaut mieux pas prendre le risque, vous trouverez mieux ailleurs ! Révéler sa transidentité ou pas est donc avant tout un choix à faire pour soi-même. Comme dans tous les autres contextes, n’oubliez pas que vous n’avez pas à justifier qui vous êtes, expliquer si nécessaire oui, mais personne n’a le droit d’être « d’accord» ou pas avec votre identité. Si vous avez un bon feeling quant à la réaction de votre partenaire, vous pouvez vous poser quelques questions pour être certain·e que ce soit le bon moment de faire votre coming out : • L’endroit : vous sentez vous à l’aise et en sécurité, physiquement et mentalement ? • Vous sentez-vous prêt·e à expliquer la transidentité et ses implications si nécessaire ? • Êtes-vous prêt·e à écouter vos besoins au cas où la situation vous met mal à l’aise ? • Êtes-vous en capacité de gérer un potentiel rejet (émotionnel ou sexuel) ? • Pouvez-vous facilement quitter les lieux ? • Avez-vous un lieu à rejoindre pour être en sécurité ? • Avez-vous prévenu quelqu’un·e du lieu où vous vous trouvez et avec qui vous êtes ? • Si nécessaire, avez-vous quelqu’un·e de confiance pour vous réconforter ou vous aider ? En bref, vous pouvez informer ou pas votre potentiel·le partenaire de votre transidentité, c’est votre droit. C’est compliqué de prévoir la tournure exacte d’une situation, mais l’important est de se préparer à différentes réactions et de savoir poser (et donc connaître) ses limites. Ceci dit, le coming out ouvre la voie d’une relation de confiance et permet de pouvoir communiquer ce que l’on a envie ou non, notamment sexuellement. Les traitements hormonaux et la PrEP Le coming-out à un·e partenaire potentiel·le 48 Comment aborder une personne trans ? • Respectez la façon dont elle se désigne : prénom, pronoms, accords … Ce sont les bases du respect. • Evitez d’ouvrir grand les yeux quand vous verrez son corps ; elle sait qu’elle ne rentre pas dans les normes cis, pas besoin de le souligner. • N’ayez pas peur de demander la signification d’un mot qu’elle utilise si vous ne le connaissez pas, c’est plus pratique pour communiquer. Utilisez aussi les mêmes mots qu’elle emploie pour parler de son corps, d’autres mots pourraient la mettre mal à l’aise ! • Si votre partenaire est out, c’est son choix et vous n’avez pas à lui demander de se cacher pour votre propre confort. Par contre, si iel ne l’est pas, vous devez garder l’information privée. • Ne demandez pas « mais du coup tu fais la fille/le mec au lit ? », cette expression ne veut rien dire. Demandez plutôt quelles pratiques elle préfère. • Ne dites pas « tu es exotique/fascinant·e » ou autre chose du même genre. Ça penche vers la fétichisation et personne n’a envie de se sentir comme un objet/comme une nouvelle expérience pour sortir du quotidien. Les personnes trans sont comme tout le monde et du sexe reste du sexe ! 49 La procédure de changement de prénom est possible dès l’âge de 12 ans, avec l’accord des parents / tuteur·ice légallaux. Cela veut donc dire que la seule chose qui diffère de la procédure pour les personnes majeures est que la demande doit comporter leur signature. Si un des parents/les deux/lae tuteur·ice refuse le changement de prénom, il est possible de s’adresser au tribunal de la famille afin de désigner un·e « tuteur·ice ad hoc ». Cellui-ci remplace alors l’autorité parentale pour accompagner lae jeune pour son changement de prénom. Dans ce cas, lae juge peut désigner un·e avocat·e pour remplir ce rôle. Pour tout cela, il faut donc suivre une procédure devant le tribunal de la famille. En tant que mineur·e, il est possible de faire appel gratuitement à un·e avocat·e. Il est possible de changer de prénom une deuxième fois au tarif réduit, avant l’âge de 18 ans et si l’enregistrement du sexe n’a pas été modifié. Il faut aussi que le prénom corresponde à la mention du sexe figurant à l’origine sur l’acte de naissance, c’est donc une démarche possible pour pouvoir faire « marche arrière ». Changement de prénom pour les mineur·e·s Changement de l’enregistrement de la mention ‘’sexe’’ pour les mineur·e·s École La procédure de changement de l’enregistrement du marqueur de genre (mention M/F) est possible à partir de 16 ans. Les différences par rapport à la procédure réservée aux personnes majeures sont que les deux parents ou lae tuteur·ice légal·e doivent accompagner lae jeune tout au long de la procédure (et donc signer les déclarations) et qu’une attestation d’un·e psychiatre soit demandée. Lae psychiatre indique dans cette attestation que lae jeune a « la capacité de discernement » nécessaire pour prendre cette décision. De même que pour le changement de prénom, si les parents/lae tuteur·ice refusent d’accompagner lae jeune, il est possible de faire appel au tribunal de la famille afin de désigner un·e « tuteur·ice ad hoc ». Il est possible de respecter la transidentité d’un·e élève en mettant en place quelques petites choses. Déjà simplement en appelant l’élève par son prénom choisi au quotidien, même s’il n’a pas été changé officiellement. Les écoles ont également la possibilité d’utiliser le prénom usuel sur les documents internes : tests, listes de classe, cartes d’étudiant, adresses mail, … Il va de soi que de s’adresser à une personne de la façon dont elle le veut est bénéfique pour tout le monde. En effet, dans ce cas, cela permet à l’élève de se sentir à l’aise dans son milieu scolaire (cela va de même pour les clubs sportifs et autres lieux de loisirs !) en plus de pouvoir éviter des confusions. De plus, lorsqu’un·e étudiant·e est appelé·e par 50 son prénom administratif à l’école et par son prénom usuel ailleurs, avec ses amis par exemple, iel se retrouve dans une situation d’outing permanent, ce qui représente une violation de la vie privée qui peut entrainer de graves conséquences. Il n’existe pas clairement d’obligations juridiques à adopter cette pratique. Cependant, en prenant en compte le droit à la vie privée ainsi que le fait que le « changement de sexe » et l’identité de genre soient des critères protégés par la Loi Genre (loi anti-discriminations), il semble raisonnable que les écoles acceptent l’utilisation d’un prénom usuel. Traitement hormonal Il est possible d’entamer un traitement hormonal masculinisant ou féminisant à partir de l’âge de 16 ans. Avant cela, il est possible d’obtenir un traitement bloquant les hormones sexuelles. Cela a pour effet de stopper la puberté, de la mettre en « pause ». Ces inhibiteurs d’hormones peuvent être pris à partir d’un certain stade de développement de la puberté. Etant donné que la puberté n’arrive pas au même moment pour tout le monde, on ne peut pas donner un âge précis à atteindre avant le début de ce traitement ; ce sera le rôle de l’endocrinologue d’analyser le stade de développement de la puberté. Ce traitement n’est pas définitif et est réversible : si la prise des inhibiteurs est arrêtée, la puberté reprendra son développement normalement. Cette mise en pause de la puberté permet aux jeunes trans / en questionnement d’avoir plus de temps pour explorer leur identité de genre, tout en enlevant la pression d’une puberté qui n’irait pas dans le sens qui leur conviendrait. Les caractéristiques sexuelles secondaires (pilosité, poitrine, mue…) n’apparaissant pas/peu, ce traitement peut aussi faciliter une éventuelle transition médicale future. 51 courrier@lgbt-lux.be fb.me/MaisonArcenCielduLuxembourg6760 https://www.lgbt-lux.be 063 22 35 55 Avenue Bouvier, 87 – 6762 Virton Maison Arc-en-Ciel du Luxembourg courrier@macliege.be fb.me/macliege.be https://www.macliege.be 04 223 65 89 Rue Hors-Chateau, 7 – 4000 Liège Maison Arc-en-Ciel de Liège info@maccharleroi.be fb.me/maccharleroi https://maccharleroi.be/ 0470 39 17 30 ou 0472 99 17 03 Rue Prunieau, 1 – 6000 Charleroi Maison Arc-en-Ciel de Charleroi info@macbw.be fb.me/MacBrabantwallon https://macbw.be/ 0478 15 45 79 ou 0486 60 75 17 Rue des Deux Ponts, 15 – 1340 Ottignies – LLN Maison Arc-en-Ciel du Brabant Wallon Les Maisons Arc-en-Ciel (MAC) info@federation-prisme.be fb.me/federationprisme https://www.federation-prisme.be/ Rue Sainte Marie, 15 – 4000 Liège 04 222 17 33 Fédération Prisme 52 faceatoimeme@outlook.com fb.me/asblfaceatoimeme https://faceatoimeme.com Rue Jardon, 25 – 4800 Verviers 0455 15 34 04 Face à Toi Même contact@genrespluriels.be fb.me/genres.pluriels https://www.genrespluriels.be Rue Marché au Charbon, 42 – 1000 Bruxelles 0487 63 23 43 Genres Pluriels contact@ensembleautrement.be fb.me/macverviers https://www.ensembleautrement.be 0495 13 00 26 (général) – 0491 30 22 28 (service social) Rue Xhavée, 21 – 4800 Verviers Maison Arc-en-Ciel de Verviers info@macnamur.be fb.me/macnamur https://macnamur.be 0471 52 44 21 Rue Eugène Hambursin, 13 – 5000 Namur Maison Arc-en-Ciel de Namur info@mac-mons.be fb.me/maisonarcencieldemons https://www.mac-mons.be/ 065 78 31 52 Boulevard John Fitzgerald Kennedy, 7 – 7000 Mons Maison Arc-en-Ciel de Mons 53 cercle.chem@gmail.com – accueil.chem@gmail.com fb.me/chem.mons.1 https://www.lescheff.be/mons/ Rue de la Seuwe, 20 – 7000 Mons 081 22 09 19 ou 0486 35 43 61 Le CHEM Cercle Homosexuel Estudiantin de Mons, pour toute personne LGBTQIA+ comite@chel.be fb.me/chel.jhl https://www.chel.be Le 1er jeudi de chaque mois : MAC de Liège – Rue Hors-Château, 7 – 4000 Liège Les autres jeudis : Locaux du SIPS – Rue Soeurs-de-Hasque, 9 – 4000 Liège Le CHEL Cercle Homosexuel Etudiant Liégeois, pour toute personne LGBTQIA+ sasha@ensembleautrement.be https://www.pointdeconfort.be/chev Point de Confort – Rue Jardon, 25 – 4800 Verviers 0455 15 34 04 Jeunesse Queer Verviétoise Cercles des jeunes LGBTQIA+ de Verviers info@lescheff.be fb.me/lesCHEFF https://www.lescheff.be Rue Eugène Hambursin, 13 – 5000 Namur 081 22 09 19 ou 0486 35 43 61 Les CHEFF Cercles Homosexuels Estudiantins Francophones Fédérés, pour toute personne LGBTQIA+ de moins de 30 ans 54 cercle.chelln@gmail.com fb.me/CHELLNLouvainLaNeuve https://www.lescheff.be/lln/ Foyer de l’AGL – Rue des Wallons, 67 – Louvain-la-Neuve Le CHELLN Le Cercle LGBTQIAP+ de Louvain-la-Neuve checercle.ulb@gmail.com fb.me/CHE.Bruxelles/ https://www.lescheff.be/bruxelles/ Campus Solbosch (local S.E1.3.117) Avenue Adolphe Buyl – 1050 Ixelles Le CHE Le Cercle Etudiant LGBTQI de Bruxelles contact.chezmarsha@gmail.com fb.me/ChezMarshaNamur Rue de l’Arsenal, 5a – 5000 Namur 081 22 09 19 ou 0486 35 43 61 Chez Marsha Cercle LGBTQI de Namure check.charleroi@gmail.com fb.me/CHECharleroi https://www.lescheff.be/charleroi/ Rue Prunieau, 1 – 6000 Charleroi 081 22 09 19 ou 0486 35 43 61 Le CHEC(K) CercleLGBT+ de Charleroi 55 contact@pointdeconfort.be fb.me/pointdeconfort https://www.pointdeconfort.be Rue Jardon, 25 – 4800 Verviers 0455 15 34 04 Point de Confort hello@transkids.be fb.me/TranskidsBelgique https://www.transkids.be Rue du Fort, 85 – 1060 Saint-Gilles 0486 83 17 88 TransKids Belgium identiq@lescheff.be fb.me/identiqcheff https://www.lescheff.be/identiq/ Rue Eugène Hambursin, 13 – 5000 Namur IdenTIQ 56 La Ville de Verviers et son Échevinat de l’égalité des chances Cette brochure est à destination des personnes Trans*, de leurs proches et des professionnel·le·s afin de trouver des informations utiles.
Au 19
ème siècle : Conditions de travail misérables
Un peu d’histoire…
•
Salaires médiocres (0,35 Fb /jour) –> Pain = 0,25 Fb
•
Journée de travail de 12 à 18h/Jour;
•
Le travail des femmes et des enfants est instauré;
•
Dans les fabriques, les travailleurs avaient un passeport (livret) à
donner quotidiennement à leur patron;
•
Précarité des logements;
Au 19
ème siècle : Conditions de travail misérables
Un peu d’histoire…
•
Pas de sécurité sociale (aucune indemnité en cas de perte de travail,
maladie, accident professionnel, pas de pension, ni de congés payés)
•
Pas de scolarisation
•
Pas de droit de vote
•
Pas de droit de grève
C’est l’exploitation accrue des patrons !
La classe ouvrière
Les ouvriers comprennent que seuls, ils ne peuvent rien faire…
Mais
tous ensemble , ils vont lutter et s’organiser !
La lutte des classes commence !
«
Combattre unis, c’est gagner ensemble ! »
La classe ouvrière
•
De 1857 à 1859, des grèves (non autorisées) éclatent, certains sont
condamnés à 2 ans de prison;
•
En 1860, les premiers syndicats ouvriers voient le jour dans les grandes
entreprises, sous le forme de sociétés mutuelles professionnelles;
•
En 1864, la fondation de la première internationale (AIT) est créée par Karl
Marx à Londres (La section belge en 1865);
•
En 1866, le droit de grève est reconnu sur le principe (mais les
manifestations sont sanctionnées !)
•
De 1866 à 1885 de nombreuses grèves ont lieux…
En 1885, le P.O.B se constitue (Parti Ouvrier Belge)
–
-> Il déclare être un parti politique et
•
En 1890, c’est +/ 40.000 affiliés;
•
En 1898, création de la commission syndicale.
En 1910, la première manifestation pour revendiquer la journée de travail de 10h/jour;
•
En 1913 +/ 130.000 affiliés;
•
1911 : Travail des enfants interdit pour les moins de 14 ans > Obligation scolaire jusqu’à cet âge;
•
De 1914 à 1918, la première guerre mondiale (Résistance face à l’ennemi);
•
En 1919, naissance de commissions paritaires
3 grandes revendications :
1.
La journée de travail à 8h/Jour;
2.
Une augmentation de 100% sur les salaires d’avant guerre;
3.
La reconnaissance des syndicats par les patrons.
•
En 1919, le suffrage universel pur et simple est voté.
(Les hommes à partir de 21 ans peuvent voter)
Avancées des conquêtes sociales :
•
1921 : Journée de travail de 8h
•
1930 : Allocations familiales
•
1936 : 500.000 manifestants en Belgique pour revendiquer une hausse des salaires, des congés payés, la
semaine de 40 heures et la liberté syndicale;
•
1936 : Changement du nom du syndicat : C.G.T.B
(
C onfédération G énérale du T ravail de B elgique)
•
1944 : Signature du Pacte social, fondement des bases de La sécurité sociale
•
1945 : La C.G.T.B change de nom, et devient la F.G.T.B
(
F édération G énérale du T ravail de B elgique)
–
-> Déclaration de principe de la F.G.TB
•
1948 : Droit de vote pour les femmes
•
1955 : Semaine de 5 jours
•
1969 : Interdiction de licencier les femmes enceintes
Système de solidarité
–
Meilleures conditions de travail et droit de parole
–
Protection de tous les droits conquis
–
Obtention de nouveaux droits
–
Défense individuelle
–
Défense collective
Service chômage
–
Paiement des allocations
–
Infos, conseils, accompagnement
–
Défense en cas de problème
Service juridique
Possibilité de recours gratuits devant
le Tribunal du travail en cas de litige
Contre
pouvoir
–
Défense des intérêts des travailleurs
et personnes sans emploi
–
Négociation des salaires et
conditions de travail au niveau
fédéral, des secteurs et des
entreprises
–
Participation à la gestion de la
sécurité sociale et des services
publics
–
Actions en cas de conflit au niveau
local, régional, national et
international
Services spécialisés
–
Selon les secteurs professionnels (non
marchand, agro alimentaire, HORECA,…)
–
Selon son âge ou sa situation (jeunes,
intérimaires, TSE,…)
GUIDE DES DÉLÉGUÉ.E.S POUR LUTTER CONTRE L’HOMOPHOBIE ET LA TRANSPHOBIE AU TRAVAIL ) 3LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE MINI-LEXIQUE POUR MIEUX COMPRENDRE LES TERMES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS DANS CETTE BROCHURE Qu’entendons-nous par « sexe » et par « genre » ? Ces termes sont souvent utilisés comme synonymes alors qu’ils recouvrent des réalités différentes. t Le sexe fait référence aux différences biologiques. En fait, le sexe biologique renvoie à très peu de choses: l’anatomie, les hormones, les chromosomes, les gonades. t Intersexuations : Beaucoup de gens pensent que le monde est divisé en deux sexes biologiques, les mâles et les femelles. Et que toute personne présente des caractéristiques biologiques et génétiques qui relèvent d’une seule de ces deux catégories. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. Des millions de personnes dans le monde (et environ 1,7 % de la population, en Belgique notamment) présentent des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions traditionnelles binaires du corps mâle ou femelle. Ces caractéristiques peuvent être visibles à la naissance, apparaître seulement à la puberté, ou encore ne pas être apparentes du tout sur le plan physique. Si intervention il y a, elle est souvent « forcée » par le corps médical ou par les parents. Intersexe correspond à la lettre I dans LGBTI+ Voici quelques exemples de ces caractéristiques sexuelles: s présence d’un pénis ou d’un vagin/vulve ; s taux hormonaux (Œstrogène, progestérone, testostérone) ; s génotype (XX, XY, mais aussi XXX, X, XYY…) ; s présence de testicules ou d’ovaires. 4 t Le genre, à la différence du sexe biologique, fait référence à l’identité et aux différences sociales entre les femmes et les hommes. Le genre est une construction sociale : les comportements et attitudes des hommes et des femmes sont liés aux conditions historiques et socioculturelles dans lesquelles iels ont grandi et vécu. Cette construction sociale qu’est le genre se base sur l’assignation (de femme ou d’homme) à la naissance en fonction du sexe biologique (de femelle ou de mâle) et mène à une hiérarchisation valorisant systématiquement l’homme par rapport à la femme. Voici quelques exemples de caractéristiques de « genre »: s Souvent, les pères auront plus de difficultés à prendre leur droit au congé parental que les mères. De plus, le congé de maternité est de 15 semaines, pour seulement 10 jours dont 7 facultatifs pour le congé de paternité ! s Les femmes sont souvent davantage orientées vers des filières d’études courtes et des professions relatives aux services à la personne, des secteurs peu valorisés, pénibles et moins bien payés. s Les hommes ont plus facilement accès à des promotions, ont des carrières plus complètes et, dès lors, ouvrent davantage de droits à la Sécurité sociale (pension par exemple, ou chômage complet). L’identité de genre (qui sommes-nous dans notre for intérieur ?): L’identité de genre renvoie à la conviction intime et profonde ainsi qu’au vécu de chacun.e par rapport à son propre genre, qui correspond ou non au genre (femme ou homme) assigné à la naissance, y compris dans le vécu corporel. Personne trans*: désigne toutes les personnes dont l’identité de genre (femme, homme ou non-binaire) diffère de celle assignée à la naissance. Terme « coupole » pouvant inclure hommes et 5LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE femmes transgenres, mais aussi les personnes non-binaires, agenres… Trans* correspond au T dans l’abréviation LGBTI+. Les termes transsexuel et transsexualité : sont à proscrire car ils sont issus du vocabulaire psychiatrique et mettent fortement l’accent sur le volet médical ou chirurgical. Une transition féminisante ou masculinisante est avant tout un processus social. Transidentité : terme générique utilisé pour décrire toute identité de genre autre que cisgenre. Personne cisgenre : Terme désignant les personnes dont l’identité de genre (femme ou homme) correspond à celle qui leur a été assignée à la naissance en fonction de leur sexe biologique (femelle, mâle ou intersexué.e). Agenre : personne qui ne désire pas être assimilée à un genre. La personne ne s’identifie ni comme femme ni comme homme ni comme genre fluide. Prénom social (ou prénom d’usage): prénom qu’une personne transgenre s’est choisi, qui correspond mieux à son identité de genre et par lequel la personne souhaite être appelée. L’expression de genre (quelle image renvoie-t-on?) L’expression de genre renvoie à la manière dont les personnes donnent forme (vêtements, langage, comportement…) à leur identité de genre et à la manière dont celle-ci est perçue par les autres. L’expression de genre (plutôt féminine, masculine ou androgyne) est la façon de s’habiller, de se coiffer, de choisir son métier… Ces pratiques ne sont pas naturelles, elles sont même arbitraires, et font l’objet d’un apprentissage social conscient et/ou inconscient. L’orientation sexuelle (par qui sommes-nous attiré.e.s ?): Lesbienne : Femme qui est attirée physiquement et/ou émotionnellement par d’autres femmes. Correspond au L dans LGBTI+ 6 Gay : Homme qui est attiré physiquement et/ou émotionnellement par d’autres hommes. Correspond au G dans LGBTI+ Homosexuel.le : Personne qui est attirée physiquement et/ou émotionnellement par les personnes du même sexe (ou du même genre, selon la personne qui s’autodétermine homo). Bisexuel.le : Personne qui est attirée physiquement et/ou émotionnellement par des hommes et par des femmes (ou par des personnes mâles et par des personnes femelles, selon la personne qui s’autodétermine bi). Correspond au B dans LGBTI+ Hétérosexuel.le : Personne qui est attirée physiquement et/ou émotionnellement par les femmes en tant qu’homme, ou par les hommes en tant que femme. Asexuel.le : Personne ne ressentant pas d’attirance sexuelle pour d’autres personnes (ou qui ont une attirance mais ne souhaitent pas avoir de rapports…) ; il ne s’agit pas là d’un dysfonctionnement, d’un traumatisme ou d’une supposée frigidité. Le « + »: fait référence à toutes les minorités d’orientation sexuelle ou d’identité de genre existantes. Correspond au + dans LGBTI+ Le coming out, ou sortir du placard Révélation, de manière volontaire, de son homo/bisexualité ou de sa transidentité par la personne concernée. La plupart du temps il s’agit d’un processus qui se fait étape par étape plus ou moins longues, à la fois intérieures (prise de conscience, acceptation de soi) et extérieures (ouverture progressive vers l’entourage). Bien que le coming out soit considéré comme contribuant à l’épanouissement, les facteurs extérieurs jouent un grand rôle : une personne pourra ainsi avoir fait son coming out auprès d’un entourage restreint avec lequel elle se sent en confiance, mais pas au travail, par exemple, si elle estime que c’est trop risqué. La décision de faire son coming out ou non 7LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE appartient donc entièrement à la personne, et ce choix doit être respecté en toutes circonstances. Pour les personnes qui ont fait le choix d’assumer publiquement et pleinement leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre, le coming out est un processus continu et perpétuel au cours de la vie, au gré des rencontres de nouvelles personnes et des inclusions dans de nouveaux groupes de personnes. Outing À la différence de la démarche volontaire qu’est le coming out, l’« outing » consiste à divulguer des éléments de la vie privée d’une personne (dont son homosexualité, sa bisexualité ou sa transidentité) sans son consentement explicite. Il s’agit alors d’une atteinte à la vie privée pouvant avoir des conséquences désastreuses pour la personne qui se retrouve exposée et fragilisée. Homophobie Terme coupole désignant une attitude négative pouvant mener au rejet et à la discrimination envers les personnes gays (gayphobie), lesbiennes (lesbophobie), bisexuelles (biphobie), ou à l’égard de toute autre personne, quelle que soit son orientation sexuelle, dont le comportement ou l’apparence déroge aux stéréotypes de « la masculinité » ou de « la féminité », préétablis dans un contexte social donné. L’homophobie peut se manifester sous forme de violences verbales (insultes, propos discriminants, remarques dévalorisantes ou culpabilisantes…), violences physiques (agressions, viols, harcèlement sexuel ou meurtres…), des violences sociales (exclusion, rumeurs, jugements…) ou par un comportement discriminatoire ou intolérant (discrimination à l’embauche, au logement, ou encore à l’accès aux soins médicaux). Transphobie La transphobie est une attitude négative pouvant mener au rejet et à la discrimination à l’égard d’une personne qui exprime une identité de genre ou manifeste une expression de genre différente du genre qui lui a été assigné à la naissance. Tout comme l’homophobie, la transphobie peut se manifester sous forme de violences verbales (insultes, propos discriminants, remarques dévalorisantes 8 ou culpabilisantes…), violences physiques (agressions, viols, harcèlement sexuel ou meurtres…), des violences sociales (exclusion, rumeurs, jugements…) ou par un comportement discriminatoire ou intolérant (discrimination à l’embauche, au logement, ou encore à l’accès aux soins médicaux). Interphobie Par analogie avec l’homophobie et la transphobie, l’interphobie est une attitude négative pouvant mener au rejet et à la discrimination à l’égard d’une personne intersexe. * 10 INTRODUCTION Malgré des avancées sur le plan législatif, l’homophobie, la transphobie et l’interphobie sont des fléaux qui continuent de marquer notre société. Elles englobent toutes les attitudes négatives pouvant mener au rejet et à la discrimination, directe et indirecte, envers les personnes LGBTI+, ou à l’égard de toute personne dont l’apparence ou le comportement ne se conformerait pas aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité. Comme beaucoup de formes d’intolérance, l’homophobie, la transphobie et l’interphobie se nourrissent de l’ignorance et des préjugés. Ceux-ci alimentent la méfiance et conduisent à la mise à l’écart des personnes LGBTI+. La discrimination qui en résulte peut prendre des formes détournées: les blagues, les rumeurs, les rires en coin et les commentaires ironiques sont autant de signes du mépris qu’on témoigne envers ceux et celles qui sont « différent.e.s ». Ce sont ces mêmes faits banalisés qui peuvent mener à la violence : aux insultes, aux agressions verbales et physiques, ayant déjà conduit au meurtre, en Belgique comme ailleurs! Les personnes gays, lesbiennes, bisexuelles et trans* forment une minorité invisible dans la société, sans signe distinctif. Iels appartiennent à tous les groupes d’âge, à toutes les communautés ethniques et autochtones et à toutes les classes sociales. Si certaines personnes se sentent capables de se révéler dans notre société qui, d’apparence, manifeste de plus en plus d’ouverture, beaucoup n’osent pas le faire, notamment par autocensure, par peur du licenciement ou de se confronter à des discriminations, des persécutions trop fortes de la part de collègues… Une atmosphère d’accueil, d’acceptation et d’inclusion, particulièrement dans nos milieux de travail, favoriserait le bien-être de toutes ces personnes, au même titre que pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses de notre pays, indépendamment de leur orientation sexuelle, identité ou expression de genre. 11LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Aujourd’hui encore, certaines personnes sont écartées de certains emplois et ce dès l’embauche, mais subissent aussi des conditions de travail plus difficiles que d’autres, se voient refuser une promotion ou l’accès à une formation, sont licenciées de manière abusive. Ce n’est ni à cause d’un problème de qualification, ni en raison d’un manque de compétences, ces individus sont purement et simplement victimes de discriminations. Il est évident que la lutte contre l’homophobie, l’interphobie et la transphobie doit être une préoccupation syndicale au même titre que le combat en faveur du bien-être au travail et contre toutes les autres formes d’exclusion et de discrimination. C’est pour toutes ces raisons que la Cellule Lutte Contre les Discriminations (CLCD) a choisi depuis quelques années d’en faire un axe prioritaire de sensibilisation. En 2006 déjà, la FGTB Liège Huy Waremme et les asbl Promotion et Culture et LaLucarne.org avaient lancé une vaste campagne de sensibilisation contre l’homophobie à l’aide de brochures et d’une exposition. En 2016, La FGTB wallonne, le CEPAG, la CLCD et LaLucarne.org ont actualisé la brochure de sensibilisation de cette campagne, ainsi qu’en 2018 la nouvelle mouture de l’exposition. Parmi les diverses initiatives menées en ce sens, un groupe de travail a été mis sur pied en octobre 2017. Composé de délégué.e.s et de militant.e.s, ce groupe de travail se réunit régulièrement en vue de lutter concrètement contre l’homophobie et la transphobie dans les entreprises. Si les participant.e.s sensibilisent et agissent déjà au sein de leur entreprise, iels souhaitent aujourd’hui aller plus loin dans leur action en développant une véritable campagne afin de toucher un plus grand nombre de travailleurs et travailleuses, mais aussi d’employeurs.euses. Cette brochure est l’outil central de la campagne, elle vous permettra de mieux comprendre sous quelles formes peuvent se manifester les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre, mais surtout elle vous indiquera comment agir! 12 Elle sera accompagnée d’affiches et de flyers. N’hésitez pas à les placarder et à les diffuser un maximum. Le combat pour l’inclusion et l’égalité est l’affaire de toutes et tous! Bonne lecture ! * 13LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE 1 L’HOMOSEXUALITÉ ET LA TRANSIDENTITÉ DANS L’HISTOIRE Une question de perception… L’homosexualité fait partie de l’histoire de l’humanité. À certaines époques, aimer une personne du même sexe était considéré comme inconcevable et à d’autres, il s’agissait d’un mode de vie tout à fait normal. Durant l’Antiquité, les relations entre hommes sont encouragées dans de nombreuses cités. En Grèce, les adolescents sont initiés à la vie sociale et politique, mais aussi sexuelle, par des hommes. L’objectif n’est pas forcément l’amour mais l’éducation, qui ne peut être prise en charge par les femmes, considérées comme inférieures. À Rome, la virilité fait l’objet d’un culte et l’homosexualité est largement répandue entre hommes libres et esclaves ou affranchis. Cependant, ceci est à nuancer car il s’agissait davantage d’un rapport de domination que d’affect. Que ce soit dans une relation hétéro ou homosexuelle, un Romain devait toujours être dominant et actif, avec une condamnation des « passifs » allant, dans certains cas jusqu’à la perte de certains droits civiques1 . L’arrivée du Christianisme et la montée de l’absolutisme (dans lequel la monarchie a un pouvoir absolu) au xiiie siècle donnent lieu à une condamnation très forte de l’homosexualité, considérée comme un « péché contre nature », avec, pour sanctions: la castration, la lapidation, le bûcher, la peine capitale et d’autres ignominies. À travers la redécouverte des chefs-d’œuvre de l’Antiquité, la Renaissance glorifie la beauté du corps masculin à travers les arts. Ceci étant, les persécutions contre les homosexuels s’intensifient, conduisant à une explosion des condamnations par rapport au Moyen-Âge. Au siècle des Lumières, l’homosexualité commence à faire l’objet de débats et non 1| Borillo D., L’homophobie, Que sais-je ?, 2002. Également à ce sujet, le livre de oert H. Allen, The Classical Origins of Modern Homophobia, décrit l’évolution de l’homophobie dans l’Antiquité. 14 plus d’une condamnation pure et ferme, tandis que la Révolution française permet la décriminalisation des actes sexuels entre personnes du même sexe. Si les personnes homosexuelles ont connu des périodes de relative tolérance, le xxe siècle s’est aussi illustré par des persécutions massives à leur égard (internement dans les camps de concentration nazis, port des « triangles roses » et purges homosexuelles staliniennes). Sur près de la moitié de la planète, les comportements des LGBTI+ sont criminalisés et ils sont même passibles de la peine de mort dans une dizaine d’États. Ainsi, l’orientation sexuelle est encore aujourd’hui un motif d’emprisonnement sommaire, de torture et de meurtre. Pourtant, la pénalisation d’un comportement homosexuel entre adultes consentants constitue une violation du droit à la vie privée et du droit à la non-discrimination, qui sont l’un et l’autre protégés en vertu du droit international. Ceci place les États en infraction quant à l’obligation de protéger les droits fondamentaux de tous les individus, indépendamment de leur orientation sexuelle, de leur sexe et de leur identité de genre. Nous le voyons donc, c’est surtout la perception sociale de l’homosexualité – et des critères de masculinité et de féminité — qui a beaucoup varié au cours de l’histoire, entraînant parfois avec elle des changements législatifs concrets. Qui fait évoluer la législation… Plusieurs dates marquent ainsi en Belgique l’avancée de la lutte en matière d’égalité des droits pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans* et intersexes (LGBTI+) : t 1972 : Dépénalisation de l’homosexualité ; t 1998 : Loi sur la cohabitation légale (première reconnaissance légale des couples de même sexe) ; t 2003 : Loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe ; t 2005 : La Belgique est le 1er pays à proclamer officiellement le 17 mai Journée nationale de Lutte contre l’Homophobie ; t 2006 : Loi permettant l’adoption par les couples de même sexe ; 15LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE t 2007 : Concernant les transidentités: une première loi permet aux personnes transgenres de changer leur mention de genre (erronément encore appelé « changement de sexe » à l’époque) sur la carte d’identité. Les conditions en sont cependant extrêmement strictes et en désaccord avec plusieurs droits humains: attestation psychiatrique, suivi hormonal, stérilité ou stérilisation. t 20172 : la loi de 2007 est adaptée, cette fois-ci elle se base sur l’autodétermination des personnes transgenres, qui peuvent alors changer leur « enregistrement de sexe » (M ou F sur la carte d’identité) à la suite de deux déclarations sur l’honneur: il n’y a plus de psychiatrisation, médicalisation ni de stérilisation nécessaire. Le changement de prénom est également possible à la suite d’une déclaration à la commune de domiciliation. Cependant ces lois continuent à psychiatriser les mineur.e.s. Par ailleurs, le Parlement européen a émis un communiqué concernant la résolution du 4 février 2014 contre l’homophobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. À l’égard des personnes transgenres, il est fait mention de ceci : « Selon les députés, les États membres devraient ‘instaurer des procédures de reconnaissance juridique du genre ou réviser celles déjà en place, en vue de respecter pleinement le droit des personnes transgenres à la dignité et à l’intégrité physique’ ». À Malte, la loi adoptée le mercredi 1er avril 2015 (tant par la majorité que par l’opposition catholique) est un exemple dans la lutte contre l’homophobie et la transphobie. Le Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act (GIGESC), vise à protéger les droits des personnes trans*, intersexes […], en particulier le droit à l’autodétermination de son identité : « Toute personne citoyenne de Malte a droit à la reconnaissance de son identité de genre ; le développement libre de sa personne selon son identité de genre ; être traitée en accord avec son identité de genre et, en particulier, être identifiée de cette façon dans les documents établissant son identité ; et l’intégrité corporelle et l’autonomie physique ». 2| Voir: igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/transgenre/legislation 16 Enfin, dernièrement, la Cour de Justice de l’Union européenne, dans son communiqué de presse n° 48/20, du 23 avril 20203 , affirmait : « Des déclarations homophobes constituent une discrimination en matière d’emploi et de travail lorsqu’elles sont prononcées par une personne qui a ou peut être perçue comme ayant une influence déterminante sur la politique de recrutement d’un employeur. Dans un tel cas, le droit national peut prévoir qu’une association a le droit d’agir en justice pour obtenir réparation des dommages, même si aucune personne lésée n’est identifiable. » Espérons que cela puisse faire jurisprudence devant nos tribunaux! 2 LES RACINES DE LA DISCRIMINATION Stéréotypes et préjugés Les stéréotypes et les préjugés sont souvent à l’origine des discriminations. Stéréotype : généralisation simplifiée appliquée à un groupe entier de personnes, sans tenir compte des différences individuelles. Les stéréotypes sont des images figées, de l’ordre des croyances et des simplifications de la réalité. Ils visent souvent à justifier la conduite d’un groupe vis-à-vis d’un autre groupe. Certains stéréotypes peuvent paraître positifs au premier abord. Par exemple, on dit que les Québécois sont chaleureux. Cela revient à généraliser de façon abusive, car tous ne le sont pas. Voici d’autres exemples de stéréotypes: t les personnes vivant dans certains quartiers sont dangereuses; t les patrons sont tyranniques; t les personnes pauvres sont fainéantes. 3| Arrêt dans l’affaire C-507/18 : NH/Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI – Rete Lenford 17LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Préjugés : Le verbe « préjuger » signifie juger avant. C’est porter un jugement de valeur. Avoir des préjugés, c’est formuler un jugement inconsidéré et définitif sur une personne ou un groupe de personnes sans les connaître suffisamment. Le préjugé est une idée préconçue sur une personne ou un groupe de personnes. Un préjugé se fonde toujours sur un stéréotype. Parce que les préjugés nous sont inculqués par notre environnement social, s’en défaire demande une prise de conscience, un travail sur soi. 3 L’HOMOSEXUALITÉ ET LES TRANSIDENTITÉS POUR LES NUL.LE.S L’homosexualité est un choix. FAUX Être homo ou hétéro, c’est comme être droitier ou gaucher. Toutefois, les pressions sociales peuvent influencer le vécu des gays et des lesbiennes ou, parfois, les forcer à cacher leur orientation sexuelle. Malgré de nombreuses tentatives, aucune recherche scientifique n’a été concluante ou est restée inattaquable sur l’éventuelle présence d’un gène ou d’un trouble hormonal, ni établir de raisons psychiatriques, psychologiques ou sociologiques responsables de l’homosexualité. Il est facile d’identifier les personnes gays et les lesbiennes d’un simple coup d’œil. FAUX Être homosexuel.le ne signifie pas « efféminé » ou « garçon manqué ». Une minorité de personnes homosexuelles ont toutefois fait le choix d’adopter des codes d’apparences spécifiques et des signes distinctifs pour montrer une appartenance à une communauté. Ce sont eux et elles que les médias, à l’affût d’images « sensationnelles », mettent en avant. Mais adopter une attitude ou un look particulier n’est pas l’apanage des personnes LGBTI+: la communauté hip-hop, les fans de manga, les gothiques, les syndicalistes, les supporters de foot… ont également des codes spécifiques. 18 Les gays et les lesbiennes occupent des emplois précis sur le marché du travail. FAUX Au-delà du cliché dépassé du coiffeur, du danseur, du fleuriste, gays ou de la gardienne de prison lesbienne, les personnes homosexuelles travaillent dans tous les secteurs. Comme les personnes hétéros, iels font un choix de carrière en fonction de leur parcours, de leurs aptitudes ou de leurs passions, même si certains secteurs professionnels sont plus tolérants et accueillants que d’autres. La transidentité est une maladie mentale. FAUX La construction binaire du genre (femme/homme) est une invention sociomédicale qui crée l’illusion que le genre ne peut prendre que deux formes différentes. De par le monde, malheureusement, toute différence détectée au regard de la norme est a priori considérée comme une pathologie, à soigner. Les personnes transgenres ont même longtemps été affublées d’un diagnostic de maladie mentale dénommée « trouble de l’identité de genre »! Or, les transidentités ont été retirées des maladies mentales par l’OMS, en 2019. Aussi, aucune personne ne devient transgenre ! Les êtres humains qui sont transidentitaires naissent avec cette particularité et devront faire avec cette différence parfois difficile à assumer. Les personnes transgenres sont plus discriminées à l’embauche. VRAI Il ressort d’une étude internationale4 que les chiffres du chômage parmi les personnes transgenres sont beaucoup plus élevés par rapport à la population en général, que les comportements vexatoires dus à l’expression du genre sont très fréquents et que des conflits surviennent souvent lorsque les autres travailleur.euse.s doivent partager des toilettes ou des vestiaires avec une personne transgenre. Les comportements vexatoires éventuels ou la discrimination ressentie peuvent avoir un impact à vie sur la confiance en soi de la personne concernée et sur sa participation au marché du travail. 4| Les personnes transgenres ont beaucoup de difficultés à trouver du travail en Belgique. Dans le cadre de la plus grande étude jamais réalisée en Europe auprès de personnes transgenres issues des 28 États membres, pas moins de 53 % de tou.te.s les répondant.e.s belges ont indiqué se sentir discriminé.e.s dans leur recherche d’emploi. La moyenne européenne s’élève à 37 %, et la Belgique semble être le plus mauvais élève de la classe. (Being Trans in the EU – Comparative analysis of the EU LGBT+ survey data, FRA, 2014). 19LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE 4 IDENTIFIER LES DISCRIMINATIONS EN GÉNÉRAL ET SUR LA QUESTION DES PERSONNES LGBTI+ EN PARTICULIER Discriminations La législation anti-discrimination recense 5 types de comportements potentiellement discriminatoires.5 La discrimination directe t Exemple 1 Une personne est licenciée après que son/sa supérieur.e hiérarchique a appris qu’elle est homo/bisexuelle ou après que celle-ci a fait son coming out. t Exemple 2 Une personne trans* est renvoyée parce que l’employeur.euse a remarqué sa transition ou après son coming out. Le 1er exemple de licenciement constitue une discrimination « directe ». Aux yeux de la loi, les personnes homo/bisexuelles sont traitées « moins favorablement » que les personnes hétérosexuelles. Il y a discrimination sur base de l’orientation sexuelle. 5| Nous abordons ici 4 d’entre eux, le cinquième – le refus d’aménagements raisonnables – ne concernant que les discriminations fondées sur le handicap, ce qui ne constitue pas l’objet de cette brochure-ci. Vous pouvez par contre vous référer à d’autres brochures éditées par la CLCD pour en savoir plus à ce sujet (Voir sur le site du CEPAG). 20 Le 2e exemple de licenciement constitue une discrimination « directe » également. Du point de vue de la législation, les personnes trans* sont traitées « moins favorablement » que les personnes cisgenres. Il y a discrimination, dans ce cas, sur base de l’identité de genre. La discrimination indirecte t Exemple 1 Après négociation d’un cahier de revendications avec la délégation, une entreprise accorde à ses travailleur.euse.s une assurance groupe. Un.e travailleur.euse vivant en couple avec une personne de même genre reçoit les documents administratifs relatifs au second pilier de pension et assurance vie. Iel est dans l’impossibilité de les compléter car le document est rédigé uniquement pour les couples hétérosexuels (époux/épouse). t Exemple 2 Un homme trans* n’ayant pas effectué d’opération génitale (qui a donc un utérus) et ayant fait le changement sur sa carte d’identité ne bénéficie plus de suivis/remboursements gynécologiques (Non-pris en compte des besoins médicaux spécifiques). Dans le 1er exemple, une personne ne peut pas accéder à l’assurance du fait de son orientation sexuelle (qui est bien un critère protégé), qui n’a pas été prévue dans les documents à remplir; et dans le 2e cas, une personne ne peut pas accéder au même remboursement qu’une autre dans la même situation de soin de santé qu’elle, sur base de leur simple différence d’identité de genre. Ces deux discriminations sont donc clairement basées sur des critères protégés par la loi, mais de façon indirecte. La mesure se fonde sur un critère apparemment «neutre» qui n’est, à première vue, pas discriminant, mais à y regarder de plus près, un groupe de personnes est désavantagé du fait de son appartenance à un critère protégé. Dans l’exemple 1, tou.te.s les travailleur.euse.s homo/bi-sexuel.le.s vivant en couple avec une personne de même sexe n’ont pas la possibilité de compléter ce type de document et donc de pouvoir bénéficier de cet avantage octroyé aux couples hétérosexuels. 21LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Dans ce cas, une petite modification, en indiquant « conjoint 1/conjoint 2 », ou « partenaire » sur ce document pourrait éviter la discrimination indirecte. Dans l’exemple 2, il y a visiblement un écart entre les formalités administratives que doivent accomplir les personnes qui changent de marqueur de genre sur la carte d’identité et la lecture binaire du numéro de registre national, notamment par les services de soins et les mutualités, qui fait que le remboursement de soins médicaux genrés (portant sur les organes génitaux) n’est pas prévu pour les personnes transgenres (ex: une femme transgenre, même si elle recourt à une vaginoplastie, aura toujours des soins à apporter à sa prostate ; ces soins ne seront a priori pas remboursés avec un numéro de registre national genré « F »). Dans ce cas, plusieurs options pourraient être envisagées: que l’enregistrement de sexe ne soit plus mentionné sur les documents d’identité ; que l’accès à certains soins ou remboursements de mutuelle comme la gynécologie ou l’urologie ne soient pas systématiquement liées à l’enregistrement du genre indiqué sur la carte d’identité, mais soient directement liées à l’organe concerné par le soin. L’injonction de discriminer t Exemple Une entreprise ordonne à une agence d’intérim6 de ne pas retenir les candidat.e.s « excentriques ». Tout comportement consistant à enjoindre quiconque de pratiquer une discrimination est aussi interdit. L’entreprise « cliente » pourrait donc être poursuivie sur base de l’interdiction de l’injonction de discriminer, tout comme l’agence qui exécute ses directives discriminatoires. Dans ce cas-ci, potentiellement des personnes homo/bisexuelles et/ou trans* pourraient être écartées de l’emploi. 6| Le même type d’exigence pourrait être formulé par des client.e.s d’une société de Titres-Services. 22 Le harcèlement discriminatoire t Exemple 1 Sur le lieu de travail, une personne transgenre en transition ou après avoir fait son coming out est sujette à des moqueries à répétition. t Exemple 2 Dans une entreprise, une personne homosexuelle victime d’outing7 ou après avoir fait son coming out fait l’objet de blagues de mauvais goût à répétition. Certain.e.s travailleur.euse.s et supérieur.e.s direct.e.s ont pratiqué à l’égard de ce travailleur ou cette travailleuse du harcèlement discriminatoire en raison de son « identité de genre » dans l’exemple 1 et en raison de son « orientation sexuelle » dans l’exemple 2. Dans le domaine du travail, le harcèlement, bien que discriminatoire, n’est pas maintenu dans la législation anti-discrimination mais est traité comme tout autre cas de harcèlement moral, sexuel ou de violence au travail par la législation sur le bien-être au travail (loi relative au bien-être des travailleur.euse.s du 4 août 1996) qui traite notamment des risques psychosociaux au travail. L’employeur.euse est tenu.e de mettre en place toutes les mesures de prévention afin d’éviter les situations qui pourraient représenter un danger pour les travailleur.euse.s. Iel doit réaliser l’analyse des risques avec l’aide des travailleur.euse.s et en est responsable. Iel doit aussi prendre des mesures correctrices pour supprimer les situations qui ne sont pas soutenables pour les travailleur.euse.s. 7| À la différence de la démarche volontaire qu’est le coming out, l’« outing » consiste à divulguer des éléments de la vie privée d’une personne (dont son homosexualité, sa bisexualité ou sa transidentité) sans son consentement explicite. Il s’agit alors d’une atteinte à la vie privée pouvant avoir des conséquences désastreuses pour la personne qui se retrouve exposée et fragilisée. 23LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Focus sur la discrimination directe : à quelles conditions une différence de traitement est considérée comme une discrimination directe ? Repartons des deux exemples de départ, pour rappel : t Exemple 1 Une personne est licenciée après que son/sa supérieur.e hiérarchique ait appris qu’elle est homo/bisexuelle ou après qu’elle ait fait son coming out. t Exemple 2 Une personne est licenciée après que son/sa supérieur.e hiérarchique ait appris qu’elle est une personne transgenre, du fait de son changement physique lors de sa transition ou après qu’elle ait fait son coming out. Ces 2 exemples font-ils référence à des actes discriminatoires ? Au sens de la loi, 3 conditions doivent être réunies: Une personne est traitée (directement ou indirectement) de manière moins favorable qu’une autre personne dans une situation comparable. Dans notre exemple 1, les personnes homosexuelles et bisexuelles sont défavorisées par rapport aux autres travailleur.euse.s hétérosexuel.le.s: elles sont licenciées sans raison valable, sans aucun lien avec une faute qui aurait été commise par rapport au travail et qui pourrait justifier de manière objective et raisonnable le licenciement. De manière analogue, dans l’exemple 2, les personnes trans* sont défavorisées par rapport aux autres travailleur.euse.s cisgenres. 24 La différence de traitement est basée sur un ou plusieurs critère(s) défini(s) par la loi genre et par la loi générale anti-discrimination de 20078 . Critères reconnus pour qu’une discrimination existe aux yeux des deux lois précitées: s le sexe. Sont assimilés au sexe depuis la loi de 2007 : la grossesse, l’accouchement, la maternité et le changement de sexe. Depuis la loi du 22 mai 2014, y sont également assimilées l’identité de genre et l’expression de genre. Enfin, la loi du 4 février 2020 a ajouté la paternité, l’adoption, l’allaitement, la procréation médicalement assistée (PMA) et les caractéristiques sexuelles; s l’orientation sexuelle ; s l’âge ; s l’état civil ; s la naissance ; s la fortune ; s la conviction religieuse ou philosophique ; s la conviction politique ; s la conviction syndicale (englobe l’appartenance et l’affiliation à une organisation syndicale ainsi que l’activité syndicale) ; s la langue ; s l’état de santé actuel ou futur; s le handicap ; s la caractéristique physique ou génétique ; s l’origine sociale. 8| Il existe une 3e loi de 2007 (loi racisme), pour les critères dit « raciaux », qui ne sera pas abordée dans cette brochure afin de ne pas l’alourdir ou la complexifier inutilement (cf. brochure CLCD « Embauche, Stop aux Discriminations »). 25LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Dans notre 1er exemple, lié au cas des personnes homo/bisexuelles, il y a présomption de discrimination par rapport au critère « orientation sexuelle », qui est protégé par la loi. Dans notre 2e exemple, lié au cas des personnes trans*, il y a présomption de discrimination par rapport au critère « sexe/identité de genre », qui est protégé par la loi. Il n’est pas possible d’apporter une justification légalement acceptable à cette différence de traitement. Dans certains cas, une justification peut être apportée. t En cas de distinction directe fondée sur l’orientation sexuelle ou le sexe, la seule justification valable au regard de la loi est l’existence de ce qu’on appelle une exigence professionnelle essentielle et déterminante. t En cas de distinction indirecte fondée sur ces critères, on ne parlera pas de discrimination à condition que la différence de traitement soit justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour atteindre cet objectif soient reconnus comme appropriés et nécessaires. Les deux exemples font référence à des distinctions directes, l’une fondée sur l’orientation sexuelle, la seconde sur le sexe. Dans l’exemple 1, le fait d’invoquer que « l’entreprise doit se séparer de cette personne parce qu’elle est homo/bisexuelle ou parce que cette personne étant homo/bisexuelle, elle ne pourrait effectuer correctement son travail » n’est pas acceptable juridiquement (le fait d’être hétérosexuel. le n’est pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour une fonction). On est donc clairement face à une discrimination envers les personnes homo/bisexuelles. Dans l’exemple 2, le fait d’invoquer que « l’entreprise doit se séparer de cette personne parce qu’elle est trans* ou parce que cette personne étant trans*, elle ne pourrait effectuer correctement son travail » n’est pas acceptable juridiquement (le fait d’être cisgenre n’est pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour une fonction). On est donc clairement face à une discrimination envers les personnes trans*. 26 Il existe différentes « justificationslégalement acceptables », or, il est nécessaire dans chaque cas, de vérifier si la justification invoquée par la personne soupçonnée de discriminer est juridiquement acceptable. En cas de doute, n’hésite pas à nous contacter. En résumé, discrimination ou pas ? t Offre d’emploi qui exclut d’office certain.e.s candidat.e.s ou t Candidat.e, avec les mêmes compétences et aptitudes que d’autres, évincé.e d’office, refus de promotion, de formation… et ce, sur base d’un des critères protégés par la législation anti-discrimination = discrimination, a priori ! SAUF si l’employeur.euse apporte une justification acceptée par la loi. Le non-respect de la vie privée : l’« outing » À la différence de la démarche volontaire qu’est le coming out, l’« outing » consiste à divulguer des éléments de la vie privée d’une personne (dont son homosexualité, sa bisexualité ou sa transidentité) sans son consentement explicite. Il s’agit alors d’une atteinte à la vie privée pouvant avoir des conséquences désastreuses pour la personne qui se retrouve exposée et fragilisée. L’outing n’est pas seulement un phénomène médiatique affectant des personnalités du spectacle ou de la politique. Les difficultés liées à la reconnaissance légale du genre et à la modification des documents d’identité exposent en effet au quotidien les personnes trans* à une situation d’outing permanent, qu’on peut ici qualifier d’institutionnalisé.9 9| Définition de Genres Pluriels (pour plus d’infos sur cette assocation, voir page 53). 27LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Le non-respect de la vie privée, s’il est illégal et peut conduire à des poursuites judiciaires, ne constitue pas en soi une discrimination. Toutefois, il pourrait être utilisé pour défavoriser des candidat.e.s à l’embauche ou dans l’emploi et dès lors conduire à des décisions et à des comportements discriminatoires. Les questions sur la vie privée ne se justifient que si elles sont pertinentes en raison de la nature et des conditions d’exercice de la fonction. Par ailleurs, si certaines données personnelles sont recueillies, elles doivent être traitées de manière confidentielle. Durant toute la relation de travail, personne ne peut être forcé à faire part de son orientation sexuelle ou de sa transidentité. Chacun.e est libre d’aborder ces questions, s’iel le désire. Attention ! Chacun.e peut avoir envie de dévoiler certains aspects de sa vie privée sur des réseaux sociaux, comme « Facebook »… mais, ces informations sont alors rendues « publiques » en toute légalité (pour autant que les conditions de diffusion soient respectées en accord avec la personne concernée). 29LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE 5 L’HOMOPHOBIE ET LA TRANSPHOBIE AU TRAVAIL La discrimination sur base de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou de l’expression de genre reste encore un sujet tabou et très peu pris en compte dans le milieu du travail. Cela peut se traduire de plusieurs manières. Au moment du recrutement Tu es jugé.e sur ton apparence physique, ton attitude pas assez ou trop masculine ou féminine pour la fonction, le/la recruteur.euse appréhende une réaction négative des collègues, iel redoute des tensions ou des difficultés qu’iel devra gérer à l’avenir… Dans le déroulement de la carrière Tu es évincé.e d’une promotion, tu reçois une évaluation négative, tu n’as pas droit à la formation, on te refuse des droits et avantages extralégaux octroyés aux couples hétérosexuels, tu es harcelé.e, licencié.e en raison de ton orientation sexuelle ou de ton identité ou expression de genre. Au quotidien dans l’entreprise ou l’administration Tu subis des remarques, des insultes, des rires, des plaisanteries douteuses qui créent et font perdurer un climat homophobe ou transphobe. Tu es exclu.e des cercles de sociabilité en raison de ton orientation sexuelle, de ton identité de genre ou de ton expression de genre. 30 Les situations de discrimination méritent toujours d’être dénoncées et combattues. Toutefois, il faut un courage certain et beaucoup de force psychique pour le faire. De nombreuses circonstances peuvent justifier qu’une personne préfère rester silencieuse, notamment la crainte de représailles, une certaine fragilité psychique ou émotionnelle, des difficultés personnelles ou professionnelles, etc. Comment se protéger contre les représailles ? Moyennant le respect de certaines formalités, l’employeur.euse ne peut pas licencier ou modifier unilatéralement les conditions de travail du travailleur ou la travailleuse parce qu’iel a introduit une plainte pour discrimination ou une demande d’intervention formelle pour violence ou harcèlement. Pour en savoir plus, rends-toi page 35 : « Protection contre le licenciement » 6 EN TANT QUE DÉLÉGUÉ.E COMMENT PEUXTU AIDER UN.E AFFILIÉ.E VICTIME DE DISCRIMINATION? Le signaler La FGTB wallonne a créé, en septembre 2008, la Cellule Lutte Contre les Discriminations (CLCD) pour lutter contre toute forme de discrimination au travail, dont l’homophobie et la transphobie. Nous travaillons en étroite collaboration avec les Secrétaires permanent.e.s des différentes Centrales professionnelles. 31LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Si tu es témoin ou victime d’homophobie ou de transphobie au travail, nous pouvons t’aider, n’hésite pas à compléter le formulaire « Point de contact discriminations » sur le site de la FGTB (coordonnées page 52). Par ton témoignage, tu peux contribuer à améliorer notre expertise et mettre en lumière des situations discriminantes vécues. Les personnes victimes de discrimination peuvent aussi : t Concernant « l’orientation sexuelle », déposer un signalement auprès d’UNIA (compétent notamment pour traiter des situations de discrimination envers les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles) ou t Concernant le « sexe », « l’identité de genre », « l’expression de genre » ou les « caractéristiques sexuelles », déposer un signalement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) (compétent notamment pour traiter des situations de discrimination envers les personnes transgenres, intersexes, et/ou ayant une expression de genre non-normée). Constituer un dossier Concrètement, doit-on prouver la discrimination ? La loi de 2007 prévoit un partage de la charge de la preuve. C’est-à-dire que la personne qui se dit victime de discrimination doit avancer un début de preuve, quelques éléments de fait qui permettent de soupçonner de manière plausible qu’une discrimination a pu avoir lieu ; sur cette base, il appartient ensuite à l’employeur.euse de fournir des éléments concrets et objectifs permettant de prouver qu’iel n’a pas discriminé. 32 Le dossier comporte-t-il suffisamment d’éléments qui laissent présumer une discrimination ? Les éléments de preuves peuvent être un mail, une lettre, un SMS, un message vocal, un enregistrement, un témoin… Il est indispensable de recueillir tous les éléments à disposition : t les éventuelles évaluations positives écrites les plus récentes; t les témoignages, menaces ou intimidations écrites; t les questions ou discussions écrites au sujet du/de la travailleur.euse qui souligneraient un climat suspicieux de la part de l’employeur.euse ; t une chronologie des faits; t l’enregistrement d’une conversation (sans provocation) ; t etc. Si la discrimination est avérée, avec l’accord du/de la Permanent et le soutien du service juridique de la Centrale professionnelle, il faudra alors agir au sein de l’entreprise (cf. tableau résumé ci-dessous). La CLCD, avec l’accord du.de la travailleur.euse discriminé.e (respect vie privée et RGPD), peut travailler en coopération avec des organismes publics compétents et/ou associations afin d’avoir plus de poids face à l’employeur.euse. 33LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Action ponctuelle en cas de « discrimination flagrante » Face à une situation clairement discriminatoire : que faire et comment faire en tant que délégué.e ? Après t’être renseigné.e, il est indispensable de dénoncer la discrimination auprès de ton employeur.euse. t Si l’employeur.euse donne une justification juridiquement acceptable au regard des textes légaux, aucune action immédiate n’est possible ! Mais il faut rester vigilant.e pour l’avenir et travailler sur l’aspect préventif en soumettant des propositions alternatives pour éviter de futures discriminations ; t Si la justification donnée par l’employeur.euse n’est pas acceptable juridiquement, il faut le prévenir de sa contravention à la loi et lui demander de modifier sa pratique ! Deux cas de figure sont alors possibles: A. L’employeur.euse prend des mesures pour mettre fin à la discrimination : même si elles sont satisfaisantes, il faut rester vigilant.e pour l’avenir, travailler sur l’aspect préventif et proposer des alternatives non-discriminatoires. B. L’employeur.euse refuse toute discussion et ne modifie pas sa pratique discriminatoire : il faut alors lui rappeler les règles légales, mais aussi les sanctions, civiles ou pénales, qui pèsent sur lui/elle. Dès lors: t Si ce rappel ne change rien à la situation, il faut chercher une solution négociée. C’est souvent plus efficace qu’une démarche en justice qui risque d’être longue. t Si cette négociation n’aboutit pas et que ton dossier est solide, tu avertis l’employeur.euse de l’intention des représentant.e.s des travailleur.euse.s d’introduire une action en justice. Avec l’accord du/de la permanent.e de ta Centrale professionnelle, tu pourras être soutenu.e par l’Office de droit social (ODS) compétent. La CLCD pourra également venir en appui. 34 Recours et droits Action en justice À quoi peut prétendre une personne victime de discrimination ? Au civil (Tribunal du travail) ou au pénal Six mois de rémunération brute pour la personne discriminée, que ce soit à l’embauche (la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait été engagée) ou dans l’emploi10. Au pénal (en correctionnelle) Au pénal, l’employeur.euse peut encourir une peine de prison et recevoir une amende en son nom propre et au nom de son entreprise. Attention, la personne qui se prétend victime, aidée par l’Auditorat du travail, doit prouver la discrimination ! Délai de recours Au civil, le.la travailleur.euse a 5 ans pour porter plainte pour une discrimination à l’embauche et 1 an pour un licenciement discriminatoire mais il est important de porter plainte au plus vite pour éviter de perdre des preuves, des témoins… Au pénal, le.la travailleur.euse a 5 ans pour porter plainte. 10| 3 mois si l’employeur.euse peut démontrer que la mesure mise en cause aurait été prise même en l’absence de la discrimination. Exemple : un.e vendeur.euse bisexuel.le en CDD ne voit pas son contrat renouvelé en raison de son orientation sexuelle mais l’employeur.euse parvient à démontrer que ce point de vente allait de toute façon fermer et que le licenciement allait intervenir quoi qu’il arrive. 35LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Protection contre le licenciement Principe Pour permettre aux travailleur.euse.s de dénoncer des faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel sans crainte de représailles, une protection spéciale contre le licenciement a été prévue. Cela signifie que l’employeur.euse ne peut pas licencier ces personnes ni prendre de mesure préjudiciable à leur égard après la cessation des relations de travail (refus de fournir des références à un.e employeur.euse potentiel.le, refus de reconduire un contrat à durée déterminée…), sauf pour des raisons totalement étrangères à la demande d’intervention psychosociale formelle. L’employeur.euse ne peut pas non plus prendre de mesure préjudiciable à l’égard de ces travailleur.euse.s pour des raisons liées à la demande d’intervention psychosociale formelle pendant la relation de travail. Pensons par exemple à la modification injustifiée des conditions de travail de ces travailleur.euses11. La charge de la preuve des motifs du licenciement et de la justification des conditions de travail modifiées incombe à l’employeur.euse pendant ces périodes: 12 mois après l’introduction d’une demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement/d’une plainte ; t 12 mois après le dépôt d’un témoignage ; t 3 mois après que le jugement soit passé en force de chose jugée, si le/la travailleur.euse a introduit une action en justice. La protection contre le licenciement a une durée indéterminée, mais la charge de la preuve est inversée au terme de ces périodes. 11| Dans un certain nombre de cas, l’employeur.euse n’aura d’autre choix que de prendre une mesure vis-à-vis du.de la travailleur.euse ayant introduit une demande d’intervention psychosociale formelle (par exemple, la modification de son horaire de travail). Si la personne concernée considère ces mesures comme injustes, l’employeur.euse devra démontrer qu’elles sont proportionnées et raisonnables. 36 En d’autres mots, lorsque le/la travailleur.euse est licencié.e pendant ces périodes, l’employeur doit pouvoir démontrer que le licenciement n’est pas lié à la demande d’intervention psychosociale ou le témoignage. En revanche, si le/la travailleur.euse est licencié.e après ces périodes, iel peut encore invoquer la protection contre le licenciement, mais iel doit alors elle/lui-même prouver que le licenciement est lié à la demande d’intervention ou au témoignage. Sanctions En cas de rupture ou de modification des conditions de travail liées à la demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement, le/la travailleur.euse peut demander sa réintégration dans les conditions qui prévalaient avant la rupture ou la modification des conditions de travail. Dans deux cas, l’employeur.euse est redevable d’une indemnisation au/à la travailleur.euse : t lorsque l’employeur.euse refuse la demande de réintégration dans les conditions qui prévalaient avant la rupture ou la modification des conditions de travail et que le juge a estimé que le licenciement ou la mesure prise par l’employeur.euse était contraire à la protection contre le licenciement ; t lorsque le/la travailleur.euse n’a pas demandé sa réintégration et que le/la juge a estimé que le licenciement ou la modification unilatérale des conditions de travail était contraire à la protection contre le licenciement. L’indemnité est égale, au choix du/de la travailleur.euse : t soit à un montant forfaitaire correspondant à la rémunération brute de 6 mois, t soit au préjudice réellement subi par le/la travailleur.euse. Dans ce dernier cas, le/la travailleur.euse doit prouver l’étendue de ce préjudice. Cette indemnité n’est pas assujettie aux cotisations de sécurité sociale. 37LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE 7 COMMENT AGIR GLOBALEMENT DANS LES ENTREPRISES DU SECTEUR PRIVÉ EN TANT QUE DÉLÉGUÉ.E.S? Dans le cadre du Conseil d’entreprise (CE) ou à défaut, du CPPT12 La loi prévoit que le CE recueille des informations et émette des avis concernant l’embauche, la formation, la promotion des travailleur.euse.s. t L’embauche relève essentiellement de la compétence du Conseil d’Entreprise (CE). En tant que délégué.e, tu as donc ton mot à dire et tu peux suivre les différentes étapes de l’embauche afin de détecter les éventuelles discriminations qu’elles pourraient comporter: formulaire d’embauche demandant le nom du conjoint, comportement empreint de préjugés de la part du recruteur… Tu peux t’inspirer du Code de conduite pour le recrutement et la sélection joint à la CCT n° 38. Il est recommandé de l’adopter en entreprise par le biais du règlement de travail ou d’une CCT d’entreprise. t Les délégué.e.s en CE ont pour mission de contrôler l’accessibilité aux formations, les sommes allouées, ainsi que les plans de formation. Des informations peuvent être obtenues via le bilan social. t Tout le personnel doit être informé des promotions dans l’entreprise : liste des tâches de la fonction à pourvoir, diplômes et compétences nécessaires à la fonction… L’affichage doit être 12| Dans les entreprises sans CE, le CPPT exerce les compétences du CE relatives à la protection de la vie privée des travailleur.euse.s. De plus, lorsqu’il n’y a pas de délégation syndicale dans l’entreprise (et uniquement dans ce cas), les CPPT reçoivent plusieurs compétences « sociales ». Ils pourront alors exercer ces compétences qui sont normalement exercées par la délégation syndicale en l’absence de conseil d’entreprise. 38 visible et le délai raisonnable pour rentrer sa candidature. La procédure d’accès à la fonction doit être claire et transparente et connue de tous. Les informations économiques et financières délivrées en CE (arrêté royal du 27 novembre 1973 et loi du 23 avril 2008) permettent de prendre connaissance de l’organigramme de l’entreprise. Dans le cadre du Comité pour la Prévention et la Protection au Travail (CPPT) Le CPPT est compétent pour gérer la charge psychosociale et veiller au bien-être de l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Il a le devoir de protéger les travailleur.euse.s contre la violence et le harcèlement. Pour ce faire, il doit notamment identifier et prendre des mesures de prévention contre ces comportements. Le rôle des membres du CPPT consiste également à être à l’écoute des travailleur.euse.s. Les travailleurs et travailleuses ont la possibilité de s’adresser directement à l’employeur.euse, à un membre de la ligne hiérarchique ou à un membre du CPPT en vue d’obtenir une intervention de cette personne. Le CPPT donne son avis sur l’analyse générale des risques incluant les risques psychosociaux, sur les mesures qui en découlent et leur évaluation. Les délégué.e.s au CPPT sont en droit de demander comment l’employeur.euse a évalué les conséquences de l’organisation du travail (sur le long terme) sur la santé physique et mentale des travailleur.euse.s et sur le bon fonctionnement d’une équipe de travail. Il est ici question, par exemple, d’objectifs imposés, de pressions, de délais serrés, de situations de travail précaires ou encore d’un environnement de travail inadéquat. Une coordination avec les représentants au CE peut s’avérer utile. L’employeur.euse doit évaluer au moins une fois par an les mesures de prévention des risques psychosociaux. Le CPPT se positionne également sur l’aménagement des équipements sanitaires (vestiaires, douches, WC). 39LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Dans le cadre de la Délégation syndicale (DS) Sur base de la CCT n°5, la Délégation syndicale est compétente pour les relations de travail dans l’entreprise, ce qui inclut les conditions d’accès à l’emploi, la promotion, la formation… La DS contrôle le respect de la législation sociale et des CCT. Elle prend en charge et accompagne individuellement les travailleur.euse.s. Par son rôle-moteur dans les négociations avec l’employeur.euse et par ses responsabilités à l’égard des travailleur.euse.s, la DS a un rôle fondamental en matière de lutte contre les discriminations. Pour cela, il est aussi nécessaire que tous les travailleur.euse.s se sentent impliqué.e.s. Les informer sur les dangers des pratiques discriminatoires de l’entreprise est essentiel. En jouant collectif Le travail collectif des délégué.e.s des différents organes est indispensable. Il est important de vérifier et de recouper toutes les informations obtenues: entre délégué.e.s CE/CPPT/DS. La communication envers les travailleur.euse.s est aussi très importante. Les délégué.e.s ont droit à des valves syndicales pour communiquer les informations aux travailleur.euse.s (DS, CE, CPPT). Elles doivent être affichées sur des panneaux visibles et accessibles à tou.te.s. 40 8 COMMENT LES DÉLÉGUÉ.E.S PEUVENTIELS AGIR DANS LES SECTEURS PUBLICS? Tout d’abord, les législations à portée générale relatives à la protection des travailleurs.euses et au bien-être au travail s’appliquent également au secteur public. Une bonne connaissance de ces législations permet aux délégué.e.s d’être mieux armé.e.s afin d’appréhender ces questions; c’est la raison pour laquelle des formations sont proposées aux délégué.e.s. Dans les organes de concertation compétents13 Les délégué.e.s syndicaux.ales ont la possibilité d’interpeller directement un membre de la ligne hiérarchique. Iels donnent leur avis sur l’analyse générale des risques incluant les risques psychosociaux; les mesures mises en œuvre dans le cadre des plans d’action sont concertées et une information régulière du suivi de celles-ci doit être donnée. Ils concertent l’organisation du travail et de ce fait sont attentifs aux conditions de travail (locaux, règlement de travail, fixation du cadre du personnel…). Des enquêtes auprès du personnel sur le thème du bien-être au travail peuvent être organisées à l’initiative de l’organe de concertation ; on y établit la méthodologie. Les résultats sont ensuite analysés et les mesures à prendre sont concertées avec les représentants syndicaux. 13| CPPT, Comité de Concertation de Base, Comité Supérieur de Concertation… 41LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Dans les procédures de recrutement et de promotion Iels assistent en tant qu’observateur.trice syndical.e aux entretiens liés aux recrutements et promotions. Dans l’accompagnement des affilié.e.s Iels assistent les affilié.e.s dans le cadre de leur défense, soit en intervenant directement ou via leur permanent.e syndical.e auprès de l’autorité, soit en les accompagnant auprès d’une personne de confiance ou d’un.e conseiller.ère en prévention des risques psychosociaux. Dans les cas de discriminations pour lesquels aucune procédure de concertation n’est possible, le/ la délégué.e doit faire remonter ces cas vers le/la Permanent.e qui analysera les possibilités d’actions à entreprendre avec l’appui éventuel du service juridique. Les délégué.e.s informent les affilié.e.s sur les procédures mises en place en matière de lutte contre les discriminations. À cet effet, des valves syndicales sont à disposition des organisations syndicales afin de communiquer les informations aux membres du personnel. Dans le cadre de l’organisation syndicale En matière de formation intersectorielle des délégué.e.s, une attention particulière est accordée à la problématique des discriminations de tous types, y compris celles liées à l’orientation sexuelle. Ainsi, des modules spécifiques de formation sont dispensés en régionale à l’attention des délégué.e.s, notamment sur le thème « violence et harcèlement moral ou sexuel sur le lieu de travail » où le harcèlement en raison de l’orientation sexuelle est clairement évoqué. 42 9 POUR ALLER PLUS LOIN ET MODIFIER LES PRATIQUES GÉNÉRALES SUR LE LIEU DE TRAVAIL La CLCD a élaboré un outil pour détecter les discriminations présentes sur le lieu de travail. Sur base d’un questionnaire complété par la délégation, nous analysons les résultats et lui faisons ensuite un retour de nos conclusions. La CLCD et la délégation établissent alors ensemble un plan d’actions à mettre en place sur le terrain, avec l’appui du/de la Permanent.e syndical.e concerné.e. Les délégué.e.s peuvent faire intégrer au règlement de travail une clause de non-discrimination (par exemple, déclarer l’entreprise « entreprise contre l’homophobie et la transphobie »). Pour le privé uniquement, iels peuvent encore aller jusqu’à l’élaboration d’une CCT d’entreprise visant la lutte contre les discriminations, qui concrétiserait et développerait les dispositions des CCT n°38 et n°95. La CLCD peut se charger de former les délégations et le personnel, en collaboration avec des partenaires publics ou associatifs compétents. De manière générale encore, les délégations doivent agir promptement dans les cas de discriminations pour lesquels aucune conciliation ou autre procédure de concertation ne peut être mise en place. Il faut faire remonter ces cas, par l’intermédiaire des Permanent.e.s, aux services juridiques compétents ainsi qu’à la CLCD, en vue d’introduire éventuellement une action en justice. 43LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Exemples d’actions concrètes à mener sur le lieu de travail, de façon générale Être vigilant.e dès le recrutement La discrimination peut déjà avoir lieu lors de la rédaction de l’offre d’emploi et pendant la procédure de recrutement, dès lors, les délégué.e.s peuvent demander à observer ces différentes étapes du recrutement afin de veiller au respect de la loi de 2007 et la CCT 38 (entreprises du privé). Veiller à ce que l’employeur.euse respecte ses obligations L’employeur.euse est soumis.e à plusieurs obligations. Premièrement, l’employeur.euse a l’obligation « de veiller à ce que le travail s’accomplisse dans des conditions convenables au point de vue de la sécurité et de la santé du/de la travailleur.euse ». Deuxièmement, l’employeur.euse est tenu.e de promouvoir le bien-être des travailleurs.euses sur le lieu de travail. Iel a le devoir de protéger les travailleur.euse.s contre la violence et le harcèlement. Pour ce faire, iel doit notamment identifier et prendre des mesures de prévention contre ces comportements. Iel incombe à l’employeur.euse de prévenir toute situation de violence ou de harcèlement moral ou sexuel portée à sa connaissance, et d’y réagir. Enfin, il est interdit pour l’employeur.euse de discriminer, de traiter de manière distincte une personne en raison de son identité de genre, de son expression de genre, de son orientation sexuelle ou de ses caractéristiques sexuelles, au cours de la relation de travail (par exemple en matière de rémunération, horaires de travail, etc.). « Toute personne a droit à un travail décent et productif, à des conditions de travail équitables et satisfaisantes […], sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. » Principes de Yogyakarta14 14| Les principes de Yogyakarta, 18 décembre 2008, établis par une commission internationale d’experts en droit humains, rassemblent une série de principes juridiques relatifs à la protection et l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. 44 La peur des réactions négatives est souvent un facteur déterminant pesant sur la décision de faire part de sa transidentité, de son homosexualité ou de sa bisexualité. Cette question est donc essentielle et inévitable que ce soit dans l’environnement interne de travail (collègues, supérieur.e.s…) ou externe, lorsque la nature du travail l’impose (client.e.s, partenaires…). À cet égard, l’employeur. euse joue un rôle important dans la prévention. t En interne L’employeur.euse, qui dispose d’une autorité de droit sur les travailleur.euse.s et qui se doit d’assurer un environnement exempt de discrimination et de harcèlement, a le devoir de prendre les mesures nécessaires et appropriées pour mettre fin à des attitudes négatives. Iel pourra à titre d’exemple rappeler les principes et valeurs que chacun.e doit respecter individuellement, apaiser les craintes, informer sur la transidentité, etc. Rappelons qu’il incombe à chaque travailleur.euse de participer positivement à la politique de prévention mise en œuvre dans le cadre de la protection des travailleur.euse.s contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail et de s’abstenir de tout acte de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail. t Vis-à-vis des tiers L’employeur.euse doit prendre en compte, dans sa politique de prévention en matière de bien-être, le fait que les travailleurs et les travailleuses entrent en contact avec des tiers (c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas des travailleurs ou travailleuses de l’entreprise). Des mesures de prévention doivent être prises pour éviter aux travailleur.euse.s de subir un dommage à leur santé du fait de ce contact (par exemple par le biais de formation à la gestion de l’agressivité). L’employeur.euse tiendra notamment compte du registre des faits commis par des tiers. Il s’agit d’un document de prévention qui enregistre les incidents spécifiques en matière de violence et de harcèlement moral ou sexuel au travail dont estiment avoir été victimes les travailleurs et les travailleuses de l’entreprise de la part de tiers. De plus, l’employeur.euse devra réagir aux comportements inappropriés des tiers lorsqu’iel en a connaissance et dans la mesure de ses possibilités. 45LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Le cas échéant, iel devra supporter la charge financière du soutien psychologique des travailleurs et travailleuses victimes de violence de la part de tiers. Identifier clairement que la délégation/l’entreprise ou administration, institution…) est contre tout comportement discriminatoire, avec éventuellement un focus particulier contre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre L’instauration de mesures relatives à la mise en place d’un environnement accueillant pour les personnes LGBTI+ au travail est d’autant plus importante qu’il revient à l’employeur d’assurer une culture de travail positive. Les mesures d’accompagnement et de soutien des personnes LGBTI+ au travail sont bénéfiques pour toutes et tous. La bonne compréhension et acceptation par l’équipe du travailleur ou de la travailleuse LGBTI+ participeront au bien-être général, élément essentiel pour la création d’une ambiance positive et productive dans la reconnaissance de chaque individualité. Quelques pistes de réflexion générales qui devront être adaptées en considération de la situation et du contexte Mettre en place une politique claire relative à la lutte contre les discrimination en intégrant la thématique des personnes LGBTI+ et une politique anti-harcèlement exemplaire. Il apparaît que lorsque l’entreprise affiche clairement son soutien aux personnes LGBTI+, les réactions des autres travailleurs et travailleuses sont significativement plus positives. t Former et informer sur le plan individuel comme collectif afin de mieux cerner les enjeux et y apporter des réponses pertinentes. D’une manière générale, une approche proactive de l’information permet d’anticiper les problèmes et les rumeurs. t Renseigner à la personne trans* une personne-ressource qui pourra l’accompagner individuellement. t Tenir compte des aménagements nécessaires durant la période d’adaptation de l’apparence à l’identité de genre lorsque la personne trans* en fait la demande. 46 Lutter contre le sexisme dans l’espace public Les personnes LGBTI+ peuvent aussi être victimes de sexisme, la législation « lutte contre le sexisme dans l’espace public » s’applique également sur le lieu de travail et les réseaux sociaux. Pour aller plus loin : igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/92_-_lutter_contre_le_sexisme_fr.pdf Inviter à signaler tout comportement discriminatoire sur le point de contact discrimination de la FGTB ou contacter directement la CLCD Exemples d’actions concrètes à mener sur le lieu de travail, à l’attention des personnes trans*en particulier t Éviter les termes Monsieur/Madame dans les formulaires et si ce n’est pas possible, laisser un espace pour répondre en toutes lettres. t Renseigner à la personne trans* une personne-ressource qui pourra l’accompagner individuellement. t Tenir compte des aménagements nécessaires durant la période d’adaptation de l’apparence à l’identité de genre lorsque la personne trans* en fait la demande. t Utiliser le prénom social (ou prénom d’usage) au travail. La loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres (cf. supra, page 15) permet aux personnes trans* de changer de prénom sur base de l’autodétermination. En cas de changement de prénom officiel qui entre dans le cadre de la loi, toutes les situations susceptibles d’être concernées par le changement de prénom doivent immédiatement être adaptées afin de respecter l’identité de la personne désormais en conformité avec l’état civil. À ce titre, le contrat de travail devra être adapté afin d’être conforme au nouveau prénom du/de la travailleur.euse 47LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE Lorsqu’il n’y a pas de changement de prénom officiel, les bonnes pratiques15 recommandent d’appliquer la loi anti-discrimination de 2007 (amendée en 2014 aux identités de genre et aux expressions de genre — cf. supra, page 24), à savoir de respecter l’identité de genre des personnes, en utilisant leur prénom et leur genre de confort. Plusieurs situations peuvent se présenter: s Oralement L’utilisation du prénom social ou prénom d’usage est une étape symboliquement importante pour la personne trans*. Dans une perspective de respect de la dignité et de promotion du bien-être de chacun.e, il convient de faire usage du prénom social du travailleur ou de la travailleuse qui en fait la demande. s Dans les rapports internes Dans les rapports internes de l’entreprise, à la demande du travailleur ou de la travailleuse concerné.e, il est souhaitable de modifier tous les documents conformément au prénom social. Aucune documentation supplémentaire n’est nécessaire pour effectuer ces modifications dans les dossiers en interne. Sur les documents sociaux Les documents sociaux (tels que fiche de paie, contrat de travail, assurance…) doivent indiquer le prénom légal de la personne. Il est toutefois conseillé d’introduire une mention telle que « dit prénom social » à la suite du prénom légal afin de tenir compte de l’identité sociale de l’individu. t Faire une check-list: s adresse e-mail ; s carte de visite ; s annuaire téléphonique ; 15| Notamment celles de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes. 48 s site Internet de l’entreprise ou de l’institution ; s organigramme ; s listes de noms et répertoires; s plaques de bureau, etc. t Modifier les marqueurs de sexe et de genre des documents administratifs ? La distinction entre marqueur de genre et de sexe est complexe car la frontière entre ces deux termes n’est pas strictement définie socialement. Dans la vie courante, les documents légaux utilisent à tort les deux marqueurs comme des équivalents substituables. Or, il est possible d’adopter des définitions plus strictes afin de les différencier clairement. Le genre est la catégorie sociale (homme ou femme) à laquelle un individu s’identifie. Néanmoins, le sexe d’une personne relevant de caractéristiques biologiques dont une partie n’est pas modifiable (ex: chromosomes), le sexe relève en réalité de la vie privée des individus et ne correspond pas forcément au « sexe enregistré » (« M » ou « F » sur la carte d’identité) légal de l’individu, qui lui est modifiable. Si un changement d’enregistrement de sexe a été effectué, il va de soi que le « sexe enregistré » doit immédiatement être modifié afin d’être en conformité avec le nouvel état civil de l’individu. t Garantir le droit à la personne de bénéficier de congés pour toute absence relative à la transition/transidentité ? Il se peut que la personne trans* doive s’absenter pour des raisons liées à son identité de genre. Il n’existe pas de dispositions légales particulières à cet égard, c’est donc le droit commun qui s’applique. Deux types d’absence peuvent être distingués: s Absence pour raison de santé L’exécution du contrat de travail est suspendue lorsque le/la travailleur.euse est en incapacité de travail. 49LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE s Absence pour faire des démarches administratives Le/La travailleur.euse a le droit de s’absenter pour les motifs habituels tels que les congés légaux, les congés sans solde, etc. t Veiller à ce que le changement d’enregistrement de sexe n’influence pas le droit à la sécurité sociale. Toute distinction fondée sur la transidentité en matière de sécurité sociale ou d’avantages sociaux est considérée comme une distinction fondée sur le sexe. s Pensions En ce qui concerne la pension légale de retraite, la transition ne peut pas avoir d’influence sur le droit à la pension légale de la personne tant pour l’âge que pour le montant. Toutefois, il faut être vigilant.e car le changement d’enregistrement de sexe et/ou de prénom à l’état civil peut mener à des calculs erronés, ou à l’omission d’une partie de la carrière entre deux périodes (de même que pour les impôts, certaines personnes ont reçu deux avertissements extrait de rôle !). En ce qui concerne les pensions complémentaires, depuis le 10 mai 2007, la prise en compte du sexe dans le calcul des primes et prestations est désormais explicitement interdite. s Allocations familiales Ni le changement de prénom ni le changement d’enregistrement de sexe ne viennent à modifier les liens de filiation et les droits, pouvoirs et obligations qui en découlent. Pour des raisons de sécurité juridique, la personne désignée comme attributaire le reste même en cas de transition. t Veiller au confort logistique Quels vestiaires/toilettes utiliser ? Les espaces séparés par genre sont souvent des endroits d’exclusion et de discrimination 50 pour les personnes trans*. Il est donc conseillé de permettre d’utiliser les infrastructures en considération de son identité de genre et expression de genre ainsi que de son niveau de confort personnel. En fonction de la situation et du contexte, l’installation de toilettes non sexospécifiques ou d’horaires établis pour l’utilisation des vestiaires peuvent constituer des pistes de solution. t De quelle manière appliquer les codes vestimentaires ? Toute discrimination sur la base de stéréotypes de genre et fondée sur l’identité et l’expression de genre est assimilée à une discrimination fondée sur le sexe et est par conséquent interdite par la loi genre. Toute discrimination fondée sur un code vestimentaire jugé non-conforme aux normes relatives au sexe est prohibée. Autrement dit, le/la travailleur.euse trans* doit pouvoir s’habiller conformément à son identité de genre. Iel devra néanmoins se conformer aux mêmes normes vestimentaires que les autres le/la travailleurs.euses en ce qui concerne les vêtements de travail, les uniformes ou encore le respect de normes en matière de sécurité ou de décence par exemple. En effet, l’employeur. euse peut apporter des restrictions vestimentaires (par exemple dans le règlement de travail) pour des raisons légitimes, objectives et proportionnées. Il convient de préciser que toute mesure restrictive doit se rattacher à la nature de l’activité et répondre à un objectif précis. t Informer l’équipe (avec le consentement de la personne concernée) de la transition/ transidentité d’un.e travailleur.euse ? Il conviendra d’adapter le discours au contexte et à la situation. La personne trans* doit avoir explicitement consenti à dévoiler cette information sur sa vie privée. Il n’y a pas lieu d’aller au-delà des éléments consentis par cette dernière, dans le cas contraire il s’agirait alors d’outing. Il s’agira d’une étape importante qui devra être envisagée au préalable par les parties concernées. 52 CONTACTS UTILES CLCD – Cellule Lutte contre les Discrimination du CEPAG et de la FGTB wallonne www.clcd.info rue de Namur 47 – 5000 Beez (Namur) E-mail : clcd@cepag.be Point de contact discrimination FGTB : fgtb.be/discriminations 081 26 51 56 UNIA – Centre interfédéral pour l’égalité des chances unia.be/fr rue Royale 138 — 1000 Bruxelles Formulaire de signalement : signalement.unia.be/fr/signale-le 0800 12 800 IEFH – Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes igvm-iefh.belgium.be/fr rue Ernest Blerot 1 — 1070 Bruxelles E-mail : egalite.hommesfemmes@iefh.belgique.be 0800 12 800 Les CHEFF : Fédération des jeunes LGBTQIA+ lescheff.be Les CHEFF sont une organisation de jeunesse reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles depuis 2014. Elle fédère actuellement sept pôles associatifs dont les membres sont des jeunes Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Trans, Queers, Intersexué.e.s et Asexuel.le.s (LGBTQIA+). Ses pôles sont localisés dans les grandes villes de Belgique francophone, à savoir Bruxelles, Liège, Mons, Namur, Charleroi et Louvain-la-Neuve. Un pôle spécialisé sur les questions trans, queers et intersexuées (IdenTIQ) fonctionne comme un organe de consultation au service de l’association. Qui sait 53LUTTE CONTRE L’HOMO/TRANSPHOBIE mieux ce que vit un.e jeune LGBTQIA+ qu’un.e autre jeune LGBTQIA+? Les missions des CHEFF sont donc réalisées par des jeunes et pour des jeunes et sont au nombre de quatre : sensibilisation, sociabilisation, mobilisation, formation. rue Eugène Hambursin 13 — 5000 Namur 081 22 09 19 ou 0486 35 43 61 E-mail : info@lescheff.be GENRES PLURIELS ASBL genrespluriels.be Genres Pluriels est une association œuvrant au soutien, à la visibilisation, à la valorisation, à l’amélioration des droits et à la lutte contre les discriminations qui s’exercent à l’encontre des personnes transgenres/aux genres fluides (personnes en transition, drag kings/drag queens, travesti.e.s, butchs, androgynes, queer…) et intersexes. L’association se veut non seulement une structure d’accueil et de soutien pour ce public ainsi que son entourage, mais aussi une plateforme d’information, de formation, d’action, de vigilance, de recherche – dans une démarche de travail en réseau avec tous les acteurs d’une société ouverte à la diversité des identités humaines et culturelles. E-mail : contact@genrespluriels.be Arc-en-Ciel Wallonie : Fédération wallonne des associations LGBTI+ arcenciel-wallonie.be rue Pierreuse 25 — 4000 Liège 04 222 17 33 54 SOURCES lescheff.be : Guide des jeunes LGBTQIA+ Guide d’accompagnement pour les personnes trans* au travail, Brochure de l’IEFH egalitefillesgarcons.cfwb.be/realite-ou-fiction/sexe-genre-et-stereotypes/sexe-et-genre-estce-la-meme-chose Lexique campagne IEFH « Et toi t’es casé-e ? » genrespluriels.be : Brochure Genres Pluriels. * TABLE DES MATIÈRES MINI-LEXIQUE POUR MIEUX COMPRENDRE LES TERMES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS DANS CETTE BROCHURE 3 Qu’entendons-nous par « sexe » et par « genre » ? 3 L’identité de genre (qui sommes-nous dans notre for intérieur ?): 4 L’expression de genre (quelle image renvoie-t-on?) 5 L’orientation sexuelle (par qui sommes-nous attiré.e.s ?): 5 Le coming out, ou sortir du placard 6 Outing 7 Homophobie 7 Transphobie 7 Interphobie 8 INTRODUCTION 10 1 L’HOMOSEXUALITÉ ET LA TRANSIDENTITÉ DANS L’HISTOIRE 13 Une question de perception… 13 Qui fait évoluer la législation… 14 2 LES RACINES DE LA DISCRIMINATION 16 Stéréotypes et préjugés 16 3 L’HOMOSEXUALITÉ ET LES TRANSIDENTITÉS POUR LES NUL.LE.S 17 4 IDENTIFIER LES DISCRIMINATIONS EN GÉNÉRAL ET SUR LA QUESTION DES PERSONNES LGBTI+ EN PARTICULIER 19 Discriminations 19 La discrimination directe 19 La discrimination indirecte 20 L’injonction de discriminer 21 Le harcèlement discriminatoire 22 Focus sur la discrimination directe : à quelles conditions une différence de traitement est considérée comme une discrimination directe ? 22 La différence de traitement est basée sur un ou plusieurs critère(s) défini(s) par la loi genre et par la loi générale anti-discrimination de 2007. 24 Le non-respect de la vie privée : l’« outing » 26 5 L’HOMOPHOBIE ET LA TRANSPHOBIE AU TRAVAIL 29 Au moment du recrutement 29 Dans le déroulement de la carrière 29 Au quotidien dans l’entreprise ou l’administration 29 6 EN TANT QUE DÉLÉGUÉ.E COMMENT PEUX-TU AIDER UN.E AFFILIÉ.E VICTIME DE DISCRIMINATION? 30 Le signaler 30 Constituer un dossier 31 Concrètement, doit-on prouver la discrimination ? 31 Le dossier comporte-t-il suffisamment d’éléments qui laissent présumer une discrimination ? 32 Action ponctuelle en cas de « discrimination flagrante » 33 Face à une situation clairement discriminatoire : que faire et comment faire en tant que délégué.e ? 33 Recours et droits 34 Action en justice 34 Protection contre le licenciement 35 Principe 35 Sanctions 36 7 COMMENT AGIR GLOBALEMENT DANS LES ENTREPRISES DU SECTEUR PRIVÉ EN TANT QUE DÉLÉGUÉ.E.S? 37 Dans le cadre du Conseil d’entreprise (CE) ou à défaut, du CPPT 37 Dans le cadre du Comité pour la Prévention et la Protection au Travail (CPPT) 38 Dans le cadre de la Délégation syndicale (DS) 39 En jouant collectif 39 8 COMMENT LES DÉLÉGUÉ.E.S PEUVENT-IELS AGIR DANS LES SECTEURS PUBLICS? 40 Dans les organes de concertation compétents 40 Dans les procédures de recrutement et de promotion 41 Dans l’accompagnement des affilié.e.s 41 Dans le cadre de l’organisation syndicale 41 9 POUR ALLER PLUS LOIN ET MODIFIER LES PRATIQUES GÉNÉRALES SUR LE LIEU DE TRAVAIL 42 Exemples d’actions concrètes à mener sur le lieu de travail, de façon générale 43 Être vigilant.e dès le recrutement 43 Veiller à ce que l’employeur.euse respecte ses obligations 43 Identifier clairement que la délégation/l’entreprise ou administration, institution…) est contre tout comportement discriminatoire, avec éventuellement un focus particulier contre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre 45 Quelques pistes de réflexion générales qui devront être adaptées en considération de la situation et du contexte 45 Lutter contre le sexisme dans l’espace public 46 Inviter à signaler tout comportement discriminatoire sur le point de contact discrimination de la FGTB ou contacter directement la CLCD 46 Exemples d’actions concrètes à mener sur le lieu de travail, à l’attention des personnes trans*en particulier 46 CONTACTS UTILES 52 SOURCES 54 Éditeur responsable Thierry Bodson, Administrateur délégué CÉPAG rue de Namur 47 – 5000 Beez Graphisme et Mise en page Alain Detilleux | Krimineilzat productions Mise à jour juin 2020 ——————————- Site Web clcd.info
TABLEAU DES CONQUETES SOCIALES
Accidents de travail 1903 : loi sur les accidents de travail
Allocations familiales 1930 : allocations familiales obligatoires
Bien-être au travail 1994 : loi sur le code du bien être au travail
Chômage 1920 : fond national de crise (ancêtre ONEM)
Comités d’entreprise européens 1996 : création des cee
Comites de sécurité et d’hygiène 1952 : vote de la loi sur les csh
Conges payes 1936 : 1ers congés payés (6 jours/an)
Conseils d’entreprise 1948 : vote loi sur CE
Contrat de travail 1900 : 1ere loi sur contrat de travail
Convention collective 1906 : 1ere cct
Délégation syndicale 1971 : conv. coll. Sur la délégation syndicale
Dimanche 1905 : loi sur le repos du dimanche Pour aller à l’église
Droit de grève 1921 : reconnaissance légale droit de grève Force de travail : le patron a acheté les machines et les matières premières après c’est le travailleur qui a fait en sorte que l’objet créé soit une chaise/un banc/un tableau/… Ce sont les travailleurs qui créent la richesse : et pas que matériel => prof richesse de savoir
Egalite homme/femme Toujours pas Théorie du pot de yaourt :
Imaginons Gwendoline, en couple avec Richard: Gwendoline gagne moins que Richard car elle travaille à temps partiel pour pouvoir s’occuper des enfants. Le couple achète une nouvelle voiture: le genre de voiture que Gwendoline n’aurait jamais pu se permettre seule. Richard rembourse le crédit de la voiture, car il gagne davantage, ce qui leur semble logique à tous les deux. Gwendoline propose alors de payer un peu plus que Richard pour les courses (symbolisées ici par les pots de yaourt), pour équilibrer la balance, pense-t-elle. “Petit salaire, petite dépense. Gros salaire, grosse dépense” souligne Titiou Lecoq. Quand ils se séparent, Richard repart avec la voiture. Gwendoline, elle, quittera le couple avec … ses pots de yaourt vides. Cette métaphore montre bien comment, sournoisement et sans que personne ne s’en rende compte, la mise en ménage a appauvri Gwendoline — la femme — à long terme.
Si on paye une personne pour faire le travail domestique c’est plus cher qu’un salaire
Sensibiliser aux mots : aider/prendre sa charge du travail/répartitir équitablement
Création compte en banque : 1970
Différence de salaire entre les hommes et les femmes : 21% – à cause du plafonds de verre, de la parois de verre, du plancher collant et de la réduction du temps de travail souvent incombée aux femmes. Pension = 500€ de différence.
Maladies professionnelles 1927 : création du fmp
Mutualités 1894 : 1ere loi sur mutualités
Obligation scolaire 1914 : obligation scolaire jusqu’a 14 ans
ONSS 1944 : arrête-loi instaurant sécu sociale Rappeler les 6 piliers de la Sécu : Pensions/soins de santé/accidents de travail & maladies professionnelles/allocations familiales/Vacances annuelles/Chômage
Rappeler le principe d’une caisse solidaire
Pensions 1895 : 1ere loi et 1924 : pension obligatoire pour tous
Protection de la rémunération 1896 : loi sur la protection de la rémunération
Règlement de travail 1965 : loi sur le règlement de travail
Ris (revenu d’intégration sociale – minimex) 1974 : loi sur minimum des moyens d’existence
Revenu minimum mensuel garanti (RMMG) 1975 : cct relative au rmmg Salaire minimum en fonction de ta commission partaire/secteur
Suffrage universel 1919 : pour les hommes /1948 : pour les femmes Historique du droit de vote :
1. Vote censitaire : les plus riches qui peuvent voter
2. Vote plural : tu peux mettre plus de votes si tu as plus d’argent
3. Vote universel : tous les hommes peuvent voter
4. Vote femmes : et enfin !
Syndicat 1853 : 1er syndicat Caisses de solidarité pour défendre le salaire des membres
Lien
Travail des femmes et des enfants 1889 : régl. du travail des femmes et des enfants
8 heures/jour 1921 : loi des 8 heures 8 heures pour travailler, 8 heures pour se divertir et 8 heures pour dormir. 1er mai fêté depuis avant 1900 : fête des travailleurs (moving day : jour où le contrat des travailleurs était renouvelé, grande grève de Chicago, pendaison de personnes sur place publique), férié en 46, avant journée de grève
Historique 1er mai
38h/sem 2003 : fin des 40h/sem
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Wokisme : Panique morale Benjamin Vandevandel • Juillet 2024 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 56 cepag@cepag.be • www.cepag.be Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 2 Il est impossible d’être passé, depuis les 5 dernières années, à côté du terme « woke » et de ses dérivés. Utilisé jusqu’à la nausée dans l’espace médiatique et politique depuis 2020, cette notion semble regrouper pour ses détracteurs l’ensemble des dangers qu’encourent la civilisation occidentale, l’esprit des Lumières et l’universalisme. La définition du mot « woke », qui a fait son entrée dans le dictionnaire Robert en 2023, laisse pourtant penser tout le contraire d’une attaque mettant en péril la civilisation. Le Petit Robert définit un woke comme un individu « qui est conscient et offensé des injustices et des discriminations subies par les minorités et se mobilise pour les combattre ». Cette définition nous renvoie à notre propre histoire sociale, aux luttes ouvrières, aux mouvements d’émancipation des femmes ou encore aux actuellesluttes des communautés LGBTQIA+, ensemble de luttes composant plus d’un siècle de combats qui ont abouti à l’obtention de l’enseignement gratuit et obligatoire, au droit de vote universel, à la sécurité sociale, au droit à se syndiquer, à l’adoption d’enfants par les couples de même sexe … Bref à l’ensemble de conquis sociaux et sociétaux que nous connaissons aujourd’hui et qui sont régulièrement mis à mal. Le Petit Robert complète sa définition en précisant que le militant woke combattrait parfois « de manière intransigeante » et que le terme deviendrait alors « péjoratif », utilisé « par dénigrement ». Comment peut-on être qualifié d’« intransigeant » lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre. Être « woke » : être « éveillé » Alex Mahoudeau1 et Audrey Millet2 nous permettent d’appréhender historiquement le concept « woke »3 . Le terme est utilisé dès le 19ème siècle dans un sens social comme politique par de jeunes partisans de Lincoln appelés « Wild awakes ». Suite à la guerre de Sécession va se développer un courant de pensée politique au sein des jeunes afro-américains : les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien ne sont pas liés à leur responsabilité individuelle mais bien à une situation d’ensemble tournée contre eux, à un racisme systémique qui les exclus d’emblée d’un système pensé et légiféré par les blancs. Repris par le journaliste William Melvin Kelley dans un article du New York Times en 1962, le terme réappuie sur la nécessité de se conscientiser aux discriminations systémiques dont sont victimes les populations noires aux Etats-Unis. Ces discriminations raciales vont rencontrer d’autres mouvements de revendications sociales, notamment celles des féministes : émerge alors la notion d’intersectionnalité des luttes qui sera théorisée en 1989 par l’universitaire afroféministe américaine 1 in « La panique woke : anatomie d’une offensive réactionnaire », Les Editions Textuels, 2022 2 In « Woke washing : capitalisme, consumérisme, opportunisme », Les Pérégrines, 2023 3 Notons déjà que s’il est très facile de trouver moult ouvrages dénonçant un péril woke dans les librairies, l’exercice est beaucoup plus compliqué lorsqu’il s’agit de trouver des essais plus nuancés sur le sujet. Signe avant-coureur d’une panique morale orchestrée par la droite conservatrice et l’extrême-droite. Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 3 Kimberlé Williams Crenshaw4 . Il s’agira alors d’étudier les formes d’oppression, de domination et de discrimination non pas séparément mais dans les liens qui se nouent entre toutes ces formes de discriminations. C’est opérer un décloisonnement des différenciations sociales que peuvent être la religion, le genre, l’origine, l’orientation sexuelle, le handicap, … et comprendre que les rapports de domination sociale ne pourront pas être appréhendés et étudiés pleinement s’ils le sont de façon isolée. L’intersectionnalité veut mettre en avant les façons dont le système maintien les inégalités dans la société en général (niveau macrosociologique), mais aussi les mécanismes par lesquels ce système influe sur les parcours de chaque individu victime de stéréotypes (microsociologique). Intersectionnalité et « wokisme » sont indissociables : s’il s’agit d’être « éveillé » aux discriminations multiples, il est évident que l’allié potentiel doit pouvoir intégrer l’ensemble de celles-ci et comprendre par exemple qu’une femme racisée, musulmane et en situation de handicap subit dans les faits trois formes de discriminations qui peuvent s’exprimer soit séparément (aménagement inadéquat de l’espace public) soit collectivement (refus d’un emploi en raison d’inaccessibilité au poste de travail et par peur que des clients refusent de s’adresser à une femme racisée). Le terme « woke » arrive en Europe suite au #staywoke lancé par le mouvement antiraciste « Black Lives Matter ». Hashtag utilisé une première fois en 2014 suite à l’assassinat d’Eric Garner par la police (accompagné du maintenant célèbre #I can’t breathe) et une seconde fois suite au meurtre de George Floyd en 2020 par le policier Derek Chauvin. C’est le début de la popularisation du concept dans nos contrées et d’une attaque organisée de ce dernier par la droite conservatrice (et par la suite de la part de certaines droites « classiques ») et de l’extrême-droite. En effet, être « éveillé » implique pour toute personne non victime de discrimination de non seulement faire preuve d’une prise de conscience de la situation systémique que vivent les personnes discriminées, mais aussi de comprendre ses propres privilèges et de les questionner au nom d’une réelle inclusion de toutes et tous au sein de la société. C’est sans doute ce qui pose un problème aux tenants du pouvoir capitaliste qui y voient un danger menaçant de les priver d’un système qui nourrit et consolide leur domination. Il s’agit donc de convaincre que des revendications légitimes sont dans les faits un danger pour la civilisation occidentale. 4 Juriste et professeure, spécialisée dans les questions de race et de genre ainsi qu’en droit constitutionnel. Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 4 Propagande de guerre Le vocabulaire utilisé par les opposants au « wokisme » s’inscrit directement dans les mécanismes sémantiques propres à la propagande de guerre définis en 2001 par l’historienne Anne Morelli5 . De nombreux exemples peuvent être mis en avant et ce de la droite (: « une guerre qui ruine de l’intérieur la société occidentale 6 », « Toute la gauche est contaminée par le phénomène7 », « dictature des minorités8 », …) jusqu’à l’extrême-droite (« Vous méritez mieux que cet esclavage intellectuel […] Élu président je vous libérerai, vous découvrirez la joie de ne plus vous soumettre9 », « Woke, une lutte culturelle contre la civilisation européenne10 », …). Le militant woke est le danger. Il sera, au mieux taxé, d’extrémiste et, au pire, de fanatique ou de terroriste. Les titres de nombre d’essais publiés, l’anti-wokisme étant un marché plus que juteux en termes éditoriaux, est plus qu’évocateur à ce sujet : « la religion woke », « Les nouveaux virus de la pensée », « Les nouveaux inquisiteurs : l’enquête d’une infiltrée chez les wokes »… En plus de la propagande de guerre, le wokisme va être défini comme un virus, comme une contamination de l’espace politique et médiatique ; le mélange de discours de propagande de guerre et de risque épidémiologique n’est évidemment pas innocent dans un monde encore marqué par la pandémie Covid 19. Pourtant, de tous ces ouvrages, aucune définition de ce que serait le mouvement global wokiste ne semble émerger ; certains et certaines admettent même ne pas être capables de proposer une définition du danger qu’ils prétendent combattre. Une notion floue et indéfinissable Selon Jean-Luc Nsengiyumva, chercheur en socioanthropologie, aucune définition n’est possible pour la simple raison que « le mouvement woke ne se présente pas comme un cadre théorique qui a ses auteurs de référence et ses contours. Il n’y a pas de plateforme d’information et de promotion du wokisme. Ni radio, ni télévision, ni maison d’édition d’importance, ni école de pensée connue et médiatiquement remarquable ne se distinguent »11. Avis partagé notamment par Christophe 5 Anne Morelli, « Principes élémentaires de propagande de guerre », Bruxelles, Labor, 2001 6 https://www.lalibre.be/belgique/2023/03/03/la-croisade-de-bart-de-wever-contre-la-pensee-woke-cette-guerre-quiruine-de-linterieur-la-societe-occidentale-BPGYI2ZWLRBQFF6DDGU7AHLI2Q/ 7 https://www.7sur7.be/belgique/nadia-geerts-decrypte-le-wokisme-dans-un-nouvel-essai-en-belgique-toute-lagauche-est-contaminee~aed796c1/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F 8 https://www.7sur7.be/belgique/marc-ysaye-rejoint-les-rangs-du-mr-pour-combattre-la-dictature-des-minorites-et-lewokisme~a5c68098/ 9 https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-01-10/apotres-du-wokisme/le-peuple-a-raison-d-en-vouloir-auxjournalistes-dit-eric-zemmour.php 10 https://www.vlaamsbelang.org/nieuws/woke-een-cultuurstrijd-tegen-de-europese-beschaving 11Cité in « https://www.soralia.be/wpcontent/uploads/2023/12/Analyse2023-Wokisme.pdf » Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 5 Mincke12 : « L’idéologie woke, ou le wokisme, est ce qualificatif péjoratif ne reposant sur aucun fondement sérieux, mais qui permet de disqualifier comme un tout l’ensemble des forces contestataires issues des minorités ou des populations minorisées. Charriant à la fois une accusation d’hypersensibilité, un renvoi à l’invasion de “théories américaines” et l’assimilation de réactions à des discriminations à une volonté de mise en danger de notre société, ce terme a notamment été intensément utilisé en France pour tenter de faire taire certains courants critiques au sein de la recherche en sciences humaines et sociales, portant notamment sur les questions de genre, d’identité sexuelle, de discrimination fondée sur l’appartenance religieuse, ethnique, etc 13» Ce qu’affirment Jean-Luc Nsengiyumva et Christophe Mincke est intéressant à deux titres : ils nous permettent non seulement de comprendre qu’il est vain de vouloir définir un mouvement woke unifié (étant donné que celui-ci n’existe pas), mais aussi de pointer du doigt le but avéré des conservateurs de tous bords qui consiste à jeter le discrédit sur l’ensemble des luttes portées par les minorités. Si le terme « islamogauchisme » était délicat à utiliser en dehors des sphères de l’extrême-droite, « wokisme » passe sans trop de problème étant donné qu’il ne cible aucune minorité en particulier… il permet de toutes les citer sans les nommer. Le fait que le danger woke soit répété à l’envi dans les médias tout en ne définissant jamais ce qu’est un « woke » permet au mot (et au danger) d’exister. C’est ce que le politologue Clément Viktorovitch appelle « le principe de proférence » : le simple fait de proférer un mot suffit à le faire exister. « Même si les auditeurs ne savent pas exactement ce qu’il signifie, ils vont partir du principe qu’il possède une signification14. » L’intellectuel woke contamine l’humanité Dans la préface du livre de Nadia Geerts (au titre évocateur de « Woke ! La tyrannie victimaire »), Pierre-André Taguieff donne un aperçu de l’impossibilité (selon lui) à engager un débat sur la question du wokisme. Il dénonce la « bêtise sophistiquée » des wokes, leur propension à la cancel culture15, … et va encore plus loin allant jusqu’à accuser les universitaires wokes de « bêtise enruban12 Docteur en droit (Université Saint-Louis, Bruxelles), titulaire d’un DEA en sociologie et d’un master en théorie du droit 13 https://www.cairn.info/revue-nouvelle-2022-8-page-5.htm 14 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/le-wokisme-une-arme-de-disqualification-massive_4795169.html 15 Alors que la cancel culture est dans les faits dans l’ADN des conservateurs et non des progressistes : – « La plupart des livres ciblés par cette censure évoquent la question de l’identité sexuelle et des droits des communautés LGBTQ+, le racisme et les questions de violence policière. Des stars de la littérature, comme Toni Morrison, qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1993, ou John Steinbeck, l’auteur des “Raisins de la colère”, sont sur la liste des écrivains les plus ciblés par ses nouveaux maîtres censeurs. » https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230413-%C3%A9tats-unis-pourquoi-les-conservateurs-se-sontmu%C3%A9s-en-censeurs-de-livres-pour-enfants – Au cœur de la guerre culturelle qui fait rage aux États-Unis, le milieu de la littérature jeunesse fait office de champ de bataille sur lequel l’extrême droite américaine assoit toujours plus sa domination. » https://www.lesinrocks.com/societe/aux-etats-unis-la-censure-de-livres-juges-woke-atteint-des-sommets-604946-27- 12-2023/ – “La salle de classe des républicains” : c’est le titre de couverture du New York Magazine, où l’on voit une phrase s’égrener au tableau comme une punition : “Je ne dirai pas gay.” Une allusion à la loi surnommée “Don’t say gay”, adoptée en 2022 en Floride, pour circonscrire l’évocation des questions de genre et d’orientation sexuelle à l’école. Ce texte de loi n’est qu’un des exemples de l’offensive menée par le gouverneur républicain Ron DeSantis – candidat présumé à Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 6 née », de « folie dissimulée », d’être porteurs de « troubles mentaux » et de « tendance paranoïaques ». Taguieff est loin d’être un cas isolé. Mathieu Bock-Côté16 parle de « virus idéologique », de « pulsion de mort » , de « cancer » et de « totalitarisme inédit qui transforme la société occidentale de camp de rééducation à ciel ouvert ». Fondapol17 qualifie le phénomène woke de « fanatisme ». Ces qualificatifs ne sont pas choisis au hasard : ils justifient pleinement le fait de ne pas avoir à argumenter avec l’adversaire. En effet, quel intellectuel responsable irait se compromettre dans un débat avec des fanatiques, des malades mentaux ou des imbéciles ? L’intellectuel conservateur se place dans l’argument d’autorité. Cela lui évite de faire ce qui l’effraye plus que tout : se remettre en question et réfléchir à ses propres privilèges. La vision conservatrice de la société est marquée par une volonté d’immuabilité : le monde est certes imparfait, mais chaque individu peut s’élever par son travail, sa volonté et sa soif d’entreprendre. Ne peuvent bénéficier d’avantages que ceux et celles qui l’ont mérité ; les revendications « victimaires » de minorités sont inaudibles. Cette opposition idéologique entre les individus qui réussissent par méritocratie (les bons) et ceux qui réclament des ajustements afin de lutter contre les discriminations systémiques (les mauvais) permet aux croisés anti-wokes d’opérer un renversement de la charge : ce sont eux qui sont victimes de minorités qui les censurent, les empêchent de parler et tentent de détruire la démocratie… et ils seront invités sur la majorité des plateaux télés pour crier combien ils ne peuvent plus rien dire, se verront ouvrir les portes de prestigieuses maisons d’édition pour publier les essais confirmant qu’ils ne peuvent plus dire. Pourtant et d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, rien ne laisse supposer une mainmise des « féministes radicales », des « minorités inquisitrices » ou autres « lobby LGBT ». Francis DupuisDéri l’a longuement démontré dans un ouvrage18 de 2022 : – En 2021, moins de 10% des établissements universitaires états-uniens proposent un programme en Black Studies (soit environ 360 établissements) et à peine 5% (soit moins de 200) offrent un programme en études sur le genre. En comparaison, on compte plus de 1700 programmes en « Business administration ». – En France, sur 350 établissements d’enseignement supérieur, on trouvait en 2021 un seul département en études sur le genre (Paris 8) et à peine 12 programmes sur ce domaine dans les autres établissements. – Au Québec, les sociologues Robert Leroux, Jordan Peterson et Joseph Facal soutiennent depuis des années que leurs départements sont désertés par les hommes blancs sous pression des « wokes » et qu’il est impossible d’être aujourd’hui engagé dans ces départements la Maison-Blanche – sur le terrain éducatif. Et la croisade des républicains ne se limite pas à la Floride : “Convaincus que les écoles lavent le cerveau des enfants pour en faire des gauchistes, les conservateurs prennent le contrôle des salles de classe américaines”, souligne le magazine. » https://www.courrierinternational.com/une/une-du-jour-aux-etats-unis-les-republicains-prennent-le-controle-dessalles-de-classe 16 Essayiste, chroniquer et sociologue conservateur qui a popularisé la lutte contre le wokisme au Québec. 17 Fondation pour l’innovation politique. Laboratoire d’idées français créé en 2004 et proche de l’UMP à sa création, il évolue de plus en plus à droite dans les années 2020 sur les questions sociétales, particulièrement en ce qui concerne l’immigration, l’identité et la sécurité, et dénonce « l’idéologie woke ». 18 In « Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires », Lux Editeur Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 7 si l’on est « mâle et blanc ». En 2018-2019, 59% du corps professoral des universités est composé d’hommes, ils occupent 72% des postes de titulaires et gagnent en moyenne 20 000 dollars de plus par an que leurs consœurs. En France, on compte 75% d’hommes dans le corps professoral universitaire et 83% de directeurs. – En Allemagne, les conservateurs nationalistes affirment depuis des années que les universités sont dominées par le développement des gender studies. Seules 0.4% de l’ensemble des chaires universitaires du pays sont consacrées à ces études et aucune structure de financement n’est dédié au gender studies. Enfin, 2 millions d’articles sont publiés en anglais chaque année dans 30 000 revues scientifiques. Il existait sur ce total en 2018 une cinquantaine de revues en études de genre. Faire passer des faits minoritaires pour majoritaires 19 Si l’on prend par exemple l’affirmation selon laquelle les campus états-uniens sont envahis par les wokes, quelques chiffres suffisent à démontrer l’exact contraire. On a compté 0.0015% de mise à pied dans le monde académique pour donner suite à des plaintes qualifiées de « wokes 20» entre 2015 et 2020. En revanche, entre 2018 et 2019, on a recensé 69 rassemblements de mouvements d’extrêmedroite et des campagnes d’affichages et de tractages sur 8% des campus états-uniens. Le nombre de professeurs qualifié de « progressistes » dont le contrat n’a pas été renouvelé est massivement plus élevé que celui de ceux qualifiés de « conservateurs ». 59 alertes à la bombe ont été recensées sur les campus célébrant le « mois de l’histoire des noirs ». En France, l’autoproclamé « Observatoire du Décolonialisme21 » a recensé 16 cas de « cancel culture » à l’université en 2019-2020. Dans les faits, 10 d’entre eux n’ont pas été annulés, 2 étaient des appels à respecter des grèves et des blocages liés à la réforme de l’enseignement supérieur et des retraites, 1 concerne la publication d’un guide d’écriture inclusive (que l’on a présenté comme une obligation à appliquer) et un dernier était un communiqué du CNRS qui marquait son désaccord avec l’usage du terme « islamo gauchiste » par la Ministre de l’Education. 19 L’ensemble des données chiffrées est tiré de l’ouvrage déjà évoqué de Francis Dupuis-Déri « Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires », Lux Editeur, 2022 20 Et soyons clairs : derrière ce terme « woke » se cachent ici des faits avérés de racisme et/ou de misogynie. 21 https://www.arretsurimages.net/articles/lobservatoire-du-decolonialisme-faux-think-tank-vrai-media-dopinion Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 8 Pourquoi une attaque concertées contre le « wokisme » ? Derrière les combats menés par les croisés anti wokes se cachent en définitive les craintes classiques des conservateurs à savoir la peur de voir le système changer et affaiblir leur position dominante, la crainte de devoir céder un tantinet une part des richesses concentrées entre les mains d’une minorité (la seule dictature des minorités étant celle des ultra riches), le rejet d’objectiver un récit national qui a souvent été écrit pour légitimer les rapports de domination qui leur sont favorables. La lutte des classes serait dépassée. La « démocratie libérale » permettrait à tout un chacun de s’élever dans la société et des mécanismes de solidarité protègent les plus faibles. Les défenseurs du système omettent les attaques toujours plus violentes sur l’ensemble des droits sociaux, syndicaux et humains que connaissent les sociétés occidentales depuis le début des années 80. Derrière leur lutte contre les wokes au nom de la « démocratie », de l’ « universalisme » et des « Lumières », les conservateurs dissimulent une lutte pour la préservation de leurs privilèges et le maintien du système capitaliste. Le racisme et les violences faites aux femmes systémiques n’existeraient pas, le patriarcat serait un mythe, un reliquat du passé n’ayant plus d’influence aujourd’hui. Preuves à l’appui de ces affirmations : les femmes jouissent des mêmes droits et devoirs que les hommes en Occident, le législateur lutte contre les discriminations, puni les discours racistes et est extrêmement sévère en ce qui concerne les agresseurs sexuels. Quiconque va au-delà de ce raisonnement simpliste peut constater que l’inscription dans la Loi n’élimine pas le crime de facto. Une majorité de femmes ne portent pas plainte pour une agression sexuelle car elles se savent peu entendues et soumises au pilori dans les médias comme sur les réseaux sociaux. Nombre de personnes racisées se voient refuser des emplois ou de logements du simple fait de leur origine et renoncent à le dénoncer tant il est difficile de démontrer une discrimination raciale. En guise de conclusion Le « wokisme » à la sauce conservatrice repose en définitive sur du vent, des approximations, des fake news. La crainte des minorités « wokes » relève des mêmes argumentaires que ceux liés, par exemple, à la thématique du « Grand remplacement » : une généralisation abusive de cas isolé, une lecture tronquée des faits sociologiques, une négation des statistiques et, surtout, une croyance profonde que ce que l’on voit ou l’on ressent est le reflet réel de l’ensemble de la société. Wokisme : panique morale _________________________________________________________________Juillet2024 9 Pour citer Rokhaya Diallo22 : « le terme de culture « woke » en France n’existe que dans les termes de ses détracteurs. C’est présenté comme un mouvement, mais personne ne s’en revendique. C’est vraiment devenu une tentative de disqualification de mouvements sociaux autour du féminisme, de l’antiracisme, de l’écologie. Ça me rappelle un peu les débats autour de l’islamo-gauchisme, un terme que personne n’a jamais vraiment su définir. 23» 22 Journaliste française, militante féministe et antiraciste, éditorialiste et réalisatrice. 23 https://www.ouest-france.fr/societe/c-est-quoi-le-wokisme-cette-ideologie-que-jean-michel-blanquer-dit-vouloircombattre-22b58616-2cc1-11ec-9285-f388b2ea32b0
Retour en force des coupes budgétaires en Europe Nos dirigeants n’ont-ils donc tiré aucune leçon1 ? Olivier Bonfond2 & Laurent Pirnay3 • Juin 2024 1 Cette analyse a également été publiée dans le magazine Tribune de la CGSP – Mai 2024 (n°27). 2 Économiste au CCEF (Centre coordonné d’études et de formation), membre du CADTM (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes), auteur de « Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde » (Le Cerisier, 2017). 3 Secrétaire général CGSP CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 56 cepag@cepag.be • www.cepag.be Retour en force des coupes budgétaires en Europe________ ______________________________________Juin 2024 2 Introduction La Commission européenne et les États membres viennent de s’accorder sur de nouvelles règles budgétaires, tout aussi strictes que les précédentes. On aurait pu penser que les dirigeants avaient retenu la leçon des années 2010. Il n’en est rien. Après plusieurs années de « quoi qu’il en coûte » au cours desquelles les États auraient dépensé sans compter pour faire face aux différentes crises (crise sanitaire, guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation), il serait maintenant temps pour les États de revenir au sérieux budgétaire et de réduire les déficits et la dette, sous peine d’être sanctionnés par la Commission européenne. Cette orientation a pourtant déjà été testée de nombreuses fois par le passé, et les résultats sont connus : l’économie va se contracter, et cela va aggraver les déficits et la dette, sans oublier les conséquences sociales désastreuses, qui profiteront probablement une fois de plus à l’extrême droite. De nouvelles règles européennes, identiques aux précédentes Le 10 février dernier, après deux ans de discussions, le Conseil de l’UE est parvenu à un accord sur une réforme du Pacte de stabilité. On entend ici et là parler d’un assouplissement des anciennes règles en vigueur. Sous la pression de l’Allemagne et des Pays-Bas, les minuscules avancées qui étaient en discussion (trajectoires budgétaires adaptées et prenant en compte les spécificités et les besoins en investissement de chaque pays) ont été mises de côté, pour remettre en avant des critères numériques stricts et indifférenciés, imposant à chaque pays un ajustement budgétaire minimal à respecter. Sans rentrer dans les détails, les nouvelles règles sont les suivantes : les pays qui ont un déficit supérieur à 3 %, devront le réduire de 0,5 % chaque année. En ce qui concerne la dette, les pays qui ont un endettement supérieur à 90 % du PIB devront le diminuer de 1 point de pourcentage chaque année (0,5 point de pourcentage pour les pays dont la dette se situe entre 60 et 90 % du PIB). Les deux critères de base, à savoir un déficit de 3 % et un endettement de 60 % du PIB, considérés de plus en plus largement comme obsolètes, restent dont pleinement d’actualité. Et aucun pays n’y coupera, y compris les pays qui ont une dette inférieure à 60 % du PIB. Prenons l’exemple de la Pologne, qui a une dette équivalente à 55% du PIB mais avec un déficit prévu de 4,6% en 2024. Elle devra obligatoirement réduire ce déficit de 0,4 point en 2025, pour atteindre 4,2%. Ajoutons que la mise en place de sanctions pour non-respect des règles a été renforcée, ce qui revient en réalité à rendre cette réforme pire que la précédente. En effet, si les règles précédentes étaient – un peu – plus exigeantes en matière d’efforts à fournir, aucune sanction n’a jamais été mise en œuvre. Quant à la prise en compte des investissements nécessaires à réaliser dans le domaine de la justice sociale et de la transition écologique, circulez, on verra plus tard. Retour en force des coupes budgétaires en Europe________ ______________________________________Juin 2024 3 Des dizaines de milliards de coupes en vue Dans ce nouveau contexte, les ajustements budgétaires demandés pour de nombreux pays, en particulier ceux dont la dette dépasse 100 % du PIB, sont énormes. La Belgique (dette à 106 % du PIB) va devoir « économiser » 5 milliards d’euros de plus chaque année au cours des 7 prochaines années pour respecter ces normes européennes. En mars, la ministre fédérale du Budget annonçait déjà qu’il faudrait vendre Belfius, BNP Paribas et Ethias4 , ben voyons ! La Région wallonne, qui met déjà en œuvre une trajectoire austéritaire depuis 2022 (150 millions d’économies supplémentaires chaque année), devra sans doute encore augmenter ses « efforts » dans les années qui viennent. En France (dette à 111 % du PIB), suite à l’annonce d’un déficit de 5,5 % (150 milliards d’euros) en 2023, le gouvernement a annoncé en urgence 10 milliards de réductions de dépenses pour l’année 2024 et 20 milliards supplémentaires pour 2025. Le gouvernement italien (dette à 140 % du PIB) prépare, en plus des réductions de dépenses prévues, un grand plan de privatisations. Tout, ou presque, pourrait y passer : la banque Monte dei Paschi, la compagnie aérienne ITA Airways, la Poste italienne, la compagnie nationale des chemins de fer… Objectif : récupérer 20 milliards d’euros, soit 1 % du PIB. Dénoncer avec force cette orientation Cette orientation semble bel et bien absurde, et ce sur plusieurs plans… 1. Une décision purement politique Cette soudaine obsession pour des économies n’est que le résultat d’un choix politique. Rien ne nous y obligeait il y a encore quelques mois, et rien ne nous y oblige aujourd’hui. Par exemple, si une nouvelle grave crise intervenait demain, nécessitant une forte intervention publique, ces règles tomberaient à l’eau immédiatement. Par ailleurs, contrairement aux discours dominants, les Etats n’ont aucune difficulté à se financer sur les marchés financiers. A titre d’exemple, en janvier 2024, l’Agence de la dette émet une obligation d’Etat à 10 ans avec un coupon d’intérêt de 2,85% pour un montant de 7 milliards d’euros. Les marchés ont rapidement proposé 70 milliards. Un mois plus tard, en février, l’Agence de la dette belge émet une obligation d’Etat (OLO) sur une échéance de 30 ans et un coupon d’intérêt de 3,5% pour un montant de 5 milliards d’euros. Après quelques heures, le carnet de commandes dépassait déjà les 62 milliards d’euros… La demande dépassant largement l’offre, on 4 https://www.lesoir.be/574926/article/2024-03-16/alexia-bertrand-open-vld-il-faudra-vendre-belfius-bnp-paribas-puisethias Retour en force des coupes budgétaires en Europe________ ______________________________________Juin 2024 4 serait en droit d’attendre, en particulier de la part des défenseurs du marché et de la rigueur budgétaire, que la Belgique baisse les taux promis afin de faire baisser le coût de son endettement. Il n’en est pourtant rien. 2. Des critères obsolètes Il faut le rappeler, ces critères (une dette de 60% et un déficit de 3%) n’ont aucune justification économique, ils sont vieux de plus de plus de 30 ans (1992), et le contexte a radicalement changé. La croissance moyenne du PIB était à l’époque de 2% annuelle, et la question climatique ne se posait pas avec l’urgence d’aujourd’hui. Maintenir ces critères constitue une erreur politique gravissime. 3. Des mea culpa en trompe-l’œil De nombreux responsables politiques ont admis ces dernières années que les politiques d’austérité appliquées dans les années 2010 ont constitué une erreur et ont aggravé la situation. Citons le ministre wallon du Budget et des Finances en 2021 : « Le problème a été 2010 et 2011 parce que nous avons resserré la vis beaucoup trop vite et sommes rentrés dans des politiques d’austérité qui ont cassé la dynamique (…) Au nom de dogmes en matière budgétaire, cela a rendu la situation beaucoup plus difficile5 . » Les déclarations et engagements de ces derniers mois nous montre que ces Mea culpa sont bien loin… 4. « Ce n’est pas de l’austérité, mais de la responsabilité ». Ne pouvant nier cette réalité d’échec avéré des politiques d’austérité, les gouvernements tentent vainement de convaincre que leurs plans d’austérité n’en sont pas. Ils parlent de choix responsables visant à éviter une vraie austérité dans le futur, de création de marges de manœuvre pour l’avenir, de réorientation des choix budgétaires, d’amélioration de l’efficacité de la dépense publique, en affirmant que ces choix n’auront pas de conséquences sur les services publics et la vie des citoyennes et citoyens… 5. Diminuer les dépenses tout en les augmentant, une totale contradiction. Parallèlement à ces impératifs de réduction des déficits, les responsables politiques n’hésitent pas à affirmer qu’il faut préserver les investissements dans la formation, dans la transition écologique, dans le numérique, dans la défense nationale, dans la lutte contre l’exclusion sociale… Bref, qu’il faut dépenser beaucoup plus, tout en dépensant moins… 6. « Augmenter les recettes, vous n’y pensez pas ! » Alors que les potentialités sont très importantes (taxes sur les super profits, taxe sur les grandes fortunes, fraude fiscale…) aucune volonté politique ne semble émerger pour réduire les déficits en faisant payer les détenteurs de capitaux. Une fois de plus, ce sont les travailleurs et travailleurs qui vont payer : raboter le droit au chômage, repousser l’âge de départ à la retraite, sabrer dans les dépenses de santé ou de la transition écologique. 5 Jean-Luc Crucke, RTBF.be, 25 février 2021 Retour en force des coupes budgétaires en Europe________ ______________________________________Juin 2024 5 7. « Ce n’est pas le moment ! » C’est connu et démontré depuis longtemps : ce n’est pas quand ça va mal (période de ralentissement économique) que c’est le moment de réduire les dépenses publiques. Au contraire, c’est dans ces moments qu’il faut soutenir l’activité (pas n’importe laquelle bien sûr) en menant des politiques contra-cycliques. Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI ne dit pas autre chose : « Les prévisions de croissance pour l’Europe viennent d’être révisées à la baisse. Il faut donc être prêt à soutenir encore l’économie, même si cela implique un déficit plus important6 .» 8. Cela risque de mal se passer… Couper dans les dépenses et les investissements publics, alors que l’économie européenne ralentit, il n’y a pas pire choix d’un point de vue économique. Cela va aggraver l’effet récessif, et cela va faire augmenter la dette et les déficits publics. Et cela d’autant plus que tous les États européens s’apprêtent à le faire en même temps. Et après ? Un nouveau tour de vis austéritaire ? un cercle sans fin ? Nos dirigeants n’ont-ils rien appris des leçons du passé ? Ce n’est pas le bon sens qui dirige le monde ? Malgré des mea culpa et en total déni des phénomènes économiques, la Commission européenne, les dirigeantes et dirigeants européens ainsi que les États membres persistent et signent dans les erreurs du passé. Quelles conclusions faut-il en tirer ? Les peuples européens sont-ils dirigés par des institutions et des gouvernements de bonne foi, mais totalement aveugles et schizophréniques ? Ou bien faut-il admettre que ce n’est ni le bon sens, ni l’intérêt général qui dirigent ce monde, et qu’aujourd’hui comme hier, l’objectif n’est en réalité pas d’assainir les finances publiques mais bien d’accélérer le démantèlement des droits sociaux conquis et de servir les intérêts des puissances économiques et financières, dont l’appétit semble sans limites ? Poser la question, n’est-ce pas déjà un peu y répondre ? De quoi alimenter, en tous cas, la réflexion et le débat citoyen sur les politiques austéritaires, les coupes dans les services et investissements publics, la sécurité sociale et les droits sociaux. Dans un contexte marqué par la montée de l’extrême droite et de ses idées et les effets croissants des crises sociales et environnementales. 6 https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/04/olivier-blanchard-il-faut-etre-pret-a-soutenir-encore-l-economie_6219898_3234.html
Bons d’Etat au niveau wallon : Bonne idée ou projet injuste ? Analyse critique des arguments avancés pour geler la proposition Olivier Bonfond1 • Mars 2024 1 Economiste au CCEF (Centre coordonné d’études et de formation) ; membre du CADTM (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes) ; l’auteur du livre « Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité » (Aden, 2012) et « Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde » (Le Cerisier, fev 2017). CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 56 cepag@cepag.be • www.cepag.be Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 2 Introduction Petit Historique Analyse critique 1. Une idée à abandonner ? Ce n’est pas ce que dit la cellule de la gestion de la dette 2. Un projet injuste socialement ? Comment agir pour lutter contre les inégalités 3. Quel objectif doit-il être poursuivi ? Diminuer notre dépendance aux marchés financiers doit être une priorité 4. Des obstacles insurmontables ? Loin de là 5. La FGTB wallonne oublie-t-elle qu’il faut refinancer les dettes qui arrivent à échéance ? 6. Un bon d’Etat wallon pourrait-il avoir du succès en terme de récolte ? (Le beurre) 7. Quelle maturité pour le bon d’Etat wallon ? 8. Quel taux pour le bon d’Etat wallon ? est-ce que cela couterait plus cher que d’emprunter sur les marchés ? (L’argent du beurre) 9. L’émission d’un bon d’Etat wallon aurait-il pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers ? (Le sourire de la crémière ou le grincement de dents des banquiers) En guise de conclusion Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 3 Introduction En septembre 2023, la FGTB wallonne a mis sur la table la proposition d’émettre des bons d’Etat au niveau wallon, notamment pour diminuer la dépendance de la Région aux marchés financiers et dégager des ressources pour financer la poursuite du financement du Plan de relance wallon. La position du Ministre du Budget et des Finances de la Région wallonne, Adrien Dolimont, face à cette proposition a évolué dans les semaines et mois qui ont suivi. Elle est passée d’un « oui mais non » (bonne idée mais pas envisageable à court terme) à un « projet injuste à oublier ». La plupart des arguments avancés par le Ministre ne nous semblent pas convaincants. Ils donnent l’impression qu’il s’agit surtout de tout faire pour mettre le plus vite possible cette proposition sous le tapis. Nous allons reprendre et analyser ici tous ces arguments. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Cette mesure, si elle se concrétisait, se doit d’être intéressante, tant pour la Région que pour les épargnants et la population. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier que plusieurs difficultés peuvent se poser, et il faut en tenir compte. La question des finances publiques wallonnes est une question trop importante pour venir avec des YAKA ou des « il suffit que ». Pour autant, et malgré le fait que certains points devraient être éclaircis et objectivés, y compris de la part du Ministre, cette proposition reste à nos yeux une idée intéressante. Surtout, ne pas anticiper et ne pas s’y préparer correctement, pour pouvoir la concrétiser à court ou moyen terme, constitue une erreur à nos yeux. Quid si dans quelques mois ou plus, elle devenait une alternative très sérieuse – voire une nécessité – au financement de la Région par les marchés financiers ? Le Ministre répondrait-il alors à nouveau par un « oui mais non » ou par un « oui mais désolé nous ne sommes pas prêts » ? Cette mesure ne constitue évidemment pas une solution miracle qui règlerait tous les problèmes. L’émission de bons d’Etat wallons ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui doivent s’articuler dans une proposition alternative d’ensemble. Les mouvements sociaux (dont la FGTB wallonne) portent depuis plusieurs années plusieurs propositions pour alléger le poids de la dette, se libérer du diktat des marchés financiers et rompre radicalement avec les politiques d’austérité2 . Nous pensons notamment, comme le gouvernement libéral espagnol l’a fait en 2021, à une diminution drastique des charges d’intérêts payées aux banques, pendant une période de 3 ans. L’idée de lancer un Livret A (mesure fédérale) du type de celui qui existe en France mériterait également une analyse approfondie. On entend souvent les responsables politiques affirmer qu’il est essentiel de regarder ce qui fonctionne bien ailleurs pour s’en inspirer. Or, nous avons, juste à côté de chez nous, un système de compte bancaire réglementé, en particulier le Livret A, qui, bien que 2 Lire notamment le mémorandum de mai 2019 de la Plateforme d’audit citoyen : http://www.cadtm.org/Memorandumde-la-plateforme-d-Audit-Citoyen-de-la-Dette-ACiDe-en-vue-des Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 4 comportant certaines faiblesses, fonctionne très bien depuis très longtemps3 et joue un rôle doublement positif : garantir une rémunération correcte aux épargnants et financer des projets de long terme, en particulier la construction de logement sociaux. Ajoutons qu’à côté du Livret A, qui rapporte du 3 %, qui dispose d’une manne de 380 milliards, servant à financer les logements sociaux, il existe également en France le « Livret d’épargne populaire », uniquement destiné aux personnes aux revenus modestes. Ce livret propose un taux de 5 %, et dispose d’une manne de 20 milliards d’euros… Pourquoi ce qui est possible en France ne le serait-il pas en Belgique ? Dans tous les cas, il est nécessaire d’adopter une position forte et de rupture sur la dette publique, car qu’on le veuille ou non, l’application sans fin de politiques d’austérité au nom d’une hypothétique diminution de la dette est une impasse totale, à tous les niveaux. A l’heure où l’Etat et les Régions risquent de se voir de plus en plus confrontées au chantage des agences de notation et aux pressions de l’Union Européenne, il nous semble donc utile, d’analyser de manière critique les éléments à prendre en compte pour se positionner correctement sur la question des bons d’Etat wallons. Petit historique Septembre 2023 – le succès du bon d’Etat fédéral et la proposition de la FGTB wallonne Fin août 2023, le gouvernement fédéral lance un bon d’État pour les particuliers, avec une durée d’un an et avec un taux net de 2,81 %. Cette initiative connait un grand succès : elle permet de récolter 22 milliards d’euros via la souscription de plus de 250.000 personnes. Lors de sa rentrée politique en septembre 2023, la FGTB wallonne a avancé l’idée de lancer un même genre de bons d’État au niveau wallon, combiné à un Livret A similaire à celui existant en France. Octobre 2023 – Le « oui mais non » du Ministre Dolimont Interpellé trois jours plus tard en commission du parlement régional par le député wallon Ecolo Stéphane Hazée, le Ministre Dolimont, en s’appuyant sur un travail préalable de la Cellule de la dette (rapport sur les avantages et inconvénients d’une telle mesure) donne une série d’arguments, tous en défaveur de cette proposition.4 Signalons ici que ce rapport de la Cellule de la dette n’est pas disponible… Dans son intervention, le Ministre souligne cependant deux éléments importants tirés de ce rapport : 1. « Proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. » 2. « Selon la cellule de la dette, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,43 % brut à trois ans, ce qui donnerait un rendement net de 2,214 %, après déduction des coûts de placement et du précompte immobilier. ». 3 Le Livret A est le plus ancien produit d’épargne actuellement distribué en France et il est aussi le plus utilisé. 4 http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2023_2024/CRAC/crac4.pdf (pp. 27-29) Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 5 Le Ministre s’exprime dans les jours qui suivent dans différents médias, avec une position qui se résume par un « oui mais non5 », à savoir que cela pourrait être une bonne idée (ce que la Cellule de la dette confirme) mais qu’elle serait contre-productive à l’heure actuelle. Il laisse clairement sous-entendre que rien ne sera entrepris à ce stade pour avancer sur cette proposition. Décembre 2023 – L’Etat fédéral émet des nouveaux bons, mais uniquement à 5 et 8 ans En novembre 2023, l’État fédéral décide de relancer une nouvelle souscription en décembre, mais, alors qu’il avait parlé initialement de bons à 1 an, celui-ci décide cette fois d’émettre des bons avec des maturités de 5 et de 8 ans, avec un rendement respectif de 1,82 % et 2,03 %. Deux éléments nous paraissent alors évidents. Premièrement, cette émission ne rencontrera pas de succès. En effet, qui va vouloir « investir » à 5 ou 8 ans pour un taux si faible ? Cette émission n’a rapporté que 42 millions. Deuxièmement, cette décision de n’émettre que des bons d’Etat à 5 ou 8 ans à du 1,8 et 2 % rend tout d’un coup la proposition de la cellule de la dette attractive : un bon d’Etat wallon à 3 ans à du 2,2 % net à trois ans. La FGTB wallonne relance alors la proposition6 , peut-être en pensant que la position du Ministre pourrait évoluer… Décembre 2023 – d’un « oui mais non » à un « je m’étonne que la FGTB pousse à poursuivre un tel projet injuste » Le moins qu’on puisse dire est que le Ministre n’a pas été convaincu. Sa position a même évolué par rapport à octobre : on passe du « oui mais non » à un projet injuste à tous les niveaux. Le ministre allant même jusqu’à déclarer qu’avec un tel projet, « La Wallonie n’aurait ni le beurre, ni l’argent du beurre, ni le sourire de la crémière7 ». Circulez donc, il n’y a rien à voir, et arrêtons de parler de cette proposition « désastreuse »… Février 2024 – Jean-François Tamellini et Bruno Colmant appellent la Wallonie à lancer un bon d’État Dans l’Echo8 , Jean-François Tamellini, Secrétaire général de la FGTB wallonne et Bruno Colmant (économiste, spécialiste du secteur bancaire, étiqueté à droite mais de plus en plus critique vis-àvis du néolibéralisme, et avec qui la FGTB wallonne ne partage toutes les idées), réalisent une interview croisée qui met en avant une série d’éléments en faveur d’un bon d’Etat wallon. Pour le leader de la FGTB wallonne, le lancement d’un bon d’État wallon doit permettre à la Région de diminuer la dépendance aux marchés, mais aussi de poursuivre la dynamique enclenchée par le 5 https://www.7sur7.be/belgique/un-bon-detat-regional-le-oui-mais-non-wallon~a096c8ab4/ 6 La FGTB wallonne relance l’idée d’un bon d’État wallon – https://www.lalibre.be/belgique/2023/12/07/la-fgtb-wallonnerelance-lidee-dun-bon-detat-wallon-le-patron-de-lagence-de-la-dette-dit-que-ca-aura-du-succes-R43TCERCZVCETFDBFA44TDITXU/ 7 https://www.7sur7.be/economie/un-bon-detat-wallon-ni-le-beurre-ni-largent-du-beurre-ni-le-sourire-de-la-cremiere~a79a1c41/ 8 https://www.lecho.be/economie-politique/belgique-wallonie/Colmant-et-Tamellini-appellent-la-Walloniea-lancer-un-bon-d-Etat/10529058?M_BT=57845739840 Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 6 plan de relance wallon. Pour Bruno Colmant, ce bon d’État régional devrait être un outil pour répondre à l’intérêt général et financer des projets porteurs de croissance économique. Mars 2024 – Nouvelle interpellation en commission du Budget, et réponse identique du Ministre Le lundi 11 mars, le député Hazée interpelle à nouveau le Ministre Dolimont sur cette question9 . Tout en donnant quelques nouveaux éléments intéressants, sa réponse ne change pas : un bon d’Etat au niveau wallon n’est pas envisageable, couterait cher à la Région wallonne et aurait des conséquences négatives. Analysons maintenant, objectivement, tous les arguments développés par le Ministre ces derniers mois. Analyse critique 1. Une idée à abandonner ? Ce n’est pas ce que dit la Cellule de la gestion de la dette Nous ne pouvons qu’être d’accord avec une des conclusions de la Cellule de la gestion de la dette lorsqu’elle déclare que « proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. » En effet, la Région wallonne – tout comme la Belgique et les autres pays européens – est extrêmement dépendante des marchés financiers. Elle doit emprunter chaque année environ 3 milliards d’euros pour boucler son budget (déficit primaire + intérêts de la dette + capital arrivant à échéance et devant être refinancé). Et cette situation va perdurer dans les années qui viennent. Pour rappel, pour 2023 et 2024, le Conseil régional du trésor a préconisé à la Wallonie de limiter les emprunts sur les marchés financiers à 2,5 milliards d’euros maximum pour l’année 2024. Pour respecter cette recommandation, le Ministre Dolimont a décidé d’aller chercher de l’argent ailleurs, notamment en allant puiser dans les trésoreries des Organismes d’intérêts publics (UAP – anciennement OIP). Le Ministre affirme que ces transferts n’impacteront pas négativement le fonctionnement de ces différents outils, essentiels pour le développement socio-économique de la Région. Il est permis d’en douter. Dans tous les cas, cette politique de transfert ne pourra pas être renouvelée d’année en année. Trouver une alternative crédible et durable de financement de la Région ne peut donc qu’être positive. 9 http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2023_2024/CRAC/crac113.pdf (pp.19-21) ; https://www.youtube.com/watch?v=r0ufHAfp7jU Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 7 En lisant les différentes interventions du Ministre, il semble malheureusement clair qu’il n’a aucune intention de faire avancer ce dossier. Cette « mise au frigo » nous paraît décevante et y compris surprenante, d’autant plus lorsque la Cellule de la dette admet que c’est une idée intéressante, même si plusieurs obstacles, loin d’être insurmontables (voir point 4), doivent être préalablement levés. A moins que ce manque évident de volonté n’en traduise une autre : celle de ne pas aller à l’encontre des desiderata des banques, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une telle initiative se mette en place. Ne l’oublions pas, les banques sont rémunérées à du 4 % sur les dépôts qu’elles placent à la Banque Centrale européenne (BCE). Les 22 milliards récoltés par l’Etat fédéral leur ont « couté » un manque à gagner de 900 millions d’euros. Elles ne se sont d’ailleurs pas gênées pour faire savoir qu’elles ne veulent pas d’un nouveau bon d’Etat à un an. Le titre de la LLB du 24 janvier 2024, tout comme son contenu, est très parlant : « Bons d’État : après la « fuite » massive de 21,9 milliards d’euros, le secteur bancaire réplique ». 2. Un projet injuste socialement ? Comment agir pour lutter contre les inégalités Dans sa sortie presse de décembre 2023, le ministre déclare que si on émettait un bon wallon : « On se serait retrouvé avec un coût de la dette plus élevé, porté par l’ensemble des Wallons alors que seuls certains en auraient tiré un bénéfice », pour ensuite s’étonner que la FGTB « pousse à poursuivre un tel projet injuste ». Tirer une conclusion définitive sur ce sujet nous paraît un peu léger, d’autant qu’il y a 3 mois, la Cellule de la dette déclarait que « dans les conditions de taux actuels, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,4 % brut à trois ans, soit un taux net de 2,2 %. ». Notons également que le dernier bon fédéral a été in fine bénéfique pour les finances publiques et le coût de la dette, et que l’agence de la dette a confirmé une nouvelle fois qu’un bon d’Etat « serait moins cher pour la Belgique qu’un financement sur les marchés institutionnels10 » (voir point n°7). Quant à la seconde partie de la phrase (« alors que seuls certains en auraient tiré un bénéfice »), le Ministre met le doigt sur un point important. Il est en effet très important d’avoir en tête que plus de 25 % des ménages n’ont aucune épargne, et que l’émission d’un bon d’Etat, quel que soit son taux de rémunération, ne changerait strictement rien à la vie des gens qui n’ont pas d’épargne. Rappelons que disposer d’un petit (ou moyen) matelas financier est tout sauf un luxe. Pouvoir faire face aux aléas de la vie, ou s’offrir de temps en temps un peu de confort de vie, devrait être à la portée de tous et toutes. Il est vrai également que l’émission du bon fédéral à 1 an n’a pas participé à réduire les inégalités. Lorsque Jean Deboutte, le Directeur de l’Agence de la Dette déclare : « Il y a pas mal de versements de 1.000 euros, de 2.000 euros, mais il y a très vite des versements de 10.000, 20.000, 30.000 euros, 10 https://www.lesoir.be/567888/article/2024-02-12/lagence-de-la-dette-tres-favorable-une-emission-de-bons-detatun-en-mars?utm_source=a_la_une Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 8 voire de plus de 100.000 euros, voire même de plusieurs millions d’euros11 », cela signifie que cette initiative a surtout constitué une opportunité pour les grands patrimoines. Il n’empêche, il a aussi permis à un certain de nombres de ménages de la « classe moyenne » de recevoir un taux de rémunération correct, et ainsi, face à une inflation forte, de maintenir son niveau d’épargne. C’est insuffisant mais cela reste positif. Par ailleurs, cela a permis aussi d’amener une alternative au recours aux marchés financiers. Or, diminuer notre dépendance vis-à-vis des marchés financiers diminue aussi la pression pour appliquer de nouvelles mesures d’austérité, ce qui est positif pour l’ensemble de la population. Cette mesure doit donc évidemment s’envisager avec d’autres qui ont pour objectif prioritaire de lutter contre les inégalités, tant de revenus que de patrimoine. Un livret d’épargne populaire destiné aux revenus modestes et rémunéré à du 5 % constitue une solution parmi de nombreuses autres (globalisation des revenus, taxe sur les grandes fortunes, développement des services publics…)12. La lutte contre les inégalités est évidemment un enjeu prioritaire. 3. Quels objectifs doivent-ils être poursuivis ? L’objectif officiel du bon d’Etat fédéral d’août 2023 était de pousser les banques à augmenter leurs taux sur les comptes d’épargne. La plupart s’accordent à dire que cet objectif n’a pas été atteint, ou très peu. François Mathieu, rédacteur en chef adjoint de la LLB, écrivait dans son édito du 22 janvier 2024 : « Qu’en est-il aujourd’hui ? De petits gestes ont été formalisés mais ils sont de façade : la majorité des comptes d’épargne traditionnels affichent toujours des rémunérations bien loin des taux d’intérêt des marchés, lesquels rémunèrent très correctement les capitaux des institutions financières auprès de la Banque centrale européenne (BCE)13. » A l’heure actuelle, les 270 milliard qui sont sur les comptes d’épargne sont rémunérés en moyenne à du 0,7%. Il est bien sûr possible de trouver mieux que du 0,7%, mais cela montre que les banques n’ont toujours pas fait de réels efforts en terme de rémunération de l’épargne. Lorsque le Ministre déclare dans le journal Moustique : «Un des objectifs du bon d’État, c’est aussi de faire une petite piqûre de rappel aux banques et concrètement, ce n’est pas avec 200 millions que l’on y arrivera», il indique clairement que, pour lui, un bon d’Etat wallon, s’il devait se concrétiser, devrait poursuivre le même objectif. 11 https://www.rtbf.be/article/bon-detat-a-un-an-les-belges-ont-souscrit-pour-pres-de-22-milliards-deuros-quel-seralimpact-pour-les-finances-du-pays-11250395 12 La plateforme d’audit citoyen a quant à elle émis la proposition de combiner une émission de bons d’Etat à un taux intéressant, uniquement pour les ménages gagnant moins de 100.000 euros par an, avec une émission de type « emprunt obligatoire » à taux zéro pour les banques et les patrimoines les plus élevés. : http://www.cadtm.org/Memorandum-dela-plateforme-d-Audit-Citoyen-de-la-Dette-ACiDe-en-vue-des 13https://www.lalibre.be/debats/edito/2024/01/21/taux-depargne-fini-le-temps-des-courbettesBYCHZLYG5JBA7N3E5F5RWSCTHA/ Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 9 Nous pensons que cette orientation est une erreur. L’émission de bons d’Etat devraient viser quatre objectifs : 1. Diminuer notre dépendance à l’égard des marchés financiers. 2. Dégager des ressources pour financer des projets d’intérêt général et stratégiques 3. Proposer un placement intéressant aux détenteurs d’épargne. 4. Faire pression sur les banques. La question de la rémunération des comptes d’épargne peut donc rester un des objectifs à poursuivre. Mais à nos yeux, cela doit se régler autrement, notamment via une contrainte légale. Il est en effet scandaleux que les banques réalisent des profits « magiques » en plaçant les dépôts des épargnants à la BCE en recevant pour cela une rémunération de 4 %, pendant que ces mêmes épargnants voient la valeur de leur épargne s’éroder du fait de l’inflation et des faibles taux d’intérêts accordés par les banques commerciales. Imposer un taux plancher (à définir) ou imposer aux banques de créer un compte d’épargne réglementé par les pouvoirs publics (comme c’est le cas pour le Livret A ou le livret d’épargne populaire en France) doit être envisagé sérieusement. 4. Des obstacles insurmontables ? Dans sa réponse donnée en commission du budget, le Ministre déroule plusieurs arguments en termes de contraintes techniques : – « En vertu de la loi spéciale de financement, les émissions destinées au grand public doivent faire l’objet d’un accord explicite du ministre fédéral des Finances. (…) – Pour mettre en place un incitant comme celui-ci (précompte mobilier réduit de 15 %), la Région wallonne devra également passer par le Fédéral, étant donné que le précompte mobilier ne fait pas partie des compétences de la Région. (…) – La Wallonie ne dispose actuellement pas de la documentation lui permettant d’émettre un tel produit ni d’un réseau de distribution. – Comme rappelé précédemment, les bons d’État ne sont pas un produit financier nouveau, alors qu’il n’existe pas d’équivalent wallon. Il faudrait donc prévoir un processus de sensibilisation destiné aux particuliers, pour qu’une opération de ce type puisse réussir. » Il est évident qu’une telle opération doit se préparer correctement. À moins que ce soit pour justifier sa décision de ne pas agir, ces obstacles, aussi réels soient-ils, ne nous semblent pas insurmontables. Dans tous les cas, avant d’émettre un bon wallon, ils devront de toute façon être surmontés. Le Ministre a déclaré que « gouverner, c’est objectiver », mais gouverner, c’est aussi prévoir. En admettant même que l’émission d’un bon d’Etat wallon ne soit pas possible à court terme, ne serait-il pas judicieux de commencer dès à présent la préparation de cette émission, dont la préparation de la documentation, de la publicité, ainsi que les nécessaires discussions avec l’Etat fédéral ? Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 10 5. La FGTB wallonne oublie-t-elle qu’il faut refinancer les dettes qui arrivent à échéance ? Le Ministre déclare : « Lors de l’échéance dans 1 ou 3 ans, il faudrait réemprunter ce montant et donc refinancer. Apparemment, la FGTB a oublié cet élément. » Toute personne qui travaille un peu sur la question est consciente que, sauf bien sûr dans le cas d’une restructuration ou d’une annulation, il faut refinancer les montants empruntés lorsqu’ils arrivent à échéance, et cela, que l’on emprunte aux marchés financiers ou aux particuliers. L’Etat fédéral ne devra-t-il pas lui aussi refinancer son dernier bon à un an ? La réponse est oui. Une fois l’échéance arrivée, l’Etat devra financer ce montant. Elle pourra le faire, soit auprès des marchés financiers, soit, si les particuliers sont satisfaits et que les taux sont intéressants, en proposant un nouveau bon d’Etat. Des réflexions sont d’ailleurs déjà en cours pour savoir ce qui pourrait être fait lorsque les 22 milliards d’argent récoltés arriveront à échéance en septembre 2024. Dans l’Echo du 4 mars 2024, Jean Deboutte, directeur de l’agence de la dette, déclare : « Nous essayerons bien entendu à ce moment-là de reconduire les investissements dans un bon d’État à un an ou d’une durée plus longue, cela dépendra de l’évolution des taux14 ». La Région wallonne n’aurait-elle pas elle aussi un « coup à jouer » à ce moment-là ? Dans tous les cas, en quoi ce refinancement, qui a lieu dans tous les cas, constituerait un argument pour ne pas envisager d’émettre un bon d’Etat wallon ? 6. Un bon d’Etat wallon pourrait-il avoir du succès en terme de récolte ? (Le beurre) Il est évidemment difficile de répondre à cette question. Cela dépend d’une série de facteurs, dont deux très importants : le taux proposé aux épargnants et la maturité du bon. Lorsque le Ministre déclare que selon les calculs de ses équipes, un bon wallon en l’état ne rapporterait pas plus que 200 millions d’euros15, on se demande sur quelle base peut-on en arriver à ce seul et unique montant, sans objectiver quoi que ce soit, que ce soit en terme de taux ou de maturité … Le ministre persiste et signe, en affirmant « Je l’encourage vivement à aller consulter les résultats des deux dernières émissions à maturité de 5 et 8 ans : 26 millions sur 4 jours. Nous sommes loin des 22 milliards récoltés avec le bon d’État précédent16 ». Le Ministre semble donc très motivé à nous convaincre qu’un bon d’Etat ne rapporterait que des miettes. 14 https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/bon-d-etat-que-va-faire-l-agence-de-la-dette-apres-cesucces-mitige/10531014.html 15 https://moustique.lalibre.be/actu/belgique/2023/09/25/bon-detat-pourquoi-un-equivalent-en-wallonie-nest-pas-alordre-du-jour-270197 16 https://www.7sur7.be/economie/un-bon-detat-wallon-ni-le-beurre-ni-largent-du-beurre-ni-le-sourire-de-la-cremiere~a79a1c41/ Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 11 Il est évident que l’attractivité, et donc le succès, d’un bon d’Etat dépend essentiellement du taux et de la maturité de ce bon. Le Ministre l’admet d’ailleurs, lorsqu’il déclare que le succès d’une telle opération est «intrinsèquement liée au timing et à la spécificité du bon d’État émis »17. Comme nous l’avons écrit ci-dessus, il était évident que la dernière émission fédérale, avec des taux inférieurs à 2 % et des maturités de 5 et 8 ans, n’allaient pas rapporter énormément. C’était couru d’avance. De la même manière, la décision d’émettre un bon d’Etat en mars 2024 avec un précompte de 30% et donc un taux net de 2,1% (bien loin des 2,8% net du bon de septembre 2023) explique en grande partie le succès mitigé de ce bon (430 millions d’euros récoltés avec un objectif initial de 6 milliards). Il est évident que si précompte avait été fixé à 15%, le succès aurait été plus important. Certains ont d’ailleurs parlé d’un « gâchis collectif18 » ou d’une « occasion manquée19 ». Les succès, tant du « bon Van Peteghem » de 2023 que du « bon Leterme » de 2011, ont ces deux points en commun : un rapport taux/maturité attractif par rapport aux conditions du marché bancaire, et une communication d’ampleur. Lorsque ces deux éléments sont réunis, les citoyens belges (qui en ont les moyens) sont prêts à prêter massivement à l’État (pour rappel, il y a environ 300 milliards sur les comptes d’épargne). A l’heure actuelle, tout semble indiquer que la demande pour un bon avec un taux intéressant et une maturité relativement courte reste forte à l’heure actuelle. Jean Deboutte, directeur de l’Agence fédérale de la dette déclarait d’ailleurs en novembre 2023 : « Je suis sûr que si on avait fait la même opération qu’en septembre, au même taux environ, on aurait eu un très grand succès. Peut-être même un succès encore plus important qu’il y a trois mois20. » Nous pensons que les conditions sont globalement toujours réunies pour pouvoir le faire au niveau wallon, et que cela pourrait rapporter des montants importants à la Région. Mais cette « fenêtre d’opportunité » n’est certainement pas permanente, rien ne l’est. Que choisir ? Strictement ne rien faire ou déployer l’énergie et les compétences nécessaires pour analyser en profondeur la faisabilité et l’intérêt d’une telle mesure. 7. Quelle maturité pour le bon d’Etat wallon ? A nouveau, toutes les pistes devraient être envisagées sérieusement, comme le fait de proposer aux épargnants des bons wallons de court terme (un an) mais aussi avec une échéance plus longue, par exemple de 2 ou 3 ans, voire un peu plus. En ce qui concerne le court terme, le Ministre déclare : « Le profil de l’échéancier de la dette régionale directe ne permet pas à la Région d’émettre des montants conséquents à court terme. Les besoins à court terme du Fédéral sont tout autres par rapport à ceux de la Région. » 17 Commission parlementaire du 7 octobre. http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2023_2024/CRAC/crac4.pdf (pp. 27-29) 18 https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/un-gachis-collectif-sur-le-bon-detat/10531080.html?utm_source=SIM 19 https://www.lesoir.be/571774/article/2024-03-01/moins-dun-demi-milliard-de-bons-detat-recoltes-une-occasionmanquee 20 https://www.lesoir.be/550010/article/2023-11-17/le-patron-de-lagence-de-la-dette-sur-le-bon-detat-nous-avons-dejatrop-dargent Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 12 Que les besoins de financement à court terme soient moins importants que le Fédéral, c’est un fait : le dernier rapport annuel de la dette publique wallonne montre en effet que la dette à court terme de la Région wallonne se situe aux alentours de 800 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Il n’y a donc a priori pas de raison de s’interdire d’émettre tout de même des bons régionaux à un an. Ajoutons que la Région wallonne pourrait décider à l’avance, à l’instar de ce qu’a fait récemment l’Etat fédéral, du montant maximum qu’elle souhaite lever, pourquoi pas dans le cadre d’une coordination avec l’Etat fédéral. Cela devrait se discuter. Par ailleurs, même dans le cas où la Région récolterait plus d’argent que nécessaire à court terme, cela ne constituerait pas nécessairement un problème. En effet, il a maintenant été démontré que le dernier bon fédéral de 1 an a permis à l’Etat de réaliser un « gain » de 150 millions d’euros. Des bons avec une maturité de deux, trois ans ou 5 ans devraient également être envisagés, voire priorisés. 8. Quel taux pour le bon d’Etat wallon ? Cela couterait-il plus cher que d’emprunter sur les marchés ? (L’argent du beurre) Si la question de la maturité est importante, celle du taux est clé. Proposer un taux « trop » bas, en particulier un taux plus bas que ceux « offerts » aux particuliers par les banques commerciales, aurait pour conséquence de récolter très peu de ressources. A l’opposé, proposer un taux plus élevé que ceux qui ont cours sur les marchés financiers provoquerait une perte financière pour la Région wallonne. La question est donc la suivante : la Région wallonne est-elle en mesure de proposer un taux avantageux, à la fois pour les particuliers et pour elle-même ? Dans sa sortie de décembre, le Ministre affirme le contraire : « les taux que nous aurions pu proposer aux citoyens auraient été plus élevés que ceux du marché. » Pourtant, en octobre 2023, selon la Cellule de la dette, cette affirmation n’était pas valable : « Selon la Cellule de la dette, dans les conditions de taux actuels, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,43 % brut à trois ans, ce qui donnerait un rendement net de 2,214 %, après déduction des coûts de placement et du précompte immobilier. ». A ce moment, « nous aurions pu … ». Bien sûr les taux, tant ceux des banques commerciales que ceux des marchés financiers, évoluent de jour en jour. Ils ont donc évolué depuis et il faut en tenir compte. Ont-ils évolué de telle façon qu’un bon d’Etat serait devenu inenvisageable ? Dans tous les cas, pour le Fédéral, ce n’est pas le cas. Quid pour la Région wallonne ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faut donc s’intéresser à la fois aux taux sur les comptes d’épargne et aux taux pratiqués sur les marchés financiers. Concernant les taux sur les comptes d’épargne, il faut savoir que les 270 milliard qui sont sur les comptes d’épargne sont rémunérés en moyenne à du 0,7% … Pour les belges qui ont les moyens et la motivation nécessaire (les belges n’ont pas tendance à faire bouger leur argent), il est possible de trouver mieux que 0,7. Cela varie évidemment d’une banque à l’autre mais on peut affirmer Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 13 qu’on se situe globalement à l’heure actuelle un peu en dessous d’une rémunération nette de 2 % (dont la prime de fidélité), et un peu plus de 2 % pour les comptes à terme. On peut donc conclure, comme le sous-entend le Ministre (voir la citation dessous), qu’un taux net de 2,5 % serait réellement attractif pour les particuliers. Concernant les taux auxquels emprunte la Région sur les marchés financiers, il est plus difficile de les évaluer. En effet, contrairement au niveau fédéral, qui fournit toute une série de données importantes et régulièrement actualisées, notamment via l’Agence de la dette, les données concernant la dette wallonne sont très peu disponibles. Il est néanmoins possible d’estimer plus ou moins correctement ces taux, en s’appuyant sur les taux de référence, c’est-à-dire les emprunts de l’Etat fédéral (ce qu’on appelle les OLO – Obligations linéraires Obligatie), et en y ajoutant ce qu’on appelle un spread, c’est-à-dire le différentiel de taux. Selon nos informations, ce « spread » est d’environ 40 points de pourcentage (0,4 %). Cela se confirme notamment lors de la présentation du Budget initial 2024 du gouvernement où on peut voir que l’emprunt de 10 ans était de 3,37 %, avec un spread de 45,9 points de pourcentage. Calculons maintenant, en posant l’hypothèse d’un spread de 40 points de pourcentage par rapport aux OLO, le taux auquel emprunte la Région sur les marchés financiers. Taux sur les marchés financiers (février 2024) 1 an 2 ans 3 ans 4 ans 5 ans 6 ans 7 ans 8 ans 9 ans 10 ans Fédéral (OLO) 3,4 3,0 2,6 2,5 2,5 2,6 2,6 2,7 2,8 2,9 RW (Fédéral +0,4 %) 3,8 3,4 3,0 2,9 2,9 3,0 3,0 3,1 3,2 3,3 Cette estimation, tant au niveau des taux qu’au niveau du spread semble correcte, puisque, dans sa réponse donnée en mars en commission du Budget, le Ministre déclare : Concernant les besoins de financement à lever auprès des marchés financiers en 2024, ils s’élevaient à 2,5 milliards d’euros. À la fin du mois de janvier, la Région wallonne a réalisé une émission obligataire sociale en deux tranches pour un total de 1,5 milliard d’euros : – une première tranche d’une maturité de 6 ans, qui a permis de lever 700 millions d’euros, à un taux all-in de 3,052 %, dont un spread de 47,47 points de base ; Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 14 – une seconde tranche d’une maturité de 19 ans, qui a permis de lever 800 millions d’euros, à un taux all-in de 3,715%, dont un spread de 44,79 points de base. Des chiffres fantaisistes annoncés dans la presse ? Comparons maintenant ces données avec l’affirmation du Ministre lors de sa sortie en décembre 2023 : « si la Région offrait un taux de 2,5 %, il y aurait un différentiel potentiel de 0,7 % à 1 an, de 1,3% à 3 ans, de 1,4 % à 5 ans et de 1,6 % à 8 ans ». Cette déclaration manque à tout le moins de transparence, mais tentons de l’analyser. Commençons par supposer qu’il parle bien d’un taux net de 2,5 %. Cela veut dire qu’il faudrait offrir un taux brut plus élevé, car il faut tenir compte du précompte (30% ou 15%) et des coûts de placements (hypothèse de 20 points de base). Cela signifie que pour offrir un taux net de 2,5% aux particuliers, avec un précompte de 30%, il faudrait offrir un taux brut d’environ 3,6%. Si on reprend maintenant sa déclaration : « Si la Région offrait un taux de 2,5 %, il y aurait un différentiel potentiel de 0,7 % à 1 an, de 1,3 % à 3 ans, de 1,4 % à 5 ans et de 1,6 % à 8 ans », cela signifierait donc que, selon cette affirmation, la Région emprunterait sur les marchés financiers, aux taux respectifs suivants : – 1 an : 2,9 % (« différentiel de 0,7 % ») – 3 ans : 2,3 % (« différentiel de 1,3 % ») – 5 ans : 2,2 % (« différentiel de 1,4 % ») – 8 ans : 2 % (« différentiel de 1,6 % ») Cela ne colle pas du tout avec le tableau ci-dessus (« Taux sur les marchés financiers » (février 2024) ). Ces chiffres nous paraissent fantaisistes, notamment parce qu’ils signifieraient que la Région emprunterait à un taux inférieur à l’Etat fédéral, ce qui est impossible. D’où vient cette erreur et cette différence ? Cette question doit être éclaircie. En repartant de nos hypothèses et estimations, la situation par rapport à la possibilité d’émettre un bon wallon est bien différente que celle définie par le Ministre, à savoir, selon lui, une mesure qui couterait inévitablement des centaines de millions d’euros aux finances publiques wallonnes. Bon à un an La Région wallonne pourrait en effet proposer un bon d’Etat wallon à 1 an à du 3,6% brut (2,5 % net), sans que cela ne coute rien aux finances publiques, au contraire, puisqu’elle emprunte (selon notre hypothèse) à 1 an à du 3,8 %. Il nous semble intéressant de poser également une hypothèse supplémentaire, à savoir le fait d’avoir un accord avec le Fédéral pour bénéficier d’un taux de précompte réduit de 15 %. Dans ce cas, la situation devrait être encore plus favorable : elle pourrait proposer un taux brut de 3,6 %, qui donnerait cette fois un rendement net de 2,9 %21, ce qui serait très attractif. Bon à 3 ans Pour ce qui est d’un bon à 3 ans, la situation est un peu différente puisque la Région emprunte actuellement (selon nos estimations) à du 3,0%. Difficile donc de proposer des taux bruts à 3,6% 21 Le dernier bon fédéral de 1 an avait un rendement de 3,3 % brut pour arriver à un rendement net de 2,81 %. Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 15 sans effectivement perdre un peu d’argent. Mais elle pourrait offrir un taux brut de 3,0 %, ce qui donnerait un rendement net de 2,1% avec un précompte de 30 %. Ce n’est pas magnifique, mais cela reste relativement intéressant. Pour rappel, même si le dernier bon d’Etat avec un taux brut de 3% et un taux net de 2,1% (précompte de 30%) n’a pas eu le succès escompté, il a tout de même permis de récolter 430 millions d’euros. Dans le cas où le précompte serait de 15 %, le taux net serait de 2,5%, ce qui deviendrait à nouveau réellement attractif. Emettre un bon d’Etat wallon reste donc à nos yeux une possibilité sérieuse à envisager. Dans tous les cas, la balayer d’un revers de la main en affirmant que la Wallonie n’aurait « ni le beurre, ni l’argent du beurre, ni le sourire de la crémière », et que cela couterait inévitablement des centaines de millions d’euros aux finances wallonnes, nous semble contraire à la réalité. Ajoutons deux éléments récents : 1) Selon les calculs du professeur Eric Dor, emprunter auprès des particuliers coûte moins cher à la Belgique que lever des fonds via les investisseurs institutionnels, et que « le bon d’État permet une économie de 4 millions d’euros par milliard emprunté ». 22 2) Contrairement aux affirmations de la Ministre fédérale, Alexia Bertrand23, l’agence de la dette a confirmé que l’avantage fiscal du bon d’État à un an est bon pour l’État24. 9. L’émission d’un bon d’Etat wallon aurait-il pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers ? (Le sourire de la crémière) A plusieurs reprises, le Ministre affirme que l’émission d’un tel bon aurait pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers. Le 7 octobre : « Si la Région souhaite émettre un taux concurrentiel attractif pour les épargnants, elle serait certainement amenée à s’écarter de ses références actuelles en termes de spread, c’est-à-dire d’augmenter le différentiel de taux par rapport aux obligations fédérales de référence, ce qui constituerait un signal perçu par les emprunteurs institutionnels auxquels nous recourons majoritairement, avec in fine un risque d’augmentation des taux pratiqués par ceux-ci pour prêter à la Région ». Et le 7 décembre : « Cette mesure pourrait également avoir un effet pervers avec une hausse des taux pour l’ensemble de notre financement puisque les marchés pourraient aligner leurs taux sur ceux offerts aux particuliers avec le bon d’État wallon25 ». Ce raisonnement semble très contestable et contraire à la réalité. En effet, un gouvernement qui montre qu’il est capable de se passer des marchés financiers (dans ce cas-ci en récoltant l’épargne 22 https://www.lecho.be/les-marches/actu/general/le-bon-d-etat-permet-une-economie-de-4-millions-d-euros-par-milliard-emprunte/10527113.html 23 https://www.rtbf.be/article/alexia-bertrand-open-vld-on-a-fait-tellement-deffort-budgetaire-que-ce-nest-pas-le-moment-de-se-laisser-aller-11329358 24 https://www.lecho.be/tablet/newspaper/une/l-avantage-fiscal-du-bon-d-etat-a-un-an-est-bon-pour-l-etat/10526690 25 https://www.7sur7.be/economie/un-bon-detat-wallon-ni-le-beurre-ni-largent-du-beurre-ni-le-sourire-de-la-cremiere~a79a1c41/ Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 16 de ses résidents) constitue un message fort, qui a en règle générale, des conséquences positives sur les taux. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec le dernier bon d’Etat fédéral. Le directeur de l’Agence de la dette a en effet indiqué que le succès du bon d’Etat a eu un effet positif sur les taux d’intérêt belges, qui ont légèrement baissé par rapport à ceux des pays voisins au début du mois de septembre. Ajoutons que c’est également ce qui s’est passé lors de l’émission du « Bon Leterme » en novembre 2011, qui avait récolté à l’époque 5 milliards d’euros. Alors que la Belgique était mise sous pression par les agences de notation depuis plusieurs mois, cette opération, en envoyant un signal fort aux marchés, a eu pour effet de diminuer les taux auxquels elle a pu se financer sur le marché des capitaux internationaux, y compris après la dégradation de la note de la Belgique le 26 novembre 2011 par Standard & Poor’s. Cette diminution s’est poursuivie, malgré la dégradation de la note le 16 décembre par Moody’s et le 27 janvier 2012 par Fitch. Entre le 25 novembre et le 27 janvier, la Belgique a en effet vu son taux d’intérêt passer de 5,8 % à 3,6 %… Signalons que cette diminution constante de taux n’est évidemment pas due essentiellement au bon Leterme, mais bien à la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) appliquée à l’époque, à savoir une injection massive de liquidités dans la sphère financière (quantitative easing). Mais dans tous les cas, il est clair que le bon Leterme a eu un impact positif sur les taux. Ajoutons également que cet exemple du bon Leterme nous montre une autre chose importante : les agences de notation sont loin d’être les seules à pouvoir agir sur le niveau des taux d’intérêt. En guise de conclusion Il ne s’agit pas d’affirmer que l’émission d’un bon d’Etat au niveau wallon peut se mettre en place d’un claquement de doigt, mais bien de montrer que c’est loin d’être une option désastreuse à écarter directement, comme voudrait nous le faire croire le Ministre. Gouverner, c’est prévoir. Et à nos yeux, ne rien faire aujourd’hui constitue une erreur importante. Nous pensons que cette proposition mériterait d’être investiguée sérieusement dès maintenant. Si les conditions sont réunies, elle devrait être mise en œuvre dans des délais raisonnables. Même dans le cas où elle ne rapporterait pas l’argent escompté, elle constituerait une expérience et un savoir-faire acquis, qui pourrait être renouvelés à un autre moment. Un outil important de financement serait en place, ce qui rejoindrait une des conclusions importantes de la Cellule de la dette : « Proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. » Ne soyons pas naïf. La mise en œuvre d’une telle mesure n’est pas du goût des banques. Le sourire de la crémière dont parle le Ministre se rapproche plutôt d’un grincement de dentt de la banquière. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas le faire. Au contraire, d’une part les banques réalisent des profits très importants depuis plusieurs années, notamment en bénéficiant d’un taux Bons d’Etat au niveau wallon : bonne idée ou projet injuste ? ______________________________________Mars2024 17 de 4 % pour ses dépôts à la BCE. D’autre part, il est fondamental de rechercher toutes les alternatives possibles pour desserrer l’étau dans lequel se trouvent les finances wallonnes. Si un jour, les agences de notations et les marchés financiers décidaient d’attaquer la Région wallonne, avec un outil comme les bons d’Etat au niveau wallon, elle serait en meilleure posture pour réagir. La diminution de notre dépendance aux marchés financiers devrait constituer une priorité pour tout gouvernement, actuel et futur.
PETIT TRAITÉ DE SOCIOLOGIE ANIMALE Retour à la source de nos collectifs humains Étude • Bruno Poncelet • Décembre 2023 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 2 Durant tout le XXe siècle, nous n’avons cessé de nous raconter des histoires sur nos différences supposées avec le monde animal. Selon les penseurs et les époques, nous avons ainsi tour à tour été les seuls à être aptes à réfléchir grâce à notre gros cerveau, les seuls à utiliser des outils grâce à nos mains habiles, les seuls à faire preuve d’empathie vis-à-vis de nos semblables, ou bien encore les seuls à être capables de ressentir des émotions comme l’amour, l’amitié, le sens de la famille, etc. Toutes ces histoires à propos de nos différences supposées avec le monde animal ne sont pas universelles, mais bien culturelles. Leurs racines plongent loin dans l’histoire occidentale (on peut les faire remonter à la Grèce de l’Antiquité et au christianisme de l’époque médiévale), même si leur essor contemporain est surtout dû aux derniers siècles parcourus… C’est en effet principalement à partir du XVIe siècle et la colonisation de « l’Amérique » que les Européens se sont raconté une histoire où ils étaient les seuls à détenir la Vérité (il n’existe qu’un seul Dieu, et c’est celui du Nouveau testament), toutes les autres populations du monde étant perdues dans de fausses et perverses croyances sataniques qu’il fallait annihiler à tout prix. Ce qui justifiait évidemment l’entreprise coloniale… Ensuite, quand on a cessé de croire en Dieu pour devenir laïcs au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, on a certes supprimé les mots Dieu et Diable du vocabulaire officiel, mais le fond de l’histoire n’a pas changé d’un iota : nous étions devenus le phare avancé, la civilisation utilisant la Raison pour se gouverner quand les peuples primitifs (et colonisés) du monde entier étaient perdus dans des Instincts bestiaux les rapprochant des animaux et de la nature. Les Occidentaux étaient à l’époque tellement convaincus de leur supériorité que certains scientifiques du XIXe siècle passaient leur temps à mesurer des crânes pour établir une hiérarchie biologique et physique entre les races. Sans surprise, l’Homme blanc arrivait en tête devant tous les autres. De même, il était évident pour les chercheurs de l’époque que les hommes étaient supérieurs aux femmes… Bref, le racisme colonial et patriarcal imposait de penser un monde où le mâle était supérieur aux femelles, où la peau blanche était gage d’une intelligence supérieure, et où le fait de marcher sur deux pieds tout en possédant un gros cerveau nous rendait supérieur aux animaux. Une vision du monde qui survit hélas encore de nos jours, notamment lorsque des supporters de football lancent des cris de singe pour insulter un joueur à la peau noire… ou lorsque des gens se remettent à voter massivement pour l’extrême droite. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 3 Quand trois femmes refondent l’éthologie1 Et pourtant, une révolution scientifique a eu lieu au milieu du XXe siècle pour reconsidérer complètement nos croyances naïves à l’égard du monde animal. À une époque où les sciences étaient encore quasi-exclusivement masculines, le paléoanthropologue Louis Leakey (1903-1972) a eu la bonne idée de confier des missions éthologiques de terrain à trois pionnières : – dans les années 1960, Jane Goodall (née en 1934) est allée observer les chimpanzés d’Afrique de l’Est en Tanzanie ; – à la même époque, Dian Fossey (1932-1985) est partie voir comment vivaient les gorilles au Rwanda ; – enfin, dans les années 1970, Biruté Galdikas (née en 1946) affronte la forêt tropicale d’Indonésie et de Malaisie pour apprendre à connaître les orangs-outans. Grâce à ces trois femmes faisant preuve de patience, d’empathie et d’esprit analytique à l’égard des sujets qu’elles observaient, les croyances naïves sur la simplicité des primates ont été profondément bousculées… Tellement bousculées que la plupart des critères que nous nous sommes inventés pour distinguer l’humanité des autres primates se sont avérées être des caractéristiques que nous partageons avec de nombreuses espèces animales contemporaines. Mieux : non seulement ces caractéristiques ne sont pas notre attribut exclusif, mais ce sont de lointains ancêtres animaux (présents sur Terre bien avant nous) qui les ont créées et façonnées. Du coup, il est intéressant de se poser la question : que partageons-nous avec les autres animaux ? Et qu’est-ce que ces ressemblances peuvent nous apprendre sur nous-mêmes et sur nos vies en société ? Certes, pour penser avec un certain recul des mots comme autorité, démocratie, liberté ou solidarité, pour voir comment ils ont existé à différentes époques, on peut se tourner vers les sciences humaines. Les livres d’histoire et les fouilles archéologiques nous permettent de découvrir de grandes civilisations passées, dotées d’un pouvoir central gravant ses envies de grandeur dans la pierre éternelle de somptueux édifices. Plus modestes par la taille mais beaucoup plus importantes par le nombre, les sociétés dépourvues de pouvoir central ont été visitées par de nombreux ethnologues dont les études de terrain ont donné vie à une discipline académique – l’anthropologie – qui met en avant l’incroyable diversité des manières de vivre de l’humanité. Toutefois, la plupart des récits ethnologiques remontent à peine à quelques siècles alors que l’espèce humaine la plus ancienne recensée (à savoir Homo habilis) vécut il y a 2,4 millions d’années ! Pour surmonter cet écueil chronologique et débusquer les plus lointaines racines de l’humanité, il faut alors se tourner vers une science a priori moins humaine : l’éthologie. Évidemment, l’étude des comportements animaux est un champ de recherches qui peut sembler bizarre pour parler de nous. Pourtant, sa pertinence s’explique en raison d’une théorie scientifique qui a révolutionné la manière de comprendre notre lointain passé. 1 Il s’agit de la discipline scientifique étudiant les comportements animaux (humains compris). Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 4 L’évolution des espèces : une théorie révolutionnaire Le XIXe siècle fut pour partie un monde de découvertes scientifiques bousculant les idées reçues, parfois jusqu’à scandaliser certains milieux conservateurs ne pouvant accepter une remise en cause de leurs préjugés ancestraux. Ainsi, durant toute l’époque médiévale occidentale, la Bible narrait la genèse d’un genre humain commencée dans un lieu idéal – le Paradis céleste – où un Dieu unique tout puissant avait créé deux êtres immortels : Adam et Ève. Dans la foulée, pour les distraire, Dieu avait également créé les animaux tels que nous les connaissons. Mais suite au Péché originel commis par Ève, Dieu devenu furieux avait condamné le couple humain originel (et l’ensemble des animaux) à vivre en exil dans un monde putrescible où toute vie était mortelle : la Terre. S’il n’était pas encore question de critiquer le patriarcat profondément enfoui dans cet imaginaire monothéiste, un grand coup de balai allait toutefois être donné dans cette vision chimérique de nos origines avec une théorie révolutionnaire : l’évolution des espèces. Présentée conjointement par Charles Darwin (1809-1882) et Alfred Russel Wallace (1823-1913) au milieu du XIXe siècle, l’hypothèse selon laquelle les espèces vivantes ne sont pas apparues ex nihilo, telles que nous les connaissons, mais résultent d’une lente et graduelle évolution à partir d’ancêtres communs était pour le moins décapante. Tellement décapante que les êtres humains ne furent pas évoqués de façon explicite dans les premiers écrits de Darwin et Wallace. En dépit de cette prudente réserve, les deux scientifiques subirent de virulentes critiques à l’encontre de leur théorie que d’aucuns jugeaient aberrante… même si elle reçut également des soutiens importants. De l’eau a depuis coulé sous les ponts et les enfants spirituels de Darwin et Wallace ont poursuivi leur quête scientifique. Tout au long du XXe siècle les recherches paléoanthropologiques du chaînon manquant, avec les célèbres fossiles Lucy et Toumaï notamment2 , combinées aux progrès plus récents de la génétique n’ont cessé de confirmer et d’affiner la théorie de l’évolution des espèces… au point que sa validité générale ne souffre plus aucun doute. C’est donc une certitude : les Homo sapiens que nous sommes partagent une longue histoire commune avec l’ensemble des vivantsi . Un parcours commun entamé il y a des milliards d’années (si on remonte aux premières formes de vies microbiennes) ou des centaines de millions d’années (si on remonte aux premiers animaux) durant lesquelles les espèces n’ont cessé d’évoluer et de se diversifier. Dans ce cheminement incroyablement long, nos lointains ancêtres ont emprunté exactement les mêmes bifurcations que l’ensemble des primates apparus il y a environ 65 millions d’années avec leur buste droit, leurs épaules mobiles, leurs mains préhensibles et leurs yeux orientés vers l’avant pour percevoir la profondeur. Il y a une quarantaine de millions d’années, nous prenons le sentier des primates anthropoïdes dotés d’un visage raccourci, d’arcades dentaires courtes et d’oreilles osseuses. En leur sein, le groupe des grands singes auquel nous appartenons abandonne la queue arrière et opte pour un buste plus droit il y a environ 30 millions d’années. Vient alors l’heure des adieux à nos plus proches cousins contemporains : nos ancêtres se distinguent de ceux des orangs-outans il y a environ 16 millions d’années, puis disent au revoir à ceux des gorilles il y a à peu près 9 millions d’années. Finalement, c’est aux alentours de huit à 2 Aucun de ces deux fossiles n’est rangé parmi les espèces humaines proprement dites. On pense que l’espèce Sahelanthropus tchadensis (à laquelle appartenait Toumaï) est un ancêtre encore commun aux humains et à nos proches cousins bonobos et chimpanzés, tandis qu’Australopithecus afarensis (alias Lucy) pourrait être une espèce amorçant le genre humain auquel elle n’est toutefois pas rattachée, notamment parce qu’elle privilégiait manifestement la marche sur quatre membres plutôt que la bipédie. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 5 six millions d’années que notre cheminement évolutif se distingue de celui de nos plus proches cousins encore vivants : les bonobos et les chimpanzés (lesquels ne se sont séparés les uns des autres qu’il y a deux millions d’années environ)3 . Certes, il faudra encore du temps et une foisonnante diversité d’espèces humaines (avec notamment les Homo habilis, Homo erectus et autres Homo neanderthalensis) avant qu’émerge notre espèce proprement dite : les Homo sapiens. Leurs plus vieux restes fossiles identifiés à ce jour remontent à 300.000 ans, soit à peine le temps de cligner des yeux à l’échelle des temps géologiques… Pour illustrer ce fait, prenons comme référence la naissance des premiers mammifères : depuis l’apparition de ces êtres à sang chaud au corps couvert de poils il y a 225 millions d’années, nous avons évolué de façon similaire à l’ensemble des primates durant 71% du temps écoulé, et avons déambulé durant 97% en compagnie des chimpanzés et des bonobos ; quant au petit sentier spécifique à notre espèce, les Homo sapiens, il pèse à peine pour 0,13% du temps écoulé ! Pour se faire une représentation visuelle de la chose, imaginez que les 225 millions d’années de présence des mammifères sur Terre soient comprimées dans un ballon de basket de 24 centimètres de diamètre, soit un volume total de 7.234,56 cm³. En comparaison et en respectant l’échelle des proportions, toute l’histoire des Homo sapiens tiendrait dans une sphère presque deux fois plus petite qu’une balle de ping-pong4 ! Si on préfère se représenter la chose de façon linéaire, la différence est encore plus impressionnante : si les 300.000 ans d’histoire d’Homo sapiens étaient condensés sur une ligne du temps longue de 20 centimètres (ce qui équivaut à la circonférence d’une balle de tennis), alors l’histoire des mammifères nécessiterait une ligne du temps d’un total de 150 mètres (ce qui est supérieur au périmètre cumulé de deux terrains de tennis pour des matchs en double) ! On peut encore le dire comme suit : dans un livre constitué de 750 pages exclusivement consacré à l’histoire des mammifères, la partie relative à notre espèce tiendrait toute entière sur la seule et dernière page ! Pour qui s’intéresse à nos lointaines origines sans trop de préjugés, une conclusion évidente s’impose : même lorsque les vestiges matériels manquent pour raconter l’histoire des premiers humains, on peut s’en approcher en s’intéressant aux fondamentaux partagés avec de nombreuses espèces vivantes contemporaines. Non parce que ces dernières auraient cessé d’évoluer pour rester figées à jamais dans un lointain passé (ce qui n’est évidemment pas le cas). Plus simplement, la présence de caractéristiques largement partagées avec d’autres espèces animales reflète vraisemblablement des facultés communes acquises il y a longtemps. Autrement dit, interroger les manières de vivre des tout premiers représentants du genre Homo passe d’abord par une compréhension des héritages millénaires que nous avons reçus de lointains ancêtres non humains. Et n’en déplaise aux partisans du libéralisme économique vouant un culte forcené à l’individualisme, l’un des héritages les plus importants est 3 Ces estimations se basent sur l’analyse des gènes et le concept d’horloge moléculaire, dont les « aiguilles » mesurent l’importance de l’écart génétique entre deux espèces possédant un même ancêtre commun. Sachant qu’il existe de l’ADN codant (dont les gènes sont actifs) et non codant (considéré comme non actif, à tort ou à raison), la méthode retenue peut faire diverger les résultats de plusieurs millions d’années. Si l’on prend les aiguilles les plus larges (à savoir l’ADN non codant), notre écart génétique avec les orangs-outans est de 3,1%, contre 1,6% avec les gorilles et seulement 1,2% avec les chimpanzés (un chiffre à diviser par deux et qui chute sous la barre des 0,6%, si l’on veut mesurer l’écart d’ADN codant nous séparant des chimpanzés). Source : L’Histoire de l’homme (enquête sur nos origines), hors-série n°26 du magazine Les mystères de la science, 2019, p.25. 4 Le calcul est le suivant : 0,13% d’un volume de 7.234,56 cm³ équivaut à un volume approximatif de 9,4 cm³, soit une sphère de 2,6 centimètres de diamètre… à comparer aux 4 centimètres de diamètre d’une balle de ping-pong. Pour l’exemple suivant, il faut savoir qu’un terrain de tennis (pour des matchs en double) a un périmètre total de 69,48 mètres et que 225 millions d’années équivaut à 750 fois les 300.000 ans d’histoire Homo sapiens. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 6 assurément la création de collectifs générant, dans leur sillage, bien d’autres innovations fondamentales. Les héritages non humains : une part oubliée de notre histoire La vie en société a des origines qui se perdent dans la nuit des temps. Si les premières formes de vie microbiennes étaient composées de cellules uniques, évoluant de façon indépendante les unes des autres, les choses ont changé au bas mot il y a 1,6 milliard d’années. À en croire les fossiles retrouvés, certains organismes microbiens ont alors décidé de vivre et de coopérer ensemble pour former les premières algues multicellulaires. À l’époque, chaque être cellulaire composant une colonie végétale restait en tout point identique aux petits êtres cellulaires voisins. Mais voilà qu’un beau jour, remontant à environ 600 millions d’années, la vie collective engendra une innovation fondamentale : la spécialisation cellulaire. Peu à peu, les multiples cellules composant un être vivant ont commencé à se distinguer les unes des autres pour former des tissus spécialisés dans certaines tâches – comme la vue, l’ouïe, l’odorat, la respiration ou la digestion – au sein d’un système organisé et cohérent de plus en plus complexe. Notre corps, avec ses multiples organes aux fonctions spécialisées, est le fruit de cette innovation collective : la spécialisation des tâches cellulaires. Parmi ces cellules spécialisées, certaines nous offrent la faculté de percevoir le monde alentour et d’échanger des messages avec nos semblables. Des facultés nées au fond des océans, il y a plusieurs centaines de millions d’années, quand les premières espèces animales marines ont développé une vaste panoplie d’outils de communications reposant sur la perception de l’électricité (ondes électromagnétiques), de la chimie (odeurs), de la lumière (contacts visuels), des sons (échanges d’ondes acoustiques) et du toucher. Ainsi, dans un banc de poissons, chaque membre parvient à synchroniser parfaitement sa nage avec ceux qui l’entourent grâce aux perceptions tactiles des vibrations mécaniques de l’eau produites par les mouvements de chacun d’eux. De même, les requins ne sont pas que des prédateurs effrayants, loin s’en faut. Ils sont aussi capables de diplomatie en exprimant leurs intentions pacifiques via certaines postures gestuelles spécifiques5 que comprennent à merveille leurs congénères et les poissons nettoyeurs. Ces derniers savent alors quand s’aventurer, sans prendre trop de risques, dans la gueule entrouverte des squales pour se nourrir des lambeaux de proies restés accrochés dans leurs dents, les requins bénéficiant en retour de soins dentaires de qualité. Dotées de facultés de communication, certaines espèces ont fait le choix de vivre au sein de collectifs plus ou moins durables car ceux-ci présentent un certain nombre d’avantages6 . Chez les végétaux, c’est le cas des arbres grégaires qui forment des systèmes forestiers leur permettant d’aménager un territoire en fonction de leurs besoins, que ce soit en stockant collectivement de l’eau 5 Chez le requin blanc, par exemple, avancer lentement avec les nageoires pectorales bien droites est un gage d’intentions pacifiques. À l’inverse, incurver le dos et les nageoires pour en révéler la pointe intérieure noire traduit de l’agacement et de l’hostilité susceptible de dégénérer en attaque. Source : Steve Greenwood, Dans le sillage des requins, épisode 3 (Les secrets de tournage), 2015. 6 Citons notamment le fait de prendre soin les uns des autres, la protection collective d’un territoire et des membres de la troupe, l’organisation de chasses coordonnées, la limitation des conflits pour l’accès à des ressources rares, la mise en place de crèches collectives et la transmission intergénérationnelle de savoir-faire, sans oublier le fait de vivre à proximité de proches, familiers et autres amies. Nous reviendrons brièvement sur tous ces points dans cette étude. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 7 sous terre ou en modulant la température de l’air ambiant (ce qu’un arbre seul est incapable de faire). Par ailleurs, les forêts ont bâti (des millions d’années avant nos États-Providence) des systèmes de sécurité sociale où certains arbres, mieux pourvus en ressources grâce à leur localisation, offrent une partie de leurs nutriments à des arbres moins bien lotis via les réseaux souterrains de champignons qui interconnectent leurs racines. Une solidarité aux bénéfices partagés car les arbres occupant les meilleures positions, s’ils ne devaient penser qu’à eux-mêmes, grandiraient tellement qu’ils dépasseraient largement tous les autres et se mettraient en danger face à des vents puissants. En étant solidaires, ils peuvent compter sur le rideau collectif des arbres qui les ceinturent pour former, les soirs de tempête, un bouclier protecteur ralentissant le vent furibond et atténuant ses morsures cinglantesii . Dans le monde animal, de nombreuses espèces ont également fait le choix de vivre en société. Qu’elle soit permanente ou épisodique, cette vie en communauté est par ailleurs souvent décisive pour la continuité de l’espèce. Nombre d’oiseaux, par exemple, forment des couples unis où la femelle et le mâle coopèrent au moment de se reproduire : que ce soit pour couver les œufs ou nourrir les oisillons, le fait d’être deux permet d’assurer ces tâches essentielles avec un maximum d’efficacité pour assurer la survie des petits. Chez la plupart des mammifères, la répartition des tâches parentales est beaucoup plus déséquilibrée car ce sont les femelles qui portent puis allaitent les petits : ces dernières jouent donc un rôle essentiel dans le soin et l’éducation des jeunes, alors que la participation des mâles est beaucoup plus aléatoire (voire totalement nulle chez les espèces où les mâles ne vivent jamais en compagnie des femelles). Même s’il existe d’autres raisons que la reproduction pour vivre ensemble, le fait de prendre soin d’un nombre limité de bébés a sans doute joué un rôle fondamental dans la manière de créer des collectifs, notamment chez les mammifères où les femelles coopèrent souvent ensemble pour élever leurs petits. Pour donner quelques exemples concrets, suivons les pas du biologiste Laurent Tillon rendant visite à des animaux qui n’ont pas toujours bonne réputation dans nos têtes, alors qu’ils nous ressemblent beaucoup sur certains traits fondamentaux : les chauves-souris7 . Vivre en famille et se faire des amis : deux manières (et bonnes raisons) de faire société Les chauves-souris sont apparues sur Terre il y a environ 65 millions d’années, soit l’époque où nos ancêtres optaient pour la route de l’évolution des primates. Malgré cette divergence de destinées, les chauves-souris sont – comme nous – des mammifères. Soit des animaux au corps couvert de poils, se reproduisant par la rencontre d’un mâle et d’une femelle, et dont le sang chaud réclame beaucoup d’énergie. Autrement dit, les chauves-souris ont besoin de s’alimenter régulièrement. Comme leurs régimes alimentaires sont souvent très spécifiques (certaines ne mangent que des insectes, d’autres mangent des fruits ou butinent le nectar des fleurs, etc.), les nombreuses espèces qui vivent sous des climats tempérés ont un sérieux problème : durant l’hiver, les ressources nécessaires à leur existence disparaissent ou s’étiolent drastiquement. Pour contourner ce problème et économiser un maximum d’énergie, les chauves-souris concernées mettent leurs fonctions vitales en sommeil en hibernant durant l’hiver. Au printemps, lorsque la belle saison arrive et qu’elles se réveillent, elles sont encore loin d’être tirées d’affaire : souvent minuscule, leur corps est particulièrement sensible au mauvais temps, 7 Sauf mention contraire, les passages évoquant la vie des chauves-souris dans les paragraphes qui suivent sont inspirés du livre Les fantômes de la nuit (des chauves-souris et des hommes), publié en 2023 par le biologiste Laurent Tillon. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 8 à la pluie ou au gel tardif. Pour les chauves-souris femelles, manger et reprendre des forces est pourtant vital car elles vivent une grossesse à retardement : alors qu’elles se sont reproduites à l’automne, le sperme du mâle a été conservé dans un sac interne et n’est libéré pour féconder l’ovule qu’au printemps. Après un à deux mois de gestation, la femelle chauve-souris donne naissance à un petit (voire deux chez certaines espèces) qui s’avère particulièrement fragile : il est aveugle, complètement dépourvu de poils, incapable de réguler sa température et a donc besoin d’être réchauffé en permanence. (Notons la similitude avec nos bébés humains, eux aussi entièrement dépendants des soins prodigués par les adultes.) Le problème est d’autant plus sérieux que les mamans chauves-souris ont besoin de faire le plein de nutriments, afin de produire le lait dont se nourrira leur bébé. Pour relever ce défi épineux, les femelles chauves-souris optent pour une stratégie collective : elles élisent domicile dans un même lieu qu’elles transforment en nurserie. Pendant que certaines mamans partent chasser, les autres femelles de la colonie restent dans la nurserie qu’elles réchauffent par la présence de leurs corps agglutinés. Ainsi, les chauves-souriceaux restent à l’abri du froid même s’ils sont incapables de réguler la température de leur corps. Comme les chauves-souris et de nombreuses autres espèces de mammifères (cachalots, éléphants, hyènes, lionnes, orques, suricates, etc.), il y a fort à parier que notre espèce a misé sur un collectif d’adultes s’entraidant pour élever et protéger des bébés particulièrement fragiles à leur naissance, et nécessitant même des années de soins et d’éducation avant de devenir autonomes. Mais vivre en société ne se fait pas tout seul. Cela réclame une capacité à interagir avec les autres de façon aussi coordonnée et paisible que possible. Autrement dit, les espèces animales qui ont appris à vivre en société ont aussi développé des facultés sociales spécifiques. Parmi celles-ci, on trouve notamment l’empathie (savoir se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il ressent) et l’attachement sentimental (développer des relations privilégiées avec certains êtres vivants qu’on préfère à d’autres). Bien que variables d’une espèce à l’autre8 , ces facultés sociales sont apparues longtemps avant les premiers humains car on les retrouve chez de nombreuses espèces communautaires, allant notamment des oiseaux grégaires aux mammifères sociaux. Basée sur l’empathie et l’attachement sentimental, la « colle sociale » pour se lier les uns aux autres peut changer de formule d’une espèce à l’autre. Pour rester dans le monde des chauves-souris, certaines espèces donnent la priorité absolue aux relations familiales tandis que d’autres espèces se regroupent sur base d’affinités personnelles où la réciprocité est cruciale. Ainsi : le murin de Bechstein, une chauve-souris qui vit et chasse des insectes dans les forêts européennes, se regroupe sur base de liens familiaux : « Une femelle donne naissance à un seul jeune. S’il s’agit d’un mâle, il devra quitter le groupe à la fin de l’été. Mais s’il s’agit d’une femelle, alors elle pourra rester et contribuer à grossir les effectifs. » Au fil du temps, les différentes colonies de femelles s’agrandissent pour former des lignées matriarcales, c’est-àdire des colonies où les mères vivent « avec leurs filles, leurs petites-filles, leurs nièces, leurs sœurs, leurs tantes et leurs cousines. »iii ; nommées ainsi parce qu’elles lapent le sang de leurs proies après en avoir incisé la peau, les chauves-souris vampires du Guatemala passent l’essentiel de leur temps (parfois jusqu’à 23 8 Le primatologue Frans de Waal compare l’empathie à une poupée russe dont le noyau dur est « l’aptitude à se mettre au diapason d’autrui » ; noyau qui s’élargit ensuite avec des couches d’aptitudes complémentaires plus complexes comme « celle de se préoccuper des autres et celle d’adopter leur point de vue. » Frans de Waal ajoute : « Rares sont les espèces où toutes les couches sont présentes, mais la capacité-noyau est aussi ancienne que les mammifères. » [Frans de Waal, Le bonobo, Dieu et nous, 2015, p.200]. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page 9 heures par jour) à dormir dans des dortoirs communautaires en compagnie de leurs amies préférées. Mais comment construit-on une relation d’amitié quand on est un vampire ailé ? Cela demande un lent travail d’approche fait d’étapes successives où la confiance et la réciprocité jouent un rôle crucial. Ainsi, la première de ces étapes consiste à se rapprocher physiquement de certaines chauves-souris qu’on aimerait avoir pour amies. Parfois, cela ne marche pas et la chauve-souris rejetée connaît une frustration sociale. À l’inverse, si la tentative de rapprochement physique est couronnée de succès, la chauve-souris qui cherche à se faire des amies passe alors à l’étape du toilettage : elle aide l’une ou l’autre chauve-souris qui ont accepté sa promiscuité physique à se débarrasser de ses parasites, puis elle voit si ce toilettage lui est rendu ou pas. Si les choses tournent bien et que les soins deviennent mutuels, la chauvesouris qui cherchait à se faire des amies est peu à peu inclue dans une bande et va alors pouvoir dormir en bonne compagnieiv. Pour bâtir des collectifs, les chauves-souris n’agissent donc pas au hasard. À l’instar des nombreux animaux dotés d’empathie et liés sentimentalement les uns aux autres, elles organisent leurs colonies sur base d’affinités spécifiques qui peuvent dépendre de relations d’amitié, de liens familiaux ou d’un mélange des deux. De tous les héritages reçus de nos lointains ancêtres non humains, c’est sans doute le plus fondamental et le plus cher à notre cœur : une capacité à bâtir des organisations sociales structurées (comme la famille et les cercles d’amis) où les relations interpersonnelles occupent une place majeure. Un héritage riche de sentiments et de soins réciproques, d’attentions et de câlins, de moments de tension et de réconforts qui fournit aussi une puissante motivation à vivre en société : le plaisir de côtoyer des êtres qu’on aime et qu’on apprécie9 . Il découle de cet héritage historique un fait crucial : à partir du moment où la vie sociale se construit par le biais de relations interpersonnelles, on s’attache immanquablement davantage à certains membres de son espèce qu’à d’autres. Certaines sont des amies, d’autres au mieux des inconnus, d’autres encore des rivaux. Autrement dit, les interactions communautaires produisent des préférences sentimentales aux retombées, individuelles et collectives, profondément ambivalentes. Elles sont sources de solidarité, ce qui améliore le bien-être des membres de la communauté (plus riches entourés d’autrui que s’ils vivaient seuls) et renforce sa cohésion. Mais les relations interpersonnelles sont également inégalitaires, générant dans leur sillage des systèmes hiérarchiques aux multiples ressorts – on y trouve un savant mélange de charisme, conformisme, générosité et violence – où certains statuts sociaux bénéficient de privilèges. La vie en société : un monde hiérarchisé par la générosité En s’attachant à d’autres êtres vivants, le don de soi est souvent au rendez-vous. De nombreux collectifs animaux sont ainsi régis par des règles de partage auxquels consentent volontiers les membres du groupe. Le fait de se toiletter mutuellement est une manière assez répandue de consolider des relations interindividuelles. Certaines espèces animales poussent toutefois le bouchon de la solidarité plus loin. Revenons un instant chez les chauves-souris vampires désireuses de se faire des amies : outre le réconfort sentimental espéré, être membre d’un cercle d’amitiés y est aussi 9 On peut lire à ce propos le très beau livre de Vinciane Despret, Habiter en oiseau, paru en 2019 chez Actes Sud. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page10 une question de vie ou de mort. En effet, la capacité de ces chauves-souris à digérer du sang frais est limitée ; or, elles ne chassent qu’à la nuit tombée et rentrent parfois bredouilles. Si elles échouent à se nourrir deux à trois nuits d’affilée, elles s’affaiblissent à en mourir de faim. Pour s’éviter mutuellement cette issue fatale, les chauves-souris vampires femelles largement rassasiées partagent leur trop-plein de nutriments en régurgitant une partie du sang qu’elles ont avalé (c’est leur manière de nourrir les bébés) dans la bouche affamée de leurs amies et amis chauves-souris. Réservé aux proches, ce baiser intime et généreux n’en produit pas moins une inégalité fondamentale : les chauves-souris les plus sociables, entourées de nombreuses amies (donc situées au centre des cercles de sociabilité), ont également les meilleures chances d’être aidées et de vivre longtemps ; tandis que les individus moins populaires (situés en périphérie des cercles de sociabilité) risquent de mourir de faim prématurément v . La générosité est donc paradoxale : elle part d’initiatives individuelles spontanées pour aider des proches mais construit des cercles relationnels où certains individus, situés au centre des relations, sont privilégiés par rapport à d’autres. Autrement dit, pour être inégalitaire, un collectif n’a pas besoin d’un pouvoir central dirigé d’une main de fer par une puissante élite : l’organisation sociale hiérarchique peut s’édifier sur base de préférences sentimentales individuelles, générant des réseaux de sociabilité et d’entraide privilégiés. Pour le dire autrement : le charisme est un ressort inégalitaire qui part du bas de la société – ou plutôt de façon diffuse en son sein – pour élever certains individus à une position centrale où ils sont davantage aidés de façon spontanée ; quant aux autres, il se répartissent dans différents cercles de sociabilité périphériques où leur popularité – et le soutien qui l’accompagne – déclinent au fur et à mesure qu’on s’approche des individus les plus marginaux. Vivre en marge d’un groupe ne veut pourtant pas dire vivre en dehors. Chez les chauves-souris par exemple, on est membre d’une colonie dès qu’on est autorisé à dormir avec les autres (même si c’est à une place périphérique). On se sent même tellement inclus dans la communauté qu’on veut bien l’aider contre vents et marées. Ainsi, une autre manière de se sacrifier pour le groupe est de renoncer à se reproduire. Quand la belle saison s’avère moins clémente qu’espérée et que les ressources manquent pour nourrir toutes les mamans et leur bébé, certaines chauves-souris en arrivent parfois à une situation extrême : sacrifier leur bébé sur l’autel du bien-être collectif. Chez les chauves-souris pipistrelles, certaines femelles abandonnent ainsi volontairement leur bébé quand les insectes se font trop rares. Mais elles continuent à dormir avec la communauté, et réchauffent donc les chauves-souriceaux restants pour les aider à atteindre l’âge adulte. Les chauves-souris murins de Bechstein (dont on a parlé plus haut) obéissent depuis si longtemps à cette méthode sélective que leur organisme s’est même doté d’une faculté biologique particulière : la capacité d’avorter. Lorsque les conditions météo se dégradent et que la belle saison s’avère soudain plus pénible que prévue, elles peuvent décider d’interrompre une grossesse devenue indésiréevi ! Incontestablement, ce sacrifice volontaire est un acte généreux et altruiste par lequel certaines femelles d’une colonie renoncent à un bonheur individuel (élever un petit auquel elles s‘attachent sentimentalement) pour le bien-être collectif du groupe et des chauves-souriceaux restés en vie. Mais du sacrifice volontaire au sacrifice imposé, la marge est parfois ténue. Elle disparaît carrément lorsque la mise en place de balises GPS sur certaines chauves-souris révèle des inégalités invisibles dans leurs déplacements nocturnes. D’après les scientifiques qui observent ces chauves-souris en liberté, celles qui doivent sacrifier leur maternité sur l’autel du bien-être collectif n’ont pasfranchement le choix. Elles n’auraient en effet accès qu’à des territoires de chasse moins bien fournis en insectes, et verraient donc s’étioler en premier les nutriments volants nécessaires pour allaiter leur chauve-souriceau. En période faste, le désavantage est relatif car il y a assez d’insectes pour tout le monde ; mais par temps de disette, Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page11 les membres situés en périphérie d’une communauté alimentaire10 subissent des privations qui les forcent à accepter certains sacrifices. Des sacrifices qui ne sont alors manifestement pas que volontaires, mais résultent aussi de rapports de forces existants entre les membres d’une même communauté. Les rivalités de chasse entre chauves-souris étant difficiles à décrire en raison de leur petite taille et de leur vie nocturne, tournons-nous un instant vers des mammifères sociaux plus faciles à observer grâce à leur imposant gabarit : les éléphants. La vie en société : un monde hiérarchisé par les rapports de forces Alors que les sociétés d’éléphants sont matriarcales (les éléphanteaux grandissent au sein d’un clan familial élargi où toutes les adultes présentes sont des femelles), la naturaliste Caitlin O’Connell s’est interrogée sur le vie des éléphants mâles adultes : ceux-ci sont-ils vraiment des individus solitaires comme on le dit souvent ou bien peuvent-ils aussi appartenir à un groupe social ? Pour répondre à cette question, Caitlin O’Connell s’est intéressée à la manière dont les éléphants mâles accédaient à une ressource précieuse : l’eau fraîche. Chacun y allait-il quand il voulait en mode libre accès ou bien respectaient-ils une hiérarchie et des privilèges d’accès établis entre eux ? À force de revenir chaque année observer les pachydermes au parc national d’Étosha en Namibie à proximité d’un point d’eau, la chercheuse a effectivement pu établir l’existence d’un clan masculin emmené par un mâle puissant : Greg. « En voyant ses subordonnés faire la queue pour porter leur trompe à sa bouche comme s’il embrassaient la bague d’un parrain de la mafia »vii, Caitlin O’Connell a même surnommé cet éléphant, disposant d’un pouvoir relationnel central, « le parrain ». Parmi ses subordonnés figure notamment son fidèle lieutenant, Trompe Déchirée, avec qui le parrain se désaltère un jour au centre d’un point d’eau étriqué, là où l’eau est suffisamment profonde pour être claire et désaltérante. Arrive alors le Capitaine Picard. Ce mâle vit en marge de la bande dirigée par le parrain Greg, lequel lui signifie immédiatement qu’il n’a pas le droit d’approcher pour venir se désaltérer à leurs côtés : « Cette fois, Greg lui a adressé les oreilles les plus exagérément pliées que je lui aie jamais vu faire jusque-là, avant d’exécuter un énorme saut sur place, trompe déployée. Greg ne plaisantait pas […]. C’était l’un de ces moments où il devenait l’incroyable Hulk, gonflé à bloc, cou élargi et dents serrées (ce qui en langage éléphant se traduisait par une bouche exagérément ouverte) devant son adversaire sans aucun mouvement vers l’avant. Voyant que Capitaine continuait à s’approcher de l’eau, Greg est allé l’affronter sans détour. »viii En plus de sa force individuelle, Greg le parrain sait pouvoir compter sur un allié de poids : son réseau social. Situé au centre d’un cercle relationnel, le parrain sait qu’il n’est pas seul pour livrer combat. Comme de juste, son lieutenant Trompe Déchirée interrompt ses ablutions et vient l’aider : 10 Par communauté alimentaire, j’entends ici un groupe traquant les mêmes proies et acceptant de se partager de façon plus ou moins (in)égalitaire un même territoire de chasse – par exemple en nichant ensemble dans un dortoir collectif où tout le monde lorgne sur les proies environnantes. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page12 « Apparemment, Trompe Déchirée avait tout vu, car il avait cessé de boire. Il s’est avancé et positionné à côté de Greg, oreilles déployées et tête haute, pour appuyer la menace du parrain, empêchant effectivement Capitaine d’atteindre l’eau. Ce dernier s’était mis dans une situation très délicate et renonçait à présent. Avançant péniblement avec les épaules roulées vers l’avant [ce qui équivaut à notre démarche le dos courbé, ndla], il s’est frayé un passage jusqu’à bout du pan pour siroter l’eau boueuse. »ix Difficile d’être plus clair sur le rapport de forces imposant à un élément marginal du groupe (ici le Capitaine Picard) à se contenter d’eau croupie alors qu’une élite privilégiée (formée ici par le duo Greg et Trompe Déchirée) se réserve l’eau claire et désaltérante. Pour l’éléphant marginalisé, cet accès à de mauvaises ressources (l’eau croupie) n’est pas un choix volontaire mais résulte de la menace exercée par d’autres individus – plus forts ou mieux entourés – désireux de se ménager le meilleur accès à une ressource précieuse. La générosité diffuse (par le bas) n’est donc pas le seul ressort favorisant la naissance de hiérarchies au sein d’un collectif ; les inégalités peuvent aussi reposer sur l’hégémonie volontaire d’individus qui, par leur force personnelle ou leur capacité à mobiliser des proches, imposent leur autorité. Soit par la force brutale en cas de bagarre bien réelle. Soit par la mise en place de rituels d’intimidation, où pointe seulement la menace d’une violence à l’encontre de perturbateurs osant enfreindre les règles de priorité. Évidemment, les individus situés au centre des cercles de sociabilité disposent de réseaux d’alliés sur lesquels ils peuvent compter, et sont donc les mieux placés pour activer la ficelle collective d’une intimidation en bande organisée. On passe alors d’une générosité diffuse (reposant sur la sociabilité) à une hégémonie volontaire (liée à un contrôle social) où l’autorité use d’intimidation pour imposer ses diktats par la contrainte. Mêmes si elles paraissent à première vue antagonistes, les logiques de la générosité diffuse et de l’hégémonie volontaire peuvent donc s’entretenir l’une l’autre : plus un individu est situé au centre des cercles relationnels, plus il a des chances d’actionner des réseaux d’alliés afin de jouir de privilèges dans l’accès à des ressources rares. À l’inverse, plus un individu est situé en périphérie ou sur les marges des cercles relationnels, plus le collectif lui impose des choix (et des droits) au rabais… Pour évoquer ce cas de figure où l’hégémonie volontaire s’enracine dans la générosité diffuse et renforce l’influence d’une position centrale dominante, on pourrait utiliser le terme de pouvoir centripète. Soit un monde où les éléments marginaux d’un groupe gravitent autour de l’individu central sans avoir l’opportunité de s’extraire de son influence. Et bien que ces situations inégalitaires ont tendance à être plus injustes lorsque les ressources se font rares (puisque les individus marginaux sont aussi les premiers à être frappés par le manque de nourriture ou d’eau de qualité), ces périodes d’infortune semblent également être celles où le respect des rangs hiérarchiques s’avère être le plus strict. Ainsi, au parc national d’Étosha, la chercheuse Caitlin O’Connell constate que le clan des mâles éléphants dirigé par le parrain Greg n’est jamais aussi soudé qu’en période de sécheresse, quand l’accès à l’eau est rare et compliqué (ce qui était le cas dans l’exemple d’interactions sociales intimidantes donné plus haut). À l’inverse, le parrain a toutes les peines du monde à se faire obéir de ses alliés lors des années humides où les plans d’eau pullulent dans la région : « Greg a semblé plus affairé à surveiller qu’à socialiser. Et, après que le groupe a passé un moment au point d’eau, il a décidé de partir vers le sud mais n’a trouvé personne pour le suivre. C’était un contraste radical avec les années précédentes [et plus sèches, ndla] lorsque, chaque fois qu’il lançait l’appel – le grondement à basse fréquence qui signifiait ‘‘Allons-y’’ -, les autres, alignés Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page13 derrière lui, répondaient par une série de cris similaires, coordonnés et sans chevauchement. Il les conduisait ensuite vers la sortie, tous le suivant en une longue ligne. Cette fois, Greg a lancé l’appel mais personne n’a répondu, personne ne l’a suivi. Ils ont tout simplement continué à boire. Greg s’est éloigné de l’eau, battant des oreilles et grognant à nouveau son ‘‘Allons-y’’, mais personne n’y a porté attention. »x Les éléphants mâles ne sont donc pas constamment sociables. Leurs collectifs sont régis par une logique dite de fission-fusion. Tel un accordéon qu’une musicienne ouvre et referme successivement, les membres d’une troupe s’éparpillent et se regroupent au gré de circonstances partiellement volontaires (leurs envies personnelles) et partiellement involontaires (les contraintes extérieures). La musique qui en sort alterne ainsi entre une cohésion sociale en mode mineur ou majeur, tandis que les individus impliqués dans ces dispersions et regroupements alternés peuvent varier au fil du temps. Évidemment, cette possibilité de quitter le groupe mine la domination autoritaire (et les privilèges qui l’accompagnent) qui n’est donc pas un phénomène stable et immuable. Pour évoquer ce cas de figure où l’hégémonie volontaire s’effiloche face aux libertés d’action plus grandes des membres subalternes, on pourrait utiliser le terme d’autonomie centrifuge. Soit un monde où les éléments marginaux d’un groupe s’émancipent de l’individu central pour mener, à l’écart, leur propre vie à leur guise. L’autonomie centrifuge des libertés individuelles s’oppose ainsi au pouvoir centripète d’une organisation sociale hiérarchisée de façon autoritaire. Une autorité qui s’exerce avec une poigne d’autant plus forte lorsque les ressources viennent à manquer et que les individus les plus puissants cherchent à s’en emparer – soit en usant de leur force personnelle, soit en mobilisant leurs alliés au sein de leur cercle relationnel. Terriblement injuste sur le plan individuel, cette logique a cependant du sens d’un point de vue collectif : en respectant la hiérarchie établie entre eux sans en venir aux mains (ou aux morsures, ou aux griffes, ou aux coups de pattes, de tête, de cornes ou de défenses en ivoire…), les différents membres d’un collectif évitent les conflits susceptibles de dégénérer en blessures – lesquelles seraient d’autant plus graves et périlleuses lorsque les ressources sont rares. Si cela n’a rien de consolant pour les animaux situés en marge des cercles relationnels, le fait qu’ils restent membres d’un collectif les ravalant à une place subalterne prouve, malgré tout, qu’ils attendent de l’organisation sociale des bienfaits supérieurs au prix payé pour en être membre. Le collectif : un monde paradoxal Les sociétés de suricates nous donnent un bel exemple de l’ambivalence des collectifs. Ces petits mammifères appartenant à la famille des mangoustes sont particulièrement vulnérables en raison de leur petite taille (moins de trente centimètres), des habitats semi-arides dans lesquels ils vivent (peu de végétation où se cacher) et de leur manière de chercher de la nourriture. Chaque jour, les suricates doivent en effet passer des heures à fouiller le sol pour se nourrir en débusquant des proies (insectes, lézards, scorpions, œufs, petits serpents…). Mais rester avec les yeux à hauteur du sol n’est pas idéal quand les prédateurs peuvent surgir de partout : les aigles depuis le ciel, les renards depuis le sol, etc. Comme les suricates ne peuvent simultanément se nourrir et surveiller leurs arrières en scrutant les alentours, c’est le collectif (construit par leur intelligence sociale) qui leur vient en aide. Pendant que le gros de la troupe cherche à manger en fouinant le sol, d’autres suricates sont postées Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page14 en sentinelles avec le corps dressé vers le haut et tous les sens en alerte. En cas de danger, ces sentinelles peuvent fournir des informations précises et nuancées grâce à un vocabulaire riche d’une trentaine de cris différents : certains de ces cris diffèrent selon l’endroit d’où vient le prédateur (le ciel ou le sol) tandis que leur fréquence d’émission s’élève ou diminue pour spécifier le niveau de risque (imminent ou non) en fonction de la distance à laquelle se trouve le prédateur. Alors qu’on a longtemps cru cette faculté réservée aux seuls humains, les suricates sont donc capables d’associer différents sons pour nuancer les messages délivrés au sein de leur communauté. Autrement dit, ils disposent d’un langage sémantique donnant du sens aux conversations (certes de façon rudimentaire comparativement aux nôtres), ce qui leur permet de mieux interagir socialement. Ainsi, les suricates sont également adeptes d’une organisation partagée des tâches reposant sur la loyauté : les suricates qui traquent des proies à hauteur du sol doivent faire confiance à leurs sentinelles pour être averties d’un danger potentiel et retourner à temps s’abriter dans leurs terriers. Bref, le collectif familial est vital pour la survie des suricates. Leur système de communication couvre également la recherche de nourriture : lorsqu’un suricate fouillant le sol ne trouve plus rien à se mettre sous la dent, il se déplace mais reste à portée de voix des autres qu’il alerte à l’aide d’un cri spécifique. Traduit en langage humain, ça pourrait donner « j’aimerais changer d’endroit, allons chercher de la nourriture plus loin ». Tant qu’il n’y a qu’un seul cri de ce genre, le clan familial ne bouge pas. Mais si ces messages réclamant un déplacement se multiplient, alors une décision démocratique s’ensuit : « Ces vocalises fonctionnent comme un recensement de la qualité des parcelles d’alimentation. Ce n’est que lorsque trois suricates éloignées les unes des autres émettent le signal de départ que le mouvement de l’ensemble du groupe a enfin lieu. Aucune indication n’est donnée sur la direction, c’est le moment de quitter le lieu qui importe. Ce quorum de trois appels reflète une accumulation de preuves. Les suricates savent ainsi qu’il ne reste plus beaucoup d’insectes à dévorer dans le secteur. […] C’est grâce à ce mécanisme simple que les suricates se coordonnent pour optimiser leur collecte. Ils offrent ainsi de meilleures chances de survie à la colonie. »xi Vital pour les suricates, le collectif familial repose donc et sur la confiance mutuelle avec la loyauté des sentinelles, et sur un choix démocratique dans la manière de chercher de la nourriture. Pourtant le monde des suricates n’est ni égalitaire, ni de tout repos. Ces sociétés matriarcales sont en effet dirigées par une femelle leadeuse qui se réserve le monopole de la reproduction au sein de sa troupe. Par inhibition, la plupart des femelles qui l’entourent acceptent en général cet ordre des choses ; mais si l’une d’entre elles a le malheur de se reproduire, alors les sanctions pleuvent ! La femelle subordonnée désobéissante peut se retrouver soudainement bannie du groupe qui lui devient hostile et n’accepte plus sa présence (adieu le bouclier collectif offert par les sentinelles !). Il peut aussi arriver que la femelle leadeuse se montre clémente en acceptant le retour de la subordonnée bannie peu de temps auparavant, mais elle fera en général payer le prix du sang à cette dernière en tuant ses petits dès la naissance. Une cruauté hiérarchique qui n’est pas la seule source d’injustice sociale chez les suricates, où la répartition des tâches impose à certains membres de la troupe des tours de garde plus longs ou plus fréquents. Assignées au rôle de sentinelles, ces suricates ont par conséquent moins de temps que les autres pour débusquer suffisamment de nourriture. Les sociétés matriarcales de suricates offrent ainsi un parfait exemple de la dualité de certaines organisations sociales. Côté pile, elles sont indispensables à la survie des membres de la troupe et fonctionnent en partie sur des mécanismes de décision démocratique pour quitter ou rester sur une parcelle de chasse. Côté face, certaines membres de la troupe ont moins de temps que d’autres pour Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page15 fouiller le sol et se nourrir, tandis que la femelle dominante se réserve le privilège de la reproduction. En cas de rébellion, elle a pratiquement droit de vie ou de mort sur les membres de sa famille qu’elle peut bannir ou punir sévèrement. Notons que cette autorité de la femelle leadeuse ne repose pas sur sa force personnelle, mais bien sur son réseau social. C’est parce qu’elle sait qu’elle sera suivie par ses surbordonnées qu’elle dispose de l’autorité pour sanctionner l’une ou l’autre membre du groupe. Toutefois, occuper le sommet d’un système hiérarchique n’offre pas que des privilèges. Étant la seule à allaiter des petits, la femelle leadeuse des suricates doit aussi impérativement absorber plus de nutriments. Faute de quoi, elle s’affaiblirait et ses petits disparaîtraient en grand nombre, hypothéquant ainsi l’avenir de toute la communauté. Chez de nombreuses espèces animales, le statut d’élite impose ainsi des responsabilités. La hiérarchie : l’expérience au service du groupe Revenons chez les éléphants, mais intéressons-nous à présent à la vie des femelles. Celles-ci vivent au sein de clans matriarcaux beaucoup plus soudés que les mâles, avec pour centre de gravité l’une des plus vieilles membres du groupe. Le privilège de l’âge autorise en effet la matriarche à guider l’ensemble de sa communauté. En réalité, c’est aussi et surtout une immense responsabilité. Elle a en effet la charge de guider sa famille vers toutes les ressources vitales réparties sur un très vaste territoire, dont elle connaît les moindres recoins grâce à une mémoire construite au fil des décennies. Depuis son plus jeune âge, elle a toujours suivi sa tribu et a pu voir comment les matriarches qui l’ont précédée ont trouvé des solutions adaptées face à des circonstances changeantes (comme une saison très humide ou exceptionnellement sèche par exemple). La même mission, confiée à une éléphante manquant d’expérience et de savoir-faire, pourrait conduire l’entièreté du groupe au naufrage et à la famine dès que les conditions seraient peu clémentes. C’est d’autant plus vrai que les éléphants disposent de facultés singulières et précieuses. Pour se nourrir, boire et interagir socialement, ces animaux sont notamment capables de percevoir les infrasons. Cela leur permet de communiquer à des dizaines de kilomètres de distance ou d’entendre des orages parfois éloignés de plusieurs centaines de kilomètres11. Mais là encore, ces facultés réclament un long temps d’apprentissage avant d’être correctement maîtrisées. Il y a donc une certaine logique, en terme de survie collective, à accorder un rôle de guide aux individus les plus expérimentés au sein d’un collectif. Comme le constate la philosophe Vinciane Despret : « Dans les groupes, les matriarches ont un rôle essentiel. La matriarche est la mémoire de la communauté ; elle est la régulatrice des activités ; elle transmet ce qu’elle sait mais, surtout, elle est essentielle à l’équilibre du groupe. Lorsque la troupe rencontre d’autres éléphants, la matriarche peut reconnaître, à la signature vocale de ces derniers, s’ils sont membres d’un clan plus large ou très éloignés ; elle indique la manière dont il faut organiser la rencontre. Une fois la décision prise et transmise à ses membres, le groupe s’apaise. »xii 11 Les infrasons émis par les éléphants (que nous, humains, ne percevons pas) peuvent circuler dans l’air sur une dizaine de kilomètres, mais créent également des ondes sismiques dans le sol qui, elles, peuvent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres. Même si on ignore leur façon exacte de procéder, on pense les éléphants capables de percevoir et d’interpréter ces ondes sismiques, par exemple pour identifier tel ou tel individu. Par ailleurs, des tests audio réalisés par des scientifiques ont prouvé la capacité des éléphants à reconnaître les puissants infrasons caractéristiques d’un orage. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page16 Par ailleurs, être la matriarche d’une harde d’éléphants n’empêche pas de consulter d’autres adultes expérimentées pour prendre la meilleure décision possible (en diffusant des sons d’orages par haut-parleur pour tester la réactivité des pachydermes, des scientifiques ont pu assister à de tels conciliabules). Enfin, en cas de désaccord, une famille matriarcale d’éléphants préfèrera éviter les disputes comme en témoigne l’observation suivante faite dans le parc national d’Embosélie. Là-bas, au pied du Kilimandjaro (Kenya), une matriarche émet le grondement caractéristique de poitrine pour inviter sa troupe à quitter un point d’eau. Alors que les hardes matriarcales d’éléphantes sont très soudées, tout le monde devrait suivre mais des réticences sont exprimées au sein de la famille : « La dominante a beau gronder, l’une de ses filles n’est visiblement pas de son avis. Elle a encore besoin de boire, et gronde à son tour. La matriarche hésite, elle s’immobilise en attendant. Rien n’y fait : sa fille et quelques récalcitrantes refusent d’obtempérer. La dirigeante n’est pas autoritaire : en cas de désaccord, c’est la scission qui prévaut. Car pour ses mastodontes aux défenses pointues, tout conflit est potentiellement mortel. Dotée d’une excellente mémoire, la matriarche sait qu’elle et son opposante courent un risque à s’affronter. Elle s’éloigne donc avec une partie de la troupe, abandonnant les autres au point d’eau. » Ensuite, « les retardataires continuent de profiter des plaisirs aquatiques », mais leur bonheur est vite rompu car « un autre groupe d’éléphants s’approche : la matriarche qui les avait entendus de loin est partie à temps pour éviter cet attroupement associé à des risques de bousculade pour les plus jeunes. Le reste de sa famille doit quitter la mare à son tour. Le petit dernier et sa mère rejoignent enfin la harde. »xiii Loin d’être systématiquement abusif ou autoritaire, le leadership peut donc revêtir des habits chaleureux et constructifs, où prévaut l’intérêt général du groupe et la protection de ses membres les plus vulnérables (ici les éléphanteaux). À rebours d’une vision simpliste et caricaturale de la hiérarchie, le leadership bienveillant existe bel et bien. Il contribue même au bien-être et à la cohésion du groupe pourvu – et cette précision est importante – que les membres impliqués dans les décisions disposent des compétences adéquates, de liens sentimentaux tissés par un vécu commun avec le restant de la troupe, et enfin de personnalités capables de se mettre au service des autres. Faute de cocher ces cases, le leadership bienveillant s’effrite. Et comme le rappelle Vinciane Despret, se faisant ici l’écho d’expériences humaines où l’on rassembla des éléphants inexpérimentés et/ou ne se connaissant pas les uns les autres, les conséquences en sont souvent tragiques : « Ainsi, des troupes qu’on avait reconstituées dans un parc en Afrique du Sud, au tournant des années 1970, pratiquement aucune ne survécut. À l’autopsie, on leur découvrit des ulcères de l’estomac et d’autres lésions habituellement liées au stress. En l’absence d’une matriarche, seule à même de leur assurer un développement et un équilibre normaux, les animaux sont incapables de faire face. »xiv Ce besoin des éléphantes d’être guidées et rassurées par la présence d’une matriarche se traduit aussi par la chaleur des retrouvailles en cas de brève séparation de la harde. Poursuivie par un éléphant mâle (nommé Rocky Balboa) sous les yeux de la chercheuse Caitlin O’Connel, une matriarche nommée Big Mamma s’enfuit et quitte précipitamment sa troupe. Le temps d’échapper au semeur de trouble, son absence ne dure que quelques minutes avant qu’elle ne rejoigne les autres femelles, si heureuses de la revoir que ces dernières lui font une fête en mode pachyderme : « Le groupe d’éléphants a commencé à rugir, gronder, agiter les oreilles, uriner et déféquer en entourant de leurs trompes tendues la matriarche qui revenait, pour l’accueillir comme s’ils l’avaient perdue depuis longtemps alors qu’ils n’avaient été séparés d’elle que quelques minutes. »xv Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page17 Les orques : une vie coopérative multifacettes Plus on avance dans cette étude, plus une évidence se dégage : nous devons absolument nous méfier des points de vue unilatéraux et simplistes. Alors que les suricates nous offraient l’exemple d’une société faisant coexister en son sein des pratiques démocratiques et tyranniques, les hardes d’éléphantes ont besoin d’une matriarche expérimentée mais non autoritaire pour maintenir leur cohésion sociale et les orienter au mieux au gré des circonstances (ressources abondantes ou rares, interactions avec d’autres groupes de pachydermes, etc.). En voyageant d’une espèce animale à l’autre, il s’avère que leurs organisations sociales, leurs hiérarchies internes et leurs manières de se lier les uns aux autres n’obéissent pas à un schéma mécanique immuable. La vie sociale animale est plutôt à l’image de la vie tout court : un phénomène dynamique exprimant des contrastes qui fluctuent aussi bien pour des raisons internes (interactions entre les membres) que des facteurs externes (contraintes imposées par des circonstances indépendantes de leur volonté). Il en résulte des communautés sociables diversifiées. Nommons cette capacité des collectifs animaux à s’adapter et à se métamorphoser au gré des circonstances : la souplesse sociale. Si celle-ci caractérise le monde animal considéré de façon générale, elle peut aussi exister au sein d’une même espèce. Pour s’en rendre compte, il suffit de plonger dans les océans en compagnie des orques. Dotés d’une intelligence sociale remarquable, ces mammifères aquatiques sont apparus, en tant qu’espèce distincte des autres mammifères, il y a environ onze millions d’années. Soit l’époque où nous partagions encore des ancêtres identiques à ceux des bonobos, des chimpanzés et des gorilles contemporains. Au cours de ces onze millions d’années, les orques ne sont pas restées figées dans l’argile : elles se sont dispersées dans les différents océans de la planète, où elles ont été confrontées à des contraintes et des opportunités différentes (notamment concernant les proies disponibles). Cela les a conduites à façonner des manières de vivre ensemble singulières. Ainsi, on distingue de nos jours trois grands modes de vie chez les orques : les orques nomades se déplacent constamment en groupes de petites tailles (moins de dix membres) qui communiquent très peu par vocalises, sauf au moment des repas ; les orques résidentes passent leur vie entière dans une même région de l’océan (ce qui facilite leur observation par les scientifiques contemporains). Dirigées par une matriarche, ces sociétés forgent des collectifs aux tailles très variables (de 5 à 50 individus) qui ont pour point commun de discuter énormément par l’échange de vocalises mutuellement compréhensibles12 ; les orques off-shore apprécient la vie en haute mer où elles forment des troupes comptant plusieurs dizaines de membres (de 30 à 60 individus) qui, à l’image des orques résidentes, dialoguent et vocalisent beaucoup entre elles. Cette diversité, dans leurs manières d’organiser leurs déplacements, s’est évidemment conjuguée à des milieux contrastés. La vie des orques n’est pas semblable selon l’océan (Arctique, Atlantique, Indien, Pacifique…) qu’elles fréquentent, ou selon leur dispersion dans les hémisphères nord ou sud de 12 Pour communiquer entre elles, les orques émettent notamment des sifflements qui peuvent durer de nombreuses secondes. Elles complètent ces sifflements par des signaux pulsés, ou appels, dont le répertoire varié leur permet manifestement de nuancer les conversations. Enfin, tout comme les chauves-souris, les orques jouissent de la faculté d’écholocation : leur sonar leur permet de cliquer pour envoyer de ondes sonores dans l’eau, pour capter ensuite leur réverbération et se faire une image précise de l’espace et des autres vivants autour d’elles. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page18 la planète. Les espèces animales qu’elles chassent peuvent ainsi changer du tout au tout. Cela a conduit les orques à adopter différents régimes alimentaires pouvant inclure des proies aussi variées que baleines, calmars, dauphins, éléphants de mer, oiseaux de mer (manchots), otaries, phoques, divers poissons (flétans, harengs, maquereaux, morues, saumons), pingouins, requins, etc. Au fil du temps, ces modes de vie distincts ont produit chez les orques des différences morphologiques allant de détails spécifiques – comme la couleur de leur peau ou la forme de leurs nageoires – à des différences de taille partant du gabarit modeste des orques pygmées (dont la taille moyenne oscille entre 2,10 mètres et 2,60 mètres) pour atteindre celui, autrement plus massif, des grands épaulards (où la taille des mâles approche les 10 mètres). En dépit de ces divergences évolutives, les orques ont en commun un caractère très sociable – c’est l’un de leurs héritages millénaires – et font du lien communautaire la clé de leurs succès individuels. Leurs techniques de chasse en témoignent : bien que diversifiées, elles reposent en général sur une forte coopération sociale, où chaque membre de la troupe joue un rôle vital pour mener au succès collectif. Dans l’océan Antarctique, certains orques de grande taille ont ainsi appris à chasser les phoques et les otaries réfugiées sur un fragment de glace dérivant à proximité de la banquise. Pourvu que ce fragment soit de taille modeste, les orques géantes unissent leurs efforts pour pousser et déplacer le bloc de glace en direction du large, privant ainsi leur proie de tout repli sûr. Ensuite, quatre à cinq orques synchronisent leur nage en fonçant à vive allure, côte à côte, en direction du bloc de glace afin de le secouer d’une vague si puissante qu’elle déséquilibre l’otarie (ou le phoque) pour la faire glisser dans l’eau… là où un épaulard solitaire n’aurait pas eu la force nécessaire pour faire osciller le morceau de glace jusqu’à « désarçonner » sa proie. Cernée de toutes parts, le sort de cette dernière est vite scellé. Quoique… Les orques pratiquant cette chasse collective étonnent par un autre fait surprenant : il leur arrive de jouer avec la proie saisie, se la refilant à tour de rôle dans leur gueule sans la blesser, pour ensuite la libérer et lui laisser la vie sauve ! Selon le primatologue Frans de Waal, « on les a même vues reposer un phoque sur un autre bloc de glace pour qu’il continue à y couler des jours heureux. »xvi De même, chasser le hareng sans aide collective relève de l’impossible pour les orques piscivores, en raison du bouclier collectif mis en place par ces poissons grégaires. Pour leurrer leurs prédateurs, les harengs forment des bancs unis où chaque individu est caché par la masse grouillante de ses semblables. Qui plus est, la parfaite synchronisation collective des mouvements de chaque hareng leur permet d’effectuer des ballets d’esquive efficaces face aux attaques. Leurs prédateurs ont donc peu de chances d’assouvir leur faim tant que les harengs disposent d’espaces libres pour se déplacer et virevolter à leur guise. C’est pour contourner ce problème que certaines orques, vivant dans l’Atlantique Nord, ont appris à chasser le hareng à l’aide d’une technique collective nommée le carrousel. Dans un documentaire suivant un groupe d’orques au large des côtes norvégiennes, on voit comment celles-ci opèrent lorsqu’un banc de harengs est repéré en pleine mer : une quinzaine d’orques plonge vers le fond et nage en exhibant une multitude de ventres blancs qui apeurent les harengs. Effrayés, ces poissons grégaires veulent s’enfuir mais ne peuvent pas s’échapper car ils sont ceinturés de bas en haut, et de tous côtés, par d’autres orques formant un carrousel diabolique. Emprisonnés entre ces cloisons vivantes, les harengs n’ont d’autre choix que de remonter le plus haut possible jusqu’à s’agglutiner en boule compacte sous la surface de l’eau. Les voilà piégés. Tout en maintenant cet étau collectif fruit d’une intense coopération, les orques approchent tour à tour de la boule grouillante de poissons pour y donner un immense coup de queue qui assomme ou tue simultanément plusieurs dizaines de harengs. Le dîner est servi… et ce manège peut durer plusieurs heures avant que toute la troupe ne soit repue, sachant qu’une orque adulte a besoin de l’équivalent de 200 harengs par jour de protéines.xvii Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page19 Réussir ce genre de chasse ne nécessite pas seulement une excellente coordination des membres. Les orques participantes doivent aussi se faire mutuellement confiance, car certaines maintiennent l’étau collectif quand d’autres en profitent pour manger ; ensuite les rôles s’inversent et tout le monde s’y retrouve (à part bien sûr les harengs !). Qu’il s’agisse de déséquilibrer une otarie réfugiée sur un fragment de glace ou de former ensemble un carrousel diabolique piégeant les harengs, différentes sociétés d’orques usent donc de stratagèmes collectifs pour chasser et avaler des proies qui, sans l’appui du groupe, leur échapperaient. Même lorsque leurs techniques de chasse sont solitaires, le collectif des orques n’est jamais très loin. Dans les cas les plus sophistiqués, il peut même jouer un rôle fondamental en assurant la transmission intergénérationnelle d’un savoir-faire aussi précieux que complexe. Les orques résidentes de Patagonie, pratiquant la chasse par échouage, en sont sans doute l’exemple le plus éloquent. Dans la péninsule Valdès, en Argentine, les récifs marins qui s’étirent sur des kilomètres forment une barrière infranchissable qui protège les plages locales des attaques de prédateurs marins. Les otaries en profitent pour transformer l’endroit en nurseries géantes, constituées de centaines de petits bassins naturels où leurs petits peuvent jouer, s’exercer à nager, muscler leur corps et gagner en agilité – le tout en parfaite sécurité. Toutefois, à de rares endroits, la barrière de récifs présente des failles de quelques dizaines de mètres qui laissent la plage directement accessible depuis l’océan. Chasseuses aguerries et téméraires, certaines orques s’aventurent dans ce chenal pour repérer, à l’aide de leur sonar, l’une ou l’autre jeune otarie en train d’avancer à proximité du rivage. Cachée sous la surface de l’eau, l’orque à l’affût s’approche aussi discrètement que possible puis, subitement, jaillit sur la plage pour y harponner sa proie… Partiellement échouée, l’orque profite ensuite du mouvement de reflux des vagues pour se remettre à l’eau, et regagner le large avec une jeune otarie en guise de dîner. Les orques : des vies sociales culturelles Loin d’être innée ou facile à acquérir, cette technique de chasse par échouage nécessite un apprentissage social graduel particulièrement complexe. En voici les étapes successives : une maman orque nage en compagnie de son jeune vers le rivage pour l’habituer à la sensation simultanée des cailloux et des vagues sur son corps ; une adulte supervise ensuite la jeune apprentie pour lui apprendre à s’échouer sur la plage au rythme du mouvement des vagues, histoire de pouvoir repartir vers le large sans mourir définitivement échouée sur le sable ; le même exercice de synchronisation est ensuite reproduit en y ajoutant un bouquet d’algues (ou tout autre leurre) faisant office de proie virtuelle à saisir. Enfin, pour apprendre aux jeunes à identifier une véritable proie au radar et à s’en emparer, c’est toute la famille qui forme une arène à l’intérieure de laquelle une orque adulte relâche une otarie bien vivante : les jeunes vont devoir s’échiner à comprendre ses mouvements d’esquive et à la saisir (si possible sans la tuer, car le but est de s’entraîner) en s’y reprenant autant de fois que nécessaire. L’entraînement terminé, l’otarie est finalement relâchée et s’en sort indemne, hormis qu’elle a eu la peur de sa vie.xviii A minima, il faut entre trois et cinq ans d’apprentissage à un jeune membre de la famille orque pour maîtriser cette technique de chasse en solitaire. Et comme pour les hardes d’éléphantes emmenées par une matriarche, ce sont à nouveau les femelles adultes expérimentées qui jouent un rôle crucial dans la transmission de ce savoir-faire. Par ailleurs, que ce soit par peur de quitter l’eau, parce qu’ils ne supportent pas la sensation des cailloux râpant leur corps à l’approche du rivage, ou bien encore parce Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page20 qu’elles ne parviennent tout simplement pas à effectuer les différentes étapes de cette chasse avec succès, certaines et certains jeunes orques ne vont jamais jusqu’au bout du cursus : d’après les observations humaines, sur la trentaine d’orques occupant les 150 km de plage de la péninsule Valdès, un peu moins de la moitié sont des pêcheuses par échouagexix. Qu’importe : même si elle est solitaire, la chasse par échouage mène toujours à un partage du butin. Faute de posséder des dents tranchantes, les orques de la Péninsule Valdès sont en effet incapables de lacérer et d’avaler toute seule une proie de la taille d’une jeune otarie. Dès lors, celle qui est parvenue à s’en saisir va ensuite rejoindre une autre membre de sa famille. Nageant côte à côte, les deux orques tiennent dans leur mâchoire un bout de l’infortuné bébé otarie et c’est en duo, chacune tirant de son côté, que le corps de la proie finit par se déchirer en deux. Les deux orques répètent alors cette opération de fragmentation en formant de nouveaux duos avec les autres membres de la troupe, jusqu’à ce que tout le monde ait des protéines à se mettre dans le ventre. À première vue, on pourrait être tenté d’y voir un fatalisme biologique : c’est parce qu’elles ne possèdent pas de dents tranchantes que les orques de la péninsule Valdès partagent leur butin. Mais pour peu qu’on reprenne les choses dans l’ordre chronologique, l’hypothèse d’un fatalisme biologique s’efface pour laisser place à l’esprit d’équipe : si les orques n’ont aujourd’hui plus de dents tranchantes alors qu’elles traquent pourtant de grosses proies, c’est parce que leur choix historique de vivre en société, de chasser en groupe et de se partager la nourriture a fini par rendre cette faculté biologique caduque. Autrement dit, à force de mener des vies différentes et d’entretenir des savoir-faire particuliers transmis volontairement de générations en générations, les communautés d’orques ont développé des facultés culturelles qui leur sont propres. Comme on l’a vu plus haut, il en est ainsi pour leurs manières de tisser des liens sociaux qui donnent vie à des collectifs plus imposants chez les orques résidentes et les orques de haute mer, comparativement aux orques nomades. De même, leurs techniques de chasse diffèrent pour former des savoir-faire traditionnels que chaque groupe perpétue par apprentissage social, ancrant ainsi ses membres dans des réalités culturelles qui leur sont propres. Enfin, grâce aux travaux de sciences récentes comme la bioacoustique13, on a aussi découvert que certaines familles d’orques communiquent entre elles à l’aide de dialectes qui leur sont spécifiques. Tous ces savoir-faire particuliers renforcent vraisemblablement la cohésion sociale et l’attachement sentimental à la culture partagée au sein du groupe. En tout cas, des études génétiques effectuées sur des orques nomades et résidentes montrent que ces épaulards, aux modes de vie distincts, n’ont plus partagé d’ancêtre commun depuis au moins 750.000 ans ! L’attachement culturel à des savoir-faire traditionnels crée donc des distinctions identitaires telles que certaines orques, appartenant à des communautés aux styles de vie différents, ne se reconnaissant plus comme assez proches pour se reproduire ensemble. Il en découle que la culture, et la souplesse sociale qui permet de coopérer ensemble de façon diversifiée, ne sont pas des attributs spécifiques à notre espèce. Comme la colle sociale mêlant l’empathie et l’attachement sentimental pour se lier les uns aux autres, ces facultés sont le fruit d’un héritage animal millénaire que les primates, eux aussi, ont su faire fructifier à leur manière. 13 La bioacoustique associe la biologie et l’acoustique pour enregistrer, stocker, et diffuser les sons produits par toutes sortes d’êtres vivants (animaux, végétaux et même microbes), dans le but d’analyser les réactions comportementales que ces sons engendrent et ainsi mieux comprendre les interactions sociales existantes. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page21 Nos cousins les grands singes Au terme de ces déambulations passées en compagnie des chiroptères, des pachydermes, des suricates et des orques, un constat s’impose : la vie en société dans le monde animal est bien plus complexe qu’on ne l’imagine en général. Reposant sur l’empathie, les liens familiaux et l’attachement sentimental, les communautés de mammifères sociaux créent, via les interactions sociales de leurs membres, des manières de vivre ensemble qui sont non seulement dynamiques mais également surprenantes. En nous renvoyant aux lointaines origines de facultés comme l’amitié et la solidarité, qu’on pense à tort être l’attribut exclusif des humains, elles bousculent nombre de jugements hâtifs sur nos différences supposées avec le reste du règne animal. Elles ouvrent aussi grand la porte à diverses questions philosophiques pouvant s’appliquer à notre propre espèce : comment fonctionne une organisation sociale ? ; quelles sont ses qualités et défauts potentiels ? ; sur quels ressorts se construisent les hiérarchies ? ; comment s’articulent les oppositions entre pouvoir centripète et autonomie centrifuge ? ; etc. Bien sûr, de nombreuses personnes se sont penchées et se pencheront encore sur cet abîme fascinant, bien que sans fond. Toutefois, dans la perspective de cette étude dédiée à la sociologie animale, les travaux du primatologue Frans de Waal (né en 1948) nous intéressent plus particulièrement. Par ses recherches et le succès mondial de ses publications14, ce spécialiste des primates n’a pas seulement contribué à combler le fossé imaginaire que nous nous sommes inventés – souvent à tort et à travers – pour nous distinguer du monde animal. Il a aussi souligné certaines convergences et divergences rapprochant ou opposant nos deux plus proches cousins primates : les bonobos et les chimpanzés. Pour rappel, notre ancêtre commun les a quittés il y a environ six à huit millions d’années, soit une époque où ces deux espèces ne se distinguaient pas encore l’une de l’autre (puisque leurs routes évolutives n’ont bifurqué qu’il y a environ deux millions d’années). En sondant leurs manières de vivre, on peut donc apporter un éclairage partiel sur des traits similaires que nos lointains ancêtres partageaient vraisemblablement avec eux. À l’inverse, quand chimpanzés et bonobos optent pour des manières de vivre différentes, un brouillard épais plane sur nos origines ancestrales… Notons que pour simplifier la lecture et éviter les redondances de vocabulaire, les termes bonobos et chimpanzés seront utilisés de façon isolée quand ils renvoient à des comportements spécifiques à chaque espèce ; à l’inverse, on usera de termes plus globaux comme nos proches cousins, les primates ou les grands singes pour évoquer des traits communs aux deux espèces (sans qu’on puisse toujours généraliser ce qui est dit à l’ensemble des primates). Ces précisions étant faites, nous voici prêts à tirer quelques enseignements politiques sur la manière dont les rouages sociaux, entraperçus furtivement dans cet écrit, s’appliquent aux bonobos et aux chimpanzés. 14 Les livres de Frans de Waal utilisés ici sont les suivants : Le bonobo, Dieu et nous – à la recherche de l’humanisme chez les primates, Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, et Différents (le genre vu par un primatologue) publiés – en version française – respectivement en 2015, 2018 et 2022. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page22 Vivre en mammifère : une question de genre Même si on ne l’a pas dit clairement jusqu’ici, le lecteur ou la lectrice attentive aura remarqué que la précision du genre (mâle ou femelle) a systématiquement accompagné la présentation des différentes espèces rencontrées plus haut. C’est parce que la biologie – à commencer par le fait de naître mâle ou femelle – joue un rôle important dans notre destin d’êtres vivants. Avec les chauves-souris murin de Bechstein ou les orques, nous avons notamment découvert des collectifs matriarcaux soudés par des liens familiaux, où des femelles apparentées s’associaient les unes aux autres pour veiller sur leurs bébés. Hélas pour les femelles primates, rien de tel n’est observé chez les bonobos et les chimpanzés. Pourtant, comme chez tous les mammifères, la relation des bébés avec leur maman est cruciale dans les premières années d’existence des bonobos et des chimpanzés. Ces derniers, par exemple, ne sont sevrés qu’à l’âge de quatre ans… et les femelles chimpanzées mettent un bébé au monde en moyenne tous les cinq à six ans. Cela impose évidemment aux mamans primates des soins quotidiens. Or, la tâche de ces dernières est d’autant plus ardue qu’aucune cellule familiale élargie ne vient les assister. Ni les mâles, ni les autres femelles du groupe n’apportent une aide constante et coordonnée dans les soins aux bébés et jeunes en bas âge – même si les femelles nouent des contacts et laissent leurs enfants jouer ensemble. Que ce soit chez les chimpanzés ou les bonobos, les mamans sont donc multitâches : elles doivent allaiter leur bébé et veiller à sa sécurité ; elles sont le premier être vivant avec lequel elle ou il apprend à sociabiliser ; enfin, elles doivent aussi porter leur petit accroché à leur pelage tant qu’il ou qu’elle reste trop jeune pour se déplacer toute seule. Pour assurer ces soins quotidiens, les femelles bonobos et chimpanzés ne donnent vie qu’à un seul bébé à la fois (un trait que les humaines partagent avec elles) mais restent fertiles jusqu’à la fin de leur vie (contrairement aux femmes humaines). Une fois atteint l’âge adulte, la vie des femelles bonobos et chimpanzés gravite donc en grande partie autour de l’attention qu’elles doivent accorder à leurs bébés successifs. Dans la plupart des cas, cet intérêt des femelles primates pour les bébés commence à un très jeune âge : avant même l’adolescence, elles s’intéressent de très près aux bébés des autres…xx Les femelles primates n’en sont pas pour autant réduites à un rôle de faire-valoir. Elles jouent en effet des rôles cruciaux dans la dynamique sociale de leur espèce, à commencer par l’évitement de l’inceste. A priori, les animaux n’ont pas conscience que des reproductions répétées entre proches parents pourraient entraîner des maladies, via un appauvrissement de la diversité génétique au sein de leur population. Pourtant, les animaux mettent en place des stratégies pour éviter ce problème. La première règle pour éviter l’inceste est l’exil, à l’adolescence, de l’un ou l’autre genre hors du groupe où vit son parent de sexe opposé. Dans tous les familles matriarcales (comme les hardes d’éléphantes par exemple), les femelles adultes chassent les jeunes mâles lorsque les hormones du désir sexuel commencent à leur tournebouler la tête au point de les rendre insupportables ; ces derniers quittent alors définitivement leur groupe d’origine pour vivre loin de leur maman. Cette première règle n’est cependant pas universelle. Chez les espèces où les jeunes continuent à côtoyer leur parent de l’autre sexe tout au long de l’existence, une seconde règle intervient alors par le choix des partenaires sexuels : plus sélectives que les mâles, les femelles évitent de se reproduire avec leurs fils ou des mâles adultes susceptibles d’être leur père. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page23 Nul doute que l’évitement de l’inceste existait aussi chez nos lointains ancêtres. Par contre, il est impossible de dire la manière dont il s’effectuait concrètement en raison de dynamiques sociales divergentes entre nos proches cousins : Chez les bonobos, les femelles quittent leur groupe de naissance à l’adolescence et évitent ainsi de côtoyer de trop près leur géniteur ; à l’inverse, les bonobos mâles restent tout au long de leur vie dans le même groupe social que leur maman, mais en proscrivant soigneusement tout rapport sexuelxxi. Chez les chimpanzés, les organisations sociales sont plus souples et beaucoup moins prévisibles car elles obéissent à la logique de fission-fusion. Qu’elles soient femelles ou qu’ils soient mâles, les chimpanzés forment des petits groupes mixtes – dits multimâles-multifemelles – qui se rassemblent pour certaines activités, puis se séparent et déambulent en forêt de façon disparate. Tel un accordéon, leurs communautés enflent et se dégonflent donc au gré des circonstances. D’une fusion à l’autre, de proches parents peuvent se côtoyer à l’occasion. Pour éviter l’inceste, les femelles chimpanzées « évitent de s’accoupler avec les mâles âgés parmi lesquels elles ont grandi. Elles fuient ceux qui pourraient être leur père en hurlant, mais acceptent volontiers les avances des plus jeunes. »xxii Des relations plus amicales que familiales Chez les bonobos, l’exode des femelles hors de leur groupe de naissance brise le lien familial intergénérationnel, imposant à ces dernières de tisser de nouvelles relations sociales basées sur l’amitié. La logique est différente pour les mâles bonobos qui, en restant dans leur groupe de naissance, y côtoient leurs frères éventuels et construisent une relation durable avec leur maman – ce qui ne les empêche pas de tisser d’autres relations sociales basées sur l’amitié. Côté chimpanzés, la constitution de groupes multimâles-multifemelles disparates laisse persister des relations familiales longue durée, mais ces liens de parenté ne constituent pas le centre de gravité absolu des organisations sociales établies. Bref, nos proches cousins suivent des chemins complexes et diversifiés, où le lien de parenté n’est pas le facteur exclusif de la cohésion socialexxiii. À l’image des chauves-souris vampires du Guatemala, leurs collectifs reposent également sur des affinités personnelles. Pour sociabiliser les uns avec les autres, les grands singes s’accordent du temps, de l’attention et des soins mutuels. Sans surprise, le toilettage est un incontournable partagé par les primates pour conforter ou nouer des liens sociaux. Il faut dire que ce geste apaisant est également indispensable pour se débarrasser de parasites envahissants et rester en bonne santé. Ces préférences sentimentales créent forcément des réseaux d’entente et d’entraide privilégiés au sein du groupe. On retrouve ici le principe d’inégalité hiérarchique engendrée par la générosité diffuse : les sociétés de bonobos et de chimpanzés forment des cercles relationnels où certains individus, particulièrement doués pour les interactions sociales, occupent une position plus centrale que d’autres relégués en périphérie. En réalité, cette logique hiérarchique se dédouble en fonction des sexes : les femelles primates font des différences statutaires entre elles, et les mâles en font de même de leur côté. Des leaders mâles et femelles émergent donc simultanément au sein des collectifs chimpanzés et bonobos, où la manière de gagner du prestige diffère toutefois selon le genre auquel on appartient. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page24 Chez nos proches cousins, plus une femelle vieillit, plus son aura grandit (on est donc dans une logique aux antipodes du culte de la beauté idéalisant les jeunes femmes dans nos sociétés contemporaines). Par exemple, les chimpanzés mâles adultes deviennent littéralement fous lorsqu’une femelle âgée est en période de fertilité – ce qui se voit comme le nez au milieu du visage, car son derrière enfle et rosit considérablement -, alors qu’ils boudent les jeunes femelles adolescentes à la recherche de leurs premières expériences sexuelles. Avoir des enfants est un deuxième facteur clé dans la promotion sociale des femelles, tant chez les bonobos que les chimpanzés. En effet, bien qu’il n’y ait pas de soins coordonnés au sein d’une cellule familiale élargie, les femelles qui viennent d’avoir un bébé changent provisoirement de statut. Frans de Waal évoque ainsi le cas d’une jeune maman bonobo : « Tant qu’elle était petite ou adolescente, personne ne la prenait au sérieux, et l’on n’hésitait pas à l’éloigner de la nourriture ou de l’eau. Porter un nouveau-né lui vaut immédiatement le respect et la priorité. Du jour au lendemain, elle est autorisée à manger ou boire avec les grands, du moins pendant un certain temps. Elle fait fureur, et les autres n’ont de cesse de s’asseoir à côté d’elle et de la toiletter. Dans certaines troupes de bonobos, j’ai vu de nouvelles mères avec des zones de peau à vif à cause des toilettages excessifs. »xxiv Notons que cette valorisation sociale est un atout pour l’espèce, car une maman avec un jeune bébé a besoin de nutriments de qualité pour l’allaiter convenablement. Enfin, le troisième facteur permettant à une femelle de gagner en influence – tant chez les bonobos que les chimpanzés – tient à sa personnalité : certaines femelles sont tout simplement plus douées que d’autres pour interagir socialement et consolider de multiples liens d’amitié. Au final, cette capacité à mieux sociabiliser leur confère une aura et un charisme supérieurs à d’autres femelles situées dans la même tranche d’âge. Paix et violence : une question de genre ? A priori, la promotion sociale des femelles primates repose essentiellement sur des rouages pacifiques. Qu’en est-il pour les mâles ? Si l’on se penche sur le cas des chimpanzés, ceux-ci comptent également sur la sympathie pour se faire des amis : jour après jour, des chimpanzés mâles adultes passent parfois des heures à épouiller certains membres de leur communauté ; de même, ils sont capables de cajoler les bébés pour s’attirer les bonnes grâces des mamans. En prenant ainsi soin des autres, ces chimpanzés veulent évidemment sociabiliser et se faire des amis, ce qui contribue vraisemblablement à leur bien-être psychologique. Toutefois, leur objectif ne s’arrête pas là. Comme on l’a vu avec Greg le parrain chez les éléphants mâles, les chimpanzés de sexe masculin recourent à des rituels d’intimidation que nul ne peut ignorer : pour montrer sa force personnelle, un chimpanzé mâle va secouer des branches, lancer des pierres et faire des démonstrations aussi tapageuses que possible.xxv Mais là où les pachydermes dominants imposent en général leur hégémonie volontaire sans se battre vraiment, les chimpanzés mâles ne rechignent pas aux coups bien réels. Chez eux, tôt ou tard, contester la hiérarchie établie pour gagner des places (ou inversement, défendre son statut de dominant) passe par des combats violents, opposant les mâles adultes d’une même communauté. C’est là que le recours aux alliés s’avère précieux : le mâle qui en sort victorieux n’est pas toujours le plus fort sur le plan individuel, mais celui qui a su fédérer de puissants amis pour combattre à ses côtés. Autrement dit, au-delà des prouesses musculaires de chacun, « le réseau, la personnalité, l’âge, les compétences stratégiques et les liens familiaux sont autant d’éléments qui aident chaque individu à gravir l’échelle sociale. »xxvi Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page25 Très souvent, les chimpanzés mâles qui sociabilisent avec d’autres mâles ont donc une arrièrepensée stratégique dans la tête : se faire des alliés disposés à se battre avec eux le moment venu. Les chimpanzés mâles adultes ambitieux instrumentalisent donc la générosité diffuse – ces préférences sentimentales faisant germer un système hiérarchique lié aux affinités personnelles – pour consolider leur rapport de forces face à d’autres mâles rivaux. De façon délibérée (un peu comme ces politiciens humains allant serrer des pinces lors de sorties publiques à l’approche des élections), ils usent et abusent de sociabilité amicale dans l’espoir d’imposer leur autorité et le contrôle social qui l’accompagne. Parfaitement conscients que l’union fait la force, les mâles dominant une communauté de chimpanzés vont d’ailleurs jusqu’à interrompre des soins mutuels trop intenses entre leurs subalternes – soins mutuels qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme une potentielle amorce de rébellion. Tout cela fait dire à Frans de Waal que les chimpanzés forment une société politique, où les enjeux de pouvoir sont pris très au sérieux par les mâles adultes qui ambitionnent de forger une autorité centripète.xxvii Pour y parvenir, les chimpanzés mâles déclenchent parfois des guerres civiles d’une extrême violence. Il arrive ainsi qu’un des belligérants soit battu à mort, gravement blessé ou émasculé. Comme le souligne Frans de Waal : « Nous disposons d’une douzaine de rapports qui font état de mâles de haut rang s’étripant en pleine nature pour avoir le pouvoir. Ils sont prêts à tout pour obtenir la première place : faire et défaire des alliances suivant les circonstances, se trahir, fomenter des attaques. »xxviii Comparé aux femelles, il ne fait guère de doute que l’ascension sociale des primates de sexe masculin repose sur des ressorts globalement plus violents : « Les mâles sont plus préoccupés par leur rang social ; les femelles sont plus tournées vers les êtres jeunes et les êtres vulnérables. Les mâles sont physiquement (sinon toujours socialement) dominants, plus enclins à la confrontation ouverte et à la violence ; les femelles sont plus nourricières et se consacrent à leur progéniture. »xxix Notons que ce fait biologique n’a absolument rien de dévalorisant pour les mamans, ni pour les femmes en général. Bien au contraire ! Pour nombre d’éthologues dont Frans de Waal fait partie, « c’est justement parce que les soins maternels des mammifères sont si importants et si universels qu’ils ont sans doute été le creuset de l’évolution de l’intelligence sociale. »xxx En développant avec leurs bébés diverses facultés, comme l’empathie et les liens affectifs notamment, les femelles mammifères ont à leur tour favorisé l’apparition d’autres atouts évolutifs comme la coopération ou le langage, par exemple. Autrement dit, nous serions toutes et tous beaucoup plus idiots sans le rôle-clé, joué durant des centaines de millions d’années, par les mamans mammifères s’occupant avec amour et dévotion de leurs bébés ! Quant à celles et ceux qui voudraient en conclure un peu vite que le matriarcat rime avec un monde sans rapports de forces, les organisations animales dirigées par des femelles autoritaires – comme les familles suricates où la femelle dominante prononce parfois des sentences d’exclusion ou de mort au sein de son groupe – invitent à la prudence. Pris dans son ensemble, le monde animal est avant tout diversifié. Dès lors, aucun sexe ou genre n’a le monopole de la violence même si, chez les grands singes, on constate effectivement plus d’agressivité chez les mâles. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page26 Les bonobos : une société matriarcale Les femelles bonobos sont animées par un esprit de sororité inébranlable : dès qu’un mâle cherche à intimider une femelle, celles-ci s’unissent de concert pour le rappeler à l’ordre. Fortes de cette solidarité collective, les femelles bonobos parviennent à compenser le handicap de leur taille – légèrement plus menue que celle des mâles – pour prendre le dessus et dominer ces derniers. Loin de n’être qu’un simple mécanisme d’auto-défense, cette union des femelles bonobos vire parfois à l’hégémonie autoritaire. Au besoin, elles n’hésitent pas à s’unir pour donner une raclée à un mâle outrepassant ses droits, c’est-à-dire ne respectant pas la prééminence des femelles. Cette violence peut aller jusqu’à l’émasculation, et visera prioritairement des mâles peu charismatiques jugés moins sympathiques et moins attirants par les femelles bonobos.xxxi Pour s’éviter une telle déconfiture, les mâles bonobos peuvent compter sur un lien solidaire indéfectible parmi les femelles du groupe où ils vivent : le soutien de leur maman. Comme l’explique Frans de Waal, ce lien familial est en quelque sorte la bouée de sauvetage des mâles bonobos pour éviter une cinglante correction : « Les mâles sont des fils à maman qui comptent sur la protection maternelle. Dans la nature, un bonobo s’assure toujours que sa mère reste dans son champ de vision, parce que sa présence dissuade les autres femelles de se retourner contre lui. »xxxii De même, les zoos ont appris à ne plus séparer les mamans bonobos de leurs fils. Cela évite à ces derniers d’être malmenés dans les communautés bonobos maintenues en captivité où, esseulés, les mâles servent de boucsémissaires et liguent, à leur dépens, les femelles du groupe qui gagne ainsi en cohésion sociale. Chez les bonobos, le lien mère-fils fonctionne donc comme une sorte de contre-pouvoir. Cet attachement familial empêche une hégémonie trop autoritaire des femelles soudées par leur esprit de sororité. Si l’alliance matriarcale contre les mâles peut tourner à l’abus de pouvoir, il arrive aussi que les femelles bonobos se battent entre elles – sans toutefois jamais atteindre le degré de violence maintes fois observé chez les mâles chimpanzés. On retrouve ici l’ambivalence tapie au sein de nombreux collectifs où les réseaux d’entraide préférentiels – ici, l’esprit de sororité régnant entre femelles bonobos – peuvent donner lieu à des rapports de forces arbitraires. Autrement dit, même si les mâles primates sont globalement plus violents que les femelles, la logique matriarcale des sociétés de bonobos n’est pas exempte de discriminations résultant de l’alliance tissée entre femelles. Comme l’écrit Frans de Waal : « Toute hiérarchie implique une forme de coercition, que ce soit chez les femelles ou chez les mâles. »xxxiii De ce détour par la biologie, c’est-à-dire la manière dont nos corps sont façonnés, on peut conclure que des caractéristiques comme le genre et l’espèce affectent les comportements de nos proches cousins. Par ailleurs, si les femelles font la loi chez les bonobos, les chimpanzés obéissent plutôt à une logique patriarcale. Évidemment, cette divergence entre les deux espèces laisse planer un point d’interrogation géant quant à nos propres origines : quelle place occupait respectivement les hommes et les femmes dans les premières sociétés humaines ? À cette question, l’éthologie ne fournit aucune réponse. Par contre, la dynamique sociale des femelles bonobos et des mâles chimpanzés montre que l’adage « ensemble, on est plus forts » est en place depuis des millions d’années, c’est-à-dire bien avant que notre espèce ne pointe le bout de son nez d’Homo sapiens. Enfin, si les sociétés matriarcales de bonobos sont assurément plus pacifiques que les communautés patriarcales de chimpanzés, le genre qui domine chacune de ces sociétés n’est qu’un facteur explicatif Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page27 parmi d’autres. L’écologie a aussi son mot à dire, comme le prouve la diversité des manières de vivre des chimpanzés selon les milieux dans lesquels ils évoluent. Bonobos et chimpanzés : influences écologiques On l’a déjà remarqué en compagnie de Greg le parrain : l’hégémonie autoritaire d’un éléphant mâle dépend pour partie des ressources disponibles. Lorsque celles-ci sont rares et que tout le monde est obligé de fréquenter le même point d’eau, les mâles pachydermes acceptent les rapports de forces établis entre eux pour décider qui a la priorité sur qui – obéissant ainsi à la logique de l’autorité centripète. À l’inverse, lorsque les pluies abondantes démultiplient les sources où s’abreuver, Greg le parrain a beau sonner le rassemblement en demandant qu’on le suive, ses alter ego l’ignorent pour vaquer tranquillement à leurs affaires – ouvrant la voie à l’autonomie centrifuge. Cette influence de l’habitat sur les comportements imprègne également la vie sociale des primates, sans qu’on sache toujours en déterminer les causes précises. Ainsi, à l’état sauvage, nos plus proches cousins vivent tous dans des forêts africaines. Si la localisation des bonobos est plutôt restreinte (les forêts de la République Démocratique du Congo), celle des chimpanzés est beaucoup plus large. On les retrouve dispersés sur une vaste aire géographique allant de pays situés à l’ouest de l’Afrique (Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée) en passant par des pays plus centraux (Cameroun et Gabon notamment) pour terminer dans la partie est du continent (Soudan, Ouganda, Tanzanie). Pour compliquer les choses, tous les chimpanzés sont loin d’être connus de la même façon. Par le passé, deux régions notamment ont fait l’objet de recherches particulièrement poussées : dans les années 1960, la primatologue Jane Goodall (née en 1934) a étudié de près les chimpanzés vivant dans la forêt bordant le lac Tanganyika en Tanzanie, donc à l’est de l’Afrique ; à partir de la seconde moitié des années 1970, le primatologue Christophe Boesch (né en 1951) a longuement suivi les chimpanzés habitant la forêt du parc national de Taï en Côte d’Ivoire, donc à l’ouest de l’Afrique. Menées de façon séparée, ces deux séquences d’observations ont conduit a posteriori à un résultat remarquable : la dynamique sociale des chimpanzés de Tanzanie (qu’on nommera ici les chimpanzés de l’Est) diffère de celle des chimpanzés de Côte d’Ivoire (qu’on nommera ici les chimpanzés de l’Ouest). D’après Frans de Waal, les chimpanzés de l’Ouest forment des sociétés globalement plus coopératives et moins violentes que leur alter ego d’Afrique de l’Est, où les tensions sont beaucoup plus fréquentesxxxiv. Un constat qui semble valable à tous niveaux : rivalités entre mâles d’un même groupe, interactions sociales des mâles avec les femelles, et enfin conflits territoriaux opposant les chimpanzés de communautés différentes. Quel que soit le cas de figure envisagé, les chimpanzés mâles habitant l’Est de l’Afrique se montrent plus souvent agressifs et virulents que leurs alter ego d’Afrique de l’Ouest.xxxv Pour prendre l’exemple des rapports aux frontières, c’est-à-dire entre chimpanzés s’identifiant à des groupes différents, ceux-ci sont particulièrement virulents. La guerre y est souvent totale et sans merci. C’est notamment le cas chez les chimpanzés de l’Ouest où, observant des combats entre mâles appartenant à des communautés différentes, Christophe Boesch pouvait entendre les os craquer lorsque les protagonistes se mordaient l’un l’autre !xxxvi Malheureusement, les chimpanzés de Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page28 l’Est sont capables d’aller encore plus loin en pratiquant l’éradication collective de concurrents étrangers. En 1979, Jane Goodall fut ainsi témoin de l’anéantissement systématique d’une communauté de chimpanzés de l’Est par une autre ! Publié en 2014 dans la revue scientifique Nature, un article recensait un total de 152 attaques mortelles impliquant dix-huit communautés différentes de chimpanzés (dont une minorité était à l’origine des conflits) : « Les agresseurs étaient des mâles à 92%, les victimes à 73%, et la majorité des incidents (66%) étaient territoriaux. »xxxvii xxxviii. Grâce à cette solidarité liée au fait de se déplacer ensemble, les femelles de l’Ouest parviennent généralement à éviter les rapports sexuels contraints, dont sont parfois victimes leurs consœurs vivant dans les zones forestières d’Afrique de l’Est. Même si elles sont lacunaires, ces statistiques laissent entrevoir une violence mortelle impliquant prioritairement des mâles s’en prenant à d’autres mâles, dont une majorité sont issus de communautés étrangères. Nos cousins les chimpanzés sont donc extrêmement belliqueux avec leurs voisins… Ce qui n’est pas sans rappeler la cruauté de nos conflits géopolitiques humains. Quant aux voisines chimpanzées, moinssouvent victimes de violence criminelle, elles n’en sont pas pour autant épargnées. Ainsi, les chimpanzés mâles de l’Est n’hésitent pas à malmener des femelles avec lesquelles ils veulent copuler. Or, ces dernières se tiennent souvent à l’écart de la troupe et n’ont pas l’occasion de former des alliances matriarcales durables pour se protéger de cette violence masculine. Dès lors, personne ne leur vient en aide lorsqu’elles sont brutalisées par des mâles morphologiquement plus puissants. À l’Ouest, les femelles chimpanzées « passent plus de temps entre elles et finissent par former des blocs d’intérêts communs qui freinent les tactiques brutales des mâles » Les raisons permettant d’expliquer l’influence de l’écologie sur les mœurs des chimpanzés restent hypothétiques : « Il est possible que les chimpanzés de l’Ouest aient un niveau de coopération plus élevé parce que la présence de léopards dans la forêt les oblige à se défendre collectivement »xxxix, sachant que les léopards sont des prédateurs capables de grimper aux arbres. Il se pourrait aussi que la répartition des ressources alimentaires dans les forêts de Côte d’Ivoire autorise davantage de cohésion, et donc moins de fission-fusion, que dans les forêts en bordure du lac Tanganyika. En effet, c’est la dispersion des nutriments disponibles qui impose souvent aux chimpanzés de scinder leur collectif pour former des petites troupes distinctes, voire même d’effectuer de longues randonnées en solitaire. L’intensité des guerres territoriales pourrait aussi s’expliquer par une compétition plus forte pour des ressources rares, ne laissant ainsi pas vraiment le choix aux principaux protagonistes de ces conflits15 ? À l’inverse, l’habitat forestier des bonobos contient d’énormes arbres fruitiers et d’abondantes herbes nutritives qui leur permettent de rester ensemble de façon permanente, sans avoir à se soucier du manque de denrées à se mettre sous la dent.xl 15 Un argument plaide en ce sens. Il s’agit des conditions de vie dans les zoos. Ces lieux carcéraux fonctionnent en effet comme des territoires aux ressources suffisantes, mais très limitées dans le temps : la distribution de nourriture s’y fait à intervalles réguliers, produisant alors des moments intenses de concurrence (et de logique hiérarchique) pour accéder prioritairement aux ressources distribuées. Par ailleurs, les animaux rassemblés ne le sont pas selon des logiques affinitaires ou familiales, mais résultent du choix imposé par les institutions humaines. Comme le rappelle la philosophe Vinciane Despret, ces contraintes imposées de l’extérieur ont tendance à conforter des organisations sociales rigides où « le manque de place et de nourriture provoque immanquablement des conflits entre des singes qui ne se connaissent pas et qui sont regroupés dans un groupe social dont la structure est en quelque sorte déterminée par le dispositif même de la captivité. » [Vinciane Despret, 2014, p.79]. Dans la foulée de cette réflexion, Vinciane Despret ajoute que cette vie carcérale sert souvent de prétexte, chez des théoriciens peu scrupuleux, pour généraliser l’existence d’un modèle hiérarchique monochrome où n’existeraient que des rapports de forces imposés par les mâles. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page29 Quoi qu’il en soit, on constate chez nos proches cousins d’étroites interactions entre la biologie (la manière dont les corps sont faits), le type d’habitat forestier (sans qu’on en comprenne vraiment tous les tenants et aboutissants) et la manière de nouer des liens sociaux. Par ailleurs, même confrontés à des contraintes qu’ils ne choisissent pas, bonobos et chimpanzés n’en sont pas pour autant des êtres passifs et impuissants. Ils développent en effet des stratégies volontaristes pour maintenir une certaine cohésion sociale entre eux. Réconciliation et justice en mode chimpanzés Aussi violentes que soient les batailles rangées et les agressions chez les chimpanzés, ces derniers savent aussi se réconcilier lorsque des conflits opposent les membres d’une même communauté : « Si le combat éclate, les primates réagissent comme l’araignée quand la toile se déchire : ils passent en mode ‘‘réparation’’. Le moteur de la réconciliation est l’importance des relations sociales. Comme l’attestent des études menées sur les espèces les plus diverses, plus deux individus sont proches, plus ils font des choses ensemble, et plus il est probable qu’ils se réconcilieront après une agression. »xli Tout comme la matriarche éléphante, ce sont les individus de haut rang qui contribuent souvent à calmer le jeu. Ainsi, quand deux chimpanzés mâles rivaux sortent d’un combat avec trop de ressentiments pour se rabibocher de façon spontanée, ce sont les femelles les plus âgées qui prennent le relais pour apaiser les tensions : « Une tierce partie peut amener des combattants mâles à se réconcilier après une dispute. Notons qu’il s’agit toujours de femelles, et uniquement de très haut rang. Elles interviennent quand deux mâles rivaux n’arrivent pas à se réconcilier. Ces adversaires peuvent être assis l’un près de l’autre en évitant de se regarder : aucun des deux ne veut ou ne peut faire le premier pas. Si un troisième mâle approchait, même pour rétablir la paix, il serait perçu comme partie prenante du conflit. Les chimpanzés mâles forment continuellement des alliances ; leur présence n’est jamais neutre. C’est là que les femelles âgées interviennent […]. »xlii Fortes de leur statut social, ces femelles respectées cherchent à désarmer les belligérants quand, en guise d’arme, ils tiennent encore une lourde pierre à la main. Elles peuvent aussi les rapprocher physiquement, en les tirant l’un vers l’autre par le bras malgré leurs réticences. Les femelles dominantes « le font même si elles ne sont pas directement concernées et auraient pu aisément rester spectatrices », poussant Frans de Waal à constater que « les chimpanzés améliorent donc le climat social autour d’eux en encourageant la paix non seulement pour eux, mais aussi pour tous les autres. »xliii Après l’évitement de relations consanguines, nous voici en présence d’un autre rôle social fondamental joué par les femelles dans la société chimpanzée : apaiser les rancœurs belliqueuses des mâles. Chemin faisant, nous découvrons aussi une qualité essentielle à la personnalité des femelles leadeuses : quand c’est nécessaire, leur capacité à facilement sociabiliser doit pouvoir être mise au service de l’intérêt général. Il en est de même pour le mâle (ou l’alliance de mâles) dominant une communauté de chimpanzés. Pleins de fougue, les jeunes chimpanzés jouent énormément ensemble. Emportés par leur élan, il leur Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page30 arrive de passer du jeu à la dispute, risquant alors d’entraîner un conflit ouvert entre adultes si, d’aventure, les mamans décident de s’en mêler. En effet, les femelles chimpanzées sont terriblement partisanes quand il est question de leur enfant. Chaque mère défendra becs et ongles sa progéniture, avec le risque de dégénérer en bagarre collective si les réseaux sociaux de chacune d’elles décident de leur venir en aide. Pour autant qu’il dispose de la personnalité adéquate en étant capable de mettre ses propres sentiments de côté, le mâle dominant la communauté joue alors un rôle essentiel de gardien de la paix. D’un grognement autoritaire, sans prendre parti pour l’un ou l’autre camp, il ramène au plus vite les jeunes querelleurs à la raison et préserve ainsi l’harmonie au sein du groupe : « Les primates favorisent généralement leurs parents, amis et alliés, sauf quand il s’agit d’exercer ce rôle de contrôle, auquel cas ils se tiennent au-dessus de la mêlée, sans prendre parti. Leurs interventions visent davantage à rétablir la paix qu’à aider des amis ou parents. S’ils soutiennent un camp face à un autre, leur choix ne correspond pas toujours à leurs préférences sociales. Dans ces cas-là, ils protègent par exemple les faibles contre les forts, une femelle contre un mâle ou un jeune contre un adulte. Le mâle qui assume ce rôle est le seul membre impartial de sa communauté. »xliv À une question posée plus haut (quels sortent de bienfaits les membres marginaux d’un groupe attendent-ils de leur maintien dans cette communauté ?), nous voici avec un nouvel élément de réponse pour le moins étonnant : la justice. Même si c’est de façon beaucoup plus ambivalente que la matriarche éléphante (laquelle n’est jamais autoritaire), les chimpanzés situés au sommet de la hiérarchie sociale assument également une responsabilité importante : occulter provisoirement leurs préférences sentimentales en mettant leur autorité au service du groupe lorsque des tensions germent en interne. Certes, il s’agit alors de dissensions n’ayant rien à voir avec leur propre statut (auquel cas ils seraient les premiers à entrer dans la bagarre). Toujours est-il qu’ils peuvent court-circuiter des alliances majoritaires, voire leurs propres préférences personnelles, pour prendre la défense d’individus marginaux ou plus faibles. Évidemment, cela suppose que le leader en place dispose d’une personnalité capable de prendre en compte l’intérêt général – ce qui n’est pas toujours le cas. Toutefois, lorsque le leader sait se hisser au-dessus de la mêlée pour défendre l’intérêt général, il justifie son statut et son autorité aux yeux du groupe. Et même si ce n’est pas son but, il nous offre également un solide argument démocratique – et paradoxalement égalitaire – en faveur de l’existence d’une autorité centrale : celleci peut rendre justice en redressant, à l’avantage des plus faibles, certaines inégalités générées par la générosité diffusexlv ! Entraide et sens de l’équité chez les grands singes Le sens de la justice, chez les chimpanzés, ne consiste pas seulement à tout attendre d’un leader vertueux. Ils peuvent eux-mêmes se montrer généreux avec des proches ou des étrangers en position de faiblesse. Attestés aussi bien en zoo que dans la vie sauvage, des chimpanzés adultes viennent parfois spontanément en aide à d’autres membres de leur espèce. Un altruisme qui émane aussi bien de chimpanzés mâles et femelles, comment en témoignent ces exemples nullement exhaustifs : lors de ses études de terrain dans les années 1960, Jane Goodall a vu la fille de Madame Bee, une chimpanzée sauvage devenue trop vieille pour grimper en haut des arbres fruitiers, attendre patiemment que sa fille en redescende avec suffisamment de fruits à se partager pour qu’elles puissent manger ensemble.xlvi Des comportements similaires ont été observés, Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page31 notamment dans des zoos, où de jeunes chimpanzées rapportent parfois de l’eau ou de quoi manger à de vieilles amies peu mobiles et non apparentées ; en forêt, il arrive aussi que des chimpanzés mâles adultes recueillent de jeunes chimpanzés devenus orphelins, souvent suite au meurtre de leur maman par des humains. Ces chimpanzés mâles s’en occupent alors comme s’il s’agissait de leur enfant en partageant leur nourriture, en les accueillant dans leur nid, et en veillant constamment sur eux. Un processus d’adoption qui fait dire à Frans de Waal : « Il est clair que les chimpanzés mâles possèdent un potentiel paternel bien développé, même s’il s’exprime rarement. »xlvii Au-delà de ces actes généreux individuels, les chimpanzés membres d’une même communauté partagent également un certain idéal quant à la bonne manière de vivre en société. Des exemples concrets de ce sens avéré de ce qui juste ou injuste ont été maintes fois observés, notamment lors d’expérimentations scientifiques imposées à des animaux sociables détenus dans des zoos. Avec sa collègue Sarah Brosnan, Frans de Waal a ainsi testé la capacité de différents primates à évaluer quand ils étaient victimes de discriminations injustifiées. Menées sur des animaux en captivité, l’expérience consistait à fournir une même tâche à deux singes capucins bruns qui pouvaient par ailleurs s’observer mutuellement du fait qu’ils étaient enfermés côte à côte : « Après une tâche, nous les récompensions l’un et l’autre par des tranches de concombre et des grains de raisin – nous avions déjà établi qu’ils préféraient tous le raisin. Les singes ne faisaient aucun problème s’ils recevaient des récompenses identiques, même si les deux obtenaient du concombre. En revanche, si l’un recevait du concombre et l’autre du raisin, ils s’opposaient farouchement à cette inégalité des résultats. Le singe qui ne recevait que du concombre mangeait sa première tranche avec plaisir, mais faisait une scène terrible dès qu’il remarquait que son compagnon obtenait du raisin. Il jetait à terre son légume dérisoire et secouait avec tant de force la cage de test qu’on craignait fort qu’il ne la brise. »xlviii Des expériences semblables, menées par Sarah Brosnan avec des grands singes, montrent que ces derniers peuvent aller plus loin encore dans une vision communautaire de la justice : « Sarah a constaté que les chimpanzés protestent parfois contre une inégalité dans l’autre sens. Ils ne sont pas d’accord non seulement quand ils obtiennent moins que l’autre, mais aussi quand ils obtiennent plus. Ceux qui reçoivent du raisin peuvent refuser d’être avantagés ! »xlix Il y a donc bien une éthique partagée, par nos proches cousins, sur ce qui juste ou injuste au sein de leur société. Pour rester avec les chimpanzés, ceux-ci partagent une règle tacite quel que soit leur rang social : « Si tu tiens quelque chose dans tes mains ou si tu l’as dans la bouche, cela t’appartient, même si ton statut est inférieur. Cependant, avant la prise en main, lorsque deux individus approchent d’un aliment, le dominant a la priorité. »l Et Frans de Waal de préciser qu’en général « les chimpanzés et les bonobos respectent mutuellement leurs possessions, si bien que le mâle le plus haut placé peut avoir à quémander ses aliments. Il est rare qu’un dominant s’empare de la nourriture d’un autre par la force, et les violations du code se heurtent à une résistance acharnée. »li De même, lors d’une traque collective impliquant un partage des rôles (avec des rabatteurs et des chasseurs placés en embuscade), le chimpanzé qui attrape une proie ne se la réserve pas pour lui seul. Il alerte au contraire le reste de la troupe en poussant des hurlements spécifiques – nommés « houts » – pour dire qu’il y a de la viande à se partager. Cela crée alors « un grand rassemblement de mâles, de femelles et de jeunes où l’on se bouscule pour être bien placé. […] Le partage semble plus favorable aux Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page32 chasseurs qu’aux retardataires – même le mâle alpha peut repartir les mains vides s’il n’a pas participé. »lii Tout comme les orques, les chimpanzés partagent donc les fruits de leur coopération collective. Un trait qui caractérise en fait toutes les espèces animales qui coordonnent leurs efforts pour trouver de quoi mangerliii, même si certaines sociétés poussent plus loin que d’autres la solidarité. Au niveau des espèces, les bonobos sont plus coopératifs et solidaires que leurs cousins chimpanzés. Mais ces derniers expriment également différentes tendances. Ainsi, les chimpanzés de l’Ouest vivant dans la savane au Sénégal vont jusqu’à se partager des végétaux comestibles, comme des fruits de baobab ne nécessitant pourtant aucun effort collectif pour être cueillis. Ils sont également les premiers chez qui on a observé le partage d’outilsliv. L’usage d’outils : une faculté animale La fabrication et l’utilisation d’outils est un savoir-faire que nous avons (trop) longtemps considéré comme un trait singulier de notre espèce. Pourtant, dès les années 1960, la primatologue Jane Goodall assista à la scène suivante : après s’être saisi d’une brindille, l’avoir dépouillée de ses feuilles et avoir formé une baguette, un chimpanzé baptisé David Greybeard (en raison de sa barbichette argentée) l’enfonce dans un monticule de terre rouge. Sur l’instant, tandis que David Greybeard patiente en tenant sa baguette enfoncée dans le sol, Jane Goodall ne comprend pas que ce monticule est une termitière. Son Eurêka ! tombe quelques instants plus tard, alors que David Greybard extrait du sol sa baguette couverte de dizaines d’insectes qu’il gobe les uns après les autres. À l’époque, cette découverte stupéfia la communauté scientifique… persuadée qu’une telle prouesse technique (confectionner et utiliser des outils) était l’apanage exclusif des humains16. Pire : certains chercheurs masculins n’hésitèrent pas à surfer sur la culture patriarcale de leur temps pour mettre en doute les compétences de Jane Goodall, le fait qu’elle soit une femme étant à leurs yeux un argument suffisant pour contester un résultat par trop surprenant ! Toutefois, les recherches ultérieures ont donné raison à cette pionnière de l’observation méticuleuse des primates. De nos jours, les exemples d’animaux usant d’outils sont attestés notamment chez des oiseaux (chardonnerets et corbeaux), des crocodiliens (alligators et crocodiles), des céphalopodes (certaines espèces de pieuvres) ainsi que divers mammifères (éléphants, loutres de mer, blaireaux à miel ou ratels) dont plusieurs espèces de primates (macaques, singes capucins, etc.)17. Bien entendu, nos cousins chimpanzés sont de la partie. 16 Notons que c’est aussi dans les années 1960 qu’on découvre des fossiles, remontant environ à deux millions d’années, accompagnés d’outils en pierre taillée. Il n’en fallut pas plus soulever un enthousiasme délirant dans la communauté des paléoanthropologues affirmant qu’on tenait là le premier être vivant à avoir été capable d’utiliser des outils. Bien entendu, il s’agissait de l’un de nos lointains ancêtres qu’on nomma fièrement (mais présomptueusement) Homo habilis. 17 Placés devant un tube transparent trop fin pour y glisser leur bec mais contenant de la nourriture, les corbeaux sont notamment capables des prouesses suivantes : si la nourriture au fond du tube est un objet flottant comme une cacahuète, les corbeaux vont chercher de l’eau pour en remplir le tube et faire remonter la cacahuète à portée de bec ; si la nourriture est cachée au fond d’un petit seau muni d’une mini-anse, les corbeaux utilisent leur bec pour recourber un fil de fer, en saisir l’autre extrémité, et enfoncer le crochet dans le tube transparent pour attraper et remonter le mini-seau pour accéder au contenu. Agacés par les insectes virevoltant autour d’eux, les éléphants utilisent parfois des branches en guise de chassemouches tandis que certaines pieuvres utilisent des objets (comme des coquilles de noix de coco coupées en deux, par exemple) pour se cacher et se constituer un abri. Quant aux alligators et crocodiles lorgnant sur des proies appétissantes comme les hérons ou d’autres échassiers, ils rusent pour les attirer à proximité de leur mâchoire en tenant en équilibre, sur leur museau, de grands morceaux de bois qui ont l’air de flotter tout seul sur l’eau. Quand l’oiseau leurré vient s’y poser pour Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page33 Pour ces omnivores au régime alimentaire varié (fruits, insectes, viande…), l’usage d’outils est crucial. Cela leur permet de diversifier leurs sources de nourriture qui varient au gré des saisons, et sont par ailleurs dispersées dans un vaste espace tridimensionnel composé du sous-sol, du sol et des arbreslv. D’après les recensements effectués, les chimpanzés utilisent ainsi de quinze à vingt-cinq outils différents selon le milieu écologique qu’ils habitent, selon les nutriments qu’ils convoitent mais aussi… selon le groupe spécifique dans lequel ils vivent. Dans la savane, pour attraper leurs proies (comme des petits singes) réfugiées hors de portée de leurs mains dans le creux d’un arbre, certaines communautés de chimpanzés usent par exemple de bâtons pointus en guise de harpons. En Afrique de l’Ouest, les chimpanzés sont connus pour faire usage de pierres judicieusement choisies en guise de casse-noix. Quant aux chimpanzés du Gabon, ils pillent les nids d’abeilles en maîtrisant successivement cinq outils différents : « un pilon (un bâton lourd pour forcer l’entrée de la ruche), un perforateur (un bâton pour forer le sol et accéder au miel), un élargisseur (pour agrandir l’ouverture par un mouvement latéral), un collecteur (un bâton dont le bout a été effiloché afin de tremper le miel et de le retirer) et des cuillères (des bandes d’écorce pour ramasser le miel). L’opération est compliquée, puisque les chimpanzés préparent et transportent les outils jusqu’à la ruche avant de commencer le gros du travail, et doivent garder ces instruments à proximité jusqu’au moment où l’assaut agressif des abeilles les oblige à fuir. »lvi Cette technique de chasse au miel requiert donc un sens de la planification où les chimpanzés du Gabon, pour se servir de leurs outils, doivent « anticiper et planifier plusieurs étapes, ce qui correspond exactement au type d’organisation des activités souvent souligné chez nos ancêtres humains »lvii. La même faculté d’anticipation est de mise chez des femelles chimpanzées vivant en République Démocratique du Congo : « Lorsqu’elles ‘‘pêchent’’ des termites, elles réagissent aux supplications de leurs petits en leur tendant un outil ou en leur permettant de leur en prendre un des mains. Mais tous les bâtons ou brindilles ramassés au hasard n’ont pas la bonne forme ni la bonne longueur pour extraire les insectes. Ceux qu’elles sélectionnent sont les plus efficaces. Ainsi, plutôt que de laisser leurs petits se débrouiller, elles leur montrent comment s’y prendre. Elles anticipent leurs demandes en apportant avec elles plusieurs outils supplémentaires. Cela suppose une forme de recul – l’aptitude d’un individu compétent à apprécier l’incompétence d’un autre »lviii afin de lui transmettre volontairement son savoir-faire. On retrouve ici et la notion d’apprentissage social, et la volonté de transmettre d’une génération à l’autre un savoir-faire lié à l’expérience. Soit deux facultés que nous avons déjà rencontrées en compagnie des matriarches éléphantes et des communautés d’orques. Les chimpanzés développent eux aussi de précieux savoir-faire qu’ils transmettent de façon volontaire aux générations à venir. Autrement dit, par-delà les contraintes imposées par la biologie des corps et la configuration de leur habitat écologique, les chimpanzés font preuve de souplesse sociale. Cela leur permet – pour le meilleur, mais aussi parfois le pire – de développer des traditions culturelles spécifiques. sectionner une petite branche destinée à fabriquer son nid, le tronc prend soudain vie et croque l’oiseau ! Source : Frans de Waal, Sommes-nous trop ‘‘bêtes’’ pour comprendre l’intelligence des animaux ?, 2018, pages 105 à 128. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page34 Les chimpanzés : des communautés culturelles riches de savoir-faire traditionnels L’aspect culturel dans la fabrication et l’utilisation d’outils chez les chimpanzés ne fait guère de doute. Entamée en 2010 par l’Institut Max Planck (Allemagne), une étude sur les chimpanzés cultivés en atteste. Après avoir suivi dix communautés de chimpanzés sur plus de quarante sites de recherche, les scientifiques ont découvert pas moins de trente-huit techniques différentes pour pêcher des termites cachées dans le sol : « Non seulement chaque communauté a une façon très unique de pêcher, mais elle combine également un certain nombre d’éléments différents dans des protocoles spécifiques pour la pêche aux termites » lix. Cela va des outils utilisés aux manières de prendre son mal en patience avant de relever la « canne à pêche » pleine de termites : « Les chimpanzés Wonga Wongue du Gabon se couchent généralement sur le côté, tandis que les chimpanzés Korup au Cameroun s’appuient sur leurs coudes, et ceux de Goualougo dans la République du Congo s’assoient pendant la pêche. »lx Ces différences de comportement ne doivent rien au hasard, mais sont liées à la manière dont les chimpanzés – et plus généralement l’ensemble des primates – aiment apprendre des choses. Vivant dans des organisations sociales où l’attachement sentimental et l’expérience comptent énormément, les jeunes apprennent par mimétisme en prenant pour modèle les membres du groupe dont elles et ils se sentent proches, ou qu’ils et qu’elles admirent. Les réseaux d’apprentissage sont donc liés à des choix affectifs, où l’on imite prioritairement les membres de sa troupe. Il en découle fort logiquement des us et coutumes propres à chaque communauté qui entraînent, au fil des générations, la création de traditions culturelles spécifiques. Si l’ensemble du collectif hérite des traditions façonnées par les générations précédentes, tous les membres n’ont pas la même influence sur l’évolution potentielle des normes en vigueur. Deux facteurs cruciaux interviennent à ce propos. Le premier de ces facteurs est l’appartenance à un genre : les jeunes femelles primates passent beaucoup de temps à observer et imiter les comportements de leur maman, quand les jeunes mâles préfèrent souvent suivre l’exemple de mâles plus âgés qui acceptent de passer du temps avec euxlxi. L’apprentissage social est donc lié au genre, accordant ainsi un rôle crucial aussi bien aux femelles qu’aux mâles. À force d’observer leurs aînés et aînées plus expérimentées, les jeunes des deux sexes découvrent aussi bien la manière de se conduire en société que les facultés à développer pour gagner en autonomie. Toutefois, les mères transmettent également à leurs filles un savoir-faire qui reste terra incognita pour la plupart des mâles : savoir prendre soin d’un bébé. Et la chose n’a rien d’inné : « Les singes qui grandissent sans être entourés de mères ayant des nourrissons négligent plus tard leurs premiers-nés. Ils ne savent pas quoi en faire et n’ont même pas le réflexe de les prendre dans leurs bras. »lxii Pour éviter ce problème, les zoos veillent de nos jours à introduire au moins « une femelle dotée d’une solide expérience de maternité » parmi de jeunes mamans primates n’ayant connu que la captivité, sans quoi les compétences maternelles leur feront défaut. Pris de court par le passé, certains zoos ont même sollicité des mamans humaines, pour donner le sein à leur bébé devant un public de jeunes chimpanzées inexpérimentées, afin que ces dernières apprennent à allaiter leur propre nourrisson ! Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page35 Le second facteur intervenant dans l’apprentissage social des primates est le fait de prendre pour modèle « les membres importants de leur communauté et non ceux qui sont au bas de l’échelle. »lxiii Cet attrait pour les individus dominants, jugés plus charismatiques, a maintes fois été confirmé par des expériences menées sur différentes espèces de singes détenus en captivité. Parmi les nombreux exemples cités par Frans de Waal, épinglons notamment le cas suivant : « Dans le cadre d’une étude, nous avons enseigné un comportement précis à deux femelles d’un groupe de chimpanzés, l’une de rang élevé, l’autre de rang inférieur. Ces femelles étaient récompensées chaque fois qu’elles laissaient tomber un jeton en plastique dans une boîte. Chacune avait sa boîte, identifiée par un marquage spécifique. Dans un deuxième temps, elles se sont exécutées en présence du reste de la colonie. Toutes deux avaient beau être aussi faciles à suivre l’une que l’autre, les chimpanzés ont fait comme s’ils n’en avaient observé qu’une seule : celle de haut rang. Tous ou presque ont mis leurs jetons dans la boîte de la femelle supérieure, ignorant celle de l’autre. »lxiv Les réseaux d’apprentissage chez les primates sont donc liés à des choix affectifs, mais où l’on imite prioritairement les membres du même sexe ainsi que les individus les plus illustres de sa troupe. L’élite est donc une source d’inspiration prioritaire, et un modèle de référence pour le plus grand nombre. Cette fascination pour les individus disposant d’un statut social élevé est donc plus ancienne que notre propre espèce… qui ne déroge nullement à cette règle du conformisme primate en idéalisant, par exemple, la vie de personnalités richissimes considérées comme le modèle ultime de la réussite sociale. Pour Frans de Waal, c’est aussi l’une des raisons qui motive les désirs d’ascension sociale : « Tous les primates sont conformistes. Et ils ne se contentent pas d’imiter ; ils aiment aussi être celui que l’on imite. »lxv Excès et limites du contrôle social Certes, il existe des exceptions à ce principe général. Par définition, l’évolution des espèces ne cesse de produire de la diversité. Raison pour laquelle, dans la société patriarcale des chimpanzés, tous les mâles ne rêvent pas de dominer leurs semblables : « Il y a toujours des mâles qui ne jouent pas le jeu des rangs, y compris des géants ultra-musclés qui fuient les confrontations. Ces francs-tireurs n’atteignent jamais le sommet, mais ils ne tombent pas non plus au bas de l’échelle, parce qu’ils sont parfaitement capables de se défendre. Ils sont ignorés par leurs pairs, qui renoncent à les recruter comme alliés pour leurs manœuvres politiques. […] Les femelles s’intéressent moins à eux, car il est peu probable qu’ils les défendront si elles sont harcelées par des mâles ou d’autres femelles. C’est ce qui explique que les mâles dépourvus du désir de dominer aient une vie relativement calme et isolée. »lxvi Les marginaux refusant de suivre un modèle établi existent donc. Mais leur nombre relativement limité, conjugué au fait qu’ils préfèrent souvent se tenir à l’écart du groupe, font qu’ils ne pèsent pas lourd sur la dynamique sociale de leur communauté. Laquelle suit donc son leader – parfois pour le meilleur, et parfois pour le pire. Ainsi, revenons une dernière fois chez les chimpanzés de l’Est qu’on a déjà présentés comme plus belliqueux et violents que les chimpanzés originaires d’autres régions d’Afrique. Dans une forêt d’Ouganda, une femelle en période de fertilité nommée Outamba est un jour Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page36 victime de l’ingéniosité d’un mâle haut placé, nommé Imoso. Pour contraindre Outamba à un rapport sexuel, ce dernier a l’idée d’utiliser un gros morceau de bois en guise d’outil : « Les chercheurs de terrain ont vu ce dernier flanquer trois énormes coups à Outamba avec un gros bâton qu’il tenait dans sa main droite. Épuisé, le mâle a fait une pause d’une minute, puis les coups ont repris. Imoso avait maintenant deux bâtons, un dans chaque main. Il s’est ensuite accroché à une branche pour donner des coups de pied à sa victime. La fille d’Outamba est venue à l’aide de sa mère en bourrant de coups de poing le dos d’Imoso jusqu’à ce que celui-ci abandonne. »lxvii Si le mâle haut placé ne parvient pas à ses fins ce jour-là, sa méthode inspire malheureusement plusieurs de ses compères qui « se sont mis à l’imiter, choisissant toujours des armes en bois, ce que les enquêteurs ont interprété comme un signe de retenue. Avec des pierres, ils auraient pu blesser ou tuer leurs compagnes, ce qui n’était pas leur but. Leur but était d’obtenir l’obéissance. »lxviii Si la remarque des éthologues est sans doute pertinente (dans un combat entre mâles, des pierres auraient vraisemblablement été utilisées sans la moindre retenue), la manière dont un leader décide de faire usage d’une arme-outil démontre que les traditions culturelles inspirées par l’élite – et les savoir-faire engrangés par une communauté – peuvent avoir une dimension toxique. Certes, tous les leaders ne sont pas aussi cruels et égoïstes, et des subalternes peuvent également se montrer odieux et détestables18. Il n’empêche que les mâles chimpanzés dominant leur communauté ont tendance à exercer un contrôle social pour s’octroyer certains privilèges. Citons notamment : accéder prioritairement à des ressources alimentaires, se réserver les meilleures branches pour confectionner un nid pour la nuit, féconder les femelles adultes en période de fertilité, avoir le plaisir d’être celui que tous les autres rêvent d’imiter, ou bien encore obtenir l’allégeance des subalternes qui, par différents gestes et attitudes mutuellement comprises, attestent de leur soumission. Face à cette autorité centripète, les membres de la troupe pour qui ce joug serait insupportable ont une issue possible : ruser, et contourner les règles en catimini ! Dans un collectif où les statuts sociaux s’érigent par le biais d’interactions en face-à-face, la leadeuse ou le leader étouffant ne peuvent pas avoir des yeux partout. Incapables de surveiller tout le monde en permanence, certaines choses leur échappent nécessairement. C’est d’autant plus vrai chez les chimpanzés où la vie communautaire se tisse d’alliances provisoires – lesquelles se forment, se rompent et se reforment au fil du temps dans une logique accordéoniste de fission-fusion. Aussi autoritaire soitil, le contrôle social est donc confronté à certaines limites. Pour donner un exemple lié aux jeux de séduction, un chimpanzé mâle subalterne à qui une femelle plaît – mais que le mâle dominant entend se réserver en brutalisant tout rival qui s’en approcherait – peut tout de même la courtiser en faisant preuve de discrétion : « En général, il écarte les jambes pour montrer son érection – une invitation sexuelle -, en veillant bien à tourner le dos aux autres mâles, ou bien, l’avant-bras posé sur le genou, en laissant pendre une main devant son pénis afin que seule la femelle puisse le voir. Après cette exhibition, il s’en va 18 Pour boucler la boucle de cette étude, donnons un exemple lié aux chauves-souris. Au Canada et en Écosse, on a découvert que certains mâles marginaux, peu séduisants aux yeux des femelles chauves-souris, compensaient leur manque de succès lors de la phase de séduction par un comportement toxique au moment de l’hibernation. Profitant du sommeil profond dans lequel sont plongées les femelles, ces mâles s’en vont tranquillement les violer, et les fécondent en parvenant à ne pas les réveiller ! Source : Laurent Tillon, op. cit., 2023, pp.110-111. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page37 nonchalamment dans une direction et s’assoit hors de la vue des mâles dominants. C’est alors à la femelle de jouer : elle peut suivre ou non. Souvent, pour ne pas éveiller les soupçons, elle part dans une toute autre direction et finit, après ce détour, par arriver au même endroit que le jeune mâle. »lxix Ainsi, même dans le monde patriarcal des chimpanzés règne une certaine élasticité entre, d’une part, la logique autoritaire du pouvoir centripète et, d’autre part, la possibilité d’une autonomie centrifuge : si un leader est par trop incompétent, inexpérimenté ou querelleur, il aura toutes les peines du monde à maintenir la cohésion autour de lui. Au lieu de préserver l’harmonie au sein du groupe, son comportement belliqueux et ses mauvaises décisions à répétition génèreront du stress et des tensions qui pousseront vraisemblablement certains membres à partir de leur côté ; à l’opposé, la vie en mode solitaire ne sera jamais totalement libre non plus. Certes, les chimpanzés sauvages restent parfois plusieurs semaines ou mois d’affilée à l’écart de leur communauté. Mais ils y reviennent tôt ou tard. D’une part, la vie à l’écart du groupe n’est pas de tout repos et peut aussi être dangereuse, en raison d’éventuels prédateurs ou du risque de croiser une autre troupe de chimpanzés hostiles. D’autre part, les chimpanzés sont des êtres sociables qui ont besoin (certes de façon variable d’un individu à l’autre) de rapports sociaux pour se sentir bien. Que retenir ? Nous voici arrivés au terme de cette exploration parmi nos multiples héritages animaux. Une visite où s’entremêlent les contraintes de la biologie, les mutations incessantes des lieux habités et une souplesse sociale ouvrant la voie à différents choix possibles. Un voyage qui est aussi une plongée au cœur de mondes paradoxaux, tant il est difficile d’en revenir avec des jugements hâtifs et des points de vue péremptoires. Par la diversité des manières de faire société chez les mammifères, et les conséquences ambivalentes que cela produit au sein du groupe, les autres espèces animales nous invitent à interroger plus finement certains aspects fondamentaux de notre propre vie sociale. Il en est ainsi pour la hiérarchie : un concept qui n’a rien d’un bloc monolithique genre bon ou mauvais s’imposant toujours du haut vers le bas, mais qui s’apparente plutôt au jet simultané de plusieurs dés recouvrant toutes sortes de réalités – positives et négatives – comme la sociabilité généreuse et le contrôle social autoritaire, la loyauté au groupe et la violence pour sanctionner des écarts, la prise de responsabilités liée à l’expérience et les privilèges obtenus par des rapports de forces. Variables d’une société animale à l’autre, ces jets de dés simultanés font coexister des réalités qu’on juge trop vite comme antagonistes et immuables. Ainsi, les organisations sociales de suricates font coexister des rouages simultanément démocratiques et despotiques, rendant boiteux nos jugements lapidaires confectionnés sur base de critères mutuellement exclusifs du genre noir ou blanc, bon ou mauvais. C’est également vrai pour l’opposition entre libertés individuelles et solidarité collective. Des idéaux trop souvent présentés comme deux antithèses absolues dans nos sociétés contemporaines (la progression de l’une faisant automatiquement régresser l’autre, selon l’adage libéral), alors qu’il suffit Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page38 de plonger dans les océans en compagnie des orques pour trouver des sociétés animales où l’épanouissement individuel fleurit dans un système hautement coopératif. S’il en est ainsi chez eux, pourquoi pas chez nous ? La question est d’autant plus à-propos qu’en rendant visite à nos cousins éloignés, les chimpanzés, on s’aperçoit qu’un collectif n’est pas l’autre. Par-delà les contraintes extérieures (biologiques et écologiques) qui pèsent sur leurs manières de faire société, nos cousins chimpanzés font également preuve de créativité pour élaborer différentes façons de vivre en société. Chez eux, les tensions nées de l’autorité centripète coexistent avec des rouages plus apaisants comme l’entraide individuelle, la capacité de certains leaders vertueux à faire justice pour défendre l’intérêt général, ou bien encore le sens de l’équité imposant un partage des ressources engrangées lors de chasses collectives. Autant de sources d’inspiration pour nos propres collectifs sachant que notre espèce, les Homo sapiens, est particulièrement douée pour la souplesse sociale. Nous avons en effet une incroyable capacité à reconfigurer nos collectifs pour leur donner toutes sortes de visages allant des plus généreux aux plus égoïstes, des plus démocratiques aux plus despotiques. Bien sûr, juger de l’harmonie ou de la toxicité d’un collectif dépend aussi du point de vue épousé. On l’a vu : l’empathie est par nature subjective, et construit des relations sociales biaisées par les préférences sentimentales, les relations de parenté mais aussi le genre auquel on appartient. En plongeant au cœur des communautés de mammifères sociaux, force est de constater qu’il existe des discriminations antiques. Tellement antiques qu’elles étaient présentes bien avant notre propre existence sur Terre. L’une des plus universelle est sans nul doute l’ambiguïté des rapports entre mâles et femelles qui précède de loin et le capitalisme contemporain, et notre apparition en tant qu’espèce. De même, la colle sociale de l’empathie esquisse des gradations identitaires privilégiant souvent les proches (pour qui on donnerait sa vie) et les membres de son groupe (avec lesquels on sera solidaire face aux inconnus). Ainsi, l’appartenance identitaire à un collectif va souvent de pair avec une mise à distance émotionnelle des autres. On s’y attache moins. On ne les considère pas comme des égaux. Ce ne sont pas nos semblables. Parfois, ce sont carrément des ennemis. Autant de ressentis subjectifs qui peuvent justifier des pratiques agressives et des traitements dégradants à l’égard d’étrangers appartenant à des collectifs rivaux, alors que ces mêmes pratiques et traitements seraient jugés odieux et intolérables s’ils intervenaient à l’intérieur de la communauté. Qu’on parle de racisme, de sexisme, de dualisation sociale, de cynisme géopolitique, de rivalités identitaires, de préférences nationales ou d’incompréhensions culturelles, l’humanité contemporaine n’est hélas pas avare en pratiques discriminatoires, tordant maintes fois le coup au généreux concept d’une humanité solidaire. Pire : sur tous les continents, les résultats électoraux plébiscitent régulièrement des partis politiques d’extrême droite qui surfent sur la « peur de l’autre » et l’esprit de clocher pour critiquer la solidarité au sens large et mettre en place des logiques de bouc-émissaire. Et cela devrait nous inquiéter. Non seulement l’histoire humaine a montré comment ces boulimies de haine dégénèrent souvent en guerres bien réelles. Mais les collectifs sociaux animaux nous apprennent aussi qu’aucun groupe social n’est immaculé, c’est-à-dire exempt de violence potentielle à l’égard des autres. À la logique patriarcale parfois très féroce des chimpanzés, répondent par exemple les logiques discriminatoires à l’œuvre dans différents collectifs matriarcaux. Vivre ensemble de façon harmonieuse implique donc une certaine forme d’humilité, avec une capacité à mettre en perspective les parts d’ombre hégémoniques que recèlent les divers collectifs auxquels nous appartenons. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page39 Car loin de se contenter d’une ou deux organisations sociales pour exister, l’humanité est l’espèce animale qui a porté aux nues la vie en société. Au cours de notre histoire, nous avons en effet forgé une multitude de collectifs s’imbriquant les uns dans les autres d’une façon incroyablement complexe. Certains d’entre eux, comme la famille, restent de taille modeste et peuvent toujours s’ériger sur base de la colle sociale empathique : des personnes qui se fréquentent au quotidien nouent entre elles des attaches sentimentales et des préférences personnelles, où chacun et chacune doit tenir compte du point de vue des autres pour maintenir une certaine harmonie au sein du groupe. Quelques étages plus haut, d’autres collectifs humains ont une telle envergure qu’ils soudent ensemble des individus appelés à ne jamais se rencontrer. C’est notamment le cas pour les entités étatiques (institutions publiques nationales ou internationales, comme l’Union européenne) et grandes sociétés privées (empires marchands multinationaux). Fédérant des milliers ou des millions de personnes à travers le monde, ces organisations sont dirigées par des pouvoirs centraux dont l’une des caractéristiques majeures est d’être détachés de la plupart des liens de proximité qu’on rencontre habituellement dans les collectifs animaux. Ce faisant, il est commode pour les dirigeants d’ignorer les aspirations de groupes sociaux minoritaires et/ou insuffisamment organisés pour faire entendre leur voix. Pour les plus puissants de ces collectifs, il est également très facile d’imposer ses diktats en inféodant une multitude d’organisations sociales plus modestes à leur autorité centripète. Des organisations du travail tyrannique déployées par de nombreuses multinationales19 aux logiques égoïstes et autoritaires mises en place par de trop nombreux gouvernements à travers le monde, ce « déni de l’autre » marque au fer rouge notre époque contemporaine. Elle contribue aussi à la perte de sens et de légitimité de ces collectifs colossaux qui ne parviennent plus à répondre aux aspirations essentielles et légitimes de tout un chacun : se sentir inclus et respectée pour ce qu’on est. Un constat qui ne vaut pas que pour l’humanité. À l’heure où nous exterminons d’innombrables vivants au point de provoquer la sixième crise d’extinction massive de la vie sur Terre (la précédente remontant à 66 millions d’années), il serait grand temps de réaliser à quel point nous nous sommes fourvoyés. Les vivants non humains qui peuplent cette Terre ne sont ni de bêtes ressources naturelles, ni de simples matières premières. Ces êtres sensibles, dotés d’intelligence et de sentiments, sont attachés les uns aux autres par des liens si universels qu’ils nous gouvernent également. Les avoir transformés en seuls objets de nos désirs marchands et besoins frénétiques de consommation, au nom d’une soit disant supériorité humaine, en dit long sur l’impasse dans laquelle s’enfoncent nos sociétés contemporaines. Sur notre incapacité chronique à renverser les perspectives pour se mettre à la place de l’autre. Sur notre aveuglement à vouloir poursuivre un mode de vie, le capitalisme, où l’épanouissement des uns (à commencer par une minorité de nantis multimilliardaires) se solde par le sacrifice d’innombrables groupes sociaux, humains et non-humains. D’une certaine manière, nous avons perdu l’ambiguïté originelle des communautés animales pour créer des systèmes hiérarchiques si abrupts qu’ils en deviennent pathologiques. Pourtant, forts de notre ingéniosité sociale, il ne tiendrait qu’à nous de changer de route pour arpenter des chemins culturels et institutionnels plus solidaires. 19 Lire à ce propos le dernier livre de mon collègue Nicolas Latteur, Critique populaire de l’exploitation (ce que devient le travail), Lormont, éditions Le Bord de L’eau, 2023. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page40 Bibliographie LIVRES Despret Vinciane, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte poche, 2014 (1ère édit. 2012). Despret Vinciane, Habiter en oiseau, Arles, Actes Sud (collection Mondes sauvages), 2019. de Waal Frans, Le bonobo, Dieu et nous – à la recherche de l’humanisme chez les primates, Arles, Actes Sud (collection Babel), 2015 (1ère édition 2013). de Waal Frans de, Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, Arles, Actes Sud (collection Babel), 2018 (1ère édition 2016). de Waal Frans, Différents (le genre vu par un primatologue), Paris, Les Liens qui Libèrent, 2022. Mathevon, Nicolas, Les animaux parlent (sachons les écouter), Paris, humenSciences, 2021. O’Connell Caitlin, Le parrain (au cœur d’un clan d’éléphants), Arles, Actes Sud (collection Mondes sauvages), 2019 (1ère édit. originale : 2015). Picq Pascal, Premiers hommes, Paris, Flammarion (collection Champs histoire), 2018 (1ère édition : 2016). Tillon Laurent, Les fantômes de la nuit (des chauves-souris et des hommes), Arles, Actes Sud (collection Mondes sauvages), 2023. Wohlleben Peter, La vie secrète des arbres – ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent ?, Paris, Les Arènes, 2017 (1ère édition : 2015). Zimmer Carl, Introduction à l’évolution des espèces (ce merveilleux bricolage), 2012 (1ère édition originale : 2010), Bruxelles, Éditions De Boeck & Larcier. DOCUMENTAIRES Barbier-Bouvet Alexis & Noirot Didier (écrit par Alain Zenou), Norvège, le festin des orques, Arte France & Le Cinquième rêve, en coproduction avec Subimagery Productions et la participation d’Ushuaïa TV, Arte Distribution, 2020. Baus Emma & Raffin Estelle, Démocraties animales, Le chef consulte (épisode 2), produit par ARTE G.E.I.E et Cocottesminute productions, 2021. Cohen Ari A., Les réseaux sociaux des animaux, Les copains d’abord (épisode 1), une série documentaire produite par Arte G.E.I.E., Radio-Canada et Rotating Planet en 2021. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page41 Greenwood Steve, Dans le sillage des requins, épisode 3 (Les secrets de tournage), produit et dirigé par Rachel Butler, coproduit par la BBC & Discovery Channel en association avec Arte France (Unité Découverte et Connaissances), 2015. Jackson John & Julienne Jérôme, Chasses en territoire hostile, in « Les super-prédateurs des mers » (épisode 2), Arte, France, 50 min., 2020. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page42 i On peut lire à ce propos la passionnante Introduction à l’évolution des espèces (ce merveilleux bricolage) de Carl Zimmer. ii Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres (Ce qu’ils ressentent. Comment ils communiquent ?), 2017, pp.15-30. iii Laurent Tillon, Les fantômes de la nuit (des chauves-souris et des hommes), 2023, p.77. iv Source : documentaire d’Ari A. Cohen, Les réseaux sociaux des animaux, épisode 1 (Les copains d’abord). v Ibid. vi Laurent Tillon, op. cit., pp.85-89. vii Caitlin O’Connell, Le parrain (au cœur d’un clan d’éléphants), 2019, p.20. viii Ibid., p.158. ix Ibid. x Ibid., p.118. xi Source : voix off du documentaire d’Emma Baus & d’Estelle Raffin, Démocraties animales (épisode 2 : le chef consulte), 2021. Ces observations ont été faites chez des suricates vivant dans le désert du Kalahari en Afrique du Sud. xii Vinciane Despret, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, 2014, pp.39-40. xiii Source : voix off du documentaire d’Emma Baus et d’Estelle Raffin, Démocraties animales, épisode 2 (Le chef consulte), produit par ARTE G.E.I.E et Cocottesminute productions en 2021. xiv Vinciane Despret, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, 2014, pp.39-40. xv Caitlin O’Connell, op.cit., p.129. xvi Frans de Waal, Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, 2018, pp.243-244. xvii Source : documentaire d’Alexis Barbier-Bouvet & Didier Noirot (écrit par Alain Zenou), Norvège, le festin des orques, Arte Distribution, 2020. xviii Source : documentaire de Jérôme Julienne & John Jackson, « Les super-prédateurs des mers », épisode 2 (Chasses en territoire hostile), Arte, France, 2020. xix Ibid. xx Frans de Waal, Différents (le genre vu par un primatologue), 2022, p.391. xxi Frans de Waal, Le bonobo, Dieu et nous – à la recherche de l’humanisme chez les primates, 2015, p.103. xxii Frans de Waal, op. cit., 2022, pp.174-175. xxiii Pascal Picq, Premiers hommes, 2018, pp.68-71. xxiv Frans de Waal, op. cit., 2022, pp.355-356. xxv Ibid., p.298. xxvi Ibid., p.255. xxvii Frans de Waal a écrit un livre entièrement consacré à ce sujet : La Politique du chimpanzé, paru aux Éditions du Rocher en 1987 (1ère édition originale anglaise : 1982). xxviii Frans de Waal, op. cit., 2022, p.9. xxix Ibid., p.391. xxx Ibid., p.326. xxxi Ibid., p.156. xxxii Ibid., p.156. xxxiii Ibid., p.155. xxxiv Ibid., p.232. xxxv Ibid., pp. 228-234. xxxvi Frans de Waal, Le bonobo, Dieu et nous – à la recherche de l’humanisme chez les primates, 2015, pp.210-211. xxxvii Frans de Waal, op. cit., 2022, p.223. xxxviii Ibid., p.233. xxxix Ibid., p.233. xl Frans de Waal, op. cit., 2015, pp.112-113. xli Ibid., p. 310 xlii Frans de Waal, op. cit., 2018, p.236. xliii Frans de Waal, op.cit., 2015, p.238. xliv Frans de Waal, op. cit., 2022, p.265. xlv xlv Frans de Waal, op. cit., 2015, p.68. xlvi Frans de Waal, op. cit., 2018, pp.94-95. xlvii Sources : Frans de Waal, op. cit., 2015, p.70 ; Frans de Waal, op. cit., 2022, p.344. xlviii Frans de Waal, op. cit., 2018, pp. 252-253. xlix Ibid., p.253. l Ibid., pp.171-172. li Frans de Waal, op. cit., 2015, p.223. lii Frans de Waal, op. cit., 2018, p. 245. liii Ibid., pp.243-251. liv Frans de Waal, op. cit., 2015, p.204. lv Pascal Picq, op. cit., 2018, p.71. Petit traité de sociologie animale___________________________________________________________ Décembre 2023 Page43 lvi Frans de Waal, op. cit., 2018, p.109. lvii Ibid., p.109. lviii Frans de Waal, op. cit., 2022, p.328. lix Source : https://www.futura-sciences.com/planete/breves/chimpanze-chez-chimpanzes-chacun-technique-pechertermites-2616/. La page du site évoque le « Programme panafricain : le chimpanzé cultivé » (ou PanAf) lancé en 2010 par l’Institut Max Planck d’Allemagne, ainsi que les résultats de leur étude parue dans le mensuel scientifique Nature human behaviour. lx Ibid. lxi Frans de Waal, op. cit., 2022, pp.64 & 336. lxii Ibid., p.338. lxiii Frans de Waal, op. cit., 2015, p.241. lxiv Frans de Waal, op. cit., 2022, p.261. lxv Frans de Waal, op. cit., 2015, p. 189. lxvi Frans de Waal, op. cit., 2022, pp.72-73. lxvii Ibid., 2022, p.229. lxviii Ibid., p.229. lxix Frans de Waal, op. cit., 2018, p.278.
Le bal des impérialismes Géopolitique au 21ème siècle Étude • Nicolas Latteur • Novembre 2023 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 2 Plusieurs pays veulent transformer les rapports de forces entre nations à leur avantage. D’autres cherchent à maintenir leurs positions mises à mal par de nouveaux prétendants. Aucune grande puissance n’est capable seule de stabiliser les relations internationales. Il en résulte un déséquilibre systémique et d’énormes incertitudes alors que les urgences sociales et écologiques se font fortement ressentir. Quelles sont les reconfigurations ? Des rapports sociaux internationaux Le grand Etat mondial est impossible dans le système capitaliste car les Etats tentent de soutenir l’accumulation de « leurs » différents capitaux nationaux, y compris dans un contexte de forte transnationalisation du capital. L’enjeu est le contrôle de la circulation du capital sous toutes ses formes (capital-marchandise, capital-argent et capital productif) à travers les frontières de l’Etat-nation. Il y va de leur position relative au sein de la hiérarchie toujours mouvante qu’ils constituent. Au sein du capitalisme, il ne peut donc exister un grand Etat mondial. Les dynamiques produites par les rapports sociaux de production capitalistes génèrent une structure géopolitique spécifique : un espace mondial à la fois homogène, fragmenté et hiérarchisé. Homogène car l’immense majorité des Etats sont acteurs de la mondialisation capitaliste. Fragmenté car les logiques de concurrence et de domination produisent des espaces très diversifiés qui n’occupent pas la même place dans la chaîne de production mondiale. Hiérarchisé car des Etats sont en mesure de davantage dicter leurs volontés à d’autres. Les différents pouvoirs politiques que concentrent les Etats nationaux forment un système d’Etats dont les éléments composants entretiennent entre eux des rapports complexes : coopération, concurrence, rivalités, dépendance et subordination, affrontements, confrontations pouvant aller jusqu’au conflit armé. Les Etats-nations, acteurs majeurs de la mondialisation capitaliste, ne sont pas uniquement façonnés par la recherche d’accumulation et de contrôle de la circulation des capitaux. Les luttes entre les nations (les conflits internationaux) participent à leur donner un visage bien spécifique. Les enjeux de ces conflits sont toujours « leur position relative au sein de l’espace mondial. Il n’existe aucune nation dont l’histoire ne soit faite de conflits avec d’autres nations, le plus souvent voisines, mais quelquefois plus éloignées; conflits dont nombre de ses éléments constitutifs – son territoire évidemment, sa langue, ses institutions, son identité collective (la manière dont elle s’identifie, et d’abord à travers la mémoire de ces conflits), etc. – portent les marques de leurs issues, quelles qu’elles aient été. »1 La nation est également le produit d’une histoire qui a rendu possible sa formation et sa reproduction. L’Etat en est à ce titre le résultat global et le principal instrument. Le travail qui permet de « faire nation » est celui qui rend possible la constitution d’un bloc social (un bloc national): « un système complexes de rapports entre ses différentes classes sociales, impliquant alliances, appuis, compromis entre elles, sous hégémonie d’une bourgeoisie nationale (ou d’une fraction de cette dernière) et auquel l’Etat national sert d’armature institutionnelle. Les rapports externes entre une nation et les autres nations dépendent donc aussi des rapports internes entre ses classes constitutives – et réciproquement d’ailleurs. »2 1 Alain Bihr, « Sur les rapports sociaux et leur articulation », Raison présente, n°178, 2e trimestre 2011. 2 Idem. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 3 Enfin, il n’est pas de nation sans nationalisme, c’est-à-dire sans fétichisme de la nation. Si cette dernière est le produit de l’histoire et des luttes, l’idéologie nationaliste va promouvoir un récit très différent, considérant le caractère éternel, sacré, naturel d’une nation et ses éléments constitutifs (son territoire, sa ou ses langues, ses institutions, son histoire et ses héros). Elle les placera au-dessus de tout. Sa préservation et sa survie exigera des sacrifices. Cette idéologie génère patriotisme et chauvinisme, et engendre tout aussi bien la xénophobie, pouvant aller jusqu’au racisme, en transformant les autres nations et leurs représentants en des êtres inférieurs de moindre valeur, voire en les excluant de l’ordre de l’humanité elle-même. Des hiérarchies en perpétuelle confrontation Pour conflictuelles qu’elles soient fondamentalement, les relations entre les multiples États au sein du système capitaliste n’en répondent pas moins à des principes de régulation. On trouvera en particulier : – la reconnaissance réciproque de leur souveraineté, cette dernière étant définie comme la légitimité d’exercer le pouvoir sur un territoire donné et des populations – le principe d’équilibre des puissances. Il interdit au plus puissant de l’être assez pour pouvoir dominer tous les autres à la fois. La coalition des plus faibles restant potentiellement toujours assez forte pour vaincre le plus fort. – ces éléments contraignent la forme que va prendre la prédominance d’un État au sein du système capitaliste. Cette forme caractéristique sera celle de l’hégémonie, autrement dit « de la constitution sous sa conduite d’une alliance ou coalition des principaux États, lui permettant certes de réaliser ses intérêts propres tout en devant ménager plus ou moins ceux des autres membres de la coalition. »3 Comme le souligne le sociologue français Alain Bihr, il existe « une profonde analogie entre l’espace géopolitique du capitalisme (l’espace façonné par ce système, qui lui sert de cadre et de support) et le marché capitaliste. Sur ce dernier, de multiples capitaux à la fois s’attirent (ils s’entrelacent par des échanges dans le cours de leurs procès reproductifs respectifs, ils fusionnent et s’absorbent) et se repoussent (par la concurrence) jusqu’à se mettre à mort. A travers cette attraction et répulsion réciproques des capitaux singuliers, déterminant leur concentration et centralisation (donc la formation éventuelle d’oligopoles voire de monopoles), il se constitue une hiérarchie entre eux, les plus puissants (par la productivité supérieure du travail qu’ils mettent en œuvre, par les parts de marchés qu’ils s’assurent, par leurs appuis politiques, etc.) parvenant à se subordonner les moins puissants et même à vivre à leurs dépens. »4 Le marché capitaliste est donc un espace fragmenté par l’action de multiples capitaux qui se confrontent les uns aux autres, homogénéisé par les interactions qui se déroulent entre eux et hiérarchisé par ces mêmes interactions dans lesquelles les plus forts tendent à s’imposer et à se subordonner des capitaux plus faibles et plus dépendants. « Et c’est cette même structure faite de fragmentation, d’homogénéisation et de hiérarchisation à la fois que la reproduction globale du capital imprime à l’espace géopolitique dans lequel elle se déploie. »5 3 Alain Bihr, « Actualiser et complexifier l’approche marxiste de l’Etat », alencontre.org, 2 juin 2015. 4 Idem. 5 Idem. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 4 Durant la première partie du 20e siècle, les Etats-Unis ont succédé à l’Empire britannique comme puissance hégémonique6 . Comment se perpétuent les alliances nouées pour assurer sa prédominance ? En quoi cette hiérarchie est aujourd’hui contestée et comment ? Comment les classes populaires parviennent-elles à faire de la géopolitique un champ qui n’est pas uniquement dicté par les grandes multinationales et les Etats-nations très puissants politiquement et militairement ? Dans ces espaces géopolitiques homogénéisé, fragmenté et hiérarchisé, quels sont les foyers de transformation ? La Russie et la guerre en Ukraine L’Ukraine est devenue l’épicentre des foyers de transformation des relations internationales. Elle a été au cœur des deux guerres mondiales du 20ième siècle. Sans la population, l’agriculture et l’industrie ukrainiennes, la Russie n’aurait pas pu se hisser au rang de grande puissance. Et sans cette dernière puissance, l’Allemagne aurait dominé l’Europe. La décision d’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine de février 2022 provoque une onde de choc qui va bien au-delà des relations entre les deux pays. « Avec le retour de la guerre de haute intensité, le continent européen perd son principal avantage comparatif dans la mondialisation, celui de la stabilité stratégique. »7 Mais revenons à l’invasion de l’Ukraine proprement dite. Elle relève selon l’historien des relations internationales français Thomas Gomart « moins d’un calcul stratégique que d’une fuite en avant par un régime en voie de fossilisation accélérée. »8 Les mémoires sont bien courtes dans nombre d’analyses contemporaines et passent sous silence au moins deux éléments fondamentaux. Premièrement, la guerre contre l’Ukraine a été déclenchée dès 2014 avec l’invasion puis l’annexion de la Crimée et l’extension du conflit dans les territoires du Donbass. A l’époque, les puissances française et allemande ne voyaient pas dans ces expéditions guerrières l’émergence d’un nouvel impérialisme mais la résurgence d’un vieux conflit local autour des russophones du Donbass notamment. Deuxièmement, la nature du régime établi par Poutine est fortement négligée. On peut largement le qualifier de criminel. Il s’accompagne d’une autre guerre, menée de longue date contre la société russe écrasée par une répression féroce9 . Le positionnement de la Russie ne peut être apprécié pleinement au travers d’un indicateur comme le PIB (produit intérieur brut) car son économie a été positionnée notamment dans l’exportation de produits stratégiques, c’est-à-dire des biens indispensables au fonctionnement habituel de l’importateur. La Russie exerce une influence importante avec ses productions de pétrole, de gaz, de 6 Tariq Ali, Churchill, sa vie, ses crimes, La Fabrique, 2023. 7 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 12. Notons que si Thomas Gomart est souvent médiatisé et qu’il promeut la défense de la France et de son impérialisme, les données qu’il rassemble et son analyse des contradictions géopolitiques n’en sont pas moins instructives. Elles peuvent alimenter une compréhension critique des enjeux. 8 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 32. 9 François Bonnet, « Poutine, la guerre et le crime », Revue du crieur, 2022/2 (n°21), p. 5. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 5 nucléaire, d’armes et de blé. Elle n’a certes pas la puissance des Etats-Unis ou de la Chine mais peut être comparée à des pays tels que l’Inde et le Brésil. En outre, à la différence d’autres pays – même si on peine à déceler la traduction concrète de leurs engagements – la Russie n’envisage pas de se préparer à un monde post-carbone. Dans ses documents officiels, elle anticipe au contraire une augmentation de la demande de pétrole et de gaz. Elle envisage également des investissements massifs dans l’exploration et la production. Cette anticipation est cohérente avec sa réorientation vers les pays de l’Eurasie suite à la récession de 2009 en Europe. L’Etat russe a repris en main les secteurs de l’énergie et de l’armement. Les sanctions occidentales de 2014 ne l’ont pas empêché de se maintenir au deuxième rang mondial des exportateurs d’armes. Ses principaux marchés sont la Chine, l’Inde et le Vietnam. Mais la Russie exporte également des armes en Afrique (Ethiopie, Soudan, Ouganda) ou en Amérique latine (Nicaragua, Venezuela). Ce qui lui permet d’exercer une influence politique via la coopération militaire. Mais ces positions acquises pourraient être remises en cause. Les propres besoins de la Russie pour sa guerre en Ukraine sont pour partie inconnus. Les sanctions prises par l’Occident pourraient contrarier le développement technologique du secteur de l’armement, qui n’est pas hermétique aux composants importés de l’étranger. En outre, des pays tels que la Chine et l’Inde développent désormais leurs propres industries d’armement. Ils risquent même de devenir des concurrents tout comme la Turquie. De longue date, le pouvoir russe a converti son appareil productif en économie de guerre. Cette dernière conditionne la survie du régime. Quelles sont les évolutions possibles ? La Russie est désormais un pays mis en échec sur le plan militaire mais également lourdement sanctionné sur le plan économique. La traduction politique de cette situation reste indécise. Les mouvements de contestation sont bien présents et subissent une répression brutale. Dans sa politique internationale, sa perspective est celle de l’accélération de la désoccidentalisation des affaires mondiales. Mais cette logique peut la porter à dépendre fortement des points de vue économique et financier de la Chine et à subir une forme de vassalisation. Il s’agit également d’apprécier les enjeux propres à la guerre en Ukraine menée par la Russie. Pour Alain Bihr et Yannis Thanassekos, « l’actuelle guerre en cours en Ukraine ne peut se comprendre et s’évaluer comme étant seulement (ce qui implique qu’elle est aussi !) un conflit entre la puissance impérialiste russe, cherchant à reconstituer l’espace de l’ancienne URSS voire celui de l’ancien Empire tsariste, et le jeune Etat-nation ukrainien né de l’éclatement de feu l’URSS ; elle met aussi en jeu un conflit interimpérialiste entre l’ensemble du bloc occidental, hégémonisé sous la conduite des Etats-Unis dans le cadre de l’Otan, et la Russie, qui trouve son origine dans la collision entre l’expansion du premier en Europe centrale et orientale et la remontée en puissance de la seconde. D’autre part, de ces deux conflits, le second surdétermine le premier, en expliquant notamment pourquoi ce dernier a fini par conduire à la guerre »10. Les auteurs ajoutent qu’au vu « du déroulement du conflit depuis lors, il convient d’ailleurs de complexifier encore davantage l’analyse puisque, manifestement, il est en train de fournir aux EtatsUnis les moyens de réaffirmer et de renforcer leur hégémonie relativement à leurs alliés européens, donc de faire évoluer en leur faveur le rapport de force (lui-même complexe) qui les oppose à ces derniers, en faisant à nouveau passer au premier plan ses composants stratégiques et militaires, plan 10 Alain Bihr, Yannis Thanassekos, « La guerre en Ukraine et la gauche anti-impérialiste. Une anticritique », Contretemps.eu, 24 août 2022. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 6 sur lequel les premiers disposent d’une supériorité manifeste à l’égard des seconds. Et les Etats-Unis sont simultanément gagnants sur le plan des conséquences des sanctions économiques et financières prises à l’encontre de la Russie et des contre-sanctions de cette dernière (en matière d’exportations de céréales et de gaz notamment), qui frappent bien davantage les Européens que leur mentor américain. C’est précisément au nom de la complexité de ce conflit que nous nous sommes élevés contre la simplicité (en fait l’unilatéralité) de ce que nous avons appelé « le récit dominant », celui massivement narré par « nos » médias et « nos » gouvernants, ne retenant que le conflit entre Russie et Ukraine pour rejeter dans l’ombre et passer sous silence celui entre la Russie et l’Occident – partant leur propre responsabilité dans la genèse de la situation qui a conduit à la guerre. Et c’est précisément la même simplicité que nous avons reprochée à la position adoptée par celles et ceux des membres de la gauche radicale (en principe anticapitaliste et donc anti-impérialiste), reprenant pour l’essentiel ledit « récit dominant ». »11 La rivalité Chine / Etats-Unis Mais la géopolitique mondiale et l’impérialisme contemporain ont pour principale contradiction aujourd’hui les rivalités sino-américaines. Ces dernières ont elles aussi une histoire. Depuis les années 1950, les États-Unis n’ont pas freiné, et parfois même ont promu, les transferts de technologie vers le Japon, Taïwan ou la Corée du Sud12. En faisant cela, ils cherchaient à contenir la Chine dans sa forme « communiste » et à l’encercler par un réseau de pays à revenus moyens à élevés. Lorsque la Chine s’est ouverte à la mondialisation capitaliste, les capitaux du Japon, de la Corée du Sud ou de Taïwan se sont massivement investis en Chine, amenant avec eux les transferts de technologie passés. Aujourd’hui, commente le géographe David Harvey, « les États-Unis tentent de bloquer les transferts de technologie vers la Chine, ce qui à mon sens est une attitude stupide. En partie parce que c’est impossible, mais aussi parce que si l’on bloque le développement de la Chine, qui a systématiquement sauvé le capitalisme, on ne fait pas quelque chose de très positif pour le capitalisme. »13 S’il y a beaucoup de divergences d’opinion aux États-Unis, le Congrès américain reste cependant unifié autour de la politique anti-chinoise du président Joe Biden. Selon David Harvey, elle est source de contradictions car elle approfondirait les faiblesses du capitalisme contemporain. « Si cette politique réussit, nous verrons, je pense, le monde tomber dans une croissance négative. Et cela conduira à de 11 Alain Bihr, Yannis Thanassekos, « La guerre en Ukraine et la gauche anti-impérialiste. Une anticritique », Contretemps.eu, 24 août 2022. 12 Une fois que ces pays ont pu être intégré à l’impérialisme américain. Il aura fallu pour cela une sévère répression des mouvements sociaux. Aujourd’hui, l’amnésie est presque généralisée. La haine antijaponaise et le racisme qui lui était liée avaient pourtant atteint des sommets aux Etats-Unis lors de la seconde guerre mondiale. Tariq Ali insiste sur « les efforts acharnés de la droite et des libéraux japonais, guidés par leur empereur divin » qui, tandis que leur pays était occupé par les troupes américaines, pour vaincre la gauche, ont créer un Etat à parti unique, et « développer un amour pour le base-ball et les films hollywoodiens, et devenir tout aussi « normaux » que les citoyens occidentaux. (…) Les bombes atomiques étaient censées avoir remis les compteurs à zéro. Tous les anciens cancers avaient disparu. Il suffisait d’un contrôle strict. La base des Etats-Unis à Okinawa était là en dernier recours au cas où les dirigeants japonais ne faisaient pas ce que leur ordonnait la Maison Blanche, et elle est toujours là aujourd’hui. » Tariq Ali, Churchill, sa vie, ses crimes, La Fabrique, 2023, p. 370. 13 David Harvey interviewé dans Mathieu Dejean et Romaric Godin, « David Harvey : En France, le néolibéralisme devient violent et autocratique », Mediapart, 18 avril 2023. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 7 nombreuses oppositions, à des mécontentements, à de l’agitation et à des soulèvements. Nous voyons déjà beaucoup de ces événements se dérouler sous nos yeux. »14 Les relations entre la Chine et les Etats-Unis sont au cœur de la mondialisation capitaliste néolibérale. Les deux pays représentent 40% du PIB mondial et 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ils ne cessent d’augmenter chaque année leurs dépenses militaires et cumulent à ce jour plus de 1.000 milliards de budget pour leurs armées. La supériorité militaire des Etats-Unis est indéniable. Ils comptent pour 40% des dépenses militaires mondiales. L’écart de capacités militaires entre les Etats-Unis et les autres pays ne fera encore que s’accroître à la suite de la guerre en Ukraine. L’Administration Biden annonce une augmentation inédite du budget qui atteindra 813 milliards de dollars en 2023. Pour le gouvernement chinois, le rapport de force mondial s’est inversé favorablement entre 2008, date du début de la crise financière occidentale et année des jeux olympiques de Pékin, et 2018, date à laquelle le président Trump lance la guerre commerciale. Les deux pays sont engagés dans une lutte, aussi brutale que diffuse, pour le contrôle de l’appareil productif mondial dans un contexte caractérisé par l’accentuation des contraintes environnementales et l’accélération de la mise en données du monde. Les administrations Trump et Biden ont utilisés des sanctions économiques contre la Chine. On notera à ce sujet que Biden est en réalité allé plus loin que Trump en ne se contentant pas d’ériger des barrières commerciales mais en mettant en mal la production d’une part de l’appareil de production chinois. Dans ces conflits, les préoccupations militaires et de sécurité nationale sont invoquées, alors que bien souvent l’objectif des sanctions adoptées par les gouvernements des pays occidentaux est d’appuyer leurs grands groupes et de protéger leurs industries, y compris contre d’autres pays occidentaux. On peut ainsi voir que l’économie est selon l’expression de Claude Serfati une « continuation de la guerre par d’autres moyens. »15 Chine et Etats-Unis se livrent une compétition pour la maîtrise des flux énergétiques et le contrôle des données numériques à l’échelle mondiale. La question de savoir qui sera la première puissance capitaliste en 2050 est bien ouverte. Reste qu’aujourd’hui, l’idée que la Chine prenne l’ascendant sur les Etats-Unis est absurde. « Les campagnes actuelles menées contre la Chine visent essentiellement à réaffirmer l’hégémonie économique des Etats-Unis en coupant les ailes du dragon. La domination imminente de la Chine est invraisemblable militairement, économiquement, politiquement et idéologiquement. »16 Chine La Chine représente aujourd’hui 18% du PIB mondial et est au cœur du commerce mondial avec les Etats-Unis comme principal marché d’exportation. La Chine cherche à déployer son rôle de leader. Sa politique internationale a deux grandes caractéristiques. La diplomatie fait preuve d’un grand activisme dans toutes les instances 14 David Harvey interviewé dans Mathieu Dejean et Romaric Godin, « David Harvey : En France, le néolibéralisme devient violent et autocratique », Mediapart, 18 avril 2023. 15 Claude Serfati, « L’ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine », alencontre.org, 19 avril 2022, https://alencontre.org/laune/lere-des-imperialismes-continue-la-preuve-par-poutine.html 16 Tariq Ali, Churchill, sa vie, ses crimes, La Fabrique, 2023, p. 441. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 8 internationales. Elle crée également de nouvelles structures qui visent à assurer son propre développement et rayonnement. On peut à cet égard citer la création de la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (BAII) et la Belt and Road Initiative (BRI – la « nouvelle route de la soie, un projet de connectivité globale qui combine des liaisons terrestres et maritimes), tout comme la participation à de nombreux forums régionaux et bilatéraux. Depuis 2017, l’emprise du parti communiste chinois s’accentue dans la vie économique. Une volonté de limiter l’internationalisation de l’actionnariat ainsi qu’une fragilisation des droits de propriété sont en cours. Parallèlement, la Chine investit considérablement dans l’intelligence artificielle et les infrastructures numériques. Le système de traçage numérique de la population ne va pas sans résistances inédites notamment quant aux restrictions drastiques imposées par le régime dans le cadre de sa politique « zéro Covid ». Les orientations stratégiques du gouvernement chinois sont fortement dictées par sa demande énergétique qui n’a cessé de croître. Il adopte deux démarches complémentaires en matière d’approvisionnement énergétique. Premièrement, comme toute puissance classique, elle tente de diversifier et de sécuriser ses flux sans toutefois pouvoir disposer d’une autonomie énergétique grâce à leur propre production. 90% du pétrole arrivant en mer de Chine méridionale passe par le détroit de Malacca. Nœud de congestion du trafic maritime mondial, plus de 100.000 navires y transitent chaque année et passent par ce détroit de 800 km de long dont le passage le plus étroit est seulement large de 1,5 km. A cet égard, la BRI et l’établissement de diversifications dans les livraisons de pétrole est essentielle. La Chine entend sécuriser au maximum ses approvisionnements en entretenant des liens étroits avec l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Russie ainsi qu’avec des pays africains et d’Amérique latine. En outre, la Chine investit dans les énergies renouvelables afin de diminuer sa dépendance aux énergies fossiles. Elle reste le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre. Même si la Chine fait le pari de sa suprématie mondiale en étant encore tributaire des énergies fossiles, elle domine par ailleurs les chaînes de valeur liées aux énergies renouvelables : « elle produit ainsi 90% des terres rares raffinées nécessaires à la fabrication des batteries. »17 Dans la rivalité sino-américaine, le détroit de Taiwan est devenu la zone géopolitique la plus sensible du monde. Le président chinois Xi Jinping rêve de reconquérir ce petit Etat insulaire (siège de la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) qui fabriquent la moitié des semi-conducteurs du monde dont une majorité de modèles de dernière génération) et de réunifier « la patrie ». La stratégie chinoise s’inscrit dans le projet d’utiliser son rattrapage économique pour construire une puissance nationale. Son intégration dans le commerce mondial ne s’est pas traduite par des mesures de libéralisation à hauteur des attentes des architectes américains de la globalisation. Reste qu’aujourd’hui, le marché chinois demeure indispensable au développement des grands groupes américains. Les deux pays représentent aujourd’hui 51% des dépenses militaires mondiales : 801 milliards de dollars pour les Etats-Unis et 293 pour la Chine. Cette confrontation pousse la Chine à fédérer des pays et des institutions internationales derrière ses différentes initiatives. Ainsi, lors du deuxième forum des routes de la soie, en avril 2019, les chefs d’Etat de la Grèce, du Pakistan et du Chili se retrouvaient aux côtés de 34 autres dirigeants. L’enjeu est que cette mobilisation puisse être transformée en position 17 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 70. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page 9 commune dans les instances internationales afin que le poids des Etats-Unis et de leurs alliés soient diminués. Mais l’exercice de la puissance passe également par la maîtrise des mers. Déjà présente en Méditerranée au travers d’infrastructures portuaires, la Chine envisage d’être présente un jour dans l’Atlantique. Elle représenterait alors une menace directe pour les Etats-Unis. Etats-Unis Première puissance capitaliste mondiale, les Etats-Unis sont traversés par de nombreuses divisions. Dans celles-ci, la polarisation idéologique y est profonde. L’économie est directement concurrencée par celles de l’Europe et de la Chine. Les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 975 milliards de dollars en 2021. Le retrait d’Afghanistan d’août 2021 a tournée à la déroute. Mais la puissance américaine garde cependant un pouvoir de structuration sans équivalent. Elle dispose de deux façades océaniques et exercent sa « domination à travers la maîtrise des espaces communs – haute mer, espace aérien, espace exo-atmosphérique et datasphère. »18 Mais est-elle toujours capable de faire perdurer sa suprématie ? Le fondement de sa politique consiste à encourager l’ouverture des marchés extérieurs tout en protégeant le sien de la concurrence. Les Etats-Unis, grâce à leur supériorité militaire, exercent leur pouvoir sur des territoires et des populations et imposent un système de règle afin de garantir la circulation sans frontière des capitaux et la propriété privée des moyens de production. Les Etats-Unis voient leur suprématie contestée. En concurrence simultanée avec la Chine et la Russie, son principe fondamental est d’empêcher l’émergence d’une puissance rivale par le maintien d’une supériorité militaire dans tous les domaines. Sa puissance se distingue des autres par sa capacité à intégrer différents théâtres régionaux. Ses alliés sont sous sa domination. Seule la Chine peut aujourd’hui se targuer d’avoir la possibilité et l’intention d’une influence globale. L’objectif de la politique internationale des Etats-Unis consiste moins à conquérir des espaces qu’à garantir la permanence des flux indispensables au fonctionnement de l’économie capitaliste mondialisée et à la présence de leurs forces armées sur de nombreux territoires. Alors que le poids des Etats-Unis dans l’économie mondiale est appelé à diminuer, l’administration américaine entend maintenir sa suprématie militaire. Pour ce faire, elle a fait le choix de l’ultratechnologie et irrigue l’appareil productif américain de ses investissements. Les priorités sont les armements hypersoniques19, les armes à énergie dirigée20, les drones sous-marins, les systèmes 18 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 122. 19 Les armes hypersoniques combinent vitesse et manœuvrabilité pour traverser les systèmes de défense antimissiles et de défense de territoire. Ils visent à atteindre des objectifs sur des territoires adverses ou en mer. 20 Une arme à énergie dirigée émet de l’énergie dans une direction voulue. Elle la transfère vers une cible pour l’effet souhaité. « Les effets recherchés sur les humains peuvent être létaux ou non. Outre son utilisation sur les personnes ou comme une potentielle défense antimissile, la technologie de l’énergie dirigée a aussi été mobilisée pour arrêter ou désactiver des voitures en mouvement, des drones, des jet-skis et des appareils électroniques comme les téléphones portables. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Arme_%C3%A0_%C3%A9nergie_dirig%C3%A9e Dans les armes à énergie dirigée figure des systèmes laser d’auto-défense. Citons le système américain Guardian qui sera le premier système de défense anti-aérienne et anti-drone mobile de forte puissance à rejoindre des unités de combat. Doté d’une puissance de 50 Kw, il pourra prendre à partie les drones de moins de 25 kg, mais également intercepter et détruire les obus d’artillerie et de mortier, ainsi que les missiles air-sol les plus légers. https://meta-defense.fr/2022/02/02/ces-7- technologies-qui-vont-revolutionner-le-champs-de-bataille-dici-2040/ Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page10 d’armes rendus autonomes grâce à l’intelligence artificielle, la lutte informatique et la reconquête de la suprématie dans le domaine électromagnétique. Dans la définition de la stratégie américaine, les enjeux énergétiques occupent une place décisive. Les Etats-Unis, à la différence de leurs alliés, exportent à présent plus de pétrole qu’il n’en importe. La probable fragmentation du monde en blocs énergétiques stratégiques place les Etats-Unis en position de force vis-à-vis de leurs alliés européens et asiatiques. Aujourd’hui, la géopolitique de la transition énergétique nécessite des minerais, d’importants capitaux et des capacités d’organisation et d’innovation. La géopolitique des énergies fossiles implique de l’exploration, de la production et de la sécurisation des flux. La combinaison de ces deux géopolitiques redonne aux Etats-Unis des marges de manœuvre globale dans un contexte où l’agression militaire de la Russie sur l’Ukraine redonne la primauté aux enjeux de sécurité énergétique. L’Otan est au centre de la sécurité européenne face à la Russie. Elle constitue une pièce importante de l’impérialisme américain aux côtés du dollar, du droit et des plateformes numériques. La domination du dollar offre la possibilité de manœuvres géoéconomiques importantes auxquelles ses alliés se doivent de se rallier sous peine d’être eux-mêmes pénalisés. L’utilisation du droit passe notamment par du lobbying juridique auprès d’institutions internationales. Enfin, la technologie apparait comme vecteur de contrôle global. Pour les Etats-Unis, il s’agit « d’exporter le capitalisme à travers le monde, car seuls l’entreprenariat privé et les investissements étrangers seraient susceptibles de générer de la croissance. C’est pourquoi il faut toujours encourager les pays, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, à créer un climat d’investissement favorable. »21 Le capitalisme fossile et le capitalisme numérique sont portés par l’impérialisme américain et pèsent lourdement dans la définition de sa stratégie. L’Allemagne et l’Union européenne L’Allemagne est le pays de l’Union européenne le plus ébranlé par les conséquences de la guerre en Ukraine. Celle-ci va radicalement à l’encontre de son modèle. L’Allemagne représente un tiers du PIB de la zone euro et 4,5% du PIB mondial. C’est la quatrième économie mondiale. Elle a construit un modèle industriel exportateur principalement orienté vers les Etats-Unis, la France et la Chine. C’est le premier exportateur mondial d’automobiles pour un montant de 149 milliards de dollars en 2019. Le modèle allemand entend combiner la paix et les exportations. Ce qui implique une diplomatie qui maintient un bon équilibre entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie et une orientation de l’Union européenne en fonction de ses propres intérêts. Mais commercer implique également une parfaite maîtrise des flux logistiques dans des modes d’organisation du travail en just-in-time. C’est pourquoi l’industrie maritime est l’objet de toutes les attentions. L’Allemagne contrôle 20% de la capacité mondiale des porte-conteneurs. Le pays sort d’une longue période où ses dépenses militaires avaient été maintenues au plus bas. Sa politique privilégiait le soutien à un excédent commercial très haut. L’heure est à une forte remilitarisation dans un contexte d’accentuation des tensions impérialistes. L’Allemagne redéfinit sa 21 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 142. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page11 position au sein de l’OTAN. Le gouvernement actuel présidé par le social-démocrate Olaf Scholz a annoncé la création d’un fondsspécial pour l’armée allemande de 100 milliards d’euros. Le pays entend se doter de la plus grande armée conventionnelle en Europe dans le cadre de l’OTAN. D’un budget militaire annuel inférieur à 50 milliards d’euros, le gouvernement prévoit désormais de le porter à 80 milliards d’euros. L’Allemagne dispose d’un certain atout pour peser sur les recompositions stratégiques en cours. Elle possède une industrie de défense très compétitive. Elle se place au 4ième rang des exportateurs d’armement entre 2016 et 2020. Elle équipe notamment les flottes d’Israël, de la Turquie ou encore de l’Egypte. Elle exporte également vers la Corée du Sud. Les 100 milliards d’euros injectés par le gouvernement vont sans nul doute soutenir cette industrie. Reste que la première priorité allemande est aujourd’hui d’élaborer une nouvelle politique énergétique lui permettant de maintenir sa compétitivité industrielle. Elle entend également se déployer sur le terrain de la transition énergétique. Sous couvert d’un discours très volontariste sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle ne compte sortir complètement du charbon qu’en 2038. Elle doit, en outre, trouver des substituts aux importations massives de gaz qui provenaient de Russie. Le patronat allemand ne cache pas ses intentions de conquérir de nouveaux marchés hors d’Europe. Ses dirigeants ont prévenu qu’il fallait nécessairement se développer vers des pays sans être trop regardant sur les régimes politiques en vigueur et sur leur respect des droits fondamentaux. La question qui se pose est dès lors celle du maintien de la compétitivité industrielle. Celle-ci pourrait alors passer par de nouvelles délocalisations. En outre, pour maintenir une position dominante sur le marché de l’automobile, il s’agira de se convertir à la voiture électrique, indépendamment des dégâts écologiques qu’elle provoque. Mais cela renforcera une double dépendance à la Chine et aux Etats-Unis pour ses besoins de matériaux pour la construction des batteries et pour les semi-conducteurs. Alors que la Chine investit massivement dans la voiture électrique et qu’elle contrôle aujourd’hui 75% de son marché domestique. Les statistiques des échanges Chine-Allemagne démontre une dépendance économique croissante de l’Allemagne à l’égard de la Chine. Cette dernière est le principal partenaire commercial de l’Allemagne pour la septième année consécutive. « Les exportations allemandes vers la Chine sont ainsi passées de 64,8 milliards d’euros en 2011 à 107 milliards en 2022. En sens inverse, les échanges ont grimpé de 79,5 milliards d’euros à 191 milliards. Soit un volume total inédit de 298 milliards d’euros en 2022 (Office fédéral de la statistique), en progression de 21 % par rapport à 2021. Par ailleurs, en 2021, BMW et Mercedes ont réalisé plus de 30 % de leur chiffre d’affaires dans l’empire du Milieu. Toujours la même année, la part chinoise du chiffre d’affaires d’Adidas a été de 21,7 %, pendant que le groupe de semiconducteurs Infineon bat tous les records avec 37,8 %. »22 La stratégie gouvernementale entend interroger cette dépendance. Des déclarations ont dénoncé des violations répétées des droits humains dans la province ouïghoure du Xinjiang et au Tibet ainsi que la répression qui a frappé Hong Kong. En outre, l’attitude jugée soutenante de la Chine par rapport à la Russie et à son agression militaire en Ukraine est dénoncée. La Chine y est appréhendée comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique. Ce serait d’ailleurs ces deux derniers aspects qui prendraient le plus d’importance. Puisque la Chine est réputée créer des dépendances pour les utiliser 22 Thomas Schnee, « Comment Berlin prévoit de réduire sa dépendance envers la Chine », Mediapart, 10 février 2023. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page12 ensuite afin d’imposer ses propres intérêts. Mais n’est-ce pas là le propre de toute puissance impérialiste dans le capitalisme transnationalisé ? Dans cette logique de diversification des routes commerciales et des sources d’approvisionnement, le gouvernement allemand « soutient l’idée européenne de « Global Gateway », une initiative d’investissement conçue par Bruxelles comme une alternative à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la Soie. D’ici à 2027, l’UE envisage de mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissements pour les projets d’infrastructure du « Global Gateway ». »23 L’Allemagne entend donc diversifier et réorienter l’engagement économique allemand ailleurs qu’en Chine. Elle convoite l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique ou encore l’Amérique du Sud. Elle entend soumettre la politique d’octroi de crédits à l’export et de garanties des investissements à un examen plus rigoureux en termes sociaux et environnementaux. Volkswagen s’est récemment vu refuser pour la première fois une garantie pour un investissement dans le Xinjiang, région où le gouvernement chinois opprime massivement la population ouïghoure. Cette volonté de diversification et d’affirmation de sa présence face à la Chine est aussi sensible sur le plan diplomatique. « Fin décembre 2022, le ministre de l’économie, Robert Habeck, s’est rendu en Namibie et en Afrique du Sud. En janvier, ce fut au tour de la ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, d’aller en Éthiopie pendant que le ministre des finances, Christian Lindner, visitait le Mali et le Ghana. Enfin, le chancelier Olaf Scholz a effectué des visites d’État fin janvier en Argentine, au Brésil et au Chili. À Brasília, il s’est prononcé en faveur d’une ratification rapide de l’accord commercial UE – Mercosur –, pendant qu’à Santiago, il signait un accord de coopération minière Allemagne-Chili pour garantir l’approvisionnement de l’Allemagne en cuivre, lithium et autres métaux rares. »24 L’Allemagne calquerait directement sa politique à l’égard de la Chine sur celle des Etas-Unis. Cependant, à rebours du gouvernement fédéral, « BASF, Volkswagen, Daimler ou Siemens ont décidé de renforcer leur présence sur le marché chinois. « Quatre camions sur dix sont vendus en Chine… nous avons besoin de la Chine pour soutenir notre développement mondial », affirme Christian Levin, patron de Traton, filiale « véhicules utilitaires » de Volkswagen, qui s’apprête à construire la première usine Scania en Chine. BASF a pour sa part annoncé un investissement de 10 milliards d’euros dans une nouvelle usine chinoise. Cariad, la division logicielle de Volkswagen, est sur le point de s’engager à hauteur de plusieurs milliards dans une co-entreprise avec le chinois Horizon Robotics, spécialiste de l’intelligence artificielle et de la conduite autonome. »25 L’Allemagne tentera de trouver un positionnement tenable entre la Chine et les Etats-Unis, en maintenant des relations économiques substantielles avec la première et en obtenant une crédibilité militaire des seconds tout en orientant le cours de l’Union européenne. Comment va-t-elle se positionner dans la refondation de son modèle énergétique. Va-t-elle procéder de manière unilatérale ou construire une hypothétique politique européenne de l’énergie ? Pour Thomas Gomart, « Une autre chose est certaine en revanche : l’Allemagne se prépare d’ores et déjà aux prochains élargissement de l’UE, en particulier à celui vers l’Ukraine »26. 23 Thomas Schnee, « Comment Berlin prévoit de réduire sa dépendance envers la Chine », Mediapart, 10 février 2023. 24 Thomas Schnee, « Comment Berlin prévoit de réduire sa dépendance envers la Chine », Mediapart, 10 février 2023. 25 Thomas Schnee, « Comment Berlin prévoit de réduire sa dépendance envers la Chine », Mediapart, 10 février 2023. 26 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 112. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page13 Au-delà de l’Allemagne, comment l’Union européenne entend-elle se positionner pour rester un acteur clé face à la Chine et aux Etats-Unis mais également pour être une puissance économique, politique et militaire qui compte ? Pour l’historien Laurent Warlouzet, « l’UE peut être définie comme un marché organisé, avec quelques éléments de solidarité. Elle n’est pas une puissance en tant que telle. Ça ne veut pas dire qu’elle ignore cette dimension, mais elle s’est historiquement construite pour médier et atténuer des rapports de force entre puissances nationales. Elle s’est en effet distinguée par sa capacité à édicter des normes civiles, une politique commune de la concurrence et un minimum de règles sociales et environnementales. Mais elle a laissé le domaine de la puissance soit aux États, soit à d’autres enceintes comme l’Otan. L’enjeu, aujourd’hui, est de savoir si l’Europe va devenir une puissance. »27 Les rivalités intercapitalistes au sein de l’Union européenne et la dépendance économique et militaire aux Etas-Unis constituent toujours des freins importants à la constitution d’une autonomie stratégique. Cependant, le scénario de l’Europe n’est pas inscrit dans les astres. Pour Laurent Warlouzet, « L’UE joue un rôle important de médiation des politiques industrielles nationales, et elle a d’ores et déjà admis plus d’interventionnisme public en la matière. L’assouplissement est réel en ce qui concerne les aides d’État. La première réponse européenne, c’est donc de tolérer des réponses néomercantilistes plus fortes au niveau des États membres. Ce n’est pas rien : depuis le Covid, les plans d’aide nationaux aux secteurs industriels sont considérables. »28 Les orientations présentes mettent cependant à mal des réorientations politiques indispensables pour répondre d’une manière non barbare aux urgences sociales et écologiques. Il s’agit davantage de protéger des capitaux menacés par les désordres mondiaux que de s’orienter vers une réelle transition sociale et écologique. Et si apparaissent des « gouvernements de crise » qui se font interventionnistes et contournent les limites qu’ils s’étaient eux-mêmes érigés, c’est cependant bel et bien pour protéger les intérêts du capital. Comme l’indique le journaliste économique Romaric Godin, « Les actions de l’État ne sont pas, comme dans l’après-guerre, fondées sur une logique d’isolement de certains secteurs clés de la logique de marché. Ici, il s’agit précisément de sauvegarder le système productif existant et de continuer à laisser le marché définir les besoins. La logique est donc plutôt celle décrite par l’économiste roumano-britannique Daniel Gabor d’un « dérisquage » (« derisking ») des activités financières par le transfert des risques vers le budget de l’État. Pour le dire plus simplement : la politique publique engagée dans la sauvegarde du capital n’est pas une politique transformative, c’est une politique conservatrice. »29 Les budgets consacrés aux dépenses militaires sont en nette augmentation, le soutien public massif aux secteurs privés qui est aujourd’hui observé aurait pour corollaire le fait que les « États devraient faire payer à d’autres secteurs leur générosité envers le capital. Et il n’existe guère d’autre solution que de dégrader les secteurs publics, la redistribution et les protections du travail. La clé alors ne serait pas les dépenses publiques en général, mais bien plutôt les priorités de l’action publique. » Une action publique qui risque d’être tout entière vouée à la préservation de la compétitivité des économies. Et ce dans un contexte où les incertitudes de l’action conjuguée des impérialismes, des approvisionnements énergétiques plus difficiles, des ruptures dans les chaines de production, d’un ralentissement continu des gains de productivité placent encore davantage les économies capitalistes 27 Fabien Escalona, « Le difficile chemin vers une « Europe puissance » », Mediapart, 20 janvier 2023. 28 Fabien Escalona, « Le difficile chemin vers une « Europe puissance » », Mediapart, 20 janvier 2023. 29 Romaric Godin, « L’impasse du débat entre États et banques centrales », Mediapart, 31 octobre 2022. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page14 sous perfusion de l’intervention publique. « Le discours s’organisera autour de ce choix : de l’emploi et des investissements contre des concessions « sociales ». Les crises géopolitiques et écologiques deviendront alors des prétextes à de nouvelles offensives contre le monde du travail. En réalité, ce scénario semble déjà en place. »30 Le Royaume-Uni Le Royaume-Uni s’imposa comme la première puissance capitaliste à partir du début du XVIIIe siècle. Sa domination impérialiste – le Royaume-Uni est une puissance coloniale sans précédent – se fit par l’exportation des capitaux, rendues possibles par la maîtrise des mers et du commerce international. Elle put devenir globale grâce à l’accaparement des terres imposées par une politique d’une violence inédite31. Des organisations uniques contribuèrent à cette suprématie, dont la Compagnie des Indes orientales qui est l’un des pires exemples de violence commise par une multinationale32. Jusqu’en 1939, le Royaume-Uni reste premier exportateur mondial d’énergie et de biens manufacturés. La maîtrise des flux a toujours constitué une priorité politique et économique. Son industrialisation a fait d’elle « la civilisation du charbon » qui a façonné la société britannique et qui a laissé une forte empreinte sur l’environnement. Comme le montre Andreas Malm33, la GrandeBretagne est le berceau de la « capitalocène ». Selon cette approche, le capitalisme fossile est bien le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels. Malm suggère entre autres que ce ne serait pas l’activité humaine en soi qui constitue une menace, mais bien l’activité humaine telle que mise en forme par le mode de production capitaliste. Le capitalisme fossile, qui a mobilisé en premier lieu le charbon et ensuite le pétrole, est née au Royaume-Uni avant d’englober la plus grande partie du monde. La diminution de la production d’hydrocarbures en mer du Nord conduit la puissance britannique à redevenir importateur net d’énergie dès 2005. Le pays s’oriente également vers la diminution de la production d’électricité par du charbon mais devient un grand expérimentateur des technologies dites « bas carbones » (nucléaire, captage et séquestration de CO2) qui sont décrites à juste titre comme les points cardinaux d’une écologie marchande qui risque de précipiter la catastrophe écologique plutôt que de nous en éloigner. Aujourd’hui, le Royaume-Uni représente 3,2% du PIB mondial et affiche le deuxième déficit commercial mondial. Sa stratégie post-Brexit pourrait consister à affaiblir l’UE au profit de l’OTAN et exercer par cette entremise son influence sur le continent et au-delà. Ce climat post-Brexit permet la construction d’un nouveau récit à la droite dirigeante et aux milieux d’affaires. Désormais débarrassés des « contraintes européennes », ils renoueraient avec une ambition impériale pour créer une sorte de « Singapour-sur-Tamise », paradis de la finance et du libre-échange, rayonnant à travers le Commonwealth. 30 Romaric Godin, « L’impasse du débat entre États et banques centrales », Mediapart, 31 octobre 2022. 31 Voir notamment : Mike Davis, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales. Aux origines du sousdéveloppement, La Découverte, 2006. 32 Voir Alain Bihr, Le premier âge du capitalisme. Tome 1 L’expansion européenne, Syllepse, 2019. 33 Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, La Fabrique, 2017. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page15 Le Royaume-Uni se présente comme un acteur à la solde de la promotion d’un modèle ultralibéral et ultraconservateur. Les législations qui sanctionnent les libertés syndicales – dont le droit de grève – et les mobilisations sociales se renforcent34. En matière d’asile et d’immigration, le gouvernement de Rishi Sunak a déposé un projet visant à abroger la loi relative aux droits humains, pilier de la protection des droits fondamentaux au Royaume-Uni, pour la remplacer par une « charte des droits ». Cette dernière a été fortement critiquée. Il lui était reproché de constituer une forte régression, notamment parce qu’elle remettait en cause certaines obligations en matière de protection35. Les positions du gouvernement s’appuient clairement sur l’idéologie de l’extrême-droite. Les Etats-Unis sont plus que jamais perçus comme le partenaire cardinal dans l’OTAN. En matière de défense, il est prévu une réduction des effectifs de l’armée de terre mais une intensification de la présence à l’extérieur du royaume à partir d’un réseau de base (en Allemagne, au Kenya, à Brunei et à Belize) qui pourrait intervenir rapidement avec des unités légères ou dans le cadre d’une coalition au sein de l’OTAN. Les investissements dans les domaines nucléaire, spatial, cyber et naval seront en nette augmentation. La politique du Royaume-Uni vise à rester proche des Etats-Unis afin de bénéficier de leur protection, ce qui suppose de les suivre avec souvent peu de distance dans leurs interventions y compris militaires. Le Royaume-Uni s’est fortement engagé en Afghanistan, en Irak et en Lybie. Mais le Royaume-Uni entend également préserver un ordre international dans lequel il peut faire peser ses capacités d’influence stratégique. Le Royaume-Uni n’a pas de territoire à défendre dans l’Indopacifique mais exerce une influence certaine à travers son réseau de bases ou de points d’appui autour de la Chine (Singapour, Brunei, Népal et Australie), en Méditerranée (Gibraltar et Chypre), au Moyen-Orient (Oman, Bahreïn) et en Afrique (Djibouti, Sierra Leone, Nigeria). Cependant, le Royaume-Uni est traversé par d’importantes divisions politiques et sociales. Le Brexit a aggravé les divisions au sein du Royaume, notamment avec l’Écosse et l’Irlande du Nord. La dérégulation est l’objet d’une forte contestation sociale. Les infrastructures publiques sont en ruine et les moyens alloués aux politiques sociales provoquent de graves atteintes au droit à la santé et à l’aide sociale, etc. Autre question : l’UE demeure de loin le premier partenaire économique du Royaume-Uni. Comment ce dernier va-t-il se positionner ? Sur le terrain militaire, il encourage la fourniture d’armements de plus en plus offensifs à l’Ukraine. Il pourrait paradoxalement – si ses gouvernements mesurent qu’il n’a plus la puissance d’agir seul – s’impliquer fortement pour soutenir l’élargissement de l’UE à des pays des Balkans et surtout à l’Ukraine. L’Inde Les forces politiques ultranationalistes hindoues exercent le pouvoir politique en Inde. Le BJP (Bharatiya Janaty Party – Parti indien du peuple) gouverne par l’entremise du premier ministre Narendra Modi depuis 2014. Son accession au pouvoir fait progressivement basculer l’Inde dans un nouveau type de régime. 34 Voir Marc Lenormand, « Le Royaume en grève », https://laviedesidees.fr/Le-Royaume-en-greve 35 https://www.amnesty.org/fr/location/europe-and-central-asia/united-kingdom/report-united-kingdom/ Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page16 Avec certaines spécificités, on peut rattacher la dynamique indienne au phénomène « néo-illibéral » : « un mélange entre la préservation des fondamentaux du néolibéralisme (comme la mobilité du capital ou l’indépendance des banques centrales) et l’accroissement de l’autoritarisme politique. » 36 Orbán en Hongrie, Erdogan en Turquie ou Modi en Inde en sont les figures de proue. Ils incarnent des « hommes forts » aux accents nationalistes, liés aux intérêts des grandes firmes globales, dont notamment les plateformes digitales qui peuvent servir leurs projets de propagande, voire de surveillance. Le BJP avait déjà gouverné entre 1998 et 2004. Mais, en 2014, il obtient la majorité absolue et peut appliquer l’Hindutva, son projet d’ « hindouïté ». « Ce courant idéologique s’inspire des nationalismes ethniques européens en reconnaissant un rôle dominant à la communauté majoritaire des fils du sol sur les minorités musulmane et chrétienne, qui doivent s’assimiler. »37 Le parti et le gouvernement s’appuient sur des « vigilantistes » qui bénéficient de la bienveillance des forces de l’ordre, ils tentent, par exemple d’empêcher les mariages mixtes entre hindous et musulmans. La volonté du BJP est de créer un Etat hindou. La communauté majoritaire impose de plus en plus aux minorités des symboles de son identité et de son mode de vie. Narendra Modi s’est d’ailleurs fait connaître comme dirigeant d’un Etat indien, le Gujarat qui jouxte la frontière du Pakistan. Il avait défendu et obtenu l’adoption de lois discriminatoires contre les musulmans qui représentent 14% de la population. Lors de violentes émeutes en 2002, on pouvait déjà lire la volonté de ne plus trouver « un seul musulman vivant au Gujarat ». Fort d’une majorité, Modi et son gouvernement ont modifié l’amendement constitutionnel qui permettait une plus grande autonomie au Cachemire, seul Etat à majorité musulmane et ont révoqué le Citizenship Act qui visait à accueillir des minorités religieuses persécutées venant du Bangladesh, d’Afghanistan ou du Pakistan. Seules les victimes non musulmanes sont désormais éligibles, ce qui empêchent les Rohingyas ou les chiites d’y avoir recours. On peut souligner une affinité idéologique entre les nationalistes hindous et les dirigeants israéliens concernant ce qu’ils identifient comme la « menace islamiste ». De son côté, la Chine renforce le poids des militaires du Pakistan. L’Inde se retrouve face à une puissance chinoise qui est en train de construire un ordre continental eurasiatique avec l’aide de la Russie. Conscient de leur infériorité stratégique, l’Inde tente d’éviter tout affrontement direct avec la Chine. C’est pour cela principalement que l’Inde prend part au Quad avec les Etats-Unis, le Japon et l’Australie tout en maintenant des échanges réguliers avec d’autres puissances maritimes telles que l’Indonésie, l’Iran, le Vietnam, des pays européens… Le nationalisme porté par le gouvernement Modi l’amène à attiser les tensions traditionnelles avec le Pakistan au sujet du Cachemire. L’Inde cherche sur le plan international une place dans une configuration particulière avec la Chine et les Etats-Unis. C’est dans ce contexte que l’on peut situer la visite d’Etat du premier ministre indien aux Etats-Unis de juin 2023. La visite d’État de Modi est, pour le dirigeant nationaliste hindou, une véritable revanche. Il avait été placé sur la liste noire du gouvernement américain parce qu’il était tenu pour responsable des massacres de musulmans en 2002 dans l’état indien du Gujarat qu’il dirigeait. Barack Obama l’avait réhabilité en 2014. Désormais, la Maison-Blanche entend donner à sa coopération avec Delhi une tout autre dimension, notamment pour contenir les ambitions de la Chine, leur rival commun. 36 Godin Romaric, Escalona Fabien, 2020, « Les quatre scénarios pour l’hégémonie politique du « monde d’après » », Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/france/230520/les-quatre-scenarios-pour-l-hegemonie-politique-du-monde-dapres 37 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 182. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page17 L’approche est à la fois économique et militaire. Ainsi, le géant américain des puces électroniques Micron Technology, basé à Bose dans l’Idaho, projette de créer une usine de production en Inde dans le Gujarat cher à Modi. Un projet de plusieurs milliards de dollars, financé pour moitié par la partie indienne qui y voit un mode de dynamisation de son économie alors que les Etats-Unis y voient un élément de sa lutte contre la domination chinoise dans le secteur. Mais c’est dans le domaine de la Défense que le rapprochement indo-américain est le plus impressionnant. General Atomics va livrer à l’armée indienne les drones qu’elle réclamait en vain depuis des années pour mieux contrôler ses frontières avec la Chine et le Pakistan, « mais surtout Washington a autorisé General Electrics à transférer une technologie sophistiquée pour la fabrication de moteurs d’avions de chasse dernier cri. L’Inde désespérait depuis près de vingt ans d’obtenir cette technologie, que les États-Unis n’ont au demeurant partagée avec aucun de leurs alliés. On mesure l’envergure de la coopération militaire qui est ainsi mise en route. Elle concerne potentiellement plusieurs générations d’avions et pourrait ainsi lier étroitement les secteurs de la Défense indien et américain pendant deux ou trois décennies. Pour Delhi, c’est une aubaine, alors que la guerre en Ukraine a tari les fournitures d’armes russes »38. Cependant, l’Inde et les Etats-Unis construisent « un partenariat qui ressemble à une alliance avec une différence fondamentale : l’absence d’engagement de défense mutuelle »39. L’Inde ne compte pas moins de 18% de la population mondiale et occupe 2,4% de la surface terrestre. Elle compte au niveau économique des groupes de taille mondiale. Elle est devenue un carrefour mondial des services informatiques. Dans le secteur manufacturier, les industries chimique, textile et pharmaceutique se développent considérablement. Mais le potentiel de développement de l’Inde se heurte à plusieurs obstacles. Premièrement, les inégalités entretenues par le système des castes sont énormes. Les 1% les plus riches possèdent davantage que les 70% les plus pauvres, les contrastes économiques et territoriaux sont gigantesques. Pas moins de 190 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique. Deuxièmement, l’accès à l’eau est devenu problématique, certains bassins se trouvant dès aujourd’hui dans une situation de rareté absolue alors que d’inquiétantes contaminations des eaux souterraines ont été identifiées. En outre, le réchauffement climatique produit des effets déstabilisants. Dans des agglomérations urbaines ultrapolluées, les températures rendent parfois le travail humain impossible. Troisièmement, la politique énergétique produit des désastres environnementaux. L’Inde est le troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le mix énérgétique du pays repose encore principalement sur le charbon (45%), le pétrole (25%) et la biomasse (20%). Quatrièmement, détentrice de l’arme nucléaire, l’Inde voudrait éviter la diversion stratégique que représente le Pakistan. 38 Philippe Paquet, « Modi à Washington : le grand basculement », La Libre Belgique, 23 juin 2023, p. 12. 39 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 193. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page18 Eurasie, BRICS… Vers de nouvelles ambitions et rivalités impérialistes Le comportement géopolitique actuel de quatre pays, à savoir la Russie, la Turquie, l’Iran et la Chine, révèle le renouveau de leurs ambitions impérialistes. La Turquie, dirigée par Recep Tayyip Erdogan et son parti l’AKP, est le théâtre d’importantes transformations. En conjuguant islamisme et nationalisme, la politique d’Erdogan s’intègre à la nouvelle internationale fasciste40 dont les autres leaders sont Trump aux Etats-Unis, Modi en Inde, Orban en Hongrie, Le Pen en France et naguère, Bolsonaro au Brésil. Initialement, Erdogan était favorable à l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne, il critique aujourd’hui les pays européens, cherche de nouveaux partenaires et multiplie les interventions militaires. Il entend délimiter une nouvelle sphère régionale tout en étant membre de l’OTAN et du G20. La Turquie compte aujourd’hui 83 millions d’habitants et représente 0,9% du PIB mondial. Le pays est traversé par une crise économique aigüe et d’importantes contestations sociales. Le pouvoir aligne sa politique interne comme externe autour de la chasse aux « traîtres » à l’intérieur » et aux « ennemis » à l’extérieur. Puissance eurasiatique, la Turquie entend renforcer son indépendance stratégique en saisissant l’opportunité laissée par le retrait américain et la perte d’influence de l’Union européenne en Méditerranée. La Turquie domine militairement et économiquement tous ses voisins : Grèce, Bulgarie, Géorgie, Irak, Azerbaïdjan, Arménie, Iran (sauf si l’Iran devenait puissance nucléaire) et Syrie. Elle tente de maintenir une position intermédiaire : médiatrice entre Kiev et Moscou, tout en achetant des armes à la Russie et en en fournissant à l’Ukraine. Par ailleurs, moyennant une contrepartie financière de 3 milliards, Erdogan a accepté en 2016 de jouer pour l’Union européenne un rôle de triage et de frein à l’immigration. Cette dernière faisant comme à l’accoutumée peu de cas du mépris des droits humains et des politiques liberticides du gouvernement turc. La stratégie turque est également orientée vers l’amélioration de son autonomie énergétique. Elle tente, pour ce faire, de posséder ses propres ressources. C’est pourquoi elle affirme sa présence en Méditerranée en vue d’exploiter de nouvelles réserves gazières qu’elle dispute à ses voisins dont la Grèce. Tout comme la Russie et l’Iran, le gouvernement turc prend une orientation anti-démocratique et se pense comme contre-modèle national et religieux à la démocratie libérale. « Les trois pays partagent l’ambition de restaurer un ordre ancien, « antérieur aux expériences d’occidentalisation du XVIIIe siècle », par une combinaison de coercition extérieure et de répression intérieure. »41 L’Iran occupe une position singulière. Ce pays qui compte 85 millions d’habitants connait une situation paradoxale. Il est un acteur clé des marchés pétroliers et gazier mais ne pèse qu’à hauteur de 0,2 % du PIB mondial. Les Iraniens sont en moyenne neuf fois plus pauvres que les Saoudiens. L’économie est fort contrainte par les sanctions occidentales. La trajectoire historique iranienne est de rejoindre le giron de la Chine depuis 1979. Aujourd’hui, 50 % de ses exportations se font vers la Chine. L’Iran utilise ses ressources militaires et paramilitaires pour servir un projet expansionniste et développe un programme nucléaire afin de s’affirmer pleinement comme puissance militaire. Mais le régime dictatorial des mollahs est fortement contesté. La stratégie iranienne est très coûteuse socialement, économiquement et diplomatiquement. Le régime assume jusqu’ici une répression très brutale des 40 Ugo Palheta, La nouvelle internationale fasciste, Textuel, 2022. 41 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 215. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page19 mouvements de contestation sociale. Sa légitimité en est profondément atteinte. Par ailleurs, aujourd’hui, l’Iran soutient directement la Russie contre l’Ukraine en livrant des armes. L’Iran occupe une position clé en Eurasie. Mais le pays est exsangue et il est peu envisageable qu’il se reconnecte au flux de la mondialisation. Ce sera probablement davantage la possession d’un arsenal nucléaire qui sera privilégié. L’Eurasie désigne un supercontinent qui s’étend de l’Europe à l’Asie, entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Il compte 54 millions de km carré et 5 milliards d’habitants. L’Eurasie est bornée par trois théâtres régionaux où se déploie une confrontation de puissances qui pourrait déclencher une déflagration mondiale : l’Ukraine, Taiwan et l’Iran. Alors que Pékin affirme au sujet de Taiwan « Un pays, deux systèmes », la Russie proclame à propos de l’Ukraine « Deux pays, un seul peuple ». Cela signifie la même chose sur le fond, celle de l’intégration à la loi du plus fort. Alors que pendant ce temps, les ambitions nucléaires de l’Iran s’affirment. Les Etats-Unis exercent une influence directe sur l’Eurasie. Ils sont engagés sur deux fronts face à la Russie et face à la Chine. Face à la Russie, ils soutiennent une politique atlantiste qui passe par le soutien au gouvernement ukrainien avec leurs alliés européens et la livraison d’armes. Mais les enjeux portent également sur la domination américaine du bloc atlantiste. « L’Administration Biden compte consolider la domination américaine sur le bloc transatlantique que le mandat de Trump avait plutôt affaiblie. Sur le plan militaire, cela ne fait aucun doute. Dans cette guerre qui se déroule en Europe, la démonstration est faite que les développements de la défense des pays de l’UE ne pourront avoir lieu que sous domination américaine. L’OTAN renforce pour le moment son unité, démentant la remarque d’Emmanuel Macron sur son « état de mort cérébrale ». L’affermissement du leadership économique sur ses alliés est un objectif encore plus important de l’Administration américaine. Car la guerre ne va pas faire disparaître la concurrence économique au sein même du bloc transatlantique, elle va plutôt l’exacerber. Les sanctions économiques contre la Russie provoquent des effets négatifs moins violents aux Etats-Unis qu’en Europe, où l’Allemagne demeure le principal concurrent des Etats-Unis. Donald Trump en avait même fait une cible presque aussi importante que la Chine. Le Président Biden procède autrement mais il a obtenu de l’Allemagne ce qu’il demandait en vain depuis son élection : l’arrêt définitif du fonctionnement du gazoduc Nord Stream 2 et la fin de l’approvisionnement en gaz russe, ce qui pose un défi de court et peut-être de moyen terme à l’Allemagne. » . Sur le plan militaire, les Etats-Unis restent la seule puissance à pouvoir projeter simultanément une puissance militaire significative sur plusieurs points du globe. Ils défendent le statut quo entre la Chine et Taiwan et sont présents au Japon et en Corée du Sud. De leurs côtés, la Chine et la Russie ont affiché une « amitié sans limites » depuis février 2022. Dans une déclaration commune, Poutine et Jinping ont fustigé l’influence américaine exercée à travers l’Otan et l’AUKUS, l’alliance trilatérale composée de l’Australie, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Le partenariat énergétique entre la Russie et la Chine est en même temps approfondi. Pour le bloc transatlantique, l’Est est désormais composé des pays réunis au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai. Créé en 2001, elle réunit la Chine, l’Inde, le Kazakhstan le Kirgizistan, l’Ouzbékistan, le Pakistan, la Russie et le Tadjikistan. L’Iran est en train de rejoindre l’organisation qui compte également trois pays observateurs (l’Afghanistan, la Biélorussie et la Mongolie) et qui entretient un dialogue avec six pays (l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Cambodge, le Népal, le Sri Lanka et la Turquie). Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page20 Cependant, la Chine pourrait interroger sa stratégie d’alliance avec la Russie. Pour certains analystes, si la Chine a été avertie de l’intervention militaire de la Russie en Ukraine, elle ne pensait cependant pas à un scénario qui se prolongerait dans le temps et n’envisageait probablement pas une réaction occidentale aussi forte. Reste que la Chine est engagée de longue date dans une stratégie d’élargissement de son influence. Le récent sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui s’est tenu du 22 au 24 août 2023 en Afrique du Sud aura été suivi avec énormément de vigilance par les Etats-Unis et l’Europe qui redoutent de voir se forger une alliance remettant en cause l’ordre mondial. C’est notamment sous l’influence de la Chine que le club cherche à élargir son influence afin d’affirmer son pouvoir face à l’Occident. Tous les objectifs que la Chine s’était fixé y sont atteints. Premièrement, le club s’élargit : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, mais surtout l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran sont admis. Deuxièmement, l’entrée des trois principaux pays producteurs casse le lien entre pétrole et dollar. « L’entrée des trois plus gros producteurs de pétrole – en dehors des États-Unis – aux côtés de la Russie marque un tournant décisif pour les animateurs de ce sommet. Le brut est la valeur cardinale sur les marchés des matières premières. Mais il est aussi une des clés de voûte du système monétaire international depuis la fin des accords de Bretton Woods, assurant à la monnaie américaine le statut incontesté de seule monnaie de réserve internationale et faisant des États-Unis le centre de recyclage de tous les excédents mondiaux. Ce statut est en train de se déliter. Le lien qui semblait indénouable entre pétrole et dollar est en passe d’être rompu. En devenant membres du club, les pays producteurs entérinent leur acceptation que leurs livraisons pétrolières soient payées autrement qu’en dollar. En monnaie locale. Des premiers contrats ont été signés ces dernières semaines avec la Chine et l’Inde. Ils sont appelés à se généraliser. » Troisièmement, des systèmes de paiement alternatifs s’ébauchent, mettant de plus en plus Pékin à l’abri des sanctions occidentales. « Sans bruit, une vaste zone d’échanges est en train de se constituer sous nos yeux, en dehors de la référence du dollar et hors de portée des sanctions américaines. La Chine en apparaît déjà comme la première bénéficiaire. Alors que Pékin redoute de faire l’objet à son tour de mesures de rétorsion de la part des États-Unis et de ses alliés, cet élargissement lui offre la perspective de pouvoir continuer à négocier dans une grande partie du monde, d’installer peu à peu le yuan comme une monnaie de réserve internationale aux côtés du dollar, de l’euro, du yen, de la livre sterling et du franc suisse. » Les périphéries du capitalisme Le continent africain apparaît bien comme le nouveau terrain d’affrontement entre les puissances installées et les puissances montantes. Grand classique des conflits impérialistes, les pays des centres capitalistes se disputent le contrôle des périphéries. C’est dans ce statut qu’est cantonné l’Afrique. La récente invitation des pays africains au sommet des Brics en août 2023 ne peut faire illusion. Quant aux pays d’Amérique latine, même si de puissants mouvements sociaux affirment des volontés de transformation sociale, ils peinent à se traduire dans des majorités politiques. Le Brésil reste hégémonique en Amérique latine mais le pouvoir politique est fragilisé. Soumis aux pressions d’une opposition puissante et doté d’alliés proches de l’agro-industrie, Lula est par exemple prêt à lâcher du Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page21 lest sur l’écologie42. Dans certains pays, l’extrême droite reste vigoureuse (Chili) voire dominante comme l’illustre la récente élection du nouveau président argentin Javier Milei. Si la volonté d’émancipation des pays en développement, dont nombre de pays africains, ne peut qu’être saluée, on ne peut s’empêcher de souligner que celle-ci s’affirme sous de sombres auspices. « À l’exception du Brésil et (…) dans une moindre mesure de l’Afrique du Sud, tous les dirigeants des pays membres du club (BRICS) pratiquent un pouvoir autoritaire, voire dictatorial, faisant peu de cas des libertés publiques, ayant des pratiques plus que contestables. Le contre-système qu’ils entendent mettre en place risque de laisser leur marque partout, favorisant l’opacité et la fraude. »43 Une configuration inédite Ce qui apparait inédit dans le (dés)ordre international, c’est l’émergence de relations internationales entre puissances caractérisées par des connivences de circonstance. Des puissances égoïstes sans boussole idéologique font des alliances comme bon leur semble. Pensons par exemple aux accords entre la Russie, désormais adversaire de l’OTAN, et la Turquie, membre de l’OTAN. Ces unions libres sur le plan géopolitique semblent dessiner un monde où les mariages institutionnels que l’on scelle dans des organisations comme l’Otan sont rendus caduques44. L’UE se retrouve dans une position particulière. Sous l’hégémonie des Etats-Unis, elles peinent à construire sa propre politique internationale. Elle existe comme marché, est de plus en plus gagnée par des idéologies et des mouvements néofascistes, et est toujours dépendante des Etats-Unis et donc très vulnérable par rapport à leur possible versatilité stratégique. Les pays européens se sont engagés dans des ruptures économiques avec l’Iran et la Russie. Leurs approvisionnements énergétiques en est profondément affecté. Le continent africain est le théâtre de convoitises entre grandes puissances qui entendent y faciliter l’action des grands groupes multinationaux qu’ils soutiennent et protègent. L’accaparement des ressources est au cœur de leurs stratégies impérialistes et néocoloniales. L’exercice de la puissance globale passait par le contrôle des énergies fossiles. Autrefois, le contrôle de la production et de l’approvisionnement en charbon était au cœur de la domination britannique. Ceux du pétrole et du gaz sont centraux pour les Etats-Unis et la Russie. Mais, parallèlement à cela, se met en place une géopolitique du renouvelable. Elle implique notamment la maîtrise de technologies telles que le nucléaire, l’accès aux capitaux et la création de normes. « La production minière s’inscrit dans ces deux géopolitiques faisant apparaître des géographies fluctuantes entre producteurs et consommateurs. Les chaînes de valeur deviennent des courroies de transmission de coopération, de confrontation ou d’agression. A cette complexité énergétique s’ajoute celle liée au déploiement des technologies critiques, comme les micro-processeurs, qui concentre la puissance sur un très petit nombre d’acteurs en mesure d’instrumentaliser les dépendances. »45 42 Jean-Mathieu Albertini, « Brésil : la politique environnementale de Lula mise à rude épreuve », Mediapart, 19 juin 2023. 43 Martine Orange, « Les Brics s’attaquent à la dictature du dollar », Mediapart, 25 août 2023. 44 Edwy Plenel, « Un bilan de 2022 : « L’Histoire n’offre pas d’aller et retour », Mediapart, 30 décembre 2022. 45 Thomas Gomart, Les ambitions inavouées. Ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023, p. 21-22. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page22 Mais les incertitudes pèsent de tout leur poids dans les reconfigurations géopolitiques. Qu’en sera-t-il des conséquences de la crise écologique ? Comment les grandes puissances vont-elles déployer l’écologie marchande ? Comment vont-elles précipiter encore davantage le chaos climatiques et social ? Aujourd’hui, les énergies fossiles représentent plus de 80% du mix énergétique mondial. Alors qu’elles devraient être réduites de manière drastique, les émissions de gaz à effet de serre – qui ne sont ellesmêmes qu’une part de la crise écologique – ne cessent d’augmenter. Le noyau capitalisme vert/énergie sera central pour comprendre comment les grandes puissances tentent de maintenir ou de regagner de la suprématie afin de garantir cette accumulation illimitée, nerf de la guerre du capital, source de dévastation sur les plans sociaux et écologiques. Des résistances Cependant, les grandes puissances ne dictent pas seules les données de la situation mondiale de demain. Elles font face à des acteurs dont la robustesse ne cesse d’étonner. Les classes populaires se révoltent inlassablement contre l’ordre du monde. La résistance palestinienne n’est pas détruite par la politique d’extrême droite du gouvernement israélien. Même si des populations civiles paient le prix fort des politiques d’anéantissement et de destruction. Les faits du 7 octobre 2023 marqués par la prise pour cible par des combattants du Hamas de populations civiles israéliennes ainsi que la guerre totale sur la bande de Gaza déclenchée très rapidement après par le gouvernement israélien confrontent les mouvements sociaux et les associations internationalistes à la nécessité de construire de nouvelles solidarités. C’est le message délivré par certaines associations juives qui refusent de laisser emprisonner dans l’ultranationalisme religieux du gouvernement israélien. Parmi elles l’UPJB (Union des Progressistes Juifs de Belgique) a déclaré : « Les attaques meurtrières et les enlèvements dont ont été victimes depuis ce 7 octobre 2023 des centaines de civil·es habitant des localités israéliennes proches de la bande de Gaza constituent des crimes de guerre que l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) ne peut que condamner. Cellesci nous choquent et nous affectent profondément. L’UPJB reconnaît cependant le droit à la résistance des Palestinien·nes, y compris armée quand elle vise des militaires ou des colons armés puisqu’iels sont victimes d’une occupation militaire interminable, de l’accaparement sans cesse croissant de leurs terres, de leurs ressources en eau et d’autres biens, de l’étouffement de leur économie, de la répression par l’armée de toute forme de résistance même non violente, de l’agressivité quotidienne de plus en plus souvent meurtrière des colons. »46 Les mobilisations en solidarité avec la population palestinienne sont historiques. Elles font pression pour une autre géopolitique dans laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le refus de collaborer avec des gouvernements coupables de crimes de guerre sont centraux. Ces mobilisations combattent pour qu’une humanité commune soit toujours possible. « Ce n’est pas seulement une humanité concrète, celle des vies irrémédiablement perdues, qui se meurt au ProcheOrient. C’est l’idée même d’une humanité commune que ruine la vengeance sans frein ni limites de 46 « Crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Israël/Palestine : Halte aux « deux poids deux mesures ». », upjb.be, 10/10/2023. Le bal des impérialismes__________________________________________________________________ Novembre 2023 Page23 l’État d’Israël contre la population palestinienne de Gaza en riposte au massacre commis par le Hamas. »47 L’élan populaire n’a pas disparu du théâtre de la géopolitique. Les petits et grands arrangements des puissances viennent se heurter aux mouvements de contestation et de révolte qui sont la norme plutôt que l’exception. Le récit dominant tend à invisibiliser cette donnée centrale. Les mouvements révolutionnaires et/ou contestataires sont une constante d’une mondialisation qui n’a rien d’heureuse pour les classes populaires et, plus généralement, les vivants. Comme le constate Partha Chatterjee, « Récemment, et en plusieurs occasions, des mobilisations populaires massives se sont produites dans différents pays, souvent avec une grande spontanéité. »48 Révoltes du printemps arabe, Occupy Wall street, Gilets Jaunes, Black Lives Matter, Marches pour le climat, contestation des contre-réformes néolibérales des retraites, résistances contre le mépris des droits humains, etc. Ces mouvements « incarnaient sans aucun doute une aspiration forte des populations à un changement révolutionnaire : la transformation radicale d’un système devenu rigide, implacable, sans réactivité. »49 Sur le théâtre de la géopolitique mondiale, les résistances sont multiples. Une résistance populaire en Ukraine a contribué à mettre en échec les projets du pouvoir russe d’une guerre rapide. Le régime iranien fait face à une révolte populaire dans lesquelles les mouvements de femmes occupent une place tout à fait déterminante. Voici quelques années, le mouvement des Gilets Jaunes s’est opposé à certaines des composantes de l’ordre néolibéral. Les marches pour le climat sont emblématiques d’une conscience sociale écologique qui émerge et qui se heurte à la raison néolibérale. Alors qu’il est pris pour cible par de nombreux gouvernements qui rivalisent dans l’adoption de lois liberticides, le mouvement syndical reste un contre-pouvoir important dans nombre de pays. Les mobilisations sociales ne sont pas à la traine mais peinent à trouver les relais politiques qui les porteraient vers des positions de force pour imposer les priorités sociales et écologiques. Jusqu’à quand ? Le piège résiderait dans la considération que les enjeux géopolitiques sont inatteignables. Les féministes iraniennes, les résistances palestiniennes, les syndicats ukrainiens, les associations de défense des sanspapiers montrent à quel point la solidarité internationale est urgente et à quel point on ne peut l’attendre que d’en bas. 47 Edwy Plenel, « Gaza, où meurt notre humnaité », Mediapart, 7 décembre 2023, https://www.mediapart.fr/journal/international/071223/gaza-ou-meurt-notre-humanite 48 Partha Chatterjee, « Penser les révolutions depuis l’Inde », in Ludivine Bantigny, Quentin Deluermoz, Boris Gobille, Laurent Jeanpierre, Eugénia Palieraki (s.l.d.), Une histoire globale des révolutions, La Découverte, p. 32. 49 Idem, p. 32.
L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles Étude • Bruno Poncelet • Décembre 2022 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 2 C’est mieux si c’est dit… Comme toute langue, le français porte en lui une longue histoire qui a façonné une manière particulière de parler du monde et des sociétés. Avec ses côtés positifs comme négatifs. Parmi ceux-ci, on compte notamment des rapports de force ancestraux qui ont accouché de règles grammaticales déséquilibrées, notamment lorsque certains mots (masculins) ont le droit d’en englober d’autres (féminins). Dans un souci de concilier l’égalité des genres et le plaisir de lire, cet écrit recourt à une forme d’écriture inclusive où les pronoms et mots « neutres » sont alternativement présentés sous un habillage masculin et féminin (comme humain et humaine, ou tous et toutes, par exemple). Par ailleurs, la règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin n’est pas retenue non plus : lorsqu’un adjectif est associé à différents noms masculins et féminins, l’accord s’effectue en prenant en compte le genre du nom le plus proche de l’adjectif à accorder. Ces nouvelles possibilités qu’offre le combat féministe sont importantes. Cruciales même. À une exception près : lorsqu’un genre (masculin ou féminin) est surreprésenté au sein d’un groupe social, il semble logique – et même militant – de conserver une écriture à l’ancienne afin que ce déséquilibre ne soit pas caché, mais dévoilé. Cette étude a été écrite en suivant cet idéal inclusif. Par ailleurs, au vu des époques parcourues, c’est souvent l’exception qui sera d’application ici. Bruno Poncelet, formateur au CEPAG L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 3 Le monde contemporain semble être à la dérive. Tel un rafiot mal embarqué sur des flots tumultueux, il a perdu de vue les rivages rassurants nommés paix, cohésion sociale et prospérité liés à une époque où notre port d’attache commun – l’état-Providence – promettait un certain confort de vie à toutes et tous1 . En lieu et place : des masses anonymes de gens se sentent aujourd’hui abandonnés par un monde politique qui les regardent plonger dans la précarité sans sourciller. Par peur ou par dépit, par envie de vengeance ou pour essayer autre chose, les électeurs et les électrices sont de plus en plus nombreuses à conspuer les partis traditionnels pour leur préférer une alternative radicale : l’extrême-droite. Le dernier épisode en date de cette triste saga est l’arrivée au pouvoir, en Italie, du parti néofaciste Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) emmené par Giorgia Meloni – une femme nostalgique du régime sanguinaire de Mussolini (1883-1945) qui régna d’une main de fer sur le pays durant plus de deux décennies (de 1922 à 1945). Un peu partout en Europe, voilà donc les idéologies nationalistes de retour à peine un gros demi-siècle après avoir engendré une des plus grandes boucheries humaines du XXème siècle : la deuxième guerre mondiale et ses quelques 70 millions de morts ! Dans une amnésie collective qui fait peine à voir, le plébiscite en faveur de l’extrême-droite semble chercher une solution aux crises actuelles en optant pour des logiques discriminatoires. Qu’on soit jeune ou vieux, indépendante ou salarié, chômeur ou professionnellement active, l’étranger (quel qu’il soit) endosse bien malgré lui le statut de boucémissaire fédérant tant de frustrations et de ressentiments différents. Qu’importe le nombre de migrantes qui meurent en mer Méditerranée ou sont victimes d’exploitations sordides faute d’avoir une existence légale et reconnue du point de vue administratif, la peur de l’autre redevient pour beaucoup un leitmotiv légitime dans nos sociétés contemporaines. Si l’on peut comprendre l’envie d’avoir un coupable à pointer du doigt au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans d’angoissantes impasses où l’argent manque tandis que le coût de la vie ne cesse d’augmenter, le moins qu’on puisse dire est que la cible majoritairement choisie (l’étrangère) est loin d’être responsable des maux dont on l’accuse. Pour peu qu’on prenne un peu de recul, la chose paraît même totalement insensée. Comme si une inversion des perspectives avait eu lieu. Soudainement, des gens pauvres et sans droits qui pèsent pour rien sur l’échiquier du monde sont comme affublés de la capacité étourdissante de peser négativement sur le bonheur des nations les plus riches. Par quel tour de passe-passe ou quel sortilège de magie noire ? Nul ne sait exactement, mais les rumeurs vont bon train et la peur des lendemains qui déchantent fait sans doute le reste. Toujours est-il que nous voilà à nouveaux coincés dans un embouteillage idéologique aux relents nauséabonds où discriminer l’autre (quel qu’il soit) semble être, pour beaucoup, le moyen idéal d’échapper à une réalité de plus en plus amère. À l’opposé de cette ambiance fétide, cette étude veut prendre le large, quitter l’Occident et respirer le grand air de l’altérité pour mieux comprendre les ressorts des relations qui lient nos riches nations aux peuples étrangers. 1 La notion d’État-Providence fait référence aux profondes réformes institutionnelles et législatives approuvées, sous la pression du mouvement ouvrier, au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour améliorer le sort des gens modestes dans les sociétés occidentales. Ces réformes étaient à la fois démocratiques et sociales. Démocratiques en élargissant par exemple le droit de vote à des gens qui n’en disposaient pas auparavant ou en instaurant des délégations syndicales comme contre-pouvoir légitime dans les entreprises. Sociales en réduisant collectivement le temps de travail, en faisant monter les salaires à un niveau décent ou bien encore en adoptant de grandes politiques solidaires comme le financement de la sécurité sociale. On peut lire à ce propos L’État social (Pour sortir du chaos néolibéral) de Christophe Ramaux, paru aux éditions Mille et une nuits en 2012. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 4 Une carte postale antique Au Mexique, dans la grande plaine du Yucatán, se dresse un site archéologique visité par des millions de touristes pour sa célèbre pyramide : Chichén Itzá. On s’y rend en bus ou en voiture, on achète des billets, on arpente d’augustes pierres, on s’émerveille des prouesses architecturales de l’époque, on claque des mains ou on donne de la voix pour tester la réverbération acoustique du stade local de jeu de balle, le cœur parcouru de quelques frissons d’horreur en pensant que ces gens pratiquaient les sacrifices humains. Heureusement -se disent en chœur athées et chrétiens, libéraux et socialistes – leurs Dieux bizarres et cruels d’antan sont à présent figés dans la pierre sur laquelle se promènent des lézards amoureux de bains de soleil. Quant aux autochtones, le pire qu’on ait à craindre d’elles est le harcèlement constant d’une multitude de vendeurs cherchant à soutirer quelques pesos en échange de souvenirs de voyage « authentiques », même s’ils ont été produits à la chaîne dans des pays d’Asie où le coût de la main-d’œuvre est encore plus bas qu’au Mexique. Quel étrange paradoxe ! Des gens jadis si puissants, au point de bâtir de fastueuses cités et de capturer à la guerre des humains vivants à offrir aux divinités, devenus en quelques siècles de très modestes maillons de l’économie-monde dans laquelle nous vivons. Évidemment, le séisme de la colonisation est passé par là… Lorsque les conquistadores débarquent aux Amériques, dans la foulée de Christophe Colomb qui jette l’ancre dans les Caraïbes en 1492, nous sommes encore en pleine époque médiévale avec ses rois, ses nobles, sa puissante église, ses inébranlables hiérarchies sociales et – fait nouveau par son ampleur démesurée – son incroyable soif d’explorations, de conquêtes, de dominations, de guerres, d’esclavagisme, de prédations matérielles, le tout flottant sur des rivières de sang. Même si l’estimation exacte est impossible à faire, les envahisseurs espagnols réussissent le triste exploit – en quelques décennies à peine – d’exterminer plus d’autochtones que les sacrifices amérindiens cumulés sur des siècles ! Si les maladies importées ont joué un rôle déterminant dans cette tragédie, le tranchant des épées, le désespoir indigène et les conditions abominables du travail forcé n’y sont pas étrangères. Autant de méfaits que nous qualifierions aujourd’hui de génocides et de crimes contre l’humanité, mais que la mémoire officielle de l’Occident recouvre pourtant du doux vocable de découvertes. Sous ce vernis bienpensant, se cachent des mondes brisés, piétinés, anéantis, mais aussi très différents des manières de vivre et penser contemporaines. Par exemple, nous avons pour habitude de découper l’arène politique en nations dirigées par des gouvernements, voire en constellations de pays gérant en commun certaines politiques comme le fait l’Union européenne. Rien à voir avec les réalités indigènes à l’aube de la colonisation où les frontières étaient mouvantes, les puissants empires n’étant que la pointe immergée d’un iceberg composé d’innombrables sociétés maîtrisant encore leur destin à l’échelle locale. Par exemple, dans le monde maya de l’époque classique (qui va de 150 à 900 de notre ère environ), le pouvoir central s’érigeait à hauteur de Cités-états – tantôt alliées, tantôt en guerre – formant un réseau qui coexistait (de façon harmonieuse ou non) avec une multitude de communautés et peuples indigènes. Tout en partageant le même horizon culturel amérindien, ces communautés constituaient un immense patchwork d’ethnies, de langues, d’identités, de divinités, d’ancêtres, d’esprits, de coutumes et de cultures bigarrées. Qui plus est, l’univers maya s’étant brusquement essoufflé au tournant des IXe et Xe siècles, beaucoup de communautés avaient retrouvé – pour peu qu’elles n’aient pas été happées dans le giron de l’empire aztèque en pleine expansion – une grande autonomie locale quand les Espagnols débarquèrent avec armes à feu, chevaux harnachés, croix chrétienne, maladies inconnues, et tant de certitudes dans les yeux2 . 2 Dans un livre paru récemment Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, l’archéologue David Wengrow et feu l’anthropologue anarchiste David Graeber (1961-2020) explorent, à leur manière, l’incroyable diversité des manières L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 5 À certains égards, le monde chrétien occidental ressemblait un peu aux grandes civilisations indigènes : un monarque fédérait sous son autorité une constellation de vassaux régnant sur leurs terres de façon plus ou moins autonome ; leurs mariages visaient à nouer des alliances diplomatiques pour conforter (et si possible élargir) leurs possessions territoriales, rendant ainsi les frontières « politiques » mouvantes ; lorsqu’un dirigeant établi venait à mourir, les prétendants légitimes au trône rivalisaient parfois dans de brutales guerres de succession ; enfin, à tous les échelons de la pyramide sociale, chacun devait payer tribut (sous diverses formes : nourriture, service militaire à prester, etc.) à plus puissant que lui. Par ailleurs, dans le monde médiéval chrétien comme chez les peuples indigènes, cette vaste hiérarchie cosmopolite était profondément imbibée de croyances religieuses narrées par des mythes fondateurs décrivant l’origine du monde et ses évolutions historiques supposées. Ces mythes justifiaient également l’existence de certaines institutions, comme le pouvoir royal et les temples, et s’accompagnaient de rites collectifs dans des espaces sacrés afin de communiquer avec le monde divin. Dans la tête des gens de l’époque, il n’y avait alors ni « politique », ni « économie », ni « sociologie » à proprement parler. Toutes ces catégories d’analyse moderne ne prenaient sens qu’entremêlées les unes aux autres dans une réalité transcendant tout : l’imaginaire religieux. Cet imaginaire définissait le sens global de la vie quotidienne et institutionnelle, le rapport au temps, la manière de nouer des relations matérielles et sociales, et jusqu’aux rapports les plus intimes au monde environnant. En dépit de ses convergences, les conquistadores qui envahirent l’Amérique différaient profondément des populations indigènes sur un point précis : leurs imaginaires respectifs reposaient sur des ressorts identitaires, cosmologiques et spirituels complètement divergents3 . Imaginaires indigènes et coloniauxi Le Dieu chrétien était bon, unique, créateur de toutes choses et universel. Il concernait donc tous les humains reconnus comme enfants de Dieu, à condition bien entendu qu’ils soient de bons chrétiens. Pour sauver leur âme et gagner la vie éternelle, les gens devaient vivre conformément aux prescrits bibliques – adaptés selon des interprétations propres à chaque époque et aux différents courants spirituels nés des différents schismes religieux. Idéalement, il fallait donc assister aux messes, réciter ses prières et vivre dans la chasteté jusqu’au jour où l’on s’engageait, devant Dieu Tout Puissant, à n’aimer et chérir qu’une seule personne pour le restant de ses jours. Dans cette cosmogonie monothéiste universelle, l’altérité n’avait guère de place. Il n’y avait qu’une seule bonne manière de vivre, qu’un seul Dieu à aimer, et certaines pratiques indigènes étaient tout bonnement révoltantes – comme l’anthropophagie, les mariages polygames, les panthéons polythéistes et, bien sûr, les sacrifices humains. Accompagnant Hernán Cortés (1485-1547) dans la conquête de l’empire aztèque, le conquistador Bernal Díaz del Castillo (mort en 1584) est ainsi révulsé lorsqu’il découvre dans la capitale aztèque, Tenochtitlan, un des autels religieux juchés en haut d’une pyramide : « Là, quelque peu éloignée du grand temple, s’élevait une maison d’idoles, disons plutôt un enfer, car à l’entrée se trouvait une grande gueule, comme celle qu’on dépeint à la porte des enfers, ouverte, montrant ses grosses dents pour avaler les pauvres âmes. On voyait aussi, près de l’entrée de la petite tour, des groupes diaboliques et des corps de serpents, tandis que, non loin de là, se dressait une pierre pour les sacrifices : tout cela plein de sang et noirci par la fumée. Au-dedans de la tour se trouvait de grandes marmites, des jarres et des cruchons. C’était là qu’on faisait cuire les chairs des malheureux Indiens sacrifiés pour servir aux repas des papes. Près de la pierre des sacrifices se voyaient plusieurs coutelas et des billots de vivre passées. Sans nullement nier l’existence de régimes oppressifs, ils tentent néanmoins de saisir (hors de la sphère de notre oubli collectif) l’existence d’organisations sociales non hiérarchisées… autrement plus démocratiques que nos sociétés contemporaines. 3 L’expression « ressorts cosmologiques » évoque les rapports à la Terre, au Ciel et à l’Univers qui variaient, d’une société à l’autre, selon les mythes et grands récits cosmogoniques narrant l’origine du monde. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 6 semblables à ceux qui servent à dépecer la viande des boucheries. […] J’avais, pour ma part, l’habitude d’appeler cet édifice l’Enfer. »ii Aux certitudes universelles du monothéisme chrétien, répond la profonde ambivalence des Amérindiens. Dans les régions forestières comme l’Amazonie, les tribus animistes vivaient dans un monde où l’humanité ne s’arrêtait pas aux seuls bipèdes Homo sapiens. À leurs yeux, l’ensemble des vivants (plantes comme animaux) constituaient autant de peuples doués de raison, organisés socialement et dirigés par des esprits avec lesquels il était possible de dialoguer – en prenant des substances hallucinogènes, en chantant, en dansant, en rêvant… – pour faire une bonne chasse, soigner une maladie ou aider les plantes potagères à pousser. La forêt entière était comme un espace sacré, une maison familière peuplée d’esprits avec lesquels on tentait de vivre en bonne harmonieiii. Dans les grandes civilisations amérindiennes (Aztèques, Incas, Mayas…), les panthéons religieux étaient à l’image de l’organisation sociale : beaucoup plus inégalitaires et stratifiés. Il existait des divinités majeures et mineures, mais aucune n’était un Dieu omnipotent capable de régner en solitaire sur le monde. Bien au contraire. Chaque divinité avait son statut « social », son histoire particulière, ses parures, ses attributs, sa personnalité, ses moments d’influence et ses champs d’action respectifs. Qu’elles incarnent le Vent, la Pluie, la Mort, la Guerre, l’Amour charnel, le Maïs, le Pulque4 et l’ivresse, l’eau des Rivières, les forces Telluriques ou le puissant Soleil, chaque divinité n’exerçait qu’une influence partielle sur le monde des vivants. Pour que l’univers fonctionne harmonieusement, il était donc nécessaire de les réunir et de leur demander d’agir de façon concertée selon les besoins et circonstances du moment. Par exemple, chez les Aztèques, la céréale servant de base alimentaire (le maïs) était sous la protection de plusieurs divinités comprenant notamment Tlalloc « le nourricier » (le Dieu qui apportait la pluie), Xilonen (la déesse du maïs jeune) et Chicomecoatl (la Déesse « Sept Serpent » du maïs mur). L’influence de ces Dieux était par ailleurs souvent ambivalente : pour prendre l’exemple du Dieu de la Pluie Tlalloc, il pouvait aussi bien briller par son absence (en cas de sécheresse prolongée), répondre aux attentes de la population (en apportant des pluies fertilisantes des semailles aux récoltes) ou dévaster le monde de sa colère (en cas d’inondations catastrophiques). De même, Tezcatlipoca le « Seigneur au miroir fumant » était étroitement lié aux élites indigènes (il justifiait donc les pouvoirs établis) mais aussi le protecteur des esclaves et le maître du destin. Nuit après nuit, l’un de ses rôles mythologiques consistait à livrer combat, contre le ciel nocturne et la Lune, afin que le Soleil réapparaisse au petit matin. Le Dieu Tezcatlipoca s’inscrivait donc dans un paysage identitaire dominé par des entités primordiales aux forces ambivalentes, et non dans un imaginaire chrétien où l’humain occupe une place centrale dans un univers régi par un Dieu unique et bienveillant. Ceci explique en partie pourquoi ces gens trouvaient normal de sacrifier des humains. Ce concept d’humanité si cher à nos yeux n’existait tout simplement pas dans leurs traditions culturelles qui façonnaient un monde complexe, démesuré, où la priorité était de garantir la cohésion de l’univers et la perpétuation de ses grands mécanismes régulateurs. En effet, pour les peuples mésoaméricains, le monde avait connu plusieurs étapes de création et de destruction successives, et l’une des missions sacrées des civilisations indigènes était précisément de reporter, autant que faire se peut, le prochain effondrement du monde au cours duquel des monstres (nommés Tzitzimime chez les Aztèques) descendraient du ciel pour dévorer tous les vivants. Pour reporter cette échéance funeste, les dirigeants des grandes civilisations mésoaméricaines jugeaient crucial de maintenir de bonnes relations sociales entre toutes les formes de vie existantes – qu’elles soient animales, divines, humaines, minérales, végétales, pour reprendre nos catégories d’identification moderne -, quitte à sacrifier une partie des 4 Il s’agit d’un alcool « mexicain », fabriqué en faisant partiellement fermenter de la sève d’agaves. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 7 membres de certaines espèces (humaines comprises) pour nourrir les Dieux. De leur point de vue, les personnes sacrifiées n’étaient d’ailleurs pas des humains en tant que tels, mais plutôt les incarnations de divinités dont la mise à mort rituelle était orchestrée par des procédures méticuleuses et variées. Par exemple, lors de la « fête » de Toxcatl (le mois de la « sécheresse »), le prisonnier sacrifié était un homme au physique parfait ayant endossé les traits du Dieu Tezcatlopica. Sa métamorphose avait pris toute une année durant laquelle le captif avait vécu dans un grand confort matériel et s’était prêté à diverses activités, comme jouer de la flûte, pour fusionner symboliquement avec les dirigeants de la Cité-état et le Dieu Tezcatlipoca. Au terme de cette faste période, le prisonnier devenu Tezcatlopica devait revêtir les atours du « Seigneur au miroir fumant », grimper les marches de sa pyramide en cassant une à une toutes les flûtes qu’il avait utilisées en tant que divinité, pour ensuite être tué selon un rituel précis. Assurément, d’innombrables personnes connurent ainsi un sort funeste au cours des millénaires où les peuples mésoaméricains vécurent loin de l’imaginaire chrétien. Peut-on pour autant réduire (comme l’ont fait tant d’humanistes par le passé) ces populations indigènes à n’être que des sauvages cruels et sanguinaires ? La réponse est forcément négative, car la réalité est un miroir aux visages multiples. En osant porter le regard au-delà de la profonde révulsion que nous inspirent les sacrifices humains, l’anthropologie a découvert, chez ces sociétés indigènes aux traditions non humanistes, des manières de vivre hautement estimables. Parmi ces qualités, on doit notamment citer la tolérance, l’ouverture d’esprit à la diversité culturelle mais aussi le fait d’avoir engrangé de précieuses connaissances sur la complexité du monde. Tout d’abord, les croyances religieuses antiques ne sont pas réductibles à de simples chimères dangereuses. Pour ces peuples agricoles, le calendrier des rites était en effet corrélé à des observations méticuleuses du monde environnant, et absolument vitales pour ces denses communautés urbaines. Ainsi, le fait de relier la course du Soleil dans le ciel à l’alternance des saisons permettait d’effectuer certaines activités fondamentales, comme les semailles par exemple, au moment le plus judicieux. À l’aide d’observatoires astronomiques taillés avec une précision chirurgicale dans la pierre de grands complexes urbains, les Tonalpouhque (interprètes des signes) guettaient donc les mouvements du Soleil, de la Lune et des étoiles pour savoir où en étaient les interactions cosmiques, divines, « humaines » et temporelles. La longue saison sèche allait-elle bientôt finir ? Fallait-il déjà honorer Tlalloc, le Dieu de la Pluie, et semer dans les champs ? Et si Quetzalcoatl, le « Serpent aux plumes précieuses de quetzal » capable d’agiter les vents, déclenchait la fureur d’un ouragan ? C’est pour répondre à ce genre de questions que les savants de l’époque confectionnaient des écrits pictographiques, appelés codex, dans lesquels coexistaient les croyances religieuses (certes absurdes à nos yeux humanistes) et des connaissances salvatrices nourries d’une longue accumulation d’un savoir millénaire. Plus surprenant : si les religions amérindiennes légitimaient assurément les pouvoirs établis (aussi oppressifs soient-ils), nul chez eux ne considérait sa personne ou son groupe social comme autosuffisant. Vivant dans un univers mental gouverné par des divinités multiples ne possédant (chacune) qu’un contrôle partiel sur le monde, ils en arrivaient à la conclusion logique qu’aucun groupe social, aussi prestigieux soit-il, ne pouvait exister par lui-même. Qu’on parle d’entités divines ou de n’importe quel vivant sur Terre, leur conception du monde reposait sur l’existence de multiples interrelations nécessitant la coopération d’oppositions complémentaires. C’est pourquoi le Dieu de la pluie Tlalloc formait un duo avec sa contrepartie féminine Chalchiuhtlicue, la Déesse « Jupe de Jade » qui régentait l’eau des mers, des rivières et des lacs : sans un fructueux dialogue entre ces deux entités pour répartir judicieusement l’eau disponible entre sol et nuages, l’équilibre du monde pouvait en être compromis. De même, si les grands centres urbains indigènes aspiraient inévitablement d’innombrables richesses nées du travail d’autrui via le paiement de tributs, les élites n’avaient toutefois pas le droit de L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 8 conserver pour elles seules l’ensemble des trésors accumulés. Certains rituels religieux leur imposaient en effet des devoirs de partage et de redistribution de nourriture, lors de banquets festifs où différents groupes sociaux (variables selon les Dieux honorés) étaient conviés. Des milliers d’années avant que l’état-Providence n’apparaisse en Occident, des notions comme la justice sociale et la solidarité collective existaient donc bel et bien – même si c’est de façon très imparfaite à nos yeux – chez de nombreuses sociétés non humanistes. Enfin, parce qu’elles vivaient dans un monde structuré comme un vaste puzzle où chaque « pièce » (entité divine, groupe social, etc.) avait besoin de s’emboîter dans d’autres pièces pour prendre du sens, les civilisations amérindiennes étaient bien plus ouvertes que le monde chrétien à la différence. La contradiction ne leur faisait pas peur. Pour ces sociétés polythéistes, accueillir Jésus-Christ ou la Vierge Marie comme entités divines complémentaires au sein de leurs vastes panthéons n’était pas un problème : après tout, si chaque Déesse est porteuse de pouvoirs particuliers et de champs d’action spécifiques, ajouter ces divinités étrangères aux Dieux autochtones ne faisait qu’élargir les moyens d’action (mythologiques et rituels) pour assurer la bonne marche du monde ! Une tolérance religieuse aux antipodes du monothéisme chrétien : obsédés par la conversion des indigènes, les conquistadores et colons européens n’auront de cesse de brûler codex, « idoles » et temples locaux pour bâtir des églises dispensant la seule vérité autorisée. Un dogme affirmant qu’il n’existe qu’un seul Dieu véritable, et qu’il vient d’Occident. Des réalités indigènes au racisme colonial La rencontre entre l’Europe monothéiste et les peuples amérindiens fut donc un télescopage entre des imaginaires radicalement différents. Et contrairement à ce que laissent penser les rituels de sacrifices et d’anthropophagie des peuples amérindiens, la civilisation la plus gourmande brandissait une croix chrétienne et portait des armes à feu. Longue et sanglante, la conquête espagnole finit par imposer un pouvoir central d’une envergure démesurée – comparée à celles des anciennes Cités-états autochtones – reposant sur les seuls critères occidentaux. Au début, les repères identitaires étaient typiquement médiévaux : au sommet de la pyramide, le roi espagnol ; pour le servir dans ses colonies, une société hétéroclite composée de représentants royaux, de guerriers, de colons, de marchands et, bien entendu, de missionnaires religieux chargés d’évangéliser les peuples autochtones. Pour éviter l’enfer à leur âme, ces idolâtres sataniques devaient être éduqués aux merveilles du christianisme et à l’ordre social européen. Ils devaient découvrir la grandeur de Dieu et se plier aux desseins de leur suzerain espagnol, un étranger totalement inconnu devenu leur supérieur légitime par la force des armes. Avide de richesses qui n’étaient pas que spirituelles mais aussi très matérielles, la Couronne d’Espagne imposa dans ses colonies une institution nouvelle : l’encomienda. Concrètement, les indigènes étaient rassemblés par centaines dans un lieu choisi par le pouvoir colonial : là, ils étaient priés de travailler gratuitement à l’extraction minière ou dans les champs, et devaient également bâtir des églises sur les ruines de leurs temples incendiés. Et tandis que les prêtres imposaient le monothéisme chrétien aux populations polythéistes, des Réseaux-Bourgeois5 prenaient vie en exploitant toutes les richesses locales disponibles, y compris les rebelles autochtones réduits à l’esclavage. Ainsi, les Européens étaient faits pour donner des ordres, et le reste du monde pour obéir. Aux premiers les richesses et le prestige social ; aux autres le fouet, l’esclavage, le racisme et le mépris quotidien les ravalant – sur leurs terres ancestrales – dans les bas-fonds d’une pyramide sociale brisant tous les repères autochtones. Des réseaux identitaires aux administrations politico-religieuses, des 5 Nous utilisons ce terme en référence à une nouvelle forme de réalité institutionnelle prenant racine à cette époque : l’avènement de groupes sociaux dont l’essor des activités marchandes est la priorité absolue. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page 9 manières de vivre aux façons de s’aimer, tout ce qui constituait l’identité de ces populations devait être éradiqué. Un projet de génocide culturel (comment le nommer autrement ?) qui passa par des génocides physiques réels, puisque des dizaines de millions d’indigènes moururent lors de la colonisation. Or, ces gens ne s’identifiaient pas à une civilisation unique mais appartenaient à des myriades de peuples et sociétés différentes que l’ordre colonial a rayées de l’histoire. Aussi déplaisant que soit le portrait, l’archétype du pouvoir blanc à l’époque des colonies était un homme occidental avide, borné, machiste, hautain, convaincu d’être le guide suprême de toute l’humanité. Très souvent, les colons européens étaient aussi des pauvres ou des cadets de familles nobles pour qui l’Amérique représentait une occasion inespérée de s’enrichir, voire de se couvrir d’honneurs et de gloire… même si tous étaient loin d’y parvenir. Quant à la situation des indigènes, elle était des plus tragiques. Les peuples colonisés furent tout d’abord la proie d’épidémies dévastatrices (lèpre, rougeole, tétanos, typhus, variole…) qui décimèrent leurs populations. Celles et ceux qui survécurent devaient ensuite subir un régime tyrannique leur imposant un imaginaire monothéiste arrogant et prude, diffusé par des institutions publiques calquées sur le modèle européen. En dépit de législations royales censées les protéger6 , on leur volait également leurs bras, leurs terres, leurs langues natales, leur écriture, leurs manières de vivre et de penser, leurs temples et leurs Déesses, leurs forêts et les esprits qui y vivaient en leur imposant de travailler, parfois jusqu’à les tuer à la tâche, pour enrichir le monde blanc. L’Europe était littéralement assoiffée d’or et d’argent, mais également heureuse de découvrir moult produits exotiques comme le chocolat, le maïs, les tomates… Certains colons privatisaient à leur seul bénéfice les meilleures terres fertiles, tandis que de grandes compagnies (publiques ou privées) naissaient pour acheminer par bateaux, vers les métropoles, les trésors volés aux colonies. Dans le sens inverse, les esclaves noirs7 étaient capturés en Afrique, marqués au fer rouge, puis exportés vers les colonies américaines pour y fabriquer de la canne à sucre. Dans l’économiemonde alors naissante, voilà exactement ce qu’étaient nombre d’indigènes : des objets de commerce, des marchandises capitalistes. Dépeinte sans fard par l’écrivain Eduardo Galeano (1940-2015) dans son livre Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, cette prédation coloniale ne fit pas seulement affluer d’innombrables biens exotiques et minerais précieux vers les métropoles occidentales. Elle donna au commerce mondial naissant une structure ultra hiérarchisée, avec une poignée de pays donneurs d’ordre pouvant saigner à loisir des nuées de colonies exécutantes. Une relation dominants/dominés (oppresseurs/oppressés aurait dit Marx) que les premières révolutions menant aux indépendances ne parviendront pas à juguler pour une première raison évidente : les préjugés racistes ont la dent dure. 6 Dans un livre récent consacré aux conquistadores, l’historien Fernando Cervantes a le mérite de resituer la colonisation occidentale dans son contexte médiéval, en soulignant notamment certains efforts de la Couronne d’Espagne pour mettre un frein aux pires abus commis par les colons exploitant les indigènes. Cet objectif louable servait malheureusement un dessein qui l’était moins : en passant sous silence des pratiques comme les procès pour idolâtrie, l’interdiction des peintures corporelles (un langage symbolique dans les cultures indigènes), le bannissement de tous les Dieux anciens et l’avidité sans bornes du royaume d’Espagne pour les richesses minières dérobées aux colonies, l’auteur offre un visage particulièrement angélique des rapports de forces imposés par les royaumes européens aux peuples autochtones. 7 La mythologie chrétienne trouvait dans la Bible une justification à l’esclavage des populations africaines. Selon une tradition au long cours, les populations noires étaient en effet assimilées à des descendants de Cham, l’un des fils supposés de Noé. Or, selon la Bible, ce dernier était coupable d’un affreux péché : un jour que Noé était allongé nu après avoir trop bu, Cham se moqua de son père plutôt que de recouvrir pudiquement sa nudité. Une félonie qui valut à Cham, mais aussi à toute sa descendance supposée, d’être condamné à être l’esclave de ses frères. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page10 Derrière la décolonisation, des révolutions bourgeoises ? Aux XVIIIe et XIXe siècles, la décolonisation est un mot trompeur. Une falsification historique. Certes, des luttes révolutionnaires germent et enflent dans les colonies, portées par de grands libérateurs qui s’organisent, mobilisent et prennent les armes pour rompre les amarres avec un pesant boulet nommé métropole. Mais lorsque la victoire leur sourit, comme dans les futurs états-Unis en 1776 ou de larges pans de l’Amérique Latine au début du XIXe siècle8 , la colonisation est loin d’être terminée. Souvent, elle ne fait même que commencer. Tout d’abord, pour compenser les colonies perdues en Amérique, l’Europe industrialisée se lance dans de nouvelles vagues de prédation qui ont notamment déferlé sur l’Afrique. De même, les états-Unis indépendants font la guerre aux Indiens pour s’approprier leurs vastes territoires, dont l’empire comanche qui avait déjoué la roue de l’histoire en prospérant aux dépens des Espagnols9 . En Amérique centrale, dans une Colombie indépendante où l’on vient de découvrir du pétrole sur des territoires restés indigènes, le Congrès national de Bogotá adopte au début du XXe siècle la loi n°1905/55 qu’Eduardo Galeano résume par ces mots : cette loi stipule qu’il n’existe « pas d’Indiens à San Andréas de Sotavento ni dans d’autres villages indiens où le pétrole a soudain jailli à flots. Si les Indiens existaient, ils seraient illégaux. C’est pourquoi on les a envoyés au cimetière ou en exil »iv. Plus au sud encore, dans un Chili ayant proclamé son indépendance en 1818, c’est une guerre sans merci que les nouveaux dirigeants mènent contre les indiens Mapuches, là encore pour s’emparer d’immenses régions restées indigènes durant toute la colonisation espagnolev . Et le scénario de se répéter ad nauseam, partout où fleurissent les premières indépendances. L’explication sociologique est simple : après avoir rompu officiellement les amarres avec la métropole, ceux qui prennent le pouvoir sont encore et toujours des hommes blancs, profondément imbibés d’idéologie coloniale et de préjugés racistes justifiant de traiter en esclaves les peuples indigènes (même si la présence de populations métissées brouillait quelque peu les frontières identitaires). Par ailleurs, quand des leaders indépendantistes étaient réellement soucieux d’améliorer les conditions de vie d’une grande partie de la population via des politiques égalitaires, les élites locales (grands propriétaires fonciers, militaires, bourgeoisie…) s’arrangeaient souvent pour « régler » le problème à leur manière : coupable d’avoir défendu un programme de réforme agraire visant à redistribuer massivement des terres privées aux communautés paysannes, le révolutionnaire mexicain Emiliano Zapata Salazar (1879- 1919) fut exécuté sur ordre du gouvernement mexicain. Ainsi, les nouvelles nations « indépendantes » poursuivent les guerres de conquête contre les populations autochtones. Sur les anciens territoires de la civilisation maya, l’indépendance acquise au XIXe siècle donne ainsi naissance à des découpages frontaliers (Guatemala, Honduras, Mexique, Salvador) et des pouvoirs centraux totalement étrangers aux manières de structurer les relations – institutionnelles, sociales, spirituelles – chez les peuples amérindiens. Privés de parole au temps des colonies, ceux-ci restent exclus des structures de décisions engageant leur avenir quand sonne l’heure des premières « indépendances ». Mais pour se libérer du joug politique de la métropole, les leaders indépendantistes ont souvent dû composer avec les « ennemis de leurs ennemis ». Que ce soit pour obtenir des armes ou être reconnus comme nation à part entière sur la scène internationale, ils ont cherché des appuis dans les chancelleries occidentales (en s’alliant avec la France contre l’empire britannique, avec les Anglais contre l’empire espagnol, etc.). Et comme en témoigne l’écrivain Eduardo Galeano en évoquant les riches mines de 8 À titre d’exemples, voici les dates d’indépendance de quelques pays d’Amérique Latine : 1810 pour l’Argentine, 1818 pour le Chili, 1821 pour le Guatemala, le Honduras, le Mexique et le Pérou, 1822 pour le Brésil, 1825 pour la Bolivie. 9 En 1850, le territoire comanche couvrait une large zone dans le nord du Mexique et le sud-ouest des États-Unis actuels. Lire à ce propos L’Empire comanche, de Pekka Hämäläinen. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page11 Potosí en Bolivie, ces appuis étaient loin d’être gratuits : « Les colonies espagnoles qui naissent à l’indépendance courbent l’échine. Dès le premier jour, elles traînent une lourde pierre pendue à leur cou, fardeau qui épuise et grandit : la dette anglaise née du soutien britannique en armes et en soldats se démultiplie par le truchement des usuriers et des marchands. Les prêteurs et les intermédiaires, experts alchimistes, vous transforment n’importe quel caillou en joyau d’or, et les commerçants anglais trouvent dans ces régions leurs marchés les plus lucratifs. Les nouvelles nations qui craignent une reconquête espagnole ont besoin de la reconnaissance officielle de l’Angleterre ; or l’Angleterre ne reconnaît personne sans lui avoir fait signer au préalable un traité d’amitié et de commerce qui assure la libre invasion de ses marchandises industrielles. »vi Dans les pays « libérés », les nouvelles élites y trouvent leur compte en s’enrichissant par la corruption, le pillage et le travail forcé. Jadis sataniques, les peuples indigènes sont assimilés à des sauvages primitifs qu’il faut dresser, à des animaux paresseux que seule la chicote fait besogner. Plus que jamais, on a besoin de leurs terres et de leurs bras pour entretenir les cultures d’exportation (bois tropical, café, caoutchouc, coton, sucre…), souvent avec la bénédiction des hautes autorités de l’église omniprésente dans les structures publiques. Bourgeonne ainsi un monde à cheval sur l’ordre médiéval à l’intérieur des frontières nationales, et sur des alliances politico-marchandes au niveau international. Entre ces deux univers, un fil d’Ariane tresse des liens dominants-dominés qui façonnent les relations sociales nationales et structurent un marché mondial férocement inégalitaire : à l’Europe (bientôt suivie des Etats-Unis), l’industrie et les progrès techniques développés par les investissements capitalistes ; au reste du monde, la charge de fournir à bas prix les richesses minières et denrées exotiques nécessaires aux firmes et populations occidentales. Pour prendre le cas du Guatemala, le pouvoir central fut souvent un théâtre tragique d’expériences autoritaires, spoliant les Indiens pour mieux s’insérer dans les mailles de l’économie-monde. Des quantités gigantesques du territoire guatémaltèque furent ainsi offertes à des firmes étrangères poursuivant les modes de prédation coloniaux, servage compris. La présidence du dictateur Manuel José Estrada Cabrera (1857-1924) en fournit un exemple éloquent. Après avoir pris le pouvoir par la force en tuant son prédécesseur en 1892, ce tyran sert les intérêts commerciaux du puissant voisin nordaméricain. Une firme est particulièrement choyée : la United Fruit Company (plus connue de nos jours sous le nom de Chiquita). Première productrice de bananes et de fruits exotiques des Caraïbes à l’orée du XXe siècle, cette entreprise américaine trouve au Guatemala un gouvernement complaisant, bradant à vil prix de vastes espaces de terres fertiles et les petites mains humaines nécessaires pour les entretenir. Tout en maintenant l’ordre social d’une poigne implacable, le dictateur Cabrera endette également le pays pour financer les infrastructures (chemin de fer, routes, ports) dont United Fruit a besoin pour exporter ses produits. Et quand le gouvernement ne trouve plus d’argent à prêter, Cabrera propose le deal suivant au fondateur de la United Fruit : s’il accepte d’achever les travaux du chemin de fer (dont il a par ailleurs besoin), sa firme deviendra propriétaire légitime de l’ensemble des infrastructures pour les 99 ans à venir. D’un autocrate à l’autre, la United Fruit Company obtient la concession de vastes territoires fertiles qu’elle peut exploiter à loisir ou laisser en friche… tandis que les paysans autochtones, privés de terres, crèvent de misère. Ceci expliquant cela, la firme privée américaine vit là-bas comme un pacha dans son palais : « Au Guatemala, la United Fruit a toutes les terres qu’elle veut, immenses champs en friche ; elle est propriétaire des chemins de fer, du téléphone, du télégraphe, des ports, de navires, et aussi de nombreux militaires, politiciens et journalistes. »vii On ne peut mieux décrire un Réseau-Bourgois pérennisant les relations maître-esclave de l’époque coloniale dans un monde où commerce et progrès technique vont de l’avant. Hiérarchisé par des rapports de force transnationaux, le jeu des échanges marchands n’est pas libre (comme en rêvait Adam Smith) ni même économique. Il est géopolitique, structuré par des réseaux d’affaires, des connivences politiques, des bénédictions religieuses et des L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page12 forces militaires qui s’entendent, et s’organisent de concert, pour faire fructifier leurs situations personnelles. Une situation inégalitaire qui sent la poudre. Un terrain autoritaire impitoyable pour la majorité des habitantes. Un terreau ô combien fertile pour les grands idéaux révolutionnaires. Graines d’États-Providence en germe En effet, comment sortir les populations locales d’un tel marasme ? D’une certaine manière, le chemin émancipateur pouvait ressembler à la voie que prendra l’Occident au milieu du XXe siècle. Après les siècles de spoliations massives et d’humiliations quotidiennes de l’ère coloniale, retrouver le droit de vivre dans la dignité passait forcément par une redistribution massive des richesses. Comme le veut l’adage bien mal acquis ne profite jamais, il fallait prendre aux riches – qui avaient beaucoup trop – pour offrir de quoi vivre à l’écrasante majorité des gens privés de tout. Pour que chacune et chacun puisse s’en sortir, il fallait mutualiser des ressources, redistribuer massivement les terres non cultivées aux paysannes spoliées, démocratiser les institutions publiques et les sociétés privées, réguler les activités marchandes, développer des services publics, rééquilibrer les droits et devoirs respectifs des différents groupes sociaux. Bref, goûter réellement aux joies de l’indépendance passait par des politiques s’inspirant en partie des principes d’égalité, de solidarité et de justice sociale qui caractérisent l’étatProvidence. En complément, il fallait aussi vider le pouvoir central d’une partie de ses prérogatives pour laisser davantage d’autonomie culturelle, institutionnelle et spirituelle aux communautés indigènes désireuses de pouvoir vivre – et qui ne le comprendrait pas ? – conformément à leurs valeurs et héritages millénaires10. Loin d’être assimilables les unes aux autres, ces sociétés ne pouvaient que suffoquer dans un cadre étatique trop rigide, a fortiori quand la priorité politique consistait à précipiter le pays dans les bras cupides de firmes étrangères. La voie démocratique semblait donc simple à suivre : laisser ces gens cultiver, chez eux, leurs propres graines d’État-Providence. Pour briser l’étau des pouvoirs en place, les méthodes révolutionnaires furent souvent nécessaires. Au Guatemala, en 1944, des émeutes populaires entraînent ainsi la chute du dernier dictateur en date, un triste sire nommé Jorge Ubico Castañeda (1878-1946)11. Ensuite, c’est le vent des réformes démocratiques et sociales qui souffle sur le pays avec l’élection, au poste de président, d’un professeur de philosophie nommé Juan José Arévalo Bermejo (1904-1990). Sensible aux sort des précaires, voulant améliorer la vie de l’écrasante majorité de la population, son gouvernement vote des lois et finance des institutions proches de celles qui fleurissent à la même époque dans les États-Providence occidentaux. Entre autres réalisations, le gouvernement de José Arévalo abolit le servage, octroie le droit de grève et crée un Institut guatémaltèque de sécurité sociale dispensant des soins gratuits à la population. Il tend également la main aux peuples amérindiens (majoritaires au Guatemala) en finançant un Institut indigéniste. Lors des élections de 1951, Juan José Arévalo décide de ne pas se représenter mais le suffrage universel plébiscite quand même les politiques qu’il a menées en accordant, avec 60% des voix, une confortable majorité à l’un des membres sortants du gouvernement : le ministre de la Défense Jacobo Árbenz Guzmán (1913-1971). Fils d’un pharmacien suisse émigré au Guatemala, Jacobo Árbenz s’est converti aux principes généreux du socialisme en tombant amoureux de Maria Cristina Vilanova (1915-2009). Née dans une riche famille 10 Par valeurs et héritages millénaires, je ne plébiscite évidemment pas les sacrifices humains mais fais plutôt référence à l’ouverture d’esprit, à la tolérance culturelle et aux rapports complexes que les peuples indigènes entretenaient avec un univers qu’ils considéraient comme ambivalent, régi selon leur cosmogonie par des forces contradictoires qu’il fallait tant bien que mal équilibrer. 11 « Élu » en 1932 en étant le seul candidat à se présenter, Jorge Ubico Castañeda poursuit durant sa présidence une longue tradition néocoloniale : retirant d’une main le droit de vote aux illettrés composant 75% de la population, il octroie de l’autre des terres supplémentaires à la si bien nantie United Fruit Company. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page13 de propriétaires terriens, Maria Cristina a suivi le même genre de chemin que Charles Fourier (rencontré au début de ce livre) en étant révulsée par les pratiques de son père, un anticommuniste acharné qui a participé au massacre de paysans salvadoriens. Elle a ensuite transmis ses idéaux égalitaires à son mari, épousé en 1939 dans une chapelle de la cathédrale Saint-Jacques de Guatemala. Devenu président du pays, Jacobo Árbenz veut renforcer la cohésion démocratique et sociale du pays et lance, en 1952, un vaste programme de réforme agraire. Pour offrir un espace agricole à celles et ceux qui n’ont rien, le gouvernement sorti des urnes décrète, au nom de l’intérêt général, qu’il peut désormais racheter d’autorité certaines terres laissées en friche par les grands propriétaires fonciers. Une décision loin d’être tyrannique dans un pays où la violence des siècles passés a permis à une infime minorité de propriétaires, représentant moins de 2,5% de la population et vivant pour la plupart à l’étranger, de concentrer 70% des terres cultivables entre leurs mains pour n’en exploiter réellement que 12 %. Le gouvernement guatémaltèque instaure également des limites à sa politique : si au moins deux tiers de leur surface sont cultivés, les exploitations de plus de 271 hectares12 échappent au rachat forcé des terres laissées en jachère. Quant aux propriétaires contraints à la vente de parcelles inutilisées, ils sont dédommagés à hauteur des biens perdus évalués sur base de leur dernière déclaration fiscale. Loin de la collectivisation rigide qui marqua au fer rouge l’URSS des années 1930viii, la réforme agraire du Guatemala ne veut pas monopoliser les terres au seul profit de l’appareil d’état, mais bien les redistribuer massivement à la population pour faire naître une large couche sociale de petits paysans propriétaires. Enfin, contrairement aux dirigeants corrompus confondant les finances publiques avec leur compte en banque personnel, Jacobo Árbenz ne se croit pas au-dessus des lois : devenu lui-même un riche propriétaire terrien par son mariage avec Maria Cristina, il cède environ 688 hectares aux paysannes sans-terre du Guatemala. Pour ces éternels spoliés de l’histoire coloniale, c’est enfin l’espoir d’une vie décente. Huit années après la destitution révolutionnaire du dictateur Jorge Ubico, leurs votes démocratiques ont fait germer une graine d’état-providence obtenue par la voie de réformes politiques devant largement bénéficier à la population. Mais dans l’univers capitaliste, hiérarchisé par des Réseaux-Bourgeois entremêlant mondes politiques et marchands, on n’avait pas l’intention d’offrir un tel plaisir à des indigènes et des pauvres menaçant de puissants intérêts financiers. Quand les amitiés politico-marchandes sèment une dictatureix Lorsque le gouvernement Árbenz annonce sa réforme agraire, il produit une onde de choc internationale qui remonte jusqu’à Boston où vit Sam Zemurray (1877-1961). Cet homme est alors le principal actionnaire de la United Fruit Company et, par conséquent, le plus grand propriétaire foncier du Guatemala. Enrichi en graissant la patte à de nombreux dictateurs, cet étranger juge insupportable le changement de cap politique imprimé par la démocratie bourgeonnant au Guatemala. Suivons à nouveau les mots d’Eduardo Galeano : « Les malheurs de Sam Zemurray ont commencé quand le président Juan José Arévalo a obligé la compagnie à respecter le syndicat et le droit de grève. Mais maintenant, c’est pire. Le nouveau président Jacobo Árbenz met en route la réforme agraire et arrache à la United Fruit les terres non cultivées, commence à les répartir entre cent mille familles et agit comme si le Guatemala était dirigé par les sans-terre, les illettrés, les sans-pain, les sans. »x Hélas pour ces familles, Sam Zemurray n’est pas n’importe qui. Il vit aux États-Unis, dans un puissant pays où il possède des relations privilégiées qui vont du sommet de l’appareil d’état jusqu’aux 12 Pour se faire une idée concrète, un hectare équivaut approximativement à la superficie d’un grand terrain de football. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page14 ramifications diplomatiques. Dans la toile de son réseau, Sam Zemurray peut notamment épingler les soutiens suivants : Spruille Braden (1894-1978) : ambassadeur des États-Unis dans plusieurs pays d’Amérique latine, il reçoit un salaire complémentaire pour jouer les lobbyistes au profit de la United Fruit depuis 1948 ; Walter Bedell Smith (1895-1961) : directeur de la Central Intelligence Agency13 (CIA) de 1950 à 1953, il occupe ensuite un siège au sein du conseil d’administration de la United Fruit ; John Moors Cabot (1901-1981) : secrétaire d’état aux Affaires interaméricaines, c’est aussi le frère de Thomas Cabot qui a été président de la United Fruit ; Henry Cabot Lodge (1902-1985) : représentant américain aux Nations Unies et futur colistier de Nixon pour l’élection présidentielle de 1960, ce sénateur est actionnaire de la United Fruit qui lui verse à plusieurs reprises de l’argent en échange de discours au Sénat américain ; Ann Cook Withman (1908-1991) : secrétaire personnelle du président Eisenhower, elle est mariée avec le chef des relations publiques de la United Fruit ; Robert Hill (1917-1978) : ambassadeur des états-Unis au Costa Rica, il sera plus tard membre du directoire de la United Fruit. Ces connivences suffisent amplement à prolonger l’onde de choc, née d’une graine d’état-Providence au Guatemala, de Boston jusqu’à Washington : « Le gouvernement des États-Unis considère comme une attaque que le gouvernement du Guatemala se penche sérieusement sur les livres de comptabilité de la United fruit. À titre d’indemnisation, Arbenz a l’intention de payer la valeur que la compagnie ellemême avait attribuée à ses terres, pour falsifier ses déclarations fiscales. John Foster Dulles, secrétaire d’État, exige vingt-cinq fois plus. »xi Le nom est lâché : John Foster Dulles (1888-1959). Avec son frère cadet Allen Dulles (1893-1969), c’est la paire d’as imparable dans la manche de Sam Zemurray. À l’époque où le dictateur Jorge Ubico régnait encore au Guatemala, John Foster Dulles et Allen Dulles étaient deux avocats du cabinet Sullivan and Cromwell, où ils comptaient parmi leurs clients la firme United Fruit. En 1935, ce sont eux qui négocient en son nom un accord très avantageux d’achat de terres avec le dictateur Jorge Ubico. Et quand des années plus tard la réforme agraire du gouvernement Árbenz donne des aigreurs d’estomac à Sam Zemurray, les deux avocats sont respectivement devenus secrétaire d’état des états-Unis (ministre des Affaires étrangères si on préfère) et directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) – Allen Dulles succédant à Walter Bedell Smith à ce poste en 1953. Il n’en faut pas plus pour déclencher un jeu de dominos tyrannique. Orchestré par la CIA avec l’aval de la Maison Blanche, les états-Unis préparent un violent changement de régime au Guatemala. Tout d’abord, l’Oncle Sam cherche des appuis sur place qu’il trouve notamment au sein de l’église catholique, avec la complicité de l’archevêque Mariano Rossel y Arellano prêt à appuyer ce qu’il nomme une « croisade libératrice ». Les relais sont également bienvenus à l’échelle internationale : aux Nations Unies, le représentant américain Henry Cabot Lodge bloque toute demande d’aide en faveur du Guatemala ; supervisée par le secrétaire d’état John Foster Dulles, la diplomatie américaine obtient la complicité tacite de l’Angleterre et de la France qui laisseront faire ; en connivence avec les ambassadeurs américains cités plus haut, la diplomatie américaine dispose également, dans les pays voisins du Guatemala, de l’aval des dictateurs locaux pour mettre à disposition aéroports et camps d’entraînement militaire. La CIA finance alors le recrutement d’une armée de 13 Le 13 juin 1942, les États-Unis créent l’Office of Strategic Services (OSS, « Bureau des services stratégiques ») pour collecter des informations et conduire des actions « clandestines » dans le cadre de la deuxième guerre mondiale. Celle-ci terminée, l’OSS est démantelée à la fin de l’année 1945 pour être remplacée par une institution permanente : la Central Intelligence Agency (CIA). L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page15 mercenaires et lance une vaste campagne de propagande reposant sur un mensonge éhonté : le président élu Jacobo Árbenz ne serait qu’un pantin aux ordres de Moscou. Pour diffuser ce message jusqu’aux régions rurales les plus reculées du Guatemala, des avions des services secrets américains spécialement équipés volent à basse altitude en diffusant un prêche de l’archevêque Mariano Arellano, appelant la population à se révolter contre l’emprise du communisme sur le pays. À l’échelle planétaire, la CIA bombarde « l’opinion publique mondiale de nouvelles, d’articles de déclarations, de pamphlets, de photos, de films, de bandes dessinées sur les atrocités communistes au Guatemala. Ce matériel pédagogique, qui n’avoue jamais son origine, provient des services de la United Fruit à Boston et des services du gouvernement à Washington. »xii En pleine période d’état-Providence dans les pays industrialisés, on retrouve ici cette vieille collusion politico-affairiste caractéristique des états-Bourgeois occidentaux du XIXe siècle, où le gratin des sphères publiques et marchandes entretiennent des relations privilégiées pour marcher sur le monde comme s’il leur appartenait. À cette nuance près que les structures organisatrices ne sont plus exclusivement nationales, mais aussi internationales. Notamment lorsque les services secrets américains cherchent un homme de paille, servile si possible, pour devenir le nouveau leader officiel du Guatemala. Cette marionnette, les états-Unis la trouvent en la personne d’un militaire guatémaltèque formé au Kansas et exilé au Honduras : le colonel Carlos Castillo Armas (1914-1957). Le piège construit pièce par pièce, reste à déclencher le domino d’un coup de bluff odieux : « On transforme le bourreau en victime et la victime en bourreau. Ceux qui préparent l’invasion du Guatemala depuis le Honduras attribuent au Guatemala l’intention d’envahir le Honduras et toute l’Amérique centrale. »xiii Le 18 juin 1954, la CIA déploie au Guatemala une vaste campagne de guerre psychologique à l’aide d’une radio faussement rebelle, la Voix de la Libération, qu’elle a créée de toutes pièces mais qui se présente comme une initiative d’insurgés locaux. Les messages diffusés sur les ondes sont tout aussi fictifs : ils narrent en direct l’avancée héroïque, dans les jungles du Guatemala, d’une puissante armée emmenée par le grand libérateur Castillo Armas. En réalité, l’homme de paille est toujours au Honduras où il attend, patiemment, les instructions de l’Oncle Sam avec une troupe finalement pas si impressionnante que ça. Mais tout le monde l’ignore au Guatemala où le matraquage de la Voix de la Libération est partout : dans les régions rurales avec des avions spécialement équipés à cet effet, et dans la capitale avec un puissant émetteur installé sur la terrasse de l’ambassade américaine. Croyant réellement qu’une puissante armée s’approche pour en découdre, de hauts-gradés militaires guatémaltèques prennent peur et certains désertent. En décollant d’aéroports situés dans les dictatures voisines, les états-Unis en profitent pour bombarder le pays et intensifier la guerre psychologique. En guise de soutien, le gouvernement démocratiquement élu ne peut pratiquement compter que sur la résistance populaire, animée notamment par un certain Ernesto Che Guevara (1928- 1967). À l’étranger, les chancelleries européennes se taisent dans toutes les langues du monde et tournent pudiquement les yeux ailleurs. Le 27 juin, convaincu lui aussi qu’une puissante armée rebelle approche de la capitale au risque de provoquer un bain de sang, Jacobo Árbenz finit par demander l’asile politique à l’ambassade du Mexique. C’est ainsi qu’une dictature militaire prend le pouvoir au Guatemala avec, à sa tête, l’élu des Américains : Castillo Armas. Dans les mois qui suivent son arrivée au pouvoir, plus de 9.000 sympathisants du gouvernement de Jacobo Árbenz sont assassinés ou emprisonnés. Autoritaire à l’excès, Castillo Armas déploie rapidement un éventail de mesures liberticides comme l’annulation de la réforme agraire, la privation du droit de vote pour les illettrés majoritaires dans la population14, la censure de toute littérature subversive (dont les œuvres de Victor Hugo et Fedor Dostoïevski), l’interdiction des partis politiques et organisations paysannes, la condamnation à mort des organisatrices de grèves, sans 14 Rappelons ici que les Aztèques et les Mayas utilisaient une écriture pictographique. Leur « analphabétisme » s’explique donc par une dépossession de savoirs ancestraux et l’imposition de normes culturelles étrangères. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page16 oublier de se donner les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs. Corrompu et incompétent, il désole très vite le gouvernement américain qui découvre son nouvel allié incapable de gérer le pays, à charge pour les États-Unis de combler les trous du budget du Guatemala dont les moyens financiers fondent comme neige au soleil. Non seulement l’Oncle Sam s’y résout, mais il livre aussi des armes et assure des formations pour les forces de l’ordre locales. Et comme le nouveau régime militaire est fermement décidé à tuer dans l’œuf toute contestation interne, ce sont finalement des escadrons de la mort de sinistre mémoire auquel le gouvernement américain prête vie au Guatemala. Enlèvements d’opposants et exécutions sommaires vont devenir monnaie courante dans ce pays où la population est livrée, avec le soutien constant des États-Unis, à un régime militaire où les tyrans se succèdent dans une cruelle monotonie. En 1982, le général Efraín Ríos Montt (1926-2018) fait ainsi tout son possible pour éradiquer la culture maya : sous le prétexte d’en finir avec les mouvements de résistance armée dans les campagnes, il rase des centaines de villages et massacre près de 10.000 indiennes. Certaines sont jetées dans l’océan Pacifique depuis des hélicoptères. Indispensables pour transmettre leur culture orale aux plus jeunes, les indigènes âgés sont particulièrement visés par cette politique d’extermination. Le général Efraín Ríos Montt fait également flamber d’innombrables champs de maïs – lequel n’est pas seulement une nourriture pour les estomacs indigènes, mais aussi l’un de leurs nombreux Dieux chargés de maintenir l’équilibre cosmique. De 1981 à 1983, cette politique de la terre brûlée contraint entre 500.000 et 1,5 million de Guatémaltèques à quitter leurs terres pour se réfugier où ils peuvent. Très majoritairement, les violences de l’état guatémaltèque sous influence américaine s’abattent en priorité sur les indigènes. Mais elles frappent également les Latinos, les milieux de gauche clandestins, les sympathisantes de la résistance, les membres d’organisations rurales, les intellectuels ainsi que les prêtres partisans de la théologie de la libération qui placent l’église du côté des plus pauvres15. D’après des estimations forcément incertaines, la répression aurait fait 40.000 disparus et 160.000 morts durant les 42 ans de dictature qui ont suivi la chute de Jacobo Árbenz. Comparaison n’est pas raison, mais tout de même : après avoir évincé un gouvernement démocratique pour offrir le pouvoir à une clique de fous furieux sanguinaires, les états-Unis ont en quelque sorte déclenché un « 11 septembre 2001 » décimant plus de 3.000 personnes, chaque année, durant quatre décennies au Guatemalaxiv ! Tyrannies politiques et commerce mondial Cette tragédie marquant au fer rouge un pays « indépendant » ne fut pas – loin s’en faut – le seul fait d’armes monstrueux commis par les États-Unis et ses complices occidentaux à l’encontre d’anciennes colonies. À cela, plusieurs explications complémentaires. Tout d’abord, il faut se souvenir qu’au moment où le gouvernement Árbenz est renversé par les ÉtatsUnis, de nombreux états-Providence occidentaux mènent aussi des guerres raciales (comment les nommer autrement ?) pour préserver leur mainmise sur de vastes territoires coloniaux. Vus de la métropole, ces peuples étaient encore souvent regardés comme des sauvages primitifs à peine plus évolués que des animaux, ou comme de grands enfants naïfs qu’il fallait surveiller et gronder quand nécessaire. Et voilà que ces ingrats osaient prendre les armes pour tourner le dos à l’œuvre « civilisatrice » (sic) en voulant voler de leurs propres ailes ! D’Afrique en Asie, de nombreux mouvements révolutionnaires de libération durent ainsi user de méthodes violentes (attentats, conflits armés, émeutes, sabotages, etc.) pour conquérir leur indépendance. 15 En 1968, lors du congrès de Medellín du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), le prêtre péruvien Gustavo Gutiérrez utilise pour la première fois cette expression – la théologie de la libération – qu’il développera ensuite dans un livre paru en 1972. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page17 Par-delà les préjugés racistes, il y avait aussi de quoi provoquer des frissons d’angoisse dans les pays industrialisés : sans vastes territoires, pieds et poings liés à la métropole, comment celle-ci accéderaitelle aux matières premières, ressources naturelles et autres sources d’énergie nécessaires à la croissance économique, elle-même indispensable à l’imaginaire collectif des états-Providences naissants ? En effet, la fin de la deuxième guerre mondiale marque la montée en puissance du mouvement ouvrier avec la démocratisation des institutions occidentales, où les syndicats et le monde associatif deviennent des contre-pouvoirs officiels. Les politiques ambitieuses qui sont alors adoptées en faveur d’une redistribution locale et massive des richesses sont finalement acceptées par le patronat qui, loin d’y perdre des plumes, va y gagner d’incroyables opportunités lorsque des millions de personnes, jadis pauvres, vont se retrouver avec de l’argent (merci les augmentations de salaire !) à dépenser lors de leur temps libre (merci les réductions collectives du temps de travail !). Bref, l’ÉtatProvidence va faire naître une sorte d’imaginaire commun entre les mondes ouvriers et patronaux. Un imaginaire collectif ancré sur la croissance économique, et la promesse que ses fruits seront partagés de manière à ce que tout le monde – dans les pays riches évidemment – puisse accéder au plaisir de consommer une multitude de produits nouveaux. C’est pourquoi, dans les chancelleries et les entreprises occidentales, le besoin d’accéder aux ressources naturelles de pays lointains était vital ; bien davantage que le bien-être des millions de personnes vivant dans ces pays anciennement colonisés ou sur le point d’arracher leur indépendance… D’une manière ou d’une autre, il fallait maintenir ouvertes leurs frontières au commerce et s’assurer que les gouvernements en place soient favorables aux intérêts occidentaux. Non pas en installant des régimes démocratiques bienveillants ni en laissant les populations locales décider librement de leur sort – là n’était pas la priorité – mais en acceptant de solder tous ces pays (avec leurs populations, leurs ressources minières et naturelles) au prix le plus bas possible sur la grande braderie du commerce mondial. Pour y parvenir, les pays industrialisés (États-Unis en tête) ont pratiqué, à l’échelle planétaire, un jeu forcé de chaises musicales : dès qu’un leader indépendantiste ou nationaliste veillait réellement à défendre les intérêts de son pays, il fallait coûte que coûte l’éjecter du pouvoir pour le remplacer par des dirigeants plus malléables. Il en fut ainsi notamment pour le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh (1882-1967). Depuis les premières découvertes de pétrole en Iran au début du XXe siècle, ce sont les Britanniques qui empochent l’essentiel des profits via leur firme Anglo-Iranian Oil Company, et la complicité de dirigeants iraniens pro-britanniques qui acceptent de brader à vil prix les trésors du sous-sol de leur pays. À chaque litre de pétrole iranien vendu, c’est Londres qui touche le pactole, seule une infime part des revenus pétroliers restant dans le pays producteur. Quant aux travailleurs du secteur, ils sont payés une aumône : 50 cents par jour en 1941. C’est pourquoi, comme l’écrit le journaliste Tim Weiner, « tandis que directeurs et techniciens britanniques profitaient des piscines et des clubs privés, les Iraniens travaillant dans les exploitations pétrolières vivaient dans des taudis sans eau courante, sans électricité et sans tout-à-l’égout. »xv Mais le vent tourne soudainement quand le Parlement iranien décide, en 1951, de nationaliser les réserves de pétrole du pays. En Grande-Bretagne, c’est la stupeur… bientôt suivie d’une fureur indescriptible. Un embargo britannique est décrété sur le pétrole iranien en septembre 1951. Le mois suivant, le retour de Winston Churchill (1874-1965) au 10 Downing Street16 ne calme pas les choses, loin s’en faut : cette icône occidentale de la résistance à l’Allemagne nazie envisage ni plus ni moins d’envahir l’Iran avec une armée de 70.000 hommes. Jouant un pays capitaliste contre l’autre, le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh appelle les États-Unis à la rescousse. Si l’Oncle Sam calme officiellement les ardeurs belliqueuses de la Grande-Bretagne, c’est pour mieux conclure un pacte secret avec elle : main dans la main, les services secrets américains (la CIA) et britanniques (le Secret Intelligence Service) organisent un coup d’état. Puisant dans ses fonds secrets, la CIA déverse un million de dollars sur l’Iran tantôt pour corrompre des élus parlementaires, tantôt pour salir la réputation du Premier ministre Mohammad Mossadeg. Payés par l’Oncle Sam, des mollahs prêchent ainsi dans les 16 Il s’agit de la résidence officielle du Premier ministre du Royaume-Uni. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page18 mosquées contre le gouvernement iranien qu’ils accusent de laxisme dans la répression du parti communiste iranien, le Tudeh, normalement proscrit dans le pays. Le 17 août 1953, des centaines d’agitateurs également recrutés par la CIA se font passer pour des communistes et saccagent différents symboles nationaux dans les rues de Téhéran. Bien que la tentative de déstabilisation échoue, la CIA repasse les plats deux jours plus tard en finançant des centaines de manifestants hétéroclites – gros bras et membres de diverses tribus du sud du pays – appelant à la démission de Mohammad Mossadegh, tandis que des militaires à la solde de l’Oncle Sam s’emparent de bâtiments clés dans la capitale iranienne. Le gouvernement tombe dans la nuit, et le Premier ministre est fait prisonnier le lendemain matin (il sera ensuite condamné à trois ans de prison et finira sa vie en résidence surveillée). Là encore, le nouveau dirigeant choisi conjointement par les États-Unis et la Grande-Bretagne est un tyran de la pire espèce : le général Mohammad Fazlollah Zahedi (1892-1963) inaugure un régime de terreur, reposant notamment sur la SAVAK (Sāzmān-e Ettelā’āt va Amniyat-e Keshvar, l’organisation chargée de la sécurité intérieure) qui s’abat sur la population iranienne durant plus d’un quart de siècle. Au fil du temps, les excès de cette dictature pro-occidentale pousseront à la radicalisation un Iranien exilé en France que le monde entier découvrira, en 1979, lorsqu’une nouvelle révolution (anti-occidentale cette fois) le mènera au pouvoir sous le nom de l’Ayatollah Khomeini (1902-1989)xvi. Pour souligner que l’Iran est loin d’être un cas isolé, descendons plus au sud vers l’Afrique centrale. Lorsque le Congo s’apprête à larguer les voiles au grand dam de la Belgique, c’est un certain Patrice Lumumba (1925-1961) qui remporte haut la main les premières élections nationales organisées en mai 1960. Nommé Premier ministre conformément à la nouvelle constitution congolaise, ce brillant orateur à la personnalité charismatique hérite d’un pays saigné à blanc par Bruxelles, le roi Léopold II (1835- 1909) s’étant tristement distingué par sa cruauté sans bornes pour imposer le travail forcé et mater toute rébellion dans cette colonie qui fut longtemps sa propriété personnelle17. Après des décennies de terreur blanche n’ayant rien à envier aux méthodes des Bolcheviks de Moscou dans les années 1930, voilà le Congo enfin libéré de ses entraves coloniales comme s’en réjouit Patrice Lumumba lors de la cérémonie officialisant l’Indépendance : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des ‘‘nègres’’. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation ? Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. »xvii Un discours tranchant et une volonté de prendre son envol qui ne correspondent pas du tout au casting politique imaginé dans l’ancienne métropole. Après avoir fomenté la sécession du très riche Katanga pour déstabiliser Patrice Lumumba, la Belgique s’entend avec la CIA pour armer et financer une rébellion 17 C’est à la Conférence de Berlin, en 1885, que les principales puissances européennes attribuent le Congo à une société privée détenue par le souverain de Belgique, Léopold II. Pour imposer le travail forcé aux indigènes, les autorités coloniales usent de politiques terroristes incluant notamment la prise en otage des familles, la répression brutale des villages refusant de s’exécuter, ainsi que la torture et la mutilation des indigènes ne respectant pas les quotas de production décidés à Bruxelles. Révélées par des missionnaires anglais et suédois travaillant au Congo, ces exactions font scandale sur la scène internationale et poussent le roi Léopold II à faire un pas de côté : il perd sa colonie qui devient officiellement territoire belge en 1908. Pour pouvoir importer les précieuses richesses locales jusqu’à Bruxelles, la métropole belge impose aux indigènes la construction de la ligne de chemin de fer Congo-Océan devant traverser montagnes, jungle, précipices, torrents et marais. Les conditions de travail sont si épouvantables qu’il faut sans cesse recruter de la main-d’œuvre pour compenser les 17.000 à 20.000 personnes qui y laissent leur vie entre 1921 et 1934. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page19 portée par un homme plaisant bien davantage à Bruxelles et Washington : Joseph-Désiré Mobutu (1930- 1997). Avec l’aide de la CIA, Mobutu parvient à capturer Lumumba qu’il livre aux autorités katangaises qui le torturent et l’exécutent, puis dissolvent son corps dans l’acide avec la complicité d’officiers belges xviii 18. Devenu maître du pays en 1965, Mobutu va régner par la terreur en imposant l’une des pires dictatures qui soient. Conjuguant le culte de la personnalité à la corruption, le clientélisme au massacre d’opposants, l’enrichissement personnel au pillage éhonté du pays, Mobutu tue les gens et gave ses comptes en banque de millions de dollars en toute impunité durant trois décennies. Sûr de son fait, il se rebaptise Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga (littéralement : « Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter ») et s’autoproclame Maréchal-Président du Zaïre. Une stabilité politique forgée grâce au soutien inconditionnel des états-Unis, ravis par ce dictateur livrant à la voracité du monde des affaires les immenses richesses du pays : caoutchouc, cuivre, cobalt, diamants, étain, or, uranium, sans oublier une main-d’œuvre aux salaires indigents garantis par la poigne de fer du régime. En lieu et place de la paix, de la prospérité et de la grandeur promises jadis par l’éphémère Premier ministre Patrice Lumumba, Bruxelles et Washington ont transformé le Congo en enfer violent, misérable et décadent. Une plaine de jeux disponible tous les jours de l’année pour les industries minières, mais payée au prix fort par les populations locales auxquelles fut volé le droit légitime à décider de leur avenir collectif. Dans deux romans poignants publiés respectivement en 1968 (Les Soleils des Indépendances) et 1998 (En attendant le vote des bêtes sauvages), l’écrivain Ahmadou Kourouma (1927-2003) a couché sur papier cette sordide tranche d’histoire africaine, née de l’alliance entre des dictateurs sans scrupules et le cynisme géopolitique de gouvernements et firmes privées occidentales. Des Réseaux-Bourgeois de pouvoir internationaux prêts à toutes les infamies pour conserver un perpétuel droit d’accès aux œufs d’or des « anciennes » colonies. Quand la « peur du rouge » se mue en amour des dictatures Coups d’état, meurtres, corruption de la classe politique, pluie de millions de dollars finançant l’organisation de mouvements d’opposition afin de pousser au chaos social ou à la guerre civile, trucage et fraudes électorales, guerre psychologique, propagande politique, sanctions et sabotages économiques à l’encontre des populations ayant « mal » choisi leurs dirigeants politiques : rien n’aura été épargné aux anciennes colonies qui ont porté au pouvoir, par les urnes, des gouvernements réellement indépendantistes voulant faire germer des graines d’état-Providence sur leur territoire. Nouveau centre de gravité du monde capitaliste au sortir de la deuxième guerre mondiale, les étatsUnis ont joué un rôle déterminant dans cette tragédie sanglante qui fit bégayer l’histoire, volant une fois encore leur droit à l’indépendance à plusieurs centaines de millions d’humains. à rebours des discours solennels vantant « le droit de chaque nation à une forme de gouvernement et à un système économique de son choix » et le rejet formel de « toute tentative d’une nation de dicter à d’autres nations sa forme de gouvernement » – comme le formula le président américain Dwight D. Eisenhower (1890-1969) devant un parterre d’éditeurs médiatiques en avril 1953xix -, la Maison Blanche et ses alliés internationaux se fichaient comme d’une guigne des populations locales dès lors que des intérêts géopolitiques étaient en jeu. 18 Selon la Commission parlementaire belge chargée de faire la lumière sur l’assassinat de Patrice Lumumba, quatre représentants belges (le commissaire de police Frans Verscheure, le capitaine Julien Gat, le lieutenant Michels et le brigadier Son) ont participé à la décision d’éliminer physiquement le vainqueur des premières élections démocratiques du Congo. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page20 En 1973, soit vingt ans après le renversement du Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh, dans un pays considéré comme une démocratie stable depuis des décennies, c’est le président socialiste Salvador Allende (1908-1973) qui se retrouve brusquement dans le viseur d’une énième conjuration bourgeoise, associant notamment la CIA à de puissantes firmes privées. Afin de protéger ses intérêts financiers au Chili qu’elle juge menacés par le choix politique de la population, la compagnie américaine International Telephone & Telegraph (ITT) dépense des centaines de millions de dollars pour mettre des bâtons dans les roues du gouvernement sorti des urnes. Propriétaire de nombreuses mines de cuivre, le magnat chilien Agustín Edwards (1927-2017) fait renflouer son journal conservateur, El Mercurio, par la CIA qui lui verse la somme de 1,95 million de dollars en échange d’éditos et d’articles crachant, jour après jour, leur fiel contre Salvador Allende. Pour rendre ce socialiste réformiste incompétent aux yeux du monde entier, la diplomatie américaine coupe également toute forme d’assistance internationale au Chili au moment où la CIA dépense plus de dix millions de dollars pour financer des mouvements massifs de contestation à l’intérieur du pays. L’objectif commun de tous ces conspirateurs est de faire sombrer le Chili socialiste dans un chaos politique et social indescriptible, dans l’espoir de pousser à la faute répressive Salvador Allende qu’on pourrait alors qualifier de « tyran communiste », ce qui justifierait de le renverser d’une façon pouvant paraître légitime aux yeux de l’opinion publique mondiale. Mais Salvador Allende est un démocrate respectueux des procédures légales, et c’est finalement par un coup d’état militaire que la CIA lui règle son compte avec la complicité d’un haut-gradé chilien opportuniste : Augusto Pinochet (1915-2006). Durant les 17 ans que dura sa dictature, plus de 130.000 personnes furent emprisonnées pour raisons politiques, près de 30.000 torturées et plus de 3.000 sont mortes ou disparues à jamais. Parmi eux : les indiens Mapuches vivant dans le sud du Chili et, bien entendu, les Rouges (qu’elles soient socialistes ou communistes) éprises par le chemin émancipateur de l’étatProvidencexx. Bien sûr, personne à Washington ne se vantait officiellement de renverser des gouvernements démocratiquement élus (les actions clandestines de la CIA restant cachées aux élus parlementaires et au commun des mortels). Par contre, le soutien manifeste des états-Unis à des dictatures militaires ou des régimes d’extrême-droite se justifiait d’un refrain inamovible : coûte que coûte, il faut empêcher le démon communiste incarné par Moscou de se répandre sur la planète. En dépit de leur alliance contre l’ogre nazi, et bien que Joseph Staline ait eu le privilège d’être nommé deux fois Homme de l’année (en 1939 et 1942) par le prestigieux magazine Time, le climat entre l’Est et l’Ouest n’était plus du tout à la détente dans les années 1950. Aux États-Unis, leader du monde qui s’autoproclamait libre en raison de ses progrès démocratiques et sociaux conquis par le monde ouvrier, la peur du rouge s’était emparée des élites redoutant comme la peste toute expansion géographique du communisme. La Maison Blanche vit d’ailleurs son pire cauchemar devenir réalité quand Máo Zédōng (1893-1976) remporta, en 1949, la guerre civile en Chine, créant sur ce vaste territoire asiatique une République populaire rouge aux dérives autoritaires patentes. Dans une paranoïa collective dont elle est coutumière, la superpuissance américaine considéra tous les indépendantistes et nationalistes -voulant corriger chez eux les inégalités résultant de siècles de colonisation – comme étant nécessairement des pantins rouges aux ordres de Moscou. Qu’ils soient réformistes ou révolutionnaires, épris de démocratie ou tentés par l’autoritarisme, leur accession au pouvoir dans les pays périphériques de l’économie-monde fut jugée inacceptable par les pays dominant la sphère d’influence occidentale. Contrôlé conjointement par la CIA, le Pentagone et le Département d’état américain, un programme d’hégémonie politique initié par le président Eisenhower (l’Overseas Internal Security Program) va dès lors financer une foule de dictateurs et leurs forces armées répressives à travers le monde entier : « Le programme permit de former 771.217 militaires et policiers étrangers dans vingt-cinq pays. Les aires les plus fertiles coïncidaient avec celles dont le terrain avait été préparé par l’action clandestine de la CIA. Le programme avait aidé à créer une police secrète au Cambodge, en Colombie, en Corée du Sud, en Équateur, au Salvador, au Guatemala, en Iran, en Irak, au Laos, au Pérou, aux Philippines, au Sud- L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page21 Vietnam et en Thaïlande, pays dans lesquels ministère de l’Intérieur et police nationale travaillaient en étroite liaison avec l’antenne de la CIA. L’Agence installa aussi une académie internationale de police au Panama et une ‘‘école de bombes’’ à Los Fresnos au Texas, qui formait des officiers originaires d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud – dont les futurs chefs des escadrons de la mort du Salvador et du Honduras. »xxi Comme le nota dans ses notes privées Robert Amory, chef du directoire du Renseignement américain sous les présidences de Dwight D. Eisenhower et John Fitzgerald Kennedy (1917-1963), « il n’y avait parfois qu’un pas de la salle de classe à la chambre de torture. » Un pas allègrement franchi par l’Amérique qui trop souvent, dans de nombreux pays « décolonisés », poussa vers les sommets de l’état des militaires sanguinaires et des tyrans sans scrupules, déclenchant ainsi des vagues massives d’emprisonnements politiques, d’interrogations sous la torture, de rapts d’enfants19, de massacres et d’éliminations physiques des contestataires. Que ces purges visent des indigènes, des opposantes démocratiques ou des Rouges de toutes obédiences (réformistes comme révolutionnaires), force est de constater que le monde « libre » a sciemment éliminé – symboliquement et physiquement – les gens porteurs d’une idéologie solidaire dans une foule d’anciennes colonies. Partout où c’était possible, l’objectif fut d’empêcher toute mutualisation des richesses pour imposer aux forceps la privatisation sans limites des ressources nationales, mais aussi maintenir les pays ciblés solidement arrimés, dans une position subalterne, au commerce mondial. Après avoir mené et perdu des guerres coloniales, les alliances politico-marchandes ont cherché, au lendemain de leurs défaites militaires, à conserver leur emprise sur de vastes territoires officiellement indépendants, mais absolument indispensables au développement économique des pays industrialisés. Pour y parvenir, les coups d’état militaires étaient en quelque sorte le dernier recours utilisé par la CIA. Mais c’était loin d’être le seul dispositif d’ingérence des Réseaux-Bourgeois internationaux qui disposaient également, dans leur panoplie d’outils géopolitiques, d’instruments asservissants comme l’endettement forcé, la corruption et la manipulation des termes de l’échange. La spirale de la dette : une autre relation maître-esclave20 Pour mieux comprendre l’usage géopolitique des dettes, commençons par suivre les pérégrinations d’un certain John Perkins. Dans les années 1970, ce consultant employé par la société Main parcourt de nombreux pays (Colombie, équateur, Guatemala, Indonésie, Irak, Iran, Panama, Venezuela, etc.) pour prodiguer des conseils d’investissements stratégiques à leurs dirigeants nationaux : « Mon travail serait de prévoir les effets qu’aurait l’investissement de milliards de dollars dans tel ou tel pays. Plus spécifiquement, je devrais produire des études établissant des projections de croissance économique pour les vingt ou vingt-cinq prochaines années en évaluant les conséquences de divers projets. »xxii En réalité, ce poste de consultant dans la société Main n’est qu’une façade, la firme travaillant en sousmarin pour des projets clandestins du gouvernement américain. Concrètement, lors de ses rencontres avec des dirigeants de pays « libres », John Perkins devait cocher les deux objectifs suivants : « Premièrement, je devais justifier d’énormes prêts internationaux dont l’argent serait rédigé vers Main et d’autres compagnies américaines (comme Bechtel, Halliburton, Stone & Webster et Brown & Root) par le biais de grands projets de construction et d’ingénierie. Deuxièmement, je devrais mener à la 19 Plusieurs dictatures proaméricaines ont arraché des milliers d’enfants à leurs parents, arbitrairement emprisonnés ou tués sans autre forme de procès, pour les faire élever par des partisans du régime. 20 Toutes les citations de ce chapitre sont extraites de John Perkins, Les confessions d’un assassin financier (Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis). L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page22 banqueroute les États qui recevraient ces prêts (après qu’ils auraient payé Main et les autres entreprises américaines, évidemment), de sorte qu’ils seraient à jamais redevables à leurs créanciers et constitueraient donc des cibles faciles quand nous aurions besoin d’obtenir leurs faveurs sous la forme de bases militaires, de vote aux Nations unies ou de l’accès au pétrole et à d’autres ressources naturelles. »xxiii Le travail de John Perkins consiste donc à pousser vers la faillite des pays entiers pour faire de leurs dirigeants (quelque soient les majorités politiques en place) d’éternels obligés du monde occidental. Par l’impôt et les taxes, les populations locales devront ensuite payer ad vitam aeternam des taux d’intérêts exorbitants servant de laisse financière collective. Caché à Washington ou dans une institution bancaire, le Maître de la dette (plus occidental que jamais) n’a officiellement aucun pouvoir politique sur les élites à la tête du pays. Mais au gré de ses humeurs, selon les bons ou mauvais comportements des dirigeants locaux, il peut à volonté tirer sur la laisse des remboursements ou relâcher la bride. Toutefois, avant d’en arriver là, reste au préalable à convaincre les dirigeants locaux d’entrer dans la combine. Pour enterrer leurs scrupules et les amener à contracter des emprunts massifs au nom de leur pays, John Perkins avait un bâton virtuel et une carotte bien réelle dans les mains. Le bâton, c’était la menace latente de voir intervenir les sbires de la CIA pour résoudre de façon musclée, par l’élimination physique ou le coup d’état, les dirigeants trop altruistes portant en eux ce que les idéaux solidaires ont de plus beau à offrir : des droits, des terres et des libertés aux plus humbles. Quant à la carotte, elle était en or massif et se nommait corruption comme le raconte John Perkins dans ses Confessions d’un assassin financier : « L’aspect clandestin de chaque projet, c’est qu’ils avaient pour but de générer d’énormes profits pour les entreprises et de rendre heureuses une poignée de familles riches et influentes du pays récipiendaire, tout en assurant la dépendance financière à long terme et donc la loyauté politique de plusieurs gouvernements du globe. Le montant du prêt devait être le plus gros possible. On ne tenait nul compte du fait que le fardeau de dettes du pays récipiendaire priverait ses plus pauvres citoyens de soins de santé, d’éducation et d’autres services sociaux pendant des décennies. »xxiv Cette fois encore (comme toujours a-t-on envie de dire), la mission de John Perkins était de faire en sorte que les pays « indépendants » fonctionnent comme des États-Bourgeois. C’est-à-dire qu’une minorité de nantis autoritaires s’y gavent d’argent frais et prospèrent sur un océan de misère en servant à l’économie-monde une main d’œuvre docile et bon marché, sans jamais laisser émerger à l’intérieur des frontières nationales des syndicats organisés ou une société civile libre de s’exprimer. Ainsi, « aider à la croissance économique d’un pays ne fait qu’enrichir les quelques personnes se trouvant au sommet de la pyramide, tout en appauvrissant davantage ceux qui se trouvent en bas. »xxv Évidemment, le gouvernement américain ne tenait pas à être en première ligne dans l’hypothèse où l’affaire s’ébruiterait. Aussi l’Oncle Sam confiait-il à ses services secrets la sélection des James Bond de l’ombre tout en chargeant des firmes privées complices de les recruter : « Les agences de renseignements américaines, y compris la NSA21, dénicheraient d’éventuels assassins financiers, qui seraient alors engagés par des compagnies internationales. Ces hommes ne seraient pas payés par le gouvernement, mais plutôt par le secteur privé. Ainsi, leur sale travail, si jamais il était découvert, serait attribué à la cupidité entrepreneuriale plutôt qu’à la politique gouvernementale. De plus, les compagnies qui les engageraient, bien que payées par les agences gouvernementales et leurs contreparties banquières internationales (avec l’argent des contribuables), seraient à l’abri de la surveillance du Congrès et de la curiosité du public, grâce à des initiatives législatives de plus en plus 21 Créée en novembre 1952, la National Security Agency (NSA) ou Agence Nationale de la Sécurité est un organisme gouvernemental lié au département de la Défense des États-Unis. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page23 nombreuses, telles que les lois sur les marques de commerce, sur le commerce international et sur la liberté de l’information. »xxvi Sans surprise, on retrouve un casting politico-marchand animé d’intentions impérialistes n’ayant que faire de la démocratie : « Nous promouvions les intérêts de la politique étrangère des États-Unis et des compagnies américaines. Nous étions animés par la cupidité plutôt que par le désir d’améliorer la vie de la majorité des Indonésiens [ou de toute autre population « décolonisée »]. Un mot me vint à l’esprit : corporatocratie. Je ne savais pas si je l’avais déjà entendu ou si je venais de l’inventer, mais je trouvais qu’il décrivait parfaitement la nouvelle élite qui avait décidé de dominer la planète. »xxvii xxviii Plongé au cœur de ces Réseaux-Bourgeois internationaux, John Perkins décrit un monde élitiste interlope, « une fraternité très unie de quelques hommes aux buts communs, et dont les membres passaient facilement des conseils d’administration de compagnies à des postes gouvernementaux. Je me rendis compte que Robert McNamara, alors président de la Banque mondiale, en était l’exemple parfait. Il était passé du poste de président de Ford Motor Company à celui de secrétaire à la Défense sous les présidences de Kennedy et de Johnson, et il occupait maintenant le poste le plus important de la plus puissante institution financière du monde. » Le libéralisme économique : une oppression politique Créée au lendemain de la capitulation nazie en 1945, la Banque Mondiale a pour objectif initial d’aider à la reconstruction du Japon et des pays européens, ravagés par des années de guerre et des tonnes de bombardements aériens (dont deux bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki). Cette mission remplie, les crédits pour de grands projets d’infrastructures sont réalloués vers les pays maintenus en périphérie de l’économie-monde, via des ententes avec les dirigeants locaux. Qu’il s’agisse d’autocrates à la recherche d’argent frais pour assouvir des délires personnels ou de gouvernements ayant accepté le deal des assassins financiers à la John Perkins, la Banque Mondiale accorde des prêts astronomiques finançant des projets pharaoniques comme, par exemple, la construction de grands barrages et des réseaux électriques adjacents. Grâce aux pots-de-vin et divers accords illicites, les dirigeants corrompus locaux multiplient au passage par dizaines (voire davantage) les millions qui s’entassent sur leurs comptes en banque, tandis que les bénéfices font de même dans les bilans financiers des entreprises occidentales engagées pour réaliser les travaux. Par ailleurs, comme tous ces prêts accordés à des dirigeants corrompus sont officiellement conclus au nom des pays qu’ils dirigent, c’est sur les épaules des peuples anciennement colonisés que pèse, pour les générations à venir, le fardeau d’une dette publique auquel nul quidam n’a pourtant consenti. A fortiori quand ces prêts ont été conclus pour financer les caprices personnels d’autocrates pro-occidentaux, comme les éléphants blancs22 du dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko. Quelques étages plus bas dans la dépravation morale, certaines banques occidentales vont jusqu’à accorder des prêts massifs pour financer l’achat d’armes que les dictateurs retournent ensuite contre leurs populations, à charge pour ces dernières de s’acquitter des intérêts de la dette conclue pour les opprimer ! Dans les décennies d’après-guerre, divers pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine ont ainsi inexorablement sombré dans une spirale de l’endettement. Et l’objectif inavoué de les mettre sur la paille fut si brillamment atteint qu’il franchit même une frontière inattendue. Dans les années 1980, de nombreuses nations dirigées depuis des lustres par des dictateurs corrompus sont tellement appauvries 22 Ce nom fait référence aux projets dispendieux censés moderniser le Zaïre, comme le barrage hydro-électrique d’Inga et les nombreuses infrastructures urbaines de Kinshasa. Il renvoie également aux palais présidentiels haut-de-gamme que le dictateur se fit construire dans son village natal de Gbadolite. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page24 qu’elles deviennent même incapables de rembourser les taux d’intérêts, devenus trop élevés en regard de leurs moyens financiers. Comme il n’est évidemment pas question de reconnaître la nature frauduleuse des dettes infligées aux populations concernées, une institution sœur de la Banque Mondiale entre en scène : le Fonds Monétaire International (FMI). Sur son site web, cette vénérable institution se pare de vertus démocratiques et sociales : « Le Fonds monétaire international (FMI) encourage la stabilité financière et la coopération monétaire internationales. En outre, il s’efforce de faciliter le commerce international, de promouvoir l’emploi et une croissance économique durable, et de faire reculer la pauvreté dans le monde. Le FMI est gouverné par ses 190 pays membres, auxquels il rend compte de son action. »xxix Pourtant, vu comme un maillon des Réseaux-Bourgeois internationaux, le rôle du FMI est nettement moins glamour qu’annoncé. En lieu et place de l’assemblée démocratique réunissant une multitude de nations, on retrouve le fossé structurel séparant les dominants des dominés au sein des réseaux géopolitiques internationaux : le FMI y est un Maître bourru tenant au bout de sa laisse financière les pays surendettés. Ainsi, dès qu’une nation s’avère incapable de rembourser des taux d’intérêts excessifs, le Fonds Monétaire International débarque et provoque une révolution de palais. Officiellement, le gouvernement en place reste au pouvoir mais il doit impérativement suivre à la lettre les diktats imposés par les consultants du FMI. Qu’ils soient économistes, ingénieurs ou avocats importe peu, ces experts sont en réalité des missionnaires chargés d’imposer l’imaginaire spirituel de l’étatBourgeois : vive le libéralisme économique débarrassé de tout carcan social ou solidaire ! Concrètement, les pays tenus en laisse par le FMI doivent appliquer un chapelet de mesures tirées du bréviaire libéral, censé instaurer une logique vertueuse sur leur territoire. Cela commence par une sévère cure d’austérité chargée de faire fondre le poids des structures publiques. Même si les pays concernés sont loin des standards de l’état-Providence régnant en Europe à la même époque, le peu de services publics qu’ils ont éventuellement développés est encore de trop. Pour disposer d’argent frais, toutes les ressources socialisées potentiellement rentables (comme la distribution de l’eau ou de l’électricité par exemple) doivent être vendues au secteur privé. Heureuse coïncidence : des firmes occidentales cherchent justement à investir leurs capitaux dans ce genre d’activités… Quant aux services publics peu ou non rentables éventuellement existants (comme un réseau de santé solidaire à l’échelle locale par exemple), le mieux est de couper les vivres et d’arrêter les frais, les autorités étant évidemment trop endettées pour dilapider l’argent public en offrant des services collectifs à la population. Après tout, quand on a mal compté ses sous, quoi de plus normal que de se serrer la ceinture ? (sic) En général, ces mesures draconiennes d’austérité ne suffisent pas à tirer du pétrin financier les pays endettés. En complément à la cure d’austérité, les troisièmes couteaux du FMI ajoutent alors une dose supplémentaire de libéralisme économique : pour faire affluer des devises dans un pays, quoi de mieux qu’un solide plongeon dans le grand bain du commerce international ? Les gouvernements sous pilotage du FMI doivent ainsi légiférer pour ouvrir leurs frontières aux investisseurs étrangers (motivés par les privatisations) mais également décupler leurs exportations sur le marché mondial. Là encore, la méthode est autoritaire : alors qu’elles ne sont pour rien dans l’accumulation de la dette nationale, on force des milliers de paysannes à abandonner leurs cultures vivrières grâce auxquelles elles nourrissent leur famille et se font un peu d’argent en vendant leurs surplus éventuels sur les marchés locaux. En lieu et place de ces échanges traditionnels, les communautés paysannes doivent désormais passer leur temps à cultiver des produits d’exportation, afin d’offrir aux pays riches tout le café et les bananes qu’ils désirent. Selon le FMI, ces nouvelles exportations massives sont censées faire affluer des devises étrangères dans les caisses nationales (devises évidemment appelées à s’évaporer aussitôt sous forme d’intérêts vers les comptes en banque off-shore des institutions financières créditrices). L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page25 Ainsi s’est créée, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une spirale de l’endettement enlisant dans la pauvreté les pays dits du « Tiers-Monde ». Nommées plans d’ajustement structurel, ces orientations politiques libérales du FMI ont coupé les ailes aux institutions publiques nationales et rogné jusqu’à l’os les services collectifs éventuellement fournis à la population. Par l’ouverture des frontières au commerce mondial, elles ont aussi livré les ressources territoriales à l’avidité des capitaux étrangers. Imposée unilatéralement dans une multitude de pays, ces plans d’ajustement structurels ont forcé des millions de petits producteurs à se lancer, de façon synchronisée, dans les mêmes cultures d’exportation. Saturés de café, de bananes et d’autres produits agricoles affluant de partout simultanément, les prix de vente sur les marchés internationaux de fruits et de légumes se sont effondrés. Autrement dit, les termes de l’échange des pays pilotés par le FMI ont chuté : à quantité égale de marchandises vendues à l’étranger, leurs exportations leur ont rapporté moins d’argent. Une catastrophe de plus pour les paysannes converties de force aux cultures d’exportation et payées en cacahuètes. Une aubaine supplémentaire pour le capitalisme occidental pouvant acquérir à bas prix une foule de produits venus du monde entier. Last but not least, la dégradation des termes de l’échange a fait inexorablement diminuer les rentrées de devises dans les pays concernés, les éloignant ainsi de l’objectif officiellement poursuivi (accroître leurs gains en devises étrangères afin de payer les intérêts des dettes publiques). Pour combler ce manque à gagner, les technocrates du FMI décrètent que la seule voie à suivre est de remettre une couche supplémentaire d’ajustement structurel en renforçant davantage l’austérité, les privatisations et le droit pour les entreprises occidentales d’accéder sans limite aux multiples ressources existantes dans les pays « aidés ». Ainsi, la boucle de dépendance hiérarchique ne cesse de se renforcer, au point de former un nœud coulant étranglant toute possibilité d’avenir prospère pour des milliards de personnes à travers le monde entier. Jeux de miroir Nous pourrions continuer cette histoire en multipliant les exemples d’exactions, commises à l’étranger, par des institutions occidentales piétinant l’intérêt général pour le plus grand bonheur de multinationales titanesques. Un cynisme politico-marchand dont l’enjeu principal a toujours gravité autour d’une préoccupation majeure : autant que faire se peut, diminuer le prix d’importation d’une multitude de produits (minerais, matières premières, ressources naturelles, etc.) indispensables pour garantir le consensus social et la consommation de masse dans les pays riches. Qu’on parle de viol manifeste des sociétés locales par une occupation coloniale de plusieurs siècles suivie de l’orchestration plus récente de coups d’États, ou bien qu’on évoque des malversations géopolitiques faites d’endettement forcé, de manipulation des termes de l’échange ou bien encore de corruption des élites locales, une constante ignoble se retrouve dans les rapports de force opposant les pays riches aux peuples pauvres : l’asservissement de ces derniers est simultanément la conséquence et le rouage nécessaire à la prospérité des régions et firmes privées les plus opulentes de la planète. Bien qu’il ait toujours existé des mouvements sociaux (notamment des ONG) pour dénoncer ces rapports inégalitaires entre les pays dits du Nord et du Sud, force est de constater que la grande majorité des populations occidentales ne s’est jamais fondamentalement intéressée aux formes d’exploitation que nos gouvernements et nos entreprises imposaient – et font encore subir – à de nombreux populations à travers le monde. Durant les Trente Glorieuses – ces trois décennies d’après-guerre où une très large partie des populations occidentales a bénéficié d’améliorations prodigieuses de ses conditions de vie grâce à des politiques sociales ambitieuses -, nul ne s’est franchement préoccupé du fait que notre bien-être prenait aussi racine dans l’exploitation systématique de peuples étrangers ravalés en larbins de nos désirs consuméristes. Une réalité qui n’a guère changé depuis : comme nous L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page26 le savons toutes, les plus grands empires marchands planétaires raffolent de sous-traitants situés dans des pays où l’absence de législations sociales autorise les conditions de travail les plus sordides. Cela va du moindre textile de marque made in Bangladesh à nos nouveaux compagnons technologiques tels que Smartphones, tablettes, ordinateurs et autres liseuses23. Pour peu qu’on accepte de le dire honnêtement : aussi civilisées puissent-elles nous paraître, nos manières de vivre passent par l’oppression constante de myriades de populations et groupes sociaux n’ayant pas le rapport de force nécessaire pour se défendre. Un constat tragique mais que nous évacuons constamment de nos débats publics, comme si cette sale évidence ne nous concernait pas. C’est sans doute pourquoi l’expression on ne peut pas accueillir toute la misère du monde reçoit un écho plutôt favorable dans nos sociétés. Cette maxime sert de pare-feu moral en refoulant loin de nos têtes l’idée, certes désagréable, que nos modes de vies se traduisent plutôt par l’adage suivant : pour remplir les magasins et sites de commerce en ligne d’une multitude de produits sans cesse renouvelés, les sociétés capitalistes opulentes saignent à blanc le monde entier ! Ce renversement des perspectives, où nos bourreaux (ces étrangers envahisseurs) deviennent nos victimes (ces peuples maltraités), relève sans doute de l’impensable pour beaucoup de gens. Et pourtant, nous aurions tout intérêt à nous en préoccuper. Ne fut-ce que pour les raisons les plus mesquines du monde : si nous voulons vraiment voir le nombre de migrants diminuer afin de ne pas accueillir toute la misère étrangère chez nous24, la priorité des priorités serait de faire en sorte que les gens puissent vivre dignement chez eux. Un changement de cap sociétal qui passerait par la mise en bière du cynisme géopolitique de nos gouvernements, accompagné par la mise en place de poursuites et sanctions judiciaires effectives à l’encontre des multinationales détériorant gravement les conditions de vie locales. Autant dire que nous sommes loin du compte ! Plusieurs décennies après la fin officielle de l’ère coloniale, c’est du bout des lèvres que nos chefs d’état commencent à bredouiller de timides excuses pour les siècles d’exactions, de pillage, de racisme légal et d’innombrables crimes perpétrés à l’étranger. Bien entendu, toutes ces oppressions sont présentées comme des faits révolus, censés appartenir à un lointain passé… Pourtant, c’est en toute impunité que d’innombrables secteurs industriels – miniers et pétroliers notamment – hypothèquent gravement la santé de populations lointaines en rejetant d’innombrables déchets toxiques dans les sols, les cours d’eau et l’air dont ces gens dépendent pour vivre. Renverser les perspectives pour voir nos souffre-douleurs coutumiers (les étrangers envahisseurs) se transformer en victimes d’un système oppresseur a un autre intérêt : comme nous, ces gens sont des otages prisonniers de féroces hiérarchies instituées par le capitalisme planétaire. Les coups que nous recevons aujourd’hui, eux les ont reçus bien avant nous et avec une férocité sans pareille. Comme on l’a vu dans cet écrit, les anciennes populations coloniales ont été frappées en premier par les ukases du bréviaire libéral : austérité draconienne pour les finances publiques, privatisation de tout ce qui est rentable, promotion de la compétitivité internationale au détriment des cultures vivrières locales, sans oublier l’encensement des riches et des nantis recevant tant de passe-droits et de privilèges qu’ils en viennent à se considérer comme étant au-dessus des lois (notamment lorsqu’il s’agit d’échapper à l’impôt). Jadis imposé aux pays du Sud, cet ultralibéralisme forcené règne également sous nos contrées depuis quatre grosses décennies à présent. Suite à l’arrivée au pouvoir de politiciennes fanatiques nommées Margareth Thatcher en Angleterre et Ronald Reagan aux États-Unis (respectivement en 1979 et 1981), le libéralisme économique a été présenté un peu partout comme une potion doublement vertueuse : en réduisant toutes les charges collectives pesant sur les entreprises, des emplois par millions allaient apparaître comme par enchantement ; par ailleurs, le marché étant présenté comme 23 On peut notamment lire à ce propos le recueil de témoignages de travailleurs chinois chez Foxconn : Yang, Jenny Chan et Xu Lizh, La machine est ton seigneur et ton maître, éditions Agone, 2015 (traductrice : Célia Izoard). 24 Contrairement à une idée reçue, rappelons ici que ce sont des pays pauvres (et non riches) qui accueillent le plus grand nombre de réfugiées sur leur territoire. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page27 le lieu d’épanouissement individuel par excellence, les idéologues libéraux nous l’ont vendu comme une brique fondamentale de tout système démocratique. Dans leur idolâtrie, ces idéologues aveugles ont oublié de préciser qu’un marché n’est pas l’autre, et que ce mot change de visage et de nature en fonction des lois qui président à son fonctionnement. Or, la cure libérale appliquée par nos gouvernements depuis plusieurs décennies a eu une obsession en tête : nous faire croire que (1) les régulations démocratiques limitant les privilèges des entrepreneurs et (2) les mécanismes institutionnels de solidarité protégeant les plus faibles d’entre nous n‘étaient, au fond, que des obstacles indésirables nuisant à l’épanouissement général. Pour avoir cru ces balivernes et laissé faire les gouvernements successifs obnubilés par la libéralisation de l’économie, nous avons reçu en retour des marchés dévastateurs dominés par quelques grandes firmes hégémoniques. Des empires marchands tellement puissants qu’ils ne veulent plus être régis par les règles de la démocratie, a fortiori lorsque celle-ci voudrait leur imposer des protections sociales ou des garde-fous solidaires les empêchant de piétiner plus faibles qu’eux (c’est-à-dire à peu près tout le monde). Et voilà que nous nous étonnons d’avoir perdu le gouvernail collectif qui donnait sens à nos vies ! Errants sans planche de salut au gré des humeurs du marché, nous acceptons les licenciements abusifs visant à rentabiliser les profits à des niveaux indécents, mais nous sommes de plus en plus nombreuses (hélas) à prêter l’oreille aux discours haineux et malveillants accusant les plus pauvres d’entre les pauvres d’être le danger prioritaire dont tout le monde devrait se méfier. Si écraser plus faible que soi est vraiment la mise qui nous semble désirable dans le casino politique qui nous emmènera vers demain, alors il est grand temps d’examiner notre conscience. Pourquoi s’insurger d’un monde politique insensible à la détresse croissante de gens d’ici basculant dans la pauvreté si, nous-mêmes, pouvons insulter sans sourciller des migrantes et des réfugiés coulant en mer Méditerranée ou plongeant dans les affres d’une existence de sans-papier ? Après des décennies d’individualisme libéral forcené, la dernière chose dont nous avons besoin pour changer de cap politique, ce sont précisément les logiques discriminatoires nous enfermant toutes et tous dans des mondes étanches, séparés, rivaux, nécessairement opposés les uns aux autres. à dire vrai, si nous rêvons vraiment d’un monde meilleur et de lendemains, alors c’est sur plus de solidarités (entre humains, mais aussi avec les non-humains) et le déclin de l’égoïsme généralisé qu’il nous faudrait miser en premier. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page28 Bibliographie Livres Bruce Albert, & Davi Kopenawa, La chute du ciel – Paroles d’un chaman Yanomami, Paris, Pocket, collection Terre humaine, 2018 (1ère édition : 2010). Christophe Ramaux, L’état social (Pour sortir du chaos néolibéral), Paris, éditions Mille et une nuits, 2012. David Graeber & David Wengrow, Au commencement était… (Une nouvelle histoire de l’humanité), Paris, Les Liens qui libèrent, 2021 (1ère édition en langue anglaise :2021). Le Codex Borbonicus, sous la direction de José Contel et Sylvie Peperstraete, Paris, éditions Citadelles & Mazenot (en partenariat avec l’Assemblée nationale), 2021. Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine – L’histoire implacable du pillage d’un continent, Paris, Pocket (collection Terre Humaine), 2019, (1ère édition originale espagnole : 1971). Eduardo Galeano, Mémoire du feu (Les naissances, Les visages et les masques, Le siècle du vent), Montréal, Lux éditeur, 2013 (1ères éditions originales des trois livres en espagnol : 1982, 1984, 1986). Fernando Cervantes, Les Conquistadors, Paris, Éditions Perrin, 2022 (1ère édition originale anglaise : 2020). Gérard Chaliand (compilation d’écrits historiques présentée par), Les Conquistadors (Mexique-Pérou), Paris, éditions Omnibus, 2003. Le texte utilisé ici est l’Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle Espagne narrée par l’un de ses protagonistes : le conquistador Bernal Díaz del Castillo. John Perkins, Les confessions d’un assassin financier (Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis), Outremont, éditions Alterre, 2005. José Bengoa, Historia del pueblo mapuche (sigle XIX & XX), Santiago, Lom Ediciones, 2000 (1ère édition originale : 1985). Pekka Hämäläinen, L’Empire comanche, Toulouse, Anacharsis éditions, 2012 (1ère édition anglaise originale : 2008). Philippe Descola, La nature domestique – Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1994. Pol-P. Gossiaux, L’homme et la nature – Genèses de l’anthropologie à l’âge classique 1580-1750, Bruxelles, 1995 (1ère édition : 1993), De Boeck Université. Stephen Greenblatt, Ces Merveilleuses possessions : Découvertes et appropriation du Nouveau Monde au XVIe siècle, Paris, 1996 (1ère édition anglaise originale : 1992). Tim Weiner, L’histoire de la CIA (des cendres en héritage), Paris, éditions Perrin (collection Tempus), 2011 (1ère édit. Originale : 2007). Tim Weiner est journaliste au New York Times et a gagné le Prix Pulitzer en 1988. Yang, Jenny Chan et Xu Lizh, La machine est ton seigneur et ton maître (recueil de témoignages de travailleurs chinois chez Foxconn), éditions Agone, 2015 (traductrice : Célia Izoard). L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page29 Yvonnick Denoël, Le livre noir de la CIA, Paris, J’ai Lu, 2009 (1ère édition originale 2007). Études et rapports Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passés, étude de Bruno Poncelet publiée le 4 juillet 2022 sur le site du CEPAG : https://www.cepag.be/publications/etudes. Guatemala, Memory of silence, rapport publié en 1999 de la « Commission pour l’éclaircissement historique » (créée en 1994 à Oslo dans le cadre des Nations Unies dans l’espoir de mettre fin aux décennies sanglantes de l’histoire du Guatemala). Disponible sur Internet, notamment sur le site de l’Human Rights Data Analysis Group. Romans Ahmadou Kourouma, Les Soleils des Indépendances, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1968 (puis édité à partir de 1970 par les Éditions du Seuil). Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Éditions du Seuil, 1998. L’étranger : un bouc-émissaire idéal… Depuis plusieurs siècles ____________________________________Décembre 2022 Page30 i Sources utilisées : Le Codex Borbonicus (sous la direction de José Contel et Sylvie Peperstraete) ; Fernando Cervantes, Les Conquistadors, pp. 422-433 ; Pol-Pierre Gossiaux, L’homme et la nature – Genèses de l’anthropologie à l’âge classique 1580- 1750 ; Stephen Greenblatt, Ces Merveilleuses possessions : Découvertes et appropriation du Nouveau Monde au XVIe siècle. ii Bernal Díaz del Castillo, La conquête du Mexique, écrit repris dans la compilation Les Conquistadors (Mexique-Pérou) présentée par Gérard Chaliand, p.208. iii Lire à ce propos Philippe Descola, La nature domestique – Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar ou le livre coécrit par Bruce Albert et Davi Kopenawa, La chute du ciel – Paroles d’un chaman Yanomami. iv Eduardo Galeano, Mémoire du feu (Les naissances, Les visages et les masques, Le siècle du vent), p. 624. v José Bengoa, Historia del pueblo mapuche (sigle XIX & XX). vi Eduardo Galeano, op. cit., p. 462. vii Ibid., pp.773-774. viii Lire à ce propos l’étude Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passés que j’ai publiée, le 4 juillet 2022, sur le site du CEPAG : https://www.cepag.be/publications/etudes. ix Les sources utilisées pour ce chapitre sont la Mémoire du feu d’Eduardo Galeano (pages 773-782), Le livre noir de la CIA d’Yvonnick Denoël (pages 65-85), Des cendres en héritage de Tim Weiner (pages 154-168), ainsi que les pages Wikipédia des différentes personnes citées. x Ibid., p.774. xi Ibid., p.774. Une légère faute de syntaxe a été corrigée dans le texte. xii Ibid., p.277. xiii Ibid., pp.776-77. xiv Les sources utilisées pour ce chapitre sont la Mémoire du feu d’Eduardo Galeano (pages 773-782), Le livre noir de la CIA d’Yvonnick Denoël (pages 65-85), Des cendres en héritage (pages 154-168) et le rapport Guatemala, Memory of silence rédigé par la Commission pour l’éclaircissement historique, créée en 1994 à Oslo dans le cadre des Nations Unies dans l’espoir de mettre fin aux décennies sanglantes de l’histoire du Guatemala. xv Tim Weiner, Des cendres en héritage (L’histoire de la CIA), p.137. xvi Ibid., pages 135-151 & Yvonnick Denoël, op.cit., pages 52-64. xvii Extrait du discours prononcé par Patrice Lumumba lors de la cérémonie d’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. xviii Les sources utilisées pour ce chapitre sont Le livre noir de la CIA d’Yvonnick Denoël (pages 86-108), Des cendres en héritage (pages 243-245 ; 391-392), ainsi que les pages Wikipédia des personnes citées. xviii Tim Weiner, Des cendres en héritage (L’histoire de la CIA), p.137. xix Ce discours de pacotille, intitulé Chance for Peace, est facilement accessible sur Internet. xx Sources : Le livre noir de la CIA d’Yvonnick Denoël (pages 209-230), Des cendres en héritage (pages 423-437 & 758-761), ainsi que les pages Wikipédia des personnes citées. xxi Tim Weiner, op. cit., p.390. xxii John Perkins, Les confessions d’un assassin financier (Révélations sur la manipulation des économies du monde par les États-Unis), Outremont, éditions Alterre, 2005, p.17. Une légère faute de syntaxe a été corrigée dans le texte. xxiii Ibid., pp.16-17. xxiv Ibid., p.17. xxv Ibid., p.30. xxvi Ibid., p.21. xxvii Ibid., p.29. xxviii Ibid., pp.29-30. xxix Source : site web du FMI.
Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passés Étude • Bruno Poncelet • Juillet 2022 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 2 Introduction Fut un temps où l’on rêvait de révolutions. Se battre au nom d’un idéal collectif : l’égalité humaine. Refuser les injustices et les oppressions. Prendre des risques personnels en défiant plus puissant que soi. Militer pour améliorer le sort d’autres humains. Tenter, avec les camarades, d’accoucher d’un monde nouveau. Un monde meilleur. Un monde aussi parfait que possible. Bien qu’ils semblent morts et enterrés de nos jours, ces rêves ont eu le mérite d’exister. Des gens, nombreux, il n’y a pas si longtemps, ont rêvé d’améliorer la vie de leurs semblables. Ils en ont rêvé tellement forts qu’ils se sont battus et ont lutté ensemble. C’était une époque où le mot « camarade » secouait l’âme jusque dans ses tréfonds. Pour quel résultat ? Telle est la question principale de cette étude qui part de l’hypothèse – erronée ou non – que le modèle politique qui a dominé ces dernières décennies arrive à son terme. Bien qu’il soit toujours à la mode, le néolibéralisme sème tellement de crises sur son chemin que sa légitimité est de moins en moins fondée. Alors que les couches sociales les plus aisées accumulent des fortunes indécentes quand de nombreuses personnes basculent dans la pauvreté, comment croire encore que c’est en favorisant les personnes les plus riches qu’on créera de l’harmonie sociale ? De même, la libre-concurrence nous a mené au seuil de crises écologiques majeures avec des empires marchands parfois plus puissants que des États. Des empires marchands autorisés à faire tout et n’importe quoi pour s’enrichir, comme mentir à propos du réchauffement climatique (une spécialité des empires marchands pétroliers) ou exterminer massivement des espèces en rasant des forêts millénaires ou en pratiquant la pêche industrielle. Comment imaginer qu’en poursuivant ce genre de politique, on puisse atténuer les crises écologiques majeures que le néolibéralisme a provoquées ? On peut mentir aux gens un certain temps, mais vient un moment où le masque tombe et les supercheries sont éventées. Même s’il a toujours les faveurs de nombreux gouvernements en place, le cauchemar néolibéral va probablement se fissurer, puis imploser. Pour être optimiste, imaginons alors que nous soyons Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 3 nombreux à vouloir le remplacer par quelque chose de plus heureux. Tournant le dos aux sirènes immondes du repli identitaire glorifiant un groupe social au mépris des autres (comme le proposent les mouvances politiques d’extrême-droite), rêvons un instant de le remplacer par un monde meilleur. Celui d’humains gravitant ensemble autour de valeurs comme la justice sociale et l’égalité. Une chose déjà tentée par le passé… mais qui n’a pas toujours bien tourné. Pour éviter de faire bégayer l’histoire en trébuchant sur les mêmes erreurs, comprendre les raisons de cet échec est important. Pour y parvenir, remontons le fil du temps jusqu’à la création de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Quand un tsar tombe, tout un monde devient possible Tout comme l’œuvre de son grand romancier Fiodor Dostoïevski (1821-1881), la Russie est une terre de contrastes qui ne se laisse pas saisir d’un regard. On peut y déambuler et s’y perdre une vie entière, elle offrira toujours des surprises. Ainsi, après l’échec d’une révolution avortée en 1905 qui n’avait pas réussi à jeter hors du trône le Tsar Nicolas II (un pouvoir à la sauce « Ancien Régime »), voilà que ce dernier s’embourbe dans l’interminable deuxième guerre mondiale, entraînant avec lui des millions de soldats paysans qui vident les campagnes russes de leurs forces vives pour un résultat décevant. D’avril à septembre 1915, le vaste empire russe perd plumes et territoires (Galicie, Pologne, Lituanie, Courlande, partie de la Biélorussie) sous les coups de butoir des troupes ennemies, emmenées par l’AutricheHongrie, l’Empire ottoman et l’Allemagne. Conjugués aux traitements humiliants que les gradés de bonne naissance font subir à leurs propres soldats qu’ils méprisent profondément, ces revers militaires ternissent la réputation du régime tsariste au sein des troupes mobilisées d’abord, dans les campagnes ensuite, et jusqu’au cœur des villes où les classes populaires n’en peuvent plus des privations imposées par la guerrei . En février 1917, dans la capitale russe Petrograd (Saint-Pétersbourg), une manifestation d’ouvrières en grève fait boule de neige et propulse en quelques jours, à la surprise générale, des milliers, puis des dizaines et des centaines de milliers de personnes dans les rues. Qu’elles soient ouvrières, sans travail, anarchistes, activistes ou qu’elles suivent simplement le mouvement, ces personnes qui manifestent n’ont aucune légitimité dans l’empire russe où les droits des citoyens n’ont pas d’existence légale. Aussi, pour mater cette rébellion, Nicolas II ordonne aux troupes de tirer dans la foule… mais les soldats font sédition ! Dans le mois qui suit, l’Ancien Régime s’effondre : le 2 mars, Nicolas II abdique au profit de son frère, Michel II, lequel abandonne à son tour la couronne impériale le 16 mars 1917. Pour les remplacer : une expérimentation politique inédite donne naissance à une double vie institutionnelle. Installé dans l’aile droite du palais de Tauride à Petrograd, un gouvernement provisoire (non élu, mais pluraliste) voit le jour avec l’intention de fonder une nouvelle Russie, établie sur des normes modernes et non plus « médiévales ». Pour bâtir une démocratie participative, le gouvernement provisoire s’attache tout particulièrement à établir des règles et procédures électorales devant permettre à quelques 90 millions de personnes – soit autant de citoyennes et citoyens répartis sur un très vaste territoire – d’élire une Assemblée Constituante. Ce gouvernement provisoire entend par ailleurs mener Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 4 la guerre à son terme pour ne pas manquer la parole donnée aux Alliés européens, emmenés par la France et le Royaume-Uniii . Installé dans l’aile gauche du même palais de Tauride, un comité local (nommé soviet) est formé de délégués directement élus par leurs pairs : à savoir en très grande majorité des soldats (71%) et en minorité des ouvriers d’usine (29%). Dans un Appel aux peuples du monde entier lancé le 14 mars 1917, ce soviet de Petrograd en appelle à la fin des hostilités guerrières, sans annexions territoriales ni indemnités financières. Cet appel fait rapidement tâche d’huile au sein des troupes russes et entraîne, dans diverses régions, la création d’une multitude de soviets locaux, eux aussi composés de représentants directement élus par des soldats et des ouvriersiii. Provenant de toute la Russie, des doléances (parfois écrites au poinçon sur des morceaux d’écorce) affluent par milliers vers Petrograd pour faire connaître l’avis du peuple – ou plutôt des nombreux groupes sociaux qui le composent – au gouvernement provisoire et au soviet de Petrograd. Selon l’historien Marc Ferro, qui a lu et analysé cette volumineuse correspondance populaire, les paysans souhaitaient massivement une redistribution des terres en faveur de celles et ceux qui la travaillent (leur « courrier » évoque également l’instauration d’une République démocratique avec l’élection d’une Assemblée Constituante). Les ouvriers désiraient avant tout obtenir des salaires décents et limiter la journée de travail à huit heures. Quant aux soldats, c’est la fin des règles disciplinaires mesquines dictées par des supérieurs imbus de leur rang qu’ils voulaient prioritairement abrogeriv. L’Ancien Régime est tombé. Malgré la guerre, s’ouvre alors en Russie tout un champ des possibles… Cela n’échappe ni aux chancelleries occidentales, ni au cœur de socialistes russes désireux de changer le monde en mieux. Parmi eux se trouve un opposant au régime du Tsar réfugié en Suisse, à Zurich, où il se consacre corps et âme à la rédaction d’un essai inspiré de Marx : L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Aussi surpris qu’exalté par la démission du Tsar, Vladimir Ilitch Oulianov (alias Lénine) décide de rentrer prestement dans son pays natal. Avec l’aide discrète de l’Allemagne ennemie (qui voit d’un bon œil le retour au bercail d’un Russe opposé à la guerre), Lénine voyage en train pour rejoindre Petrograd où il débarque le 3 avril 1917 en scandant d’emblée : « Tout le pouvoir aux soviets ! ». Révolutionnaire marxiste, Lénine n’est guère partisan d’un régime démocratique moderne, où plusieurs partis se disputent les faveurs des électeurs. Il lui préfère une démocratie directe puisant sa sève au cœur du monde ouvrier. Par ailleurs, la poursuite de la guerre sous l’égide du gouvernement provisoire rend ce dernier de moins en moins populaire, au contraire des partisans de Lénine (les Bolcheviks) qui jouissent d’une influence croissante au sein du monde russe urbain. En témoigne notamment l’élection du camarade Lev Davidovitch Bronstein (alias Troski) à la tête du soviet de Petrograd en septembre 1917. Quelques semaines plus tard, faisant fi du processus électoral lancé dans toute la Russie (dont les résultats partiels plaçaient les Bolcheviks en deuxième position, derrière les Socialistes Révolutionnaires), c’est par la force que Lénine et Trotski décident de renverser le gouvernement provisoire. La Révolution d’Octobre a sonné : pour le meilleur comme pour le pire, elle allait changer le visage de la gauche et la face du monde entierv . Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 5 Dilemmes et ambivalence du pouvoir rouge La Révolution d’Octobre eut lieu (selon notre calendrier moderne) le soir du 7 novembre 1917. Dans les jours qui suivent, le monde entier est secoué par ce séisme politique en provenance de Petrograd : le vaste empire de Russie vient officiellement de passer entre les mains de socialistes inspirés par Karl Marx ! Mais la Révolution est chose fragile, et la victoire des Rouges loin d’être assurée. En mars 1918, quand le traité de Brest-Litovsk marque la fin officielle des hostilités entre l’Allemagne et la Russie, cela fait déjà plusieurs mois que l’ancien empire du Tsar a basculé dans la guerre civile. Celle-ci oppose les partisans de la Révolution bolchévique à de nombreux groupes d’opposants allant des « Russes blancs » (partisans de l’Ancien Régime) à divers mouvements politiques plus ou moins révolutionnaires, mais fermement opposés à une prise de pouvoir par la force. Cette guerre civile va durer plusieurs années et entraîner des conséquences funestes. Tout d’abord, les privations dues aux combats et au manque de bras dans les campagnes vont intensifier les pénuries et conduire à de terribles famines. Ensuite, le pouvoir bolchevik va littéralement se forger dans un monde peuplé d’ennemis, qu’il lui faut coûte que coûte éliminer. Dès leur prise de pouvoir, les Bolcheviks vont ainsi opter pour la répression brutale de leurs opposants mais aussi recourir à une pratique peu glorieuse : les purges. Celles-ci visent à éliminer les voix discordantes, dissidentes et minoritaires dans toutes les institutions russes (parti communiste compris). Une brutalité répressive qui vise aussi le monde ouvrier en grève – que les enfants spirituels de Karl Marx sont pourtant censés soutenir dans leur combat pour de meilleures conditions de vie – réprimé sans état d’âme dès la fin de l’année 1918, par un pouvoir rouge accusant invariablement tous ces fauteurs de troubles d’être instrumentalisés par les ennemis de la Révolutionvi. Le problème, quand on grandit en donnant des coups, c’est qu’on a parfois du mal à se défaire de cette sale habitude par la suite. Certes, comme le raconte l’historien Moshe Lewin (1921-2010), le destin de la Russie « communiste » n’était pas écrit avant d’avoir été joué. Par exemple, au moment d’adopter la Nouvelle Politique Économique (N.E.P.) au début des années 1920, le pouvoir rouge est ambivalent. D’une part, il décide de nationaliser les grands secteurs industriels qu’il veut à tout prix développer. D’autre part, il tend simultanément la main au monde paysan en instaurant davantage de justice sociale via une redistribution des terres aux paysans modestes, tout en pérennisant les modes d’organisations villageoises déjà en place. C’est donc en s’appuyant sur les marchés locaux, par l’intermédiaire d’opérations commerciales classiques, que le nouveau pouvoir installé à Moscou approvisionne en céréales les villes et régions déficitaires en denrées agricoles. Par ailleurs, le parti communiste a beau s’ériger en seul pouvoir légitime, il est également traversé par plusieurs factions et tendances idéologiques dont certaines – emmenées notamment par Boukharine – veulent à tout prix maintenir des activités commerciales privées… complémentaires aux instances étatiques. Enfin, même l’ardent révolutionnaire peu ouvert aux compromis que fut Lénine semble convaincu, dans les dernières années de sa vie, du besoin de ralentir le rythme des réformes imposées au nom de la Révolution, afin d’établir et consolider la légitimité des Bolcheviks au sein de la société russevii. Bref, même après avoir pris le pouvoir par la force, le parti communiste russe aurait pu tendre la main à différentes composantes de la population pour développer une société alternative, certes éprise de solidarités, mais sans pour autant renoncer à une forme de cohésion sociale démocratique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 6 Quand Lénine meurt en 1924, son successeur se nomme Iossif Vissarionovitch Djougachvili (alias Joseph Staline). Dans un premier temps, le nouveau leader du parti communiste fait confiance au compromis avec le monde paysan instauré par la N.E.P. Cependant maintenir à flot le vaste paquebot de l’empire russe est tout sauf simple. Tout d’abord, l’effondrement de la société médiévale au profit d’un pouvoir rouge voulant à tout prix industrialiser la Russie bouleverse les groupes sociaux et repères identitaires établis. Il en résulte une « société de sables mouvants » où les changements de vie et de professions sont légion, où les dégringolades statutaires vertigineuses côtoient les promotions sociales soudaines. Hélas, quand il s’agit d’occuper des places en vue, les personnes happées « vers le haut » ne sont pas toujours les plus compétentes, ni même les plus altruistes. C’est ainsi qu’apparaissent – au sein de l’administration, du parti communiste et des usines – des responsables n’ayant que faire de l’intérêt général ou dépassés par le poids de leurs responsabilités. Ensuite, la pratique des purges se poursuit sous Staline avec l’élimination – symbolique et physique – des opposants. S’institue ainsi une méthode de gouvernance rigide et frigide, c’est-à-dire insensible et imperméable au sort de celles et ceux qui en sont les victimes. Enfin, le parti des Bolcheviks établi à Moscou fait face à l’un des plus vieux démons des pouvoirs centraux depuis l’institution des premières Cités-États : comment convaincre des communautés locales de céder aux administrations, urbaines et lointaines, une partie du fruit de leur travail ? Dans le cas du pouvoir rouge qui veut industrialiser au plus vite la Russie, ce dilemme peut même s’écrire en termes marxistes : afin de dégager les moyens financiers colossaux nécessaires pour développer de grandes usines, il faut souvent en passer par l’accumulation primitive. Soit un vol massif organisé au détriment des sociétés campagnardes, dont l’Occident colonial s’est rendu coupable durant des siècles. Si cela fit le bonheur et la prospérité des familles bourgeoises, ce fut au détriment des peuples autochtones asservis par la force conjuguée des armes, du racisme législatif et de la soif prédatrice de conquistadores avidesviii. Dans le cas de la Russie, l’accumulation primitive fut tout aussi nécessaire, a fortiori quand les céréales collectées via l’impôt et les opérations commerciales classiques (payées à trop bas prix) s’avérèrent largement en-deçà des attentes du pouvoir central. Une situation de pénurie qui prend les Bolcheviks par surprise en 1927. Un an plus tard, le parti communiste ébauche une solution à cette crise des céréales en adressant une déclaration de guerre au monde des campagnes : si les céréales n’affluent pas suffisamment vers les administrations centrales de Moscou, la faute en incombe entièrement à l’esprit moujik (paysan) antirévolutionnaire des gens des campagnes qui doivent changer leurs mentalités et leurs pratiques au plus viteix ! Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 7 Les grand idéaux peuvent créer des cauchemars éveillés1 Au tournant des années 1928-1929, le parti communiste dirigé par le camarade Joseph Staline (1878- 1953) décide d’imposer aux forceps, à toute la société russe, une réalité unique : l’étatisation sans limites. Cette offensive contre le secteur privé vise tous les acteurs marchands (artisans, commerçantes, paysans, intermédiaires et industriels du monde urbain) sans mettre en place une organisation alternative aux réseaux marchands et activités supprimées. Cela signe la mise à mort du secteur artisanal et de la petite industrie, mais n’empêche nullement le pouvoir rouge de rêver d’une expansion rapide des activités productives… Quitte à opter pour l’autoritarisme et le passage en force pour y parvenir. Dans les usines étatiques, la pression hiérarchique sur le monde ouvrier s’accroît en recourant aux mesures cyniques du taylorisme, visant à contrôler et régenter les gestes ouvriers au travail pour booster la productivité… Une méthode qui a fait recette dans les pays capitalistes pour le plus grand bonheur de la bourgeoisie, et utilisée dès 1918 par des dirigeants se réclamant de Karl Marx ! Les ouvrières et les ouvriers répondent à cette pression accrue par une défection massive de leur poste de travail et le sabotage de la production, dont la qualité est en chute libre. À cette situation urbaine déjà problématique s’ajoute une dégradation catastrophique de l’organisation rurale. Invités à rejoindre massivement les fermes collectives étatiques nommées kolkhozes, les paysans pauvres sont si nombreux à répondre favorablement à l’appel que leur afflux prend de court les autorités. Nullement préparées à une mutation sociale si soudaine, les administrations russes complètement débordées assistent, impuissantes, à l’émergence d’un chaos rural qui aggrave le déficit en céréales : dans certaines communautés le fourrage commence à manquer pour nourrir le bétail ; au niveau du pouvoir central, les céréales collectées restent largement en deçà des attentes. Le parti communiste passe alors un premier braquet dans la répression et décide, en 1929, d’imposer la collectivisation forcée des activités d‘élevage. La réaction paysanne est désespérée et brutale : refusant d’offrir gratuitement leurs animaux aux kolkhozes, les paysans préfèrent tuer massivement leur bétail. Fort logiquement, cela provoque une abondance provisoire (mais trompeuse) de viande pouvant faire croire aux autorités que leur méthode marche. Dès lors, pourquoi ne pas aller de l’avant en poussant plus loin la mainmise de l’État sur les activités agricoles ? L’ancienne politique de contrats commerciaux effectués de façon volontaire avec les communautés rurales est abrogée, pour mettre en place un prélèvement obligatoire de céréales dicté par une logique discriminatoire : afin de briser l’indépendance des paysans propriétaires de leurs champs, le pouvoir central exige d’eux des fournitures de céréales bien plus imposantes que celles réclamées aux kolkhozes socialisés. À nouveau, les paysans indépendants (toutes catégories sociales confondues) recourent à divers stratagèmes pour dissimuler une partie de leurs récoltes aux autorités. En retour, celles-ci font pleuvoir un déluge d’amendes, confisquent les réserves de graines et lancent des enquêtes minutieuses pour retrouver les céréales cachées ; elles procèdent aussi à des arrestations et déportations massives. 1 Ce chapitre s’inspire principalement de l’essai de Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres). Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 8 Le bras de fer opposant le monde des campagnes à Moscou ne fait que commencer. Dans les années qui suivent, le parti communiste passe des braquets supérieurs dans la répression en imposant aux paysans restés « libres », mais déjà affamés, un double prélèvement annuel de denrées agricoles ! Leur détresse sociale est telle qu’elle touche le cœur de certaines autorités locales – y compris au sein du parti communiste – qui prennent alors fait et cause pour « leurs » paysans en ne suivant pas à la lettre les instructions de Moscou. Des purges s’ensuivent pour vider le parti et les administrations locales de leurs éléments « séditieux » et « contre-révolutionnaires ». À l’inverse, les autorités locales les plus serviles, donc les plus zélées dans la répression paysanne, bénéficient de promotions au sein du parti et de la société russe. Dans un poignant roman intitulé L’étrangère aux yeux bleus, l’écrivain Youri Rytkhèou2 (1930-2008) narre les aberrations de la politique de l’URSS à l’égard de son peuple (les Tchouktches) : au nom de l’abolition de la propriété bourgeoise, ces éleveurs de rennes sans grand pouvoir furent privés de leurs troupeaux, donc de leur manière de vivre, lorsque Moscou imposa la remise du bétail aux kolkhozes collectivisés. C’est ainsi que s’instaure, entre 1929 et 1933, un tournant radical en Russie. Les structures étatiques vont rapidement enfler jusqu’à la démesure pour être contrôlées par une élite minoritaire centralisée. Dictant leurs ordres depuis Moscou, les dirigeants du parti communiste (le seul à pouvoir exister) exigent d’être obéis, sans la moindre contestation, par un vaste réseau d’administrations locales et de membres du parti communiste. Toute idée de pluralisme politique ou de liberté d’opinions est enterrée d’autant plus facilement que le régime précédent, celui du Tsar, n’en était guère partisan. Quant aux Rouges qui ont pris le relais, ils ont définitivement choisi la manière forte pour imposer leurs diktats. Au nom de la sauvegarde de la Révolution, les contestataires et réfractaires au pouvoir en place sont pourchassés et condamnés à de lourdes peines – la perte de leur statut social, le goulag et parfois la mort au terme de procès politiques arbitraires. Imposée du haut vers le bas, cette logique disciplinaire n’atteint pas les effets escomptés : en dehors des groupes sociaux qui profitent des décisions du parti communiste, la peur et la démotivation gagnent du terrain au sein de la population russe. Selon Moshe Lewin, le « manque d’initiative, la tendance à fuir les responsabilités et à se cacher derrière le dos de quelqu’un d’autre, à rejeter le blâme sur ses collègues, et la philosophie du ‘’c’est pas mon affaire’’ (moya khata krayou), finirent par gagner les institutions comme toutes les couches de la société.»x Du coup, les « mauvais » comportements sont punis de lourdes sanctions matérielles : adoptée le 15 novembre 1932, une loi prévoit de lutter contre l’absentéisme au travail à l’aide de mesures comme le renvoi du poste occupé, l’exclusion du logement, la privation de rations alimentaires ou encore l’interdiction d’accès aux magasins d’alimentationxi. Partout, y compris dans les strates supérieures de l’administration et du parti communiste, l’habitude est prise de taper sur « plus petit que soi » en redoutant d’être soi-même l’objet d’une purge future : « sous Staline, pour nous résumer, les chefs (natchalstvo) furent non seulement autorisés mais aussi invités à se montrer autoritaires et rudes envers leurs subordonnés et les masses afin de les discipliner ; ainsi acquirent-ils une double nature, un double visage à la Janus : un visage méprisant, de despote ; et un visage soumis, de serf. »xii 2 Pour la petite histoire, Youri Rytkhèou fut longtemps un intellectuel inféodé aux dogmes de Moscou. À ce titre, il fut choyé par le parti. Toutefois, à partir des années 1970, il commence à prendre ses distances et renoue peu à peu avec l’esprit de son peuple, jusqu’à dénoncer la mise à sac de l’imaginaire spirituel et des manières de vivre des Tchouktches par le régime soviétique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 9 Pour maintenir la cohésion sociale, le pouvoir rouge va s’appuyer de plus en plus sur des institutions répressives : armée, forces de police et KGB. Chargés de repérer et d’identifier les « traîtres à la Révolution », les services secrets russes vont encourager la délation et développer des techniques d’espionnage massif de la population. Chemin faisant, le fossé séparant le cœur du pouvoir rouge du reste du corps social russe – couches populaires, minorités ethniques, peuples indigènes, clergé orthodoxe et autres groupes sociaux victimes des politiques décidées à Moscou – allait s’élargir au point de creuser de profondes abysses taillées dans la roche, humaine, à grands coups d’oppressions individuelles et de tragédies collectives. Comme l’écrit Moshe Lewin : « Dans un stade ultérieur, plus morbide et manifestement pathologique, le dirigeant, sinon les dirigeants, allait avoir le sentiment que sa base s’était encore réduite pour se limiter à la seule partie réellement ‘‘sûre’’ de l’appareil : les services de sécurité… »xiii La faute à Marx ? Aveugle aux détresses et conséquences tragiques générées par ses décisions, le parti communiste soviétique allait – au nom du socialisme – briser les libertés, régner par la terreur et finalement imposer une orthodoxie comparable, en bien des points, à l’Inquisition de l’Église catholique médiévale. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de purger la société de ses éléments néfastes (qu’ils soient « diaboliques » ou « contre-révolutionnaires ») en s’appuyant sur un imaginaire collectif (la « relation à Dieu » ou le « socialisme révolutionnaire ») défini par un pouvoir central (le Vatican ou le Parti communiste) pouvant s’appuyer sur des institutions officielles pour procéder aux arrestations, mener les procès et exécuter les condamnations. Dans les deux cas, la purge pouvait aller jusqu’à l’élimination physique des « mauvais éléments » de la société. Incontestablement, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) était un régime despotique qui n’avait de socialiste que le nom… Mais comme il se réclamait ouvertement du marxisme, l’écrasante majorité des partis communistes à travers le monde – ainsi qu’une grande partie de leurs membres – allaient confondre vessies et lanternes pour s’imaginer que le socialisme avait enfin un territoire où s’ancrer, sur lequel était en train de fleurir un paradis terrestre. Par effet miroir, les détracteurs du marxisme (de gauche comme de droite) allaient vite parvenir à cette conclusion lapidaire : Karl Marx ne peut mener qu’à la dictature. Réduire cet argument en miettes n’est guère difficile : l’œuvre de Karl Marx compte des milliers de pages, écrites à différentes périodes de sa vie et touchant à de multiples domaines (économie, histoire, politique, sociologie…). Vouloir enfermer le tout dans un goulag de la pensée nommé « URSS » ne peut se faire que par un procès d’intention terriblement réducteur, et malhonnête sur le plan intellectuel. En effet, si Karl Marx évoque la dictature du prolétariat (qu’il ne définit pas) comme un stade nécessaire pour passer du capitalisme au socialisme sur Terre, ce processus est à ses yeux provisoire. Comment imaginer que l’auteur de Das Kapital aurait approuvé, durant des décennies, un système politique s’appuyant sur des structures étatiques boursouflées au point de brider toute autonomie locale, y compris celle du monde ouvrier ? Qui plus est, une grande partie de l’œuvre de Karl Marx vise à mettre en lumière les différents rouages du capitalisme (rapports entre monnaie et marchandises, formation du capital, exploitation des travailleurs et monopolisation des richesses, nécessité de l’expansion Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page10 continue du système…). Ce faisant, Karl Marx a légué des outils théoriques qui peuvent servir plus d’un siècle après sa mort – même s’ils ont parfois vieilli et méritent d’être aiguisés à l’aune de concepts plus récents – pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Par ailleurs, la critique sans concessions de l’autoritarisme et du pouvoir présente chez Karl Marx peut parfaitement être utilisée (comme on l’a brièvement fait avec son concept d’accumulation primitive) pour dénoncer les pires travers du régime soviétique. Bref, on ne peut réduire une œuvre aussi colossale, subtile, intelligente et touffue aux seuls crimes et fléaux que d’aucuns ont commis en son nom. À l’inverse, il est important de comprendre comment, portés par un fol enthousiasme de justice sociale, des foules entières (en URSS comme au-dehors) ont pu vénérer un système oppressif de façon aussi aveugle que… les plus radicaux des religieux prêts à tous les extrêmes pour défendre et répandre leur foi. On doit aussi se souvenir des nombreux socialistes (souvent proches du courant anarchiste) qui ont mis en garde Karl Marx, de son vivant, des dérives autoritaires et despotiques présentes en germe dans son œuvre, notamment lorsqu’il propose une dictature du prolétariat en guise de sortie du capitalisme. L’esprit critique recommande donc d’investiguer davantage avant d’exonérer Marx de toute responsabilité. Car à bien chercher, on peut trouver par moments des ponts idéologiques entre l’œuvre de Marx et certains traits pathologiques de l’URSS. Pour mettre ces ponts en évidence, replongeons un instant dans un écrit publié en 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels : le Manifeste du parti communiste3 . Un socialisme scientifique ? Réalisé à la demande de la Ligue des communistes, une association fondée à Londres en 1847 par des militants socialistes issus de divers pays, le Manifeste du parti communiste cherchait à distinguer cette ligue naissante des autres courants socialistes alors existants. Frappé de censure dans de nombreux pays, le Manifeste va toutefois connaître un immense succès au cours des décennies suivantes… tout particulièrement chez les « enfants » spirituels de Karl Marx. À ce titre, il peut être considéré comme l’acte fondateur qui intronise certaines grandes vérités propres au monde communiste. La première de ces vérités est paradoxale : alors que ses auteurs considèrent le texte du Manifeste comme susceptible d’évoluer avec le temps, ils y gravent aussi des théories qui se veulent universelles, censées exister partout depuis toujours. Il en est ainsi pour la lutte des classes : « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. »xiv Concrètement, selon le Manifeste, « homme libre et esclave, patricien et plébéien, seigneur et serf, maître et compagnon, bref, oppresseurs et opprimés ont été en constante opposition ; ils se sont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une lutte qui s’est chaque fois terminée par une transformation révolutionnaire de la société tout entière ou par l’anéantissement des deux classes en lutte. »xv Aussi généreux soit-il dans ses intentions, ce point de vue en surplomb sur le monde n’est pas neutre : écrit par des Occidentaux à l’époque coloniale, il ignore tout ou presque des réalités indigènes… 3 Dans les trois chapitres à venir (Un socialisme scientifique, Le sens de l’histoire, Théorie du peuple élu et hiérarchie sociale), toutes les citations sont extraites du Manifeste du parti communiste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page11 Si la lutte des classes peut s’appliquer dans une certaine mesure aux grands empires nés suite à la révolution néolithique il y a 10.000 ans d’ici (les élites urbaines y possédant un réel pouvoir d’oppression sur autrui), on peut difficilement la concevoir au sein des sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs. Certes les hiérarchies sociales y existaient, les conflits et les boucs-émissaires aussi, mais sans jamais servir des pouvoirs centraux éloignés des gens ni créer d’antagonismes rigides permanents. Dans les sociétés nomades d’antan, le « pouvoir » était local mais aussi fluctuant, partagé, ambivalent. La cohésion du groupe étant un facteur déterminant pour survivre, la manière d’y tisser les liens instituait des complémentarités sociales faisant fluctuer la répartition du pouvoir. La direction des opérations pouvait varier selon le type de tâches à effectuer ou au gré des décisions du groupe, et les vérités d’un jour n’étaient pas nécessairement celles du lendemain. Même plus tard, chez les peuples d’éleveurs ou dans les premiers villages agricoles où germait une plus forte stratification sociale, le pouvoir restait chose ambivalente. Diriger le groupe était un honneur serti ou non de privilèges, mais aussi lesté d’un boulet de contraintes variant d’une société à l’autre. Par exemple, dans certaines sociétés africaines où la tribu prêtait des pouvoirs magiques à son « chef » – comme la capacité de fertiliser le territoire pour rendre la vie possible, disposer de ressources et avoir des enfants -, ce même « chef » pouvait être sacrifié s’il manquait à son devoir religieux… à cause d’une trop longue sécheresse par exemple. De même, chez les peuples amérindiens4 , le pouvoir n’était ni absolu ni mobilisé par une élite homogène : pour être légitime, il devait réunir les morceaux fragmentés d’un puzzle détenus par différents groupes sociaux… incarnant différentes composantes de la population. Par exemple, dans la Cordillère des Andes, la complémentarité des contraires (haut/bas, feu/eau, ordre/désordre, extérieur/intérieur, etc.) a structuré la vie sociale durant des millénaires, des plus modestes communautés villageoises au très hiérarchisé empire inca.xvi Sachant d’une part que les Homo sapiens existent approximativement depuis 300.000 ans, d’autre part que la révolution néolithique n’est apparue qu’il y a 10.000 ans environ, près de 95 % de l’histoire humaine est peuplée de sociétés nomades ne creusant pas d’inégalités abyssales en termes de droits ou de richesses parmi ses membres. Bref, « l’éternelle » lutte des classes est un concept relatif, d’une portée historique plus limitée que ne pouvaient l’imaginer Karl Marx et Friedrich Engels. Pourtant, ces derniers ne considéraient pas leur théorie comme historiquement datée, mais bien comme une véritable donnée scientifique : « Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, sur des principes, inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des rapports effectifs d’une lutte de classe qui existe, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »xvii Il y a donc, dans le Manifeste (et plus généralement dans le Capital de Karl Marx) une prétention à saisir le monde de façon objective, fiable, certaine, pour en révéler les mystères cachés avec l’assurance de ne pas se tromper. Ce faisant, Karl Marx et Friedrich Engels étaient victimes des croyances de leur temps : le XIXe siècle. Une époque où les scientifiques occidentaux (toutes tendances politiques confondues) rêvaient de découvrir, de façon objective, les grands principes éternels gouvernant le monde. La physique quantique, la philosophie des sciences et l’épistémologie n’étaient pas encore passées par là pour nous apprendre qu’un observateur neutre n’existe pas. Qu’il est tout simplement impossible de raconter une 4 Noms donné aux populations qui peuplaient l’Amérique avant sa « découverte » par Christophe Colomb et les sanglantes conquêtes occidentales. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page12 histoire sans la farcir de biais subjectifs, notamment culturels et identitaires, étroitement liés aux croyances et valeurs dominant – de façon consciente mais surtout inconsciente – l’époque et la société dans laquelle nous vivons. À titre d’exemple, notre conception moderne de l’identité humaine réduite aux seuls Homo sapiens n’est pas universelle. Elle est même étroite et bornée, comme racrapotée, si on la compare aux relations identitaires forgées par les peuples animistes qui incluaient la majorité des vivants – animaux, plantes voire certains minéraux – au sein du club des âmes pensantes dotées d’envies, de désirs, de projets, de relations, d’amitiés, d’inimitiés, de bonnes et mauvaises façons de se conduire en société – en deux mots : de cœur et d’intelligence.xviii (Notons-le : sur base des découvertes engrangées au cours des dernières décennies, les sciences du vivant tendent à leur donner raison5 !). Ignorant les profondeurs intimes de la subjectivité inhérente à toute analyse historique ou sociologique6 , Marx et Engels avaient pour ambition de mettre en place un socialisme scientifique. C’està-dire objectif et fiable à 100 %. C’est pourquoi ils écrivent dans le Manifeste : « Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus décidée, la plus mobilisatrice des partis ouvriers de tous les pays ; théoriquement, ils ont, sur le reste de la masse du prolétariat, l’avantage d’une vision claire des conditions, de la manière et des résultats généraux du mouvement prolétarien. »xix Le sens de l’histoire Si les analyses de Marx regorgent à bien des égards de finesse et de subtilité, il est par contre un domaine où le déterminisme rigide est roi : la vision de l’histoire. Pour résumer fortement la chose, Marx pensait que chaque époque avait ses oppresseurs et ses opprimés, les premiers s’appropriant les ressources pour développer un mode de production leur permettant d’asservir les seconds. Tôt ou tard, ces derniers se rebiffent pour faire la révolution. Si celle-ci parvient à ses fins, l’ancien mode de production est alors abandonné pour faire place à une nouvelle forme d’appropriation des ressources, gérées par une nouvelle classe d’exploiteurs prenant l’ascendant sur l’ancienne élite devenue obsolète. Au cours de la longue histoire, les esclaves se sont ainsi opposés aux hommes libres, les plébéiens aux patriciens, les serfs paysans aux seigneurs médiévaux pour mener finalement aux « révolutions bourgeoises » des XVIIe et XVIIIe siècles, aux cours desquelles la noblesse céda le pas – et plia même le genou – devant la bourgeoisie. Propriétaire du capital, cette dernière impose son mode de production, le capitalisme et la liberté du commerce, en faisant crever de misère la classe ouvrière. Pour Marx et Engels, cet engrenage de révolutions repose sur un mécanisme vital : le développement des forces productives. Afin de prospérer, les élites dominantes inventent de nouvelles technologies et développent de nouveaux modes de production et d’échanges. Cela modifie les dynamiques sociales et bouscule les rapports de force entre exploiteurs et exploités, jusqu’au jour où le développement des forces productives devient si important qu’il rend le contexte mûr pour une révolution. Un groupe social dominé prend alors l’ascendant pour dominer les autres à son tour, en les exploitant dans de nouveaux 5 En témoignent notamment les nombreux essais du primatologue Frans de Waal : Sommes-nous trop ‘’bêtes’’ pour comprendre l’intelligence des animaux ? ; Le bonobo, Dieu et nous ; L’âge de l’empathie ; La dernière étreinte… 6 En 2010, René Passet a publié un livre (Les grandes représentations du monde et de l’économie – De l’univers magique eu tourbillon créateur) qui illustre à merveille ce propos, notamment dans la partie consacrée aux liens entre les découvertes de Charles Darwin (1809-1882) et les théories de l’histoire de Karl Marx. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page13 modes de production. Selon Marx et Engels, c’est ainsi que la société médiévale a basculé dans le capitalisme : « à un certain stade du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot les conditions de la propriété féodale ne correspondirent plus aux forces productives déjà développées. Elles entravaient la production au lieu de l’encourager. Elles se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait donc les briser, elles le furent. Elles furent remplacées par la libre concurrence avec l’organisation sociale et politique appropriée, avec la domination économique et politique de la classe bourgeoise. »xx Pour Karl Marx et Friedrich Engels, les forces productives fonctionnent un peu comme une larve d’insecte dans un cocon : dans un premier temps, elles correspondent à la taille et aux besoins de l’élite dominante (qui fait ici office de cocon). Puis, en se développant, la larve des forces productives crée des tensions grandissantes entre dominants et dominés qui finissent un jour par rompre le cocon : l’élite dominante s’étiole alors pour laisser place à une nouvelle élite, tissant un autre cocon, plus vaste, plus efficace, toujours oppressif, jusqu’au moment où la croissance des forces productives et des tensions internes parvient à le rompre à son tour. Appliqué au capitalisme du XIXe siècle, le développement des forces productives se nourrit de la grande industrie et de l’extension planétaire des réseaux marchands car « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux. » xxiii xxi Chemin faisant, la bourgeoisie piétine et détruit de nombreuses organisations sociales liées au passé, pour créer un monde où ne subsiste « d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt nu, que le froid ‘’argent comptant’’. »xxii Aussi cruelle soit-elle pour les personnes qui en souffrent, cette oppression n’est qu’éphémère. Car elle nourrit en son sein une masse croissante de gens déçus et exploités : « les anciennes petites classes moyennes, les petits industriels, commerçants et rentiers, les artisans et paysans, toutes ces classes sombrent dans le prolétariat, soit que leur petit capital ne suffise pas à pratiquer la grande industrie et ne résiste pas à la concurrence des plus grands capitalistes, soit que leur habileté soit dévalorisée par de nouveaux procédés de production. Ainsi le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population. » L’histoire au long cours se poursuit donc : en développant de nouvelles forces productives pour répondre à ses besoins, la bourgeoisie génère également toujours plus de raisons de s’opposer à elles. Sans y mettre le moindre soupçon de doute (ce qui peut aussi s’expliquer par les crises de surproduction qui se succèdent alors à un rythme effréné), Marx et Engels prédisent l’avènement prochain de la révolution prolétarienne : « le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie dont la bourgeoisie est l’agent dépourvu de volonté et de résistance, substitue à l’isolement des ouvriers, dans la concurrence, leur union révolutionnaire dans l’association. Avec le développement de la grande industrie, la bourgeoisie voit se dérober sous ses pieds la base même sur laquelle elle produit et s’approprie les produits. Elle produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inéluctables. »xxiv Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page14 Théorie du peuple et hiérarchie sociale Porté par le développement des forces productives, l’avenir a donc pour Marx et Engels une destination objectivement identifiable : la révolution prolétarienne. Et contrairement aux révolutions d’antan, celleci ne va pas forger un cocon oppressant appelé à se rompre. En effet, si les révolutions passées ont toujours donné naissance à de nouvelles formes d’exploitation (« toutes les classes, qui ont précédemment conquis la suprématie, se sont efforcées d’assurer leurs conditions de vie acquises en soumettant la société entière à leur propre mode d’appropriation. »xxv), il n’en sera pas de même avec la classe ouvrière selon les auteurs du Manifeste. Certes, comme tant d’autres classes opprimées auparavant (bourgeoisie comprise), le monde ouvrier va prendre le pouvoir par la force : « le prolétariat utilisera sa domination politique pour arracher peu à peu tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter le plus rapidement possible la masse des forces de production. Mais cela ne peut naturellement se produire au départ qu’au moyen d’intrusions despotiques dans le droit de propriété et les rapports de production bourgeois, donc par des mesures qui paraissent économiquement insuffisantes et insoutenables, mais qui se dépassent elles-mêmes au cours du mouvement, et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. »xxvi En prenant le pouvoir, la classe ouvrière va nécessairement abolir les mécanismes constitutifs du capitalisme pour arracher des mains de la bourgeoisie le monopole des moyens de production. Autrement dit, le communisme veut supprimer la propriété privée dès lors qu’elle permet de s’enrichir en pillant la force de travail des salariés. En lieu et place, ils imaginent des ressources socialisées que la libre-association ouvrière formant le nouvel État va mettre au service de tous. Par on ne sait quel miracle, le monde ouvrier libéré de ses chaînes est censé échapper à l’envie d’opprimer son prochain pour accoucher d’un monde idyllique sans hiérarchie ni dominance : « les différences de classes une fois disparues au cours du développement, et toute la production concentrée entre les mains d’individus associés, les pouvoirs publics perdent leur caractère politique. […] Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, doit nécessairement s’unir en une classe, s’il se constitue en classe dominante à la suite d’une révolution, et s’il abolit par la violence, en tant que classe dominante, les anciens rapports de production, il abolit du même coup avec ces rapports de production les conditions d’existence de l’opposition de classe, et par là même les classes, et par suite sa propre domination de classe. À la place de l’ancienne société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classe surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »xxvii Se démarquant de tous les groupes sociaux qui ont façonné la longue histoire humaine, le prolétariat librement organisé échapperait donc aux rapports de force, à l’éternelle malédiction de créer du pouvoir et d’en abuser, pour engendrer une société harmonieuse où chaque humain serait l’égal de l’autre. Une sorte de socialisme parfait réalisé sur Terre ! Évidemment, il s’agit d’une chimère. D’un rêve éveillé. D’une belle utopie pouvant servir de ligne d’horizon vers laquelle tendre, mais qu’il est impossible de toucher du doigt en raison d’un « détail » essentiel : la vie. Bien avant l’apparition des Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page15 premiers humains, les animaux vivant en société avaient déjà inventé l’empathie et la subjectivité, c’està-dire le besoin de préférer certains êtres à d’autres. Des millions d’années plus tard, cette logique est toujours la nôtre quand, pour vivre en société, nous nous référons à des critères identitaires pour distinguer – en leur accordant des statuts plus ou moins prestigieux, en leur confiant des missions particulières, en leur conférant des droits et devoirs spécifiques, etc. – certains groupes sociaux. Il en est ainsi de la famille par exemple, où le statut des enfants n’est pas celui des parents. Des plus lointaines tribus antiques aux sociétés contemporaines, nul n’échappe au besoin de dresser des frontières entre « nous » et « les autres », notamment pour valoriser certains groupes sociaux et jeter l’opprobre sur d’autres. Le Manifeste du parti communiste en est d’ailleurs une parfaite illustration. À son sommet idéologique, il y a un « peuple élu » qui se distingue de tous les autres : le prolétariat organisé en libre association. Auréolé du pouvoir d’abolir toute forme d’oppression (ce que nul n’est parvenu à faire auparavant), il est un peu le Jésus-Christ de Karl Marx et Friedrich Engels. Le seul messie à suivre pour sortir des méandres nauséabonds du capitalisme. Comparé à la classe ouvrière, toutes les autres formes d’organisations sociales (passées comme présentes) font pâle figure dans le Manifeste. Il en est ainsi des peuples indigènes par exemple : bien qu’exploités et opprimés par l’Occident colonial, leur sort spécifique n’intéresse guère Marx et Engels. Si ces derniers évoquent les populations colonisées, c’est presque par hasard, au détour de déambulations théoriques où les brèves apparitions des « pays barbares ou à demi-barbares » s’accompagnent des clichés péjoratifs de l’époque coloniale distinguant la civilisation occidentale des « barbares xénophobes les plus entêtés »xxviii. Partant d’une sombre nuit primitive peuplée de sauvages peu amènes pour avancer ensuite, cahin-caha, vers un monde meilleur où progrès technique et humain marchent main dans la main jusqu’à la révolution prolétarienne, le sens de l’histoire dévoilé par les pères fondateurs du communisme est en parfaite symbiose avec l’idéologie évolutionniste et les poncifs discriminatoires de leur temps. Finalement, dans la perspective de la lutte des classes, les peuples indigènes (tout comme les nobles, les paysans, les bourgeois, etc.) sont nés du mauvais côté de l’histoire. Ils appartiennent à un passé qu’il faut fuir pour aller de l’avant. Sous l’action bénéfique du développement des forces productives, ils sont voués à se désagréger pour se fondre dans le prolétariat, seul cœur battant du socialisme heureux de demain. Tel est le sens correct de l’histoire. La seule manière scientifique d’en parler selon Marx et Engels. D’ailleurs, pour jauger les mouvements socialistes concurrents, c’est leur degré de proximité ou d’éloignement avec la vision communiste de l’histoire qui leur vaut d’être qualifiés tantôt de conservateurs, tantôt d’utopistes, les pires d’entre eux étant les réactionnaires – un péché ultime qui consiste à vouloir « faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »xxix Du Manifeste à l’URSS Ici s’achève notre parcours du Manifeste du parti communiste où, signalons-le, nous avons surtout mis en évidence les parties les plus rigides, donc aussi les moins riches, du raisonnement communiste de l’époque. Nous pouvons à présent en revenir aux ponts virtuels existant avec le régime politique de l’URSS né, pour rappel, plus de sept décennies après la publication du Manifeste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page16 Le premier pont est celui des certitudes absolues : de toutes les forces socialistes, les communistes seraient les seuls à voir clairement le sens de l’histoire. Grâce aux armes théoriques forgées par Marx et Engels, ils se sentent beaucoup mieux placés que tous les autres pour comprendre et le rôle historique du prolétariat, et la nécessité de développer les forces productives avivant les tensions au sein du capitalisme jusqu’à provoquer sa destruction, au terme d’une révolution abolissant toute forme de propriété bourgeoise. Le passage en force de Lénine pour s’emparer du pouvoir et mettre fin à tout pluralisme politique en Russie s’inscrit clairement dans cette logique. Deuxième pont : le développement des forces productives. Selon le Manifeste, la croissance des manufactures, des réseaux marchands et des innovations techniques capitalistes était un facteur déterminant pour que l’histoire avance de quelques pas supplémentaires…. Or, Marx et Engels rêvaient de la voir courir à vive allure pour atteindre l’étape suivante : la révolution prolétarienne. Autrement dit, l’essor de l’économie est une nécessité absolue selon les pères fondateurs du communisme. Cette leçon théorique, les Bolcheviks de Russie vont en faire un bréviaire en misant gros sur le développement des activités industrielles… quitte à mettre sens dessus dessous la société russe et le monde des campagnes comme on l’a vu précédemment. Troisième pont : l’assaut contre la propriété privée et la socialisation des moyens de production. Même si ces mesures n’étaient pas gravées pour l’éternité dans le marbre (Karl Marx et Friedrich Engels faisant savoir qu’elles étaient appelées à évoluer en fonction des circonstances historiques), il y a dans le Manifeste des propositions concrètes qui ne sont pas sans rappeler la politique collectiviste de l’URSS. Citons-les : « expropriation de la liberté foncière », « impôt fortement progressif », « abolition de l’héritage », « confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles », « centralisation du crédit entre les mains de l’État au moyen d’une banque nationale et à monopole exclusif », « centralisation de tous les moyens de production entre les mains de l’État », « multiplication des manufactures nationales, des instruments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif » avec l’« obligation de travail pour tous » et l’« organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture. »xxx Plus faciles à coucher sur papier qu’à réaliser dans une société réelle, toutes ces propositions – imposées unilatéralement, de façon simultanée et dans une logique jusqu’au-boutiste – ne peuvent qu’attiser les tensions et entrainer moult résistances de la part des groupes sociaux qui en sont victimes. Le bras de fer opposant Moscou au paysans « kolkhorizés »7 de force en est une illustration frappante. Pour gagner la partie à l’aube des années 1930, le parti communiste d’URSS s’est engagé résolument, au point de s’y enfoncer jusqu’à la folie, dans les marécages d’un pouvoir absolutiste. Abusant de contrôles, de violences et de répressions massives, le pouvoir central a imposé, du haut vers le bas, ses dogmes et diktats à toutes les communautés locales (administration, échelons inférieurs du parti, usines, villages, etc.). C’est ici qu’a lieu le divorce profond, irrémédiable, entre l’URSS et l’esprit du Manifeste du parti communiste. Karl Marx et Friedrich Engels rêvaient d’un monde de libre-association, où la base ouvrière devait jouir d’une grande autonomie afin d’émanciper l’ensemble de la société. Soit l’exact inverse de 7 Pour rappel, les kolkhozes étaient des fermes collectives où la « coopération forcée » était de mise. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page17 ce qui s’est produit en URSS : à l’instar de nombreux groupes sociaux, les ouvrières furent de simples pions sur l’échiquier du pouvoir rouge, reposant de facto dans les mains d’un État-Tyran incarné par le parti, l’administration et les services de sécurité. Raison pour laquelle le prolétariat, ce peuple élu cher au cœur de Marx et Engels, ne fut qu’un slogan creux dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques se revendiquant, à l’échelle du monde, comme le seul porte-drapeau du communisme réel (à tout le moins jusqu’en 1949 et l’arrivée au pouvoir de Máo Zédōng en République populaire de Chine, une autre dictature rouge). Qu’ils soient rouges ou noirs, les paradis terrestres n’existent pas Que retenir de cet échec ? À plus de 70 ans d’intervalle, le Manifeste du parti communiste et le régime politique qui s’en disait issu présentent des dissemblances et des similitudes. Selon ce qu’on choisit d’y voir, selon qu’on s’attache à traverser les ponts existants ou à mesurer la profondeur de l’abîme séparant le projet théorique de sa prétendue réalisation, on peut parvenir à deux conclusions diamétralement opposées. Pour les communistes gravitant dans l’orbite de Moscou – qu’on qualifiera ici d’orthodoxes -, l’URSS était le paradis sur Terre. Aveugles à la folie répressive des dirigeants communistes, ils voulaient y voir l’heureuse patrie du socialisme réalisé sur Terre, avec la ferme intention d’en faire bientôt l’avenir universel du genre humain. Une position qui fut souvent (mais pas toujours) le credo des partis communistes officiels établis hors de l’URSS, où le purisme idéologique prosoviétique se figea en dogme n’acceptant aucune divergence de vue. Même en 1968, lorsque les chars russes envahissent au grand jour Prague pour annihiler l’essai politique tchécoslovaque d’un « communisme à visage humain », nombreuses furent les organisations communistes orthodoxes à bannir toute contestation dans leurs rangs, celles-ci ne pouvant que « faire le jeu de l’ennemi ». Brandissant comme autant de victoires certaines réussites de l’URSS dans le développement des arts, des sciences, de la médecine, des services publics ou encore la mise à mort de dictatures pro-américaines (comme le régime mafieux sévissant à Cuba jusqu’à la prise de pouvoir de Fidel Castro et Che Guevara), ces communistes orthodoxes menaient partout une opposition farouche au capitalisme en revendiquant invariablement l’URSS comme modèle. Bien plus sensée, la position opposée consistait à critiquer la dictature sévissant en URSS (ce qui n’empêche pas, comme le fit Moshe Lewin, d’introduire des nuances historiques et contextuelles). Une opinion partagée par une multitude de groupes sociaux antagonistes. D’un côté, il y avait bien entendu la critique caricaturale des tenants de l’ordre libéral-chrétien : États-Unis d’Amérique, gouvernements alliés et ensemble des partis politiques opposés à tout projet socialiste. De l’autre côté, les forces de gauche non alignées sur Moscou constituaient un patchwork hétéroclite de mouvements sociaux toujours pluriel : anarchistes révolutionnaires, communistes hétérodoxes refusant de voir l’URSS de Staline comme la réalisation concrète du projet de Marx et d’Engels, partisans d’un socialisme démocratique voulant certes bousculer le capitalisme mais en prenant la voie de réformes plus ou moins radicales du système. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page18 Parmi ces opposants de gauche à l’URSS, les révolutionnaires s’éparpillaient en multiples mouvances allant des anarchistes aux communistes hétérodoxes. Nombre d’entre eux restaient séduits par certaines grandes figures du combat communiste tels que Fidel Castro, Che Guevara, Lénine ou Léon Trotski. (Dans un merveilleux roman intitulé L’homme qui aimait les chiens, l’écrivain cubain Leonardo Padura entrecroise la disgrâce de Trotski et son exil au Mexique avec le parcours de son assassin Ramon Mercader, agissant sur ordre de Moscou.) Pour certains, le communisme d’URSS avait dévié de son orbite avec Staline. Pour d’autres, le communisme d’URSS était à jeter à la poubelle dès la prise de pouvoir de Lénine. Pour d’autres encore, c’est le principe même du communisme qu’il fallait condamner, c’est Karl Marx et Friedrich Engels qu’il fallait jeter aux oubliettes de l’histoire. En réalité, le bilan à tirer de l’existence de l’URSS est tout autre, plus large et paradoxal. Tout autre : comme on l’a dit précédemment, l’œuvre foisonnante de Marx est loin d’être entièrement soluble dans l’URSS. Certes, il existe des passages rigides et déterministes (« dictés » en quelque sorte par la culture évolutionniste du XIXe siècle) que nous avons mis sur le devant de la scène dans les paragraphes précédents. Toutefois, cela ne peut ni faire oublier les analyses subtiles des rouages du capitalisme, ni effacer les critiques brillamment argumentées contre le libéralisme économique, ni oblitérer les centaines de pages que Marx a consacrées à dénoncer la tyrannie bourgeoise sur le monde ouvrier. Plus large : en dépit de leurs divergences profondes, tous les révolutionnaires (anarchistes, communistes orthodoxes et hétérodoxes) partageaient un rêve commun. Celui de renverser brutalement le capitalisme pour accoucher d’un monde égalitaire, sans oppression, dégagé du poids étouffant des structures étatiques. Hélas, les paradis rouges ou noirs n’existent pas. Autrement dit, les rêves parfaits sont trop beaux pour être vrais. Faire germer un collectif planétaire sans contradictions, sans rapports de force, sans hiérarchies politiques ou distinctions sociales est un pur fantasme de l’esprit. Un projet hors-sol magnifique sur papier, mais qui tourne à l’enfer pavé de bonnes intentions dès qu’on veut forcer sa réalisation dans une société bien réelle. Vue à hauteur du XXIe siècle, l’histoire de l’URSS a au moins ce mérite : prévenir les utopistes de tous bords qu’à vouloir toucher du doigt l’horizon d’un monde idyllique, on finit par mettre le pied dans des engrenages toxiques qui font tourner la roue de l’utopie à l’envers, transformant alors un merveilleux rêve égalitaire en cauchemar éveillé sur Terre. Comme l’a joliment écrit Louis Aragon (1897-1982), communiste orthodoxe mais fabuleux poète, « songez qu’on n’arrête jamais de sa battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien. Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable. Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables. Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien. »xxxi À ce constat réaliste, ajoutons alors ce bémol paradoxal : par son existence sur un vaste territoire, par son statut de superpuissance planétaire, par l’espoir qu’elle a insufflé à de nombreux mouvements révolutionnaires, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a aussi provoqué une « peur du rouge » au sein des élites européennes. Ce qui a donné au mouvement ouvrier une aura sans pareille pour faire trembler sur ses bases l’ordre libéral-chrétien. Effrayées par le succès populaire des idéaux révolutionnaires, les grèves massives et la détermination du mouvement ouvrier, les gouvernements occidentaux ont eu peur de perdre la partie. Pour s’éviter une défaite au jeu cruel de la lutte des classes, Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page19 les élites politiques partageant l’imaginaire marchand des grands capitalistes ont alors usé de diverses options pour l’emporter sur le communisme. Mentir. Ruser. Réprimer. Tyranniser. Mais aussi admettre qu’à la guerre, quand l’ennemi est trop fort, mieux vaut parfois négocier… Apports des révolutionnaires dans le bras de fer entre ouvriers et capitalistes Tout au long du XIXe siècle la bourgeoise et ses alliés politiques ont réprimé, autant qu’ils le pouvaient, les luttes ouvrières exigeant des droits collectifs et un minimum de dignité pour les travailleuses. Qu’on parle du travail des enfants, de l’absence de congés, de salaires misérables pour des journées de labeur interminables ou bien encore de conditions de travail dangereuses voire mortelles, rien de tout cela ne paraissait injuste ou inhumain aux yeux des grands capitaines de l’industrie capitaliste. À leurs yeux, le peuple ouvrier devait se contenter d’être docile et obéissant, toujours prêt à courber l’échine devant les attentes du patron. Pour que les choses bougent en leur faveur, les gens modestes ont dû s’organiser et se battre ensemble au risque de finir en prison, d’être viré de leur boulot ou d’y perdre carrément la vie. L’État soutenait en effet corps et âme les patrons en réprimant durement les foules en colère traitées comme de dangereux démons. Malgré tout, de victoires en déroutes, les gens modestes n’ont rien lâché. Leurs conditions de vie étaient si avilissantes et précaires qu’ils n’avaient pas grand-chose à perdre. Toutefois, le désespoir seul ne suffit pas à rassembler des foules. Pour se battre et conquérir des droits, il faut aussi avoir l’espoir que de meilleurs lendemains sont possibles. Il faut croire qu’en agissant collectivement les choses peuvent s’améliorer. Et ce rêve capable d’agiter les foules, ce sont les diverses mouvances du socialisme qui lui ont donné vie. Anarchistes de gauche, communistes révolutionnaires, socialistes réformistes : tous ont contribué aux premiers succès du mouvement ouvrier. Parmi eux, les révolutionnaires ont joué un rôle essentiel. Tout d’abord, leur promesse d’un monde débarrassé de toute oppression enflammait les esprits et la volonté de lutter jusqu’à la victoire. Prenons par exemple le marxisme. Il avait le mérite d’offrir une lecture claire des enjeux : si les travailleurs trimaient du matin au soir pour des salaires de misère, la faute incombait à la voracité sans frein des capitalistes. L’usine était organisée comme un camp militaire avec ses murs d’enceinte, une hiérarchie stricte, des ordres beuglés d’en-haut et une implacable discipline. Celle-ci offrait en pâture aux machines des corps et des muscles payés trois fois rien. C’est donc sur la misère et la sueur d’autres humains que les propriétaires de capitaux s’enrichissaient quotidiennement. Pour amasser des fortunes colossales, les capitalistes étaient prêts à tout… y compris se dévorer entre eux ! Dans Le Capital, Karl Marx explique comment les capitalistes aux épaules trop frêles pour suivre la cadence des luttes commerciales tombent ou se font avaler par plus gros qu’eux : « La bataille de la concurrence se mène par l’abaissement du prix des marchandises. Le bas prix des marchandises dépend, caeteris paribus, de la productivité du travail, mais celle-ci dépend de l’échelle de la production. Il s’ensuit que les capitaux plus grands battent les plus petits. » Ainsi, la concurrence Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page20 « se termine toujours par la ruine de nombreux petits capitalistes, dont les capitaux passent, pour une part entre les mains du vainqueur et, pour l’autre, trépassent. »xxxii Dans le capitalisme décrit par Marx, la logique du marché est semblable à celle du poker : au fur et à mesure que les perdants disparaissent dans les couches misérables de la société, le stock de capital possédé par les vainqueurs grossit jusqu’à bâtir des fortunes colossales… qui sont autant d’instruments de pouvoir redoutables. En faisant un lien entre l’accumulation de richesses des détenteurs de capitaux et le basculement dans la pauvreté des salariées et des capitalistes ruinés, Karl Marx parlait immanquablement au cœur des innombrables prolétaires travaillant nuit et jour sans même gagner de quoi nourrir correctement leurs enfants. À tous ces déçus miséreux des régimes politiques dominant l’Europe du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, le marxisme (et les socialismes révolutionnaires en général) offrait un formidable galvanisant : si l’on voulait que ça change, il fallait s’unir, s’organiser et se battre contre les capitalistes et leurs alliés politiques jusqu’à les faire plier. À ces apports théoriques du marxisme, ajoutons que l’existence de l’URSS – présentée à tort comme une sorte de paradis rouge sur Terre – a eu un effet « épouvantail » sur les dirigeants du monde capitaliste. Jusqu’alors sourdes aux appels de la rue, les élites marchandes et politiques ont pris peur face aux succès populaires des socialismes radicaux. Elles ont craint que les petites mains disparates exploitées dans leurs usines – une fois rassemblées en foule déterminée à obtenir un monde plus juste – ne les expulsent manu militari de leur tour d’ivoire dorée. Pour y rester, elles ont alors concédé aux simples mortels des conquêtes culturelles sociales et démocratiques qui ont profondément transformé les sociétés occidentales. Le vent réformiste des conquêtes culturelles, démocratiques et sociales Grâce à la pression mise par les révolutionnaires et les radicaux, des droits nouveaux ont été accordés aux exclus du système : autorisation de créer des mutuelles et des syndicats, élargissement du droit de vote égalitaire, liberté d’expression et d’édition, possibilité de faire grève et de manifester, etc. Devenues citoyennes à part entière, les couches sociales les plus modestes ont pu envoyer dans les parlements des élus pour les représenter. Et lorsque le rapport de forces basculait en leur faveur, des réformes législatives étaient mises en œuvre pour démocratiser les institutions existantes et imposer de massives redistributions des richesses. Pour ce qui concerne les institutions, le monde ouvrier a gagné le droit d’y devenir un contre-pouvoir officiel autorisé à négocier, avec le monde patronal, des droits et des devoirs mieux équilibrés entre salariés et détenteurs de capitaux. Cette démocratisation des institutions s’est effectuée au sein des pouvoirs publics mais également – il ne faut pas l’oublier – au sein des entreprises privées : là où le patronat était jadis tout puissant et seul maître à bord, il devait désormais accepter la présence légale de délégations syndicales représentant les intérêts collectifs des salariées. Ces mutations institutionnelles ont notamment donné vie à l’adoption de nombreuses lois sociales comme les réductions collectives du temps de travail, l’augmentation des salaires ou bien encore l’adoption de mesures d’hygiène et de sécurité pour que les gens ne soient plus obligés de risquer leur vie sur leur Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page21 lieu de travail. L’État a également été reconnu comme un acteur légitime de l’économie. Désormais, il pouvait réguler la vie des entreprises privées mais aussi posséder ses propres entreprises publiques – que ce soit en raison de leur rôle-clé stratégique ou des nombreux emplois existants à préserver. C’est ainsi que des secteurs privés d’activité marchande ont été nationalisés pour confier à l’État-Providence, ce gardien de l’intérêt général, la tâche épineuse d’éviter les crises économiques et de créer de l’emploi afin de garantir une bonne harmonie sociale. Alors que l’État typiquement bourgeois fonctionnait sur le mode d’une privatisation exacerbée de tous les secteurs d’activité, l’avènement de l’État-Providence s’est traduit par des mutualisations massives des richesses. Au nom de l’intérêt général, des taxations élevées ont prélevé d’importantes fractions de leurs revenus aux plus fortunés (entreprises comme individus) pour les redistribuer à la population sous forme de services publics. Qu’on parle d’accès aux transports à tarif réduit pour les familles nombreuses, de bourses d’études octroyées à des étudiants issus de familles sans le sou, de la construction de logements sociaux ou encore de l’engagement d’inspecteurs chargés de vérifier le respect des législations sociales dans les usines, ces services publics ont octroyé des biens et services collectifs à l’ensemble de la population. Parmi ces biens et services collectifs fournis par l’État, il faut citer les subsides alloués à de nombreuses organisations culturelles et humanitaires ne visant aucun objectif commercial. Du secteur associatif au monde artistique, de nombreuses ONG et espaces culturels ont pu voir le jour pour défendre des groupes marginaux ou transmettre des valeurs culturelles différentes de l’idéologie dominante. Par leur existence, ces organisations à but non lucratif ont aussi contribué à démocratiser les sociétés occidentales, notamment en élargissant le débat public à des enjeux cruciaux comme le droit des femmes ou la coopération au développement. À ces constats positifs, ajoutons une autre conquête fondamentale du monde ouvrier : la création, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de systèmes de sécurité sociale. Concrètement, il s’agit d’une politique très ambitieuse de mutualisation des richesses via la constitution d’un immense pot commun financé, de façon obligatoire, par toutes les personnes actives dans la société selon le principe « chacun contribue selon ses moyens ». Ensuite, l’argent de ce pot commun est redistribué sans discrimination aux personnes plongées dans des situations spécifiques : allocations familiales pour les parents d’enfants, allocations de chômage pour les personnes sans travail, congés payés pour les salariés, aide financière pour les personnes handicapées ou victimes d’un accident du travail, droit à la pension pour les personnes âgées et, last but not least, aides financières conséquentes pour permettre l’accès de toutes et tous aux soins de santé (visite chez un médecin, achat de médicaments, prise en charge d’une grande partie des frais d’hospitalisation). Qu’importe que les personnes aidées soient riches ou pauvres, ces redistributions financières sont accordées selon le principe « à chacun selon ses besoins ». On l’oublie trop souvent : si les sociétés occidentales se sont démocratisées pour offrir de bonnes conditions de vie à une large partie de la population, c’est essentiellement à ces conquêtes du monde ouvrier qu’on le doit. Et bien que l’essentiel de ces victoires soit passé par la voie institutionnelle de réformes législatives accordant de nouveaux droits collectifs et libertés aux populations – donnant ainsi raison aux courants réformistes du socialisme -, le bras de fer nécessaire pour faire plier les élites du monde capitaliste fut remporté, en grande partie, grâce à la détermination farouche et aux mobilisations massives orchestrées par les gauches radicales et révolutionnaires. Bref, réformistes et Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page22 révolutionnaires ont contribué – chacun à leur manière – à transformer les sociétés occidentales de la seconde moitié du XXe siècle en endroits où il fait bon vivre. Pour être complet, il faut aussi concéder que ces progrès remarquables n’en restaient pas moins partiels. Tout d’abord, de nombreuses catégories de gens vivant en Occident restaient discriminées de façon négative : c’était notamment le cas des femmes, des migrants, des personnes victimes de racisme, et de tous ces gens traités comme autant de « déchets humains » en raison de leurs croyances religieuses ou de leur attirance sexuelle pour les personnes du même sexe. De nouvelles conquêtes étaient donc nécessaires pour améliorer davantage le principe d’égalité dans les sociétés européennes, où certaines discriminations antiques survivaient jusqu’au cœur des États-Providence. Par ailleurs, vues à l’échelle du monde, ces conquêtes ouvrières étaient des succès locaux hélas cantonnés à une poignée de pays riches et dominants. Ces îlots de prospérité coexistaient donc avec une myriade de dictatures et régimes militaires réprimant férocement leur population. Loin d’être le fruit du hasard ou de la malchance, ces régimes oppressifs étaient en réalité soutenus par les principales puissances capitalistes – comme les États-Unis désireux de contrer l’influence mondiale du communisme – voulant s’assurer l’accès à d’abondantes matières premières et autres ressources énergétiquesxxxiii. Pour vivre dans un monde réellement plus juste, les mouvements sociaux et politiques défendant des objectifs solidaires avaient donc encore énormément de pain sur la planche. Or, à partir des années 1970, on a assisté à un formidable retour de balancier idéologique : désireux de ne plus brader leurs ressources énergétiques à vil prix, les membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) ont orchestré une hausse phénoménale des prix qui a laissé les dirigeants occidentaux béats de surprise. Confrontées à une hausse soudaine des prix de l’énergie, des entreprises ont fait faillite et des multitudes de salariés ont perdu leur emploi pour engendrer une situation inédite : la montée du chômage conjuguée à une hausse du coût de la vie. La recette miracle qui avait façonné les Trente Glorieuses de l’État-Providence cessa brutalement de fonctionner, à charge pour le monde politique de réinventer la manière de vivre en société… Sans gauche radicale forte, la boussole des solidarités cesse de fonctionner Au moment des chocs pétroliers, l’influence de la gauche radicale avait largement décru dans les pays riches. D’une part, les États-Unis avaient tout fait pour rendre impopulaire la gauche radicale en l’associant exclusivement à une forme d’extrémisme anti-démocratique. Passant sous silence ses apports fondamentaux dans les progrès sociaux des décennies précédentes, niant de surcroît son rôle de contre-pouvoir apportant un regard critique sur les multiples oppressions subsistant dans le monde capitaliste, les États-Unis ont véhiculé une image démoniaque du marxisme et des mouvements de gauche radicale. Se faisant, l’Oncle Sam est parvenu à tendre une sorte de cordon sanitaire entre les gauches réformistes et radicales… D’autre part, les nombreuses réformes engrangées par les conquêtes ouvrières avaient considérablement amélioré les conditions de vie du plus grand nombre. C’est pourquoi d’innombrables salariés ne ressentaient plus le besoin de soutenir des mouvements Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page23 révolutionnaires exigeant des transformations radicales du capitalisme. En offrant des salaires convenables, du temps de loisir conséquent et des congés payés, le système tel qu’il existait leur convenait très bien. Au moment d’imaginer un renouveau politique à l’État-Providence sonné et groggy sous les uppercuts des chocs pétroliers, la gauche réformiste était donc la principale force politique se revendiquant du socialisme. Elle faisait de surcroît cavalier seul en considérant la gauche radicale et révolutionnaire comme une troupe d’extrémistes ; le banc patronal, à l’inverse, était vu comme un partenaire fiable de négociation. En abandonnant la boussole idéologique qui avait jadis conduit aux grandes conquêtes ouvrières, les socialistes réformistes étaient comme perdus. Malléables à souhait, ils se sont laissés emporter par des radicaux d’un autre genre : les partisans du néolibéralisme. Pour expliquer la crise économique, des dirigeants politiques comme Ronald Reagan (1911-2004) ou Margareth Thatcher (1925-2013) ont lancé des anathèmes contre l’État-Providence. Ils ont accusé la solidarité de tous les maux et proposé un panel de mesures faisant de l’égoïsme le nouveau centre de gravité du monde politique. Leur idée de base était simple : pour relancer la croissance économique, il fallait libérer les riches du fardeau oppressant des taxes et briser les chaînes encombrantes de législations étatiques kafkaïennes emprisonnant les entreprises. L’État-Providence devait donc subir un régime financier draconien en abandonnant de nombreux services rendus à la population. En lieu et place, les gouvernements devaient se concentrer sur la seule tâche qui importe vraiment dans un monde néolibéral : se mettre au service du marché et des investisseurs en adoptant des lois favorables à la libre-concurrence. Des cadeaux fiscaux pour les entreprises et les grandes fortunes ont ainsi été conjugués à des vagues d’austérité imposées aux pouvoirs publics. Des privatisations massives d’entreprises publiques ont également été orchestrées pour les orienter vers le profit et la rentabilité. Pour répondre aux desiderata des lobbies patronaux, des accords politiques internationaux ont adopté de nouvelles législations rendant possible, entre une multitude de pays, une libre-circulation du capital et des marchandises. La création du marché unique européen jumelé à une monnaie commune en est un exemple parmi beaucoup d’autres. Nommés « accords de libre-échange » dans le jargon néolibéral, ces ententes politiques ont considérablement accru la taille des marchés de consommateurs et ainsi permis de nombreuses fusions et acquisitions d’entreprises. Cette concentration de capitaux (conforme aux prédictions de Marx) a transformé des multinationales déjà puissantes en empires marchands titanesques. Autorisés à déplacer leur argent et marchandises d’un pays à l’autre sans régulations publiques, ces empires privés ont pris en otage les démocraties en plaçant sous leur gorge un couteau menaçant : le chantage aux délocalisations. Pour éviter des fermetures d’usine et des licenciements massifs de la main-d’œuvre, les dirigeants des États-Providence avaient désormais intérêt à raisonner comme des investisseurs. De par le monde, ceux-ci avaient l’embarras du choix pour déplacer leurs lieux de production dans des pays oppressifs où aucun droit collectif n’était accordé aux salariées. À l’inverse, les législations fiscales et sociales avancées des pays démocratiques – imposant des devoirs contraignants au secteur privé – étaient autant de corsets faisant suffoquer les entreprises situées sur ces territoires. Pour les acteurs politiques locaux, la seule solution viable (dans le cadre du néolibéralisme) était d’aguicher les investisseurs en détricotant les conquêtes ouvrières et les mécanismes institutionnels de redistribution des richesses. En libérant les flux mondiaux de capitaux et de marchandises, les politiques dites de « libre-échange » ont donc offert à un groupe social très puissant (les actionnaires majoritaires de firmes multinationales) Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page24 un privilège exorbitant : le shopping législatif. Des acteurs privés titanesques, mobiles à l’échelle de la planète, pouvaient désormais mettre en concurrence les différents régimes politiques et systèmes juridiques attachés à un territoire. Les gouvernements d’une multitude de pays ont ainsi accepté une course effrénée à la compétitivité internationale dans laquelle les conquêtes sociales du passé – à commencer par les droits collectifs des travailleurs – se sont transformés en boulets qu’il faut constamment alléger et réduire. Vu de façon globale, le néolibéralisme a donc inversé le rapport de forces entre la sphère politique et le secteur privé en plaçant l’élite du monde capitaliste en position de juge international – on pourrait aussi écrire d’électeur ultime – des différents systèmes politiques. Leur préférence allant clairement vers des régimes tyranniques livrant aux entreprises une main-d’œuvre docile et mal payée, on a vu se généraliser une course mondiale aux profits se faisant sur le dos des salariées. En Occident, les mots compétitivité et productivité ont été mis au service d’un management presse-citron imposant une organisation du travail despotique reposant notamment sur la sous-traitance, des contrats de travail précaires, des salaires indigents, un sous-effectif chronique, une polyvalence à outrance, etc. Simultanément, les services publics et mécanismes de solidarité institués (comme l’impôt progressif ou le financement de la Sécurité sociale) ont été l’objet d’attaques patronales et gouvernementales incessantes. Au fil des décennies, les filets de protection sociale censés garantir un bien-être minimum à l’ensemble de la population ont perdu en efficacité et légitimité. C’est ce qui explique le basculement d’un nombre croissant de personnes dans la pauvreté. Indifférent à leur sort, le monde politique traditionnel a continué de libéraliser l’économie en promouvant le shopping législatif tout en fredonnant la maxime préférée des libéraux : l’opulence des riches est la condition première des investissements créateurs d’emploi dont les pauvres pourraient éventuellement bénéficier. Les crises contemporaines sont la conséquence d’une idéologie dogmatique S’il est sorti de l’œuf au cours des années 1980 aux États-Unis et en Grande-Bretagne sous Reagan et Thatcher, la résurrection du libéralisme s’est vite généralisée dans l’ensemble du monde capitaliste. Après la chute du mur de Berlin en 1989, on a carrément vu fleurir des discours enflammés annonçant la fin de l’histoire et un avenir radieux pour l’humanité grâce au capitalisme et à l’économie de marché. Ces deux « entités » ont été présentées, toutes époques confondues, comme le meilleur mode de gouvernance possible du genre humain. Au mépris des 300.000 ans d’histoire au cours desquels les Homo sapiens ont expérimenté d’innombrables manières de vivre en société, soudainement il n’y avait plus qu’une seule vérité possible : ériger le monde des grands investisseurs en peuple élu, et tout faire pour les servir. Depuis une quarantaine d’années, le néolibéralisme est ainsi devenu l’alpha et l’oméga de la pensée politique… y compris chez les socialistes réformistes. Après avoir abandonné leur boussole idéologique de gauche radicale et égalitaire, les partis socialistes réformistes ont accepté toutes les compromissions Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page25 avec l’idéologie libérale8 . Au nom de la croissance économique, ils sont montés dans des gouvernements légalisant le shopping législatif des firmes multinationales sur fond de reculs sociaux et démocratiques. Désormais placés dans l’orbite d’empires marchands capables de les sanctionner via des décisions unilatérales (comme la délocalisation des lieux de production ou le licenciement massif de salariées), les parlements nationaux et leurs élus ont perdu la capacité à prendre des décisions souveraines sur leur territoire. Se faisant, le pouvoir politique – qui constitue l’assise légitime des démocraties modernes – s’est pour partie désagrégé en faveur de pouvoirs privés, centralisés dans des conseils d’administration de firmes tentaculaires où le droit d’élire ses représentants est l’apanage de millionnaires et milliardaires détenant une participation majoritaire dans ces sociétés. À l’antipode des promesses faites au lendemain de la chute du mur de Berlin, le néolibéralisme nous a ainsi conduit à un effritement démocratique provoquant une multitude de crises culturelles, sociales et écologiques. Vu à hauteur des années 2020, le bilan des politiques néolibérales pourrait difficilement être pire : À l’échelle de la planète, le soutien politique sans faille aux prédations des multinationales a provoqué une surexploitation des écosystèmes et la production exponentielle de polluants variés (dont les gaz à effet de serre). Malgré l’ampleur des dégâts déjà visibles et les prédictions alarmantes du monde scientifique pour l’avenir, le logiciel dominant la pensée politique contemporaine reste braqué sur une idéologie délétère : assurer une croissance économique perpétuelle en faisant confiance à des empires marchands dont la cupidité est le leitmotiv principal ; Sur le plan géopolitique, le besoin frénétique d’importer des matières premières à bas prix et de fabriquer des marchandises low cost a poussé l’Occident, depuis des lustres, à maintenir des milliards d’habitants dans une pauvreté endémique. À l’aide d’instruments géopolitiques variés (amitiés avec des dictateurs, corruption de dirigeants, vassalisation des populations via l’endettement de leur pays, etc.), les gouvernements des pays riches ont soutenu des régimes oppressifs (à condition qu’ils soient non communistes) sur toute la planète. Le mépris total affiché à l’égard des populations étrangères victimes de ces alliés despotiques a contribué – même si personne n’ose le reconnaître officiellement – à l’essor de mouvements terroristes dont l’Occident fut l’une des victimes. Cela a entraîné en retour l’adoption de législations liberticides rabotant les droits légitimes des citoyens d’une part, et élargissant d’autre part les moyens de contrôle, de surveillance et de répression des forces de police et de leurs soustraitants privés. De nos jours, ces mutations juridiques sont fréquemment utilisées pour criminaliser les mouvements sociaux contestataires (monde syndical, ONG, société civile) que l’État-Providence avait jadis aidé à s’épanouir ; Enfin, le démantèlement progressif des conquêtes ouvrières par les politiques néolibérales a engendré une très forte dualisation sociale. Tandis qu’une poignée d’individus s’enrichissent sans d’autre limite que leur avidité infinie, des milliards d’humains basculent et végètent dans une pauvreté plus ou moins extrême. Désemparés, ces précaires parmi les précaires sont complètement abandonnés par les partis politiques traditionnels qui ont pour priorité de satisfaire le peuple élu des investisseurs. 8 En 2021, Mateo Alaluf a publié (aux éditions Page 2 & Syllepse) un essai à ce propos : Le socialisme malade de la socialdémocratie. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page26 Parvenu à ce stade de l’histoire, être prophète n’est pas nécessaire pour comprendre que le néolibéralisme est une vedette en sursis sur la scène politique. Les impasses dans lesquelles cette idéologie nous a plongés sont désormais beaucoup trop fréquentes et tangibles – à l’image de la crise retentissante des subprimes de 2007 où les pouvoirs publics ont servi de bouée de sauvetage à des banques privées. Si d’aventure les gouvernements s’entêtent à poursuivre dans cette voie où la cupidité est le seul horizon légitime des politiques publiques, le flot de critiques et de déçus ne fera qu’enfler. L’émergence des Gilets Jaunes en 2019 ou des Jeunes manifestant pour le climat sont autant d’indices d’une révolte qui couve et se répand dans le cœur des gens. Toujours en vogue mais déjà has been, l’idéologie néolibérale a des allures de morte-vivante… sans qu’on sache encore ce qui va vraiment la remplacer. Par où est la sortie ? La première option glanant la faveur des électeurs est hélas un monstre boursouflé au visage hideux : les partis politiques aux idéologies discriminatoires et fascistes d’extrême-droite. Ce chemin-là est le choix du pire. Une sorte de sauve-qui-peut morbide où la recherche de boucs-émissaires et l’envie de frapper sur plus petit que soi sont vues comme un moyen légitime de survie dans le bourbier des crises contemporaines. Alimentées par la haine et le mépris de l’autre, ces idéologies nauséabondes ont pour ambition de creuser davantage les inégalités et les discriminations. En prônant la suprématie d’un groupe social (quel qu’il soit) sur tous les autres, ces mouvements affichent le plus souvent un dédain total pour les vivants non humains. Par conséquent, ils figurent souvent parmi les premiers négationnistes du réchauffement climatique et sont les derniers à prendre au sérieux les enjeux écologiques dont ils nient (ou sous-évaluent) l’impact concret sur les populations. Bref, ces gens sont particulièrement mal armés pour combattre les méfaits du néolibéralisme. Avec leur montée en puissance, la dualisation sociale les politiques liberticides et les dégâts humains causés aux écosystèmes ne feront qu’enfler ! Une deuxième option semble bien plus désirable : plébisciter à nouveau des partis de gauche radicale. Animés par un idéal égalitaire, ces partis peuvent faire un excellent gouvernail pour mettre le cap vers davantage de solidarités. Pour réussir ce défi, les partis de gauche radicale doivent évidemment redevenir populaires, mais aussi savoir regarder leur histoire d’un œil critique pour tirer des leçons salvatrices de leurs échecs passés. Tout d’abord, il faut abandonner l’idée qu’il existerait un peuple élu : qu’on parle des prolétaires ou des investisseurs, aucun groupe social ne mérite d’être érigé en sujet omnipotent de l’histoire. Ce qui est vrai à l’échelle locale l’est également au niveau global : développer des droits collectifs sur quelques îlots de prospérité limités à une poignée de pays riches n’a aucun sens si cette opulence se construit en laissant crever de misère le reste de la planète. Les solidarités locales doivent donc s’enraciner dans des institutions publiques défendant des droits collectifs réellement universels, avec la mise en place de mécanismes internationaux de redistribution des richesses tirant les régions les plus pauvres de la planète vers le haut (soit l’exact contraire de la philosophie contemporaine du shopping législatif). Chemin faisant dans cette reconfiguration des liens entre ici et ailleurs, ce sont aussi les rapports identitaires entre humains et non-humains qui doivent être complètement réinventés. Nos sociétés modernes se sont en effet bâties sur une illusion sournoise : l’humain vivrait sur un piédestal qui le Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page27 sépare radicalement de la nature. Appliqué en URRS comme dans le monde capitaliste, cette glorification humaniste a justifié l’asservissement d’innombrables vivants ravalés au rang de simples objets destinés à satisfaire toutes nos envies. Rien n’illustre mieux ce rapport aveugle de domination que les termes usuels employés dans le monde économique lorsqu’on parle de matières premières ou de ressources naturelles. Dans un monde égalitaire, aucun vivant ne devrait être considéré comme un simple moyen de production ! A fortiori lorsque la science nous apprend que l’interdépendance entre toutes les formes de vie est ce qui rend notre existence possible… Pour rêver d’un monde meilleur, s’attaquer aux racines profondes des crises écologiques n’est pas une option mais une nécessité absolue. Nous devons faire descendre l’espèce humaine de son piédestal imaginaire pour tisser, avec les autres espèces, de nouvelles relations diplomatiques – comme le propose notamment le philosophe Baptiste Morizot9 – où chacun peut s’épanouir sans piétiner l’autre. Aucune cause ne justifiant de réduire à néant des milliards de vies, il est urgent d’abandonner une vision du monde exclusivement tournée vers le développement aveugle de l’économie, où l’on nomme production de richesses des pratiques polluantes qui exterminent massivement les espèces et déglinguent dangereusement les écosystèmes. Si elle veut refleurir de façon légitime, la gauche radicale doit donc se fixer un objectif inédit : abandonner les cultes aveugles du développement technique et de la croissance économique. Loin de faire agoniser le capitalisme pour céder la place à un monde meilleur comme le prévoyait Marx, l’idéologie productiviste a bien au contraire permis une extension sans pareille du capitalisme. Après avoir colonisé le monde entier grâce à des technologies de plus en plus efficaces, les empires marchands contemporains lorgnent désormais vers de nouveaux horizons. Ils rêvent notamment d’exploitation minière dans l’espace et forgent des outils polluants (digitaux, génétiques, neurologiques, robotiques…) de plus en plus invasifs. Leur objectif est de transformer ce qu’il y a de plus intime dans nos vies (comme nos gènes, nos pensées et nos rêves) en vulgaire marchandise. Pour y parvenir, ils sont prêts à inventer et propager toutes sortes de mensonges – comme le conte enchanteur de voitures électriques propres alors que le secteur numérique est l’un des plus polluants qui soit aujourd’hui. Si l’on veut réellement s’opposer au capitalisme et à son expansion démentielle mettant en danger la survie des espèces présentes sur cette planète (nous compris), il faut renoncer aux grands rêves productivistes d’hier… Pour le dire autrement, les gauches radicales et réformistes doivent renoncer à cette illusion collective qu’elles ont trop longtemps partagée avec leurs ennemis bourgeois du camp d’en face. 9 Lire notamment son livre Raviver les braises du vivant paru en 2020 chez Actes Sud. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page28 i Article de Nicolas Werth, Pas de révolution sans les soldats, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 48-55. ii Article de Sabine Dullin, Tous aux urnes !, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 74-79. iii Article d’Emilia Koutsova, Le rêve brisé de la démocratie directe, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 60-65. iv Entretien avec Marc Ferro, Personne n’avait anticipé l’explosion de Février, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 34-44. v Sources : articles publiés dans la revue L’Histoire n°432 de Emilia Koutsova, op. cit., pages 60-65 ; Catherine Merridale, Dans le train plombé avec Lénine, pages 66-73 ; Sabine Dullin, op. cit., pages 74-79. vi Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres), et plus particulièrement les parties suivantes du livre : Partie II Collectivisation ou autre chose ? (Chapitres L’arrière-plan immédiat de la collectivisation soviétique & Prendre les céréales : la politique soviétique des collectes agricoles avant la guerre) ; Partie III Léninismes et changement social (chapitres Léninismes et bolchévisme à l’épreuve de l’histoire du pouvoir & Société, État et idéologie sous le premier plan quinquennal & L’arrière-plan social du Stalinisme). vii Ibid., pages 304, 311 & 315, 390. viii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), pages 803-857. ix Moshe Lewin, op. cit., pages 137-150 & 401-405. x Ibid., p.348. xi Ibid., p.337. xii Ibid., p.401. xiii Ibid., p.398. xiv Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, p.51. xv Ibid., p.51. xvi Parmi les nombreux ouvrages d’anthropologie consacrés à ce sujet, on peut notamment lire (pour l’Afrique) Luc de Heusch, Rois nés d’un cœur de vache (mythes et rites bantous) et (pour les Andes) Jacques Malengreau, Sociétés des Andes (des empires aux voisinages). xvii Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xviii Lire à ce propos l’impressionnant travail de recherches de Philippe Descola (notamment son livre Par-delà nature et culture) ou – beaucoup moins poussée mais facile à lire – ma petite Balade au pays des premières religions. xix Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xx Ibid., p.58. xxi Ibid., p.55. xxii Ibid., p.54. xxiii Ibid., pages 61-62 xxiv Ibid., p.68. xxv Ibid., p.66. xxvi Ibid., p.80. xxvii Ibid., p.81. xxviii Ibid., pages 57-58. xxix Ibid., p.65. xxx Ibid., pages 80-81. xxxi Extrait du poème Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, publié dans Les poètes. xxxii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), p.702. xxxiii Lire notamment à ce propos Tim Weiner, L’histoire de la CIA (des cendres en héritage), Paris, éditions Perrin (collection Tempus), 2011 (1ère édit. originale : 2007).
Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passés Étude • Bruno Poncelet • Juillet 2022 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 2 Introduction Fut un temps où l’on rêvait de révolutions. Se battre au nom d’un idéal collectif : l’égalité humaine. Refuser les injustices et les oppressions. Prendre des risques personnels en défiant plus puissant que soi. Militer pour améliorer le sort d’autres humains. Tenter, avec les camarades, d’accoucher d’un monde nouveau. Un monde meilleur. Un monde aussi parfait que possible. Bien qu’ils semblent morts et enterrés de nos jours, ces rêves ont eu le mérite d’exister. Des gens, nombreux, il n’y a pas si longtemps, ont rêvé d’améliorer la vie de leurs semblables. Ils en ont rêvé tellement forts qu’ils se sont battus et ont lutté ensemble. C’était une époque où le mot « camarade » secouait l’âme jusque dans ses tréfonds. Pour quel résultat ? Telle est la question principale de cette étude qui part de l’hypothèse – erronée ou non – que le modèle politique qui a dominé ces dernières décennies arrive à son terme. Bien qu’il soit toujours à la mode, le néolibéralisme sème tellement de crises sur son chemin que sa légitimité est de moins en moins fondée. Alors que les couches sociales les plus aisées accumulent des fortunes indécentes quand de nombreuses personnes basculent dans la pauvreté, comment croire encore que c’est en favorisant les personnes les plus riches qu’on créera de l’harmonie sociale ? De même, la libre-concurrence nous a mené au seuil de crises écologiques majeures avec des empires marchands parfois plus puissants que des États. Des empires marchands autorisés à faire tout et n’importe quoi pour s’enrichir, comme mentir à propos du réchauffement climatique (une spécialité des empires marchands pétroliers) ou exterminer massivement des espèces en rasant des forêts millénaires ou en pratiquant la pêche industrielle. Comment imaginer qu’en poursuivant ce genre de politique, on puisse atténuer les crises écologiques majeures que le néolibéralisme a provoquées ? On peut mentir aux gens un certain temps, mais vient un moment où le masque tombe et les supercheries sont éventées. Même s’il a toujours les faveurs de nombreux gouvernements en place, le cauchemar néolibéral va probablement se fissurer, puis imploser. Pour être optimiste, imaginons alors que nous soyons Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 3 nombreux à vouloir le remplacer par quelque chose de plus heureux. Tournant le dos aux sirènes immondes du repli identitaire glorifiant un groupe social au mépris des autres (comme le proposent les mouvances politiques d’extrême-droite), rêvons un instant de le remplacer par un monde meilleur. Celui d’humains gravitant ensemble autour de valeurs comme la justice sociale et l’égalité. Une chose déjà tentée par le passé… mais qui n’a pas toujours bien tourné. Pour éviter de faire bégayer l’histoire en trébuchant sur les mêmes erreurs, comprendre les raisons de cet échec est important. Pour y parvenir, remontons le fil du temps jusqu’à la création de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Quand un tsar tombe, tout un monde devient possible Tout comme l’œuvre de son grand romancier Fiodor Dostoïevski (1821-1881), la Russie est une terre de contrastes qui ne se laisse pas saisir d’un regard. On peut y déambuler et s’y perdre une vie entière, elle offrira toujours des surprises. Ainsi, après l’échec d’une révolution avortée en 1905 qui n’avait pas réussi à jeter hors du trône le Tsar Nicolas II (un pouvoir à la sauce « Ancien Régime »), voilà que ce dernier s’embourbe dans l’interminable deuxième guerre mondiale, entraînant avec lui des millions de soldats paysans qui vident les campagnes russes de leurs forces vives pour un résultat décevant. D’avril à septembre 1915, le vaste empire russe perd plumes et territoires (Galicie, Pologne, Lituanie, Courlande, partie de la Biélorussie) sous les coups de butoir des troupes ennemies, emmenées par l’AutricheHongrie, l’Empire ottoman et l’Allemagne. Conjugués aux traitements humiliants que les gradés de bonne naissance font subir à leurs propres soldats qu’ils méprisent profondément, ces revers militaires ternissent la réputation du régime tsariste au sein des troupes mobilisées d’abord, dans les campagnes ensuite, et jusqu’au cœur des villes où les classes populaires n’en peuvent plus des privations imposées par la guerrei . En février 1917, dans la capitale russe Petrograd (Saint-Pétersbourg), une manifestation d’ouvrières en grève fait boule de neige et propulse en quelques jours, à la surprise générale, des milliers, puis des dizaines et des centaines de milliers de personnes dans les rues. Qu’elles soient ouvrières, sans travail, anarchistes, activistes ou qu’elles suivent simplement le mouvement, ces personnes qui manifestent n’ont aucune légitimité dans l’empire russe où les droits des citoyens n’ont pas d’existence légale. Aussi, pour mater cette rébellion, Nicolas II ordonne aux troupes de tirer dans la foule… mais les soldats font sédition ! Dans le mois qui suit, l’Ancien Régime s’effondre : le 2 mars, Nicolas II abdique au profit de son frère, Michel II, lequel abandonne à son tour la couronne impériale le 16 mars 1917. Pour les remplacer : une expérimentation politique inédite donne naissance à une double vie institutionnelle. Installé dans l’aile droite du palais de Tauride à Petrograd, un gouvernement provisoire (non élu, mais pluraliste) voit le jour avec l’intention de fonder une nouvelle Russie, établie sur des normes modernes et non plus « médiévales ». Pour bâtir une démocratie participative, le gouvernement provisoire s’attache tout particulièrement à établir des règles et procédures électorales devant permettre à quelques 90 millions de personnes – soit autant de citoyennes et citoyens répartis sur un très vaste territoire – d’élire une Assemblée Constituante. Ce gouvernement provisoire entend par ailleurs mener Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 4 la guerre à son terme pour ne pas manquer la parole donnée aux Alliés européens, emmenés par la France et le Royaume-Uniii . Installé dans l’aile gauche du même palais de Tauride, un comité local (nommé soviet) est formé de délégués directement élus par leurs pairs : à savoir en très grande majorité des soldats (71%) et en minorité des ouvriers d’usine (29%). Dans un Appel aux peuples du monde entier lancé le 14 mars 1917, ce soviet de Petrograd en appelle à la fin des hostilités guerrières, sans annexions territoriales ni indemnités financières. Cet appel fait rapidement tâche d’huile au sein des troupes russes et entraîne, dans diverses régions, la création d’une multitude de soviets locaux, eux aussi composés de représentants directement élus par des soldats et des ouvriersiii. Provenant de toute la Russie, des doléances (parfois écrites au poinçon sur des morceaux d’écorce) affluent par milliers vers Petrograd pour faire connaître l’avis du peuple – ou plutôt des nombreux groupes sociaux qui le composent – au gouvernement provisoire et au soviet de Petrograd. Selon l’historien Marc Ferro, qui a lu et analysé cette volumineuse correspondance populaire, les paysans souhaitaient massivement une redistribution des terres en faveur de celles et ceux qui la travaillent (leur « courrier » évoque également l’instauration d’une République démocratique avec l’élection d’une Assemblée Constituante). Les ouvriers désiraient avant tout obtenir des salaires décents et limiter la journée de travail à huit heures. Quant aux soldats, c’est la fin des règles disciplinaires mesquines dictées par des supérieurs imbus de leur rang qu’ils voulaient prioritairement abrogeriv. L’Ancien Régime est tombé. Malgré la guerre, s’ouvre alors en Russie tout un champ des possibles… Cela n’échappe ni aux chancelleries occidentales, ni au cœur de socialistes russes désireux de changer le monde en mieux. Parmi eux se trouve un opposant au régime du Tsar réfugié en Suisse, à Zurich, où il se consacre corps et âme à la rédaction d’un essai inspiré de Marx : L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Aussi surpris qu’exalté par la démission du Tsar, Vladimir Ilitch Oulianov (alias Lénine) décide de rentrer prestement dans son pays natal. Avec l’aide discrète de l’Allemagne ennemie (qui voit d’un bon œil le retour au bercail d’un Russe opposé à la guerre), Lénine voyage en train pour rejoindre Petrograd où il débarque le 3 avril 1917 en scandant d’emblée : « Tout le pouvoir aux soviets ! ». Révolutionnaire marxiste, Lénine n’est guère partisan d’un régime démocratique moderne, où plusieurs partis se disputent les faveurs des électeurs. Il lui préfère une démocratie directe puisant sa sève au cœur du monde ouvrier. Par ailleurs, la poursuite de la guerre sous l’égide du gouvernement provisoire rend ce dernier de moins en moins populaire, au contraire des partisans de Lénine (les Bolcheviks) qui jouissent d’une influence croissante au sein du monde russe urbain. En témoigne notamment l’élection du camarade Lev Davidovitch Bronstein (alias Troski) à la tête du soviet de Petrograd en septembre 1917. Quelques semaines plus tard, faisant fi du processus électoral lancé dans toute la Russie (dont les résultats partiels plaçaient les Bolcheviks en deuxième position, derrière les Socialistes Révolutionnaires), c’est par la force que Lénine et Trotski décident de renverser le gouvernement provisoire. La Révolution d’Octobre a sonné : pour le meilleur comme pour le pire, elle allait changer le visage de la gauche et la face du monde entierv . Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 5 Dilemmes et ambivalence du pouvoir rouge La Révolution d’Octobre eut lieu (selon notre calendrier moderne) le soir du 7 novembre 1917. Dans les jours qui suivent, le monde entier est secoué par ce séisme politique en provenance de Petrograd : le vaste empire de Russie vient officiellement de passer entre les mains de socialistes inspirés par Karl Marx ! Mais la Révolution est chose fragile, et la victoire des Rouges loin d’être assurée. En mars 1918, quand le traité de Brest-Litovsk marque la fin officielle des hostilités entre l’Allemagne et la Russie, cela fait déjà plusieurs mois que l’ancien empire du Tsar a basculé dans la guerre civile. Celle-ci oppose les partisans de la Révolution bolchévique à de nombreux groupes d’opposants allant des « Russes blancs » (partisans de l’Ancien Régime) à divers mouvements politiques plus ou moins révolutionnaires, mais fermement opposés à une prise de pouvoir par la force. Cette guerre civile va durer plusieurs années et entraîner des conséquences funestes. Tout d’abord, les privations dues aux combats et au manque de bras dans les campagnes vont intensifier les pénuries et conduire à de terribles famines. Ensuite, le pouvoir bolchevik va littéralement se forger dans un monde peuplé d’ennemis, qu’il lui faut coûte que coûte éliminer. Dès leur prise de pouvoir, les Bolcheviks vont ainsi opter pour la répression brutale de leurs opposants mais aussi recourir à une pratique peu glorieuse : les purges. Celles-ci visent à éliminer les voix discordantes, dissidentes et minoritaires dans toutes les institutions russes (parti communiste compris). Une brutalité répressive qui vise aussi le monde ouvrier en grève – que les enfants spirituels de Karl Marx sont pourtant censés soutenir dans leur combat pour de meilleures conditions de vie – réprimé sans état d’âme dès la fin de l’année 1918, par un pouvoir rouge accusant invariablement tous ces fauteurs de troubles d’être instrumentalisés par les ennemis de la Révolutionvi. Le problème, quand on grandit en donnant des coups, c’est qu’on a parfois du mal à se défaire de cette sale habitude par la suite. Certes, comme le raconte l’historien Moshe Lewin (1921-2010), le destin de la Russie « communiste » n’était pas écrit avant d’avoir été joué. Par exemple, au moment d’adopter la Nouvelle Politique Économique (N.E.P.) au début des années 1920, le pouvoir rouge est ambivalent. D’une part, il décide de nationaliser les grands secteurs industriels qu’il veut à tout prix développer. D’autre part, il tend simultanément la main au monde paysan en instaurant davantage de justice sociale via une redistribution des terres aux paysans modestes, tout en pérennisant les modes d’organisations villageoises déjà en place. C’est donc en s’appuyant sur les marchés locaux, par l’intermédiaire d’opérations commerciales classiques, que le nouveau pouvoir installé à Moscou approvisionne en céréales les villes et régions déficitaires en denrées agricoles. Par ailleurs, le parti communiste a beau s’ériger en seul pouvoir légitime, il est également traversé par plusieurs factions et tendances idéologiques dont certaines – emmenées notamment par Boukharine – veulent à tout prix maintenir des activités commerciales privées… complémentaires aux instances étatiques. Enfin, même l’ardent révolutionnaire peu ouvert aux compromis que fut Lénine semble convaincu, dans les dernières années de sa vie, du besoin de ralentir le rythme des réformes imposées au nom de la Révolution, afin d’établir et consolider la légitimité des Bolcheviks au sein de la société russevii. Bref, même après avoir pris le pouvoir par la force, le parti communiste russe aurait pu tendre la main à différentes composantes de la population pour développer une société alternative, certes éprise de solidarités, mais sans pour autant renoncer à une forme de cohésion sociale démocratique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 6 Quand Lénine meurt en 1924, son successeur se nomme Iossif Vissarionovitch Djougachvili (alias Joseph Staline). Dans un premier temps, le nouveau leader du parti communiste fait confiance au compromis avec le monde paysan instauré par la N.E.P. Cependant maintenir à flot le vaste paquebot de l’empire russe est tout sauf simple. Tout d’abord, l’effondrement de la société médiévale au profit d’un pouvoir rouge voulant à tout prix industrialiser la Russie bouleverse les groupes sociaux et repères identitaires établis. Il en résulte une « société de sables mouvants » où les changements de vie et de professions sont légion, où les dégringolades statutaires vertigineuses côtoient les promotions sociales soudaines. Hélas, quand il s’agit d’occuper des places en vue, les personnes happées « vers le haut » ne sont pas toujours les plus compétentes, ni même les plus altruistes. C’est ainsi qu’apparaissent – au sein de l’administration, du parti communiste et des usines – des responsables n’ayant que faire de l’intérêt général ou dépassés par le poids de leurs responsabilités. Ensuite, la pratique des purges se poursuit sous Staline avec l’élimination – symbolique et physique – des opposants. S’institue ainsi une méthode de gouvernance rigide et frigide, c’est-à-dire insensible et imperméable au sort de celles et ceux qui en sont les victimes. Enfin, le parti des Bolcheviks établi à Moscou fait face à l’un des plus vieux démons des pouvoirs centraux depuis l’institution des premières Cités-États : comment convaincre des communautés locales de céder aux administrations, urbaines et lointaines, une partie du fruit de leur travail ? Dans le cas du pouvoir rouge qui veut industrialiser au plus vite la Russie, ce dilemme peut même s’écrire en termes marxistes : afin de dégager les moyens financiers colossaux nécessaires pour développer de grandes usines, il faut souvent en passer par l’accumulation primitive. Soit un vol massif organisé au détriment des sociétés campagnardes, dont l’Occident colonial s’est rendu coupable durant des siècles. Si cela fit le bonheur et la prospérité des familles bourgeoises, ce fut au détriment des peuples autochtones asservis par la force conjuguée des armes, du racisme législatif et de la soif prédatrice de conquistadores avidesviii. Dans le cas de la Russie, l’accumulation primitive fut tout aussi nécessaire, a fortiori quand les céréales collectées via l’impôt et les opérations commerciales classiques (payées à trop bas prix) s’avérèrent largement en-deçà des attentes du pouvoir central. Une situation de pénurie qui prend les Bolcheviks par surprise en 1927. Un an plus tard, le parti communiste ébauche une solution à cette crise des céréales en adressant une déclaration de guerre au monde des campagnes : si les céréales n’affluent pas suffisamment vers les administrations centrales de Moscou, la faute en incombe entièrement à l’esprit moujik (paysan) antirévolutionnaire des gens des campagnes qui doivent changer leurs mentalités et leurs pratiques au plus viteix ! Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 7 Les grand idéaux peuvent créer des cauchemars éveillés1 Au tournant des années 1928-1929, le parti communiste dirigé par le camarade Joseph Staline (1878- 1953) décide d’imposer aux forceps, à toute la société russe, une réalité unique : l’étatisation sans limites. Cette offensive contre le secteur privé vise tous les acteurs marchands (artisans, commerçantes, paysans, intermédiaires et industriels du monde urbain) sans mettre en place une organisation alternative aux réseaux marchands et activités supprimées. Cela signe la mise à mort du secteur artisanal et de la petite industrie, mais n’empêche nullement le pouvoir rouge de rêver d’une expansion rapide des activités productives… Quitte à opter pour l’autoritarisme et le passage en force pour y parvenir. Dans les usines étatiques, la pression hiérarchique sur le monde ouvrier s’accroît en recourant aux mesures cyniques du taylorisme, visant à contrôler et régenter les gestes ouvriers au travail pour booster la productivité… Une méthode qui a fait recette dans les pays capitalistes pour le plus grand bonheur de la bourgeoisie, et utilisée dès 1918 par des dirigeants se réclamant de Karl Marx ! Les ouvrières et les ouvriers répondent à cette pression accrue par une défection massive de leur poste de travail et le sabotage de la production, dont la qualité est en chute libre. À cette situation urbaine déjà problématique s’ajoute une dégradation catastrophique de l’organisation rurale. Invités à rejoindre massivement les fermes collectives étatiques nommées kolkhozes, les paysans pauvres sont si nombreux à répondre favorablement à l’appel que leur afflux prend de court les autorités. Nullement préparées à une mutation sociale si soudaine, les administrations russes complètement débordées assistent, impuissantes, à l’émergence d’un chaos rural qui aggrave le déficit en céréales : dans certaines communautés le fourrage commence à manquer pour nourrir le bétail ; au niveau du pouvoir central, les céréales collectées restent largement en deçà des attentes. Le parti communiste passe alors un premier braquet dans la répression et décide, en 1929, d’imposer la collectivisation forcée des activités d‘élevage. La réaction paysanne est désespérée et brutale : refusant d’offrir gratuitement leurs animaux aux kolkhozes, les paysans préfèrent tuer massivement leur bétail. Fort logiquement, cela provoque une abondance provisoire (mais trompeuse) de viande pouvant faire croire aux autorités que leur méthode marche. Dès lors, pourquoi ne pas aller de l’avant en poussant plus loin la mainmise de l’État sur les activités agricoles ? L’ancienne politique de contrats commerciaux effectués de façon volontaire avec les communautés rurales est abrogée, pour mettre en place un prélèvement obligatoire de céréales dicté par une logique discriminatoire : afin de briser l’indépendance des paysans propriétaires de leurs champs, le pouvoir central exige d’eux des fournitures de céréales bien plus imposantes que celles réclamées aux kolkhozes socialisés. À nouveau, les paysans indépendants (toutes catégories sociales confondues) recourent à divers stratagèmes pour dissimuler une partie de leurs récoltes aux autorités. En retour, celles-ci font pleuvoir un déluge d’amendes, confisquent les réserves de graines et lancent des enquêtes minutieuses pour retrouver les céréales cachées ; elles procèdent aussi à des arrestations et déportations massives. 1 Ce chapitre s’inspire principalement de l’essai de Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres). Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 8 Le bras de fer opposant le monde des campagnes à Moscou ne fait que commencer. Dans les années qui suivent, le parti communiste passe des braquets supérieurs dans la répression en imposant aux paysans restés « libres », mais déjà affamés, un double prélèvement annuel de denrées agricoles ! Leur détresse sociale est telle qu’elle touche le cœur de certaines autorités locales – y compris au sein du parti communiste – qui prennent alors fait et cause pour « leurs » paysans en ne suivant pas à la lettre les instructions de Moscou. Des purges s’ensuivent pour vider le parti et les administrations locales de leurs éléments « séditieux » et « contre-révolutionnaires ». À l’inverse, les autorités locales les plus serviles, donc les plus zélées dans la répression paysanne, bénéficient de promotions au sein du parti et de la société russe. Dans un poignant roman intitulé L’étrangère aux yeux bleus, l’écrivain Youri Rytkhèou2 (1930-2008) narre les aberrations de la politique de l’URSS à l’égard de son peuple (les Tchouktches) : au nom de l’abolition de la propriété bourgeoise, ces éleveurs de rennes sans grand pouvoir furent privés de leurs troupeaux, donc de leur manière de vivre, lorsque Moscou imposa la remise du bétail aux kolkhozes collectivisés. C’est ainsi que s’instaure, entre 1929 et 1933, un tournant radical en Russie. Les structures étatiques vont rapidement enfler jusqu’à la démesure pour être contrôlées par une élite minoritaire centralisée. Dictant leurs ordres depuis Moscou, les dirigeants du parti communiste (le seul à pouvoir exister) exigent d’être obéis, sans la moindre contestation, par un vaste réseau d’administrations locales et de membres du parti communiste. Toute idée de pluralisme politique ou de liberté d’opinions est enterrée d’autant plus facilement que le régime précédent, celui du Tsar, n’en était guère partisan. Quant aux Rouges qui ont pris le relais, ils ont définitivement choisi la manière forte pour imposer leurs diktats. Au nom de la sauvegarde de la Révolution, les contestataires et réfractaires au pouvoir en place sont pourchassés et condamnés à de lourdes peines – la perte de leur statut social, le goulag et parfois la mort au terme de procès politiques arbitraires. Imposée du haut vers le bas, cette logique disciplinaire n’atteint pas les effets escomptés : en dehors des groupes sociaux qui profitent des décisions du parti communiste, la peur et la démotivation gagnent du terrain au sein de la population russe. Selon Moshe Lewin, le « manque d’initiative, la tendance à fuir les responsabilités et à se cacher derrière le dos de quelqu’un d’autre, à rejeter le blâme sur ses collègues, et la philosophie du ‘’c’est pas mon affaire’’ (moya khata krayou), finirent par gagner les institutions comme toutes les couches de la société.»x Du coup, les « mauvais » comportements sont punis de lourdes sanctions matérielles : adoptée le 15 novembre 1932, une loi prévoit de lutter contre l’absentéisme au travail à l’aide de mesures comme le renvoi du poste occupé, l’exclusion du logement, la privation de rations alimentaires ou encore l’interdiction d’accès aux magasins d’alimentationxi. Partout, y compris dans les strates supérieures de l’administration et du parti communiste, l’habitude est prise de taper sur « plus petit que soi » en redoutant d’être soi-même l’objet d’une purge future : « sous Staline, pour nous résumer, les chefs (natchalstvo) furent non seulement autorisés mais aussi invités à se montrer autoritaires et rudes envers leurs subordonnés et les masses afin de les discipliner ; ainsi acquirent-ils une double nature, un double visage à la Janus : un visage méprisant, de despote ; et un visage soumis, de serf. »xii 2 Pour la petite histoire, Youri Rytkhèou fut longtemps un intellectuel inféodé aux dogmes de Moscou. À ce titre, il fut choyé par le parti. Toutefois, à partir des années 1970, il commence à prendre ses distances et renoue peu à peu avec l’esprit de son peuple, jusqu’à dénoncer la mise à sac de l’imaginaire spirituel et des manières de vivre des Tchouktches par le régime soviétique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 9 Pour maintenir la cohésion sociale, le pouvoir rouge va s’appuyer de plus en plus sur des institutions répressives : armée, forces de police et KGB. Chargés de repérer et d’identifier les « traîtres à la Révolution », les services secrets russes vont encourager la délation et développer des techniques d’espionnage massif de la population. Chemin faisant, le fossé séparant le cœur du pouvoir rouge du reste du corps social russe – couches populaires, minorités ethniques, peuples indigènes, clergé orthodoxe et autres groupes sociaux victimes des politiques décidées à Moscou – allait s’élargir au point de creuser de profondes abysses taillées dans la roche, humaine, à grands coups d’oppressions individuelles et de tragédies collectives. Comme l’écrit Moshe Lewin : « Dans un stade ultérieur, plus morbide et manifestement pathologique, le dirigeant, sinon les dirigeants, allait avoir le sentiment que sa base s’était encore réduite pour se limiter à la seule partie réellement ‘‘sûre’’ de l’appareil : les services de sécurité… »xiii La faute à Marx ? Aveugle aux détresses et conséquences tragiques générées par ses décisions, le parti communiste soviétique allait – au nom du socialisme – briser les libertés, régner par la terreur et finalement imposer une orthodoxie comparable, en bien des points, à l’Inquisition de l’Église catholique médiévale. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de purger la société de ses éléments néfastes (qu’ils soient « diaboliques » ou « contre-révolutionnaires ») en s’appuyant sur un imaginaire collectif (la « relation à Dieu » ou le « socialisme révolutionnaire ») défini par un pouvoir central (le Vatican ou le Parti communiste) pouvant s’appuyer sur des institutions officielles pour procéder aux arrestations, mener les procès et exécuter les condamnations. Dans les deux cas, la purge pouvait aller jusqu’à l’élimination physique des « mauvais éléments » de la société. Incontestablement, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) était un régime despotique qui n’avait de socialiste que le nom… Mais comme il se réclamait ouvertement du marxisme, l’écrasante majorité des partis communistes à travers le monde – ainsi qu’une grande partie de leurs membres – allaient confondre vessies et lanternes pour s’imaginer que le socialisme avait enfin un territoire où s’ancrer, sur lequel était en train de fleurir un paradis terrestre. Par effet miroir, les détracteurs du marxisme (de gauche comme de droite) allaient vite parvenir à cette conclusion lapidaire : Karl Marx ne peut mener qu’à la dictature. Réduire cet argument en miettes n’est guère difficile : l’œuvre de Karl Marx compte des milliers de pages, écrites à différentes périodes de sa vie et touchant à de multiples domaines (économie, histoire, politique, sociologie…). Vouloir enfermer le tout dans un goulag de la pensée nommé « URSS » ne peut se faire que par un procès d’intention terriblement réducteur, et malhonnête sur le plan intellectuel. En effet, si Karl Marx évoque la dictature du prolétariat (qu’il ne définit pas) comme un stade nécessaire pour passer du capitalisme au socialisme sur Terre, ce processus est à ses yeux provisoire. Comment imaginer que l’auteur de Das Kapital aurait approuvé, durant des décennies, un système politique s’appuyant sur des structures étatiques boursouflées au point de brider toute autonomie locale, y compris celle du monde ouvrier ? Qui plus est, une grande partie de l’œuvre de Karl Marx vise à mettre en lumière les différents rouages du capitalisme (rapports entre monnaie et marchandises, formation du capital, exploitation des travailleurs et monopolisation des richesses, nécessité de l’expansion Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page10 continue du système…). Ce faisant, Karl Marx a légué des outils théoriques qui peuvent servir plus d’un siècle après sa mort – même s’ils ont parfois vieilli et méritent d’être aiguisés à l’aune de concepts plus récents – pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Par ailleurs, la critique sans concessions de l’autoritarisme et du pouvoir présente chez Karl Marx peut parfaitement être utilisée (comme on l’a brièvement fait avec son concept d’accumulation primitive) pour dénoncer les pires travers du régime soviétique. Bref, on ne peut réduire une œuvre aussi colossale, subtile, intelligente et touffue aux seuls crimes et fléaux que d’aucuns ont commis en son nom. À l’inverse, il est important de comprendre comment, portés par un fol enthousiasme de justice sociale, des foules entières (en URSS comme au-dehors) ont pu vénérer un système oppressif de façon aussi aveugle que… les plus radicaux des religieux prêts à tous les extrêmes pour défendre et répandre leur foi. On doit aussi se souvenir des nombreux socialistes (souvent proches du courant anarchiste) qui ont mis en garde Karl Marx, de son vivant, des dérives autoritaires et despotiques présentes en germe dans son œuvre, notamment lorsqu’il propose une dictature du prolétariat en guise de sortie du capitalisme. L’esprit critique recommande donc d’investiguer davantage avant d’exonérer Marx de toute responsabilité. Car à bien chercher, on peut trouver par moments des ponts idéologiques entre l’œuvre de Marx et certains traits pathologiques de l’URSS. Pour mettre ces ponts en évidence, replongeons un instant dans un écrit publié en 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels : le Manifeste du parti communiste3 . Un socialisme scientifique ? Réalisé à la demande de la Ligue des communistes, une association fondée à Londres en 1847 par des militants socialistes issus de divers pays, le Manifeste du parti communiste cherchait à distinguer cette ligue naissante des autres courants socialistes alors existants. Frappé de censure dans de nombreux pays, le Manifeste va toutefois connaître un immense succès au cours des décennies suivantes… tout particulièrement chez les « enfants » spirituels de Karl Marx. À ce titre, il peut être considéré comme l’acte fondateur qui intronise certaines grandes vérités propres au monde communiste. La première de ces vérités est paradoxale : alors que ses auteurs considèrent le texte du Manifeste comme susceptible d’évoluer avec le temps, ils y gravent aussi des théories qui se veulent universelles, censées exister partout depuis toujours. Il en est ainsi pour la lutte des classes : « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. »xiv Concrètement, selon le Manifeste, « homme libre et esclave, patricien et plébéien, seigneur et serf, maître et compagnon, bref, oppresseurs et opprimés ont été en constante opposition ; ils se sont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une lutte qui s’est chaque fois terminée par une transformation révolutionnaire de la société tout entière ou par l’anéantissement des deux classes en lutte. »xv Aussi généreux soit-il dans ses intentions, ce point de vue en surplomb sur le monde n’est pas neutre : écrit par des Occidentaux à l’époque coloniale, il ignore tout ou presque des réalités indigènes… 3 Dans les trois chapitres à venir (Un socialisme scientifique, Le sens de l’histoire, Théorie du peuple élu et hiérarchie sociale), toutes les citations sont extraites du Manifeste du parti communiste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page11 Si la lutte des classes peut s’appliquer dans une certaine mesure aux grands empires nés suite à la révolution néolithique il y a 10.000 ans d’ici (les élites urbaines y possédant un réel pouvoir d’oppression sur autrui), on peut difficilement la concevoir au sein des sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs. Certes les hiérarchies sociales y existaient, les conflits et les boucs-émissaires aussi, mais sans jamais servir des pouvoirs centraux éloignés des gens ni créer d’antagonismes rigides permanents. Dans les sociétés nomades d’antan, le « pouvoir » était local mais aussi fluctuant, partagé, ambivalent. La cohésion du groupe étant un facteur déterminant pour survivre, la manière d’y tisser les liens instituait des complémentarités sociales faisant fluctuer la répartition du pouvoir. La direction des opérations pouvait varier selon le type de tâches à effectuer ou au gré des décisions du groupe, et les vérités d’un jour n’étaient pas nécessairement celles du lendemain. Même plus tard, chez les peuples d’éleveurs ou dans les premiers villages agricoles où germait une plus forte stratification sociale, le pouvoir restait chose ambivalente. Diriger le groupe était un honneur serti ou non de privilèges, mais aussi lesté d’un boulet de contraintes variant d’une société à l’autre. Par exemple, dans certaines sociétés africaines où la tribu prêtait des pouvoirs magiques à son « chef » – comme la capacité de fertiliser le territoire pour rendre la vie possible, disposer de ressources et avoir des enfants -, ce même « chef » pouvait être sacrifié s’il manquait à son devoir religieux… à cause d’une trop longue sécheresse par exemple. De même, chez les peuples amérindiens4 , le pouvoir n’était ni absolu ni mobilisé par une élite homogène : pour être légitime, il devait réunir les morceaux fragmentés d’un puzzle détenus par différents groupes sociaux… incarnant différentes composantes de la population. Par exemple, dans la Cordillère des Andes, la complémentarité des contraires (haut/bas, feu/eau, ordre/désordre, extérieur/intérieur, etc.) a structuré la vie sociale durant des millénaires, des plus modestes communautés villageoises au très hiérarchisé empire inca.xvi Sachant d’une part que les Homo sapiens existent approximativement depuis 300.000 ans, d’autre part que la révolution néolithique n’est apparue qu’il y a 10.000 ans environ, près de 95 % de l’histoire humaine est peuplée de sociétés nomades ne creusant pas d’inégalités abyssales en termes de droits ou de richesses parmi ses membres. Bref, « l’éternelle » lutte des classes est un concept relatif, d’une portée historique plus limitée que ne pouvaient l’imaginer Karl Marx et Friedrich Engels. Pourtant, ces derniers ne considéraient pas leur théorie comme historiquement datée, mais bien comme une véritable donnée scientifique : « Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, sur des principes, inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des rapports effectifs d’une lutte de classe qui existe, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »xvii Il y a donc, dans le Manifeste (et plus généralement dans le Capital de Karl Marx) une prétention à saisir le monde de façon objective, fiable, certaine, pour en révéler les mystères cachés avec l’assurance de ne pas se tromper. Ce faisant, Karl Marx et Friedrich Engels étaient victimes des croyances de leur temps : le XIXe siècle. Une époque où les scientifiques occidentaux (toutes tendances politiques confondues) rêvaient de découvrir, de façon objective, les grands principes éternels gouvernant le monde. La physique quantique, la philosophie des sciences et l’épistémologie n’étaient pas encore passées par là pour nous apprendre qu’un observateur neutre n’existe pas. Qu’il est tout simplement impossible de raconter une 4 Noms donné aux populations qui peuplaient l’Amérique avant sa « découverte » par Christophe Colomb et les sanglantes conquêtes occidentales. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page12 histoire sans la farcir de biais subjectifs, notamment culturels et identitaires, étroitement liés aux croyances et valeurs dominant – de façon consciente mais surtout inconsciente – l’époque et la société dans laquelle nous vivons. À titre d’exemple, notre conception moderne de l’identité humaine réduite aux seuls Homo sapiens n’est pas universelle. Elle est même étroite et bornée, comme racrapotée, si on la compare aux relations identitaires forgées par les peuples animistes qui incluaient la majorité des vivants – animaux, plantes voire certains minéraux – au sein du club des âmes pensantes dotées d’envies, de désirs, de projets, de relations, d’amitiés, d’inimitiés, de bonnes et mauvaises façons de se conduire en société – en deux mots : de cœur et d’intelligence.xviii (Notons-le : sur base des découvertes engrangées au cours des dernières décennies, les sciences du vivant tendent à leur donner raison5 !). Ignorant les profondeurs intimes de la subjectivité inhérente à toute analyse historique ou sociologique6 , Marx et Engels avaient pour ambition de mettre en place un socialisme scientifique. C’està-dire objectif et fiable à 100 %. C’est pourquoi ils écrivent dans le Manifeste : « Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus décidée, la plus mobilisatrice des partis ouvriers de tous les pays ; théoriquement, ils ont, sur le reste de la masse du prolétariat, l’avantage d’une vision claire des conditions, de la manière et des résultats généraux du mouvement prolétarien. »xix Le sens de l’histoire Si les analyses de Marx regorgent à bien des égards de finesse et de subtilité, il est par contre un domaine où le déterminisme rigide est roi : la vision de l’histoire. Pour résumer fortement la chose, Marx pensait que chaque époque avait ses oppresseurs et ses opprimés, les premiers s’appropriant les ressources pour développer un mode de production leur permettant d’asservir les seconds. Tôt ou tard, ces derniers se rebiffent pour faire la révolution. Si celle-ci parvient à ses fins, l’ancien mode de production est alors abandonné pour faire place à une nouvelle forme d’appropriation des ressources, gérées par une nouvelle classe d’exploiteurs prenant l’ascendant sur l’ancienne élite devenue obsolète. Au cours de la longue histoire, les esclaves se sont ainsi opposés aux hommes libres, les plébéiens aux patriciens, les serfs paysans aux seigneurs médiévaux pour mener finalement aux « révolutions bourgeoises » des XVIIe et XVIIIe siècles, aux cours desquelles la noblesse céda le pas – et plia même le genou – devant la bourgeoisie. Propriétaire du capital, cette dernière impose son mode de production, le capitalisme et la liberté du commerce, en faisant crever de misère la classe ouvrière. Pour Marx et Engels, cet engrenage de révolutions repose sur un mécanisme vital : le développement des forces productives. Afin de prospérer, les élites dominantes inventent de nouvelles technologies et développent de nouveaux modes de production et d’échanges. Cela modifie les dynamiques sociales et bouscule les rapports de force entre exploiteurs et exploités, jusqu’au jour où le développement des forces productives devient si important qu’il rend le contexte mûr pour une révolution. Un groupe social dominé prend alors l’ascendant pour dominer les autres à son tour, en les exploitant dans de nouveaux 5 En témoignent notamment les nombreux essais du primatologue Frans de Waal : Sommes-nous trop ‘’bêtes’’ pour comprendre l’intelligence des animaux ? ; Le bonobo, Dieu et nous ; L’âge de l’empathie ; La dernière étreinte… 6 En 2010, René Passet a publié un livre (Les grandes représentations du monde et de l’économie – De l’univers magique eu tourbillon créateur) qui illustre à merveille ce propos, notamment dans la partie consacrée aux liens entre les découvertes de Charles Darwin (1809-1882) et les théories de l’histoire de Karl Marx. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page13 modes de production. Selon Marx et Engels, c’est ainsi que la société médiévale a basculé dans le capitalisme : « à un certain stade du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot les conditions de la propriété féodale ne correspondirent plus aux forces productives déjà développées. Elles entravaient la production au lieu de l’encourager. Elles se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait donc les briser, elles le furent. Elles furent remplacées par la libre concurrence avec l’organisation sociale et politique appropriée, avec la domination économique et politique de la classe bourgeoise. »xx Pour Karl Marx et Friedrich Engels, les forces productives fonctionnent un peu comme une larve d’insecte dans un cocon : dans un premier temps, elles correspondent à la taille et aux besoins de l’élite dominante (qui fait ici office de cocon). Puis, en se développant, la larve des forces productives crée des tensions grandissantes entre dominants et dominés qui finissent un jour par rompre le cocon : l’élite dominante s’étiole alors pour laisser place à une nouvelle élite, tissant un autre cocon, plus vaste, plus efficace, toujours oppressif, jusqu’au moment où la croissance des forces productives et des tensions internes parvient à le rompre à son tour. Appliqué au capitalisme du XIXe siècle, le développement des forces productives se nourrit de la grande industrie et de l’extension planétaire des réseaux marchands car « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux. » xxiii xxi Chemin faisant, la bourgeoisie piétine et détruit de nombreuses organisations sociales liées au passé, pour créer un monde où ne subsiste « d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt nu, que le froid ‘’argent comptant’’. »xxii Aussi cruelle soit-elle pour les personnes qui en souffrent, cette oppression n’est qu’éphémère. Car elle nourrit en son sein une masse croissante de gens déçus et exploités : « les anciennes petites classes moyennes, les petits industriels, commerçants et rentiers, les artisans et paysans, toutes ces classes sombrent dans le prolétariat, soit que leur petit capital ne suffise pas à pratiquer la grande industrie et ne résiste pas à la concurrence des plus grands capitalistes, soit que leur habileté soit dévalorisée par de nouveaux procédés de production. Ainsi le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population. » L’histoire au long cours se poursuit donc : en développant de nouvelles forces productives pour répondre à ses besoins, la bourgeoisie génère également toujours plus de raisons de s’opposer à elles. Sans y mettre le moindre soupçon de doute (ce qui peut aussi s’expliquer par les crises de surproduction qui se succèdent alors à un rythme effréné), Marx et Engels prédisent l’avènement prochain de la révolution prolétarienne : « le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie dont la bourgeoisie est l’agent dépourvu de volonté et de résistance, substitue à l’isolement des ouvriers, dans la concurrence, leur union révolutionnaire dans l’association. Avec le développement de la grande industrie, la bourgeoisie voit se dérober sous ses pieds la base même sur laquelle elle produit et s’approprie les produits. Elle produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inéluctables. »xxiv Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page14 Théorie du peuple et hiérarchie sociale Porté par le développement des forces productives, l’avenir a donc pour Marx et Engels une destination objectivement identifiable : la révolution prolétarienne. Et contrairement aux révolutions d’antan, celleci ne va pas forger un cocon oppressant appelé à se rompre. En effet, si les révolutions passées ont toujours donné naissance à de nouvelles formes d’exploitation (« toutes les classes, qui ont précédemment conquis la suprématie, se sont efforcées d’assurer leurs conditions de vie acquises en soumettant la société entière à leur propre mode d’appropriation. »xxv), il n’en sera pas de même avec la classe ouvrière selon les auteurs du Manifeste. Certes, comme tant d’autres classes opprimées auparavant (bourgeoisie comprise), le monde ouvrier va prendre le pouvoir par la force : « le prolétariat utilisera sa domination politique pour arracher peu à peu tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter le plus rapidement possible la masse des forces de production. Mais cela ne peut naturellement se produire au départ qu’au moyen d’intrusions despotiques dans le droit de propriété et les rapports de production bourgeois, donc par des mesures qui paraissent économiquement insuffisantes et insoutenables, mais qui se dépassent elles-mêmes au cours du mouvement, et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. »xxvi En prenant le pouvoir, la classe ouvrière va nécessairement abolir les mécanismes constitutifs du capitalisme pour arracher des mains de la bourgeoisie le monopole des moyens de production. Autrement dit, le communisme veut supprimer la propriété privée dès lors qu’elle permet de s’enrichir en pillant la force de travail des salariés. En lieu et place, ils imaginent des ressources socialisées que la libre-association ouvrière formant le nouvel État va mettre au service de tous. Par on ne sait quel miracle, le monde ouvrier libéré de ses chaînes est censé échapper à l’envie d’opprimer son prochain pour accoucher d’un monde idyllique sans hiérarchie ni dominance : « les différences de classes une fois disparues au cours du développement, et toute la production concentrée entre les mains d’individus associés, les pouvoirs publics perdent leur caractère politique. […] Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, doit nécessairement s’unir en une classe, s’il se constitue en classe dominante à la suite d’une révolution, et s’il abolit par la violence, en tant que classe dominante, les anciens rapports de production, il abolit du même coup avec ces rapports de production les conditions d’existence de l’opposition de classe, et par là même les classes, et par suite sa propre domination de classe. À la place de l’ancienne société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classe surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »xxvii Se démarquant de tous les groupes sociaux qui ont façonné la longue histoire humaine, le prolétariat librement organisé échapperait donc aux rapports de force, à l’éternelle malédiction de créer du pouvoir et d’en abuser, pour engendrer une société harmonieuse où chaque humain serait l’égal de l’autre. Une sorte de socialisme parfait réalisé sur Terre ! Évidemment, il s’agit d’une chimère. D’un rêve éveillé. D’une belle utopie pouvant servir de ligne d’horizon vers laquelle tendre, mais qu’il est impossible de toucher du doigt en raison d’un « détail » essentiel : la vie. Bien avant l’apparition des Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page15 premiers humains, les animaux vivant en société avaient déjà inventé l’empathie et la subjectivité, c’està-dire le besoin de préférer certains êtres à d’autres. Des millions d’années plus tard, cette logique est toujours la nôtre quand, pour vivre en société, nous nous référons à des critères identitaires pour distinguer – en leur accordant des statuts plus ou moins prestigieux, en leur confiant des missions particulières, en leur conférant des droits et devoirs spécifiques, etc. – certains groupes sociaux. Il en est ainsi de la famille par exemple, où le statut des enfants n’est pas celui des parents. Des plus lointaines tribus antiques aux sociétés contemporaines, nul n’échappe au besoin de dresser des frontières entre « nous » et « les autres », notamment pour valoriser certains groupes sociaux et jeter l’opprobre sur d’autres. Le Manifeste du parti communiste en est d’ailleurs une parfaite illustration. À son sommet idéologique, il y a un « peuple élu » qui se distingue de tous les autres : le prolétariat organisé en libre association. Auréolé du pouvoir d’abolir toute forme d’oppression (ce que nul n’est parvenu à faire auparavant), il est un peu le Jésus-Christ de Karl Marx et Friedrich Engels. Le seul messie à suivre pour sortir des méandres nauséabonds du capitalisme. Comparé à la classe ouvrière, toutes les autres formes d’organisations sociales (passées comme présentes) font pâle figure dans le Manifeste. Il en est ainsi des peuples indigènes par exemple : bien qu’exploités et opprimés par l’Occident colonial, leur sort spécifique n’intéresse guère Marx et Engels. Si ces derniers évoquent les populations colonisées, c’est presque par hasard, au détour de déambulations théoriques où les brèves apparitions des « pays barbares ou à demi-barbares » s’accompagnent des clichés péjoratifs de l’époque coloniale distinguant la civilisation occidentale des « barbares xénophobes les plus entêtés »xxviii. Partant d’une sombre nuit primitive peuplée de sauvages peu amènes pour avancer ensuite, cahin-caha, vers un monde meilleur où progrès technique et humain marchent main dans la main jusqu’à la révolution prolétarienne, le sens de l’histoire dévoilé par les pères fondateurs du communisme est en parfaite symbiose avec l’idéologie évolutionniste et les poncifs discriminatoires de leur temps. Finalement, dans la perspective de la lutte des classes, les peuples indigènes (tout comme les nobles, les paysans, les bourgeois, etc.) sont nés du mauvais côté de l’histoire. Ils appartiennent à un passé qu’il faut fuir pour aller de l’avant. Sous l’action bénéfique du développement des forces productives, ils sont voués à se désagréger pour se fondre dans le prolétariat, seul cœur battant du socialisme heureux de demain. Tel est le sens correct de l’histoire. La seule manière scientifique d’en parler selon Marx et Engels. D’ailleurs, pour jauger les mouvements socialistes concurrents, c’est leur degré de proximité ou d’éloignement avec la vision communiste de l’histoire qui leur vaut d’être qualifiés tantôt de conservateurs, tantôt d’utopistes, les pires d’entre eux étant les réactionnaires – un péché ultime qui consiste à vouloir « faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »xxix Du Manifeste à l’URSS Ici s’achève notre parcours du Manifeste du parti communiste où, signalons-le, nous avons surtout mis en évidence les parties les plus rigides, donc aussi les moins riches, du raisonnement communiste de l’époque. Nous pouvons à présent en revenir aux ponts virtuels existant avec le régime politique de l’URSS né, pour rappel, plus de sept décennies après la publication du Manifeste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page16 Le premier pont est celui des certitudes absolues : de toutes les forces socialistes, les communistes seraient les seuls à voir clairement le sens de l’histoire. Grâce aux armes théoriques forgées par Marx et Engels, ils se sentent beaucoup mieux placés que tous les autres pour comprendre et le rôle historique du prolétariat, et la nécessité de développer les forces productives avivant les tensions au sein du capitalisme jusqu’à provoquer sa destruction, au terme d’une révolution abolissant toute forme de propriété bourgeoise. Le passage en force de Lénine pour s’emparer du pouvoir et mettre fin à tout pluralisme politique en Russie s’inscrit clairement dans cette logique. Deuxième pont : le développement des forces productives. Selon le Manifeste, la croissance des manufactures, des réseaux marchands et des innovations techniques capitalistes était un facteur déterminant pour que l’histoire avance de quelques pas supplémentaires…. Or, Marx et Engels rêvaient de la voir courir à vive allure pour atteindre l’étape suivante : la révolution prolétarienne. Autrement dit, l’essor de l’économie est une nécessité absolue selon les pères fondateurs du communisme. Cette leçon théorique, les Bolcheviks de Russie vont en faire un bréviaire en misant gros sur le développement des activités industrielles… quitte à mettre sens dessus dessous la société russe et le monde des campagnes comme on l’a vu précédemment. Troisième pont : l’assaut contre la propriété privée et la socialisation des moyens de production. Même si ces mesures n’étaient pas gravées pour l’éternité dans le marbre (Karl Marx et Friedrich Engels faisant savoir qu’elles étaient appelées à évoluer en fonction des circonstances historiques), il y a dans le Manifeste des propositions concrètes qui ne sont pas sans rappeler la politique collectiviste de l’URSS. Citons-les : « expropriation de la liberté foncière », « impôt fortement progressif », « abolition de l’héritage », « confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles », « centralisation du crédit entre les mains de l’État au moyen d’une banque nationale et à monopole exclusif », « centralisation de tous les moyens de production entre les mains de l’État », « multiplication des manufactures nationales, des instruments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif » avec l’« obligation de travail pour tous » et l’« organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture. »xxx Plus faciles à coucher sur papier qu’à réaliser dans une société réelle, toutes ces propositions – imposées unilatéralement, de façon simultanée et dans une logique jusqu’au-boutiste – ne peuvent qu’attiser les tensions et entrainer moult résistances de la part des groupes sociaux qui en sont victimes. Le bras de fer opposant Moscou au paysans « kolkhorizés »7 de force en est une illustration frappante. Pour gagner la partie à l’aube des années 1930, le parti communiste d’URSS s’est engagé résolument, au point de s’y enfoncer jusqu’à la folie, dans les marécages d’un pouvoir absolutiste. Abusant de contrôles, de violences et de répressions massives, le pouvoir central a imposé, du haut vers le bas, ses dogmes et diktats à toutes les communautés locales (administration, échelons inférieurs du parti, usines, villages, etc.). C’est ici qu’a lieu le divorce profond, irrémédiable, entre l’URSS et l’esprit du Manifeste du parti communiste. Karl Marx et Friedrich Engels rêvaient d’un monde de libre-association, où la base ouvrière devait jouir d’une grande autonomie afin d’émanciper l’ensemble de la société. Soit l’exact inverse de 7 Pour rappel, les kolkhozes étaient des fermes collectives où la « coopération forcée » était de mise. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page17 ce qui s’est produit en URSS : à l’instar de nombreux groupes sociaux, les ouvrières furent de simples pions sur l’échiquier du pouvoir rouge, reposant de facto dans les mains d’un État-Tyran incarné par le parti, l’administration et les services de sécurité. Raison pour laquelle le prolétariat, ce peuple élu cher au cœur de Marx et Engels, ne fut qu’un slogan creux dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques se revendiquant, à l’échelle du monde, comme le seul porte-drapeau du communisme réel (à tout le moins jusqu’en 1949 et l’arrivée au pouvoir de Máo Zédōng en République populaire de Chine, une autre dictature rouge). Qu’ils soient rouges ou noirs, les paradis terrestres n’existent pas Que retenir de cet échec ? À plus de 70 ans d’intervalle, le Manifeste du parti communiste et le régime politique qui s’en disait issu présentent des dissemblances et des similitudes. Selon ce qu’on choisit d’y voir, selon qu’on s’attache à traverser les ponts existants ou à mesurer la profondeur de l’abîme séparant le projet théorique de sa prétendue réalisation, on peut parvenir à deux conclusions diamétralement opposées. Pour les communistes gravitant dans l’orbite de Moscou – qu’on qualifiera ici d’orthodoxes -, l’URSS était le paradis sur Terre. Aveugles à la folie répressive des dirigeants communistes, ils voulaient y voir l’heureuse patrie du socialisme réalisé sur Terre, avec la ferme intention d’en faire bientôt l’avenir universel du genre humain. Une position qui fut souvent (mais pas toujours) le credo des partis communistes officiels établis hors de l’URSS, où le purisme idéologique prosoviétique se figea en dogme n’acceptant aucune divergence de vue. Même en 1968, lorsque les chars russes envahissent au grand jour Prague pour annihiler l’essai politique tchécoslovaque d’un « communisme à visage humain », nombreuses furent les organisations communistes orthodoxes à bannir toute contestation dans leurs rangs, celles-ci ne pouvant que « faire le jeu de l’ennemi ». Brandissant comme autant de victoires certaines réussites de l’URSS dans le développement des arts, des sciences, de la médecine, des services publics ou encore la mise à mort de dictatures pro-américaines (comme le régime mafieux sévissant à Cuba jusqu’à la prise de pouvoir de Fidel Castro et Che Guevara), ces communistes orthodoxes menaient partout une opposition farouche au capitalisme en revendiquant invariablement l’URSS comme modèle. Bien plus sensée, la position opposée consistait à critiquer la dictature sévissant en URSS (ce qui n’empêche pas, comme le fit Moshe Lewin, d’introduire des nuances historiques et contextuelles). Une opinion partagée par une multitude de groupes sociaux antagonistes. D’un côté, il y avait bien entendu la critique caricaturale des tenants de l’ordre libéral-chrétien : États-Unis d’Amérique, gouvernements alliés et ensemble des partis politiques opposés à tout projet socialiste. De l’autre côté, les forces de gauche non alignées sur Moscou constituaient un patchwork hétéroclite de mouvements sociaux toujours pluriel : anarchistes révolutionnaires, communistes hétérodoxes refusant de voir l’URSS de Staline comme la réalisation concrète du projet de Marx et d’Engels, partisans d’un socialisme démocratique voulant certes bousculer le capitalisme mais en prenant la voie de réformes plus ou moins radicales du système. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page18 Parmi ces opposants de gauche à l’URSS, les révolutionnaires s’éparpillaient en multiples mouvances allant des anarchistes aux communistes hétérodoxes. Nombre d’entre eux restaient séduits par certaines grandes figures du combat communiste tels que Fidel Castro, Che Guevara, Lénine ou Léon Trotski. (Dans un merveilleux roman intitulé L’homme qui aimait les chiens, l’écrivain cubain Leonardo Padura entrecroise la disgrâce de Trotski et son exil au Mexique avec le parcours de son assassin Ramon Mercader, agissant sur ordre de Moscou.) Pour certains, le communisme d’URSS avait dévié de son orbite avec Staline. Pour d’autres, le communisme d’URSS était à jeter à la poubelle dès la prise de pouvoir de Lénine. Pour d’autres encore, c’est le principe même du communisme qu’il fallait condamner, c’est Karl Marx et Friedrich Engels qu’il fallait jeter aux oubliettes de l’histoire. En réalité, le bilan à tirer de l’existence de l’URSS est tout autre, plus large et paradoxal. Tout autre : comme on l’a dit précédemment, l’œuvre foisonnante de Marx est loin d’être entièrement soluble dans l’URSS. Certes, il existe des passages rigides et déterministes (« dictés » en quelque sorte par la culture évolutionniste du XIXe siècle) que nous avons mis sur le devant de la scène dans les paragraphes précédents. Toutefois, cela ne peut ni faire oublier les analyses subtiles des rouages du capitalisme, ni effacer les critiques brillamment argumentées contre le libéralisme économique, ni oblitérer les centaines de pages que Marx a consacrées à dénoncer la tyrannie bourgeoise sur le monde ouvrier. Plus large : en dépit de leurs divergences profondes, tous les révolutionnaires (anarchistes, communistes orthodoxes et hétérodoxes) partageaient un rêve commun. Celui de renverser brutalement le capitalisme pour accoucher d’un monde égalitaire, sans oppression, dégagé du poids étouffant des structures étatiques. Hélas, les paradis rouges ou noirs n’existent pas. Autrement dit, les rêves parfaits sont trop beaux pour être vrais. Faire germer un collectif planétaire sans contradictions, sans rapports de force, sans hiérarchies politiques ou distinctions sociales est un pur fantasme de l’esprit. Un projet hors-sol magnifique sur papier, mais qui tourne à l’enfer pavé de bonnes intentions dès qu’on veut forcer sa réalisation dans une société bien réelle. Vue à hauteur du XXIe siècle, l’histoire de l’URSS a au moins ce mérite : prévenir les utopistes de tous bords qu’à vouloir toucher du doigt l’horizon d’un monde idyllique, on finit par mettre le pied dans des engrenages toxiques qui font tourner la roue de l’utopie à l’envers, transformant alors un merveilleux rêve égalitaire en cauchemar éveillé sur Terre. Comme l’a joliment écrit Louis Aragon (1897-1982), communiste orthodoxe mais fabuleux poète, « songez qu’on n’arrête jamais de sa battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien. Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable. Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables. Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien. »xxxi À ce constat réaliste, ajoutons alors ce bémol paradoxal : par son existence sur un vaste territoire, par son statut de superpuissance planétaire, par l’espoir qu’elle a insufflé à de nombreux mouvements révolutionnaires, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a aussi provoqué une « peur du rouge » au sein des élites européennes. Ce qui a donné au mouvement ouvrier une aura sans pareille pour faire trembler sur ses bases l’ordre libéral-chrétien. Effrayées par le succès populaire des idéaux révolutionnaires, les grèves massives et la détermination du mouvement ouvrier, les gouvernements occidentaux ont eu peur de perdre la partie. Pour s’éviter une défaite au jeu cruel de la lutte des classes, Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page19 les élites politiques partageant l’imaginaire marchand des grands capitalistes ont alors usé de diverses options pour l’emporter sur le communisme. Mentir. Ruser. Réprimer. Tyranniser. Mais aussi admettre qu’à la guerre, quand l’ennemi est trop fort, mieux vaut parfois négocier… Apports des révolutionnaires dans le bras de fer entre ouvriers et capitalistes Tout au long du XIXe siècle la bourgeoise et ses alliés politiques ont réprimé, autant qu’ils le pouvaient, les luttes ouvrières exigeant des droits collectifs et un minimum de dignité pour les travailleuses. Qu’on parle du travail des enfants, de l’absence de congés, de salaires misérables pour des journées de labeur interminables ou bien encore de conditions de travail dangereuses voire mortelles, rien de tout cela ne paraissait injuste ou inhumain aux yeux des grands capitaines de l’industrie capitaliste. À leurs yeux, le peuple ouvrier devait se contenter d’être docile et obéissant, toujours prêt à courber l’échine devant les attentes du patron. Pour que les choses bougent en leur faveur, les gens modestes ont dû s’organiser et se battre ensemble au risque de finir en prison, d’être viré de leur boulot ou d’y perdre carrément la vie. L’État soutenait en effet corps et âme les patrons en réprimant durement les foules en colère traitées comme de dangereux démons. Malgré tout, de victoires en déroutes, les gens modestes n’ont rien lâché. Leurs conditions de vie étaient si avilissantes et précaires qu’ils n’avaient pas grand-chose à perdre. Toutefois, le désespoir seul ne suffit pas à rassembler des foules. Pour se battre et conquérir des droits, il faut aussi avoir l’espoir que de meilleurs lendemains sont possibles. Il faut croire qu’en agissant collectivement les choses peuvent s’améliorer. Et ce rêve capable d’agiter les foules, ce sont les diverses mouvances du socialisme qui lui ont donné vie. Anarchistes de gauche, communistes révolutionnaires, socialistes réformistes : tous ont contribué aux premiers succès du mouvement ouvrier. Parmi eux, les révolutionnaires ont joué un rôle essentiel. Tout d’abord, leur promesse d’un monde débarrassé de toute oppression enflammait les esprits et la volonté de lutter jusqu’à la victoire. Prenons par exemple le marxisme. Il avait le mérite d’offrir une lecture claire des enjeux : si les travailleurs trimaient du matin au soir pour des salaires de misère, la faute incombait à la voracité sans frein des capitalistes. L’usine était organisée comme un camp militaire avec ses murs d’enceinte, une hiérarchie stricte, des ordres beuglés d’en-haut et une implacable discipline. Celle-ci offrait en pâture aux machines des corps et des muscles payés trois fois rien. C’est donc sur la misère et la sueur d’autres humains que les propriétaires de capitaux s’enrichissaient quotidiennement. Pour amasser des fortunes colossales, les capitalistes étaient prêts à tout… y compris se dévorer entre eux ! Dans Le Capital, Karl Marx explique comment les capitalistes aux épaules trop frêles pour suivre la cadence des luttes commerciales tombent ou se font avaler par plus gros qu’eux : « La bataille de la concurrence se mène par l’abaissement du prix des marchandises. Le bas prix des marchandises dépend, caeteris paribus, de la productivité du travail, mais celle-ci dépend de l’échelle de la production. Il s’ensuit que les capitaux plus grands battent les plus petits. » Ainsi, la concurrence Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page20 « se termine toujours par la ruine de nombreux petits capitalistes, dont les capitaux passent, pour une part entre les mains du vainqueur et, pour l’autre, trépassent. »xxxii Dans le capitalisme décrit par Marx, la logique du marché est semblable à celle du poker : au fur et à mesure que les perdants disparaissent dans les couches misérables de la société, le stock de capital possédé par les vainqueurs grossit jusqu’à bâtir des fortunes colossales… qui sont autant d’instruments de pouvoir redoutables. En faisant un lien entre l’accumulation de richesses des détenteurs de capitaux et le basculement dans la pauvreté des salariées et des capitalistes ruinés, Karl Marx parlait immanquablement au cœur des innombrables prolétaires travaillant nuit et jour sans même gagner de quoi nourrir correctement leurs enfants. À tous ces déçus miséreux des régimes politiques dominant l’Europe du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, le marxisme (et les socialismes révolutionnaires en général) offrait un formidable galvanisant : si l’on voulait que ça change, il fallait s’unir, s’organiser et se battre contre les capitalistes et leurs alliés politiques jusqu’à les faire plier. À ces apports théoriques du marxisme, ajoutons que l’existence de l’URSS – présentée à tort comme une sorte de paradis rouge sur Terre – a eu un effet « épouvantail » sur les dirigeants du monde capitaliste. Jusqu’alors sourdes aux appels de la rue, les élites marchandes et politiques ont pris peur face aux succès populaires des socialismes radicaux. Elles ont craint que les petites mains disparates exploitées dans leurs usines – une fois rassemblées en foule déterminée à obtenir un monde plus juste – ne les expulsent manu militari de leur tour d’ivoire dorée. Pour y rester, elles ont alors concédé aux simples mortels des conquêtes culturelles sociales et démocratiques qui ont profondément transformé les sociétés occidentales. Le vent réformiste des conquêtes culturelles, démocratiques et sociales Grâce à la pression mise par les révolutionnaires et les radicaux, des droits nouveaux ont été accordés aux exclus du système : autorisation de créer des mutuelles et des syndicats, élargissement du droit de vote égalitaire, liberté d’expression et d’édition, possibilité de faire grève et de manifester, etc. Devenues citoyennes à part entière, les couches sociales les plus modestes ont pu envoyer dans les parlements des élus pour les représenter. Et lorsque le rapport de forces basculait en leur faveur, des réformes législatives étaient mises en œuvre pour démocratiser les institutions existantes et imposer de massives redistributions des richesses. Pour ce qui concerne les institutions, le monde ouvrier a gagné le droit d’y devenir un contre-pouvoir officiel autorisé à négocier, avec le monde patronal, des droits et des devoirs mieux équilibrés entre salariés et détenteurs de capitaux. Cette démocratisation des institutions s’est effectuée au sein des pouvoirs publics mais également – il ne faut pas l’oublier – au sein des entreprises privées : là où le patronat était jadis tout puissant et seul maître à bord, il devait désormais accepter la présence légale de délégations syndicales représentant les intérêts collectifs des salariées. Ces mutations institutionnelles ont notamment donné vie à l’adoption de nombreuses lois sociales comme les réductions collectives du temps de travail, l’augmentation des salaires ou bien encore l’adoption de mesures d’hygiène et de sécurité pour que les gens ne soient plus obligés de risquer leur vie sur leur Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page21 lieu de travail. L’État a également été reconnu comme un acteur légitime de l’économie. Désormais, il pouvait réguler la vie des entreprises privées mais aussi posséder ses propres entreprises publiques – que ce soit en raison de leur rôle-clé stratégique ou des nombreux emplois existants à préserver. C’est ainsi que des secteurs privés d’activité marchande ont été nationalisés pour confier à l’État-Providence, ce gardien de l’intérêt général, la tâche épineuse d’éviter les crises économiques et de créer de l’emploi afin de garantir une bonne harmonie sociale. Alors que l’État typiquement bourgeois fonctionnait sur le mode d’une privatisation exacerbée de tous les secteurs d’activité, l’avènement de l’État-Providence s’est traduit par des mutualisations massives des richesses. Au nom de l’intérêt général, des taxations élevées ont prélevé d’importantes fractions de leurs revenus aux plus fortunés (entreprises comme individus) pour les redistribuer à la population sous forme de services publics. Qu’on parle d’accès aux transports à tarif réduit pour les familles nombreuses, de bourses d’études octroyées à des étudiants issus de familles sans le sou, de la construction de logements sociaux ou encore de l’engagement d’inspecteurs chargés de vérifier le respect des législations sociales dans les usines, ces services publics ont octroyé des biens et services collectifs à l’ensemble de la population. Parmi ces biens et services collectifs fournis par l’État, il faut citer les subsides alloués à de nombreuses organisations culturelles et humanitaires ne visant aucun objectif commercial. Du secteur associatif au monde artistique, de nombreuses ONG et espaces culturels ont pu voir le jour pour défendre des groupes marginaux ou transmettre des valeurs culturelles différentes de l’idéologie dominante. Par leur existence, ces organisations à but non lucratif ont aussi contribué à démocratiser les sociétés occidentales, notamment en élargissant le débat public à des enjeux cruciaux comme le droit des femmes ou la coopération au développement. À ces constats positifs, ajoutons une autre conquête fondamentale du monde ouvrier : la création, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de systèmes de sécurité sociale. Concrètement, il s’agit d’une politique très ambitieuse de mutualisation des richesses via la constitution d’un immense pot commun financé, de façon obligatoire, par toutes les personnes actives dans la société selon le principe « chacun contribue selon ses moyens ». Ensuite, l’argent de ce pot commun est redistribué sans discrimination aux personnes plongées dans des situations spécifiques : allocations familiales pour les parents d’enfants, allocations de chômage pour les personnes sans travail, congés payés pour les salariés, aide financière pour les personnes handicapées ou victimes d’un accident du travail, droit à la pension pour les personnes âgées et, last but not least, aides financières conséquentes pour permettre l’accès de toutes et tous aux soins de santé (visite chez un médecin, achat de médicaments, prise en charge d’une grande partie des frais d’hospitalisation). Qu’importe que les personnes aidées soient riches ou pauvres, ces redistributions financières sont accordées selon le principe « à chacun selon ses besoins ». On l’oublie trop souvent : si les sociétés occidentales se sont démocratisées pour offrir de bonnes conditions de vie à une large partie de la population, c’est essentiellement à ces conquêtes du monde ouvrier qu’on le doit. Et bien que l’essentiel de ces victoires soit passé par la voie institutionnelle de réformes législatives accordant de nouveaux droits collectifs et libertés aux populations – donnant ainsi raison aux courants réformistes du socialisme -, le bras de fer nécessaire pour faire plier les élites du monde capitaliste fut remporté, en grande partie, grâce à la détermination farouche et aux mobilisations massives orchestrées par les gauches radicales et révolutionnaires. Bref, réformistes et Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page22 révolutionnaires ont contribué – chacun à leur manière – à transformer les sociétés occidentales de la seconde moitié du XXe siècle en endroits où il fait bon vivre. Pour être complet, il faut aussi concéder que ces progrès remarquables n’en restaient pas moins partiels. Tout d’abord, de nombreuses catégories de gens vivant en Occident restaient discriminées de façon négative : c’était notamment le cas des femmes, des migrants, des personnes victimes de racisme, et de tous ces gens traités comme autant de « déchets humains » en raison de leurs croyances religieuses ou de leur attirance sexuelle pour les personnes du même sexe. De nouvelles conquêtes étaient donc nécessaires pour améliorer davantage le principe d’égalité dans les sociétés européennes, où certaines discriminations antiques survivaient jusqu’au cœur des États-Providence. Par ailleurs, vues à l’échelle du monde, ces conquêtes ouvrières étaient des succès locaux hélas cantonnés à une poignée de pays riches et dominants. Ces îlots de prospérité coexistaient donc avec une myriade de dictatures et régimes militaires réprimant férocement leur population. Loin d’être le fruit du hasard ou de la malchance, ces régimes oppressifs étaient en réalité soutenus par les principales puissances capitalistes – comme les États-Unis désireux de contrer l’influence mondiale du communisme – voulant s’assurer l’accès à d’abondantes matières premières et autres ressources énergétiquesxxxiii. Pour vivre dans un monde réellement plus juste, les mouvements sociaux et politiques défendant des objectifs solidaires avaient donc encore énormément de pain sur la planche. Or, à partir des années 1970, on a assisté à un formidable retour de balancier idéologique : désireux de ne plus brader leurs ressources énergétiques à vil prix, les membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) ont orchestré une hausse phénoménale des prix qui a laissé les dirigeants occidentaux béats de surprise. Confrontées à une hausse soudaine des prix de l’énergie, des entreprises ont fait faillite et des multitudes de salariés ont perdu leur emploi pour engendrer une situation inédite : la montée du chômage conjuguée à une hausse du coût de la vie. La recette miracle qui avait façonné les Trente Glorieuses de l’État-Providence cessa brutalement de fonctionner, à charge pour le monde politique de réinventer la manière de vivre en société… Sans gauche radicale forte, la boussole des solidarités cesse de fonctionner Au moment des chocs pétroliers, l’influence de la gauche radicale avait largement décru dans les pays riches. D’une part, les États-Unis avaient tout fait pour rendre impopulaire la gauche radicale en l’associant exclusivement à une forme d’extrémisme anti-démocratique. Passant sous silence ses apports fondamentaux dans les progrès sociaux des décennies précédentes, niant de surcroît son rôle de contre-pouvoir apportant un regard critique sur les multiples oppressions subsistant dans le monde capitaliste, les États-Unis ont véhiculé une image démoniaque du marxisme et des mouvements de gauche radicale. Se faisant, l’Oncle Sam est parvenu à tendre une sorte de cordon sanitaire entre les gauches réformistes et radicales… D’autre part, les nombreuses réformes engrangées par les conquêtes ouvrières avaient considérablement amélioré les conditions de vie du plus grand nombre. C’est pourquoi d’innombrables salariés ne ressentaient plus le besoin de soutenir des mouvements Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page23 révolutionnaires exigeant des transformations radicales du capitalisme. En offrant des salaires convenables, du temps de loisir conséquent et des congés payés, le système tel qu’il existait leur convenait très bien. Au moment d’imaginer un renouveau politique à l’État-Providence sonné et groggy sous les uppercuts des chocs pétroliers, la gauche réformiste était donc la principale force politique se revendiquant du socialisme. Elle faisait de surcroît cavalier seul en considérant la gauche radicale et révolutionnaire comme une troupe d’extrémistes ; le banc patronal, à l’inverse, était vu comme un partenaire fiable de négociation. En abandonnant la boussole idéologique qui avait jadis conduit aux grandes conquêtes ouvrières, les socialistes réformistes étaient comme perdus. Malléables à souhait, ils se sont laissés emporter par des radicaux d’un autre genre : les partisans du néolibéralisme. Pour expliquer la crise économique, des dirigeants politiques comme Ronald Reagan (1911-2004) ou Margareth Thatcher (1925-2013) ont lancé des anathèmes contre l’État-Providence. Ils ont accusé la solidarité de tous les maux et proposé un panel de mesures faisant de l’égoïsme le nouveau centre de gravité du monde politique. Leur idée de base était simple : pour relancer la croissance économique, il fallait libérer les riches du fardeau oppressant des taxes et briser les chaînes encombrantes de législations étatiques kafkaïennes emprisonnant les entreprises. L’État-Providence devait donc subir un régime financier draconien en abandonnant de nombreux services rendus à la population. En lieu et place, les gouvernements devaient se concentrer sur la seule tâche qui importe vraiment dans un monde néolibéral : se mettre au service du marché et des investisseurs en adoptant des lois favorables à la libre-concurrence. Des cadeaux fiscaux pour les entreprises et les grandes fortunes ont ainsi été conjugués à des vagues d’austérité imposées aux pouvoirs publics. Des privatisations massives d’entreprises publiques ont également été orchestrées pour les orienter vers le profit et la rentabilité. Pour répondre aux desiderata des lobbies patronaux, des accords politiques internationaux ont adopté de nouvelles législations rendant possible, entre une multitude de pays, une libre-circulation du capital et des marchandises. La création du marché unique européen jumelé à une monnaie commune en est un exemple parmi beaucoup d’autres. Nommés « accords de libre-échange » dans le jargon néolibéral, ces ententes politiques ont considérablement accru la taille des marchés de consommateurs et ainsi permis de nombreuses fusions et acquisitions d’entreprises. Cette concentration de capitaux (conforme aux prédictions de Marx) a transformé des multinationales déjà puissantes en empires marchands titanesques. Autorisés à déplacer leur argent et marchandises d’un pays à l’autre sans régulations publiques, ces empires privés ont pris en otage les démocraties en plaçant sous leur gorge un couteau menaçant : le chantage aux délocalisations. Pour éviter des fermetures d’usine et des licenciements massifs de la main-d’œuvre, les dirigeants des États-Providence avaient désormais intérêt à raisonner comme des investisseurs. De par le monde, ceux-ci avaient l’embarras du choix pour déplacer leurs lieux de production dans des pays oppressifs où aucun droit collectif n’était accordé aux salariées. À l’inverse, les législations fiscales et sociales avancées des pays démocratiques – imposant des devoirs contraignants au secteur privé – étaient autant de corsets faisant suffoquer les entreprises situées sur ces territoires. Pour les acteurs politiques locaux, la seule solution viable (dans le cadre du néolibéralisme) était d’aguicher les investisseurs en détricotant les conquêtes ouvrières et les mécanismes institutionnels de redistribution des richesses. En libérant les flux mondiaux de capitaux et de marchandises, les politiques dites de « libre-échange » ont donc offert à un groupe social très puissant (les actionnaires majoritaires de firmes multinationales) Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page24 un privilège exorbitant : le shopping législatif. Des acteurs privés titanesques, mobiles à l’échelle de la planète, pouvaient désormais mettre en concurrence les différents régimes politiques et systèmes juridiques attachés à un territoire. Les gouvernements d’une multitude de pays ont ainsi accepté une course effrénée à la compétitivité internationale dans laquelle les conquêtes sociales du passé – à commencer par les droits collectifs des travailleurs – se sont transformés en boulets qu’il faut constamment alléger et réduire. Vu de façon globale, le néolibéralisme a donc inversé le rapport de forces entre la sphère politique et le secteur privé en plaçant l’élite du monde capitaliste en position de juge international – on pourrait aussi écrire d’électeur ultime – des différents systèmes politiques. Leur préférence allant clairement vers des régimes tyranniques livrant aux entreprises une main-d’œuvre docile et mal payée, on a vu se généraliser une course mondiale aux profits se faisant sur le dos des salariées. En Occident, les mots compétitivité et productivité ont été mis au service d’un management presse-citron imposant une organisation du travail despotique reposant notamment sur la sous-traitance, des contrats de travail précaires, des salaires indigents, un sous-effectif chronique, une polyvalence à outrance, etc. Simultanément, les services publics et mécanismes de solidarité institués (comme l’impôt progressif ou le financement de la Sécurité sociale) ont été l’objet d’attaques patronales et gouvernementales incessantes. Au fil des décennies, les filets de protection sociale censés garantir un bien-être minimum à l’ensemble de la population ont perdu en efficacité et légitimité. C’est ce qui explique le basculement d’un nombre croissant de personnes dans la pauvreté. Indifférent à leur sort, le monde politique traditionnel a continué de libéraliser l’économie en promouvant le shopping législatif tout en fredonnant la maxime préférée des libéraux : l’opulence des riches est la condition première des investissements créateurs d’emploi dont les pauvres pourraient éventuellement bénéficier. Les crises contemporaines sont la conséquence d’une idéologie dogmatique S’il est sorti de l’œuf au cours des années 1980 aux États-Unis et en Grande-Bretagne sous Reagan et Thatcher, la résurrection du libéralisme s’est vite généralisée dans l’ensemble du monde capitaliste. Après la chute du mur de Berlin en 1989, on a carrément vu fleurir des discours enflammés annonçant la fin de l’histoire et un avenir radieux pour l’humanité grâce au capitalisme et à l’économie de marché. Ces deux « entités » ont été présentées, toutes époques confondues, comme le meilleur mode de gouvernance possible du genre humain. Au mépris des 300.000 ans d’histoire au cours desquels les Homo sapiens ont expérimenté d’innombrables manières de vivre en société, soudainement il n’y avait plus qu’une seule vérité possible : ériger le monde des grands investisseurs en peuple élu, et tout faire pour les servir. Depuis une quarantaine d’années, le néolibéralisme est ainsi devenu l’alpha et l’oméga de la pensée politique… y compris chez les socialistes réformistes. Après avoir abandonné leur boussole idéologique de gauche radicale et égalitaire, les partis socialistes réformistes ont accepté toutes les compromissions Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page25 avec l’idéologie libérale8 . Au nom de la croissance économique, ils sont montés dans des gouvernements légalisant le shopping législatif des firmes multinationales sur fond de reculs sociaux et démocratiques. Désormais placés dans l’orbite d’empires marchands capables de les sanctionner via des décisions unilatérales (comme la délocalisation des lieux de production ou le licenciement massif de salariées), les parlements nationaux et leurs élus ont perdu la capacité à prendre des décisions souveraines sur leur territoire. Se faisant, le pouvoir politique – qui constitue l’assise légitime des démocraties modernes – s’est pour partie désagrégé en faveur de pouvoirs privés, centralisés dans des conseils d’administration de firmes tentaculaires où le droit d’élire ses représentants est l’apanage de millionnaires et milliardaires détenant une participation majoritaire dans ces sociétés. À l’antipode des promesses faites au lendemain de la chute du mur de Berlin, le néolibéralisme nous a ainsi conduit à un effritement démocratique provoquant une multitude de crises culturelles, sociales et écologiques. Vu à hauteur des années 2020, le bilan des politiques néolibérales pourrait difficilement être pire : À l’échelle de la planète, le soutien politique sans faille aux prédations des multinationales a provoqué une surexploitation des écosystèmes et la production exponentielle de polluants variés (dont les gaz à effet de serre). Malgré l’ampleur des dégâts déjà visibles et les prédictions alarmantes du monde scientifique pour l’avenir, le logiciel dominant la pensée politique contemporaine reste braqué sur une idéologie délétère : assurer une croissance économique perpétuelle en faisant confiance à des empires marchands dont la cupidité est le leitmotiv principal ; Sur le plan géopolitique, le besoin frénétique d’importer des matières premières à bas prix et de fabriquer des marchandises low cost a poussé l’Occident, depuis des lustres, à maintenir des milliards d’habitants dans une pauvreté endémique. À l’aide d’instruments géopolitiques variés (amitiés avec des dictateurs, corruption de dirigeants, vassalisation des populations via l’endettement de leur pays, etc.), les gouvernements des pays riches ont soutenu des régimes oppressifs (à condition qu’ils soient non communistes) sur toute la planète. Le mépris total affiché à l’égard des populations étrangères victimes de ces alliés despotiques a contribué – même si personne n’ose le reconnaître officiellement – à l’essor de mouvements terroristes dont l’Occident fut l’une des victimes. Cela a entraîné en retour l’adoption de législations liberticides rabotant les droits légitimes des citoyens d’une part, et élargissant d’autre part les moyens de contrôle, de surveillance et de répression des forces de police et de leurs soustraitants privés. De nos jours, ces mutations juridiques sont fréquemment utilisées pour criminaliser les mouvements sociaux contestataires (monde syndical, ONG, société civile) que l’État-Providence avait jadis aidé à s’épanouir ; Enfin, le démantèlement progressif des conquêtes ouvrières par les politiques néolibérales a engendré une très forte dualisation sociale. Tandis qu’une poignée d’individus s’enrichissent sans d’autre limite que leur avidité infinie, des milliards d’humains basculent et végètent dans une pauvreté plus ou moins extrême. Désemparés, ces précaires parmi les précaires sont complètement abandonnés par les partis politiques traditionnels qui ont pour priorité de satisfaire le peuple élu des investisseurs. 8 En 2021, Mateo Alaluf a publié (aux éditions Page 2 & Syllepse) un essai à ce propos : Le socialisme malade de la socialdémocratie. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page26 Parvenu à ce stade de l’histoire, être prophète n’est pas nécessaire pour comprendre que le néolibéralisme est une vedette en sursis sur la scène politique. Les impasses dans lesquelles cette idéologie nous a plongés sont désormais beaucoup trop fréquentes et tangibles – à l’image de la crise retentissante des subprimes de 2007 où les pouvoirs publics ont servi de bouée de sauvetage à des banques privées. Si d’aventure les gouvernements s’entêtent à poursuivre dans cette voie où la cupidité est le seul horizon légitime des politiques publiques, le flot de critiques et de déçus ne fera qu’enfler. L’émergence des Gilets Jaunes en 2019 ou des Jeunes manifestant pour le climat sont autant d’indices d’une révolte qui couve et se répand dans le cœur des gens. Toujours en vogue mais déjà has been, l’idéologie néolibérale a des allures de morte-vivante… sans qu’on sache encore ce qui va vraiment la remplacer. Par où est la sortie ? La première option glanant la faveur des électeurs est hélas un monstre boursouflé au visage hideux : les partis politiques aux idéologies discriminatoires et fascistes d’extrême-droite. Ce chemin-là est le choix du pire. Une sorte de sauve-qui-peut morbide où la recherche de boucs-émissaires et l’envie de frapper sur plus petit que soi sont vues comme un moyen légitime de survie dans le bourbier des crises contemporaines. Alimentées par la haine et le mépris de l’autre, ces idéologies nauséabondes ont pour ambition de creuser davantage les inégalités et les discriminations. En prônant la suprématie d’un groupe social (quel qu’il soit) sur tous les autres, ces mouvements affichent le plus souvent un dédain total pour les vivants non humains. Par conséquent, ils figurent souvent parmi les premiers négationnistes du réchauffement climatique et sont les derniers à prendre au sérieux les enjeux écologiques dont ils nient (ou sous-évaluent) l’impact concret sur les populations. Bref, ces gens sont particulièrement mal armés pour combattre les méfaits du néolibéralisme. Avec leur montée en puissance, la dualisation sociale les politiques liberticides et les dégâts humains causés aux écosystèmes ne feront qu’enfler ! Une deuxième option semble bien plus désirable : plébisciter à nouveau des partis de gauche radicale. Animés par un idéal égalitaire, ces partis peuvent faire un excellent gouvernail pour mettre le cap vers davantage de solidarités. Pour réussir ce défi, les partis de gauche radicale doivent évidemment redevenir populaires, mais aussi savoir regarder leur histoire d’un œil critique pour tirer des leçons salvatrices de leurs échecs passés. Tout d’abord, il faut abandonner l’idée qu’il existerait un peuple élu : qu’on parle des prolétaires ou des investisseurs, aucun groupe social ne mérite d’être érigé en sujet omnipotent de l’histoire. Ce qui est vrai à l’échelle locale l’est également au niveau global : développer des droits collectifs sur quelques îlots de prospérité limités à une poignée de pays riches n’a aucun sens si cette opulence se construit en laissant crever de misère le reste de la planète. Les solidarités locales doivent donc s’enraciner dans des institutions publiques défendant des droits collectifs réellement universels, avec la mise en place de mécanismes internationaux de redistribution des richesses tirant les régions les plus pauvres de la planète vers le haut (soit l’exact contraire de la philosophie contemporaine du shopping législatif). Chemin faisant dans cette reconfiguration des liens entre ici et ailleurs, ce sont aussi les rapports identitaires entre humains et non-humains qui doivent être complètement réinventés. Nos sociétés modernes se sont en effet bâties sur une illusion sournoise : l’humain vivrait sur un piédestal qui le Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page27 sépare radicalement de la nature. Appliqué en URRS comme dans le monde capitaliste, cette glorification humaniste a justifié l’asservissement d’innombrables vivants ravalés au rang de simples objets destinés à satisfaire toutes nos envies. Rien n’illustre mieux ce rapport aveugle de domination que les termes usuels employés dans le monde économique lorsqu’on parle de matières premières ou de ressources naturelles. Dans un monde égalitaire, aucun vivant ne devrait être considéré comme un simple moyen de production ! A fortiori lorsque la science nous apprend que l’interdépendance entre toutes les formes de vie est ce qui rend notre existence possible… Pour rêver d’un monde meilleur, s’attaquer aux racines profondes des crises écologiques n’est pas une option mais une nécessité absolue. Nous devons faire descendre l’espèce humaine de son piédestal imaginaire pour tisser, avec les autres espèces, de nouvelles relations diplomatiques – comme le propose notamment le philosophe Baptiste Morizot9 – où chacun peut s’épanouir sans piétiner l’autre. Aucune cause ne justifiant de réduire à néant des milliards de vies, il est urgent d’abandonner une vision du monde exclusivement tournée vers le développement aveugle de l’économie, où l’on nomme production de richesses des pratiques polluantes qui exterminent massivement les espèces et déglinguent dangereusement les écosystèmes. Si elle veut refleurir de façon légitime, la gauche radicale doit donc se fixer un objectif inédit : abandonner les cultes aveugles du développement technique et de la croissance économique. Loin de faire agoniser le capitalisme pour céder la place à un monde meilleur comme le prévoyait Marx, l’idéologie productiviste a bien au contraire permis une extension sans pareille du capitalisme. Après avoir colonisé le monde entier grâce à des technologies de plus en plus efficaces, les empires marchands contemporains lorgnent désormais vers de nouveaux horizons. Ils rêvent notamment d’exploitation minière dans l’espace et forgent des outils polluants (digitaux, génétiques, neurologiques, robotiques…) de plus en plus invasifs. Leur objectif est de transformer ce qu’il y a de plus intime dans nos vies (comme nos gènes, nos pensées et nos rêves) en vulgaire marchandise. Pour y parvenir, ils sont prêts à inventer et propager toutes sortes de mensonges – comme le conte enchanteur de voitures électriques propres alors que le secteur numérique est l’un des plus polluants qui soit aujourd’hui. Si l’on veut réellement s’opposer au capitalisme et à son expansion démentielle mettant en danger la survie des espèces présentes sur cette planète (nous compris), il faut renoncer aux grands rêves productivistes d’hier… Pour le dire autrement, les gauches radicales et réformistes doivent renoncer à cette illusion collective qu’elles ont trop longtemps partagée avec leurs ennemis bourgeois du camp d’en face. 9 Lire notamment son livre Raviver les braises du vivant paru en 2020 chez Actes Sud. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page28 i Article de Nicolas Werth, Pas de révolution sans les soldats, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 48-55. ii Article de Sabine Dullin, Tous aux urnes !, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 74-79. iii Article d’Emilia Koutsova, Le rêve brisé de la démocratie directe, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 60-65. iv Entretien avec Marc Ferro, Personne n’avait anticipé l’explosion de Février, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 34-44. v Sources : articles publiés dans la revue L’Histoire n°432 de Emilia Koutsova, op. cit., pages 60-65 ; Catherine Merridale, Dans le train plombé avec Lénine, pages 66-73 ; Sabine Dullin, op. cit., pages 74-79. vi Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres), et plus particulièrement les parties suivantes du livre : Partie II Collectivisation ou autre chose ? (Chapitres L’arrière-plan immédiat de la collectivisation soviétique & Prendre les céréales : la politique soviétique des collectes agricoles avant la guerre) ; Partie III Léninismes et changement social (chapitres Léninismes et bolchévisme à l’épreuve de l’histoire du pouvoir & Société, État et idéologie sous le premier plan quinquennal & L’arrière-plan social du Stalinisme). vii Ibid., pages 304, 311 & 315, 390. viii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), pages 803-857. ix Moshe Lewin, op. cit., pages 137-150 & 401-405. x Ibid., p.348. xi Ibid., p.337. xii Ibid., p.401. xiii Ibid., p.398. xiv Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, p.51. xv Ibid., p.51. xvi Parmi les nombreux ouvrages d’anthropologie consacrés à ce sujet, on peut notamment lire (pour l’Afrique) Luc de Heusch, Rois nés d’un cœur de vache (mythes et rites bantous) et (pour les Andes) Jacques Malengreau, Sociétés des Andes (des empires aux voisinages). xvii Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xviii Lire à ce propos l’impressionnant travail de recherches de Philippe Descola (notamment son livre Par-delà nature et culture) ou – beaucoup moins poussée mais facile à lire – ma petite Balade au pays des premières religions. xix Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xx Ibid., p.58. xxi Ibid., p.55. xxii Ibid., p.54. xxiii Ibid., pages 61-62 xxiv Ibid., p.68. xxv Ibid., p.66. xxvi Ibid., p.80. xxvii Ibid., p.81. xxviii Ibid., pages 57-58. xxix Ibid., p.65. xxx Ibid., pages 80-81. xxxi Extrait du poème Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, publié dans Les poètes. xxxii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), p.702. xxxiii Lire notamment à ce propos Tim Weiner, L’histoire de la CIA (des cendres en héritage), Paris, éditions Perrin (collection Tempus), 2011 (1ère édit. originale : 2007).
Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passés Étude • Bruno Poncelet • Juillet 2022 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 2 Introduction Fut un temps où l’on rêvait de révolutions. Se battre au nom d’un idéal collectif : l’égalité humaine. Refuser les injustices et les oppressions. Prendre des risques personnels en défiant plus puissant que soi. Militer pour améliorer le sort d’autres humains. Tenter, avec les camarades, d’accoucher d’un monde nouveau. Un monde meilleur. Un monde aussi parfait que possible. Bien qu’ils semblent morts et enterrés de nos jours, ces rêves ont eu le mérite d’exister. Des gens, nombreux, il n’y a pas si longtemps, ont rêvé d’améliorer la vie de leurs semblables. Ils en ont rêvé tellement forts qu’ils se sont battus et ont lutté ensemble. C’était une époque où le mot « camarade » secouait l’âme jusque dans ses tréfonds. Pour quel résultat ? Telle est la question principale de cette étude qui part de l’hypothèse – erronée ou non – que le modèle politique qui a dominé ces dernières décennies arrive à son terme. Bien qu’il soit toujours à la mode, le néolibéralisme sème tellement de crises sur son chemin que sa légitimité est de moins en moins fondée. Alors que les couches sociales les plus aisées accumulent des fortunes indécentes quand de nombreuses personnes basculent dans la pauvreté, comment croire encore que c’est en favorisant les personnes les plus riches qu’on créera de l’harmonie sociale ? De même, la libre-concurrence nous a mené au seuil de crises écologiques majeures avec des empires marchands parfois plus puissants que des États. Des empires marchands autorisés à faire tout et n’importe quoi pour s’enrichir, comme mentir à propos du réchauffement climatique (une spécialité des empires marchands pétroliers) ou exterminer massivement des espèces en rasant des forêts millénaires ou en pratiquant la pêche industrielle. Comment imaginer qu’en poursuivant ce genre de politique, on puisse atténuer les crises écologiques majeures que le néolibéralisme a provoquées ? On peut mentir aux gens un certain temps, mais vient un moment où le masque tombe et les supercheries sont éventées. Même s’il a toujours les faveurs de nombreux gouvernements en place, le cauchemar néolibéral va probablement se fissurer, puis imploser. Pour être optimiste, imaginons alors que nous soyons Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 3 nombreux à vouloir le remplacer par quelque chose de plus heureux. Tournant le dos aux sirènes immondes du repli identitaire glorifiant un groupe social au mépris des autres (comme le proposent les mouvances politiques d’extrême-droite), rêvons un instant de le remplacer par un monde meilleur. Celui d’humains gravitant ensemble autour de valeurs comme la justice sociale et l’égalité. Une chose déjà tentée par le passé… mais qui n’a pas toujours bien tourné. Pour éviter de faire bégayer l’histoire en trébuchant sur les mêmes erreurs, comprendre les raisons de cet échec est important. Pour y parvenir, remontons le fil du temps jusqu’à la création de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Quand un tsar tombe, tout un monde devient possible Tout comme l’œuvre de son grand romancier Fiodor Dostoïevski (1821-1881), la Russie est une terre de contrastes qui ne se laisse pas saisir d’un regard. On peut y déambuler et s’y perdre une vie entière, elle offrira toujours des surprises. Ainsi, après l’échec d’une révolution avortée en 1905 qui n’avait pas réussi à jeter hors du trône le Tsar Nicolas II (un pouvoir à la sauce « Ancien Régime »), voilà que ce dernier s’embourbe dans l’interminable deuxième guerre mondiale, entraînant avec lui des millions de soldats paysans qui vident les campagnes russes de leurs forces vives pour un résultat décevant. D’avril à septembre 1915, le vaste empire russe perd plumes et territoires (Galicie, Pologne, Lituanie, Courlande, partie de la Biélorussie) sous les coups de butoir des troupes ennemies, emmenées par l’AutricheHongrie, l’Empire ottoman et l’Allemagne. Conjugués aux traitements humiliants que les gradés de bonne naissance font subir à leurs propres soldats qu’ils méprisent profondément, ces revers militaires ternissent la réputation du régime tsariste au sein des troupes mobilisées d’abord, dans les campagnes ensuite, et jusqu’au cœur des villes où les classes populaires n’en peuvent plus des privations imposées par la guerrei . En février 1917, dans la capitale russe Petrograd (Saint-Pétersbourg), une manifestation d’ouvrières en grève fait boule de neige et propulse en quelques jours, à la surprise générale, des milliers, puis des dizaines et des centaines de milliers de personnes dans les rues. Qu’elles soient ouvrières, sans travail, anarchistes, activistes ou qu’elles suivent simplement le mouvement, ces personnes qui manifestent n’ont aucune légitimité dans l’empire russe où les droits des citoyens n’ont pas d’existence légale. Aussi, pour mater cette rébellion, Nicolas II ordonne aux troupes de tirer dans la foule… mais les soldats font sédition ! Dans le mois qui suit, l’Ancien Régime s’effondre : le 2 mars, Nicolas II abdique au profit de son frère, Michel II, lequel abandonne à son tour la couronne impériale le 16 mars 1917. Pour les remplacer : une expérimentation politique inédite donne naissance à une double vie institutionnelle. Installé dans l’aile droite du palais de Tauride à Petrograd, un gouvernement provisoire (non élu, mais pluraliste) voit le jour avec l’intention de fonder une nouvelle Russie, établie sur des normes modernes et non plus « médiévales ». Pour bâtir une démocratie participative, le gouvernement provisoire s’attache tout particulièrement à établir des règles et procédures électorales devant permettre à quelques 90 millions de personnes – soit autant de citoyennes et citoyens répartis sur un très vaste territoire – d’élire une Assemblée Constituante. Ce gouvernement provisoire entend par ailleurs mener Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 4 la guerre à son terme pour ne pas manquer la parole donnée aux Alliés européens, emmenés par la France et le Royaume-Uniii . Installé dans l’aile gauche du même palais de Tauride, un comité local (nommé soviet) est formé de délégués directement élus par leurs pairs : à savoir en très grande majorité des soldats (71%) et en minorité des ouvriers d’usine (29%). Dans un Appel aux peuples du monde entier lancé le 14 mars 1917, ce soviet de Petrograd en appelle à la fin des hostilités guerrières, sans annexions territoriales ni indemnités financières. Cet appel fait rapidement tâche d’huile au sein des troupes russes et entraîne, dans diverses régions, la création d’une multitude de soviets locaux, eux aussi composés de représentants directement élus par des soldats et des ouvriersiii. Provenant de toute la Russie, des doléances (parfois écrites au poinçon sur des morceaux d’écorce) affluent par milliers vers Petrograd pour faire connaître l’avis du peuple – ou plutôt des nombreux groupes sociaux qui le composent – au gouvernement provisoire et au soviet de Petrograd. Selon l’historien Marc Ferro, qui a lu et analysé cette volumineuse correspondance populaire, les paysans souhaitaient massivement une redistribution des terres en faveur de celles et ceux qui la travaillent (leur « courrier » évoque également l’instauration d’une République démocratique avec l’élection d’une Assemblée Constituante). Les ouvriers désiraient avant tout obtenir des salaires décents et limiter la journée de travail à huit heures. Quant aux soldats, c’est la fin des règles disciplinaires mesquines dictées par des supérieurs imbus de leur rang qu’ils voulaient prioritairement abrogeriv. L’Ancien Régime est tombé. Malgré la guerre, s’ouvre alors en Russie tout un champ des possibles… Cela n’échappe ni aux chancelleries occidentales, ni au cœur de socialistes russes désireux de changer le monde en mieux. Parmi eux se trouve un opposant au régime du Tsar réfugié en Suisse, à Zurich, où il se consacre corps et âme à la rédaction d’un essai inspiré de Marx : L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Aussi surpris qu’exalté par la démission du Tsar, Vladimir Ilitch Oulianov (alias Lénine) décide de rentrer prestement dans son pays natal. Avec l’aide discrète de l’Allemagne ennemie (qui voit d’un bon œil le retour au bercail d’un Russe opposé à la guerre), Lénine voyage en train pour rejoindre Petrograd où il débarque le 3 avril 1917 en scandant d’emblée : « Tout le pouvoir aux soviets ! ». Révolutionnaire marxiste, Lénine n’est guère partisan d’un régime démocratique moderne, où plusieurs partis se disputent les faveurs des électeurs. Il lui préfère une démocratie directe puisant sa sève au cœur du monde ouvrier. Par ailleurs, la poursuite de la guerre sous l’égide du gouvernement provisoire rend ce dernier de moins en moins populaire, au contraire des partisans de Lénine (les Bolcheviks) qui jouissent d’une influence croissante au sein du monde russe urbain. En témoigne notamment l’élection du camarade Lev Davidovitch Bronstein (alias Troski) à la tête du soviet de Petrograd en septembre 1917. Quelques semaines plus tard, faisant fi du processus électoral lancé dans toute la Russie (dont les résultats partiels plaçaient les Bolcheviks en deuxième position, derrière les Socialistes Révolutionnaires), c’est par la force que Lénine et Trotski décident de renverser le gouvernement provisoire. La Révolution d’Octobre a sonné : pour le meilleur comme pour le pire, elle allait changer le visage de la gauche et la face du monde entierv . Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 5 Dilemmes et ambivalence du pouvoir rouge La Révolution d’Octobre eut lieu (selon notre calendrier moderne) le soir du 7 novembre 1917. Dans les jours qui suivent, le monde entier est secoué par ce séisme politique en provenance de Petrograd : le vaste empire de Russie vient officiellement de passer entre les mains de socialistes inspirés par Karl Marx ! Mais la Révolution est chose fragile, et la victoire des Rouges loin d’être assurée. En mars 1918, quand le traité de Brest-Litovsk marque la fin officielle des hostilités entre l’Allemagne et la Russie, cela fait déjà plusieurs mois que l’ancien empire du Tsar a basculé dans la guerre civile. Celle-ci oppose les partisans de la Révolution bolchévique à de nombreux groupes d’opposants allant des « Russes blancs » (partisans de l’Ancien Régime) à divers mouvements politiques plus ou moins révolutionnaires, mais fermement opposés à une prise de pouvoir par la force. Cette guerre civile va durer plusieurs années et entraîner des conséquences funestes. Tout d’abord, les privations dues aux combats et au manque de bras dans les campagnes vont intensifier les pénuries et conduire à de terribles famines. Ensuite, le pouvoir bolchevik va littéralement se forger dans un monde peuplé d’ennemis, qu’il lui faut coûte que coûte éliminer. Dès leur prise de pouvoir, les Bolcheviks vont ainsi opter pour la répression brutale de leurs opposants mais aussi recourir à une pratique peu glorieuse : les purges. Celles-ci visent à éliminer les voix discordantes, dissidentes et minoritaires dans toutes les institutions russes (parti communiste compris). Une brutalité répressive qui vise aussi le monde ouvrier en grève – que les enfants spirituels de Karl Marx sont pourtant censés soutenir dans leur combat pour de meilleures conditions de vie – réprimé sans état d’âme dès la fin de l’année 1918, par un pouvoir rouge accusant invariablement tous ces fauteurs de troubles d’être instrumentalisés par les ennemis de la Révolutionvi. Le problème, quand on grandit en donnant des coups, c’est qu’on a parfois du mal à se défaire de cette sale habitude par la suite. Certes, comme le raconte l’historien Moshe Lewin (1921-2010), le destin de la Russie « communiste » n’était pas écrit avant d’avoir été joué. Par exemple, au moment d’adopter la Nouvelle Politique Économique (N.E.P.) au début des années 1920, le pouvoir rouge est ambivalent. D’une part, il décide de nationaliser les grands secteurs industriels qu’il veut à tout prix développer. D’autre part, il tend simultanément la main au monde paysan en instaurant davantage de justice sociale via une redistribution des terres aux paysans modestes, tout en pérennisant les modes d’organisations villageoises déjà en place. C’est donc en s’appuyant sur les marchés locaux, par l’intermédiaire d’opérations commerciales classiques, que le nouveau pouvoir installé à Moscou approvisionne en céréales les villes et régions déficitaires en denrées agricoles. Par ailleurs, le parti communiste a beau s’ériger en seul pouvoir légitime, il est également traversé par plusieurs factions et tendances idéologiques dont certaines – emmenées notamment par Boukharine – veulent à tout prix maintenir des activités commerciales privées… complémentaires aux instances étatiques. Enfin, même l’ardent révolutionnaire peu ouvert aux compromis que fut Lénine semble convaincu, dans les dernières années de sa vie, du besoin de ralentir le rythme des réformes imposées au nom de la Révolution, afin d’établir et consolider la légitimité des Bolcheviks au sein de la société russevii. Bref, même après avoir pris le pouvoir par la force, le parti communiste russe aurait pu tendre la main à différentes composantes de la population pour développer une société alternative, certes éprise de solidarités, mais sans pour autant renoncer à une forme de cohésion sociale démocratique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 6 Quand Lénine meurt en 1924, son successeur se nomme Iossif Vissarionovitch Djougachvili (alias Joseph Staline). Dans un premier temps, le nouveau leader du parti communiste fait confiance au compromis avec le monde paysan instauré par la N.E.P. Cependant maintenir à flot le vaste paquebot de l’empire russe est tout sauf simple. Tout d’abord, l’effondrement de la société médiévale au profit d’un pouvoir rouge voulant à tout prix industrialiser la Russie bouleverse les groupes sociaux et repères identitaires établis. Il en résulte une « société de sables mouvants » où les changements de vie et de professions sont légion, où les dégringolades statutaires vertigineuses côtoient les promotions sociales soudaines. Hélas, quand il s’agit d’occuper des places en vue, les personnes happées « vers le haut » ne sont pas toujours les plus compétentes, ni même les plus altruistes. C’est ainsi qu’apparaissent – au sein de l’administration, du parti communiste et des usines – des responsables n’ayant que faire de l’intérêt général ou dépassés par le poids de leurs responsabilités. Ensuite, la pratique des purges se poursuit sous Staline avec l’élimination – symbolique et physique – des opposants. S’institue ainsi une méthode de gouvernance rigide et frigide, c’est-à-dire insensible et imperméable au sort de celles et ceux qui en sont les victimes. Enfin, le parti des Bolcheviks établi à Moscou fait face à l’un des plus vieux démons des pouvoirs centraux depuis l’institution des premières Cités-États : comment convaincre des communautés locales de céder aux administrations, urbaines et lointaines, une partie du fruit de leur travail ? Dans le cas du pouvoir rouge qui veut industrialiser au plus vite la Russie, ce dilemme peut même s’écrire en termes marxistes : afin de dégager les moyens financiers colossaux nécessaires pour développer de grandes usines, il faut souvent en passer par l’accumulation primitive. Soit un vol massif organisé au détriment des sociétés campagnardes, dont l’Occident colonial s’est rendu coupable durant des siècles. Si cela fit le bonheur et la prospérité des familles bourgeoises, ce fut au détriment des peuples autochtones asservis par la force conjuguée des armes, du racisme législatif et de la soif prédatrice de conquistadores avidesviii. Dans le cas de la Russie, l’accumulation primitive fut tout aussi nécessaire, a fortiori quand les céréales collectées via l’impôt et les opérations commerciales classiques (payées à trop bas prix) s’avérèrent largement en-deçà des attentes du pouvoir central. Une situation de pénurie qui prend les Bolcheviks par surprise en 1927. Un an plus tard, le parti communiste ébauche une solution à cette crise des céréales en adressant une déclaration de guerre au monde des campagnes : si les céréales n’affluent pas suffisamment vers les administrations centrales de Moscou, la faute en incombe entièrement à l’esprit moujik (paysan) antirévolutionnaire des gens des campagnes qui doivent changer leurs mentalités et leurs pratiques au plus viteix ! Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 7 Les grand idéaux peuvent créer des cauchemars éveillés1 Au tournant des années 1928-1929, le parti communiste dirigé par le camarade Joseph Staline (1878- 1953) décide d’imposer aux forceps, à toute la société russe, une réalité unique : l’étatisation sans limites. Cette offensive contre le secteur privé vise tous les acteurs marchands (artisans, commerçantes, paysans, intermédiaires et industriels du monde urbain) sans mettre en place une organisation alternative aux réseaux marchands et activités supprimées. Cela signe la mise à mort du secteur artisanal et de la petite industrie, mais n’empêche nullement le pouvoir rouge de rêver d’une expansion rapide des activités productives… Quitte à opter pour l’autoritarisme et le passage en force pour y parvenir. Dans les usines étatiques, la pression hiérarchique sur le monde ouvrier s’accroît en recourant aux mesures cyniques du taylorisme, visant à contrôler et régenter les gestes ouvriers au travail pour booster la productivité… Une méthode qui a fait recette dans les pays capitalistes pour le plus grand bonheur de la bourgeoisie, et utilisée dès 1918 par des dirigeants se réclamant de Karl Marx ! Les ouvrières et les ouvriers répondent à cette pression accrue par une défection massive de leur poste de travail et le sabotage de la production, dont la qualité est en chute libre. À cette situation urbaine déjà problématique s’ajoute une dégradation catastrophique de l’organisation rurale. Invités à rejoindre massivement les fermes collectives étatiques nommées kolkhozes, les paysans pauvres sont si nombreux à répondre favorablement à l’appel que leur afflux prend de court les autorités. Nullement préparées à une mutation sociale si soudaine, les administrations russes complètement débordées assistent, impuissantes, à l’émergence d’un chaos rural qui aggrave le déficit en céréales : dans certaines communautés le fourrage commence à manquer pour nourrir le bétail ; au niveau du pouvoir central, les céréales collectées restent largement en deçà des attentes. Le parti communiste passe alors un premier braquet dans la répression et décide, en 1929, d’imposer la collectivisation forcée des activités d‘élevage. La réaction paysanne est désespérée et brutale : refusant d’offrir gratuitement leurs animaux aux kolkhozes, les paysans préfèrent tuer massivement leur bétail. Fort logiquement, cela provoque une abondance provisoire (mais trompeuse) de viande pouvant faire croire aux autorités que leur méthode marche. Dès lors, pourquoi ne pas aller de l’avant en poussant plus loin la mainmise de l’État sur les activités agricoles ? L’ancienne politique de contrats commerciaux effectués de façon volontaire avec les communautés rurales est abrogée, pour mettre en place un prélèvement obligatoire de céréales dicté par une logique discriminatoire : afin de briser l’indépendance des paysans propriétaires de leurs champs, le pouvoir central exige d’eux des fournitures de céréales bien plus imposantes que celles réclamées aux kolkhozes socialisés. À nouveau, les paysans indépendants (toutes catégories sociales confondues) recourent à divers stratagèmes pour dissimuler une partie de leurs récoltes aux autorités. En retour, celles-ci font pleuvoir un déluge d’amendes, confisquent les réserves de graines et lancent des enquêtes minutieuses pour retrouver les céréales cachées ; elles procèdent aussi à des arrestations et déportations massives. 1 Ce chapitre s’inspire principalement de l’essai de Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres). Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 8 Le bras de fer opposant le monde des campagnes à Moscou ne fait que commencer. Dans les années qui suivent, le parti communiste passe des braquets supérieurs dans la répression en imposant aux paysans restés « libres », mais déjà affamés, un double prélèvement annuel de denrées agricoles ! Leur détresse sociale est telle qu’elle touche le cœur de certaines autorités locales – y compris au sein du parti communiste – qui prennent alors fait et cause pour « leurs » paysans en ne suivant pas à la lettre les instructions de Moscou. Des purges s’ensuivent pour vider le parti et les administrations locales de leurs éléments « séditieux » et « contre-révolutionnaires ». À l’inverse, les autorités locales les plus serviles, donc les plus zélées dans la répression paysanne, bénéficient de promotions au sein du parti et de la société russe. Dans un poignant roman intitulé L’étrangère aux yeux bleus, l’écrivain Youri Rytkhèou2 (1930-2008) narre les aberrations de la politique de l’URSS à l’égard de son peuple (les Tchouktches) : au nom de l’abolition de la propriété bourgeoise, ces éleveurs de rennes sans grand pouvoir furent privés de leurs troupeaux, donc de leur manière de vivre, lorsque Moscou imposa la remise du bétail aux kolkhozes collectivisés. C’est ainsi que s’instaure, entre 1929 et 1933, un tournant radical en Russie. Les structures étatiques vont rapidement enfler jusqu’à la démesure pour être contrôlées par une élite minoritaire centralisée. Dictant leurs ordres depuis Moscou, les dirigeants du parti communiste (le seul à pouvoir exister) exigent d’être obéis, sans la moindre contestation, par un vaste réseau d’administrations locales et de membres du parti communiste. Toute idée de pluralisme politique ou de liberté d’opinions est enterrée d’autant plus facilement que le régime précédent, celui du Tsar, n’en était guère partisan. Quant aux Rouges qui ont pris le relais, ils ont définitivement choisi la manière forte pour imposer leurs diktats. Au nom de la sauvegarde de la Révolution, les contestataires et réfractaires au pouvoir en place sont pourchassés et condamnés à de lourdes peines – la perte de leur statut social, le goulag et parfois la mort au terme de procès politiques arbitraires. Imposée du haut vers le bas, cette logique disciplinaire n’atteint pas les effets escomptés : en dehors des groupes sociaux qui profitent des décisions du parti communiste, la peur et la démotivation gagnent du terrain au sein de la population russe. Selon Moshe Lewin, le « manque d’initiative, la tendance à fuir les responsabilités et à se cacher derrière le dos de quelqu’un d’autre, à rejeter le blâme sur ses collègues, et la philosophie du ‘’c’est pas mon affaire’’ (moya khata krayou), finirent par gagner les institutions comme toutes les couches de la société.»x Du coup, les « mauvais » comportements sont punis de lourdes sanctions matérielles : adoptée le 15 novembre 1932, une loi prévoit de lutter contre l’absentéisme au travail à l’aide de mesures comme le renvoi du poste occupé, l’exclusion du logement, la privation de rations alimentaires ou encore l’interdiction d’accès aux magasins d’alimentationxi. Partout, y compris dans les strates supérieures de l’administration et du parti communiste, l’habitude est prise de taper sur « plus petit que soi » en redoutant d’être soi-même l’objet d’une purge future : « sous Staline, pour nous résumer, les chefs (natchalstvo) furent non seulement autorisés mais aussi invités à se montrer autoritaires et rudes envers leurs subordonnés et les masses afin de les discipliner ; ainsi acquirent-ils une double nature, un double visage à la Janus : un visage méprisant, de despote ; et un visage soumis, de serf. »xii 2 Pour la petite histoire, Youri Rytkhèou fut longtemps un intellectuel inféodé aux dogmes de Moscou. À ce titre, il fut choyé par le parti. Toutefois, à partir des années 1970, il commence à prendre ses distances et renoue peu à peu avec l’esprit de son peuple, jusqu’à dénoncer la mise à sac de l’imaginaire spirituel et des manières de vivre des Tchouktches par le régime soviétique. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page 9 Pour maintenir la cohésion sociale, le pouvoir rouge va s’appuyer de plus en plus sur des institutions répressives : armée, forces de police et KGB. Chargés de repérer et d’identifier les « traîtres à la Révolution », les services secrets russes vont encourager la délation et développer des techniques d’espionnage massif de la population. Chemin faisant, le fossé séparant le cœur du pouvoir rouge du reste du corps social russe – couches populaires, minorités ethniques, peuples indigènes, clergé orthodoxe et autres groupes sociaux victimes des politiques décidées à Moscou – allait s’élargir au point de creuser de profondes abysses taillées dans la roche, humaine, à grands coups d’oppressions individuelles et de tragédies collectives. Comme l’écrit Moshe Lewin : « Dans un stade ultérieur, plus morbide et manifestement pathologique, le dirigeant, sinon les dirigeants, allait avoir le sentiment que sa base s’était encore réduite pour se limiter à la seule partie réellement ‘‘sûre’’ de l’appareil : les services de sécurité… »xiii La faute à Marx ? Aveugle aux détresses et conséquences tragiques générées par ses décisions, le parti communiste soviétique allait – au nom du socialisme – briser les libertés, régner par la terreur et finalement imposer une orthodoxie comparable, en bien des points, à l’Inquisition de l’Église catholique médiévale. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de purger la société de ses éléments néfastes (qu’ils soient « diaboliques » ou « contre-révolutionnaires ») en s’appuyant sur un imaginaire collectif (la « relation à Dieu » ou le « socialisme révolutionnaire ») défini par un pouvoir central (le Vatican ou le Parti communiste) pouvant s’appuyer sur des institutions officielles pour procéder aux arrestations, mener les procès et exécuter les condamnations. Dans les deux cas, la purge pouvait aller jusqu’à l’élimination physique des « mauvais éléments » de la société. Incontestablement, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) était un régime despotique qui n’avait de socialiste que le nom… Mais comme il se réclamait ouvertement du marxisme, l’écrasante majorité des partis communistes à travers le monde – ainsi qu’une grande partie de leurs membres – allaient confondre vessies et lanternes pour s’imaginer que le socialisme avait enfin un territoire où s’ancrer, sur lequel était en train de fleurir un paradis terrestre. Par effet miroir, les détracteurs du marxisme (de gauche comme de droite) allaient vite parvenir à cette conclusion lapidaire : Karl Marx ne peut mener qu’à la dictature. Réduire cet argument en miettes n’est guère difficile : l’œuvre de Karl Marx compte des milliers de pages, écrites à différentes périodes de sa vie et touchant à de multiples domaines (économie, histoire, politique, sociologie…). Vouloir enfermer le tout dans un goulag de la pensée nommé « URSS » ne peut se faire que par un procès d’intention terriblement réducteur, et malhonnête sur le plan intellectuel. En effet, si Karl Marx évoque la dictature du prolétariat (qu’il ne définit pas) comme un stade nécessaire pour passer du capitalisme au socialisme sur Terre, ce processus est à ses yeux provisoire. Comment imaginer que l’auteur de Das Kapital aurait approuvé, durant des décennies, un système politique s’appuyant sur des structures étatiques boursouflées au point de brider toute autonomie locale, y compris celle du monde ouvrier ? Qui plus est, une grande partie de l’œuvre de Karl Marx vise à mettre en lumière les différents rouages du capitalisme (rapports entre monnaie et marchandises, formation du capital, exploitation des travailleurs et monopolisation des richesses, nécessité de l’expansion Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page10 continue du système…). Ce faisant, Karl Marx a légué des outils théoriques qui peuvent servir plus d’un siècle après sa mort – même s’ils ont parfois vieilli et méritent d’être aiguisés à l’aune de concepts plus récents – pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Par ailleurs, la critique sans concessions de l’autoritarisme et du pouvoir présente chez Karl Marx peut parfaitement être utilisée (comme on l’a brièvement fait avec son concept d’accumulation primitive) pour dénoncer les pires travers du régime soviétique. Bref, on ne peut réduire une œuvre aussi colossale, subtile, intelligente et touffue aux seuls crimes et fléaux que d’aucuns ont commis en son nom. À l’inverse, il est important de comprendre comment, portés par un fol enthousiasme de justice sociale, des foules entières (en URSS comme au-dehors) ont pu vénérer un système oppressif de façon aussi aveugle que… les plus radicaux des religieux prêts à tous les extrêmes pour défendre et répandre leur foi. On doit aussi se souvenir des nombreux socialistes (souvent proches du courant anarchiste) qui ont mis en garde Karl Marx, de son vivant, des dérives autoritaires et despotiques présentes en germe dans son œuvre, notamment lorsqu’il propose une dictature du prolétariat en guise de sortie du capitalisme. L’esprit critique recommande donc d’investiguer davantage avant d’exonérer Marx de toute responsabilité. Car à bien chercher, on peut trouver par moments des ponts idéologiques entre l’œuvre de Marx et certains traits pathologiques de l’URSS. Pour mettre ces ponts en évidence, replongeons un instant dans un écrit publié en 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels : le Manifeste du parti communiste3 . Un socialisme scientifique ? Réalisé à la demande de la Ligue des communistes, une association fondée à Londres en 1847 par des militants socialistes issus de divers pays, le Manifeste du parti communiste cherchait à distinguer cette ligue naissante des autres courants socialistes alors existants. Frappé de censure dans de nombreux pays, le Manifeste va toutefois connaître un immense succès au cours des décennies suivantes… tout particulièrement chez les « enfants » spirituels de Karl Marx. À ce titre, il peut être considéré comme l’acte fondateur qui intronise certaines grandes vérités propres au monde communiste. La première de ces vérités est paradoxale : alors que ses auteurs considèrent le texte du Manifeste comme susceptible d’évoluer avec le temps, ils y gravent aussi des théories qui se veulent universelles, censées exister partout depuis toujours. Il en est ainsi pour la lutte des classes : « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. »xiv Concrètement, selon le Manifeste, « homme libre et esclave, patricien et plébéien, seigneur et serf, maître et compagnon, bref, oppresseurs et opprimés ont été en constante opposition ; ils se sont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une lutte qui s’est chaque fois terminée par une transformation révolutionnaire de la société tout entière ou par l’anéantissement des deux classes en lutte. »xv Aussi généreux soit-il dans ses intentions, ce point de vue en surplomb sur le monde n’est pas neutre : écrit par des Occidentaux à l’époque coloniale, il ignore tout ou presque des réalités indigènes… 3 Dans les trois chapitres à venir (Un socialisme scientifique, Le sens de l’histoire, Théorie du peuple élu et hiérarchie sociale), toutes les citations sont extraites du Manifeste du parti communiste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page11 Si la lutte des classes peut s’appliquer dans une certaine mesure aux grands empires nés suite à la révolution néolithique il y a 10.000 ans d’ici (les élites urbaines y possédant un réel pouvoir d’oppression sur autrui), on peut difficilement la concevoir au sein des sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs. Certes les hiérarchies sociales y existaient, les conflits et les boucs-émissaires aussi, mais sans jamais servir des pouvoirs centraux éloignés des gens ni créer d’antagonismes rigides permanents. Dans les sociétés nomades d’antan, le « pouvoir » était local mais aussi fluctuant, partagé, ambivalent. La cohésion du groupe étant un facteur déterminant pour survivre, la manière d’y tisser les liens instituait des complémentarités sociales faisant fluctuer la répartition du pouvoir. La direction des opérations pouvait varier selon le type de tâches à effectuer ou au gré des décisions du groupe, et les vérités d’un jour n’étaient pas nécessairement celles du lendemain. Même plus tard, chez les peuples d’éleveurs ou dans les premiers villages agricoles où germait une plus forte stratification sociale, le pouvoir restait chose ambivalente. Diriger le groupe était un honneur serti ou non de privilèges, mais aussi lesté d’un boulet de contraintes variant d’une société à l’autre. Par exemple, dans certaines sociétés africaines où la tribu prêtait des pouvoirs magiques à son « chef » – comme la capacité de fertiliser le territoire pour rendre la vie possible, disposer de ressources et avoir des enfants -, ce même « chef » pouvait être sacrifié s’il manquait à son devoir religieux… à cause d’une trop longue sécheresse par exemple. De même, chez les peuples amérindiens4 , le pouvoir n’était ni absolu ni mobilisé par une élite homogène : pour être légitime, il devait réunir les morceaux fragmentés d’un puzzle détenus par différents groupes sociaux… incarnant différentes composantes de la population. Par exemple, dans la Cordillère des Andes, la complémentarité des contraires (haut/bas, feu/eau, ordre/désordre, extérieur/intérieur, etc.) a structuré la vie sociale durant des millénaires, des plus modestes communautés villageoises au très hiérarchisé empire inca.xvi Sachant d’une part que les Homo sapiens existent approximativement depuis 300.000 ans, d’autre part que la révolution néolithique n’est apparue qu’il y a 10.000 ans environ, près de 95 % de l’histoire humaine est peuplée de sociétés nomades ne creusant pas d’inégalités abyssales en termes de droits ou de richesses parmi ses membres. Bref, « l’éternelle » lutte des classes est un concept relatif, d’une portée historique plus limitée que ne pouvaient l’imaginer Karl Marx et Friedrich Engels. Pourtant, ces derniers ne considéraient pas leur théorie comme historiquement datée, mais bien comme une véritable donnée scientifique : « Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, sur des principes, inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des rapports effectifs d’une lutte de classe qui existe, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »xvii Il y a donc, dans le Manifeste (et plus généralement dans le Capital de Karl Marx) une prétention à saisir le monde de façon objective, fiable, certaine, pour en révéler les mystères cachés avec l’assurance de ne pas se tromper. Ce faisant, Karl Marx et Friedrich Engels étaient victimes des croyances de leur temps : le XIXe siècle. Une époque où les scientifiques occidentaux (toutes tendances politiques confondues) rêvaient de découvrir, de façon objective, les grands principes éternels gouvernant le monde. La physique quantique, la philosophie des sciences et l’épistémologie n’étaient pas encore passées par là pour nous apprendre qu’un observateur neutre n’existe pas. Qu’il est tout simplement impossible de raconter une 4 Noms donné aux populations qui peuplaient l’Amérique avant sa « découverte » par Christophe Colomb et les sanglantes conquêtes occidentales. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page12 histoire sans la farcir de biais subjectifs, notamment culturels et identitaires, étroitement liés aux croyances et valeurs dominant – de façon consciente mais surtout inconsciente – l’époque et la société dans laquelle nous vivons. À titre d’exemple, notre conception moderne de l’identité humaine réduite aux seuls Homo sapiens n’est pas universelle. Elle est même étroite et bornée, comme racrapotée, si on la compare aux relations identitaires forgées par les peuples animistes qui incluaient la majorité des vivants – animaux, plantes voire certains minéraux – au sein du club des âmes pensantes dotées d’envies, de désirs, de projets, de relations, d’amitiés, d’inimitiés, de bonnes et mauvaises façons de se conduire en société – en deux mots : de cœur et d’intelligence.xviii (Notons-le : sur base des découvertes engrangées au cours des dernières décennies, les sciences du vivant tendent à leur donner raison5 !). Ignorant les profondeurs intimes de la subjectivité inhérente à toute analyse historique ou sociologique6 , Marx et Engels avaient pour ambition de mettre en place un socialisme scientifique. C’està-dire objectif et fiable à 100 %. C’est pourquoi ils écrivent dans le Manifeste : « Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus décidée, la plus mobilisatrice des partis ouvriers de tous les pays ; théoriquement, ils ont, sur le reste de la masse du prolétariat, l’avantage d’une vision claire des conditions, de la manière et des résultats généraux du mouvement prolétarien. »xix Le sens de l’histoire Si les analyses de Marx regorgent à bien des égards de finesse et de subtilité, il est par contre un domaine où le déterminisme rigide est roi : la vision de l’histoire. Pour résumer fortement la chose, Marx pensait que chaque époque avait ses oppresseurs et ses opprimés, les premiers s’appropriant les ressources pour développer un mode de production leur permettant d’asservir les seconds. Tôt ou tard, ces derniers se rebiffent pour faire la révolution. Si celle-ci parvient à ses fins, l’ancien mode de production est alors abandonné pour faire place à une nouvelle forme d’appropriation des ressources, gérées par une nouvelle classe d’exploiteurs prenant l’ascendant sur l’ancienne élite devenue obsolète. Au cours de la longue histoire, les esclaves se sont ainsi opposés aux hommes libres, les plébéiens aux patriciens, les serfs paysans aux seigneurs médiévaux pour mener finalement aux « révolutions bourgeoises » des XVIIe et XVIIIe siècles, aux cours desquelles la noblesse céda le pas – et plia même le genou – devant la bourgeoisie. Propriétaire du capital, cette dernière impose son mode de production, le capitalisme et la liberté du commerce, en faisant crever de misère la classe ouvrière. Pour Marx et Engels, cet engrenage de révolutions repose sur un mécanisme vital : le développement des forces productives. Afin de prospérer, les élites dominantes inventent de nouvelles technologies et développent de nouveaux modes de production et d’échanges. Cela modifie les dynamiques sociales et bouscule les rapports de force entre exploiteurs et exploités, jusqu’au jour où le développement des forces productives devient si important qu’il rend le contexte mûr pour une révolution. Un groupe social dominé prend alors l’ascendant pour dominer les autres à son tour, en les exploitant dans de nouveaux 5 En témoignent notamment les nombreux essais du primatologue Frans de Waal : Sommes-nous trop ‘’bêtes’’ pour comprendre l’intelligence des animaux ? ; Le bonobo, Dieu et nous ; L’âge de l’empathie ; La dernière étreinte… 6 En 2010, René Passet a publié un livre (Les grandes représentations du monde et de l’économie – De l’univers magique eu tourbillon créateur) qui illustre à merveille ce propos, notamment dans la partie consacrée aux liens entre les découvertes de Charles Darwin (1809-1882) et les théories de l’histoire de Karl Marx. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page13 modes de production. Selon Marx et Engels, c’est ainsi que la société médiévale a basculé dans le capitalisme : « à un certain stade du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot les conditions de la propriété féodale ne correspondirent plus aux forces productives déjà développées. Elles entravaient la production au lieu de l’encourager. Elles se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait donc les briser, elles le furent. Elles furent remplacées par la libre concurrence avec l’organisation sociale et politique appropriée, avec la domination économique et politique de la classe bourgeoise. »xx Pour Karl Marx et Friedrich Engels, les forces productives fonctionnent un peu comme une larve d’insecte dans un cocon : dans un premier temps, elles correspondent à la taille et aux besoins de l’élite dominante (qui fait ici office de cocon). Puis, en se développant, la larve des forces productives crée des tensions grandissantes entre dominants et dominés qui finissent un jour par rompre le cocon : l’élite dominante s’étiole alors pour laisser place à une nouvelle élite, tissant un autre cocon, plus vaste, plus efficace, toujours oppressif, jusqu’au moment où la croissance des forces productives et des tensions internes parvient à le rompre à son tour. Appliqué au capitalisme du XIXe siècle, le développement des forces productives se nourrit de la grande industrie et de l’extension planétaire des réseaux marchands car « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux. » xxiii xxi Chemin faisant, la bourgeoisie piétine et détruit de nombreuses organisations sociales liées au passé, pour créer un monde où ne subsiste « d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt nu, que le froid ‘’argent comptant’’. »xxii Aussi cruelle soit-elle pour les personnes qui en souffrent, cette oppression n’est qu’éphémère. Car elle nourrit en son sein une masse croissante de gens déçus et exploités : « les anciennes petites classes moyennes, les petits industriels, commerçants et rentiers, les artisans et paysans, toutes ces classes sombrent dans le prolétariat, soit que leur petit capital ne suffise pas à pratiquer la grande industrie et ne résiste pas à la concurrence des plus grands capitalistes, soit que leur habileté soit dévalorisée par de nouveaux procédés de production. Ainsi le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population. » L’histoire au long cours se poursuit donc : en développant de nouvelles forces productives pour répondre à ses besoins, la bourgeoisie génère également toujours plus de raisons de s’opposer à elles. Sans y mettre le moindre soupçon de doute (ce qui peut aussi s’expliquer par les crises de surproduction qui se succèdent alors à un rythme effréné), Marx et Engels prédisent l’avènement prochain de la révolution prolétarienne : « le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie dont la bourgeoisie est l’agent dépourvu de volonté et de résistance, substitue à l’isolement des ouvriers, dans la concurrence, leur union révolutionnaire dans l’association. Avec le développement de la grande industrie, la bourgeoisie voit se dérober sous ses pieds la base même sur laquelle elle produit et s’approprie les produits. Elle produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inéluctables. »xxiv Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page14 Théorie du peuple et hiérarchie sociale Porté par le développement des forces productives, l’avenir a donc pour Marx et Engels une destination objectivement identifiable : la révolution prolétarienne. Et contrairement aux révolutions d’antan, celleci ne va pas forger un cocon oppressant appelé à se rompre. En effet, si les révolutions passées ont toujours donné naissance à de nouvelles formes d’exploitation (« toutes les classes, qui ont précédemment conquis la suprématie, se sont efforcées d’assurer leurs conditions de vie acquises en soumettant la société entière à leur propre mode d’appropriation. »xxv), il n’en sera pas de même avec la classe ouvrière selon les auteurs du Manifeste. Certes, comme tant d’autres classes opprimées auparavant (bourgeoisie comprise), le monde ouvrier va prendre le pouvoir par la force : « le prolétariat utilisera sa domination politique pour arracher peu à peu tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter le plus rapidement possible la masse des forces de production. Mais cela ne peut naturellement se produire au départ qu’au moyen d’intrusions despotiques dans le droit de propriété et les rapports de production bourgeois, donc par des mesures qui paraissent économiquement insuffisantes et insoutenables, mais qui se dépassent elles-mêmes au cours du mouvement, et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. »xxvi En prenant le pouvoir, la classe ouvrière va nécessairement abolir les mécanismes constitutifs du capitalisme pour arracher des mains de la bourgeoisie le monopole des moyens de production. Autrement dit, le communisme veut supprimer la propriété privée dès lors qu’elle permet de s’enrichir en pillant la force de travail des salariés. En lieu et place, ils imaginent des ressources socialisées que la libre-association ouvrière formant le nouvel État va mettre au service de tous. Par on ne sait quel miracle, le monde ouvrier libéré de ses chaînes est censé échapper à l’envie d’opprimer son prochain pour accoucher d’un monde idyllique sans hiérarchie ni dominance : « les différences de classes une fois disparues au cours du développement, et toute la production concentrée entre les mains d’individus associés, les pouvoirs publics perdent leur caractère politique. […] Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, doit nécessairement s’unir en une classe, s’il se constitue en classe dominante à la suite d’une révolution, et s’il abolit par la violence, en tant que classe dominante, les anciens rapports de production, il abolit du même coup avec ces rapports de production les conditions d’existence de l’opposition de classe, et par là même les classes, et par suite sa propre domination de classe. À la place de l’ancienne société bourgeoise avec ses classes et ses oppositions de classe surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »xxvii Se démarquant de tous les groupes sociaux qui ont façonné la longue histoire humaine, le prolétariat librement organisé échapperait donc aux rapports de force, à l’éternelle malédiction de créer du pouvoir et d’en abuser, pour engendrer une société harmonieuse où chaque humain serait l’égal de l’autre. Une sorte de socialisme parfait réalisé sur Terre ! Évidemment, il s’agit d’une chimère. D’un rêve éveillé. D’une belle utopie pouvant servir de ligne d’horizon vers laquelle tendre, mais qu’il est impossible de toucher du doigt en raison d’un « détail » essentiel : la vie. Bien avant l’apparition des Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page15 premiers humains, les animaux vivant en société avaient déjà inventé l’empathie et la subjectivité, c’està-dire le besoin de préférer certains êtres à d’autres. Des millions d’années plus tard, cette logique est toujours la nôtre quand, pour vivre en société, nous nous référons à des critères identitaires pour distinguer – en leur accordant des statuts plus ou moins prestigieux, en leur confiant des missions particulières, en leur conférant des droits et devoirs spécifiques, etc. – certains groupes sociaux. Il en est ainsi de la famille par exemple, où le statut des enfants n’est pas celui des parents. Des plus lointaines tribus antiques aux sociétés contemporaines, nul n’échappe au besoin de dresser des frontières entre « nous » et « les autres », notamment pour valoriser certains groupes sociaux et jeter l’opprobre sur d’autres. Le Manifeste du parti communiste en est d’ailleurs une parfaite illustration. À son sommet idéologique, il y a un « peuple élu » qui se distingue de tous les autres : le prolétariat organisé en libre association. Auréolé du pouvoir d’abolir toute forme d’oppression (ce que nul n’est parvenu à faire auparavant), il est un peu le Jésus-Christ de Karl Marx et Friedrich Engels. Le seul messie à suivre pour sortir des méandres nauséabonds du capitalisme. Comparé à la classe ouvrière, toutes les autres formes d’organisations sociales (passées comme présentes) font pâle figure dans le Manifeste. Il en est ainsi des peuples indigènes par exemple : bien qu’exploités et opprimés par l’Occident colonial, leur sort spécifique n’intéresse guère Marx et Engels. Si ces derniers évoquent les populations colonisées, c’est presque par hasard, au détour de déambulations théoriques où les brèves apparitions des « pays barbares ou à demi-barbares » s’accompagnent des clichés péjoratifs de l’époque coloniale distinguant la civilisation occidentale des « barbares xénophobes les plus entêtés »xxviii. Partant d’une sombre nuit primitive peuplée de sauvages peu amènes pour avancer ensuite, cahin-caha, vers un monde meilleur où progrès technique et humain marchent main dans la main jusqu’à la révolution prolétarienne, le sens de l’histoire dévoilé par les pères fondateurs du communisme est en parfaite symbiose avec l’idéologie évolutionniste et les poncifs discriminatoires de leur temps. Finalement, dans la perspective de la lutte des classes, les peuples indigènes (tout comme les nobles, les paysans, les bourgeois, etc.) sont nés du mauvais côté de l’histoire. Ils appartiennent à un passé qu’il faut fuir pour aller de l’avant. Sous l’action bénéfique du développement des forces productives, ils sont voués à se désagréger pour se fondre dans le prolétariat, seul cœur battant du socialisme heureux de demain. Tel est le sens correct de l’histoire. La seule manière scientifique d’en parler selon Marx et Engels. D’ailleurs, pour jauger les mouvements socialistes concurrents, c’est leur degré de proximité ou d’éloignement avec la vision communiste de l’histoire qui leur vaut d’être qualifiés tantôt de conservateurs, tantôt d’utopistes, les pires d’entre eux étant les réactionnaires – un péché ultime qui consiste à vouloir « faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »xxix Du Manifeste à l’URSS Ici s’achève notre parcours du Manifeste du parti communiste où, signalons-le, nous avons surtout mis en évidence les parties les plus rigides, donc aussi les moins riches, du raisonnement communiste de l’époque. Nous pouvons à présent en revenir aux ponts virtuels existant avec le régime politique de l’URSS né, pour rappel, plus de sept décennies après la publication du Manifeste. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page16 Le premier pont est celui des certitudes absolues : de toutes les forces socialistes, les communistes seraient les seuls à voir clairement le sens de l’histoire. Grâce aux armes théoriques forgées par Marx et Engels, ils se sentent beaucoup mieux placés que tous les autres pour comprendre et le rôle historique du prolétariat, et la nécessité de développer les forces productives avivant les tensions au sein du capitalisme jusqu’à provoquer sa destruction, au terme d’une révolution abolissant toute forme de propriété bourgeoise. Le passage en force de Lénine pour s’emparer du pouvoir et mettre fin à tout pluralisme politique en Russie s’inscrit clairement dans cette logique. Deuxième pont : le développement des forces productives. Selon le Manifeste, la croissance des manufactures, des réseaux marchands et des innovations techniques capitalistes était un facteur déterminant pour que l’histoire avance de quelques pas supplémentaires…. Or, Marx et Engels rêvaient de la voir courir à vive allure pour atteindre l’étape suivante : la révolution prolétarienne. Autrement dit, l’essor de l’économie est une nécessité absolue selon les pères fondateurs du communisme. Cette leçon théorique, les Bolcheviks de Russie vont en faire un bréviaire en misant gros sur le développement des activités industrielles… quitte à mettre sens dessus dessous la société russe et le monde des campagnes comme on l’a vu précédemment. Troisième pont : l’assaut contre la propriété privée et la socialisation des moyens de production. Même si ces mesures n’étaient pas gravées pour l’éternité dans le marbre (Karl Marx et Friedrich Engels faisant savoir qu’elles étaient appelées à évoluer en fonction des circonstances historiques), il y a dans le Manifeste des propositions concrètes qui ne sont pas sans rappeler la politique collectiviste de l’URSS. Citons-les : « expropriation de la liberté foncière », « impôt fortement progressif », « abolition de l’héritage », « confiscation de la propriété de tous les émigrés et rebelles », « centralisation du crédit entre les mains de l’État au moyen d’une banque nationale et à monopole exclusif », « centralisation de tous les moyens de production entre les mains de l’État », « multiplication des manufactures nationales, des instruments de production, défrichement et amélioration des terres selon un plan collectif » avec l’« obligation de travail pour tous » et l’« organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture. »xxx Plus faciles à coucher sur papier qu’à réaliser dans une société réelle, toutes ces propositions – imposées unilatéralement, de façon simultanée et dans une logique jusqu’au-boutiste – ne peuvent qu’attiser les tensions et entrainer moult résistances de la part des groupes sociaux qui en sont victimes. Le bras de fer opposant Moscou au paysans « kolkhorizés »7 de force en est une illustration frappante. Pour gagner la partie à l’aube des années 1930, le parti communiste d’URSS s’est engagé résolument, au point de s’y enfoncer jusqu’à la folie, dans les marécages d’un pouvoir absolutiste. Abusant de contrôles, de violences et de répressions massives, le pouvoir central a imposé, du haut vers le bas, ses dogmes et diktats à toutes les communautés locales (administration, échelons inférieurs du parti, usines, villages, etc.). C’est ici qu’a lieu le divorce profond, irrémédiable, entre l’URSS et l’esprit du Manifeste du parti communiste. Karl Marx et Friedrich Engels rêvaient d’un monde de libre-association, où la base ouvrière devait jouir d’une grande autonomie afin d’émanciper l’ensemble de la société. Soit l’exact inverse de 7 Pour rappel, les kolkhozes étaient des fermes collectives où la « coopération forcée » était de mise. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page17 ce qui s’est produit en URSS : à l’instar de nombreux groupes sociaux, les ouvrières furent de simples pions sur l’échiquier du pouvoir rouge, reposant de facto dans les mains d’un État-Tyran incarné par le parti, l’administration et les services de sécurité. Raison pour laquelle le prolétariat, ce peuple élu cher au cœur de Marx et Engels, ne fut qu’un slogan creux dans l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques se revendiquant, à l’échelle du monde, comme le seul porte-drapeau du communisme réel (à tout le moins jusqu’en 1949 et l’arrivée au pouvoir de Máo Zédōng en République populaire de Chine, une autre dictature rouge). Qu’ils soient rouges ou noirs, les paradis terrestres n’existent pas Que retenir de cet échec ? À plus de 70 ans d’intervalle, le Manifeste du parti communiste et le régime politique qui s’en disait issu présentent des dissemblances et des similitudes. Selon ce qu’on choisit d’y voir, selon qu’on s’attache à traverser les ponts existants ou à mesurer la profondeur de l’abîme séparant le projet théorique de sa prétendue réalisation, on peut parvenir à deux conclusions diamétralement opposées. Pour les communistes gravitant dans l’orbite de Moscou – qu’on qualifiera ici d’orthodoxes -, l’URSS était le paradis sur Terre. Aveugles à la folie répressive des dirigeants communistes, ils voulaient y voir l’heureuse patrie du socialisme réalisé sur Terre, avec la ferme intention d’en faire bientôt l’avenir universel du genre humain. Une position qui fut souvent (mais pas toujours) le credo des partis communistes officiels établis hors de l’URSS, où le purisme idéologique prosoviétique se figea en dogme n’acceptant aucune divergence de vue. Même en 1968, lorsque les chars russes envahissent au grand jour Prague pour annihiler l’essai politique tchécoslovaque d’un « communisme à visage humain », nombreuses furent les organisations communistes orthodoxes à bannir toute contestation dans leurs rangs, celles-ci ne pouvant que « faire le jeu de l’ennemi ». Brandissant comme autant de victoires certaines réussites de l’URSS dans le développement des arts, des sciences, de la médecine, des services publics ou encore la mise à mort de dictatures pro-américaines (comme le régime mafieux sévissant à Cuba jusqu’à la prise de pouvoir de Fidel Castro et Che Guevara), ces communistes orthodoxes menaient partout une opposition farouche au capitalisme en revendiquant invariablement l’URSS comme modèle. Bien plus sensée, la position opposée consistait à critiquer la dictature sévissant en URSS (ce qui n’empêche pas, comme le fit Moshe Lewin, d’introduire des nuances historiques et contextuelles). Une opinion partagée par une multitude de groupes sociaux antagonistes. D’un côté, il y avait bien entendu la critique caricaturale des tenants de l’ordre libéral-chrétien : États-Unis d’Amérique, gouvernements alliés et ensemble des partis politiques opposés à tout projet socialiste. De l’autre côté, les forces de gauche non alignées sur Moscou constituaient un patchwork hétéroclite de mouvements sociaux toujours pluriel : anarchistes révolutionnaires, communistes hétérodoxes refusant de voir l’URSS de Staline comme la réalisation concrète du projet de Marx et d’Engels, partisans d’un socialisme démocratique voulant certes bousculer le capitalisme mais en prenant la voie de réformes plus ou moins radicales du système. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page18 Parmi ces opposants de gauche à l’URSS, les révolutionnaires s’éparpillaient en multiples mouvances allant des anarchistes aux communistes hétérodoxes. Nombre d’entre eux restaient séduits par certaines grandes figures du combat communiste tels que Fidel Castro, Che Guevara, Lénine ou Léon Trotski. (Dans un merveilleux roman intitulé L’homme qui aimait les chiens, l’écrivain cubain Leonardo Padura entrecroise la disgrâce de Trotski et son exil au Mexique avec le parcours de son assassin Ramon Mercader, agissant sur ordre de Moscou.) Pour certains, le communisme d’URSS avait dévié de son orbite avec Staline. Pour d’autres, le communisme d’URSS était à jeter à la poubelle dès la prise de pouvoir de Lénine. Pour d’autres encore, c’est le principe même du communisme qu’il fallait condamner, c’est Karl Marx et Friedrich Engels qu’il fallait jeter aux oubliettes de l’histoire. En réalité, le bilan à tirer de l’existence de l’URSS est tout autre, plus large et paradoxal. Tout autre : comme on l’a dit précédemment, l’œuvre foisonnante de Marx est loin d’être entièrement soluble dans l’URSS. Certes, il existe des passages rigides et déterministes (« dictés » en quelque sorte par la culture évolutionniste du XIXe siècle) que nous avons mis sur le devant de la scène dans les paragraphes précédents. Toutefois, cela ne peut ni faire oublier les analyses subtiles des rouages du capitalisme, ni effacer les critiques brillamment argumentées contre le libéralisme économique, ni oblitérer les centaines de pages que Marx a consacrées à dénoncer la tyrannie bourgeoise sur le monde ouvrier. Plus large : en dépit de leurs divergences profondes, tous les révolutionnaires (anarchistes, communistes orthodoxes et hétérodoxes) partageaient un rêve commun. Celui de renverser brutalement le capitalisme pour accoucher d’un monde égalitaire, sans oppression, dégagé du poids étouffant des structures étatiques. Hélas, les paradis rouges ou noirs n’existent pas. Autrement dit, les rêves parfaits sont trop beaux pour être vrais. Faire germer un collectif planétaire sans contradictions, sans rapports de force, sans hiérarchies politiques ou distinctions sociales est un pur fantasme de l’esprit. Un projet hors-sol magnifique sur papier, mais qui tourne à l’enfer pavé de bonnes intentions dès qu’on veut forcer sa réalisation dans une société bien réelle. Vue à hauteur du XXIe siècle, l’histoire de l’URSS a au moins ce mérite : prévenir les utopistes de tous bords qu’à vouloir toucher du doigt l’horizon d’un monde idyllique, on finit par mettre le pied dans des engrenages toxiques qui font tourner la roue de l’utopie à l’envers, transformant alors un merveilleux rêve égalitaire en cauchemar éveillé sur Terre. Comme l’a joliment écrit Louis Aragon (1897-1982), communiste orthodoxe mais fabuleux poète, « songez qu’on n’arrête jamais de sa battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien. Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable. Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables. Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien. »xxxi À ce constat réaliste, ajoutons alors ce bémol paradoxal : par son existence sur un vaste territoire, par son statut de superpuissance planétaire, par l’espoir qu’elle a insufflé à de nombreux mouvements révolutionnaires, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a aussi provoqué une « peur du rouge » au sein des élites européennes. Ce qui a donné au mouvement ouvrier une aura sans pareille pour faire trembler sur ses bases l’ordre libéral-chrétien. Effrayées par le succès populaire des idéaux révolutionnaires, les grèves massives et la détermination du mouvement ouvrier, les gouvernements occidentaux ont eu peur de perdre la partie. Pour s’éviter une défaite au jeu cruel de la lutte des classes, Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page19 les élites politiques partageant l’imaginaire marchand des grands capitalistes ont alors usé de diverses options pour l’emporter sur le communisme. Mentir. Ruser. Réprimer. Tyranniser. Mais aussi admettre qu’à la guerre, quand l’ennemi est trop fort, mieux vaut parfois négocier… Apports des révolutionnaires dans le bras de fer entre ouvriers et capitalistes Tout au long du XIXe siècle la bourgeoise et ses alliés politiques ont réprimé, autant qu’ils le pouvaient, les luttes ouvrières exigeant des droits collectifs et un minimum de dignité pour les travailleuses. Qu’on parle du travail des enfants, de l’absence de congés, de salaires misérables pour des journées de labeur interminables ou bien encore de conditions de travail dangereuses voire mortelles, rien de tout cela ne paraissait injuste ou inhumain aux yeux des grands capitaines de l’industrie capitaliste. À leurs yeux, le peuple ouvrier devait se contenter d’être docile et obéissant, toujours prêt à courber l’échine devant les attentes du patron. Pour que les choses bougent en leur faveur, les gens modestes ont dû s’organiser et se battre ensemble au risque de finir en prison, d’être viré de leur boulot ou d’y perdre carrément la vie. L’État soutenait en effet corps et âme les patrons en réprimant durement les foules en colère traitées comme de dangereux démons. Malgré tout, de victoires en déroutes, les gens modestes n’ont rien lâché. Leurs conditions de vie étaient si avilissantes et précaires qu’ils n’avaient pas grand-chose à perdre. Toutefois, le désespoir seul ne suffit pas à rassembler des foules. Pour se battre et conquérir des droits, il faut aussi avoir l’espoir que de meilleurs lendemains sont possibles. Il faut croire qu’en agissant collectivement les choses peuvent s’améliorer. Et ce rêve capable d’agiter les foules, ce sont les diverses mouvances du socialisme qui lui ont donné vie. Anarchistes de gauche, communistes révolutionnaires, socialistes réformistes : tous ont contribué aux premiers succès du mouvement ouvrier. Parmi eux, les révolutionnaires ont joué un rôle essentiel. Tout d’abord, leur promesse d’un monde débarrassé de toute oppression enflammait les esprits et la volonté de lutter jusqu’à la victoire. Prenons par exemple le marxisme. Il avait le mérite d’offrir une lecture claire des enjeux : si les travailleurs trimaient du matin au soir pour des salaires de misère, la faute incombait à la voracité sans frein des capitalistes. L’usine était organisée comme un camp militaire avec ses murs d’enceinte, une hiérarchie stricte, des ordres beuglés d’en-haut et une implacable discipline. Celle-ci offrait en pâture aux machines des corps et des muscles payés trois fois rien. C’est donc sur la misère et la sueur d’autres humains que les propriétaires de capitaux s’enrichissaient quotidiennement. Pour amasser des fortunes colossales, les capitalistes étaient prêts à tout… y compris se dévorer entre eux ! Dans Le Capital, Karl Marx explique comment les capitalistes aux épaules trop frêles pour suivre la cadence des luttes commerciales tombent ou se font avaler par plus gros qu’eux : « La bataille de la concurrence se mène par l’abaissement du prix des marchandises. Le bas prix des marchandises dépend, caeteris paribus, de la productivité du travail, mais celle-ci dépend de l’échelle de la production. Il s’ensuit que les capitaux plus grands battent les plus petits. » Ainsi, la concurrence Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page20 « se termine toujours par la ruine de nombreux petits capitalistes, dont les capitaux passent, pour une part entre les mains du vainqueur et, pour l’autre, trépassent. »xxxii Dans le capitalisme décrit par Marx, la logique du marché est semblable à celle du poker : au fur et à mesure que les perdants disparaissent dans les couches misérables de la société, le stock de capital possédé par les vainqueurs grossit jusqu’à bâtir des fortunes colossales… qui sont autant d’instruments de pouvoir redoutables. En faisant un lien entre l’accumulation de richesses des détenteurs de capitaux et le basculement dans la pauvreté des salariées et des capitalistes ruinés, Karl Marx parlait immanquablement au cœur des innombrables prolétaires travaillant nuit et jour sans même gagner de quoi nourrir correctement leurs enfants. À tous ces déçus miséreux des régimes politiques dominant l’Europe du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, le marxisme (et les socialismes révolutionnaires en général) offrait un formidable galvanisant : si l’on voulait que ça change, il fallait s’unir, s’organiser et se battre contre les capitalistes et leurs alliés politiques jusqu’à les faire plier. À ces apports théoriques du marxisme, ajoutons que l’existence de l’URSS – présentée à tort comme une sorte de paradis rouge sur Terre – a eu un effet « épouvantail » sur les dirigeants du monde capitaliste. Jusqu’alors sourdes aux appels de la rue, les élites marchandes et politiques ont pris peur face aux succès populaires des socialismes radicaux. Elles ont craint que les petites mains disparates exploitées dans leurs usines – une fois rassemblées en foule déterminée à obtenir un monde plus juste – ne les expulsent manu militari de leur tour d’ivoire dorée. Pour y rester, elles ont alors concédé aux simples mortels des conquêtes culturelles sociales et démocratiques qui ont profondément transformé les sociétés occidentales. Le vent réformiste des conquêtes culturelles, démocratiques et sociales Grâce à la pression mise par les révolutionnaires et les radicaux, des droits nouveaux ont été accordés aux exclus du système : autorisation de créer des mutuelles et des syndicats, élargissement du droit de vote égalitaire, liberté d’expression et d’édition, possibilité de faire grève et de manifester, etc. Devenues citoyennes à part entière, les couches sociales les plus modestes ont pu envoyer dans les parlements des élus pour les représenter. Et lorsque le rapport de forces basculait en leur faveur, des réformes législatives étaient mises en œuvre pour démocratiser les institutions existantes et imposer de massives redistributions des richesses. Pour ce qui concerne les institutions, le monde ouvrier a gagné le droit d’y devenir un contre-pouvoir officiel autorisé à négocier, avec le monde patronal, des droits et des devoirs mieux équilibrés entre salariés et détenteurs de capitaux. Cette démocratisation des institutions s’est effectuée au sein des pouvoirs publics mais également – il ne faut pas l’oublier – au sein des entreprises privées : là où le patronat était jadis tout puissant et seul maître à bord, il devait désormais accepter la présence légale de délégations syndicales représentant les intérêts collectifs des salariées. Ces mutations institutionnelles ont notamment donné vie à l’adoption de nombreuses lois sociales comme les réductions collectives du temps de travail, l’augmentation des salaires ou bien encore l’adoption de mesures d’hygiène et de sécurité pour que les gens ne soient plus obligés de risquer leur vie sur leur Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page21 lieu de travail. L’État a également été reconnu comme un acteur légitime de l’économie. Désormais, il pouvait réguler la vie des entreprises privées mais aussi posséder ses propres entreprises publiques – que ce soit en raison de leur rôle-clé stratégique ou des nombreux emplois existants à préserver. C’est ainsi que des secteurs privés d’activité marchande ont été nationalisés pour confier à l’État-Providence, ce gardien de l’intérêt général, la tâche épineuse d’éviter les crises économiques et de créer de l’emploi afin de garantir une bonne harmonie sociale. Alors que l’État typiquement bourgeois fonctionnait sur le mode d’une privatisation exacerbée de tous les secteurs d’activité, l’avènement de l’État-Providence s’est traduit par des mutualisations massives des richesses. Au nom de l’intérêt général, des taxations élevées ont prélevé d’importantes fractions de leurs revenus aux plus fortunés (entreprises comme individus) pour les redistribuer à la population sous forme de services publics. Qu’on parle d’accès aux transports à tarif réduit pour les familles nombreuses, de bourses d’études octroyées à des étudiants issus de familles sans le sou, de la construction de logements sociaux ou encore de l’engagement d’inspecteurs chargés de vérifier le respect des législations sociales dans les usines, ces services publics ont octroyé des biens et services collectifs à l’ensemble de la population. Parmi ces biens et services collectifs fournis par l’État, il faut citer les subsides alloués à de nombreuses organisations culturelles et humanitaires ne visant aucun objectif commercial. Du secteur associatif au monde artistique, de nombreuses ONG et espaces culturels ont pu voir le jour pour défendre des groupes marginaux ou transmettre des valeurs culturelles différentes de l’idéologie dominante. Par leur existence, ces organisations à but non lucratif ont aussi contribué à démocratiser les sociétés occidentales, notamment en élargissant le débat public à des enjeux cruciaux comme le droit des femmes ou la coopération au développement. À ces constats positifs, ajoutons une autre conquête fondamentale du monde ouvrier : la création, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, de systèmes de sécurité sociale. Concrètement, il s’agit d’une politique très ambitieuse de mutualisation des richesses via la constitution d’un immense pot commun financé, de façon obligatoire, par toutes les personnes actives dans la société selon le principe « chacun contribue selon ses moyens ». Ensuite, l’argent de ce pot commun est redistribué sans discrimination aux personnes plongées dans des situations spécifiques : allocations familiales pour les parents d’enfants, allocations de chômage pour les personnes sans travail, congés payés pour les salariés, aide financière pour les personnes handicapées ou victimes d’un accident du travail, droit à la pension pour les personnes âgées et, last but not least, aides financières conséquentes pour permettre l’accès de toutes et tous aux soins de santé (visite chez un médecin, achat de médicaments, prise en charge d’une grande partie des frais d’hospitalisation). Qu’importe que les personnes aidées soient riches ou pauvres, ces redistributions financières sont accordées selon le principe « à chacun selon ses besoins ». On l’oublie trop souvent : si les sociétés occidentales se sont démocratisées pour offrir de bonnes conditions de vie à une large partie de la population, c’est essentiellement à ces conquêtes du monde ouvrier qu’on le doit. Et bien que l’essentiel de ces victoires soit passé par la voie institutionnelle de réformes législatives accordant de nouveaux droits collectifs et libertés aux populations – donnant ainsi raison aux courants réformistes du socialisme -, le bras de fer nécessaire pour faire plier les élites du monde capitaliste fut remporté, en grande partie, grâce à la détermination farouche et aux mobilisations massives orchestrées par les gauches radicales et révolutionnaires. Bref, réformistes et Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page22 révolutionnaires ont contribué – chacun à leur manière – à transformer les sociétés occidentales de la seconde moitié du XXe siècle en endroits où il fait bon vivre. Pour être complet, il faut aussi concéder que ces progrès remarquables n’en restaient pas moins partiels. Tout d’abord, de nombreuses catégories de gens vivant en Occident restaient discriminées de façon négative : c’était notamment le cas des femmes, des migrants, des personnes victimes de racisme, et de tous ces gens traités comme autant de « déchets humains » en raison de leurs croyances religieuses ou de leur attirance sexuelle pour les personnes du même sexe. De nouvelles conquêtes étaient donc nécessaires pour améliorer davantage le principe d’égalité dans les sociétés européennes, où certaines discriminations antiques survivaient jusqu’au cœur des États-Providence. Par ailleurs, vues à l’échelle du monde, ces conquêtes ouvrières étaient des succès locaux hélas cantonnés à une poignée de pays riches et dominants. Ces îlots de prospérité coexistaient donc avec une myriade de dictatures et régimes militaires réprimant férocement leur population. Loin d’être le fruit du hasard ou de la malchance, ces régimes oppressifs étaient en réalité soutenus par les principales puissances capitalistes – comme les États-Unis désireux de contrer l’influence mondiale du communisme – voulant s’assurer l’accès à d’abondantes matières premières et autres ressources énergétiquesxxxiii. Pour vivre dans un monde réellement plus juste, les mouvements sociaux et politiques défendant des objectifs solidaires avaient donc encore énormément de pain sur la planche. Or, à partir des années 1970, on a assisté à un formidable retour de balancier idéologique : désireux de ne plus brader leurs ressources énergétiques à vil prix, les membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) ont orchestré une hausse phénoménale des prix qui a laissé les dirigeants occidentaux béats de surprise. Confrontées à une hausse soudaine des prix de l’énergie, des entreprises ont fait faillite et des multitudes de salariés ont perdu leur emploi pour engendrer une situation inédite : la montée du chômage conjuguée à une hausse du coût de la vie. La recette miracle qui avait façonné les Trente Glorieuses de l’État-Providence cessa brutalement de fonctionner, à charge pour le monde politique de réinventer la manière de vivre en société… Sans gauche radicale forte, la boussole des solidarités cesse de fonctionner Au moment des chocs pétroliers, l’influence de la gauche radicale avait largement décru dans les pays riches. D’une part, les États-Unis avaient tout fait pour rendre impopulaire la gauche radicale en l’associant exclusivement à une forme d’extrémisme anti-démocratique. Passant sous silence ses apports fondamentaux dans les progrès sociaux des décennies précédentes, niant de surcroît son rôle de contre-pouvoir apportant un regard critique sur les multiples oppressions subsistant dans le monde capitaliste, les États-Unis ont véhiculé une image démoniaque du marxisme et des mouvements de gauche radicale. Se faisant, l’Oncle Sam est parvenu à tendre une sorte de cordon sanitaire entre les gauches réformistes et radicales… D’autre part, les nombreuses réformes engrangées par les conquêtes ouvrières avaient considérablement amélioré les conditions de vie du plus grand nombre. C’est pourquoi d’innombrables salariés ne ressentaient plus le besoin de soutenir des mouvements Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page23 révolutionnaires exigeant des transformations radicales du capitalisme. En offrant des salaires convenables, du temps de loisir conséquent et des congés payés, le système tel qu’il existait leur convenait très bien. Au moment d’imaginer un renouveau politique à l’État-Providence sonné et groggy sous les uppercuts des chocs pétroliers, la gauche réformiste était donc la principale force politique se revendiquant du socialisme. Elle faisait de surcroît cavalier seul en considérant la gauche radicale et révolutionnaire comme une troupe d’extrémistes ; le banc patronal, à l’inverse, était vu comme un partenaire fiable de négociation. En abandonnant la boussole idéologique qui avait jadis conduit aux grandes conquêtes ouvrières, les socialistes réformistes étaient comme perdus. Malléables à souhait, ils se sont laissés emporter par des radicaux d’un autre genre : les partisans du néolibéralisme. Pour expliquer la crise économique, des dirigeants politiques comme Ronald Reagan (1911-2004) ou Margareth Thatcher (1925-2013) ont lancé des anathèmes contre l’État-Providence. Ils ont accusé la solidarité de tous les maux et proposé un panel de mesures faisant de l’égoïsme le nouveau centre de gravité du monde politique. Leur idée de base était simple : pour relancer la croissance économique, il fallait libérer les riches du fardeau oppressant des taxes et briser les chaînes encombrantes de législations étatiques kafkaïennes emprisonnant les entreprises. L’État-Providence devait donc subir un régime financier draconien en abandonnant de nombreux services rendus à la population. En lieu et place, les gouvernements devaient se concentrer sur la seule tâche qui importe vraiment dans un monde néolibéral : se mettre au service du marché et des investisseurs en adoptant des lois favorables à la libre-concurrence. Des cadeaux fiscaux pour les entreprises et les grandes fortunes ont ainsi été conjugués à des vagues d’austérité imposées aux pouvoirs publics. Des privatisations massives d’entreprises publiques ont également été orchestrées pour les orienter vers le profit et la rentabilité. Pour répondre aux desiderata des lobbies patronaux, des accords politiques internationaux ont adopté de nouvelles législations rendant possible, entre une multitude de pays, une libre-circulation du capital et des marchandises. La création du marché unique européen jumelé à une monnaie commune en est un exemple parmi beaucoup d’autres. Nommés « accords de libre-échange » dans le jargon néolibéral, ces ententes politiques ont considérablement accru la taille des marchés de consommateurs et ainsi permis de nombreuses fusions et acquisitions d’entreprises. Cette concentration de capitaux (conforme aux prédictions de Marx) a transformé des multinationales déjà puissantes en empires marchands titanesques. Autorisés à déplacer leur argent et marchandises d’un pays à l’autre sans régulations publiques, ces empires privés ont pris en otage les démocraties en plaçant sous leur gorge un couteau menaçant : le chantage aux délocalisations. Pour éviter des fermetures d’usine et des licenciements massifs de la main-d’œuvre, les dirigeants des États-Providence avaient désormais intérêt à raisonner comme des investisseurs. De par le monde, ceux-ci avaient l’embarras du choix pour déplacer leurs lieux de production dans des pays oppressifs où aucun droit collectif n’était accordé aux salariées. À l’inverse, les législations fiscales et sociales avancées des pays démocratiques – imposant des devoirs contraignants au secteur privé – étaient autant de corsets faisant suffoquer les entreprises situées sur ces territoires. Pour les acteurs politiques locaux, la seule solution viable (dans le cadre du néolibéralisme) était d’aguicher les investisseurs en détricotant les conquêtes ouvrières et les mécanismes institutionnels de redistribution des richesses. En libérant les flux mondiaux de capitaux et de marchandises, les politiques dites de « libre-échange » ont donc offert à un groupe social très puissant (les actionnaires majoritaires de firmes multinationales) Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page24 un privilège exorbitant : le shopping législatif. Des acteurs privés titanesques, mobiles à l’échelle de la planète, pouvaient désormais mettre en concurrence les différents régimes politiques et systèmes juridiques attachés à un territoire. Les gouvernements d’une multitude de pays ont ainsi accepté une course effrénée à la compétitivité internationale dans laquelle les conquêtes sociales du passé – à commencer par les droits collectifs des travailleurs – se sont transformés en boulets qu’il faut constamment alléger et réduire. Vu de façon globale, le néolibéralisme a donc inversé le rapport de forces entre la sphère politique et le secteur privé en plaçant l’élite du monde capitaliste en position de juge international – on pourrait aussi écrire d’électeur ultime – des différents systèmes politiques. Leur préférence allant clairement vers des régimes tyranniques livrant aux entreprises une main-d’œuvre docile et mal payée, on a vu se généraliser une course mondiale aux profits se faisant sur le dos des salariées. En Occident, les mots compétitivité et productivité ont été mis au service d’un management presse-citron imposant une organisation du travail despotique reposant notamment sur la sous-traitance, des contrats de travail précaires, des salaires indigents, un sous-effectif chronique, une polyvalence à outrance, etc. Simultanément, les services publics et mécanismes de solidarité institués (comme l’impôt progressif ou le financement de la Sécurité sociale) ont été l’objet d’attaques patronales et gouvernementales incessantes. Au fil des décennies, les filets de protection sociale censés garantir un bien-être minimum à l’ensemble de la population ont perdu en efficacité et légitimité. C’est ce qui explique le basculement d’un nombre croissant de personnes dans la pauvreté. Indifférent à leur sort, le monde politique traditionnel a continué de libéraliser l’économie en promouvant le shopping législatif tout en fredonnant la maxime préférée des libéraux : l’opulence des riches est la condition première des investissements créateurs d’emploi dont les pauvres pourraient éventuellement bénéficier. Les crises contemporaines sont la conséquence d’une idéologie dogmatique S’il est sorti de l’œuf au cours des années 1980 aux États-Unis et en Grande-Bretagne sous Reagan et Thatcher, la résurrection du libéralisme s’est vite généralisée dans l’ensemble du monde capitaliste. Après la chute du mur de Berlin en 1989, on a carrément vu fleurir des discours enflammés annonçant la fin de l’histoire et un avenir radieux pour l’humanité grâce au capitalisme et à l’économie de marché. Ces deux « entités » ont été présentées, toutes époques confondues, comme le meilleur mode de gouvernance possible du genre humain. Au mépris des 300.000 ans d’histoire au cours desquels les Homo sapiens ont expérimenté d’innombrables manières de vivre en société, soudainement il n’y avait plus qu’une seule vérité possible : ériger le monde des grands investisseurs en peuple élu, et tout faire pour les servir. Depuis une quarantaine d’années, le néolibéralisme est ainsi devenu l’alpha et l’oméga de la pensée politique… y compris chez les socialistes réformistes. Après avoir abandonné leur boussole idéologique de gauche radicale et égalitaire, les partis socialistes réformistes ont accepté toutes les compromissions Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page25 avec l’idéologie libérale8 . Au nom de la croissance économique, ils sont montés dans des gouvernements légalisant le shopping législatif des firmes multinationales sur fond de reculs sociaux et démocratiques. Désormais placés dans l’orbite d’empires marchands capables de les sanctionner via des décisions unilatérales (comme la délocalisation des lieux de production ou le licenciement massif de salariées), les parlements nationaux et leurs élus ont perdu la capacité à prendre des décisions souveraines sur leur territoire. Se faisant, le pouvoir politique – qui constitue l’assise légitime des démocraties modernes – s’est pour partie désagrégé en faveur de pouvoirs privés, centralisés dans des conseils d’administration de firmes tentaculaires où le droit d’élire ses représentants est l’apanage de millionnaires et milliardaires détenant une participation majoritaire dans ces sociétés. À l’antipode des promesses faites au lendemain de la chute du mur de Berlin, le néolibéralisme nous a ainsi conduit à un effritement démocratique provoquant une multitude de crises culturelles, sociales et écologiques. Vu à hauteur des années 2020, le bilan des politiques néolibérales pourrait difficilement être pire : À l’échelle de la planète, le soutien politique sans faille aux prédations des multinationales a provoqué une surexploitation des écosystèmes et la production exponentielle de polluants variés (dont les gaz à effet de serre). Malgré l’ampleur des dégâts déjà visibles et les prédictions alarmantes du monde scientifique pour l’avenir, le logiciel dominant la pensée politique contemporaine reste braqué sur une idéologie délétère : assurer une croissance économique perpétuelle en faisant confiance à des empires marchands dont la cupidité est le leitmotiv principal ; Sur le plan géopolitique, le besoin frénétique d’importer des matières premières à bas prix et de fabriquer des marchandises low cost a poussé l’Occident, depuis des lustres, à maintenir des milliards d’habitants dans une pauvreté endémique. À l’aide d’instruments géopolitiques variés (amitiés avec des dictateurs, corruption de dirigeants, vassalisation des populations via l’endettement de leur pays, etc.), les gouvernements des pays riches ont soutenu des régimes oppressifs (à condition qu’ils soient non communistes) sur toute la planète. Le mépris total affiché à l’égard des populations étrangères victimes de ces alliés despotiques a contribué – même si personne n’ose le reconnaître officiellement – à l’essor de mouvements terroristes dont l’Occident fut l’une des victimes. Cela a entraîné en retour l’adoption de législations liberticides rabotant les droits légitimes des citoyens d’une part, et élargissant d’autre part les moyens de contrôle, de surveillance et de répression des forces de police et de leurs soustraitants privés. De nos jours, ces mutations juridiques sont fréquemment utilisées pour criminaliser les mouvements sociaux contestataires (monde syndical, ONG, société civile) que l’État-Providence avait jadis aidé à s’épanouir ; Enfin, le démantèlement progressif des conquêtes ouvrières par les politiques néolibérales a engendré une très forte dualisation sociale. Tandis qu’une poignée d’individus s’enrichissent sans d’autre limite que leur avidité infinie, des milliards d’humains basculent et végètent dans une pauvreté plus ou moins extrême. Désemparés, ces précaires parmi les précaires sont complètement abandonnés par les partis politiques traditionnels qui ont pour priorité de satisfaire le peuple élu des investisseurs. 8 En 2021, Mateo Alaluf a publié (aux éditions Page 2 & Syllepse) un essai à ce propos : Le socialisme malade de la socialdémocratie. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page26 Parvenu à ce stade de l’histoire, être prophète n’est pas nécessaire pour comprendre que le néolibéralisme est une vedette en sursis sur la scène politique. Les impasses dans lesquelles cette idéologie nous a plongés sont désormais beaucoup trop fréquentes et tangibles – à l’image de la crise retentissante des subprimes de 2007 où les pouvoirs publics ont servi de bouée de sauvetage à des banques privées. Si d’aventure les gouvernements s’entêtent à poursuivre dans cette voie où la cupidité est le seul horizon légitime des politiques publiques, le flot de critiques et de déçus ne fera qu’enfler. L’émergence des Gilets Jaunes en 2019 ou des Jeunes manifestant pour le climat sont autant d’indices d’une révolte qui couve et se répand dans le cœur des gens. Toujours en vogue mais déjà has been, l’idéologie néolibérale a des allures de morte-vivante… sans qu’on sache encore ce qui va vraiment la remplacer. Par où est la sortie ? La première option glanant la faveur des électeurs est hélas un monstre boursouflé au visage hideux : les partis politiques aux idéologies discriminatoires et fascistes d’extrême-droite. Ce chemin-là est le choix du pire. Une sorte de sauve-qui-peut morbide où la recherche de boucs-émissaires et l’envie de frapper sur plus petit que soi sont vues comme un moyen légitime de survie dans le bourbier des crises contemporaines. Alimentées par la haine et le mépris de l’autre, ces idéologies nauséabondes ont pour ambition de creuser davantage les inégalités et les discriminations. En prônant la suprématie d’un groupe social (quel qu’il soit) sur tous les autres, ces mouvements affichent le plus souvent un dédain total pour les vivants non humains. Par conséquent, ils figurent souvent parmi les premiers négationnistes du réchauffement climatique et sont les derniers à prendre au sérieux les enjeux écologiques dont ils nient (ou sous-évaluent) l’impact concret sur les populations. Bref, ces gens sont particulièrement mal armés pour combattre les méfaits du néolibéralisme. Avec leur montée en puissance, la dualisation sociale les politiques liberticides et les dégâts humains causés aux écosystèmes ne feront qu’enfler ! Une deuxième option semble bien plus désirable : plébisciter à nouveau des partis de gauche radicale. Animés par un idéal égalitaire, ces partis peuvent faire un excellent gouvernail pour mettre le cap vers davantage de solidarités. Pour réussir ce défi, les partis de gauche radicale doivent évidemment redevenir populaires, mais aussi savoir regarder leur histoire d’un œil critique pour tirer des leçons salvatrices de leurs échecs passés. Tout d’abord, il faut abandonner l’idée qu’il existerait un peuple élu : qu’on parle des prolétaires ou des investisseurs, aucun groupe social ne mérite d’être érigé en sujet omnipotent de l’histoire. Ce qui est vrai à l’échelle locale l’est également au niveau global : développer des droits collectifs sur quelques îlots de prospérité limités à une poignée de pays riches n’a aucun sens si cette opulence se construit en laissant crever de misère le reste de la planète. Les solidarités locales doivent donc s’enraciner dans des institutions publiques défendant des droits collectifs réellement universels, avec la mise en place de mécanismes internationaux de redistribution des richesses tirant les régions les plus pauvres de la planète vers le haut (soit l’exact contraire de la philosophie contemporaine du shopping législatif). Chemin faisant dans cette reconfiguration des liens entre ici et ailleurs, ce sont aussi les rapports identitaires entre humains et non-humains qui doivent être complètement réinventés. Nos sociétés modernes se sont en effet bâties sur une illusion sournoise : l’humain vivrait sur un piédestal qui le Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page27 sépare radicalement de la nature. Appliqué en URRS comme dans le monde capitaliste, cette glorification humaniste a justifié l’asservissement d’innombrables vivants ravalés au rang de simples objets destinés à satisfaire toutes nos envies. Rien n’illustre mieux ce rapport aveugle de domination que les termes usuels employés dans le monde économique lorsqu’on parle de matières premières ou de ressources naturelles. Dans un monde égalitaire, aucun vivant ne devrait être considéré comme un simple moyen de production ! A fortiori lorsque la science nous apprend que l’interdépendance entre toutes les formes de vie est ce qui rend notre existence possible… Pour rêver d’un monde meilleur, s’attaquer aux racines profondes des crises écologiques n’est pas une option mais une nécessité absolue. Nous devons faire descendre l’espèce humaine de son piédestal imaginaire pour tisser, avec les autres espèces, de nouvelles relations diplomatiques – comme le propose notamment le philosophe Baptiste Morizot9 – où chacun peut s’épanouir sans piétiner l’autre. Aucune cause ne justifiant de réduire à néant des milliards de vies, il est urgent d’abandonner une vision du monde exclusivement tournée vers le développement aveugle de l’économie, où l’on nomme production de richesses des pratiques polluantes qui exterminent massivement les espèces et déglinguent dangereusement les écosystèmes. Si elle veut refleurir de façon légitime, la gauche radicale doit donc se fixer un objectif inédit : abandonner les cultes aveugles du développement technique et de la croissance économique. Loin de faire agoniser le capitalisme pour céder la place à un monde meilleur comme le prévoyait Marx, l’idéologie productiviste a bien au contraire permis une extension sans pareille du capitalisme. Après avoir colonisé le monde entier grâce à des technologies de plus en plus efficaces, les empires marchands contemporains lorgnent désormais vers de nouveaux horizons. Ils rêvent notamment d’exploitation minière dans l’espace et forgent des outils polluants (digitaux, génétiques, neurologiques, robotiques…) de plus en plus invasifs. Leur objectif est de transformer ce qu’il y a de plus intime dans nos vies (comme nos gènes, nos pensées et nos rêves) en vulgaire marchandise. Pour y parvenir, ils sont prêts à inventer et propager toutes sortes de mensonges – comme le conte enchanteur de voitures électriques propres alors que le secteur numérique est l’un des plus polluants qui soit aujourd’hui. Si l’on veut réellement s’opposer au capitalisme et à son expansion démentielle mettant en danger la survie des espèces présentes sur cette planète (nous compris), il faut renoncer aux grands rêves productivistes d’hier… Pour le dire autrement, les gauches radicales et réformistes doivent renoncer à cette illusion collective qu’elles ont trop longtemps partagée avec leurs ennemis bourgeois du camp d’en face. 9 Lire notamment son livre Raviver les braises du vivant paru en 2020 chez Actes Sud. Des leçons à tirer des échecs révolutionnaires passées___________________________________________ Juillet 2022 Page28 i Article de Nicolas Werth, Pas de révolution sans les soldats, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 48-55. ii Article de Sabine Dullin, Tous aux urnes !, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 74-79. iii Article d’Emilia Koutsova, Le rêve brisé de la démocratie directe, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 60-65. iv Entretien avec Marc Ferro, Personne n’avait anticipé l’explosion de Février, publié dans la revue L’Histoire n°432, pages 34-44. v Sources : articles publiés dans la revue L’Histoire n°432 de Emilia Koutsova, op. cit., pages 60-65 ; Catherine Merridale, Dans le train plombé avec Lénine, pages 66-73 ; Sabine Dullin, op. cit., pages 74-79. vi Moshe Lewin, La formation du système soviétique (Essais sur l’histoire sociale de la Russie dans l’entre-deux-guerres), et plus particulièrement les parties suivantes du livre : Partie II Collectivisation ou autre chose ? (Chapitres L’arrière-plan immédiat de la collectivisation soviétique & Prendre les céréales : la politique soviétique des collectes agricoles avant la guerre) ; Partie III Léninismes et changement social (chapitres Léninismes et bolchévisme à l’épreuve de l’histoire du pouvoir & Société, État et idéologie sous le premier plan quinquennal & L’arrière-plan social du Stalinisme). vii Ibid., pages 304, 311 & 315, 390. viii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), pages 803-857. ix Moshe Lewin, op. cit., pages 137-150 & 401-405. x Ibid., p.348. xi Ibid., p.337. xii Ibid., p.401. xiii Ibid., p.398. xiv Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, p.51. xv Ibid., p.51. xvi Parmi les nombreux ouvrages d’anthropologie consacrés à ce sujet, on peut notamment lire (pour l’Afrique) Luc de Heusch, Rois nés d’un cœur de vache (mythes et rites bantous) et (pour les Andes) Jacques Malengreau, Sociétés des Andes (des empires aux voisinages). xvii Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xviii Lire à ce propos l’impressionnant travail de recherches de Philippe Descola (notamment son livre Par-delà nature et culture) ou – beaucoup moins poussée mais facile à lire – ma petite Balade au pays des premières religions. xix Karl Marx et Friedrich Engels op. cit., p.70. xx Ibid., p.58. xxi Ibid., p.55. xxii Ibid., p.54. xxiii Ibid., pages 61-62 xxiv Ibid., p.68. xxv Ibid., p.66. xxvi Ibid., p.80. xxvii Ibid., p.81. xxviii Ibid., pages 57-58. xxix Ibid., p.65. xxx Ibid., pages 80-81. xxxi Extrait du poème Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, publié dans Les poètes. xxxii Karl Marx, Le Capital (livre I), Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1983 (1ère édition originale : 1867), p.702. xxxiii Lire notamment à ce propos Tim Weiner, L’histoire de la CIA (des cendres en héritage), Paris, éditions Perrin (collection Tempus), 2011 (1ère édit. originale : 2007).
La citoyenneté politique des femmes en Belgique Étude • Sylvie Boulvain • Décembre 2019 CENTRE D’ÉDUCATION POPULAIRE ANDRÉ GENOT rue de Namur 47 • 5000 Beez T. 081/26 51 52 • F. 081/26 51 51 cepag@cepag.be • www.cepag.be La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 2 « L’avenir de la femme, son statut économique, sa place dans le monde moderne dépendront en grande partie de la politique qui sera faite avec elle – sans elle- et peut-être contre elle1 ». Juridiquement la citoyenneté est un ensemble de droits – soit les droits civils, ou libertés fondamentales, les droits politiques ainsi que les droits économiques et sociaux – et de devoirs. Plus largement, la citoyenneté désigne aussi dans les démocraties la manière dont les résidentes et résidents d’un pays peuvent faire usage de leurs droits pour participer aux décisions de la vie publique, peser sur le débat politique et dynamiser ainsi la démocratie. Il s’agit également d’une qualité morale impliquant de se soucier de l’intérêt général2 . Nous allons traiter ici prioritairement de la lente accession, graduelle, des femmes belges à leurs droits politiques, sans oublier les autres droits qui y sont intimement liés. Si la Belgique célèbre, en cette année 2019, le 100e anniversaire du suffrage dit « universel », le véritable suffrage universel, tant masculin que féminin, vient seulement d’avoir 70 ans. Les femmes belges ont été longtemps exclues des trois aspects de la vie politique : l’élection, l’éligibilité et le gouvernement. Et aujourd’hui même, la parité — soit une représentation égale des femmes et des hommes à tous les niveaux des pouvoirs politiques — n’est pas encore une réalité. 1 P. SARTIN, « La femme, le travail et la politique dans les sociétés modernes », Res Publica, 1967, p. 121, citée par Éliane GUBIN et Leen van MOLLE, Femmes et politique en Belgique, Bruxelles, 1998, p. 19. 2 http://www.vocabulairepolitique.be/citoyennete-3/ Consulté le 3 décembre 2019. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 3 La longue marche des femmes vers les urnes « Le combat [pour l’obtention du droit de vote] – plus d’un siècle – fut beaucoup plus dur pour les femmes que pour les hommes car tout, dans les institutions et dans les mentalités, s’opposait à l’entrée des femmes dans la sphère publique3 . » Alors qu’elle garantit les libertés modernes, la Constitution du tout nouvel Etat belge, fruit des négociations entre catholiques et libéraux, adopte en 1831 le suffrage censitaire, réservant le droit de vote à une extrême minorité : les hommes fortunés assujettis à un important impôt direct (le cens). Ce système profondément inégalitaire va, jusqu’en 1893, exclure 95 à 98 % de la population, dont toutes les femmes ainsi que une écrasante majorité des hommes. À l’époque, le vote n’est pas envisagé comme un droit, mais comme une fonction pour laquelle certaines compétences sont requises, compétences procurées par une aisance financière qui, tout en garantissant un attachement à l’ordre établi, permet l’indépendance et un bon niveau d’éducation4 . En raison de leur nature même, les femmes sont totalement et irrémédiablement exclues de la citoyenneté politique, ne pouvant être ni électrices ni élues. Selon le Code civil belge, calqué sur le Code Napoléon de 1804, à la différence des veuves et des célibataires qui gardent leur capacité civile, les femmes mariées sont d’éternelles mineures placées sous la tutelle de leur mari. Le Code électoral va plus loin puisqu’il interdit à toutes les femmes, quel que soit leur état civil, l’exercice de la citoyenneté. Tandis que l’exclusion des hommes du corps électoral pouvait cesser suite à leur enrichissement, les femmes en sont définitivement écartées en raison de leur sexe. À l’instar d’autres mouvements d’émancipation, les premières féministes belges ont commencé leur lutte en revendiquant un meilleur accès à l’éducation pour les filles. Parmi ces « protoféministes » issues de la moyenne bourgeoisie, la plus connue est sans conteste la femme de lettres Zoé Gatti de Gamond (1806-1854). Influencée par le socialisme utopique de Saint-Simon et de Fourier, elle entend 3 Éliane GUBIN et Leen van MOLLE, Femmes et politique en Belgique, Bruxelles, 1998, p. 29. 4 Par contre le droit d’éligibilité masculin est particulièrement large par rapport aux autres pays européens, il suffit ainsi d’être un homme de nationalité belge d’au moins 25 ans pour être élu député à la Chambre des représentants. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 4 d’abord changer les mentalités, tant féminines que masculines, en améliorant l’éducation des filles cantonnées jusque-là aux arts d’agrément et à l’économie domestique, sans oublier la religion, « l’instruction dont on les nourrit est étroite, tronquée et superficielle5… ». En plus de ses écrits qui insistent sur le rôle de l’éducation dans l’émancipation intellectuelle des femmes et dans leur indépendance économique, elle met en œuvre ses principes en ouvrant, en 1835, deux écoles gratuites à Bruxelles, alors que l’offre des nombreux autres établissements de son époque est fort onéreuse. Il s’agit d’une école professionnelle pour les ouvrières avec un programme limité à la lecture, au calcul, à l’écriture et la morale, et une école normale pour demoiselles désireuses de devenir institutrices. L’expérience tourne rapidement court, faute de subsides publics et en raison du départ pour Paris en 1837 de Zoé avec son mari, l’artiste peintre Jean-Baptiste Gatti, insurgé nationaliste italien et réfugié politique. Ces premières féministes, en vertu de leurs convictions chrétiennes, ne revendiquent pas l’égalité totale entre hommes et femmes, car le rôle primordial de ces dernières est de s’occuper de leur foyer en tant qu’épouses et mères ainsi que de veiller à l’éducation de leurs enfants, tandis que le champs politique est réservé aux hommes. En 1864, la ville de Bruxelles crée le nouvel institut laïque payant pour demoiselles, les « Cours d’Éducation » qui, en leur prodiguant une solide formation scientifique, leur ouvre progressivement la voie vers l’enseignement normal et pré-universitaire au fur et à mesure de l’ouverture de nouvelles sections. La direction en est confiée à la fille de Zoé Gatti de Gamond, Isabelle Gatti (1839-1905) dont le credo est de « Créer […] la femme émancipée […] par le travail, par le talent et par la science. » Des écoles analogues naissent dans d’autres villes dirigées par des progressistes6 . Le contexte politique belge est favorable à ces nouvelles initiatives puisqu’en ce temps de lutte scolaire contre les catholiques, les libéraux entendent soustraire l’enseignement des filles aux congrégations religieuses qui exerçaient jusque-là un quasi-monopole : « La femme, future épouse et éducatrice, soumise à l’Église, apparaît comme un cheval de Troie au cœur des familles libérales7 . » Ces écoles seront une véritable pépinière de futures universitaires impliquées dans la vie publique et dans la lutte féministe. Au début des années 1880, les universités reçoivent leurs premières étudiantes – l’Université Libre de Bruxelles en 1880, l’Université de Liège en 1882 et l’Université de Gand en 1883 – par contre les 5 [Zoé DE GAMOND], De la condition sociale des femmes au XIXe siècle, Revue Encyclopédique, décembre 1832, p. 612-613. Cité par Éliane GUBIN, Valérie PIETTE et Catherine JACQUES, « Les féminismes belges et français de 1830 à 1914. Une approche comparée », Le Mouvement Social, 1997/1 (n° 178), p. 40. 6 Par exemple, les classes supérieures de l’institut de Kerckove sont fondées à Gand en 1861, l’Institut supérieur pour demoiselles à Liège en 1868 par Léonie de Chestret de Haneffe, veuve de Waha, ou l’école moyenne Anna Bijns à Anvers en 1878. 7 Éliane GUBIN, Valérie PIETTE et Catherine JACQUES, « Les féminismes belges et français de 1830 à 1914. Une approche comparée », Le Mouvement Social, 1997/1 (n° 178), p. 47. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 5 évêques belges résistent et c’est seulement en 1920 que l’Université catholique de Louvain rejoint le mouvement. La présence des étudiantes reste assez confidentielle, ainsi, en 1939-40, ces établissements en comptent respectivement 25%, 16,6%, 14% et 11,4%. Il faudra attendre les années qui suivent la Deuxième guerre mondiale pour que la mixité commence réellement à s’installer. Si l’instruction des femmes est tolérée par la société tant qu’elle ne fait qu’apporter un plus au sein du foyer, pour l’éducation des enfants ou pour aider le mari dans ses affaires, l’accès à certaines professions, notamment juridiques, leur reste interdit. Ainsi, Marie Popelin (1846-1913), ancienne enseignante auprès d’Isabelle Gatti de Gamond, puis directrice d’école, va en faire l’amère expérience. Après des études à l’ULB, elle est la première femme à obtenir en 1888 un diplôme de droit, mais alors qu’aucun règlement n’existe pour interdire l’accès du barreau aux femmes, les cours d’appel puis de cassation lui refusent le droit de prêter le serment d’avocat en mettant en avant des arguments d’ordre biologique ou familial, soit « les exigences et sujétions de la maternité, l’éducation que la femme doit à ses enfants, la direction de son ménage et du foyer[…] ne lui donnent ni les loisirs, ni la force, ni les aptitudes nécessaires aux luttes et aux fatigues du barreau »… Alors qu’elle est célibataire et âgée de 42 ans. Il faudra attendre 1922 pour que soit votée la proposition de loi du ministre socialiste de la Justice Émile Vandervelde, rédigée avec l’aide de la jeune juriste Marcelle Renson (1894-1988), et que les femmes puissent revêtir une toge pour plaider en public. Le franchissement de cette étape symbolique constitue un réel renversement des stéréotypes. Des femmes, toujours considérées comme mineures par la législation dans le cas des femmes mariées, font ainsi leur entrée dans la sphère publique jusque-là bastion masculin. Notons que la résistance des professions médicales, plus conformes au rôle traditionnel des femmes d’apporter des soins à autrui, soit le care, fut beaucoup moins importante que pour les professions juridiques, puisque la loi de 1890 autorise les femmes diplômées de l’université à exercer la médecine et la pharmacie. Scandalisés notamment par cette injustice faite aux femmes diplômées, Marie Popelin et l’avocat féministe Louis Frank8 (1864-1917) fondent en 1892 la première association féministe belge structurée, la Ligue belge du droit des femmes (LBDF), sur le modèle de la Ligue française des droits des femmes. Ils bénéficient de l’aide de quelques progressistes des deux sexes, issus du monde 8 Louis Frank publie en 1888 « La femme-avocat » pour aider Marie Popelin à accéder au barreau. En 1892, il défend dans son volumineux « Essai sur la condition politique de la femme » la thèse selon laquelle la société arrivera progressivement « à l’égalité civile et politique des sexes… ». La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 6 associatif, politique ou scientifique : Henri La Fontaine9 (1854-1943) et sa sœur Léonie (1857-1949), Isala Van Diest10 (1842-1916), première femme médecin belge, Hector Denis (1842-1913), recteur de l’ULB et futur sénateur socialiste, sa femme Joséphine Mathieu (1849-1905) et Louise Popelin (1850- 1937), sœur de Marie, institutrice devenue la première pharmacienne diplômée en 1887. Alors que les féministes des autres pays d’Europe, comme les suffragettes anglaises, revendiquent prioritairement le droit de vote, cette association d’émanation bourgeoise et laïque, même si elle se veut politiquement neutre, prône d’abord des réformes juridiques pour obtenir l’égalité civile et économique, réformes garantes d’une réelle citoyenneté des femmes, indépendantes à la fois de leur mari et de leur patron, dans la Belgique industrielle de l’époque où les inégalités économiques sont criantes et les conditions de travail extrêmement dures. La liste des revendications de la LBDF comprend, entre autres, le droit au travail, le droit pour la femme mariée de disposer d’un livret à la Caisse d’épargne, la suppression de l’interdiction de la recherche de paternité, l’admission des femmes dans l’administration et, à terme, l’abolition de l’autorité maritale. Elle édite dès 1892 une revue qui informe des progrès du féminisme en Belgique et à l’étranger et qui publie des articles juridiques de fond. Véritable organe de pression de bientôt 300 membres, la LBDF va contribuer à faire évoluer la législation notamment grâce à ses membres masculins qui relayent ses revendications auprès du Parlement et plus largement dans la sphère publique. Citons notamment les lois de 1900 qui autorisent les femmes mariées à déposer de l’argent à la Caisse d’épargne et à en retirer sans l’accord de leur mari ainsi que de toucher elles-mêmes leur salaire, la « loi des sièges » en 1905 qui donne le droit aux vendeuses à s’assoir en l’absence de clients et la loi de 1910 qui permet aux femmes d’être électrices et élues aux conseils de prud’hommes destinés à régler les conflits entre les ouvriers et les patrons, leur permettant ainsi d’exercer une action politique en se prononçant sur les réformes du régime de travail. La loi de 1908 sur la recherche de paternité s’avère par contre décevante puisqu’elle maintient l’interdiction de cette recherche dans le cas d’hommes mariés. La mobilisation pour l’égalité de traitement entre les instituteurs et institutrices n’a, elle, pas abouti. En 1885, la création du Parti ouvrier belge (POB) a bouleversé le paysage politique belge jusque-là dominé par les libéraux et les catholiques. Dès sa fondation, le POB entend défendre le principe de 9 Libéral progressiste, Henri La Fontaine rejoint le POB en 1895 et siège comme sénateur provincial de 1895 à 1932. Militant pacifiste, il reçoit le prix Nobel de la Paix en 1913. Il est également avec Paul Otlet le fondateur du Mundaneum ou Office International de Bibliographie, système révolutionnaire de référencement, ancêtre de google, au sein duquel l’Office central de Documentation féminine est créé en 1909. 10 Comme l’université de Louvain refuse en 1873 de l’inscrire en faculté de médecine, Isala Van Diest poursuit ses études en Suisse où elle obtient son diplômée en 1879, puis une spécialisation en 1883 à l’ULB qui vient d’ouvrir ses portes aux étudiantes. Elle sera autorisée à pratiquer la médecine en Belgique par arrêté royal en 1884. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 7 l’égalité pour tous, sans condition de race, de culte ou de sexe. Suite à la pression populaire, notamment la grève générale et les manifestations orchestrées par les socialistes, la Chambre vote en 1893, dans l’urgence, le suffrage universel masculin tempéré par le vote plural. S’il atténue en partie l’inégalité sociale – tous les hommes possèdent désormais une voix mais les plus riches ou éduqués jusqu’à trois voix –, ce système continue d’exclure totalement les femmes. Désavantagé par ce système hybride qui favorise les libéraux et les catholiques, le POB continue de revendiquer le suffrage universel pour tous et toutes jusqu’en 1902 où, espérant un accord électoral avec les libéraux pour briser la majorité catholique en place depuis 1884. Il renonce à défendre le vote féminin pour donner priorité au suffrage universel masculin, allant ainsi à l’encontre de la charte fondatrice de Quaregnon (1894) et de son principe d’égalité politique. Ces deux partis craignent surtout que les femmes votent en masse pour les catholiques en raison de l’influence supposée du clergé. La mort dans l’âme, les militantes socialistes, telles Isabelle Gatti de Gamond11, sont bien obligées d’accepter de différer leur combat au nom de l’intérêt suprême de la classe ouvrière. Au contraire, le parti catholique, même en son aile conservatrice hostile à l’émancipation féminine, revendique le suffrage féminin par pure stratégie électoraliste, espérant ainsi endiguer le progrès du socialisme. Pour compenser une forme de faiblesse structurelle, Marie Popelin multiplie les contacts internationaux et réussit, à l’issue de nombreuses tractations, à fédérer en 1905 plusieurs associations féministes belges – la LBDF, la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme et l’Union des femmes belges contre l’alcoolisme, bientôt rejointes par d’autres associations – au sein du Conseil national des femmes belges (CNFB), antenne belge du Conseil international des femmes (CIF) créé en 1888 aux Etats-Unis12. Bien que le CNFB se revendique apolitique et neutre, il est perçu, tout comme la LBDF, comme laïque et libéral et le Féminisme chrétien de Belgique ainsi que les Femmes socialistes refusent de s’y associer. Malgré ses efforts, le féminisme belge est clivé selon les trois partis traditionnels et affaibli par des conceptions difficilement conciliables de l’émancipation féminine : le féminisme libéral qui souhaite des réformes dans le respect des institutions pour aboutir à l’alignement des conditions masculine et féminine, le féminisme chrétien qui insiste sur le différentialisme et la complémentarité entre hommes et femmes, et le féminisme socialiste qui privilégie la lutte des classes pour en finir avec le capitalisme et ses discriminations. 11 Isabelle Gatti de Gamond rejoint le POB en 1896 qui la nomme en 1901 secrétaire de la Fédération nationale des femmes socialistes. 12 https://www.cffb.be/ La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 8 Lassées de l’instrumentalisation de leur cause comme arme électorale, influencées par le féminisme international, notamment l’Alliance internationale des femmes pour le suffrage et le CIF, ainsi que par les associations philanthropiques féminines qui luttent contre l’alcoolisme ou la prostitution, les féministes belges tentent d’explorer d’autres stratégies pour faire progresser leurs droits et vont peu à peu donner priorité à l’obtention du suffrage féminin. Le droit de vote féminin n’est donc pas encore envisagé comme un droit humain à part entière au nom de l’égalité, mais comme un moyen pour faire avancer les revendications spécifiques des femmes, il s’agit d’une conception utilitaire du suffrage. En réaction au dépôt à la Chambre en 1912, par le socialiste Émile Vandervelde, d’une proposition de révision de la Constitution pour différer le suffrage des femmes, la libérale Jane Brigode13 (1870-1952), secrétaire de la LBDF, et la catholique Louise Van den Plas14 (1877-1968) créent la Fédération belge pour le suffrage des femmes, associant notamment la LBDF avec d’autres associations féministes, dans le but de coordonner la lutte en faveur du droit de vote féminin. Les avancées enregistrées sont brutalement interrompues par la Grande Guerre et les revendications suffragistes cèdent le pas au patriotisme et aux œuvres philanthropiques, notamment au sein de l’Union patriotique des femmes belges qui coordonne les associations féministes et féminines de toutes tendances, sous la direction des mêmes Jane Brigode et Louise Van den Plas. Ailleurs dans le monde, les pionnières du droit de vote sont les Néo-Zélandaises qui expriment leurs suffrages au niveau national dès 1893, les Finlandaises en 1906 et les Norvégiennes en 1913. L’entre-deux-guerres À l’issue de la Grande guerre, le suffrage universel pur et simple devient réalité en 1919 pour tous les hommes à partir de 21 ans, soit très tardivement par rapport aux pays voisins comme la France en 1848 et l’Allemagne en 1871. Quelques catégories de femmes obtiennent également le droit de vote : les veuves qui remplacent un mari ou un fils tués par l’ennemi pendant la guerre – droit de vote dit « des morts » qui cesse en cas de remariage – et les femmes héroïques emprisonnées pendant la guerre en raison de leur patriotisme, seules à bénéficier d’un suffrage « personnel ». Au grand dam des féministes qui revendiquaient le suffrage pour toutes au nom de « l’égalité dans la souffrance et 13 Conseillère communale du parti libéral à Forest en 1921 et échevine à l’instruction publique, Jeanne Brigode est élue à la vice-présidence du parti libéral avant la 2e guerre mondiale, elle en assure la présidence clandestine pendant la guerre devenant la première femme belge présidente de parti. 14 Fondatrice en 1902 du mouvement féministe chrétien de Belgique, Louise Van den Plas est élue conseillère communale catholique à Woluwe-Saint-Lambert en 1921. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page 9 dans l’endurance » et des 200 000 signataires de pétitions déposées à la Chambre par le CNFB et la Fédération belge pour le suffrage des femmes, il s’agit d’une partie minime de la population féminine qui ne représente que 0,5% du corps électoral en 1919 et seulement 0,2% en 1946 en raison des décès ou des remariages. Si certains pays voisins viennent d’adopter le suffrage féminin universel – Allemagne (1918), Pays-Bas (1919) et Luxembourg (1919) –, les femmes belges tout comme les Françaises devront encore patienter. Par contre en 1920, à l’exception des prostituées et des femmes adultères, les femmes belges « de bonnes mœurs » gagnent le droit de vote aux communales, niveau de pouvoir qui ressemblerait le plus à la famille élargie, intermédiaire entre les sphères privée et publique, présenté comme une étape nécessaire pour acquérir la formation politique permettant par la suite de voter aux échelons supérieurs. Les femmes ne sont pas appelées en tant que citoyennes mais dans l’espoir de moraliser la société et de favoriser la bienfaisance. Il s’agit en fait du résultat d’un compromis politique : les catholiques ont accepté le suffrage universel masculin en échange du droit de vote féminin aux communales, espérant toujours freiner la progression des socialistes. En 1920 et 1921, les femmes belges obtiennent également le droit d’éligibilité à tous les niveaux : Parlement, commune et Province. En 1921, la participation des femmes aux élections communales double l’électorat. Les partis politiques tentent de capter leur suffrage en restructurant leurs associations féminines actives dans les œuvres sociales ou mutuellistes, – alors que la politique et le syndicalisme sont réservés aux hommes –, pour encadrer les nouvelles électrices et les inciter à « bien » voter, c’est-à-dire pour eux. De leur côté, les associations féministes indépendantes se lancent dans une campagne de sensibilisation aux enjeux politiques et organisent de nombreux débats-conférences consacrés aux droits et devoirs des futures électrices. Si deux millions de femmes participent à ces élections communales, seulement 196 d’entre-elles sont élues sur plus de 23 000 conseillers, soit moins d’1 % du total des élus, dont treize deviennent échevines et six bourgmestres – sans responsabilité de police confiée à un échevin masculin – et bien sûr, après avoir obtenu le consentement de leur mari. Si ce dernier refuse, reste la démission ou le recours au tribunal de première instance. Seuls 5 % des conseils communaux comptent des élues. Ce maigre résultat vient du fait que peu de femmes ont été placées par leur parti en ordre utile sur les listes et du manque d’intérêt des électrices qui n’ont pas réservé leur suffrage à leurs consœurs. Parmi les élues, citons les militantes féministes Louise Van den Plas à Woluwe-Saint-Lambert et Jane Brigode à Forest. Le bouleversement du paysage politique tant redouté par les socialistes et les libéraux n’a pas eu lieu puisque le vote des femmes au niveau La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page10 communal n’a pas provoqué de raz-de-marée catholique, ni même modifié les forces en présence. Déjà symbolique, le nombre d’élues chute déjà à partir des élections communales de 1926. La timide percée fut donc de très courte durée. Une partie des conseillères déclaraient déjà s’être volontairement retirées de la vie politique après leur mandat pour des raisons familiales, ou encore en raison de la difficulté de figurer en ordre utile sur les listes et du sexisme des partis. De 1921 à 1940, seules six femmes vont siéger au Parlement, trois d’entre elles, militantes de la cause ouvrière, sont élues directement à la Chambre et, donc essentiellement par des hommes, les trois autres sont cooptées au Sénat par leur parti. Marie Spaak-Janson15(1873-1960) est la première femme qui siège au sénat en 1921 par cooptation de son parti, le POB. Mandat qu’elle conserve jusqu’en 1958 et dans le cadre duquel elle est l’auteure de plusieurs lois. L’ancienne hiercheuse Lucie Dejardin16(1875-1945), résistante incarcérée pendant la Première guerre mondiale, militante syndicale socialiste et conseillère communale à Liège, est en 1929 la première femme élue directement à la chambre, mandat qu’elle occupe jusqu’en 1936. Aux élections de 1936, quatre nouvelles femmes accèdent au Parlement : la communiste Alice Degeer-Adère17 (1902-1977), issue d’un milieu ouvrier métallurgiste, et la socialiste Isabelle Blume-Grégoire18 (1892-1975), qui seule se revendique féministe, sont élues directement à la Chambre, la militante syndicaliste chrétienne Maria Baers (1883-1959) et la nationaliste flamande Odile Maréchal-Van den Berghe19 (1881-1956) sont cooptées au Sénat respectivement par le parti catholique et par le Vlaams Nationaal Verbond. L’essentiel de leurs interventions politiques portent sur des domaines féminins : la protection de la maternité, l’éducation et l’enfance. À l’exception d’Alice Degeer-Adère qui dépose en vain deux propositions de loi, en 1937 et 1939, pour obtenir un réel suffrage universel, aucune de ces parlementaires féminines ne tentera de faire progresser les droits civiques des femmes. 15 Ancienne élève puis amie d’Isabelle Gatti de Gamond, Marie Spaak-Janson fonde en 1922 les femmes prévoyantes socialistes avec Arthur Jauniaux. Fille et sœur de deux ministres libéraux, elle sera la mère du ministre socialiste Paul-Henri Spaak et la grand-mère d’Antoinette Spaak, deuxième femme présidente de parti (FDF) après la libérale Jane Brigode. 16 Lucie Dejardin cofonde en 1910 la première ligue des femmes socialistes à Liège. Elle est élue conseillère communale à Liège en 1926. Son frère Joseph Dejardin est député socialiste de Liège de 1909 à 1932 et bourgmestre de Beyne-Heusay de 1914 à 1920. 17 Alice Degeer-Adère est élue échevine de l’Etat civil à Ougrée en 1938. En 1940, elle sera brièvement déportée avant de plonger dans la clandestinité l’année suivante. 18 Secrétaire nationale des femmes socialistes dès 1928, le premier discours parlementaire d’Isabelle Blume est consacré au thème : à travail égal, salaire égal. En raison de son rapprochement avec le parti communiste, elle est exclue du parti socialiste en 1951. Elle entre au comité central du parti communiste en 1964, ce qui ne l’empêche pas de protester en 1968 contre l’invasion de la Tchécoslovaquie. 19 Élue conseillère communale frontiste à Bruges en 1921, Odile Maréchal-Van den Berghe milite pour la réhabilitation des activistes flamingants. En tant que sénatrice de 1936 à 39, elle défend principalement l’amnistie. Elle est condamnée à mort par contumace en 1946 pour collaboration. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page11 L’éligibilité des femmes n’a donné que des résultats symboliques. La politique reste une affaire d’hommes dans l’opinion publique tant masculine que féminine. Les associations féministes continuent de mener la lutte. Ainsi, le CNFB d’abord timidement, sous la présidence de l’écrivaine Marguerite Van de Wiele (1857-1941), en charge de 1920 à 1934 qui a encore une vision élitiste du suffrage entendant le réserver aux femmes instruites. Sa vice-présidente qui lui succèdera à la présidence en 1934, la baronne Marthe Boël (1877-1956), née de Kerchove de Denterghem, apporte un nouveau souffle à l’association et enrichit le champs des revendications en attirant de jeunes juristes de l’ULB, premières femmes inscrites au barreau : Georgette Ciselet (1900- 1983)20, Fernande Baetens (1901-1977), Paule Lamy (1892-1967) et Marcelle Renson. Leur connaissance de langues étrangères permet également de meilleurs contacts avec le féminisme international, notamment le CIF. De nouvelles associations féministes apparaissent et tranchent avec le réformisme prudent du CNFB. Ainsi, la Fédération belge des femmes universitaires, fondée en 1921, défend l’instruction des filles, l’accès à toutes les professions et le droit au travail pour toutes, le diplôme universitaire constituant un outil d’émancipation en vue de faire carrière et plus seulement un moyen d’enrichissement personnel pour mieux remplir les fonctions d’épouse, de mère et d’éducatrice. Comptant 119 membres à ses débuts, elle en recense 642 en 1940, montrant ainsi la multiplication des diplômées. Créé en 1928 par la féministe égalitaire et franc-maçonne Louise De Craene-Van Duuren (1875-1938), le Groupement belge pour l’affranchissement de la femme (GBAF) milite pour les droits civils, politiques, économiques, sociaux et intellectuels. La profonde crise économique provoque en 1930 la scission en deux branches qui affichent un féminisme radical : Le Groupement belge de la Porte ouverte (GBPO)21, présidé par Louise De Craene-Van Duuren, est recentré sur les droits économiques, prônant une stricte égalité économique et s’opposant à toute protection différentiée du travail, et le GBAF, rebaptisé en 1931 Égalité, réclame des droits civils et politiques égaux sous la direction de Georgette Ciselet. Pour cette dernière, le droit de vote des femmes n’est plus seulement exigé en raison des bienfaits qu’elles peuvent apporter à la société mais aussi en raison des services qu’il rendra aux femmes en reconnaissant leur égalité et augmentant leur émancipation intellectuelle. Au 20 Diplômée et inscrite au barreau en 1923, Georgette Ciselet adhère au parti libéral en 1925 avant d’être cooptée par son parti au sénat en 1946, devenant la première parlementaire libérale. Elle sera la première femme nommée au conseil d’État en 1963. 21 http://porteouverte.be/wp/ La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page12 début des années 1930, le travail féminin déjà accusé d’affaiblir la natalité est considéré aussi comme responsable de l’augmentation du chômage. Des mesures sont prises en 1934 pour renvoyer les travailleurs immigrés dans leur pays d’origine et les femmes dans leur foyer. Les féministes mettent alors de côté leur combat suffragiste pour se concentrer sur l’emploi féminin et la réforme du Code civil. Ces mouvements égalitaires qui pensent le suffrage féminin comme un droit fondamental de l’être humain, et non plus comme un droit spécifique des femmes en tant que mères, sont en rupture tant avec les anciennes associations comme le Féminisme chrétien de Belgique ou la Fédération belge pour le suffrage des femmes qu’avec les nouvelles associations telles les Ligues ouvrières chrétiennes et les Femmes socialistes. Après la 2ème guerre mondiale, enfin le « vrai » suffrage universel Alors que le suffrage universel est accordé aux Françaises dès 1944, la Belgique sera un des derniers pays européens à octroyer ce droit aux femmes. En août 1945, deux propositions de loi en faveur du suffrage féminin complet, par la suite fondues en un seul texte, sont déposés à la chambre par la communiste Alice Degeer-Adère et par le catholique Henry Carton de Wiart (1869-1951)22, défenseur du suffrage féminin pour la Province durant l’entre-deux-guerres. Les planètes semblent bien alignées puisque la presse ne tarit pas d’éloges sur le comportement héroïque des femmes durant la guerre et que l’opinion publique – 67 % des femmes et 55 % des hommes – est majoritairement favorable à l’élargissement du suffrage. Si tous les partis s’accordent désormais sur la légitimité du vote des femmes à tous les niveaux, son adoption est reportée dans l’attente de la résolution de la répression de la collaboration puis de la Question royale. Considérant que les femmes n’ont pas assez d’autonomie pour voter en toute indépendance de leur entourage masculin, la gauche redoute que leur vote ne redonne une, ou pire, plusieurs voix aux inciviques condamnés par l’intermédiaire de leur épouse, mère ou sœur, annulant ainsi leur déchéance politique. Les partis socialiste, communiste et libéral tergiversent aussi dans la crainte que le vote féminin ne donne la majorité spéciale aux catholiques favorables au retour de Léopold III. Ainsi même les politiciennes féministes, la députée 22 Plusieurs fois ministre, Henry Carton de Wiart est l’époux de Juliette Verhaeghen, féministe modérée et membre du CNFB. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page13 Isabelle Blume et les sénatrices Marie Spaak et Jeanne Vandervelde-Beeckamn (1891-1963)23, sont en accord avec leur parti, le PS, pour la postposition du suffrage féminin après le règlement de la Question royale. Isabelle Blume déclare que l’influence de la religion sur la « masse féminine… pas encore très éduquée » risque de « fausser la pensée profonde du pays sur cette question » 24. De nouveau, les calculs politiciens ont pris le pas sur la justice et l’égalité. Les élections législatives de 1946 se déroulent donc en l’absence d’électrices. Finalement le 27 mars 1948, une loi concède le droit de vote aux femmes belges pour la Chambre, le Sénat et les Provinces, elles obtiennent ainsi l’entière citoyenneté politique. Bien que les femmes constituent désormais un peu plus de la moitié du corps électoral, en 1949 seules sept sénatrices sont élues sur 175 sièges, soit 4%, et six députées sur 212, soit 2,8%. La proportion féminine au Sénat ou la Chambre stagne autour de 3 ou 4 % jusqu’au début des années 1970, avec le creux de la vague en 1968 : huit femmes à la Chambre mais plus aucune au Sénat (soit 2% du Parlement). Ainsi les femmes n’accèdent que parcimonieusement aux différentes assemblées représentatives et les féministes font de nouveau l’amère expérience du déni de représentation. Le pouvoir exécutif ne s’ouvre pour elles qu’en 1965 quand une femme devient ministre pour la première fois : Marguerite De RiemaeckerLegot (CVP) avec le portefeuille de la Famille et du Logement. La ministre ne défendra pourtant que des revendications féministes modérées, considérant que la place naturelle de la femme se trouve dans son foyer en tant qu’épouse et mère. Malgré l’avancée législative, persiste donc l’idée selon laquelle la présence des hommes dans la sphère publique est légitime tandis que celle des femmes ne l’est pas. La sous-représentation des femmes en politique est en total décalage avec les autres progrès enregistrés notamment dans l’obtention des diplômes et l’accès au travail rémunéré. Ainsi, la proportion des femmes faisant partie des professions libérales augmente, ce qui permet la création de nouvelles associations professionnelles qui revendiqueront régulièrement avec le CNFB : l’Association belge des femmeschefs d’entreprises (1949) qui lutte pour l’abolition de la puissance maritale finalement obtenue en 1958, et l’Association belge des femmes juristes (1956) qui traite des questions juridiques concernant les femmes, les enfants et la famille. L’augmentation du travail féminin suscite la réflexion des associations féminines et féministes à propos de nouvelles thématiques : la « double journée de 23 Jeanne Beeckman, médecin, seconde épouse d’Emile Vandervelde, élue suppléante au sénat en 1946, effective dès 1948. 24 Eliane GUBIN et Leen van MOLLE, Femmes et politique en Belgique, Bruxelles, 1998, p. 38. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page14 travail », la maîtrise de la fécondité, la garde des enfants, l’accès aux postes à responsabilité et les inégalités salariales, dénoncées notamment par les ouvrières de la FN en 1966. Dans les années 1950, les mouvements féministes peuvent heureusement compter sur l’aide de trois parlementaires. Pierre Vermeylen (1904-1991), sénateur socialiste plusieurs fois ministre, un champion des questions parlementaires relatives aux discriminations de genre. En 1954, il fait une première tentative pour inscrire dans la Constitution le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, tentative contrée par les catholiques qui défendent plutôt la complémentarité entre les sexes, soit « l’égalité dans la différence ». Il faudra cependant attendre 2002 pour que la Constitution soit révisée… La sénatrice libérale cooptée en 1946, Georgette Ciselet, juriste de formation, déploiera beaucoup d’énergie pour obtenir plus d’égalité entre époux grâce à la réforme du Code civil. Elle dépose aussi des lois pour que les femmes soient enfin admises à la magistrature (1948) et au notariat (1950), un bémol toutefois puisque le consentement de l’époux est toujours nécessaire dans le cas de femmes mariées. La veuve d’Émile Vandervelde, Jeanne Beeckman, médecin et sénatrice socialiste élue en 1948, introduit des propositions de lois relatives notamment au repos post-natal et à l’assurance maternité. Bien qu’appartenant à des partis différents mais toutes deux actives au CNFB et au GBPO, ces deux sénatrices font preuve d’une belle solidarité féministe qui transcende leur opposition politique. La fin du mandat de la première en 1961 et le décès de la seconde en 1963 privent le féminisme belge d’importants relais au Parlement, le contraignant de nouveau à emprunter des voies de traverse pour faire aboutir ses revendications. Dès les élections de 1971, le CNFB, la Porte-Ouverte et le Comité À travail égal salaire égal appellent les électrices à voter de préférence pour leurs consœurs. En 1973, l’éviction des deux secrétaires d’État féminines lors du remaniement du tout nouveau gouvernement Leburton, désormais uniquement masculin, commence à mobiliser les mouvements néo-féministes, nés dans le sillage de mai 68. Ceux-là avaient jusque-là d’autres priorités, comme le travail et la sexualité, ou étaient hostiles à la politique, bastion jugé typiquement masculin. À l’occasion des élections de 1974, une action « Votez femmes » est lancée par le CNFB et le Vrouwen Overleg Komitee (Comité de Concertation des Femmes). Son effet est sensible puisque la représentation des femmes au Parlement fait plus que doubler avec 26 femmes siégeant contre 11 lors des élections précédentes (soit 6,6% contre 2,8). Dans le sillage de l’Année internationale de la femme organisée par l’ONU en 1975 et de la création d’une commission pour le travail des femmes par la CEE, les pouvoirs politiques belges suivent la La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page15 France, les Pays-Bas et la Grande Bretagne en mettant sur pied la Commission du travail des femmes au sein du ministère de l’Emploi et du Travail, premier jalon d’un féminisme institutionnel. La présidence en est confiée à Miet Smet (CVP)25 et la vice-présidence à la syndicaliste Émilienne Steux, épouse Brunefaut (1908-1986). Organe purement consultatif qui réunit des représentants des patrons, des syndicats et des organismes publics, cette commission propose des mesures visant à supprimer les discriminations au travail et atteindre l’égalité dans l’accès à l’emploi, le déroulement des carrières et le montant des salaires. Notons que parallèlement, sous la pression des féministes et des mouvements féminins, notamment chrétiens, les droits civils féminins se sont considérablement améliorés. Après la suppression de la puissance maritale en 1958 suite à une proposition de loi de la sénatrice libérale Georgette Ciselet, l’égalité dans l’autorité parentale est reconnue en 1974. La réforme des régimes matrimoniaux en 1976 promulgue l’égalité totale entre les époux, la femme cessant enfin d’être civilement incapable. Les quotas, un mal nécessaire ? Malgré les campagnes de sensibilisation, la parité, soit une représentation égale entre les élues et les élus dans les différents organes du pouvoir politique, tardant à arriver spontanément, le recours aux quotas ou ensemble de mesures contraignantes de discrimination positive, commence à être envisagé. C’est pourquoi, la sénatrice Paula Van Opdenbosch épouse D’Hondt (CVP), dans une première proposition de loi déposée en 1980, réclame au moins un quart de places pour les femmes sur les listes électorales communales. Le Conseil d’État la rejette car il la juge contraire à la Constitution en portant atteinte aux principes d’égalité et de non-discrimination. Pourtant la Belgique pratiquait déjà le principe des quotas dans sa législation linguistique et dans le Pacte culturel. Dans le but de favoriser l’émancipation féminine, le gouvernement Martens VI crée, en 1985, le secrétariat d’État à l’Émancipation sociale attribué à Miet Smet. Trois priorités pour cette dernière : la participation accrue des femmes au processus décisionnel dans la vie publique, économique et sociale, leur intégration dans la vie socio-économique et la lutte contre les violences dont elles sont 25 Sur Miet Smet, cf. R. COCKX, Miet Smet. Trois décennies de politique à l’égalité des chances, Bruxelles, 2009. Disponible en ligne : https://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/35%20-%20Miet%20smet_FR.pdf La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page16 victimes. Elle fonde en 1986 le Conseil d’émancipation de la femme, un comité consultatif pluraliste composé de membres d’organisation féminines chargé de formuler des avis sur les propositions politiques relatives, directement ou indirectement, à l’émancipation sociale des femmes. Mais il faudra attendre le « dimanche noir » du 24 novembre 1991, avec la forte progression de l’extrême droite aux élections législatives, pour que le monde politique belge envisage sérieusement le principe des quotas. Il tente ainsi de désamorcer cette « crise de représentation » en élargissant le type de profil sociologique des candidats qui seraient désormais plus à même de comprendre les problèmes des différents types d’électeurs et in fine de rétablir leur confiance. En 1992, le premier gouvernement Dehaene créée le poste de ministre de l’égalité des chances entre hommes et femmes confié à Miet Smet, qui hérite aussi de l’Emploi et du Travail, faisant d’elle la première femme à la tête de ces compétences. L’année suivante, elle est à l’origine du Conseil de l’Égalité des Chances grâce à la fusion de la Commission du travail des femmes et du Conseil d’émancipation de la femme. Cette administration au sein du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale a pour mission de mettre en œuvre et assurer le suivi au niveau fédéral de la politique d’égalité des chances entre les sexes, compétences reprises en 2002 par l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes26. En 1995, Miet Smet fonde la maison Amazone à Saint-Josse qui rassemble sous son toit de nombreuses organisations féministes, comme le Conseil des femmes francophones de Belgique, l’Université des Femmes, ainsi que le Centre d’archives et de recherches pour histoire des femmes (CARHIF). Même s’il se divise sur les moyens pour y arriver, le monde politique belge s’accorde désormais sur la légitimité d’une présence équilibrée entre les femmes et les hommes au nom de la proportionnalité : les femmes représentent en effet la moitié du corps électoral et elles devraient donc constituer la moitié des élus. À cet argument quantitatif, s’ajoutent d’autres considérations qualitatives comme un enrichissement de la vie politique grâce à une meilleure prise en compte des intérêts et des besoins féminins ainsi qu’une modification du fonctionnement de la politique pour permettre une meilleure conciliation avec la vie familiale et professionnelle. Les opposants aux quotas privilégient l’égalité formelle même si la société est traversée par des inégalités réelles notamment en matière de genre. Les quotas porteraient atteinte au principe d’égalité de tous devant la loi ainsi qu’à la liberté de l’électeur. Ils refusent le principe des mesures protectionnistes pour un groupe donné, redoutant le retour au corporatisme. Le contingentement pourrait également servir d’excuse aux partis pour se contenter de cette limite légale et bloquer ainsi une participation plus importante des femmes. De 26 https://igvm-iefh.belgium.be/fr La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page17 plus, il risque de les stigmatiser en les considérant comme non élues pour leurs mérites. De leur côté, les défenseurs des quotas soulignent le fait que les femmes ne constituent pas une minorité protégée mais bien une majorité qui n’est pas suffisamment représentée. En 1992, Miet Smet et le ministre de l’Intérieur Louis Tobback (SP) déposent une proposition de loi pour assurer un seuil minimum de présence féminine sur les listes et aux places éligibles. Les partis ne respectant pas ce principe perdraient leur subvention d’État. À l’issue de longs débats parlementaires et après de nombreux rabotages notamment en raison des grandes réticences du PS qui refuse le principe d’alternances des hommes et des femmes sur les listes, la « loi des quotas » ou loi SmetTobback est finalement votée en 1994, malgré l’avis de nouveau défavorable du Conseil d’État qui juge les sanctions disproportionnées. La Belgique devient alors le premier pays européen à adopter une loi sur les quotas en règlementant la composition des listes électorales, loi qui sera ensuite prise comme modèle par les parlementaires d’autres pays. Cette instauration de quotas est progressive. Ainsi lors des élections provinciales et communales de 1994, les listes doivent être constituées au moins d’un quart de candidats de chaque sexe, soit en clair au minimum un quart de candidates. Au niveau local, la loi Smet-Tobback provoque une nette augmentation de la proportion des élues locales, passant de 14% en 1988 à 20% en 1994 (5% femmes bourgmestres), puis à 27% en 2000 (avec 7,6% femmes bourgmestres). Par contre à partir de 1999, la même loi impose que, dans tous types de scrutins, les partis ne peuvent plus présenter de listes constituées de plus de 2/3 de candidats du même sexe. Comme elle ne précise rien quant à la proportion de femmes figurant dans des places en ordre utile, l’alternance des candidatures n’ayant finalement pas été retenue, cela en diminue fortement l’impact en fonction de la bonne ou mauvaise volonté des partis qui ne réservent que 20% des places éligibles à des candidates. Les effets de la loi se font tout de même sentir, puisque l’on passe à la Chambre des représentants de 12% d’élues en 1995 à 19,3% en 1999. Le gouvernement fédéral Verhofstadt I (1999-2003) compte initialement trois femmes sur quinze ministres, toutes trois vice-Premières ministres : Magda Aelvoet (Agalev), Isabelle Durant (Écolo) et Laurette Onkelinx (PS). Cette dernière, en charge de l’Emploi et de l’Égalité des chances, va porter la loi dite « de parité » qui, votée en 2002, entérine un nombre égal, à une unité près en cas de nombre impair, d’hommes et de femmes sur les listes au niveau européen, fédéral, régional et communale, et le fait que les deux premiers candidats (effectifs ou suppléants) ne doivent pas être du même sexe. Pour éviter de nouveaux avis négatifs de la part du Conseil d’État, la Constitution a été préalablement La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page18 modifiée pour garantir l’égalité des femmes et des hommes ainsi que pour imposer la mixité dans tous les gouvernements, collèges provinciaux et communaux. Pour pouvoir respecter cette parité, les partis se mettent alors en quête de candidates pour constituer des listes valides. Notons que lorsque la possibilité légale leur en est laissée – notamment en cas d’un nombre impair, pour la tête de liste et pour les places éligibles à partir de la 3e place –, ils tranchent en général en faveur d’un candidat masculin. Comme la loi s’est préoccupée de la quantité des places mais a négligé leur qualité, les bonnes places resteront donc réservées aux hommes et les femmes limitées dans leurs aspirations par un « plafond de verre ». Malgré ces bémols, l’effet de la loi de 2002 est particulièrement sensible pour la Chambre des représentants qui va fortement se féminiser : la proportion des élues y grimpe de 19,3% à 34,7% lors des élections fédérales de 2003, puis à 36,7% en 2007, à 39,3% en 2010 avant de redescendre légèrement en 2014 avec 38%. Leur proportion a donc triplé entre 1995 et 2014. Les gouvernements régionaux s’ouvrent progressivement aux femmes. Ainsi en 1995, celui de la Communauté française, reprenant des compétences considérées comme plus « féminines », compte une femme ministre, Laurette Onkelinx (PS), première ministre présidente de 1993 à 1999, et celui de la Flandre, deux. Il faudra cependant attendre 1999 pour voir s’installerla première secrétaire d’Etat à Bruxelles et 2004, trois ministres wallonnes et une ministre germanophone. Depuis 2001, année oùles Régions ont obtenu la compétence sur les élections communales et provinciales, les législations se différencient et leurs effets aussi. À partir des élections communales de 2006, l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut dépasser un dans les trois Régions tandis que les deux premiers candidats de la liste doivent être de sexe différent en Wallonie et à Bruxelles et les trois premiers en Flandre. Lors des dernières élections locales de 2018, c’est le principe de la « tirette intégrale27 » ou stricte alternance homme-femme sur l’ensemble de la liste qui est en vigueur pour les Wallons et les Bruxellois. Ces mesures vont se révéler particulièrement efficaces à Bruxelles avec une quasi parité pour les conseils communaux (48,8% d’élues en 2018 avec une progression de 7,4 % depuis 2012). Par contre, parmi les 19 bourgmestres de la Région bruxelloise, figure une seule femme, comme pour les élections de 2012. En Wallonie, l’impact a été plus mitigé parce que les candidates ont eu moins accès qu’à Bruxelles aux places stratégiques, entrainant un degré de visibilité plus faible. Les conseils communaux ne comptent que 38,7% d’élues 27 En France, ce système est surnommé « chabada » en référence à la chanson du film Un homme et une femme. La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page19 locales en 2018 contre 34,9 en 2012 et seulement 18% de femmes bourgmestres. Par contre au niveau provincial wallon, la progression est de 11%, passant de 33 % d’élues à 44,3 %. Du côté flamand, où aucune nouvelle mesure de discrimination positive n’a été adoptée, la proportion des élues communales est seulement passée de 36 % à 38 % avec 14,8% de femmes bourgmestres, et celle des élues à la Province de 41,6% à 42,3%. Pour les élections communales et provinciales de 2018, l’absence de parité dans la représentation est due à la place des femmes sur les listes là où les partis ont encore le choix – soit la première et la dernière place où les hommes sont le plus souvent privilégiés – et au choix des électeurs et des électrices qui votent encore en majorité pour des candidats masculins28 . En 2007, la Belgique a adopté la loi dite de gendermainstreaming en vue d’augmenter l’égalité des femmes et des hommes en prenant en compte la dimension du genre dans la définition et la mise en œuvre des politiques fédérales. Pour leurs niveaux de pouvoir respectifs, la région bruxelloise adopte une ordonnance dans le même but en 2012, et la Fédération Wallonie-Bruxelles un décret en 2016. L’année 2019, un point de bascule29 ? Lors des élections régionales de 2019, la stricte alternance entre hommes et femmes sur les listes est d’application en Wallonie pour la première fois, mais ce système de la tirette montre ses limites avec des effets quasi nuls. En effet, la proportion des femmes élues au Parlement wallon n’augmente que d’une unité, soit 31 femmes sur 75 (41,3%) au lieu de 30 (40%) en 2014. Dans le passé, cette proportion qui n’était que de 8% en 1995, a augmenté régulièrement jusqu’en 2004 (18,7%) avant de faire un bond lors des élections de 2009 avec 34,7%. Par contre à Bruxelles, où la tirette n’est pourtant pas d’application en 2019, la proportion des femmes élues au Parlement a augmenté de manière plus significative, passant de 40,4% à 43,8% (soit de 36 à 39 sur 89 élus). Outre le choix de l’électeur, une des explications réside sans doute dans le fait qu’en Wallonie les partis n’ont confié leur tête de liste qu’à 29% de femmes contre 43% dans la région bruxelloise. La Flandre fait encore mieux avec 46,8 % d’élues, soit pratiquement la parité, au lieu de 44,4% (58 sur 124 au lieu de 55), alors que le système 28 https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-nombre-de-femmes-elues-reste-faible-la-faute-a-l-electorat-et-auxpartis?id=10225577 Cédric ISTASSE, David Van Den ABBEEL, Les facteurs déterminant la proportion des femmes parmi les élus. L’exemple du scrutin local du 14 octobre 2018, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2410-2411, 2019. 29 https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_femmes-en-politique-2019-un-point-de-bascule?id=10390518 La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page20 de la tirette n’est pas imposé. Dans cette région aussi la proportion d’élues n’a fait qu’augmenter passant de 24 en 1999 (soit 19,4%), à 40 en 2004 (32,3%), puis à 51 en 2009 (41,1%)30 . Pour la première fois, les gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles mis en place en 2019 affichent désormais une quasi parité avec six femmes pour sept hommes. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles dont les missions, il est vrai, relèvent plutôt du « care » est même majoritairement féminin avec trois femmes pour deux hommes. Il s’agit d’un net progrès par rapport aux élections régionales précédentes puisqu’en 2009 et 2014, le gouvernement wallon comptait seulement une femme sur huit ministres et celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, trois puis deux, femmes sur sept ministres, soit, au total, quatre, puis trois, femmes pour 15 hommes. La représentation féminine au sein du gouvernement bruxellois s’est également améliorée, passant de deux femmes sur huit en 2009, à quatre en 2014, soit une égalité parfaite, avant de diminuer à trois en 2019. En Flandre, on compte, en 2009 et 2014, quatre femmes sur neuf, puis en 2019 quatre sur dix. Les exécutifs régionaux et communautaires sont donc désormais fort proches de la parité. Au niveau fédéral, lors des élections de mai 2019, 64 femmes ont été élues à la Chambre sur 150 députés, soit une proportion 41,3 %. Fin 2019, l’émiettement des compétences entre les différents niveaux de pouvoir a conduit les trois ministres féminines francophones, responsables des Droits des Femmes et de l’égalité des chances, à mettre sur pied un Comité de concertation interministériel pour plus d’efficacité. Si la priorité est donnée à la lutte contre les violences, d’autres aspects ne seront pas oubliés, comme les discriminations, l’emploi, la vie politique, le gendermainstreaming et la participation au monde digital. Ces ministres mettent en évidence un changement récent des mentalités grâce aux féministes qui ont réussi à étendre leurs réseaux en politique, dans les médias, dans l’économie et dans la culture31 . En octobre 2019, pour la première fois de l’histoire du pays, une femme, Sophie Wilmès (MR), est désignée au poste de Première ministre. Le symbole est important mais doit être relativisé au vu des circonstances politiques puisqu’elle est à la tête d’un gouvernement ultra-minoritaire et en affaires courantes depuis 10 mois, ce qui signifie un mandat de durée très indéterminée avec une marge de 30 Les résultats des élections régionales et communautaires du 26 mai 2019, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2414- 2415, 2019. 31 https://plus.lesoir.be/261209/article/2019-11-19/violences-faites-aux-femmes-si-nagit-pas-aujourdhui-nagirajamais?_ga=2.252014795.319016545.1578304751-768930119.1561541561 https://www.lesoir.be/267674/article/2019-12- 18/la-conference-interministerielle-droits-des-femmes-estcreee?fbclid=IwAR2wGDxhRsxhHx5zbTnxCKBCydqhC10SMdZlojOhe41_cgnD6eXY_oaexps La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page21 manœuvre très étroite, soit uniquement la gestion journalière et les affaires urgentes. Cette nomination confirme l’adage de la « falaise de verre » selon lequel les femmes sont appelées à des postes importants principalement en période de crise en tant que symbole de changement tout en risquant de devenir un bouc émissaire en cas d’échec32. Le manque de concurrence de la part des hommes politiques convoitant des postes plus stables à l’Europe ou dans les Régions a dû également jouer un rôle. L’avenir nous dira si une femme pourra un jour proche devenir Première ministre dans un gouvernement de plein exercice ou si Sophie Wilmès restera encore longtemps une exception qui confirme la règle33 . Dans le cadre des négociations pour former un nouveau gouvernement fédéral, l’informateur Paul Magnette (PS) s’est montré très volontariste dans sa note de novembre 2019, en ce qui concerne l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la lutte contre les violences faites aux femmes et la parité au sein du gouvernement, comme dans tous les organismes et entreprises publics. Il préconise également la création d’un ministère fédéral du Droit des Femmes, comme le réclamaient les associations de femmes depuis 201434. La suite des événements montrera si le prochain gouvernement sera aussi proactif en ces matières… En 2019, l’Europe a montré l’exemple en terme de parité puisque, sur les quatre postes à pourvoir, deux sont attribués à des femmes. Le Conseil européen a choisi Christine Lagarde comme première femme présidente de la Banque centrale européenne. De son côté, le Parlement européen a désigné pour présider la Commission, Ursula von der Leyen, également première femme à ce poste. Celle-ci a rapidement fait part aux différents pays membres de son souhait d’atteindre la parité parmi les commissaires, objectif presque rempli puisque, avec elle, son équipe est composée de 12 femmes pour 15 hommes, soit 44%. Affichant la même ambition, son prédécesseur Jean-Claude Junker n’avait obtenu des États que 9 candidates contre 19 hommes. De plus, Ursula von der Leyen a demandé à chaque commissaire de composer un cabinet paritaire. Depuis 1958, il a fallu attendre dix commissions et plus de 30 ans pour que deux premières femmes soient choisies comme commissaires européennes en 1989. 32 https://www.letemps.ch/economie/apres-plafond-falaise-verre Le terme « falaise » renvoie aux notions de dangerosité et de risque de chute tandis que « de verre » fait référence à l’invisibilité d’un phénomène socialement intégré, comme dans « plafond de verre ». http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26542319 33 https://www.lesoir.be/256718/article/2019-10-28/sophie-wilmes-premiere-ministre-un-evenement-historique-pour-lapresse-belge https://plus.lesoir.be/256589/article/2019-10-27/sophie-wilmes-premiere-ministre-les-situations-de-crise-creent-desopportunites https://plus.lesoir.be/256636/article/2019-10-28/sophie-wilmes-une-premiere-ministre-par-vents-contraires 34 https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/vers-un-ministere-du-droit-des-femmes/10185980.html https://www.axellemag.be/ministere-droits-des-femmes-pari-tenu/ La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page22 Par contre au niveau mondial, il reste du chemin à faire pour que la participation des femmes à la prise de décisions politiques se rapproche de la parité : 107 ans au rythme actuel ! Début 2019, elles représentent moins de 25% des parlementaires dans le monde. Même si seulement un ministre sur cinq appartient au sexe féminin, il s’agit d’un niveau jamais atteint et 2,4% de plus qu’en 2017. Par contre, durant la même période, la proportion des femmes cheffes d’État et de gouvernement a diminué avec 6,6 et 5,2% contre respectivement 7,2 et 5,7 % deux ans plus tôt35. De plus seuls dix États dans le monde ont des gouvernements paritaires. Conclusions : l’égalité entre les femmes et les hommes, outil de démocratie L’égalité hommes-femmes constitue un bon baromètre du degré de démocratie et de civilisation d’un pays, à fortiori dans les organes de pouvoirs. Cette relecture du passé permet de comprendre comment s’est déroulée l’accession progressive des femmes belges au droit de vote et à l’exercice du pouvoir politique et comment elles ont pu, peu à peu, se constituer une conscience politique et investir des espaces jusque-là réservés aux hommes pour y défendre leurs propres revendications. L’obtention des droits civiques fut réellement un parcours de combattantes. Cette lutte a été menée par des féministes très minoritaires dans la société mais déjà actrices politiques par leurs mobilisations et leurs revendications. Elles ont pu compter sur des alliés masculins qui, introduits dans les lieux de pouvoir, leur ont servi de relais. J’ai ici cité volontairement le nom d’une partie de ces pionnières et pionniers qui ont contribué à améliorer la condition féminine en Belgique, souvent tombées dans l’oubli et dont, dans le meilleur des cas, quelques trop rares rues ou écoles rappellent encore aujourd’hui le nom. Dès le début de l’État belge, l’exclusion des femmes de la citoyenneté politique n’est pas du même ordre que celle des hommes. Alors que pour les seconds discriminés sur la base de leurs richesses, il s’agit d’une lutte des classes pour conquérir le droit de vote, les premières sont écartées de la sphère publique sous prétexte de leur nature même et de leur rôle primordial de gardiennes du foyer, tout changement nécessitant « une remise en cause de l’organisation sociale et de la distribution des rôles 35 https://news.un.org/fr/story/2019/03/1038591 https://news.un.org/fr/story/2019/03/1038571 La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page23 sexués36 ». Souvent il a fallu attendre des causes extérieures, telles les guerres, ou une brusque montée de l’extrême-droite, pour que le monde politique réagisse et laisse plus de place aux femmes, comme électrices ou comme candidates, dans un souci utilitariste et non égalitaire, certains partis espérant, à tort ou à raison un bénéfice électoral, faire barrage à la gauche ou à l’extrême-droite selon les cas. Obtenu de manière complète en 1948, le suffrage universel féminin consacre l’égalité formelle des droits politiques mais ne provoque pas d’égalité réelle puisque les femmes restent sous-représentées dans les assemblées législatives et au sein du pouvoir exécutif. Pour tenter résorber artificiellement ce « déficit démocratique » en augmentant la proportion de candidates sur les listes électorales, différentes mesures transitoires ou quotas ont dû être mis en place à partir de 1994 dans le but de tendre à la parité. S’il n’est pas toujours possible de distinguer l’effet de ces mesures du changement des mentalités au sein de la société, la représentation des femmes a nettement progressé depuis. Aujourd’hui, la « masse critique » estimée à minimum 30% pour que les élues puissent peser sur les décisions politiques est souvent atteinte et même parfois dépassée, même si la parité tarde à arriver. Pourtant malgré les indéniables progrès engrangés, la politique – à l’instar des autres instances de pouvoir de notre société patriarcale – constitue encore un bastion masculin. Les femmes mandataires peinent à se sentir pleinement à leur place dans ce monde genré avec ses usages et sa propre organisation. Elles y font encore figure d’outsider, n’étant pas des hommes politiques comme les autres et c’est justement pourquoi elles contribuent à changer la politique. Éloignées des codes du pouvoir, elles n’en ont ni les modes d’emploi, ni les travers : « elles parlent démocratie participative, intelligence collective, échanges, respect, carrières politiques courtes37 . » Quels sont encore les freins qui empêchent les femmes de se présenter aux élections et de siéger dans une assemblée ou dans un exécutif ? Aujourd’hui encore les études montrent que les femmes s’intéressent moins à la politique et s’y investissent moins que les hommes, elles pratiquent l’autoexclusion par conditionnement social, se considérant moins aptes à exercer un mandat public, par manque de revenus ou de temps libre, vu leurs obligations familiales. Une étude de l’IWEPS a montré qu’en 2013, les Wallonnes assumaient encore 2/3 du travail domestique et familial. En cas de travail à 36 Catherine JACQUES, Les féministes belges et les luttes pour l’égalité politique et économique (1918-1968), Bruxelles, Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts, 2013, p. 49-50. 37 http://www.acrf.be/wpcontent/uploads/2018/11/acrfana_2018_27_participation_représentation_femmes_politique_MD-1.pdf La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page24 temps plein, elles consacraient toutefois, par semaine, 21h45 aux tâches ménagères, aux soins et à l’éducation des enfants contre 14h39 pour les hommes38 . Les hommes bénéficient d’un meilleur soutien de la part des structures de leur parti qui préfèrent souvent leur réserver la tête de liste ou les places éligibles, ainsi que les postes-clefs comme les portefeuilles régaliens : finances, budget, défense, justice, intérieur. Ils peuvent également compter sur un réseau personnel plus développé et de meilleurs contacts avec les médias. En effet, on constate une moins grande visibilité dans l’espace médiatique des politiciennes, des expertes et des femmes en général, puisque selon une étude seulement 21 % des intervenants dans les médias en FWB le 25 mars 2015 appartiennent au sexe féminin : 27% pour la télévision, 24% pour la radio, 20 % pour les médias en ligne et seulement 16 % dans la presse écrite39 . Les politiciennes ont tendance à refuser plus souvent une interview que leurs homologues masculins si celle-ci concerne des matières éloignées de leurs champs d’expertise. Elles attendent plus souvent qu’on leur donne la parole, plutôt que de la prendre, sont régulièrement interrompues par leurs collègues masculins, victimes d’une forme de condescendance ou confrontées au sexisme de certains journalistes qui n’hésitent pas à leur poser des questions sur leur vie privée ou à faire des remarques sur leur aspect physique. Par leur attitude, les médias contribuent ainsi à renforcer les stéréotypes sexistes et à limiter l’élection de politiciennes en décourageant les candidates éventuelles de se présenter, les élues de se représenter et en n’incitant pas les électrices à voter pour leur consœurs par manque d’image positive40 . Une fois l’étape de l’élection franchie, les élues mènent des carrières politiques plus courtes que celles des hommes. La difficile conciliation avec la vie de famille qui repose encore principalement sur leurs épaules et, avec la carrière professionnelle, entraine démission ou retrait prématuré de la vie politique pour de nombreuses femmes41. Moins attachées aux signes de pouvoir, elles envisagent d’autres formes d’engagements citoyens. Rebutées par l’agressivité politique, les rapports de force et la violence des débats, elles trouvent difficilement une place durable dans un monde trop masculin avec ses comportements misogynes. Propos machistes, gestes déplacés, harcèlements moral et sexuels 38 https://www.iweps.be/publication/egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-en-wallonie-2017-cahier2/ 39http://www.egalite.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=193ee5724d109a10e02511cdca7d7bfb7d1 56adc&file=fileadmin/sites/sdec_III/upload/sdec_III_super_editor/sdec_III_editor/documents/Publications/GMMP2015etu de_cover.pdf 40 http://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/07/Analyse2018-femmes-medias-et-politique.pdf 41 https://plus.lesoir.be/118343/article/2017-10-09/pourquoi-les-femmes-quittent-la-politique La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page25 seraient par contre en régression ces dernières années. À partir d’un seuil de présence féminine estimé à environ 40%, les échanges se modifieraient et le sexisme diminuerait. Au lieu de recruter dans des milieux fort masculins comme les syndicats, les partis pourraient s’ouvrir par exemple aux organisations de femmes. Il serait aussi nécessaire de revaloriser de l’image de la politique auprès des femmes pour qu’elles aient envie de s’y investir et même d’être candidates. Une meilleure répartition des tâches au sein des couples ainsi qu’une réduction collective du temps de travail donnerait plus de temps libre aux femmes pour participer à la vie politique. La limitation du cumul des mandats et de la durée des carrières laisserait également plus de places pour les femmes. Il est du devoir des partis de mener une réflexion interne au sujet de la parité. Les médias devraient également donner une meilleure visibilité aux femmes durant la campagne et pendant les débats. Pourtant l’augmentation de la proportion des femmes dans les organes de décision n’est pas une fin en soi et ne suffit pas à garantir l’égalité, ni à changer les mentalités puisqu’une élue n’est pas toujours féministe et qu’un homme peut représenter un excellent relais pour les revendications féministes42. Par contre, s’il s’agit d’une étape vers une meilleure représentation de plus de la moitié de la société dans la gestion collective, la démocratie ne peut qu’en sortir grandie. Le plus important est que le projet politique devienne féministe et contribue à modifier la structure patriarcale de notre société ainsi que son modèle familialiste. La réelle parité des droits politiques et décisionnels entre hommes et femmes pourra être effective quand une égalité parfaite concernera : « vie, études, respect, famille, législation, emploi, salaire43 . » Dans le monde, les droits des femmes sont régulièrement bafoués, la violence à leur égard et particulièrement envers celles qui défendent les droits humains et s’engagent en politique augmente selon le constat du secrétaire de l’ONU, António Guterres, en mars 2019. Il insiste « sur le fait que la construction d’un monde meilleur passe par une participation des femmes dans tous les aspects de la société, sur un pied d’égalité. » 44 Et demain ? De très jeunes femmes d’aujourd’hui, avant même d’être en âge de voter, s’investissent autrement dans la société et entendent peser sur les décisions politiques dans l’intérêt commun et celui de la planète toute entière, il s’agit là d’un très bel exercice de citoyenneté. En 2014, la 42 Eliane GUBIN et Leen van MOLLE, Femmes et politique en Belgique, Bruxelles, 1998, p. 50. 43 Anne-Martine HENKENS, Des quotas à la parité, vive la représentation féminine !, Analyse de l’IHOES, n° 191, 11 octobre 2018, p. 6. 44 https://news.un.org/fr/story/2019/03/1038411 La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page26 pakistanaise Malala Yousafzai reçoit, à seulement 17 ans, le prix Nobel de la paix pour son combat en faveur de l’éducation des filles. Les grèves d’es jeunes pour le cliamt, initiées en 2018 par la suédoise Greta Thunberg alors âgée de 15 ans, ont été poursuivies en Australie par Harriet O’Shea Carre, Milou Albrecht et Jean Hinchliffe, toutes trois âgées de 14 ans, aux États-Unis par Alexandria Villaseñor, 13 ans, en Belgique, côté néerlandophone, par Anuna De Wever et Kyra Gantois, 17 ans, côté wallon, par Adélaïde Charlier, 18 ans, et, côté bruxellois, par Louise Vanden Abeele, 17 ans, ainsi qu’au Canada, à l’appel de Rebecca Hamilton, 16 ans. La médiatisation de ces militantes et leur prise de parole dérange particulièrement les experts masculins nettement plus âgés qui ont l’habitude d’occuper l’espace public, médiatique et réflexif et s’y sentent donc légitimes. Pour pourvoir faire entendre leurs voix, elles doivent affronter non seulement le paternalisme en raison de leur jeune âge mais également le patriarcat en tant que femmes45 . 45 https://www.liberation.fr/planete/2019/01/31/qui-sont-les-jeunes-organisatrices-des-greves-pour-le-climat-dans-lemonde_1706079 https://plus.lesoir.be/207987/article/2019-02-20/marche-des-jeunes-pour-le-climat-quel-est-lemanifestant-type https://plus.lesoir.be/245739/article/2019-09-04/grand-format-greta-thunberg-anuna-de-weveradelaide-charlier-et-les-autres https://www.axellemag.be/rencontre-de-marcheuses-pour-le-climat/ https://cheekmagazine.fr/societe/greta-thunberg-jeunes-filles-militantes/?fbclid=IwAR3iPKIaQpdGB_R9QTEvSuF12DrGdrR0NgLJRhu8BgLzTBTIiwaO3gtLL0 La citoyenneté des femmes en Belgique______________________ ____________________________ Décembre 2019 Page27 Bibliographie Éliane GUBIN, « Les femmes et la citoyenneté politique en Belgique. L’histoire d’un malentendu », Sextant, 7, 1997, p. 163-187. 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La santé est un droit, non une marchandise ! Quels enjeux pour les personnes âgées ? 3 e édition 2 Cette brochure sur les enjeux du système de santé actuel pour les personnes âgées a été publiée en 2020. Mais la Covid-19 est passée par là… Et nous n’avons pu la présenter, ni la diffuser au moment de sa parution. Les attaques contre le droit fondamental à la santé que nous énumérons dans cette publication sont plus que jamais d’actualité. Si nous nous focalisons sur la politique de santé du Gouvernement Michel (2014-2018), c’est que sa politique à l’encontre de notre système de santé publique constitue un cas d’école dans la remise en question d’une assurance « soins de santé » solidarisée et instaurée au sein de la sécurité sociale. Le Gouvernement Michel a donné un coup d’accélérateur à la marchandisation de la santé qui dualise encore plus notre système de santé. Une dualisation qui se traduit par des soins de qualité à celles et ceux qui peuvent se les payer, et par la remise à plus tard de soins coûteux, pour les autres. Le développement d’une offre privée lucrative gangrène notre assurance maladie-invalidité et accentue une insécurité financière d’un nombre toujours plus grand de patients, dont beaucoup de personnes âgées. La crise sanitaire et son impact sur les hôpitaux et les maisons de repos donnent un éclairage impitoyable sur les ravages de la marchandisation de la santé. L’absence de planification d’une offre médicale et paramédicale en soins de santé mais aussi la pénurie au niveau du personnel de santé, du nombre de lits en soins intensifs et du matériel de soins et de protection en a été la cruelle illustration : la marchandisation tue ! La brochure que vous avez entre les mains est une version actualisée, avec les chiffres et montants les plus récents. avant-propos 3 Le droit à la santé est un droit fondamental. Il doit permettre à toutes et tous l’accès à des soins de qualité à un coût abordable. C’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui le dit en érigeant le droit à la santé comme un principe fondamental. Un principe qui fait reposer sur les épaules des gouvernements la responsabilité de la santé de leurs peuples. En outre, l’article 23 de la Constitution de la Belgique stipule que « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ». À cette fin, la Constitution garantit notamment : le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique. Pourtant, force est de constater que ce principe fondamental est de moins en moins respecté. La faute au néolibéralisme, à l’austérité, au tout-au-profit. La faute à la mainmise des préceptes économiques sur les décisions politiques au détriment des populations, du bien commun et donc de la santé… Cette dernière est aujourd’hui soumise aux règles de la marchandisation qui a été imposée à tous les secteurs de la santé : en ambulatoire et au niveau des hôpitaux, au travers de l’explosion des suppléments d’honoraires mais aussi au niveau du prix des médicaments et du coût en maison de repos. La politique en matière de santé menée par le gouvernement fédéral entre 2014 et 2018 en est la preuve. Dans cette brochure, après un rappel historique et juridique du droit fondamental à la santé, les grandes lignes de la politique de santé menée par le gouvernement, entre 2014 et 2018, ont été analysées, point par point, avec un constat : le droit fondamental à la santé est attaqué et affaibli. Cette brochure est le fruit d’un travail de longue haleine mené par la Commission wallonne des Pensionnés et Prépensionnés du CEPAG, avec la FGTB wallonne, et le soutien de nombreuses organisations : Solidaris, la Fédération francophone des maisons médicales, la Plateforme d’action santé et solidarité, le Réseau européen contre la marchandisation de la santé et de la protection sociale, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), la Confédération des Seniors Socialistes (C2S), Médecine pour le Peuple, le mouvement « Gang des Vieux en Colère » et Michel Roland (ancien Président de Médecins du Monde et un des fondateurs historiques des maisons médicales en Belgique). La deuxième partie du document présente les revendications de la Commission wallonne des Pensionnés et Prépensionnés pour (re)faire du droit à la santé un droit fondamental, ainsi que les contributions des organisations qui disent NON à la marchandisation de la santé. Pour la Commission wallonne des Pensionnés et Prépensionnés : Luc Jansen, Président Annie Sabbatini, Vice-Présidente Michel Rosenfeldt, Animateur Introduction 4 1. Le droit à la santé, un droit fondamental ! 5 1. Les origines 5 2. Un tournant historique… 7 3. … Vers une logique managériale 8 4. Question de vocabulaire 9 2. Quand l’État s’attaque au droit fondamental à la santé 10 1. Réforme du financement de la Sécurité sociale basée sur la limitation des dépenses 10 2. Limitation du développement d’un service de santé publique efficace 12 3. Marchandisation/privatisation de tout le secteur de la santé 14 3. Droit à la santé et vieillissement de la population : vers une société pour tous les âges 32 1. 1999 : Année internationale des personnes âgées 32 2. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 33 3. Pour une Charte des Droits des personnes en perte d’autonomie 34 4. Droit fondamental à la santé pour les personnes âgées en perte d’autonomie : qu’en est-il en Belgique et en Wallonie ? 34 4. (Re)faire du droit à la santé un droit fondamental ! 45 Un meilleur financement de la Sécurité sociale 45 Le maintien des soins de santé dans la Sécurité sociale 45 Un renforcement de la concertation sociale au sein de l’INAMI 45 Concernant le budget de l’INAMI 46 Concernant le (dé)conventionnement des médecins 46 Suppléments d’honoraires pratiqués lors des hospitalisations dans une chambre individuelle 48 « Réseautage » et à la réforme du paysage hospitalier 48 Médecine ambulatoire 48 Politique des médicaments 49 Afin d’assurer une meilleure sécurité tarifaire des patients et lutter contre les inégalités et les discriminations sociales en matière de santé 50 Maisons de repos et aux hôpitaux 51 Maisons de repos et aux résidences-services 51 Perte d’autonomie des personnes âgées et à l’accompagnement à domicile 52 Par rapport à l’effet de seuil 53 5. La parole aux organisations qui disent NON à la marchandisation de la santé 54 Le Réseau européen contre la commercialisation de la santé et de la protection sociale 54 Le « Gang des Vieux en colère » 56 « Pourquoi j’adhère à la démarche du CEPAG qui veut définir, de manière constructive et collaborative, une série de revendications en matière de soins de santé » 61 Déclaration de Solidaris dans le cadre des travaux de la Commission wallonne des Pensionnés et des Prépensionnés sur la marchandisation de la santé 62 Fédération francophone des maisons médicales 63 Médecine pour le Peuple 65 Réseau wallon de lutte contre la pauvreté 68 table des matières 5 1. Les origines C’est le 7 avril 1948 que l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OMS, est créée au sein de l’ONU (Organisation des Nations-Unies). Dès sa mise en place, l’OMS érige le droit à la santé comme un droit fondamental, au même titre que les autres droits sociaux, civils et politiques. Sans ce droit à la santé, il ne peut y avoir ni cohésion sociale, ni véritable citoyenneté sociale. LES PRINCIPES DE L’OMS POUR LE DROIT À LA SANTÉ • La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. • La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient son origine, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. • La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité ; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États. • Les résultats atteints par chaque État dans l’amélioration et la protection de la santé sont précieux pour tous. • L’inégalité des divers pays en ce qui concerne l’amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous. • Le développement sain de l’enfant est d’une importance fondamentale ; l’aptitude à vivre en harmonie avec un milieu en pleine transformation est essentielle à ce développement. • L’admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour atteindre le plus haut degré de santé • Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations. • Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées. Faisant suite aux principes de l’OMS, quatre dimensions ont été définies pour qu’un droit fondamental à la santé puisse être appliqué : 1. La disponibilité : qui passe par le développement d’un service de santé publique efficace qui doit jouer un rôle prépondérant dans la politique de santé d’un pays/région/communauté via le financement d’hôpitaux et de soins et services de santé primaires de 1ère ligne, ambulatoire et à domicile, en nombre suffisant et bien réparti géographiquement. 2. L’accessibilité : tout le monde, sans aucune discrimination sociale ou d’origine, doit pouvoir effectivement satisfaire ses besoins médicaux essentiels de base. Ceux-ci doivent être accessibles financièrement et géographiquement là où on habite. C’est aussi au nom de ce principe que chaque citoyenne et chaque citoyen doit avoir accès à une information complète et précise concernant sa santé et les risques qu’il peut encourir à cause de son environnement (présence d’amiante, de radiation, les risques liés à une mauvaise alimentation riche en graisse, à la présence de substances chimiques nocives tel que le glyphosate…). Le droit à la santé, 1 un droit fondamental ! 6 3. L’acceptabilité : grâce à une éthique médicale qui préserve, au nom de certaines valeurs, la dignité des patients. Le serment d’Hippocrate, les législations relatives aux droits des patients, les déontologies professionnelles, et, plus globalement, l’ensemble des obligations que les travailleurs sont tenus de respecter dans le cadre de leur métier, sont les gardes fous de cette dimension. Ces gardes fous sont importants quand il s’agit de s’opposer à une dérive éthique telle que, par exemple, la volonté d’exclure une catégorie de patients sous le prétexte qu’elle coûte trop cher à une politique de santé publique. 4. La qualité qui est fonction : • de professionnels de la santé, le personnel soignant médical et paramédical, bien formés et en nombre suffisant ; • d’hôpitaux de proximité, généralistes et spécialisés, disposant des services et du matériel nécessaire pour une prise en charge efficace des soins ; • de soins et de services à domicile bien répartis géographiquement et qui répondent aux besoins d’une population vieillissante en perte d’autonomie ; • de médicaments innovants ou non qui répondent aux besoins des patients. Le droit à la santé est donc un droit fondamental qui doit permettre l’accès à des soins de santé de qualité à un coût abordable pour toutes et tous. POINT DE VUE JURIDIQUE Un droit fondamental ne peut être « exigible », c’est-à-dire « garanti effectivement », que si les deux conditions suivantes sont réunies : 1. Le droit en question doit être consacré par des textes nationaux ou internationaux et institué comme créant une obligation pour la collectivité ; 2. L’opposabilité de ce droit doit être organisée par la législation nationale. Ce qui implique la désignation de l’autorité responsable de sa mise en œuvre et la possibilité pour le ou la titulaire de revendiquer son droit devant une instance compétente. Cela donne la possibilité de recourir à un juge pour sanctionner leur non application. Au niveau juridique, on définit ainsi la « justiciabilité » des droits sociaux. Au nom de ce principe, on peut porter une cause devant un tribunal. Ces droits deviennent ainsi « exigibles » car « opposables » à une autorité responsable et compétente. La protection juridique de ce droit à la santé est aussi ancrée, dans l’article 23 de la Constitution belge, avec d’autres droits fondamentaux sociaux, économiques et culturels. L’article 23 stipule que « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ». À cette fin, la Constitution garantit notamment : • le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitable, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective ; • le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique ; • le droit à un logement décent ; • le droit à la protection d’un environnement sain ; • le droit à l’épanouissement culturel et social. 7 2. Un tournant historique… Dans les années 90, le droit fondamental à la santé subit une première attaque de fond avec l’apparition d’un New Public Management (NPM). C’est-à-dire, l’imposition progressive d’une approche managériale pour détricoter les services publics, le secteur non-marchand et l’économie sociale. Dans tous les secteurs et services où le NPM a été appliqué, l’objectif a été de rationaliser l’offre de soins (traduire : la diminuer) tout en en réduisant les coûts. Le NPM consiste à appliquer les pratiques d’organisation managériale du secteur privé commercial et concurrentiel au secteur public, non-marchand et de l’économie sociale. Au niveau de l’organisation et de la coordination des métiers de l’aide et des soins, cela se traduit par la parcellisation/atomisation des tâches, la flexibilité à outrance des travailleurs de ces secteurs, l’élimination des temps morts entre les soins et les tâches, c’est le Lean Management. Une infirmière, une aide-soignante ou une aide-familiale a, par exemple, un temps bien délimité pour faire tel acte médical ou de soin, ce qui augmente évidemment les cadences. Tout cela étant pensé pour accroître la productivité et l’intensification des rythmes de travail avec des audits à la clé visant à promouvoir des démarches d’amélioration continue de la « qualité » à un moindre coût. En un mot : il s’agit de faire « mieux » (en matière de profit surtout) à moindre coût (en pressurant les travailleurs du secteur au niveau de leurs salaires et de leurs conditions de travail). Les griefs des travailleuses et travailleurs du secteur sont nombreux. Dans une carte blanche publiée le 24 octobre 2019, le SETCa-FGTB dénonce la gravité de la situation : IL Y A URGENCE POUR LES TRAVAILLEURS DES SOINS DE SANTÉ : NOUS SOMMES ARRIVÉS À L’OS. Récemment, on a pu lire dans la presse les conclusions de Belfius sur la situation financière des hôpitaux belges dans le cadre de son étude Maha consacrée au sujet. Le diagnostic est sans appel : nos hôpitaux affichent une santé fragile. Ce n’est pas un fait nouveau. En tant qu’organisation syndicale représentative des travailleurs, nous le constatons au quotidien. Et la situation ne va pas aller en s’améliorant. La norme du budget de santé limitée à 1,5 % est largement insuffisante pour répondre à l’évolution des besoins : vieillissement de la population, altération de la santé, … Ces dernières années, les économies réalisées dans les institutions ont véritablement mis à mal le secteur. Il n’y a plus de bras, nous sommes à l’os Sur le terrain, tous les travailleurs de tous les départements du secteur de la santé (que ce doit dans le domaine infirmier, logistique, administratif, financier, technique, médical) sont mis sous pression constante, devant s’adapter constamment pour atteindre les objectifs financiers imposés par les décideurs. Les conséquences sont dramatiques. Le nombre de travailleurs malades explose, on ne compte plus les démissions, les burn-outs, les malades de longue durée, les postes qui restent vacants — faute de candidats à recruter. On ne compte plus les témoignages de travailleurs épuisés, à bout de souffle. Des déclarations poignantes, qui émanent de tous les secteurs et de toutes les professions : « J’ai tenu tant que j’ai pu et un matin, je n’ai plus su me lever (…), Quand je termine ma journée, je m’effondre en pleurs dans ma voiture (…), les cadences de nettoyage sont telles que je n’y arrive plus, des idées noires me viennent, je pense au suicide (…), quand j’entre dans la chambre du patient, j’évite qu’il me pose des questions car je n’ai pas le temps de répondre (…), je travaille tous les jours en danger sans satisfaction (…), je ne conseille pas à mes enfants de faire ce métier (…). » C’est certain, la santé économique des hôpitaux est préoccupante mais celles des travailleurs, elle, est alarmante ! Les jeunes fuient le secteur, leur rêve d’humanité, ils choisissent de le vivre en s’impliquant sur leur temps privé. Face à ce terrible constat, le silence tue Il ne s’agit pas là d’une nouvelle découverte. Depuis des années, la situation des travailleurs est dénoncée. Des réponses ont quelques fois été apportées mais finalement, les constats restent identiques : hyper flexibilité, précarité, manque de reconnaissance, champ de travail inadapté, travail en sous-effectif restent la règle. 8 Et il y a pire à ces silences. Les chiffres sont à présent habilement utilisés par les ‘grands porte-paroles’ du secteur de la santé pour rendre invisible la vraie réalité de terrain. C’est par exemple le cas avec la question du sous-effectif, où l’on s’évertue à comparer le nombre d’infirmiers en Belgique par rapport à la moyenne européenne. Quelle violence ! Nous sommes certes au-dessus de la moyenne. Mais alors comparons la qualité des soins. La Grèce, l’Angleterre et la France sont-elles des modèles à suivre ? Nous ne pouvons plus entendre : nous sommes dans les normes alors que nous savons tous que la norme définie ne permet pas d’assurer une qualité de soins qui soit digne. Et on sait que la relève est loin d’être assurée, les écoles d’infirmier voyant le nombre d’étudiants inscrits chuter jusqu’à moins 50 % pour certains. Il n’y a plus de bras et chez certains, plus d’espoir. La santé est entre les mains des décideurs Aujourd’hui, la logique est de regarder les finances et non pas les besoins légitimes de la population. Le SETCa-BBTK lance un appel clair aux hommes et femmes politiques, aux informateurs, aux présidents de partis. Il est de votre entière responsabilité d’apporter une réponse aux citoyens en termes de santé publique. Il est de votre responsabilité de donner les moyens financiers aux institutions pour mettre en œuvre votre politique de santé. A vous les gestionnaires des hôpitaux, il est de votre responsabilité de garantir la santé physique et mentale des travailleurs dans chacune de vos institutions . La surexploitation des travailleurs n’est pas une variable d’ajustement à l’insuffisance de moyens car la santé des travailleurs n’est pas à vendre. Il y a urgence, nous sommes à l’os. Il est temps de remettre la santé (et ses travailleurs) au cœur de vos priorités. Le New Public Management a eu aussi de graves conséquences sur : • les contrats de gestion des administrations publiques ; • l’engagement de « managers » du secteur privé à la tête des services et des administrations publiques (dont aussi les « entreprises » publiques autonomes tels que Bpost, Belgacom, SNCB, etc.) et aussi à la tête des hôpitaux ; • l’appel à des entreprises de consultance pour faire des « audits » — c’est-à-dire pour mesurer l’efficacité et la qualité des services. Le New Public Management est donc un processus qui continue à se développer aujourd’hui et qui vise à soumettre, selon des modalités diverses, le service public, non-marchand et l’économie sociale à des impératifs marchands, avec comme objectif ultime leur privatisation/marchandisation/libéralisation. 3. … Vers une logique managériale Les organisations qui ont collaboré à la rédaction de ce document mettent en garde contre les trois dangers principaux qui sont liés à l’implémentation des logiques managériales dans le secteur des soins de santé et de l’Aide aux personnes : 1. l’enfermement de l’utilité sociale dans une logique marchande ; 2. une dynamique qui accentue continuellement la commercialisation des soins ; 3. la mise à mal des conditions de travail et du sens à donner au travail social, ainsi qu’une attaque contre la professionnalité des métiers concernés. Nous considérons également que cette logique managériale va changer le statut du patient, dont on exige qu’il devienne « central », « acteur de sa santé ». Ce nouveau concept libéral de la « centralité du patient » permet de glisser rapidement vers la notion de « consommateur de soins » ou encore de « responsabilisation individuelle » : le patient est tenu responsable de son état de santé, ce qui occulte totalement les facteurs collectifs qui contribuent pourtant grandement à altérer la santé des individus : les conditions de vie sociale, environnementales et professionnelles. On retrouve ici un leitmotiv de la doctrine libérale : reporter sur l’individu les problématiques sociétales. Du même coup, la responsabilité collective est relativisée car l’état de santé d’une personne, selon cette approche, dépend essentiellement de son comportement. Le patient, en plus de devenir un consommateur de soins, devient un « gestionnaire » de son propre « capital santé ». Cette « image » du consommateur de soins agissant de manière individuelle et rationnelle dans un marché « ouvert » de biens et services de consommation contribue à la marchandisation/privatisation/libéralisation des services publics, non-marchands et de l’économie sociale. 9 4. Question de vocabulaire Le New Public Management va recourir au vocabulaire de l’entreprise et aux anglicismes du sabir managérial1 pour : • vendre la supériorité des méthodes privées de gestion ; • mystifier le public ou obscurcir le message, ce qui est le propre de tout discours du Pouvoir. Le New Public Management dévoie aussi le sens de certains mots pour mettre en avant sa vision idéologique du monde. Nous reprenons ici deux exemples emblématiques de mots dévoyés par ce nouveau langage managérial développés dans l’ouvrage « Des mots qui puent » d’Olivier Starquit (Ed. du Cerisier, 2018) : le client et la norme. L’ « usager » d’un service public ou le « patient » devient un « client ». Cette notion de « client » est antagoniste avec la notion même de service public ou non-marchand. Olivier Starquit écrit à ce sujet : « Si le secteur privé peut choisir ses clients, le secteur public [et non-marchand] est là pour tous les citoyens. Leur nature et leur mission sont différentes. Forcer le secteur public à trier parmi ses usagers, à en délaisser certains revient à le[s] dénaturer et, ce faisant, à l’affaiblir. Cette logique « client » introduit un mode néolibéral de gouvernance à l’attention des agents publics, où le citoyen est redéfini en client et où les administrateurs publics sont encouragés à cultiver l’esprit entrepreneurial, où la concurrence est le modèle général et peut être appliqué à l’ensemble des activités. Les critères d’efficacité et de rentabilité, les techniques d’évaluation s’imposent partout comme autant d’évidences indiscutables. »2 Pour nous, cette analyse de l’auteur peut aussi s’appliquer au secteur non-marchand et à l’Aide aux personnes. Les services qu’ils rendent à la population doivent aussi être accessibles à tous et toutes, en dehors de la logique du marché et de la concurrence. Dans cette nouvelle optique où l’usager et le patient deviennent « client », on en arrive à évaluer dans une logique marchande la « qualité » du service rendu par le service public ou non-marchand. Cette évaluation marchande de la qualité va envahir tous les domaines des relations humaines, sociales et professionnelles. Par rapport aux services publics et non-marchand, les termes qui sont associés au concept de qualité seront désormais : la « norme », la « certification »/« accréditation », et l’« audit » : • la « norme » est établie par consensus (c’est-à-dire par des experts) et approuvée par un organisme reconnu qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans le contexte donné ; • la « certification »/« accréditation » est la procédure par laquelle une tierce partie donne une assurance écrite qu’un produit, un processus, un service, ou un organisme est conforme aux exigences spécifiées. Dans le secteur hospitalier par exemple, l’accréditation des hôpitaux par des multinationales anglo-saxonnes renforce la logique managériale en son sein. « Quelle marge de manœuvre restera-t-il aux autorités publiques pour programmer et organiser le secteur hospitalier wallon quand l’existence d’un hôpital dépendra non plus d’un agrément ministériel mais de l’accréditation émise par un organisme étranger ? » (doc. réf. : « Politique de Soins de santé et d’Aide aux personnes en Wallonie sous le prisme conservateur libéral », Note aux membres du Bureau de l’IW, doc. réf. : IW/19/NB.15 du 3 mai 2019) ; • l’ « audit » est un examen méthodique et indépendant en vue de déterminer si les activités et les résultats relatifs à la qualité satisfont aux dispositions préétablies, et si ces dispositions sont mises en œuvre de façon efficace et aptes à atteindre les objectifs. Quand un service public, non-marchand ou de l’économie sociale est passé au crible d’une évaluation de sa « qualité » (de type managérial) et que l’ « usager » ou le patient devient un « client », le service public, non-marchand ou de l’économie sociale en question devient un produit de consommation soumis à la concurrence et il n’en reste pratiquement plus rien quant à sa spécificité, son utilité et à sa définition d’origine. 1. Par exemple : « Best Practice », « Deal », « Marketing », « Manager », « Management », « Lean Management », « audit », « Leadership », « Team building », « Benchmarking », « Brainstorming », « Bottom-up », « Workshop », « Deadline », « Business », « Input/output »… 2. STARQUIT, Olivier, Des mots qui puent, Ed. du Cerisier, mars 2018, pp 52-53. 10 Penchons-nous maintenant sur ce qu’il reste aujourd’hui du droit fondamental à la santé en Belgique, après la mise en œuvre du New Public Management. Nous prendrons ici comme référence les conséquences de la politique qu’a mené le gouvernement Michel entre 2014 et 2018 en matière de santé. La politique menée en matière de santé a-t-elle renforcé ou affaibli les quatre dimensions nécessaires pour qu’un droit fondamental à la santé soit appliqué (la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des soins) ? C’est pour répondre à cette question que nous allons reprendre ci-dessous, point par point, les grandes lignes de la politique de santé que le gouvernement fédéral a mené entre 2014 et 2018, en expliquant à chaque fois pourquoi cette politique a attaqué notre droit fondamental à la santé. 1. Réforme du financement de la Sécurité sociale basée sur la limitation des dépenses En 2017, au nom de l’équilibre budgétaire, une loi a réformé le financement de la sécurité sociale (dont fait partie l’assurance maladie-invalidité – INAMI) avec comme objectif principal de réduire son déficit en limitant les dépenses au lieu d’augmenter les recettes par : • le rétablissement des cotisations sociales patronales qui n’ont cessé de diminuer au fil du temps, au prétexte de créations d’emplois… qu’on n’a jamais vu se concrétiser ; • l’augmentation de la contribution des revenus du capital au financement de la sécurité sociale ; • la réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire pour augmenter le nombre de travailleurs cotisant à la sécurité sociale. Concrètement, le Gouvernement « Michel » a préféré : • Augmenter les salaires nets des travailleurs en diminuant les cotisations sociales patronales via un « Tax Shift ». Les montants concernés par le Tax Shift portent sur un total de 7,7 milliards d’euros en 2016 et 10,3 milliards d’euros à l’horizon 2020 ! Ce que le Gouvernement « Michel » ne dit jamais, c’est que cette augmentation des salaires nets ne compense pas la perte des revenus que les travailleurs ont subie à cause de ses autres décisions comme le saut d’index, l’augmentation de la TVA sur l’électricité, la hausse des accises sur le diesel et l’alcool et … le non-remboursement de certains soins de santé. À cause du Tax Shift, les cotisations sociales patronales ont baissé entre 2015 et 2019 de 32,25 % du salaire brut à 25 % ! • Allonger la durée de la carrière professionnelle au nom du vieillissement de la population. • Réduire les dépenses de la sécurité sociale par une responsabilisation des bénéficiaires qui sont considérés comme trop dépensiers. Dans cette optique, les cotisations sociales — qui ne sont rien d’autre que du salaire indirect, socialisé et mutualisé — sont depuis longtemps considérées par l’idéologie libérale comme des « charges » sur le travail… et le choix des mots instille ici la réponse : une « charge » entrave, elle constitue un poids qu’il faut à tout prix réduire, faire baisser, alléger. Ce qui pèse est connoté négativement. D’où l’utilisation de la notion de « coût du travail » au lieu de « salaire » et de la notion de « charges sociales » au lieu de « cotisations sociales » … Transformer les cotisations sociales en charges sociales vise surtout à cacher le fait que le travail Quand l’État s’attaque 2 au droit fondamental à la santé 11 est la source de toute création de valeur. Cela a déjà été démontré aussi bien par des économistes libéraux comme Adam Smith et David Ricardo que par Karl Marx. Le travail ne peut donc pas être un coût ou une charge sociale. Le capital (les moyens de production) constitue en fait le seul coût réel dans la production des biens et services que nous utilisons chaque jour. • Baisser les « charges » sur le travail est en réalité une baisse des salaires qui ne dit pas son nom. • Réduire les dépenses de la sécurité sociale en responsabilisant les bénéficiaires considérés comme trop dépensiers, a pour conséquence que la sécurité sociale n’aura plus pour objectif premier de répondre aux besoins des travailleurs et des allocataires sociaux. En défaisant le lien entre recettes de la sécurité sociale et besoins de la population, on assigne à la sécurité sociale l’objectif premier de contribuer à l’assainissement des finances publiques, ce qui provoquera une baisse des prestations sociales. Un système économique basé sur la propriété privée des moyens de production et dont la seule finalité est la maximisation des profits (et son accumulation) ne peut se reproduire qu’en réduisant sans cesse ce qu’il appelle ses coûts. Ce qui signifie la fin de la sécurité sociale telle que nous la connaissons. Dans cette logique qui vise à diminuer continuellement les dépenses de la sécurité sociale, un équilibre budgétaire ne sera plus jamais atteint, puisque chaque réduction des dépenses en appellera de nouvelles ! Le gouvernement s’est arrogé ainsi subtilement, mais inexorablement, le droit de rétrécir la sécurité sociale. La marchandisation du produit du travail et des différents facteurs de production, expliquée par Karl Marx au XIXe siècle, est toujours à l’œuvre aujourd’hui. Elle est le ciment idéologique qui permet de poursuivre une politique de privatisation de la sécurité sociale. Cette privatisation de la sécurité sociale va se traduire par son remplacement progressif par des assurances extralégales privées qui vont de plus en plus répondre, dans une logique de profit, aux besoins non couverts par la sécurité sociale à cause de son sous-financement. La réforme du financement de la sécurité sociale — qui a eu lieu sous la législature du Gouvernement « Michel » — est donc bien une attaque contre un droit fondamental à la santé. • À cause de la réduction continuelle des recettes de la sécurité sociale (qui est principalement la conséquence de la réduction des cotisations sociales patronales), le déficit du budget de la sécurité sociale serait de plus de 7 milliards d’euros en 2021 s’il n’y avait pas de dotation « d’équilibre ». Le déficit serait de 1,024 milliards d’euros en 2021, à dotation d’équilibre inchangée de 6,6 milliards d’euros (voir document de la FGTB intitulé « Actualisation du Budget 2021 de la sécurité sociale des travailleurs salariés, préfiguration 2022 et estimations pluriannuelles de 2023 à 2026 » – doc. réf. 21I050F du 4 août 2021 – page 1). • Entre 2006 et 2017, les baisses des cotisations sociales patronales représentent un total de 59,973 milliards d’euros. • Entre 2016 et 2020, la part des cotisations sociales patronales et des travailleurs dans les recettes de la sécurité sociale a baissé de 76,2 % à 70,2 % ! Autrement dit, la part des recettes du travail dans le financement de la sécurité sociale ne cesse de diminuer ! s En cause : les diminutions continuelles des cotisations sociales patronales et une augmentation beaucoup trop faible du taux d’emploi des 20-64 ans en Belgique qui n’est que de 73,4 % en juillet 2022 (source : Chiffres mensuels sur le marché du travail | Statbel [fgov.be]). s Les dépenses des différentes branches de la sécurité sociale en 2021 : Pensions des travailleurs salariés : 30,9 milliards d’euros Maladie invalidité des salariés : 10,2 milliards d’euros Chômage des salariés : 7,4 milliards d’euros L’ensemble des prestations sociales pour le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés s’élèvent en 2021 à 50,1 milliards d’euros Pensions des travailleurs indépendants : 4,190 milliards d’euros Total des soins de santé pour l’ensemble des régimes de sécurité sociale et de la population : 31,293 milliards d’euros 12 2. Limitation du développement d’un service de santé publique efficace Entre 2014 et 2018, toujours sous couvert d’équilibre budgétaire au nom de l’austérité, le Gouvernement « Michel » a : • Diminué de moitié la norme de croissance du budget de l’assurance maladie invalidité (INAMI) de 3 % à 1,5 %. Cette norme de croissance avait été instaurée pour répondre à l’évolution naturelle des besoins en matière de santé publique. Diminuer cette norme de croissance revient évidemment à ajuster continuellement vers le bas le budget global de l’INAMI au détriment des besoins de la population en matière de santé publique. Selon l’INAMI, 503 millions d’euros d’économies supplémentaires seront nécessaire en 2019 pour ne pas dépasser la norme de croissance du budget de l’assurance maladie invalidité (INAMI) de 1,5 % ! Une norme de croissance à 1,5 % est beaucoup trop étriquée si l’on veut maintenir le niveau d’accessibilité et de qualité de notre système de soins de santé et elle insuffisante pour intégrer les innovations dans l’assurance maladie. Le Bureau fédéral du plan estime à 2,2 % la croissance réelle des dépenses publiques de soins de santé « à politique constante », c’est-à-dire en maintenant inchangé le niveau de qualité et d’accessibilité aux soins. • Fait subir à l’INAMI des économies budgétaires structurelles nettes pour un total de 2,1 milliards d’euros (montant officiel de l’INAMI). Il s’agit bien d’économies structurelles et non d’un redéploiement des budgets au sein des différentes branches de l’INAMI. s À titre de comparaison : le remboursement des consultations et visites des médecins généralistes est de 1,3 milliards d’euros. En outre, et contrairement à ce qu’affirmait la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block, ces mesures drastiques d’économie affectent évidemment les patients ! En effet, parmi les mesures d’économie budgétaire qui ont été appliquées, il y en a quatre qui sont emblématiques parce qu’elles visent en particulier les ménages avec les revenus les plus faibles : • Augmenté le prix du ticket modérateur1 sur les consultations des médecins spécialistes de 17 % en moyenne (+45 % pour 25 % des patients). s Économie réalisée pour l’INAMI sur le dos des patients : 32,9 millions d’euros ! • Supprimé l’obligation d’appliquer le tiers-payant pour les malades chroniques, prévue dans la loi par le Gouvernement précédent (Gouvernement « Di Rupo »). s Économie réalisée pour l’INAMI : 38,7 millions d’euros ! Le malade chronique, qui accumule déjà des dépenses importantes en soins de santé, doit donc continuer d’avancer les 26,30 € de sa consultation chez son médecin généraliste avant d’être remboursé par sa mutuelle. Le tiers payant est un mode de paiement par lequel le prestataire reçoit directement de l’organisme assureur (la mutualité) l’intervention de l’Assurance Soins de Santé et Indemnités. Seuls les tickets modérateurs éventuels sont directement perçus auprès du patient. • Déremboursé des médicaments qui augmentent les tickets modérateurs de 9 % en moyenne, alors que les médicaments représentent le premier poste de dépenses dans le budget santé des ménages belges (soit 31,3 %). s Économie réalisée pour l’INAMI, et donc à charge des patients : 44 millions d’euros ! 1. Le « ticket modérateur » est la part des soins médicaux (honoraires des médecins et médicaments) qui est à charge du patient, après le remboursement de la mutualité. 13 En cause : les diminutions du remboursement des antibiotiques, des médicaments pour l’estomac et des sprays nasaux décidées en 2017. • Indexé les plafonds d’interventions personnelles du « Maximum à facturer », qui impacte surtout les ménages avec les revenus les plus faibles. Explication : « indexer les plafonds d’interventions personnelles » dans le cadre du maximum à facturer revient à relever le montant maximum annuel des frais médicaux à charge des ménages après l’intervention de l’assurance INAMI. Cette mesure d’économie va à l’encontre de l’objectif du « maximum à facturer » qui est de limiter les dépenses en soins de santé des ménages en fonction de leur revenu. s Économie réalisée pour l’INAMI : 14 millions d’euros ! Il aurait été beaucoup plus équitable de réaliser ces 130 millions d’euros en diminuant par exemple les profits de l’industrie pharmaceutique plutôt que de s’attaquer au droit fondamental à la santé des ménages aux revenus les plus faibles et des plus âgés, ceux-là même qui accumulent les problèmes de santé. La moitié des personnes âgées prenant, en effet, au moins cinq médicaments de manière chronique. Pour elles, la politique induite par la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block peut grimper jusqu’à 120 € par an ! Comme si cela ne suffisait pas, sous prétexte que les traitements de confort coûtent chers et qu’il faut lutter contre la surconsommation médicamenteuse chez les seniors, il a déjà été mis sur le tapis, de façon informelle, l’idée que pour des raisons d’économie on pourrait très bien cesser des traitements médicaux pour les plus âgés car cela n’en vaudrait plus la peine ! Des réflexions de ce type ne sont plus taboues aujourd’hui. Sous le label de sondages pseudo-scientifiques, basés sur une technique des échantillons de citoyens censés représenter la société dans sa diversité, et cautionnés même parfois en utilisant le nom d’universités prestigieuses, des questions « troublantes » sont posées « en toute innocence » telle que par exemple « peut-on cesser des traitements pour les plus âgées ? »2 . L‘objectif de ces « enquêtes » est en fait d’évaluer nos limites quant à l‘acceptation de certaines idées qui transgressent toutes éthiques élémentaires, avant d’aller plus en avant dans la mise en œuvre d’une politique qui susciterait un débat sur nos valeurs. Aux Pays-Bas, une députée a fait de la diminution des traitements aux plus de 70 ans une condition de négociations gouvernementales. Dominique Lossignol, spécialiste du traitement de la douleur et membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique, observe que déjà les plus de 65 ans ne sont pas repris dans les études cliniques de nouveaux traitements. « Que cela veut-il dire sinon qu’on ne les considère plus vraiment comme la cible principale de la nouvelle molécule ? Balayer nos aînés, ce serait perdre notre humanité. Pourtant, ils ont contribué pendant plusieurs années à la solidarité dans la société. Pour le dire autrement, ils ont payé pour la sécurité sociale actuelle. »3 Le contexte budgétaire — déjà insuffisant pour répondre à l’évolution naturelle des besoins — n’offre aucune marge de manoeuvre pour de nouvelles initiatives améliorant la qualité ou l’accessibilité aux soins de santé. « On assiste à un désinvestissement dans l’assurance maladie, alors même que les coûts restent insuffisamment couverts — notamment les soins dentaires, la santé mentale, les appareils auditifs et d’optique — et qu’une partie croissante de la population est amenée à reporter des soins essentiels. »4 La politique asociale d’assainissement budgétaire menée par le gouvernement « Michel » en matière de soins de santé accentue la progression vers une médecine à deux vitesses. Elle s’attaque à l’autonomie des médecins — dont le rôle est de soigner, quel que soit le contexte budgétaire d’un pays — et à la liberté de choix des patients, tels que ceux de choisir librement son médecin, son hôpital, un service de santé, sa maison de repos, toutes formes d’alternatives à un hébergement dans une maison de repos, ou d’accéder sans entraves aux urgences d’un hôpital dès qu’on en ressents le besoin. Ce libre choix des patients est inscrit en Belgique dans la loi de 2002 relative aux droits et obligations du patient. 2. Il s’agit aussi du titre d’un article du journal « Le Soir » du 19/03/2019. 3. Propos de Dominique Lossignol recueillis par le journal « Le Soir » du 19/03/2019. 4. Interview de Paul Callewart, Secrétaire général des mutualités socialistes flamandes et Jean-Pascal Labille, Secrétaire général de Solidaris – septembre 2018. 14 3. Marchandisation/privatisation de tout le secteur de la santé Ou quand la politique de santé publique fragilise la sécurité tarifaire des patients à cause du développement d’une offre privée lucrative, laquelle se développe au détriment du financement public des soins de santé et du contrôle des coûts en soins de santé, tant en ambulatoire qu’au niveau des hôpitaux. La politique d’austérité budgétaire sans précédent menée par le gouvernement « Michel » a accéléré la privatisation/marchandisation des soins, tant en ambulatoire qu’à l’hôpital. La médecine ambulatoire regroupe les consultations des généralistes, spécialistes, dentistes, kinésithérapeutes aussi bien à domicile, en cabinet privé qu’à l’hôpital. Le terme ambulatoire implique la prise en charge médicale d’un patient, sans hospitalisation, ou en cas d’une hospitalisation d’une durée de quelques heures. On retrouve une prise en charge ambulatoire dans les services de dialyse ou de chimiothérapie, où le patient reçoit son traitement à l’hôpital, puis rentre chez lui pour poursuivre ses activités quotidiennes. A. La marchandisation des soins de santé en ambulatoire… Se traduit par des activités médicales les plus lucratives qui se développent en dehors du cadre « conventionné » et qui fragilisent la sécurité tarifaire des patients : Quelques règles à connaître en matière de soins de santé : 1. Deux systèmes de financement de la santé Il existe en Belgique deux systèmes de financement de santé. Le premier, largement majoritaire, est un système dans lequel les soins sont attestés à l’acte par le soignant et remboursés en partie aux patients par les organismes assureurs (les mutualités). Le second est financé forfaitairement et anticipativement auprès des maisons médicales qui choisissent ce mode de financement, indépendamment de la consommation de soins par le patient. Le forfait peut concerner : les visites et consultations de médecine générale, la kinésithérapie et les soins infirmiers. Dans la pratique, chaque maison médicale peut conclure un accord avec les organismes assureurs (les mutualités). La maison médicale perçoit alors un montant fixe (forfaitaire) par patient et en fonction de la discipline de la profession, qui couvre tous les soins que ce patient reçoit dans cette maison médicale. C’est donc l’INAMI qui finance ces forfaits. Dans ce système, le nombre de prestations par patient ne joue donc pas de rôle, contrairement au système de paiement à l’acte dans lequel les dispensateurs de soins sont rémunérés par prestation (consultation, visite à domicile, etc.). Les mutualités versent ce forfait au début de chaque mois. Pour les consultations de spécialistes, les médicaments, les hospitalisations, etc., la mutualité du bénéficiaire continuera à intervenir comme elle le fait dans le système de paiement à l’acte. Le forfait est le même pour tous les patients inscrits dans une même maison médicale. Mais il existe des différences entre les maisons médicales : • Les maisons médicales « débutantes » perçoivent toutes le même montant mensuel forfaitaire. Les montants mensuels forfaitaires applicables à partir du 1er février 2021 sont de : – 17,48 € pour les prestations des médecins généralistes de la maison médicale ; – 7,63 € pour les prestations des kinésithérapeutes de la maison médicale ; – 16,57 € pour les prestations des praticiens de l’art infirmier de la maison médicale. Source : site de l’INAMI « Soins dans les maisons médicales (au forfait) » INAMI (fgov.be). Un forfait est versé tous les mois aux maisons médicales pour chaque patient inscrit et pour les soins offerts dans le cadre du forfait par la mutuelle du patient.. Pour comprendre comment ce financement fonctionne, prenons l’exemple d’une maison médicale au forfait qui a 1.000 patients et qui propose des consultations en médecine générale et des soins infirmiers. 350 de ses patients sont affiliés à la mutualité Solidaris. Dans ce cas-ci, chaque mois la mutualité Solidaris va verser à la maison médicale, au titre du forfait : 350 x 17,48 € = 6.118 € pour les soins de médecine générale et 350 x 16,57 € = 5.799,50 € pour les soins infirmiers, soit un total de 11.917,50 €. 15 • Les maisons médicales « matures » quand elles existent depuis au moins 1 an (au moment du comptage, en général en juin de l’année) dans le système forfaitaire et qu’elles ont au moins 500 patients inscrits. Le montant de leurs forfaits sont plus élevés que celui des maisons médicales « débutantes » car ces dernières reçoivent des forfaits basés sur une population jeune. Le montant des forfaits moyens actuels sont aux alentours de 40 € pour les 3 professions (les médecins généralistes, les kinésithérapeutes et les praticiens de l’art infirmier). Les patients ne payent en général aucune participation personnelle pour leur inscription à la maison médicale. Quelque fois ils doivent payer une fois par an 2,50 € par personne, avec un maximum de 12,50 € par famille. Cette participation personnelle n’est quasi jamais demandée et jamais dans les maisons médicales de la Fédération francophone des maisons médicales. 2. Concertation En Belgique, les dépenses en soins de santé sont gérées sur le principe de la concertation entre l’assurance maladie invalidité (l’INAMI) et différents partenaires : les interlocuteurs sociaux, les mutualités et les dispensateurs de soins. Les représentants des mutualités et des dispensateurs de soins négocient tous les 12 ou 24 mois les accords « médico-mutuellistes, dento-mutuellistes, etc., pour fixer les honoraires actés par des conventions tarifaires. Ces dernières fixent la part de ces honoraires qui sera à charge de l’INAMI et celle qui sera à charge du patient, appelée « ticket modérateur ». Les médecins conventionnés s’engagent à respecter les tarifs légaux prévus dans les accords médico-mutuellistes. 3. Conventionnement Un dispensateur de soins est dit « conventionné » lorsqu’il adhère à un accord ou à une convention tarifaire. Dans ce cas, il s’engage à respecter les tarifs légaux fixés par cet accord ou convention. A contrario, un prestataire est dit « non conventionné » lorsqu’il n’adhère pas à cette convention. 4. Remboursement Lorsque qu’un patient se rend chez un prestataire de soins, il reçoit une attestation qu’il doit ensuite transmettre à sa mutualité pour remboursement. Le tarif légal d’une visite ou consultation se scinde donc en deux parties : une partie remboursée ultérieurement par la mutualité (le « tarif officiel »), l’autre partie est à charge du patient (le « ticket modérateur » ou « quote-part personnelle »). 5. Bénéficiaires de l’intervention majorée (statut « BIM ») Les ménages aux revenus modestes et qui sont bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) ont droit à une intervention plus importante de la mutualité dans le coût de leurs soins de santé (honoraires, médicaments, etc.). Au 1er septembre 2021, le plafond en dessous duquel on pourra bénéficier du statut « BIM » est de 20.763,88 € + 3.843,96 € par personne à charge. Source : site de l’INAMI « Intervention majorée : meilleur remboursement de frais médicaux » INAMI (fgov.be). 6. Dossier médical global Les patients qui ont ouvert un Dossier Médical Global (DMG) chez leur médecin généraliste bénéficient d’un remboursement de 30 % du « ticket modérateur » (la quote-part personnelle payée par le patient) de chaque consultation chez son médecin. En outre, les patients qui ont soit 75 ans, soit qui sont considérés comme « malades chroniques », soit qui bénéficient d’un forfait pour soins palliatifs à domicile ont droit aux mêmes avantages du remboursement de 30 % du « ticket modérateur » pour les visites des médecins généralistes à domicile. C’est le patient qui doit demander personnellement à son médecin traitant d’ouvrir un dossier médical global. 16 Il s’agit des visites à domicile mais aussi dans les maisons de repos et de soins (MRS), les maisons de repos pour personnes âgées (MRPA) et les établissements où séjournent des enfants, des personnes âgées, des convalescents ou des personnes handicapées. Sont exclus cependant les visites ou les suppléments aux visites effectuées le soir, la nuit, le week-end ou un jour férié. Le patient bénéficie des mêmes avantages, que son médecin généraliste soit ou non conventionné. Le DMG peut en effet être prolongé chaque année. Cette prolongation se fait automatiquement par votre mutualité si une consultation ou visite a eu lieu chez votre médecin généraliste au cours de l’année concernée. La prolongation peut également être attestée comme prestation par votre médecin généraliste. Le meilleur remboursement lié au DMG reste valable jusqu’à la fin de la 2e année calendrier qui suit l’année de l’ouverture ou la prolongation du DMG. Par exemple : un DMG ouvert le 21 janvier 2021 donne droit à un meilleur remboursement valable jusqu’au 31 décembre 2023. Le coût actuel remboursable par la mutualité est de 32 € depuis le 01/01/21. Source : site de l’INAMI « Le dossier médical global (DMG) permet de diminuer le prix de votre consultation chez le médecin généraliste » INAMI (fgov.be). Pour les visites à domicile, le DMG permet en outre, pour les personnes âgées de minimum 75 ans et/ou pour celles et ceux qui ont le statut de malades chroniques, une diminution de 30 % de la part personnelle. Pour éviter de devoir avancer l’argent, le patient peut demander à son médecin d’appliquer le tiers payant. Le médecin ne peut pas le refuser. Le médecin se fait alors payer directement par la mutualité du patient. Un DMG ne coûte donc rien ! Si le médecin généraliste consulté n’est pas le médecin généraliste qui gère le DMG, le patient n’a pas droit à un meilleur remboursement, sauf si cet autre médecin a accès aux données du DMG et mentionne la lettre « G » sur l’attestation de soins. La réglementation actuelle stipule que le bénéficiaire pour lequel un DMG est géré, a droit à une limitation du ticket modérateur pour les consultations des médecins généralistes à : • 1 € pour les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM). • 4 € pour les patients qui ne bénéficient pas de l’intervention majorée (BIM). Le Dossier médical global permet également, lorsqu’un généraliste envoie son patient chez un spécialiste de pouvoir bénéficier, une fois par an et par spécialité, d’un meilleur remboursement de la consultation (cela s’appelle l’échelonnement). La réduction de l’intervention personnelle s’applique aux spécialités suivantes : cardiologie, dermatovénérologie, endocrinologie, gastro-entérologie, gériatrie, gynécologie et obstétrique, médecine, interne, neurologie, (neuro)-psychiatrie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, pédiatrie, pneumologie, psychiatrie, rhumatologie, stomatologie et urologie. Source : https://www.solidaris-wallonie.be/faq/quest-le-dmg-et-pourquoi-lavoir Pour en attester, le généraliste remet au patient le document « envoi vers un médecin spécialiste » complété et destiné au spécialiste. Le patient doit s’assurer que ce « document d’envoi » soit joint à l’attestation de soins. L’intervention de la mutualité ne sera majorée que si le bénéficiaire remet les deux documents ensemble (document d’envoi et attestation de soins). Toutefois, cette mesure ne s’applique qu’une fois par an et par spécialité. Par exemple, vous pourrez bénéficier de cette réduction chez le gynécologue une fois par an, chez le pneumologue une fois par an, idem chez l’urologue, etc. La réduction de l’intervention personnelle s’applique aux spécialités suivantes : cardiologie, dermatovénérologie, endocrinologie, gastro-entérologie, gériatrie, gynécologie et obstétrique, médecine interne, neurologie, (neuro)-psychiatrie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, pédiatrie, pneumologie, psychiatrie, rhumatologie, stomatologie et urologie. Le médecin généraliste des patients qui ont ouvert un DMG centralise l’entièreté des données médicales des patients en question (prise de sang, radiographies, vaccinations, hospitalisations, traitements, avis de spécialistes, etc.), ce qui évitera aux patients de subir des examens inutiles. Pour les patients qui ont ouvert un DMG et qui vont chez un médecin conventionné, Solidaris rembourse notamment en plus, via son assurance complémentaire : les soins des enfants, les consultations des médecins généralistes et des gynécologues et les soins dentaires préventifs. 17 7. Tiers payant Le « tiers payant » est la possibilité pour le patient de ne pas devoir avancer la totalité du montant de certaines prestations. Dans ce cas-ci, le patient paie uniquement le « ticket modérateur » et les éventuels suppléments d’honoraires. Le prestataire de soins (médecin, dentiste, …) ou l’institution de soins se fait directement rembourser auprès de la mutualité. Le régime du « tiers-payant » est appliqué aux bénéficiaires de la garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA), les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS), les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM), les chômeurs complets depuis au moins 12 mois, les bénéficiaires d’une allocation pour handicapé et aux enfants atteints d’une incapacité physique ou mentales d’au moins 66 %. Le patient paye uniquement le « tiers payant » : • à la pharmacie pour l’achat de médicaments remboursables prescrits par le médecin ; • à l’hôpital. Après une hospitalisation, le patient reçoit une facture qui reprend le coût global des soins reçus, mais il ne paye que le « ticket modérateur », ainsi que les suppléments éventuels. Le tiers payant pour les patients ayant le statut de personne atteinte d’une affection chronique (« statut affection chronique ») est possible depuis le 1er mai 2014. Depuis le 1er janvier 2022, tous les dispensateurs de soins (médecin généraliste, dentiste, kinésithérapeute, logopède, etc.) peuvent appliquer le régime du tiers payant à chaque patient et à chaque prestation de santé. Votre médecin généraliste n’est pas obligé de l’appliquer, sauf si vous bénéficiez de l’intervention majorée de l’assurance soins de santé (mais il n’est pas obligatoire lors d’une visite à domicile). Source : Tiers payant : ne payez que votre part, la mutualité paie directement le dispensateur de soins – INAMI (fgov.be). 8. Maximum à facturer Le maximum à facturer (MàF) est un système qui limite les dépenses de soins de santé de votre ménage. Si les frais médicaux (les vôtres et ceux de votre ménage) qui restent à votre charge, après l’intervention de l’assurance soins de santé, atteignent un montant maximum au cours de l’année, votre mutualité vous rembourse intégralement les frais qui viendraient encore s’ajouter. Les plafonds au-delà desquels la mutualité rembourse intégralement les soins médicaux sont en 2022 pour le Maximum à facturer revenus : Tranches de revenus Plafonds de 0,00 à 11.120,00 € 250,00 € de 11.120,01 à 19.894,05 € 506,79 € de 19.894,06 à 30.583,38 € 732,03 € de 30.583,39 à 41.272,75 € 1.126,20 € de 41.272,76 à 51.516,72 € 1.576,68 € dès 51.516,73 € 2.027,16 € Source : Types de maximum à facturer (MàF) – INAMI (fgov.be). 9. Suppléments d’honoraires Les suppléments d’honoraires sont entièrement à charge des patients en plus du ticket modérateur. Il n’existe aucun plafond fixé par l’INAMI, ni aucune restriction quant au niveau des suppléments d’honoraires autorisés. La seule « restriction » existante en la matière se situe dans le Code de déontologie médicale qui exige du prestataire qu’il « fasse preuve de modération dans la fixation de ses honoraires ». À part cette restriction verbale et non contraignante, un médecin non conventionné est complètement libre quant au montant des suppléments d’honoraires qu’il demande à ses patients. 18 10. Des prestataires de soins peuvent choisir d’être partiellement conventionnés : ils s’engagent à respecter les tarifs « conventionnés » qu’à certains moments de la semaine ou de la journée, ou dans certains lieux (à l’hôpital ou dans son cabinet médical privé). En dehors de ces périodes ou lieux où s’applique la convention tarifaire, les professionnels de la santé peuvent donc déroger à ces tarifs légaux. 11. Chaque médecin doit afficher s’il est conventionné ou non dans sa salle d’attente, ainsi que les jours et les heures pendant lesquels il est conventionné. Lorsqu’on appelle un médecin pour prendre rendez-vous, on doit être informé du statut de médecin conventionné ou non. 12. Aucun supplément ne peut légalement être facturé pour les services d’urgence et les soins intensifs. Même si le médecin n’est pas conventionné. 13. Aucun supplément d’honoraires ne peut légalement être facturé dans le cadre d’un service de garde organisé. 14. Quand on téléphone à un hôpital pour prendre un rendez-vous, on répond souvent qu’il faudra attendre plusieurs mois pour obtenir ce rendezvous … et il nous est alors proposé, si on ne veut pas attendre aussi longtemps, de prendre rendez-vous au cabinet privé du médecin, où on doit payer des suppléments d’honoraires… avec des tarifs facturés parfois du simple au double. 15. Les médecins peuvent facturer légalement comme ils le souhaitent des traitements utilisant de nouvelles technologies médicales qui ne sont pas encore remboursés parce qu’il n’y a pas encore de budget pour ces traitements. C’est le cas par exemple des modèles en trois dimensions réalisées en préparation d’une reconstruction de la mâchoire ou du visage. De nombreux médecins utilisent déjà de telles techniques et demandent beaucoup d’argent. « Pourquoi ne pas rembourser d’emblée ces nouvelles techniques, comme les anciennes, et examiner ensuite les coûts supplémentaires ? »5 Dans certaines régions, il devient très difficile de trouver un gynécologue, un dermatologue ou encore un dentiste conventionné et il devient aujourd’hui impossible d’avoir un rendez-vous avec un spécialiste conventionné dans un délai acceptable. Selon une étude réalisée par Solidaris sur les suppléments d’honoraire en ambulatoire : 5. Extrait de l’article de Anne Peuteman, rédactrice au « Knack » – « L’héritage de Maggie De Block : Les conséquences de sa politique sont désastreuses » – 13/09/2019. 19 En 2017-2018, 39 % des dentistes, 49 % des gynécologues, 56 % des chirurgiens plasticiens, 60 % des ophtalmologues, 69 % des dermatologues sont non-conventionnés. Ce pourcentage de « déconventionnement » augmente au fur et à mesure que les professions médicales (les kinés, dentistes, médecins, …) désirent augmenter le prix de leur consultation au-delà de ce que permet les accords médico-mutuellistes. Par contre, 83 % des chirurgiens, 87 % des médecins généralistes, 88 % des psychiatres et 98 % des gériatres sont toujours conventionnés. On observe une augmentation de 21 % du coût pour les soins ambulatoires entre 2016 et 2017. Les Belges ont payé près de 290 millions d’euros de suppléments d’honoraires lors de consultations chez le médecin, le dentiste et le kiné en 2017 ! Pour arriver à ce montant, la mutualité socialiste a extrapolé au niveau national les données relevées sur 30 millions d’attestations de soins déposées dans ses bureaux (Le Soir – 29 mars 2019). s Un exemple concret : un dermatologue demande 65 € d’honoraires alors que le tarif fixé par l’INAMI est de 33,67 € la séance, dont 21,67 € sont à charge de l’INAMI et 12 € à charge du patient. Dans ce cas-ci, le médecin a doublé ses honoraires par rapport au tarif conventionné et le patient devra payer finalement quatre fois plus que sa contribution fixée par l’INAMI : 65 € – 21,67 € = 43,33 € ! « Baromètre suppléments d’honoraires facturés en ambulatoire en 2016-2017 » – Direction Études – Mars 2019. http://www.solidaris.be/Lists/PubDocs/Etude%20Solidaris_Suppl%c3%a9ments%20ambulatoires_Mars%202019.pdf Selon la compagnie d’assurances Ethias, qui a donné récemment quelques chiffres clés du secteur des soins de santé en Belgique : • Le taux de « déconventionnement » ne cesse de croître chez les dentistes : il est passé de 29 % en 2005 à 38 % en 2018 ! Les suppléments moyens d’honoraires chez les dentistes pour la pose d’un appareillage orthodontique atteint les 460 € ! Le coût d’un implant dentaire grimpe rapidement jusqu’à 2.200 €, sans remboursement de l’INAMI. Les soins dentaires deviennent hors de prix : « Une nouvelle dent coûte désormais deux mois de pension… » (Source : « Knack »). Seulement un belge sur trois effectue un contrôle chez le dentiste chaque année et environ 30 % d’entre eux vont chez le dentiste seulement en cas de soucis. • 27 % des attestations de soins comportent aujourd’hui des suppléments d’honoraires dont 13 % chez les généralistes, 33 % chez les dentistes et 42 % chez les spécialistes. Les dentistes et les médecins spécialistes concentrent 80 % du total des suppléments d’honoraires. Ces suppléments d’honoraires sont en moyenne de 6 € chez un généraliste, 14 € chez un spécialiste, 29 € chez un dentiste et 30 € chez un kiné. • Alors qu’à peine un généraliste sur dix est non conventionné, ils délivrent à eux seuls un cinquième des prestations des généralistes. Chez les spécialistes, ils sont à peine 17 % à être non conventionnés mais ils réalisent 48 % des attestations de soins des spécialistes. Quant aux dentistes, 39 % sont non conventionnés mais ils attestent près des deux tiers des visites chez les dentistes ! Ce qui est en cause ici c’est la pénurie générale des médecins qui grossit la clientèle de toutes celles et ceux qui ne sont pas conventionné·e·s ! • Lorsqu’on additionne les tickets modérateurs (les frais en soins de santé légalement à charge des patients/malades) et les suppléments d’honoraires non couverts par l’INAMI, le montant total que doit finalement payer le patient/malade peut atteindre finalement 23 € chez un spécialiste non conventionné (à peu près 45 % de la note moyenne) et 36 € chez un dentiste non conventionné (à peu près 36 % de la note moyenne). « Ethias et la santé », étude du du 18 mars 2019. https://www.ethias.be/corp/content/dam/ethias-corporate/PressRelease/fr/2019/2019_03_CP_HospiQualityPlus_FR.pdf Dans le dernier accord national médico-mutualiste (2018-2019) il a été conclu entre les médecins et les mutualités qu’il faut « optimiser la sécurité tarifaire des patients, via des mesures permettant la maîtrise des suppléments d’honoraires ». On en est loin… 20 B. La marchandisation des soins de santé au niveau des hôpitaux Au niveau des hôpitaux, la marchandisation des soins de santé passe par : • Un sous-financement public hospitalier : 44 % des hôpitaux étaient en déficit en Belgique en 2017. 32 % en 2018 selon l’étude « Maha » (Model for Automatic Hospital Analyses) de Belfius. Même s’il s’agit d’une légère amélioration par rapport à 2017, la situation financière des hôpitaux demeure préoccupante. Sous la législature du Gouvernement « Michel », 194 millions d’euros ont été économisés sur les budgets des hôpitaux. • Pour garder la tête hors de l’eau, les hôpitaux demandent aux patients — via les médecins — des suppléments d’honoraires lors d’une hospitalisation en chambre individuelle. Le pourcentage des suppléments d’honoraires est fixé par l’hôpital et varie d’un hôpital à l’autre et aussi d’un médecin à l’autre. Au niveau des hôpitaux il n’existe pas non plus une règlementation de l’INAMI qui limite les suppléments d’honoraires autorisés. En conséquence de quoi les suppléments d’honoraires pour une chambre particulière peuvent atteindre jusqu’à 3 fois (300 %) le montant des honoraires conventionnés (le tarif légal) fixés par l’INAMI ! C’est déjà exorbitant, mais comme la Loi coordonnée sur les hôpitaux du 10/07/2008 — c’est-à-dire la base réglementaire qui régit tous les hôpitaux — ne fixe aucune limite à ces suppléments d’honoraires, rien n’empêche à l’avenir les hôpitaux de dépasser ces 300 % ! La Loi coordonnée sur les hôpitaux du 10/07/2008 stipule en son article 97 § 1 : « Pour le séjour en chambre individuelle, y compris en hospitalisation de jour, un supplément au-delà du budget des moyens financiers peut être facturé au patient qui a exigé une telle chambre à condition qu’au moins la moitié du nombre de lits de l’hôpital puisse être mis à la disposition de patients qui souhaitent être admis sans suppléments ». Le Roi fixe le maximum du montant du supplément visé à l’alinéa 1er, qui peut être facturé pour le séjour en chambre individuelle, après consultation paritaire des organismes assureurs en matière d’assurance soins de santé et des organismes représentant les gestionnaires des hôpitaux. Qu’ils soient salariés ou indépendants, les médecins sont liés par des conventions avec les hôpitaux (leur employeur) qui fixent la partie des suppléments d’honoraire qu’ils doivent rétrocéder à l’hôpital où ils travaillent dans l’objectif de participer à l’équilibre financier des hôpitaux. Ces conventions sont très confidentielles. On peut toutefois évaluer que la rétrocession que les médecins font à l’hôpital où ils travaillent varie entre 40 % et 60 % de leurs suppléments d’honoraires ! Si de nombreux hôpitaux forcent sur les suppléments d’honoraires c’est souvent parce que leur budget se trouve dans le rouge. Selon la revue « Test Santé »6, le pourcentage moyen de ces suppléments d’honoraires varie selon les régions : 114 % en Flandre, 173 % en Wallonie et 206 % à Bruxelles ! Mais aussi, évidemment, d’un établissement à l’autre. Un accouchement en chambre double coûte en moyenne 181 euros à la patiente, contre 1.390 euros en chambre individuelle. La pose d’un stent (une endoprothèse vasculaire) revient en moyenne à 254 € en chambre double, contre 2.074 € en chambre individuelle. • Cette marchandisation de la santé se traduit aussi par le développement et l’importance que prennent les assurances hospitalisations extra légales dans notre capacité à payer ou non nos frais d’hospitalisation. Ces assurances renforcent encore plus la dualisation dans l’accès aux soins de santé car : – les allocataires sociaux n’en possèdent pas ; – beaucoup de travailleurs en sont privés. Ce ne sont que dans quelques secteurs d’activité ou entreprises que des conventions collectives de travail ont instauré des assurances hospitalisations extra légales ; – beaucoup de conventions collectives instaurant une assurance hospitalisation prennent fin quand le travailleur prend sa pension ou sa pension anticipée. Ce qui oblige les travailleurs concernés à devoir les racheter à titre individuel, à un âge élevé et, dès lors, quand leur état de santé se détériore, ce qui est encore plus le cas pour celles et ceux qui ont exercé un métier pénible. Ce rachat coûte donc très cher, et les primes à payer par conséquent sont encore plus inaccessibles financièrement pour ces travailleurs qui ont exercé des métiers pénibles, dans des secteurs d’activité où les salaires étaient les moins élevés, et qui, par conséquent auront des pensions peu élevées. Comme ils ont gagné de petits salaires durant leur carrière professionnelle, le montant de leur pension flirte avec le seuil de pauvreté, qui est actuellement fixé à 1.115 € pour un isolé en Belgique ! La question des suppléments d’honoraire est donc particulièrement préoccupante pour les personnes âgées car : – le montant de leur pension ne leur permet pas de payer ces suppléments d’honoraires ; – elles sont souvent privées d’assurance hospitalisation ; – elles n’ont pas les moyens financiers d’en contracter une à titre individuelle. 6. « Test Santé » du 19 février 2018. – https://www.test-achats.be/sante/soins-de-sante/hospitalisation/news/supplements-honoraireschambre-individuelle 21 Ces assurances hospitalisation n’offrent pas non plus une couverture illimitée pour la prise en charge des suppléments d’honoraires en cas d’hospitalisation. Cette couverture varie énormément entre les assurances hospitalisation selon le montant des primes payées. Pour une bonne couverture, les primes peuvent atteindre des montants très élevés. Ce qui crée évidemment une discrimination sociale entre les travailleurs selon l’entreprise ou secteur d’activité où ils travaillent. Ce sont dans les secteurs d’activité les plus forts économiquement, où les salaires sont les plus élevés, que les assurances hospitalisations remboursent le plus ces suppléments d’honoraires, et qu’elles prennent aussi en charge les acomptes qui sont de plus en plus souvent demandés lors des admissions en vue d’une hospitalisation. Avec une bonne assurance hospitalisation, on peut choisir d’être hospitalisé dans une chambre individuelle car ces assurances hospitalisations remboursent la totalité ou une partie importante des suppléments d’honoraires, alors que les assurances hospitalisation les moins chères ne le permettent pas. Sans suppléments d’honoraires, les assurances hospitalisation deviendraient superflues. Dans une de nos revendications en matière de santé, nous soulignons que l’assurance maladie invalidité (INAMI) instaurée au sein de la sécurité sociale doit mieux encadrer et couvrir les frais d’hospitalisation afin de contrecarrer le développement des assurances hospitalisation. • Les hôpitaux ont le devoir d’informer les patients — via la « déclaration d’admission » — concernant les plafonds maximums qu’ils appliquent aux suppléments d’honoraires en cas d’hospitalisation dans une chambre particulière. • Les suppléments d’honoraires ont été abolis dans les chambres communes/doubles, que ce soit en hospitalisation de jour ou non. Malgré cela, les suppléments d’honoraires ont continué à progresser suites à des hospitalisations. Pourquoi ? D’abord parce que des suppléments d’honoraires peuvent encore être facturés pour une hospitalisation dans une chambre individuelle. Or, dans le plus récent hôpital du pays, 80 % des chambres possèdent un seul lit ! Et comme par hasard, il s’agit de deux sites du « Chirec » où les pourcentages de suppléments d’honoraires sont les plus élevés du pays. Et ensuite, parce que les médecins peuvent aussi refuser d’opérer si le patient ne peut pas ou ne veut pas payer des suppléments d’honoraires. Dans des hôpitaux, les patients peuvent être aussi mis dans un autre choix : une chambre individuelle et la garantie que c’est le professeur qui les opère, ou une chambre commune et c’est l’assistant qui maniera le scalpel. Une autre raison qui peut être aussi invoquée par les médecins pour pousser les patients à choisir une chambre individuelle, est que ce choix limite le risque d’infections via des maladies nosocomiales ! • Aucun supplément d’honoraires ne peut être exigé si, pour des raisons médicales, une chambre individuelle est nécessaire ou s’il n’y a pas de chambres de deux personnes ou de chambres communes disponibles. Aucun supplément de frais ne peut également être exigé pour les enfants accompagnés de leurs parents. Les médecins conventionnés peuvent également facturer un supplément d’honoraires en cas de séjour dans une chambre individuelle. • En cas de plaintes ou de discussions, il est toujours possible de s’adresser au service de médiation de l’hôpital. • Le volume des suppléments d’honoraires en chambre à 1 lit ne cesse d’augmenter. Le pourcentage de suppléments d’honoraires varie d’un hôpital à l’autre, de 100 % à 300 %. Plus d’un séjour à l’hôpital sur cinq a lieu en chambre particulière. 22 Selon une étude de l’Agence intermutualiste qui gèrent les données en soins de santé collectées par les 7 mutualités de Belgique : • Entre 2015 et 2017, la croissance annuelle moyenne des suppléments d’honoraires en chambre à un lit a été deux fois supérieure à celle des honoraires officiels : 1,2 % d’augmentation annuelle pour les honoraire officiels et 3% d’augmentation annuelle pour les suppléments d’honoraires en chambre à un lit. • Pour les patients hébergés en chambre particulière, les suppléments d’honoraires comptent en moyenne pour 80 % des honoraires facturés en chambre à 1 lit. • Les suppléments d’honoraires médicaux pour les séjours en chambre particulière atteignent 419 millions d’€ en 2014 (563 millions d’euros en 2017), soit deux fois plus que les autres montants à charge des patients (l’ensemble des tickets modérateurs payés par les patients et autres montants non remboursables). • Alors que la facture moyenne par séjour en chambre commune ou à deux lits est en moyenne de 270 €, elle atteint 1.655 € en chambre particulière, soit 6 fois plus ! • 5 % des séjours en chambre particulière ont plus de 3.296 € de suppléments sur les honoraires médicaux. Et 1 % des séjours font l’objet de 6.623 € de suppléments sur les seuls honoraires médicaux. • Les suppléments d’honoraires dépassent 2.000 € pour plus de 53.000 séjours et 10.000 € pour 1.149 séjours. • Parmi les 378.254 séjours avec suppléments d’honoraires, 5 % des séjours ont des suppléments d’honoraires supérieurs à 3.305 €. • Les suppléments d’honoraires pour les séjours pour des prothèses de la hanche dépassent 4.000 € dans plusieurs hôpitaux. • Alors que les bénéficiaires de l’intervention majorée de moins de 65 ans représentent 12 % de la population globale et 13 % des patients hospitalisés, ceux-ci accèdent beaucoup moins aux chambres particulières (9 % des patients hospitalisés) que l’ensemble de la population (23 % des patients hospitalisés). Ils ne sont toutefois pas épargnés par les suppléments d’honoraires particulièrement élevés puisqu’ils représentent 5 % des patients supportant les suppléments d’honoraires les plus élevés. En moyenne, 1.061 € de suppléments d’honoraires ont été facturés à 24.935 d’entre eux ! • Les personnes âgées de plus de70 ans sont beaucoup plus nombreuses que les autres à être hospitalisées au cours d’une année. Mêmes si elles recourent moins souvent à la chambre particulière (17 %) que le reste de la population (23≈%), un tiers des patients supportant les suppléments d’honoraires les plus élevés a plus de 70 ans alors qu’ils ne représentent que 14x% de la population totale ! En moyenne en 2014, 1.299x€ de suppléments d’honoraires ont été facturés à 84.256 personnes de plus de 70 ans. • Les patients atteints d’affection chronique représentent 27≈% des patients avec les suppléments d’honoraires les plus élevés alors qu’ils ne représentent que 8x% de la population totale. Et ceci bien qu’ils soient proportionnellement moins nombreux à recourir à une chambre particulière. La facture dépasse en suppléments d’honoraires médicaux dépasse 4.600 € pour 5 % d’entre eux. • Les montants des suppléments facturés pour un certain nombre de séjours ou le total des suppléments facturés sur une base annuelle à un patient dépasse largement le seuil du plafond du plafond du « maximum à facturer » (MAF), s’élevant à 1.910,16 € en 2020. « IMA-AIM – Suppléments d’honoraires médicaux lors des séjours hospitaliers – Données 2017 publié en février 2019 ». – https://aim-ima.be/IMG/pdf/rapport_aim_-_supplements_d_honoraires_medicaux_sejours_hospitaliers_-_ donnees_2017.pdf D’après l’étude de la compagnie d’assurances Ethias (voir plus haut), 17,6 % des dépenses en soins de santé (hospitalisation et soins ambulatoires) sont à charge du patient après intervention de l’INAMI. Et ces dépenses ont augmenté de 48 % entre 2004 et 2015. In l’étude d’Ethias intitulée « Ethias et la santé » du 18 mars 2019, lequel accompagnait leur communiqué de presse du 18 mars 2019, qui présentait leur nouveau produit d’assurance hospitalisation. – https://www.ethias.be/corp/content/ dam/ethias-corporate/Press-Release/fr/2019/2019_03_CP_HospiQualityPlus_FR.pdf L’étude d’Ethias n’est malheureusement pas disponible pour le public ! Elle porte la référence : « Ethias et la santé » – 18/03/2019. 23 Outre la question des suppléments d’honoraires, la logique de la marchandisation des soins de santé en cas d’hospitalisation gagne aussi du terrain : • Avec l’obligation de devoir payer un acompte pendant la procédure d’admission avant son hospitalisation. La demande d’un acompte et son montant peuvent varier d’un hôpital à l’autre. Certains hôpitaux en demandent uniquement en cas d’hospitalisation dans une chambre individuelle. Dans d’autres hôpitaux, il peut être aussi demandé en cas d’hospitalisation dans une chambre commune. Souvent, il est beaucoup plus élevé en cas d’hospitalisation dans une chambre individuelle que dans une chambre commune. Des assurances hospitalisations peuvent prendre en charge le paiement de cet acompte. Le montant de l’acompte est calculé en fonction du type de chambre choisi et du statut du patient : – acompte pour les personnes en chambre commune et à deux lits : pour les bénéficiaires de l’intervention majorée (statut BIM) y compris leur(s) personne(e)s à charge : 50 € • pour les autres bénéficiaires : 150 € • pour les enfants à charge d’un bénéficiaire ordinaire : 75 € ; – acompte pour une chambre particulière : pour les bénéficiaires de l’intervention majorée (statut BIM) y compris leur(s) personne(s) à charge : 50 €, augmentés de 7 fois le supplément journalier de la chambre particulière • pour les autres bénéficiaires : 150 €, augmentés de 7 fois le supplément journalier de la chambre choisie • pour les enfants à charge d’un bénéficiaire ordinaire : 75 €, augmentés de 7 fois le supplément journalier de la chambre choisie. L’acompte est renouvelable tous les 7 jours. Il sera déduit de votre facture finale. Si vous ne pouvez payer l’acompte, l’hôpital ne peut pas vous refuser une hospitalisation en chambre commune. Même si l’hôpital a le droit de vous réclamer un acompte, l’impossibilité de payer cet acompte ne peut pas être invoquée comme motif pour refuser une admission à l’hôpital. Source : site de SOLIDARIS http://www.solidaris.be/BW/QUE-FAIRE-EN-CAS-DE/HOSPITALISATION/AVANTL-HOSPITALISATION/Pages/acompte.aspx#:~:text=Acompte%20pour%20les%20personnes%20en,un%20 b%C3%A9n%C3%A9ficiaire%20ordinaire%20%3A%2075%20euros • Avec la tendance à diminuer la durée des hospitalisations suite à un traitement ou une intervention chirurgicale. La décision prise par la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block, en 2015, de lancer des projets-pilotes pour réduire le séjour hospitalier après un accouchement de 4 à 2 ou 3 nuits, et trois jours en cas de césarienne, pourrait très vite s’étendre à d’autres traitements ou interventions chirurgicales. Outre les 6 projets-pilotes concernant la réduction du séjour à l’hôpital suite à un accouchement, 12 autres projets-pilotes pour l’hospitalisation à domicile sont actuellement en cours en Belgique. Le Service public fédéral Santé publique entend, par ce biais, tester si les patients peuvent recevoir certains soins à domicile avec les mêmes garanties sur le plan de la qualité et de la sécurité que s’ils recevaient ces soins à l’hôpital. Il s’agit de traitements avec administration intraveineuse d’antibiotiques et de certains traitements contre le cancer. Les projets pilotes courent jusqu’au 1er juillet 2019 et peuvent être prolongés d’un an. À la demande de l’INAMI, dix compagnies d’assurances membres d’Assuralia ont pour le moment décidé de collaborer sur une base volontaire à ces projets pilotes. Il s’agit plus précisément des entreprises suivantes : AG Insurance, Allianz, AXA, Baloise, Belfius Assurances, DKV, Ethias, Justitia, KBC Assurances et P&V Assurances. Elles sont disposées à intervenir financièrement dans les frais des traitements administrés à domicile comme s’ils avaient été dispensés en hôpital de jour pendant toute la durée des projets pilotes. Les compagnies d’assurances interviendront dans les frais d’une hospitalisation à domicile en vertu des conditions prévues pour une hospitalisation de jour. Cette intervention s’applique uniquement aux patients qui participent à un projet pilote et qui ont souscrit auprès d’une de ces entreprises d’assurances une assurance hospitalisation couvrant l’hospitalisation de jour. Les frais liés à l’hospitalisation à domicile seront remboursés conformément aux conditions contractuelles de chaque entreprise d’assurances et dans les limites de ce qui est légalement autorisé. Pour les interventions chirurgicales mineures, il est même déjà mis sur la table la possibilité d’être opéré le matin et d’être de retour à la maison le soir même. À nouveau, l’objectif recherché est de faire des économies budgétaires. Quand on sait que par rapport aux 6 projets pilotes concernant la réduction du séjour dans un hôpital faisant suite à un accouchement, dans 30 % des cas ce renvoi précoce a donné lieu à une réhospitalisation de la mère ou du bébé …. À nouveau, cette évolution s’oppose à un droit fondamental à la santé. En outre les services d’accompagnement à domicile, qui sont déjà débordés aujourd’hui, pourraient-ils faire face à une augmentation des besoins qui ne manquerait pas de se produire si on continue à diminuer la durée des séjours hospitaliers ? • La marchandisation et la réduction continuelle des coûts à charge des hôpitaux a aussi pour conséquence qu’un grand nombre de personnes meurent chaque année des suites d’évènements indésirables en milieu hospitalier. 24 Une infection nosocomiale ou infection associée aux soins est une infection contractée au cours d’un séjour dans un établissement de soins. Elle peut être directement liée aux soins ou survenir durant l’hospitalisation, en dehors de tout acte médical. Tous les patients ne sont pas exposés au même risque de survenue d’une infection nosocomiale. Ce risque dépend de l’âge, de l’état de santé du patient, du nombre et de la durée des actes invasifs subis (perfusions, sondes urinaires, etc.), ainsi que du contexte dans lequel ceux-ci sont effectués (urgence, répétition des actes, etc.). Dans un article de « Test Santé » d’août-septembre 2019 intitulé « Plus de morts que sur la route. Infections liées aux soins », il est précisé que chaque année, 3.000 personnes succombent en Belgique aux conséquences d’une infection nosocomiale contractée à l’hôpital par suite d’une contamination par un virus, une bactérie ou une moisissure lors d’une hospitalisation ! C’est cinq fois plus de morts que le bilan de l’hécatombe routière ! Si l’on y ajoute les infections liés associées aux soins dans par exemple les centres de revalidation ou les maisons de repos, le nombre réel de victimes est sans doute deux fois plus important. En outre, quand on a besoin de soins médicaux, on est souvent plus sensible aux infections qu’une personne en bonne santé. Les hôpitaux et autres centres de soins sont fréquentés par des bébés, des personnes âgées et des malades chroniques, autant de groupes vulnérables et dont le système immunitaire est affaibli. Les appareils respiratoires, la pneumonie associée au ventilateur, les perfusions et les cathéters urinaires constituent un risque accru d’infections. Plus de 100.000 Belges par an sont hospitalisés pour une opération banale et doivent y rester plus longtemps parce qu’ils y ont contracté une infection. Des mesures adéquates permettraient d’en éviter au moins un tiers via notamment un respect plus strict des mesures d’hygiènes et des procédures à suivre pour toutes sortes de soins et de traitements dans tous les établissements de soins. Un programme de surveillance enregistre depuis 1994 certaines infections associées aux soins dans les hôpitaux, et depuis 2007, les hôpitaux doivent signaler les infections causées par certaines bactéries. Ce n’est hélas pas encore le cas dans les maisons de repos. 170.000 patients par an en maisons de repos souffrent d’une infection associée aux soins, dont 42 % sont contractées par voies respiratoires, 34 % par voies urinaires, 12 % aux niveaux de la peau ou de plaies, 2 % à cause d’une incision chirurgicale ! Selon Eurostat (office statistique de l’UE) : en 2016 quelque 1,7 million de décès ont été enregistrés dans l’Union européenne parmi les personnes âgées de moins de 75 ans. Sur ce total, 1,2 million aurait pu être évité dont : • 741.000 de ces décès auraient pu être évités grâce à des interventions efficaces dans le domaine de la santé publique ; • 422.000 de ces décès auraient pu être traités dans le cadre d’intervention en temps utiles ; • 30 % des personnes âgées de 70 ans et plus quittent l’hôpital dans un moins bon état de santé que lorsqu’elles y sont entrées ! Pour les plus de 80 ans, ce taux monte même à 50 % ! Cette situation dramatique est la conséquence d’un alitement prolongé (avec notamment l’apparition des escarres) et d’une prise en charge insuffisante dans les hôpitaux pour « stimuler » et ralentir la perte d’autonomie de personnes âgées qui en ont pourtant besoin à cause de leur perte fonctionnelle permanente ou non. « Eurostat – communiqué de presse réf. : 101/2016, du 24 mai 2016 ». https://ec.europa.eu/eurostat/ documents/2995521/7335857/3-24052016-AP-FR.pdf/335c39b1-dc37-4879-8c77-08ba757f5a3a • La marchandisation du secteur hospitalier va franchir une étape supplémentaire avec la création au plus tard au 1er janvier 2020 en Belgique de 25 réseaux locorégionaux hospitaliers au sein desquels les hôpitaux devront se répartir les tâches et l’offre médicale entre eux. Il y aura 8 réseaux locorégionaux hospitaliers en Wallonie, 13 en Flandre et 4 à Bruxelles. L’objectif de cette réforme est officiellement « de rationaliser l’offre hospitalière en encourageant les établissements à travailler davantage et plus étroitement les uns avec les autres afin d’améliorer les soins aux patients ». Mais en réalité, l’objectif principal est de permettre des économies d’échelle, en faisant croire que ces réseaux permettront d’offrir une meilleure qualité de soins 25 avec plus d’efficacité. Selon le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), la capacité hospitalière pourrait être réduite à cause de cette réforme hospitalière de 9.308 lits à l’horizon 2025 ! Le réseautage clinique entre hôpitaux s’intègre donc bien dans une optique d’économie budgétaire au détriment des besoins des patients. Le financement des hôpitaux sera également revu, dans le sens de la réforme… Cet objectif de « rationalisation » de la réforme hospitalière en cours mettra donc à mal l’accessibilité aux soins hospitaliers, la survie de bon nombre d’établissements et l’organisation territoriale des soins. L’impact de cette réforme se mesurera aussi par rapport à la distance que devra parcourir un patient pour aller se soigner dans un site hospitalier. En outre, chaque réseau devra disposer d’une personnalité juridique et de son propre organe de gestion afin de pouvoir assumer les missions qui lui seront confiées. La forme juridique qui est privilégiée dans les textes législatifs de cette réforme hospitalière, tant au niveau fédéral que wallon, est l’ASBL. Ce n’est pas innocent car ce choix privilégié de l’ASBL constitue une attaque frontale contre le statut des hôpitaux publics ! Dans le projet de Décret wallon, voté en deuxième lecture en novembre 2018 par le Gouvernement wallon, il est spécifié que « l’unanimité des hôpitaux membres d’un réseau sera indispensable pour obtenir une personnalité juridique autre que l’ASBL. Ceci donne, de facto, un pouvoir de blocage à un hôpital qui ne souhaite pas la personnalité juridique publique, fusse-t-il minoritaire au sein du réseau. » (Tribune – mars 2019 – page 18). Bon à savoir concernant le financement des hôpitaux7 : Chaque 1er janvier et 1er juillet, le SPF Santé publique accorde un budget aux hôpitaux : « le prix de la journée d’hospitalisation ». Ce budget est différent pour chaque hôpital. Le prix de la journée d’hospitalisation est un montant forfaitaire qui couvre : • les frais du séjour, à savoir la location de la chambre d’hôpital (dont l’infrastructure mise à disposition) et les frais d’hôtellerie ; • les soins à l’hôpital à l’exception : – des médicaments ; – des prestations techniques ; – des honoraires du médecin. Environ 80 % de ce budget est directement versé à l’hôpital par les mutualités, sous la forme d’avances mensuelles. La partie restante est attestée via la facture patient par l’hôpital à la mutualité sur la base d’un montant par admission et d’un montant par jour. Selon le type d’hôpital et les soins de santé pris en charge, les montants totaux (à 100 %) du prix de la journée d’hospitalisation peuvent varier en 2019 de quelques centaine d’euros à un maximum de 2.157,79 € pour un patient admis dans une unité de grand brûlé au Ziekenhuisnetwerk Antwerpen. Bon à savoir concernant les frais d’hospitalisation à charge des patients8 : Qui paie quoi ? Le coût d’une hospitalisation se répartit entre vous et votre mutualité. L’hôpital facture directement à votre mutualité les coûts supportés par l’assurance obligatoire soins de santé (et vers les assurances hospitalisations extralégales pour ce qui est pris en charge par elles). Le montant à votre charge pour les soins dispensés au cours d’une hospitalisation varie en fonction des éléments suivants : • votre statut : vous êtes un assuré ordinaire ou vous remplissez les conditions pour bénéficier d’un meilleur remboursement (= bénéficiaire de l’intervention majorée) ; • le choix de votre chambre : chambre commune, chambre à 2 lits, chambre particulière ; • la période d’hospitalisation. Le patient hospitalisé paye finalement : 1. Sa quote-part du montant par rapport au « prix de la journée d’hospitalisation : une intervention personnelle (URL1) variant en fonction de la durée du séjour et de la qualité de ce patient (bénéficiaire d’une intervention majorée, chômeur, personnes à charge ou non, etc.). 7. Cf. [ inami.fgov.be ] 8. Cf. [ inami.fgov.be ] 26 Montants d’application à partir du 1er janvier 2022 : Votre statut Coût de la 1ère journée (admission) Coût de la 2e journée d’hospitalisation Coût àpd 91e journée d’hospitalisation En hôpital psychiatrique àpd 6e année Si vous avez droit à un meilleur remboursement (= bénéficiaire de l’intervention majorée) mais pas de personnes à votre charge 6,12 € 6,12 € 6,12 € 17,24 € Si vous-même et les personnes à votre charge avez droit à un meilleur remboursement (= bénéficiaire de l’intervention majorée) 6,12 € 6,12 € 6,12 € 6,12 € Si vous êtes chômeur sans personnes à charge 33,39 €* 6,12 € 6,12 € 17,24 € Si vous êtes chômeur (et pour les personnes à votre charge) 33,39 €* 6,12 € 6,12 € 6,12 € Si vous êtes « enfant à charge » (sauf bénéficiaire de l’intervention majorée) 33,39 € 6,12 € 6,12 € 6,12 € Si vous avez des personnes à votre charge ou si vous devez payer une pension alimentaire (et pour les personnes à votre charge) 44,51 € 17,24 € 6,12 € 6,12 € Si vous êtes dans une autre situation 44,51 € 17,24 € 17,24 € 28,74 € * Le coût de la 1ère journée (admission) s’élève à 33,39 € à condition que vous ayez la qualité de chômeur complet depuis 12 mois. Si vous ne répondez pas à cette condition, vous paierez 44,51 € pour cette journée d’admission. Source : https://www.inami.fgov.be/fr/themes/cout-remboursement/par-mutualite/hopitaux/Pages/prix-journee-hospitalisation.aspx 2. Un montant pour les soins dispensés au cours de son hospitalisation qui varie en fonction des éléments suivants : • du statut du patient : soit il s’agit d’un assuré ordinaire ou soit il remplit les conditions pour bénéficier d’un meilleur remboursement (= bénéficiaire de l’intervention majorée) ; • du choix de la chambre : chambre commune, chambre à 2 lits, chambre particulière ; • de La période d’hospitalisation. 3. Un montant pour le coût des médicaments Lors d’une hospitalisation, vous payez un montant forfaitaire de 0,62 € par jour de soins pour les médicaments remboursables. Votre mutualité prend à sa charge le supplément de coût de ces médicaments. Attention : les médicaments qui ne sont pas remboursés par l’assurance obligatoire soins de santé sont à votre charge. Ces médicaments sont donc facturés en plus. 4. Les suppléments éventuels Le choix de la chambre (chambre double ou chambre commune, d’une part, et chambre individuelle, d’autre part) peut donner lieu au paiement de 2 sortes de suppléments réglementaires : • suppléments de chambre (= suppléments en sus des frais de séjour couverts par le prix de la journée d’hospitalisation) ; Quand le patient choisit une chambre individuelle, il doit aussi payer un « supplément de chambre » qui varie d’un hôpital à l’autre. À l’hôpital public « CHU Ambroise Paré » à Mons (lequel est géré par une Intercommunale), ce supplément « de chambre » est de 50 € par jour ! • suppléments d’honoraires (= suppléments en sus des honoraires de prestations). 27 C. La marchandisation des soins de santé au niveau des médicaments Une politique des médicaments qui ne répond plus à des besoins de santé publique et qui procure un profit exponentiel pour les firmes pharmaceutiques. Si certains médicaments pour la tension artérielle et les médicaments qui réduisent le cholestérol sont devenus moins chers, ce n’est pas le cas des nouveaux médicaments dont les prix ont augmenté de façons vertigineuses. Pour la période 2015 à 2018, le dépassement cumulé du budget des médicaments se monte à 1 milliard d’euros ! Depuis 2015, ce sont des ententes secrètes, et donc non transparentes, entre la ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé Maggie De Block et les firmes pharmaceutiques sur les prix des nouveaux médicaments qui sont responsables de cette situation ! Pourtant l’objectif initial de ces ententes secrètes était d’aboutir à un « deal » temporaire où, officiellement, l’État paye le prix plein d’un médicament innovant, et, en contrepartie, la firme pharmaceutique accorde à l’État des « ristournes » tenues secrètes. Ce « deal » aurait dû permettre d’aboutir à une maîtrise du budget de l’INAMI consacré aux médicaments innovants. Le problème est que les firmes pharmaceutiques n’ont jamais fourni l’information nécessaire à une véritable négociation sur les prix de ces nouveaux médicaments. Fixer un prix de vente équitable est donc impossible puisqu’il n’y a aucune transparence sur les coûts. Rien n’empêche donc les firmes pharmaceutiques de mentir sur les coûts en recherche et développement d’un nouveau médicament pour justifier les prix élevés qu’elles demandent. Grâce à cette tactique, le secteur pharmaceutique a conforté sa stratégie de profit maximum au détriment d’une politique de santé publique qui doit tenir compte des besoins à un coût accessible de médicaments innovants de qualité. Le nombre de ces accords secrets n’a fait qu’augmenter au cours des années (78 en 2015 et 169 en 2017). Quant aux ristournes accordées par l’industrie pharmaceutique : sur les 207 millions d’euros dépensés par l’INAMI en 2015 dans le cadre de ces accords secrets, seulement 54 millions d’euros ont été rétrocédés par les firmes pharmaceutiques. Pour un euro remboursé en 2015, les firmes pharmaceutiques en touchaient quatre ! En conclusion, ces conventions ultra-secrètes n’ont pas abouti à une maîtrise du budget de l’INAMI consacré aux médicaments innovants, mais, bien au contraire, à une flambée démesurée des prix exigés par les firmes pharmaceutiques, en contrepartie de ristournes largement insuffisantes en rapport aux sommes dépensées pour l’achat de ces médicaments innovants. • La dépense en remboursement de médicaments (c’est-à-dire la somme de tous les remboursements partiels et totaux des médicaments) représente actuellement un coût de 4,5 milliards d’euros/an pour l’INAMI (en moyenne 400 €/an par habitant) sur un budget global de l’INAMI, toutes branches confondues, de 24,1 milliards d’euros ! Cela n’empêche pas que le budget moyen des Belges pour leurs médicaments — en plus du paiement de leurs cotisations sociales pour le financement de la sécurité sociale — est de 2,1 milliards d’euros/an (en moyenne 150 €/an par habitant) selon la dernière enquête sur le budget des ménages. Ce dernier montant de 150 €/an comprend la quote-part personnelle payée par les patients appelé « ticket modérateur » + le coût des médicaments non remboursés par l’INAMI + le coût des médicaments en vente libre. • Selon le Comité de monitoring qui a fait à la demande du gouvernement fédéral une estimation de la situation budgétaire de la Belgique pour 2020-2024, les coûts des médicaments devraient augmenter de 30 % ces prochaines années pour atteindre 6,6 milliards d’euros en 2024 ! À ce rythme-là, la facture des médicaments augmente deux fois plus vite que celle des hôpitaux, trois fois plus vite que celle des salaires des médecins et six fois plus vite que celle des salaires des infirmiers ! En conséquence de quoi, il manquerait 1,4 milliards d’euros pour pouvoir rembourser nos médicaments en 2024 ! La politique des médicaments qui conforte les profits plantureux de l’industrie pharmaceutique est d’autant plus inacceptable que le budget du secteur des soins de santé subit continuellement des mesures d’économie alors qu’en quatre années le budget des médicaments a augmenté de 600 % (budget multiplié par six). Cette part exponentielle du Budget de l’INAMI consacrée aux médicaments se fait donc au détriment du financement des autres branches de l’INAMI et aussi du remboursement d’autres médicaments qui peuvent être plus nécessaires à la population que ceux mis en avant par les firmes pharmaceutiques dans le cadre de ces conventions ultra-secrètes ! Si les soins dentaires sont si mal remboursés par exemple, c’est aussi à cause des bénéfices plantureux de l’industrie pharmaceutique. Cerise sur le gâteau : l’augmentation sans limite du profit des firmes pharmaceutiques n’empêche pas la pénurie de certains médicaments ! Bien au contraire, elle en est la cause ! L’Agence fédérale de médicaments et des produits de santé (AFMPS), qui est un organisme d’intérêt public belge qui joue un rôle essentiel dans la protection de la santé publique, a annoncé en février 2019 qu’il manquait 428 médicaments en Belgique (on en dénombrait 413 en novembre 2018). Cette pénurie concerne aussi bien les médicaments innovants 28 que les plus anciens comme les aspirines. Il manque ainsi des médicaments pour des maladies cardiaques, pour des cancers et pour certains traitements psychiatriques. Les causes de cette pénurie : les laboratoires pharmaceutiques décident que le marché belge représente une certaine quantité de médicaments, et pas plus. Cette « évaluation » ne tient absolument pas compte des besoins des patients, mais du fait que ces laboratoires préfèrent vendre leurs médicaments à l’étranger, où les prix sont plus élevés. Et, évidemment, une fois que les stocks mensuels sont écoulés, il y a rupture dans l’approvisionnement de ces médicaments. Vous avez dit « Santé publique » ? D. Manque de planification Quand la politique de santé publique ne planifie pas une offre médicale et paramédicale en soins de santé, avec une formation de qualité de spécialistes de la santé en nombre suffisant pour répondre aux besoins de la population. Cette planification nécessite de : • fixer des quotas de la force de travail par discipline médicale (médecins, infirmiers, etc.) qui reposent sur les besoins réels de la population ; • assurer aux facultés de médecine, aux écoles d’infirmières et des professions paramédicales les moyens nécessaires pour qu’elles soient en mesure de garantir une formation de qualité aux étudiants, sans oublier le financement nécessaire pour assurer des formations continuées tout au long de la carrière professionnelle des travailleurs du secteur. C’est plus spécifiquement le cas de la Wallonie : Selon l’Agence pour une vie de qualité (AVIQ), 144 communes wallonnes sur 262 (plus d’une commune wallonne sur deux !) manquent de médecins généralistes (contre 119 communes en 2016). Cette pénurie de médecins généralistes n’empêche pas la Ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block de mener une politique de limitation à l’accès à la profession de médecins en durcissant la délivrance des numéros INAMI qui sont nécessaires aux médecins pour pouvoir exercer leur profession. Cette question a aussi une dimension communautaire quand on sait que la répartition des numéros INAMI entre médecins néerlandophones et francophones, est de 60 % – 40 %. Namur compte 21 généralistes pour 10 000 habitants, et Charleroi, Mouscron, Arlon, Marche ou Neufchâteau n’en ont que 13 pour 10.000 habitants. En province de Liège, 19 communes sur 84 manquent également cruellement de médecins généralistes. La pénurie est encore plus grave dans les zones rurales. En outre, plus de la moitié des médecins généralistes ont plus de 55 ans en Belgique, et 28 % d’entre eux ont moins de 45 ans, ce qui sera insuffisant pour compenser les nombreux départs à la retraite. La pénurie guette aussi la médecine d’urgence et le nombre de praticiens de l’art infirmier, en particulier pour les soins gériatriques. « S’il n’y a pas assez de jeunes désireux d’embrasser une carrière d’infirmier ou d’aidesoignant, il y en a encore moins qui veulent s’occuper de personnes âgées. »9. Et celles et ceux qui choisissent de travailler dans ce secteur des soins aux personnes âgées se plaignent de plus en plus du rythme de travail trop élevé — qui ne leur donne pas le temps de s’occuper réellement du bien-être des résidents d’une maison de repos — d’un salaire beaucoup trop peu élevé et attractif ainsi que d’un manque de reconnaissance sociale de leurs métiers pourtant de plus en plus importants en regard du vieillissement de la population. À ce rythmelà, il n’y aura plus personne pour s’occuper de nous quand nous serons vieux. La Belgique et la Wallonie ont besoin de beaucoup plus de ces infirmiers et aides-soignants dont l’apprentissage du métier et les conditions de travail devraient leur permettre de traiter les personnes âgées avec le plus grand respect. Ces métiers ont en outre besoin d’une reconnaissance sociale en rapport avec leur importance, laquelle doit se traduire aussi par une revalorisation généralisée des barèmes salariaux en vigueur. En conclusion : • Les moyens que la collectivité mobilise dans le cadre d’une politique de santé publique pour offrir les soins de santé nécessaires à celles et ceux qui sont fragilisé·e·s par la maladie, servent de plus en plus à rémunérer des honoraires excessifs des médecins et à couvrir les prix exorbitants des traitements exigés par l’industrie des médicaments et des technologies médicales. Cette politique, en s’attaquant au financement public des soins, limite l’offre médicale et paramédicale en personnel de soins, limitation qui empêche d’assurer un encadrement multidisciplinaire de qualité autour des patients. • Le droit à la santé est de plus en plus remis en question en Belgique à cause d’une politique d’austérité budgétaire qui a pour conséquence de couper les ailes à toute politique efficace de santé publique, avec comme objectif sous-jacent : la marchandisation de tout le secteur de la santé. Cette politique d’austérité budgétaire, qui est avalisée et sacralisée au niveau européen, n’est pas une fatalité inéluctable quand on sait que ces trois dernières années la Banque centrale européenne a injecté plus de 2.500 milliards d’euros de liquidité sur les marchés financiers. De telles sommes astronomiques auraient été beaucoup plus utiles 9. Ann Peuteman dans « Knack » du 26/03/2019. 29 si elles avaient servi notamment à renforcer, au niveau européen, le financement des politiques de santé publique. Cette insécurité financière est accentuée : • par la complexité des procédures de remboursement — « majorées » ou non — des soins de santé en ambulatoire comme à l’hôpital (statut BIM, Dossier Médical Global, tiers payant, ticket modérateur et le maximum à facturer) ; • par ce que couvre ou non l’INAMI, les assurances complémentaires des mutualités (couverture qui diffère d’une mutualité à une autre) et les assurances hospitalisation extra légales (couverture qui diffère aussi d’une assurance à une autre et qui peut être limitée dans le temps ou en fonction de la rupture d’un contrat de travail entre le travailleur et l’employeur ou le secteur d’activité qui a instauré cette assurance hospitalisation) ; • par les procédures administratives compliquées à suivre dans le cas des forfaits de soins infirmiers à domicile, les trajets de soins et la prise en charge des maladies chroniques, et tout ce qui concerne les prothèses orthopédiques et auditives, et les conditions de remboursement des séances de kinésithérapie et des soins dentaires, etc. ; • par les règles peu claires concernant les frais d’ambulance et leur remboursement selon qu’il s’agit d’un transport médical urgent ou non urgent. L’insécurité financière est particulièrement tragique pour les personnes âgées car au plus on vieillit, au plus on est susceptible d’être atteint par des maladies chroniques et des pathologies lourdes ou dégénératives. Cette détérioration de la santé a évidemment comme conséquence d’augmenter le nombre de visites chez le médecin (spécialiste ou non) et le nombre et la longueur de séjours à l’hôpital. Pour les personnes âgées, les suppléments d’honoraires peuvent augmenter rapidement — aussi bien en ambulatoire en cas de « déconventionnement » du médecin qu’en cas d’hospitalisation dans une chambre individuelle — avec la multiplication des honoraires de surveillance et des séances de rééducation. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le patient ne peut pas estimer correctement le montant de sa facture finale. Et c’est souvent à cause de cette insécurité tarifaire que beaucoup hésite à se faire soigner. Il ne faut donc surtout pas croire que la Belgique possède les soins de santé parmi les meilleurs d’Europe, comme l’affirme chaque année les médias en s’appuyant sur la publication des chiffres d’un « index HCP » (Health Consumer Powerhouse), lequel évalue les systèmes de santé dans les pays européens. Cet index HCP est en fait élaboré par un think tank privé et libéral qui promeut le libre-échange et qui voit d’un très mauvais œil toutes interventions de responsables politiques dans le cadre d’une politique de santé publique. Son évaluation des systèmes de santé européens se fait sur la base d’une méthodologie très critiquable qui utilise principalement comme indicateur la rapidité avec laquelle on peut consulter un médecin/un spécialiste ou le délai d’attente pour faire une radio, une IRM, un scanner ou tout autre examen technique. Ces calculs des délais d’attente réalisés sur base de moyenne et en fonction de l’offre de soins d’un pays ne suffisent évidemment pas à évaluer et comparer les systèmes de santé européens forts différents les uns des autres. L’ « index HCP » classe ainsi la Belgique comme ayant un des meilleurs systèmes de soins de santé d’Europe, alors que les inégalités d’accès à notre système de soins de santé n’arrêtent pas de se creuser ! Il est beaucoup plus sérieux de consulter les statistiques sur les soins de santé réalisées par Eurostat car elles se basent sur des indicateurs beaucoup plus objectifs tels que les dépenses en soins de santé, les ressources humaines et techniques en matière de soins de santé, les activités liées aux soins de santé en milieu hospitalier et non hospitalier (qui couvrent les traitements et la prévention), l’utilisation de médicaments et les besoins en soins médicaux et dentaires non satisfaits. Tous ces indicateurs peuvent être utilisés pour évaluer le fonctionnement et les performances des systèmes de soins de santé, y compris la qualité et l’accès aux services de soins de santé. Selon deux récents bilans de la Commission Européenne10, qui ont passé au crible la situation économique et sociale dans les différents États membres, la Belgique serait en fait le plus mauvais élève de l’Union Européenne en matière d’accès aux soins. La Belgique est le pays d’Europe où l’inégalité d’accès aux soins entre les hauts et les bas revenus serait la plus marquée. • Le taux de report des soins pour raisons financières est très fréquent en Belgique. Il est de 40 % pour les personnes à faible revenu. • À l’âge de 50 ans, une personne qui a eu un niveau de vie socio-économique élevé peut vivre en Belgique 6 ans de plus que les autres. L’espérance de vie n’est que de 78,8 ans dans le Hainaut, alors qu’il atteint 82,9 ans dans le Brabant flamand ! 10. Commission Staff Working Document – Country Report Belgium 2019 – COM(2019) 150 final. [ https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/file_import/2019-european-semester-country-report-belgium_en.pdf ] Veerle Buffel & Ides Nicaise – ESPN Thematic Report on Inequalities in access to healthcare – Belgium – 2018. 30 En outre : Une vaste étude de Solidaris11 menée depuis un an parmi ses trois millions d’affilés met en évidence que ces inégalités de santé se retrouvent à plusieurs niveaux : • Le risque de mourir avant l’âge symbolique de la pension est plus de deux fois plus élevé chez les 5 % de personnes les plus précaires (450 décès sur 150.000 personnes) comparativement aux 5 % les plus aisés (174 décès sur 150.000 personnes). • Les personnes issues des milieux défavorisés vivent en moins bonne santé que celles des milieux aisés et chaque groupe social a un état de santé supérieur à celui du groupe en dessous. Ces inégalités se manifestent notamment dans les maladies chroniques. Le diabète est deux fois plus présent chez les personnes les plus précarisée que chez les plus nantis. La tendance est la même pour la bronchite chronique. • Ces inégalités sociales se traduisent également par un mal-être important parmi les personnes en bas de l’échelle sociale. Les personnes les plus précarisées sont 2,3 fois plus nombreuses à être hospitalisées pour des problèmes de santé mentale que les personnes les plus aisées. • Le recours aux soins préventifs est également très marqué socialement. C’est le cas notamment du dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus. L’indice de dépistage est respectivement inférieur de 14 % et 11 % pour les femmes précarisées par rapport à la population moyenne alors qu’il est supérieur de 12 % et 13 % parmi les femmes aisées. • Conséquence de ce qui précède, la consommation de soins est nettement plus élevée dans les milieux précarisés qui comptabilisent 1,4 fois plus de personnes hospitalisées et pour des durées 1,3 fois plus longues. • « Quelque 205.000 belges de 16 ans et plus ne peuvent pas répondre à leurs besoins en soins de santé pour des raisons financières » (selon l’enquête d’octobre 2017 de la Direction Générale Statistique du SPF Économie sur les revenus et les conditions de vie des Belges). Selon le réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), beaucoup de malades paupérisés n’osent pas se soigner à cause de l’insécurité financière quant aux coûts des soins de santé. • Un peu moins de 20 % des Belges déclarent qu’ils ne peuvent pas se permettre une simple visite chez le dentiste. Cela signifie qu’un Belge sur cinq se sent obligé de rogner sur les soins dentaires. Nous observons le même pourcentage en ce qui concerne la santé mentale : 21 % des Belges y renoncent faute de moyens. Chez les plus bas revenus, ce chiffre grimpe à 36 %. La ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique Maggie De Block a pris comme mesure de rembourser dès la fin de 2018 une partie des consultations chez un psychologue. Ce remboursement sera plafonné à deux fois quatre séances, pour lesquelles les patients souffrant de dépression, d’anxiété ou de dépendance à l’alcool débourseront au maximum 11 €. Mais ce remboursement ne s’appliquera que pour les patients de moins de 65 ans ! À nouveau, par cette mesure, on exclut les aînés alors qu’ils ont contribué pendant de nombreuses années à la solidarité dans la société en payant mois après mois leurs cotisations sociales pour financer la sécurité sociale. Où est l’éthique derrière une telle discrimination ? • Selon les témoignages recueillis par le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), beaucoup de malades paupérisés ne se soignent pas à cause de l’insécurité financière quant aux coûts des soins de santé. Il n’est même plus question ici de report de soins ! À cause du non-respect d’un droit fondamental à la santé et malgré les dispositifs chargés de limiter les dépenses en soins médicaux comme le « Bénéficiaire d’Intervention Majorée (BIM), le Maximum à facturer (MàF) et le Dossier Médical Global (DMG) », les personnes qui ne disposent pas d’un revenu confortable ont de plus en plus de difficultés à se payer des soins médicaux. L’augmentation du nombre de prestataires « déconventionnés » a des répercussions directes et importantes sur l’augmentation des suppléments d’honoraires. Cette évolution inquiétante est aussi la conséquence d’un désengagement progressif de l’État fédéral par rapport à notre système de soins de santé et la politique de santé publique de la Belgique ! Malgré tout, notre système de santé permet encore de guérir de nombreuses pathologies à un prix réduit en Belgique. Mais pour combien de temps encore ? 11. « Le thermomètre des Belges – Rapport de recherche – Où en sont les inégalités aujourd’hui ? » – janvier 2019 – http://www.institutsolidaris.be/wp-content/uploads/2019/01/ThermoXI-Rapport-complet.pdf 31 NOUS ÉVOLUONS DE PLUS EN PLUS VERS DES SOINS DE SANTÉ À DEUX VITESSES « Nous sommes dès lors face à un choix fondamental : optons-nous pour des soins de pointe, parfois inutiles, destinés uniquement aux nantis hautement qualifiés ? Ou pour une offre élargie et de qualité accessible à tous, y compris ceux qui ont le plus de difficultés à y accéder par manque de moyens et de connaissances, et qui doivent se contenter d’une alimentation et des logements de moindre qualité ? »12 Réactions et propos de Solidaris à ce sujet : • Pour Jean-Pascal Labille, le Secrétaire général de l’Union nationale des Mutualités socialistes – Solidaris : « Nous assistons à une privatisation larvée du financement des soins hospitaliers, accentuée par la politique d’austérité sans précédent menée ces dernières années dans les soins de santé et dans le secteur hospitalier en particulier ». • La mutualité Solidaris propose d’investir un demi-milliard d’euros dans l’assurance maladie « pour refinancer les hôpitaux et les médecins sur une base solidaire, transparente et juste afin de rendre superflus les suppléments d’honoraires ». Dans l’attente d’une réforme, JeanPascal Labille propose un gel généralisé de ces suppléments d’honoraires. 12. Propos de Ri de Ridder – Président de Médecin du Monde et ancien Directeur Général de l’INAMI), de Rita Baeten – analyste politique à l’Observatoire Social Européen (OSE) et de Ray Remmen, médecin généraliste et professeur de médecine générale aux universités d’Anvers et d’Hasselt – « La Libre Belgique » du 22 mars 2019. 32 Pour qu’une politique de santé d’un État préserve un droit fondamental à la santé de tous ses citoyens et citoyennes, il faut aussi que cette politique planifie et assure un suivi périodique de la situation en matière de santé publique, dans l’objectif de s’améliorer continuellement en regard des enjeux importants tels que, par exemple, le vieillissement de la population, la perte d’autonomie et l’augmentation du nombre de patients atteint de maladies chroniques comme le diabète, l’insuffisance rénale ou les maladies dégénératives et inflammatoires, lesquelles augmentent avec le vieillissement de la population. Un droit fondamental à la santé doit donc aussi s’appliquer à la personne âgée, quel que soit son niveau de santé physique ou mental, sa perte d’autonomie, son niveau de revenus et sa situation sociale. Ce « droit fondamental à la santé » ne peut être garanti que si une politique est menée en amont pour que les personnes âgées fassent toujours partie intégrante de la société, en évitant de les exclure, de les isoler, de les discriminer, voire de les rejeter dans un ghetto. Cette réflexion sur l’intégration des personnes âgées au sein de la société s’est concrétisée par l’élaboration de différentes Chartes de droits les concernant, tant aux niveaux de l’ONU, qu’européen. 1. 1999 : Année internationale des personnes âgées Un des jalons importants pour la mise en œuvre de l’intégration des personnes âgées au sein des sociétés où elles vivent, a été la célébration par l’ONU de l’année 1999 comme Année internationale des personnes âgées. L’objectif était de promouvoir « Une société pour tous les âges ». Les travaux, les recommandations et les conférences qui ont été développés depuis lors s’articulent autour des axes suivants : • l’épanouissement de l’individu tout au long de sa vie ; • les relations et la solidarité entre les générations ; • la place des personnes âgées au sein de la société. Le but politique de promouvoir une « société pour tous les âges » et d’exploiter pleinement le potentiel du vieillissement de la population remettait en question des attitudes, des pratiques et des politiques, à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la vie sociale et économique. Le fait d’insister sur la nécessité d’exploiter pleinement les ressources considérables des sociétés vieillissantes constituait un changement de direction radical par rapport à la vision, essentiellement orientée vers les services sociaux à la vieillesse, qui prévalait dans les années 1980-1990. Pour se concrétiser, ce changement radical dans la vision de la vieillesse doit s’appuyer sur des politiques sociales qui garantissent aux personnes âgées leur indépendance économique, le droit de prendre les décisions qui les concernent et le droit d’être des acteurs sociaux à part entière au sein de la collectivité où elles vivent, et cela quel que soit leur état de santé physique ou mental, leur situation sociale, leur degré d’éducation, leur perte d’autonomie et leurs origines culturelles. Ces politiques sociales doivent aussi assurer, grâce à la solidarité intergénérationnelle, une meilleure sécurité sociale/protection sociale pour les personnes âgées, avec notamment la garantie d’une pension suffisante et de soins et services de qualité, accessibles et abordables financièrement, pour maintenir leur autonomie. Dans cette optique, maintenir un droit fondamental à la santé ne peut être atteint que si d’autres droits fondamentaux sont également garantis, comme par exemple : • Le droit à la vie privée, que ce soit à domicile ou en maison de repos. • Le droit à la vie affective et à une vie sexuelle. Il n’est pas si évident que cela d’avoir des relations intimes en maison de repos. Droit à la santé et vieillissement de la population : vers une société pour tous les âges 3 33 • Le droit aux loisirs, à la formation, à la culture et à la pratique des activités physiques et sportives. • Le droit à une information complète et efficace, notamment par rapport à sa santé, dans le respect total de la personne. Etre âgé ne veut pas dire qu’on redevient des enfants ! • Le droit à la citoyenneté responsable et à la participation aux décisions collectives par une présence et une représentation effective dans des instances compétentes. Les Conseils consultatifs communaux des aînés en sont un bon exemple. • Le droit d’obtenir des services et des aides de nature à accroître les aptitudes à vivre de manière indépendante. Ce qui est en jeu ici c’est autant le développement des aides et services à domicile pour préserver l’autonomie des personnes âgées, que le développement de transports en commun en nombre suffisant et accessible à des personnes en perte d’autonomie, qu’une politique d’aménagement du territoire qui tienne compte d’une population vieillissante moins mobile. • La liberté de choisir son mode de vie, même en cas de perte d’autonomie. Le non-respect de tous ces droits fondamentaux agit comme un multiplicateur des problèmes de santé, physiques et psychologiques, et renforce la perte d’autonomie. C’est particulièrement vrai pour les personnes âgées qui sont souvent très isolées. En conclusion, toute personne en situation de dépendance doit pouvoir conserver l’intégralité de ses droits fondamentaux, dont son droit à la santé. C’est bien la conception défendue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « la santé implique que tous les individus, quelles que soient les circonstances du moment ou quel que soit leur âge et leur perte d’autonomie, puissent accéder au bien-être en tirant pleinement parti de leurs capacités fonctionnelles existantes. Le droit à la santé mentale et physique, ainsi que le droit à des mesures de prévention, à la réhabilitation et à la protection légale en cas de soins impliquent la mise en place d’une infrastructure qui permette l’exercice de ces droits. L’environnement physique et social ne peut aggraver l’effet d’une perte d’autonomie et empêcher les personnes âgées de mener une vie gratifiante et productive ». 2. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne Cette charte a été adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne, et le Traité de Lisbonne de 2007 lui donne une valeur juridiquement contraignante. Elle reconnait : • En son article 25 intitulé « Droits des personnes âgées » : le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle. • En son article 26 intitulé « Intégration des personnes handicapées » : le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. Les articles 25 et 26 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne vont servir de socle à l’instauration en juin 2010 d’une Charte européenne des droits et des responsabilités des personnes âgées nécessitant des soins et une assistance de longue durée. Cette dernière Charte européenne élargit le droit fondamental à la santé en prenant plus en compte la perte d’autonomie d’une population vieillissante et ses conséquences sur la vie quotidienne de ces personnes âgées et de leurs proches. Cette Charte stipule en son préambule que : « Lorsqu’on vieillit et que l’on est amené à dépendre des autres, que ce soit pour une aide ou pour des soins, en raison de son âge, d’une maladie ou d’une incapacité, on doit conserver un droit au respect de notre dignité en tant qu’être humain, à notre bienêtre psychique et mental, à notre liberté et à notre sécurité ». Cette Charte met clairement en évidence deux principes importants auxquels nous souscrivons : • Les soins de santé et les soins de longue durée, y compris la prévention et les interventions précoces, doivent être considérés non pas comme un coût mais comme un investissement dont bénéficieront tous les groupes d’âge. • Les services de santé et de soins de longue durée dans l’Union européenne doivent être fondés sur le principe de la solidarité entre les générations et refléter les dispositions du Traité de Lisbonne, selon lesquelles l’Union européenne « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant ». 34 Cette Charte entend être un document de référence en Europe qui définit les principes et les droits fondamentaux qui doivent être encouragés pour améliorer le bien-être de toutes les personnes qui dépendent des autres, que ce soit pour une aide ou pour des soins, en raison de leur âge, d’une maladie ou d’une incapacité. 3. Pour une Charte des Droits des personnes en perte d’autonomie Au niveau syndical, la Fédération Européenne des Retraités et des Personnes Agées (FERPA) a élaboré en octobre 2010 une Charte qui énumère des droits fondamentaux en prenant plus spécifiquement comme référence une population âgée à la retraite et en perte d’autonomie. Ce document a le mérite de concrétiser ce qu’est un droit fondamental à la santé en mettant en avant les problèmes et les besoins qui se posent au quotidien quand on est une personne âgée paupérisée, à cause de sa petite pension, et en perte d’autonomie. Dans ce document intitulé « Pour une Charte des droits des personnes en perte d’autonomie », la FERPA revendique, à la 1ère personne, entre autres : • J’ai le droit de bénéficier d’un revenu décent, j’ai le droit à une vie digne et à la prise en charge pour mes frais de santé. • J’ai le droit de vivre dans un environnement sûr et accessible, de me déplacer sur la voie publique sans danger et d’utiliser des moyens de transport adaptés à mes besoins. • J’ai le droit d’être entendu, d’être respecté par mes interlocuteurs, et d’avoir une facilité d’accès aux services, guichets et aux magasins, sans devoir faire la file. • J’ai le droit d’être informé sur mon état de santé à temps et avec objectivité, de prendre des décisions en ce qui concerne les traitements médicaux conjointement avec ma famille et mes médecins de confiance et d’habiliter mon/ma conjoint·e à prendre des décisions en mon nom si je ne suis plus apte à le faire moimême. • J’ai le droit d’être soigné en temps opportun et avec professionnalisme, sans de longues périodes d’attentes pour des contrôles médicaux ou des examens spécialisés et d’obtenir des réponses adaptées à mes besoins à travers un réseau de services et d’offres accessibles. • J’ai le droit d’avoir une assistance afin de préserver mon autonomie et d’améliorer ma situation et mes possibilités de contacts sociaux, en recourant également à l’innovation technologique mise à disposition dans le cadre de la recherche. • J’ai le droit d’être encadré par un personnel soignant compréhensif et expérimenté en cas d’aggravation de mon état de santé, de recevoir une aide de ma famille et pour ma famille et de bénéficier de soins adaptés et financièrement supportables. • J’ai le droit de bénéficier de tous soins et de l’attention nécessaire des médecins et du personnel soignant à la maison mais aussi dans les maisons de santé/repos, même en cas d’aggravation de ma dépendance. • J’ai le droit de bénéficier de traitements contre la douleur, d’exprimer librement mes sentiments et mes émotions, de garder mon identité et de voir mes décisions respectées, mêmes si celles-ci ne sont pas approuvées, et de ne pas perdre espoir quoi qu’il arrive. 4. Droit fondamental à la santé pour les personnes âgées en perte d’autonomie : qu’en est-il en Belgique et en Wallonie ? Aujourd’hui, malgré l’existence de ces Chartes et Droits fondamentaux aux niveaux international et européen, l’âge est aussi devenu en Belgique et en Wallonie un indicateur qui limite généralement le droit à la santé d’une personne. Et cela de façon encore plus dramatique quand une personne âgée dépend des autres, que ce soit pour une aide ou pour des soins, en raison de son âge, de sa maladie ou d’une incapacité. Le droit à la santé pour les personnes âgées en perte d’autonomie se heurte à nouveau aux deux mêmes grands obstacles qui empêchent la mise en œuvre de ce droit fondamental : 35 1. Une politique ultra-libérale d’austérité budgétaire ; 2. Laquelle vise, sans le dire explicitement, la marchandisation/privatisation de tout le secteur de la santé, des soins et services à domicile à l’hébergement en maison de repos. Et cela dans un contexte où les personnes âgées et les pensionnés sont de plus en plus paupérisés. En Belgique En Belgique, le montant des pensions n’est pas suffisant pour permettre aux pensionnés de pouvoir bénéficier des biens et des services essentiels à leur existence. Cela est encore plus dramatiquement le cas pour les femmes que pour les hommes. En utilisant les statistiques 2018 du Service Fédéral des Pensions (SFP), on peut calculer le montant moyen des pensions en Belgique pour les travailleurs qui ont eu une carrière pure de salarié (c’est-à-dire une carrière de salarié uniquement, sans avoir travaillé comme indépendant ou comme agent nommé des services publiques). Ce montant moyen, qui tient compte de toutes les durées des carrières professionnelles des salariés (et pas uniquement des carrières complètes de 45 années), n’est que de 1.025 € (brut = net à ce niveau de montant) pour les hommes et de 789 € (brut = net) pour les femmes ! Ces montants moyens des pensions sont en dessous du seuil de pauvreté, lequel est actuellement de 1.115 € pour un isolé en Belgique ! Sur les 1.254.787 pensionnés actuels qui ont eu une carrière pure de salarié, 310.932 ont en Belgique une pension inférieure à 1.000 €, dont 212.294 femmes (68 % du total). Avec de tels montants moyens, Il est malheureusement fréquent que les pensionnés doivent faire des choix dans leur vie quotidienne entre manger correctement, se loger, s’habiller, se chauffer ou se soigner. Et on ne fait même pas allusion dans toutes ces restrictions aux loisirs et aux vacances auxquelles les personnes âgées ont également droit. Assurer un droit fondamental à la santé dans une telle situation de pauvreté est évidemment un objectif impossible à atteindre. Avec de si faibles pensions, un pensionné n’a pas les moyens de payer son hébergement en maison de repos dont les frais d’hôtellerie et les frais annexes sont très souvent supérieurs à 1.500 €. Quand on sait que les trois-quarts des résidents en maisons de repos sont actuellement des femmes, pas besoins de calculs compliqués pour en conclure qu’être hébergé dans une maison est un luxe qui ne peut être assuré qu’en sollicitant une aide financière des CPAS. Et pour qu’un CPAS octroie une aide financière sans chercher à la récupérer par la suite, il faut vraiment que la personne ainsi aidée n’ait plus aucun revenu ni aucun bien. En effet : • Un CPAS ne procure une aide sociale ou financière que de façon résiduaire. Cela veut dire qu’il n’interviendra que quand la personne aura épuisé le recours à d’autres moyens financiers et pour autant qu’elle ait fait valoir ses droits à toutes les prestations sociales (dont par exemple l’Allocation pour les personnes âgées en perte d’autonomie – APA !). • Si un CPAS intervient dans les frais de séjour et de soins d’une personne résidant dans une maison de repos, la loi permet dans certaines situations aux CPAS de récupérer ce qui peut l’être par des recours auprès des débiteurs d’aliments. Il s’agit ici du/de la conjoint·e ou ex-conjoint·e, des enfants — y compris les enfants adoptés, des petits-enfants, les beaux-parents et des beaux-enfants, et dans certains cas des parents et enfants par alliance. Les procédures de recouvrement des CPAS peuvent se faire vis-à-vis de la famille par des arrangements à l’amiable ou de façon forcée par les voies judiciaires et administratives. • L’intervention des débiteurs d’aliments est fixée par la loi sur base d’un barème d’intervention. La loi limite également les revenus en-deçà desquels il ne peut être procédé au recouvrement à charge des débiteurs d’aliments. • En outre, le CPAS « conseille » également aux personnes sollicitant son aide d’utiliser leur pension, leur épargne éventuelle et, le cas échéant, de vendre ou de louer leur maison ou appartement s’ils en sont les propriétaires. Si le/la conjoint·e reste dans la maison pendant que son mari ou sa femme est hébergée dans une maison de repos, cette maison peut être mise en hypothèque par le CPAS en vue de récupérer les aides financières. En procédant ainsi, les enfants sont privés d’un héritage important qui leur revenait et pour lequel leurs parents avaient dû économiser toute leur vie pour le leur transmettre via la succession. • Et si la maison ou l’appartement a été vendu récemment, la personne qui sollicite une aide sociale ou financière devra justifier toutes les dépenses faites avec le produit de la vente. • Un CPAS peut se dispenser de la récupération que par une décision individuelle et pour des raisons d’équité qui devront être mentionnées dans la décision de ne pas récupérer cette aide financière. 36 En conclusion, dans ce contexte de détresse et de pauvreté, il est très illusoire de concrétiser un droit fondamental à la santé si on n’augmente pas le montant des pensions à au moins un minimum de 1.500 € net par mois, comme le revendique la FGTB. Parallèlement à la paupérisation dramatique des personnes âgées et des pensionnés, nous assistons donc aussi à une marchandisation/privatisation/libéralisation de tout le secteur de l’hébergement dans les maisons de repos et des soins et services à domicile : 1. Pour les travailleuses et travailleurs des secteurs concernés par les personnes âgées en perte d’autonomie : • Par le biais d’une politique continuelle de réductions des coûts (salariaux, de fonctionnement, pour la formation continuée, …). • Par le biais d’une politique de l’emploi flexible et à sous-statuts, qui se caractérise par : – La généralisation des contrats précaires (à durée déterminée et à temps partiel), le bénévolat et l’engagement de travailleurs sous statut « contractuel » dans les services publics. – Une politique de déprofessionnalisation des métiers concernés. Le développement des « aidants proches » en est un bon exemple. – Une hyperspécialisation et segmentation des tâches qui conduisent à une logique de travail à la chaîne. Conséquence ? L’offre de soins et services ne s’organise plus dans une logique de prise en charge individuelle et globale. – Des cadences infernales et un manque d’attractivité des métiers relevant tant du secteur privé subventionné que des secteurs concernés au sein de services publics. 2. Pour le secteur des maisons de repos et des maisons de repos et de soins : • Par une forte hausse des prix d’hébergement en maison de repos ces 5 dernières années ! D’après une analyse actuelle de la Fédération des CPAS sur l’évolution des prix de base en maisons de repos de 1998 à 2018 (donc sans prise en compte des suppléments) la croissance réelle (hors inflation) cumulée des coûts d’hébergement en maison de repos a été sur 5 années, de 2013 à 2018 : – De 11,2 % dans le secteur public (20,1 % en tenant compte de l’inflation) ; – De 22,3 % dans le secteur privé commercial (32,1 % en tenant compte de l’inflation) ; – De 18,7 % dans le secteur associatif (28,2 % en tenant compte de l’inflation). – De 17 % pour les 3 secteurs (26,4 % en tenant compte de l’inflation), alors qu’elle ne fut que de respectivement 3,5 %, 0,7 % et – 2,2 % au cours des 3 quinquennats précédents 2013 (1998-2003 ; 2003-2008 et 2008-2013). – C’est nettement plus par rapport à l’augmentation de 8 % de l’indice santé qu’il y a eu entre 2013 et 2018 ! – Si pendant 15 ans (de 1998 à 2013), les prix en maison de repos ont progressé de façon proche de l’inflation, ce n’est plus le cas au cours des 5 dernières années (de 2013 à 2018). – Par province, les hausses sont plus prononcées en Brabant wallon et moindre dans le Hainaut. Le prix moyen de base par jour (sans suppléments) du coût de l’hébergement en maison de repos a augmenté au plan wallon de 1998 à 2018 : – De 28 € à 43,8 € pour le secteur public ; – De 28,3 € à 51,7 € pour le secteur privé commercial ; – De 28,6 € à 51,5 € pour le secteur associatif. Parmi les facteurs explicatifs de cette accélération des coûts en maison de repos, on peut citer : – La hausse des prix de l’immobilier et du foncier ; – La montée en puissance des grands groupes immobiliers et fonciers qui ont des objectifs de rentabilité significatifs afin de rémunérer leur actionnariat ; – Le renforcement des normes architecturales ; – Un niveau d’équipement plus élevé. 37 • La majorité des coûts d’une maison de repos est composée des frais de personnel. Ceux-ci augmentent automatiquement avec l’indice santé, sauf évidemment en cas de saut d’index. Une hausse des prix des maisons de repos qui suit l’index est donc compréhensible en termes de structure de coût. • La facture pour un résident en maison de repos comprend le prix de base et les suppléments. Le prix d’hébergement de base comprend au minimum des frais liés à : • la chambre et l’infrastructure correspondante ; • l’utilisation des espaces communautaires ; • les soins d’un prestataire infirmier ou aide-soignant ; • le matériel d’incontinence et de soins prévu dans le forfait INAMI ; • les activités d’animation, de loisirs et d’activités thérapeutiques ordinaires ; • l’alimentation, y compris en cas de régime spécifique prescrit par le médecin ; • l’entretien du bâtiment et de l’infrastructure ; • la mise à disposition, l’entretien et le renouvellement de la literie ; • la consommation d’électricité qui est due à une utilisation d’appareils individuels qui appartiennent au confort de base (frigo, la TV et la radio) ; • les installations de surveillance, de protection contre l’incendie et d’interphonie ; • les assurances en responsabilité civile, l’assurance incendie ainsi que toutes les assurances souscrites par le gestionnaire ; • les coûts administratifs et les taxes en lien avec le séjour. On entend par suppléments, tous les frais relatifs à un produit ou service fourni par l’établissement, qui peuvent être facturés en plus du prix journalier d’hébergement et pour lequel l’établissement détermine lui-même un prix spécifique ou une marge ou pour lequel un prix est fixé par un prestataire de services ou de soins ou par un fournisseur externe et dont les justifications peuvent être apportées par l’établissement sur base d’une facture établie par le prestataire de services ou de soins ou par le fournisseur externe. Les frais considérés comme suppléments sont notamment : • les honoraires pour les prestations remboursables, reprises dans la nomenclature INAMI, non incluses dans les forfaits, et qui peuvent être facturés aux personnes âgées ; • la médication ; • les frais d’hospitalisation ; • le matériel de soins qui n’est pas couvert par les forfaits INAMI ; • le nettoyage et l’entretien du linge personnel organisé par un service externe ou indépendant ou facturé par la maison de repos ; • les boissons et les produits alimentaires à la demande du résident en-dehors des repas ; • les articles de toilette ou autre à la demande du résident ; • les frais de manucure, pédicure, soins esthétiques ou coiffeur organisés par un service externe ou indépendant ; • les activités d’animation, de loisirs et d’activités thérapeutiques extraordinaires ; • les frais d’abonnement pour l’utilisation individuelle de la radio, la télévision, le téléphone et internet ; 38 • les coûts liés à un animal domestique ; • les frais de transport liés à la santé de la personne âgée ; • les frais d’aménagement de la morgue. La Convention d’hébergement doit reprendre l’énumération exhaustive et détaillée de tous les suppléments susceptibles d’être portés en compte au résident ainsi que leur prix, le moyen de le calculer et toute règle permettant de calculer sa majoration éventuelle. Aucun supplément non repris à la liste incluse dans la convention d’hébergement ne peut être mis à charge du résident. Seuls les biens et services choisis librement par le résident ou par son représentant peuvent faire l’objet de suppléments. • Le coût d’un séjour en maison de repos varie fortement d’un établissement à l’autre, en fonction de la région/la province où il est situé et du type de gestionnaire (secteur public, associatif ou privé). Mais ce coût varie également au sein même de la maison de repos, en fonction de la chambre (nombre de lits, superficie, équipement, etc.) et des biens et services mis à disposition du résident (prestations médicales, service de blanchisserie, abonnement télévision/téléphone/internet, coiffure, pédicure, boissons hors repas, activités, etc.). • Selon le monitoring du coût en maison de repos réalisé en 2016 par Solidaris — et l’étude actualisée en 2017 qui confirme les constats de 2016 : Les « frais annexes » (cf. les coûts supplémentaires liés à des demandes du résident) se montent en moyenne à 109 € par mois. Il s’agit surtout de frais de (para)pharmacie – à hauteur de 49 € en moyenne (mais supérieurs à 108 € pour un résident sur dix) – et de frais tels que la pédicure, la blanchisserie, les boissons, ou d’autres frais (coiffeur, repas dans la chambre, activités spécifiques, etc.) qui selon la règlementation, peuvent être facturés mais sans être précisés dans la facture. http://www.solidaris.be/SiteCollectionDocuments/Synthèse%20Solidaris_Coûts%20en%20maison%20de%20 repos_Décembre%202017.pdf | Communiqué de presse de Solidaris : http://www.solidaris.be/MonsWP/Presse/ Communiques/Pages/etude-solidaris-le-cout-dun-sejour-en-maison-de-repos-difficilement-supportablepour-nos-aines.aspx • Selon les données du SPF Économie (2014), le prix d’hébergement moyen par jour est le plus élevé dans les maisons de repos du secteur associatif (49,55 €) et le plus faible dans les maisons de repos du secteur public (43,03 €). • Il ressort de l’étude menée par l’UCP et Espace Seniors que les suppléments facturés aux résidents sont, en moyenne, plus élevés dans les maisons de repos du secteur privé (197 € par mois) et plus faibles dans le secteur public (134 €). • Le prix d’hébergement en maison de repos est régulé. Si une hausse des prix est envisagée, elle doit être demandée au préalable pour accord à l’AViQ. La hausse ne peut pas dépasser 5 % au-delà de l’inflation. Le prix est maintenu aux « anciens » résidents en cas de travaux. Malgré le fait que le coût d’hébergement en maison de repos est régulé, la fin de vie en maison de repos devient de plus en plus chère et inaccessible au plus grand nombre de personnes âgées. Avec la régionalisation du secteur des maisons de repos, le coût de l’hébergement risque en outre d’augmenter encore plus ! Ce constat est encore pire pour les résidences services ! Le montant des pensions ne permet pas aujourd’hui pour un grand nombre de pensionnés de se payer un hébergement en maison de repos ou dans une résidence-service. 3. Par un personnel de soins en maison de repos en sous-effectif, épuisé et hyperflexible. Les normes de personnel dans les maisons de repos ne permettent pas d’assurer une qualité de soins suffisante qui soit à la hauteur de l’importance sociale et humanitaire des métiers concernés par les travailleurs des soins de santé (voir supra le chapitre sur la « New Public Management » qui est à l’origine de cette situation pour tous les travailleurs de tous les secteurs de la santé). 39 4. Par la décision politique de l’ancien gouvernement wallon MR-CDH de permettre au secteur privé commercial d’accéder au financement des infrastructures, alors que jusqu’à présent seuls les secteurs publics et associatif (non marchand) pouvaient y accéder. « Actuellement, les infrastructures (déjà régionalisées précédemment) sont financées via des subventions directes aux opérateurs publics et associatifs ; elles correspondent à 60 % du montant de leurs investissements. Afin de rendre les investissements en infrastructures compatibles aux normes comptables européennes, le gouvernement wallon propose de les lisser et de les déconsolider, en complémentant le forfait de soins par un forfait journalier en infrastructure. La conséquence du changement du mode de subventionnement est double : les institutions devront dorénavant préfinancer leurs investissements et le secteur commercial y a désormais accès »1 . Mais de nouvelles conditions d’accès à ces subsides devront être négociées dans un groupe de travail organisé par le Cabinet de la ministre de l’Action sociale et de la santé du gouvernement wallon Christie Morreale, auquel participeront les Fédérations des maisons de repos. Pour la FGTB wallonne, il faut décourager le secteur commercial de pouvoir recourir à ces subsides wallons. 5. Par la volonté politique de certains de promouvoir un financement des structures d’hébergement des personnes âgées via la création de « pseudos » partenariats public/privé. Nous tirons le signal d’alarme par rapport à cette source de financement des maisons de repos pour les raisons suivantes : • Cette politique de partenariat public/privé va avoir pour conséquence de mettre fin aux quotas légaux wallons actuels entre le secteur privé commercial (actuellement quota de maximum 50 % des lits), le secteur associatif (actuellement quota de minimum 21 % des lits) et le secteur public (actuellement quota de minimum 29 % des lits). Cela va ouvrir encore plus grande la porte à la marchandisation de toutes les maisons de repos, avec un secteur privé commercial dont le rendement/profit est estimé déjà aujourd‘hui entre 15 et 20 % ! Avec un tel profit, les deux autres secteurs public et associatif ne pourront jamais concurrencer le secteur privé commercial. • Si l’argent provient des grands groupes immobiliers et financiers, ces nouvelles structures d’hébergement obéiront nécessairement à une logique commerciale au détriment des maisons du secteur public lesquelles sont les seules à pouvoir offrir des soins et des services de qualité accessibles financièrement pour les personnes âgées. 6. Par la décision de l’ancienne ministre wallonne de l’Action sociale et de la Santé Alda Greoli de légaliser les « structures d’hébergement collectif de personnes en difficulté prolongée », plus couramment appelées « maisons pirates ». Le 28 mars 2018, le Parlement wallon avait adopté la proposition de Décret insérant dans le code wallon de l’action sociale et de la santé (CWASS) des dispositions relatives à l’hébergement collectif de personnes en difficulté prolongée. Comme il s’agissait d’une initiative parlementaire (émanant de parlementaires du CDH et du MR), les interlocuteurs sociaux n’ont pas été consultés. • Ces structures d’hébergement sont de type privé commercial et elles sont souvent créées suite à des initiatives privées. Ces structures n’étaient pas jusqu’à présent agréées par les autorités, elles n’étaient pas répertoriées par l’AViQ et elles fonctionnaient sans subsides. • En l’absence de cadastre les concernant, on estime qu’il y aurait actuellement en Wallonie une cinquantaine de ces « maisons pirates » en activité qui accueilleraient à peu près 3.000 résidents. • Ces hébergements collectifs sont susceptibles d’accueillir des personnes porteuses de troubles psychiatriques, d’autres qui sont isolées et/ou vivent dans la grande précarité ou encore des personnes âgées qui ne peuvent plus rester à domicile et n’ont pas de place en maison de repos. Ces « maisons pirates » peuvent accueillir des personnes pour qui d’autres dispositifs dits résidentiels ont été déployés mais pour lesquels il n’y a plus de places accessibles, ou bien qui ne sont pas accessibles financièrement. 1 « Décret et arrêté relatifs aux maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS) : Positionnements de la FGTB wallonne » – doc. Réf. : IW/19/NB-P.01 du 28 février 2019. 40 • Ces « foyers pirates » échappaient jusqu’à présent à tout suivi et tout contrôle. Cela rend encore plus problématique la situation des personnes qui y résident car elles nécessitent une attention particulière, voire une aide ou des soins. • Dans les faits, il a été constaté que le public qui résidait dans ces maisons collectives sont des personnes qui, généralement, cumulent différentes problématiques. Bien souvent, cela débouche également sur une situation sociale précaire et d’isolement qui tend à mener ces personnes vers une forme de marginalisation. • C’est donc en dernier recours que ces personnes en difficulté prolongée résident dans ces structures d’hébergement collectif. La reconnaissance et la légalisation des « maisons pirates » sont emblématiques de la marchandisation du secteur des maisons de repos, car elles auront pour conséquences principales de : • Déréguler tout le secteur de l’hébergement collectif dont font partie les maisons de repos, les structures d’hébergement pour personnes handicapées et les maisons de soins psychiatriques. Cette dérégulation va donc avoir des conséquences négatives sur un grand nombre de secteurs, de travailleurs et d’usagers. • Labelliser à minima toutes les « maisons pirates » existantes avec un personnel de soins presque inexistant et qui sera peu formé. Pour rappel, le gouvernement wallon a fixé la norme pour la fonction d’encadrement dans les « maisons pirates » à minimum 1/4 ETP par 4 résidents ! Ce qui est dérisoire en comparaison des normes d’encadrement beaucoup plus contraignante dans les maisons de repos et de soins, lesquelles doivent compter, par 30 résidents, au moins 5 équivalents temps plein praticiens de l’art infirmier, 5 équivalents temps plein personnel soignant ou aides-soignants, 1 équivalent temps plein kinésithérapeute et/ou ergothérapeute et/ou logopède et 0.10 membre du personnel de réactivation compétent en matière de soins palliatif. • Ouvrir encore plus grande la porte au travail informel. Le fait que des milliers de personnes fragilisées soient hébergées dans les « maisons pirates » est aussi la conséquence du coût d’hébergement très élevé des maisons de repos et des autres structures d’hébergement en Wallonie. Ce coût les rend inaccessibles pour la plupart des personnes âgées. Cette labellisation à minima permettra à ces structures d’hébergement agréées d’accéder à des subsides wallons au détriment des maisons de repos qui manquent déjà cruellement de moyens. Et cerise sur le gâteau, le Décret wallon donne un délai de 15 ans pour que les « maisons pirates — dont l’activité a commencé avant le 1er juillet 2018 — se mettent en ordre. Ce délai est beaucoup trop long, sachant que les normes à atteindre sont en-deçà du minimum acceptable. Ce délai permettra à des « maisons pirates » de fonctionner et de faire des profits pendant 15 années, avant de fermer. Quitte à en « ouvrir » une autre ailleurs pour à nouveau fonctionner pendant 15 ans ! En effet, Rien n’empêche à l’heure actuelle que d’autres « maisons pirates » se créent pour profiter pendant 15 ans de cet effet d’aubaine et faire ainsi un maximum de profit sur le dos de résidents qui sont beaucoup trop fragilisés pour pouvoir se protéger de toutes les formes de maltraitances que génèrent la précarité et l’isolement social. Dans le secteur de l’hébergement des personnes âgées en maison de repos comme dans celui des soins de santé, on évolue aussi de plus en plus vers une logique de marchandisation à deux vitesses. On se dirige vers un hébergement collectif pour les riches — avec des maisons de repos et des résidences-services luxueuses, chères, spacieuses et confortables — et, un hébergement pour les plus démunis qui — avec le soutien de l’aide sociale des CPAS — seront hébergés dans les maisons de repos les moins chères dans des chambres les moins spacieuses et confortables ou, pire encore, dans les « maisons pirates », où les plus démunis devront cohabiter dans quelques m² avec d’autres personnes fragilisées, en perte d’autonomie et atteintes de pathologies différentes ! Il s’agit d’un retour aux inégalités sociales féroces du XIXe siècle ! 41 En Wallonie Voici la situation actuelle dans le secteur de l’accompagnement à domicile en Wallonie et également dans les dispositifs mis en place pour aider et soutenir les personnes âgées en perte d’autonomie : 1. Services agréés d’aide aux familles et aux aînés (SAFA) : Les prestations d’aide au domicile des aide-ménagères sociales, des aide-familiales et des gardes de personnes en perte d’autonomie sont assurées par les services agréés d’aide aux familles et aux aînés (SAFA). Les services, aides et soins non médicaux octroyés par les SAFA interviennent au domicile du demandeur afin de favoriser le maintien et le retour à domicile, l’accompagnement et l’aide pour accomplir les actes de la vie quotidienne des personnes isolées, âgées, handicapées, malades et des familles en difficulté qui sont en incapacité de le faire. Ils ont pour objectif de stimuler la personne aidée afin de maintenir au maximum son autonomie. Les SAFA agissent en concertation avec l’environnement familial et de proximité des personnes en perte d’autonomie. Cette assistance (soins d’hygiène, courses, tâches ménagères, distribution de repas, etc.) permet ainsi, soit le maintien à domicile des aînés en perte d’autonomie ou des personnes handicapées, soit aux familles de surmonter certaines difficultés liées à des problèmes de santé ou des problèmes sociaux tels que dans le cas de familles monoparentales, de situations de précarité, de maltraitance, etc. Les SAFA ont donc aussi une mission sociale très importante à jouer par rapport à l’isolement social des personnes âgées en perte d’autonomie. Il existe à l’heure actuelle 94 SAFA agréés qui sont répartis au sein de 5 Fédérations patronales wallonnes : la Fédération wallonne de services d’aide à domicile (fedom), La Fédération des CPAS, la Fédération de l’Aide et des Soins à Domicile (FASD – organisée par la mutualité chrétienne) et la Centrale de Services à Domicile (CSD – organisée par Solidaris). Comme les SAFA sont agréés par la Région wallonne et fort réglementés via le Code wallon de l’action sociale et de la santé (CWASS) et que, contrairement aux maisons de repos, il n’y a pas d’opérateur appartenant au secteur privé commercial pour les organiser, ils sont protégés à l’heure actuelle de toute marchandisation ou privatisation. Toutefois, si à l’avenir les SAFA ne seront pas mieux financés par la Région wallonne et que, en regard du vieillissement de la population, leur offre de soins (non médicaux), de services et d’aides ne répondront pas/plus ou suffisamment à la demande toujours croissante des bénéficiaires, il y aura toujours un risque que des opérateurs non agréés appartenant au secteur privé commercial soient tentés de créer ce genre de structure en espérant en faire des bénéfices. Et seules y auront accès les personnes âgées les plus aisées. 2. Aide aux personnes âgées en perte d’autonomie (APA) : Il s’agit d’un soutien financier pour les personnes âgées de plus de 65 ans, qui résident en Belgique, qui sont en perte d’autonomie et qui ont un faible revenu. Elle est destinée à compenser les coûts supplémentaires auxquels doivent faire face ces personnes afin de pouvoir participer à la vie sociale et quotidienne. Elle est calculée sur base de six critères de perte d’autonomie : les possibilités pour la personne âgée de se déplacer (1), d’absorber ou de préparer sa nourriture (2), d’assurer son hygiène personnelle et de s’habiller (3), d’assurer l’hygiène de son habitat et d’accomplir des tâches ménagères (4), de vivre sans surveillance et d’être conscient des dangers et être en mesure de les éviter (5) et de communiquer et d’avoir des contacts sociaux (6). L’échelle d’évaluation de l’APA (qui n’est pas l’échelle de Katz utilisée actuellement dans les maisons de repos) mesure la perte d’autonomie en attribuant pour chacun des 6 item ci-dessus une cotation de 0 à 3 : 0 : pas de problème 1 : difficultés minimes 2 : difficultés importantes 3 : activité impossible sans aide ou sans accueil en institution. L’addition des scores aboutit à un résultat entre 0 et 18. Entre 0 et 6 inclus : pas droit à l’allocation APA. de 7 à 8 : catégorie I de 9 à 11 inclus : catégorie II de 12 à 14 inclus : catégorie III de 15 à 16 inclus : catégorie IV de 17à 18 inclus : catégorie V 42 À chacune de ces 5 catégories issues de cette échelle d’évaluation, un montant maximum d’APA sera attribué aux bénéficiaires qui appartiennent à cette catégorie (voir ces montants au 1er août 2022 dans le tableau ci-dessous) : Échellle médicale Montant annuel max. Montant mensuel max. Catégorie 1 1.173,14 € 97,76 € Catégorie 2 4.478,15 € 373,18 € Catégorie 3 5.444,72 € 453,73 € Catégorie 4 6.410,99 € 534,25 € Catégorie 5 7.875,00€ 656,25 € En outre, le montant de l’APA est diminué du montant des revenus qui dépasse un plafond annuel déterminé suivant les catégories de personnes. Ci-dessous le montant des plafonds actuels (au 1er août 2022) : Plafonds – Immunisations Cohabitant 15.693,99 € Isolé 15.693,99 € Ménage 19.610,98 € Sources : Allocation pour l’aide aux personnes âgées (APA) – Wikiwiph (aviq.be) | 2022.08.11 – Circulaire APA – Indexation.pdf (aviq.be) | Tableau des indexations.xls (live.com). Si les revenus dépassent les plafonds (voir les montants ci-dessus) l’allocation sera diminuée de la partie des revenus qui dépassent le plafond. Parmi les revenus qui sont pris en compte dans le calcul de l’APA, on trouve : • les revenus générés par votre travail si vous ou votre partenaire travaillez encore (salaires, primes, bonus, etc.) ; • les rentes de vieillesses et allocations chauffage de vous et votre partenaire ; • 90 % des montants de pension que vous et votre partenaire percevez ; • une partie du revenu cadastral de vos biens immobiliers ; • 6 % des capitaux de vos biens mobiliers (Compte d’épargne, placements financiers, etc.) ; • tous les biens mobiliers ou immobiliers vendus ou donnés pendant les 10 années qui précèdent votre demande d’APA. Les revenus qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’APA sont les suivants : • les pécules de vacances ; • les rentes alimentaires payées pour vos enfants ou parents ; • les revenus provenant de l’assistance publique ou privée (des dons d’organisations ou de particuliers) ; • les allocations familiales si vous avez un enfant qui les reçoit encore ; • les indemnités que vous pourriez recevoir dans le cadre d’un travail bénévole (Attention, elles ne doivent pas dépasser un certain montant) ; • les rentes de chevron, de front ou les rentes de combattant et de captivité si vous êtes militaires ou un proche de militaire ; • une partie des pensions que vous recevez ou donnez si vous êtes divorcé ; • certains revenus que peut recevoir votre partenaire. Source : https://mes-aides-financieres.be/handicap/apa/#Methode_de_calcul_de_lAPA Le montant de l’APA se calcule comme ceci : APA/an = montant annuel maximum correspondant à la catégorie de handicap diminué du montant des revenus qui le plafond annuel attribué aux catégories « A », « B » et « C » (voir ci-dessus). 43 s Par exemple : si un demandeur vit seul (isolé), qu’il a une perte d’autonomie évaluée à 10 points (catégorie 2), et que son revenu est de 16.693,99 €, l’allocation sera diminuée de 1.000 € (étant donné que ses revenus dépassent de 1.000 € le plafond pour un isolé qui est de 15.693,99 €). La mutuelle paiera le maximum pour la catégorie 2 : 4.478,15 € – 1.000 € = 3.478,15 € par an (soit, en divisant par 12 : 289,85 € par mois). La compétence en matière d’APA a été transférée à la Région wallonne depuis le 1er juillet 2014 suite à la 6e réforme de l’État. L’AVIQ a repris la compétence de l’APA depuis le 01/01/21, et ce sont les mutuelles qui en assurent la gestion. Au 31/07/22, il y avait 33.117 bénéficiaires de l’APA en Région wallonne (aussi bien des personnes âgées de 65 ans et plus qui vivent à domicile ou en maison de repos). Le budget annuel de l’APA en Région wallonne est actuellement de 139.946.000 €. Comme l’APA est un soutien financier accordé à des personnes âgées en perte d’autonomie, on ne peut pas dénoncer dans ce dossier un risque direct de marchandisation/privatisation la concernant. Ce que nous dénonçons en revanche c’est le fait que les montants des pensions soient si bas que les bénéficiaires de l’APA doivent utiliser ce soutien financier non pas pour financer leur perte d’autonomie, mais pour payer leurs factures ou une partie de leur hébergement en maison de repos. Et c’est à ce niveau qu’il y a un risque indirect de marchandisation : l’APA pouvant être utilisée pour payer une partie de l’hébergement dans les maisons de repos, il est à craindre qu’elle contribue à augmenter les prix d’hébergement en maison de repos. Un phénomène similaire a eu lieu en Flandre avec l’instauration de leur assurance autonomie (la « Zorgverzekering »). La revendication de la FGTB pour un montant minimum de pension à 1.500 € net par mois est donc absolument essentielle si on veut sortir les pensionnés de la pauvreté et si on veut éviter que cela soit à l’aide sociale de prendre le relais pour permettre aux personnes âgées de vivre mieux. Concernant les délais pour l’attribution de l’APA, nous dénonçons le problème du temps d’attente beaucoup trop élevé pour l’évaluation de la perte d’autonomie lors des contrôles médicaux ou des examens spécialisés en vue de l’obtention de l’APA. Il suffit d’interroger les personnes âgées qui ont suivi les procédures/tracasseries administratives et médicales en vue de l’obtention d’une allocation pour l’aide aux personnes âgées (APA), pour se rendre compte que ces délais ne sont pas compatibles avec le respect de la dignité humaine. Jusqu’à présent, avant la régionalisation de l’APA, il fallait un délai de minimum 6 mois (à Namur) à maximum 13 mois (dans le Hainaut) pour obtenir une réponse à la suite d’une demande pour bénéficier de l’APA. Malgré les progrès des échanges électroniques de données relative à notre santé entre médecins via « e-Health », Il est peu probable que ces délais se raccourcissent avec la régionalisation de l’APA. On peut même craindre une augmentation des délais d’attente avec le remplacement de l’échelle d’évaluation de l’APA par le système BelRAI, lequel est beaucoup plus complexe à utiliser pour évaluer une perte d’autonomie. À titre de comparaison, la Charte de l’assuré social en Belgique fixe à 4 mois le délai raisonnable pour qu’une institution prenne une décision, et le paiement des prestations doit avoir lieu au plus tard dans les quatre mois de la notification de la décision d’octroi. En cas de retard, l’institution doit verser des intérêts à l’ayant droit. Dans le passé, ce délai avait été porté par la Charte de l’assuré social à 6 mois pour l’attribution de l’APA à cause justement des procédures administratives et médicales qui étaient très longues à l’époque. 3. Une aide à domicile doit aussi couvrir les aides matérielles individuelles pour l’aménagement du domicile. • On appelle « Aide matérielle » ou « Aide technique » les objets ou aménagements qui apportent une aide pour accomplir les tâches de la vie quotidienne lorsque le handicap ou l’âge ne le permet plus. Exemples : une « tribune » si vous avez des problèmes d’équilibre, un siège de bain/de douche si vous ne pouvez plus vous relever de votre baignoire, les chaises percées de toilettes, l’adaptation du logement pour les personnes en voiturette, l’installation d’un siège-lift, la mise à disposition de langes en cas d’incontinence, canne, adaptations pour voiture, matelas anti-escarres, une barrette Braille qui permet l’accès à l’ordinateur pour une personne malvoyante ou aveugle, un réveil vibrant pour les personnes sourdes, etc. • L’aide matérielle recouvre en gros les aides à la mobilité, les aides à l’aménagement du domicile, la télévigilance et la location de matériel médico-sanitaire. 44 • Actuellement, on ne peut bénéficier des aides matérielles individuelles pour l’aménagement du domicile que si on a été reconnu comme handicapé avant 65 ans par le SPF Sécurité Sociale (anciennement « la Vierge Noire »). C’est évidemment absurde. Cette discrimination doit disparaître. • Ces aides ont été complètement régionalisées suite à la sixième réforme de l’État. C’est donc maintenant l’AVIQ qui va jouer le rôle de la « Vierge Noire ». Si le financement des aides matérielles et techniques individuelles pour l’aménagement du domicile en Wallonie ne couvre pas les besoins nécessaires au maintien à domicile d’une population âgée en perte d’autonomie, d’autres de la sphère privée commerciale se chargeront de le faire dans le cadre par exemple de la « Silver Economie » ! Focus sur la Silver Economie La « Silver Economie » ou économie des seniors désigne l’ensemble des activités économiques liées aux personnes âgées. Elle rassemble tous les produits et services destinés aux personnes âgées de plus de 60 ans. La « Silver Economie » est donc transversale et elle trouve des déclinaisons dans de nombreux marchés : loisirs, transport, alimentation, sécurité, santé, domicile, habitat collectif, assurance, assistance téléphonie, internet, sport, etc. Tous ces marchés sont déjà en train de s’adapter ou de se décliner sur des segments liés au vieillissement de la population et au « bien-vieillir ». La mise en place de cette « Silver Economie » a pour objectif principal le développement d’une filière économique qui serait axée sur l’innovation technologique et sociale et devrait donner aux entreprises les moyens d’imaginer, de développer et de distribuer des produits et des services — qui coûteront très chers — et qui serviront à maintenir ou à renforcer l’autonomie des personnes âgées. L’importance primordiale des services publics et du secteur non marchand n’apparaît nulle part dans la « Silver Economie ». Cette dernière ne s’intéresse qu’à l’économie marchande et aux profits attendus par ce marché de consommation lié aux seniors ! Les entreprises privées se frottent déjà les mains en pensant aux bénéfices colossaux qu’elles pourraient tirer de ces besoins non rencontrés par la sphère de l’économie sociale non-marchande et des services publics. La « Silver Economie » met en fait en avant le « bien-être » des aînés pour mieux cacher son objectif de créer un immense marché de consommation autour du bien-être. Alors que pour nous, une très grande partie des besoins et des problématiques identifiées dans le cadre de la « Silver Economie » devront trouver une solution en dehors de la sphère marchande, par la valorisation et le développement du secteur nonmarchand et des services publics. Nous considérons que les avancées technologiques doivent être régulées pour contribuer à une amélioration des prestations d’aide et des services à domicile, ainsi qu’à une meilleure qualité de vie du bénéficiaire. À nouveau, la marchandisation/privatisation/libéralisation est à l’œuvre ici et s’oppose à un droit fondamental à vivre dignement à domicile malgré sa perte d’autonomie. Il est impératif de s’y opposer et de donner les moyens suffisants et la priorité absolue en la matière aux services publics et au secteur privé subventionné (secteur non marchand). Si on ne le fait pas, la recherche du profit maximum des entreprises privées empêchera de développer des services et des aides de qualité à un prix accessible pour tous. 45 Un meilleur financement de la Sécurité sociale • En imposant un moratoire sur les réductions de cotisations sociales patronale. • En instaurant une contribution prélevée sur les capitaux pour financer la sécurité sociale. Cette contribution implique la suppression de tout reliquat du secret bancaire et l’établissement d’un cadastre sur le patrimoine des citoyens et des entreprises. • En assurant un financement alternatif des soins de santé qui couvre intégralement les besoins de la population en soins de santé, afin de garantir l’accès de toutes et tous à des soins de santé de qualité. Le maintien des soins de santé dans la Sécurité sociale A l’opposé de notre revendication pour le maintien des soins de santé dans la sécurité sociale, la ministre fédérale de la Santé (en affaires courantes), Maggie De Block, propose un nouveau modèle pour la sécurité sociale : le modèle « Cappuccino ». Ce modèle, auquel les P&Pp du CEPAG et la FGTB wallonne s’opposent catégoriquement, est composé de plusieurs couches : 1. « La première couche : la « tasse de café » serait le niveau d’une assurance de base à laquelle toutes les citoyennes et tous les citoyens auraient droit. Il comprendrait le revenu d’intégration, l’assurance maladie et les allocations familiales. À terme, ceux-ci seraient entièrement retirés du système de sécurité sociale et financés par le budget général de l’État. 2. Comme pour un cappuccino, au-dessus de cette assurance de base, viendrait s’ajouter : le « café expresso ». Il s’agirait d’une couche d’assurance à laquelle seules les personnes qui ont travaillé auraient droit. Elle comprendrait : les allocations de chômage limitées dans le temps, l’incapacité de travail, les pensions et un budget formation pour permettre aux travailleurs de suivre une formation de deux ans pendant leur carrière. 3. Par-dessus, viendrait encore s’ajouter : la « mousse de lait », soit une couche d’assurances complémentaires collectives comme les pensions complémentaires par capitalisation. 4. Enfin, les assurances individuelles constitueraient la dernière couche : le « cacao ». Comme l’assurance maladie ne serait plus financée par les cotisations de sécurité sociale mais par le budget général, une marge pourrait, selon la ministre De Block, être dégagée pour diminuer encore plus ces cotisations sociales et faire baisser les cotisations sociales patronales de 25 % à 20 % ! Un modèle que les Pensionnés et prépensionnés du CEPAG et de la FGTB wallonne rejettent. Un renforcement de la concertation sociale au sein de l’INAMI Et ce, afin d’obliger le gouvernement fédéral à tenir compte des avis émis au sein de des différents organes de gestion de l’INAMI : Comité de l’assurance, Conseil général de l’assurance soins de santé… (Re)faire du droit à la santé 4 un droit fondamental ! 46 Concernant le budget de l’INAMI • Restaurer une « norme de croissance » du budget de l’assurance maladie invalidité suffisante pour tenir compte de l’évolution naturelle des besoins en matière de santé publique. Cette norme de croissance ne doit pas servir à financer les dérives de la marchandisation de la santé. Cette norme de croissance avait été instaurée pour répondre à l’évolution naturelle des besoins en matière de santé publique. Diminuer cette norme de croissance revient évidemment à ajuster continuellement vers le bas le budget global de l’INAMI au détriment des besoins de la population en matière de santé publique. D’ici 2024, l’écart entre l’objectif de croissance légale (la « norme de croissance ») de 1,5 % pour l’assurance soins de santé et l’évolution des besoins en soins de santé sera de 2 milliards d’euros ! • Annuler les économies budgétaires structurelles nettes imposées sous la législature du Gouvernement Michel et qui ont porté sur un total de 2,1 milliards d’euros (montant officiel de l’INAMI). Si on ne récupère pas ces 2,1 milliards d’euros (sur un budget « soins de santé » au sein de l’INAMI de 24,1 milliards d’euros), on peut tirer un trait sur toute politique de santé publique digne de ce nom ! Le budget de l’INAMI doit être fixé en fonction des besoins et des objectifs de santé publique et non en fonction des objectifs des économies à réaliser ! Pas de politique d’austérité quand il s’agit de notre santé ! A contrario, un réinvestissement important de l’INAMI est bien le point de départ si on veut maintenir un droit fondamental à la santé sur une base collective et contrecarrer la marchandisation de la santé. Les soins de santé et les soins de longue durée, y compris la prévention et les interventions précoces, doivent être considérés non pas comme un coût mais comme un investissement dont bénéficieront tous les groupes d’âge. • Le budget de l’INAMI doit être utilisé pour des traitements en soins de santé efficaces et qui ont une réelle plus-value médicale sur la santé des patients. Il faut en outre éviter toutes dépenses liées à la multiplication inutile des actes techniques et des analyses médicales qui coûtent très chères (prise de sang, radio, scanner, imagerie médicale…). Le budget de l’INAMI ne doit pas servir non plus à couvrir/justifier le prix exorbitant des traitements exigés par l’industrie des technologies médicales. Concernant le (dé)conventionnement des médecins La marchandisation de la santé que nous dénonçons va à l’encontre du « Serment d’Hippocrate ». Pour rappel, au cœur de la déontologie médicale, ce serment est traditionnellement prononcé par les jeunes médecins en début de carrière. Ce serment fixe comme un devoir pour les médecins/praticiens de soigner tout le monde, même les plus désargentés. Comme ce vœu pieux n’est désormais appliqué que par une partie du corps médical, pourquoi ne pas changer ce serment de telle sorte qu’il engage encore plus explicitement les médecins/praticiens ? La « Déclaration de Genève » — qui a été adoptée en septembre 1948 par la 2e Assemblée Générale de l’Association Médicale Mondiale à Genève et amendée plusieurs fois depuis — renforce la déontologie médicale. 47 Ce nouveau « Serment du médecin » (à la première personne du singulier) précise que : Je considérerai la santé et le bien-être de mon patient comme ma priorité ; Je respecterai l’autonomie et la dignité de mon patient ; Je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique, de genre, de nationalité, d’affiliation politique, de race, d’orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s’interposent entre mon devoir et mon patient ; J’exercerai ma profession avec conscience et dignité, dans le respect des bonnes pratiques médicales. Même si ce n’est qu’une partie du corps médical qui accepterait de prêter ce nouveau « Serment de Genève », on peut imaginer qu’aux niveaux médiatique, déontologique et moral cela exercerait une pression pour empêcher le déconventionnement des médecins et l’augmentation continuelle des suppléments d’honoraires. La meilleure façon de lutter contre le déconventionnement des médecins est de : • Supprimer les remboursements des prestations de soins de santé fixés par les conventions médicomutuellistes lorsque le médecin n’est pas conventionné. Dans ce cas-là on n’est donc plus remboursé par l’INAMI via les mutuelles. • Supprimer la possibilité pour les prestataires de soins d’être partiellement conventionnés. • Imposer un statut de salarié pour l’ensemble des médecins ainsi que pour les professions paramédicales et les métiers de soins à domicile. Le montant de leurs honoraires serait financé par l’INAMI, lequel ne serait pas toutefois considéré comme leur employeur. Dans un premier temps, avant la salarisation de tous les médecins, on peut revendiquer un processus avec comme étapes intermédiaires : • L’application du statut de salarié uniquement pour les médecins qui travaillent dans les hôpitaux, avec des honoraires professionnels standardisés pour éviter la concurrence entre les hôpitaux publics et privés et de donner la possibilité pour les uns de s’enrichir alors que d’autres ne seraient pas limité dans le montant de leurs honoraires. Le montant de leurs honoraires serait financé par l’INAMI, lequel ne serait pas toutefois considéré comme l’employeur. • On pourrait aussi envisager comme étape intermédiaire d’imposer l’obligation pour tous les médecins d’être conventionnés pendant une période — en début de carrière et/ou au cours de leur carrière. La durée de ce conventionnement obligatoire varierait en fonction du nombre des années d’études effectuées pour l’obtention des diplômes et du nombre total des médecins conventionnés et non conventionnés existant à un moment donné. Ce conventionnement obligatoire ne serait qu’un retour solidaire de la part des médecins qui ont tous bénéficié de l’argent de la collectivité pour le financement de leurs études universitaires. L’acceptation de cette obligation de conventionnement par les médecins serait une clause indispensable pour l’obtention du numéro INAMI. Cet engagement existe déjà pour les militaires dans le cadre des études de médecine à l’École Royale Militaire. Un médecin salarié pratique les tarifs conventionnés. Toutefois, actuellement cette règle est souvent contournée par le fait que des médecins salariés dans un hôpital ont souvent le droit de pratiquer en privé dans les mêmes locaux, avec le matériel, les aides des autres soignants, etc. en ristournant à l’hôpital une partie de leurs suppléments. Cela ne sera plus possible si on interdit les conventionnements partiels des médecins. En outre, actuellement un médecin conventionné peut toujours réclamer des suppléments d’honoraires si le patient se trouve dans une chambre individuelle. Cela ne devrait plus être permis ! La salarisation des médecins n’est efficace que si on finance tous les soins de santé au forfait et non plus à l’acte, y compris au niveau des hôpitaux. 48 Études de médecine et numérus clausus : Nous revendiquons la suppression du numérus clausus qui est imposé sous la forme d’un concours à la fin de la 1ère année d’études en médecine dans l’objectif de « planifier » (c’est-à-dire réduire) le nombre de médecins. Ce numérus clausus est évidemment absurde en regard de la pénurie des médecins généralistes en Belgique, et en particuliers dans les zones rurales. Suppléments d’honoraires pratiqués lors des hospitalisations dans une chambre individuelle • On ne peut concrètement s’y attaquer que si en contrepartie, on adapte le financement public des hôpitaux — via l’INAMI — à leurs besoins réels pour justement éviter le recours aux suppléments d’honoraires et aux ristournes d’une partie de ceux-ci par les médecins à l’hôpital où ils travaillent. • En outre, pour éviter le recours nécessaire aux assurances hospitalisations extralégales, il faut que l’assurance maladie invalidité (INAMI) instaurée au sein de la sécurité sociale encadre et couvre mieux les frais d’hospitalisation. • La loi coordonnée sur les hôpitaux du 10 juillet 2008 et le code de déontologie médicale doivent fixer une limite claire et très restrictive sur les suppléments d’honoraires autorisés. Et évidemment les accords nationaux médico-mutualistes où se négocient les suppléments d’honoraires devront en tenir compte. L’objectif poursuivi à terme est de ne plus payer de suppléments d’honoraires y compris en cas d’hospitalisation dans une chambre individuelle. « Réseautage » et à la réforme du paysage hospitalier Quelles que soient la forme et la délimitation territoriale des réseaux, notre revendication primordiale — que nous partageons avec la FGTB wallonne — est que la Wallonie ait toujours la possibilité de garantir l’accessibilité territoriale et financière des soins afin d’assurer tous les soins indispensables à sa population au sein de son territoire et d’éviter un report des coûts d’une telle réforme sur les patients. Nous estimons que le nombre restreint de 8 réseaux dévolus à la Wallonie ne permettra pas à celle-ci d’organiser les soins ni leur financement sur l’ensemble de son territoire de manière optimale et dans le respect de la libre association des hôpitaux. Cette réforme des hôpitaux nécessitera un développement des transports médicalisés urgents et non urgents avec : • Au niveau des coûts pour les usagers/patients : une plus grande transparence et lisibilité des factures, un coût accessible et uniformisé aux niveaux fédéral et wallon. • Nous nous opposons aussi à tout cadre juridique qui introduirait une iniquité entre les hôpitaux publics et privés associatifs et qui mettrait à mal le financement des hôpitaux publics. Médecine ambulatoire • Aider à l’instauration d’au moins une maison médicale au forfait dans chaque zone de santé de proximité. Et étendre les consultations et prestations des médecins qui s’y pratiquent aux spécialistes et aux prestations médicales qui coûtent le plus cher aux patients (dentisterie, implants…). Ce qui nécessite l’instauration d’un forfait intégré calculé en tenant compte des honoraires des spécialistes et un financement public conséquent de ces structures de soins via l’INAMI. Ce financement public alloué à chaque maison médicale doit refléter le mieux possible les besoins de soins des patients qui y sont traités. En outre, le financement au forfait doit être assoupli vis-à-vis de l’engagement des aides-soignant·e·s qui pourraient mieux se répartir le travail avec les infirmières et infirmiers pour les toilettes médicalisées (plaies, incontinences…). C’est l’INAMI, via les mutualités, qui paye les forfaits et non les patients. L’instauration de ce type de maisons médicales pluridisciplinaires avec forfait intégré est plus adaptée à la transition épidémiologique observée actuellement avec le vieillissement de la population et qui se traduit par une évolution vers moins de problèmes de santé aigus et vers plus de maladies chroniques et dégénératives. 49 De plus, d’après une étude de l’Agence InterMutualiste (AIM) de 2017 qui a comparé les coûts et la qualité des soins à l‘acte et au forfait, il s’avère que : • les coûts supportés par l’assurance-maladie sont identiques dans les deux systèmes ; • les résultats obtenus sur base de certains indicateurs de qualité sont meilleurs dans les centres forfaitaires ; par exemple : le taux de vaccination contre la grippe des personnes âgées et le dépistage des cancers de l’utérus et du sein chez les femmes y sont meilleurs ; les prescriptions d’antibiotiques y sont aussi plus mesurées et en meilleure adéquation avec les recommandations dans le choix de la molécule ; les versions les moins chères des médicaments sont également plus souvent prescrites et les diabétiques sont mieux suivis. En outre : • Les forfaits en maison médicale obligent les médecins à être tous complètement conventionnés ! • L’instauration de forfaits pour le financement des soins de santé en maison médicale finance également la formation continuée des travailleuses et travailleurs de ce secteur qui sont dans l’obligation de suivre ces formations pour obtenir/garder leur accréditation. La formation continuée est une des revendications importantes des travailleurs du secteur de la santé. Politique des médicaments • Ne plus négocier le prix des médicaments en secret, pays par pays, mais le faire de manière transparente au moins au niveau européen pour aboutir à une unification des prix. • Instaurer le modèle « Kiwi ». Un appel d’offre doit être lancé pour l’achat des médicaments afin de faire jouer la concurrence entre les firmes pharmaceutiques. • Imposer aux firmes pharmaceutiques une transparence totale quant aux coûts réels en recherche/ développement qu’ils ont investi pour créer leurs nouveaux médicaments avant de les acheter et d’en fixer le prix en pharmacie. C’est cette transparence que nous revendiquons et non, comme cela se pratique aujourd’hui, une fixation des prix via des enquêtes d’opinion axées sur ce que les populations et les États sont prêts à payer ! La plupart des grandes découvertes biomédicales sont basées sur des travaux en recherche fondamentale réalisés par des universités et des instituts de recherche subsidiés par les pouvoirs publics. C’est donc le contribuable qui finance les innovations menant au développement de nouveaux médicaments, dont les profits se trouvent privatisés. • Le coût du marketing des firmes pharmaceutiques ne doit pas être payé par l’INAMI. • On ne doit commercialiser que des médicaments réellement innovants, c’est-à-dire qui apportent une véritable plus-value pour la santé des patients et qui répondent donc à des besoins réels en matière de santé publique. Par exemple : il n’y a aucun médicament efficace pour guérir de la maladie d’Alzheimer alors que ceux qui sont sur le marché pour ces maladies coûtent très chers à l’INAMI et aux patients ! Par ailleurs, nous payons toujours plus pour de nouveaux médicaments « innovants » alors qu’ils ne sont pas nécessairement plus efficaces que ceux déjà sur le marché. • Généraliser l’utilisation des médicaments génériques. • C’est à la politique de santé publique d’un pays de fixer les règles pour prise en charge des maladies rares, et non à des opérations médiatiques « de solidarité » comme, par exemple, « CAP 48 ». Les pénuries de médicaments sont souvent la conséquence de la recherche du profit maximum des firmes pharmaceutiques qui privilégient la vente de médicaments dans les endroits où le prix qu’elles ont négocié sont plus plantureux… 50 Afin d’assurer une meilleure sécurité tarifaire des patients et lutter contre les inégalités et les discriminations sociales en matière de santé • Rembourser intégralement les consultations des médecins généralistes, dentistes et psychologues. Il s’agit d’une des revendications prioritaires de la FGTB wallonne et de Solidaris pour une société solidaire. • Concernant le Dossier Médical Global (DMG) : – À défaut d’obtenir la revendication ci-dessus, nous revendiquons le remboursement de l’ensemble des soins de santé (médicaux et paramédicaux) pour les patients ayant ouvert un Dossier Médical Global (DMG) auprès de leur médecin généraliste. – Nous revendiquons, avec Solidaris, une automatisation de l’octroi des droits d’un DMG pour les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) et pour certaines catégories d’affiliés (chômeurs de longue durée, isolés, invalides…) sans que ces derniers ne doivent faire une démarche auprès de leur mutualité. – L’ouverture d’un Dossier Médical Global (DMG) se fait actuellement quand le patient le demande à son médecin traitant. Nous demandons qu’à l’avenir les mutualités envoient une lettre aux patients affiliés chez elles pour leur proposer d’en ouvrir un pour eux, avec un formulaire pour réagir à cette proposition. Et si le patient ne renvoie pas ce formulaire et donc ne refuse pas cette proposition, les mutualités auraient le feu vert pour en ouvrir automatiquement un pour le patient en question. Cette semi-automaticité quant à l’attribution d’un DMG permettrait d’augmenter le pourcentage des bénéficiaires d’un DMG qui n’est actuellement que de 60 % en Wallonie ! – Le remboursement des consultations des spécialistes via le Dossier Médical Global (DMG), quand le médecin généraliste envoie son patient chez un spécialiste, devrait se faire à l’avenir non pas une seule fois par an et par spécialité, mais autant de fois que la santé du patient le nécessite. • Rendre obligatoire pour tous les dispensateurs de soins (médecin généraliste, dentiste, kinésithérapeute, logopède, etc.) l’application du régime du tiers payant à chaque patient — qu’il bénéficie ou pas de l’intervention majorée de l’assurance soins de santé (« statut BIM »), pour toutes les prestations de santé en ambulatoire, y compris quand le médecin généraliste se rend au domicile de son patient. Le régime du tiers payant permet une meilleure accessibilité aux soins de santé pour tous et ils bénéficient aux personnes qui sont dans une situation précaire et qui ont de faibles revenus. Le tiers payant est un mode de paiement par lequel le prestataire reçoit directement de l’organisme assureur l’intervention de l’Assurance Soins de Santé et Indemnités (ASSI). Seuls les tickets modérateurs éventuels sont directement perçus auprès du patient. • Mettre en œuvre une transparence sur les coûts des soins de santé et une réelle simplification administrative des procédures permettant d’avoir accès aux dispositifs existants comme les trajets de soins, les forfaits « maladies chroniques », les dispositifs de « maximum à facturer », « bim/omnio », Dossier Médical Global, Tiers-payant, etc. Un patient qui ne peut pas évaluer au départ ce que va lui coûter ses soins médicaux ne se soignera pas ! • Renforcer les politiques de prévention et de promotion de la santé envers les populations les plus précarisées ainsi que dans le cadre professionnel. Pour rappel : la Loi sur le bien-être au travail du 4 août 1996 implique que l’employeur assure la sécurité et la santé des travailleurs. Cette loi butte toujours aujourd’hui sur les conséquences de la précarité des conditions de travail sur la santé des travailleurs. Cette précarisation du travail, qui n’arrête pas de s’étendre, a comme conséquence de concentrer les risques physiques et psychosociaux sur les catégories de travailleurs qui sont le moins en situation de pouvoir mettre en œuvre des stratégies de défense collective. La précarisation des conditions de travail n’affecte pas seulement la santé des travailleurs qui la subissent, elle affaiblit aussi leur capacité de lutter pour de meilleures conditions de travail. En outre, celles et ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés ne disposent pas d’un Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT), pourtant le principal outil dans une entreprise pour se défendre contre la précarisation des conditions de travail… • Simplifier le système d’accès aux soins et l’étendre aux personnes qui sont en dehors du cadre de l’assurance soins de santé. Il s’agit des demandeurs de l’aide médicale urgente auprès d’un CPAS et des demandeurs d’asiles qui résident dans un logement privé ou qui sont hébergés grâce à une initiative locale d’accueil. Le coût de ces mesures d’équité, estimé approximativement à 100 millions d’euros, doit être compensé par des moyens généraux supplémentaires. Les « moyens généraux » sont ceux issus des impôts au niveau fédéral et des entités fédérés selon le niveau de compétence de la matière et des dossiers concernés. 51 Maisons de repos et aux hôpitaux Une amélioration des normes d’encadrement en personnel de soins. Il n’est pas normal qu’une personne âgée incontinente reste longtemps dans ses langes souillés avant qu’elle ne soit changée et il n’est pas normal non plus qu’un·e seul·e infirmier.ère ne soit en fonction et disponible pour 35 lits dans toute une aile post-opératoire la nuit pour assurer tous les soins et faire face à tous les problèmes pouvant survenir auprès de malades qui viennent d’être opérés. Maisons de repos et aux résidences-services Nous revendiquons avec la FGTB wallonne de : • Mettre en place d’un cahier des charges pour les maisons de repos reprenant des critères d’agrément relatifs à l’accessibilité financière (avec un meilleur contrôle des prix hors indexation), à la qualité des conditions de travail, à la qualité de la prise en charge des personnes âgées et à la limitation de distribution des dividendes. • Fixer le « premier prix » d’hébergement d’une maison de repos et son augmentation ultérieure sur base de critères objectifs. • Inclure obligatoirement dans le prix de base pour l’hébergement en maison de repos tous les frais indispensables à la vie quotidienne en société. Cela afin de limiter au maximum les frais supplémentaires d’hébergement. • Établir une facture transparente et standardisée pour le résident reprenant l’ensemble du coût d’hébergement et des frais supplémentaires. Cette facture doit être transmise électroniquement aux mutualités. • Imposer une publication claire et standardisée des prix en maisons de repos, largement accessible au public sur le site des mutualités et des administrations compétentes ainsi qu’un cadastre des prix des résidences services. • Appliquer une décision prise par le gouvernement wallon de la législature précédente de programmer l’ouverture de 1.130 unités par an, à savoir 11.907 nouveaux lits en maison de repos à l’horizon 2030, en préconisant une mixité des prises en charge. Sans cela, on ne le fait pas, l’offre de places disponibles en maisons de repos sera encore plus insuffisante à l’avenir pour répondre aux besoins d’hébergement de nos aînés dans un contexte de vieillissement de la population. • Ne pas accepter de développer encore plus le secteur privé commercial via la création de « pseudos » partenariats public/privé qui permettraient à des grands groupes immobiliers et financiers de construire ou de racheter encore plus de maisons de repos en en espérant de grands profits. Le refus de la commercialisation du secteur des maisons de repos implique que des moyens devront être trouvés pour le développement des infrastructures dans les secteurs public et associatif. • Poursuivre une politique d’hébergement alternative à la maison de repos avec le développement de résidences-services sociales, de lits de courts séjours, et de centres d’accueil de jour/de soirée/de nuit, des centres de soins de jour, des maisons communautaires et des habitats groupés. • Refuser le développement des « structures d’hébergement collectif de personnes en difficulté prolongée », plus couramment appelées « maisons pirates ». • Lutter efficacement contre toutes les formes de maltraitance que peuvent subir les personnes âgées. • Laisser la liberté de choix du bénéficiaire entre le maintien à domicile et l’entrée en maison de repos doit être préservée, même pour les personnes qui n’ont pas de perte d’autonomie. Sans cela, seules les personnes âgées en grande perte d’autonomie auront accès aux maisons de repos, lesquelles se transformeraient en véritable mouroir. 52 Perte d’autonomie des personnes âgées et à l’accompagnement à domicile • Augmenter le budget pour le développement des services d’aide à domicile. – Ce qui implique la formation et l’engagement d’aide-ménagères sociales, d’aide-familiales et des gardes à domicile avec une révision des barèmes en vigueur au sein des services agréés d’aide aux familles eu aux aînés (SAFA). – Attention : le coût pour les patients — qui est fonction de leur revenu — doit rester abordable. Est-il normal que pour une pension de 1.600 € brut par mois, un patient doit débourser 450 € par mois pour les prestations d’une aide-familiale d’une heure le matin et d’une heure le soir ? – Si on ne le fait pas, cela aura pour conséquence d’augmenter le travail au noir et de donner beaucoup trop d’importances aux « aidants proches » au détriment de métiers et de professionnels formés pour répondre aux besoins d’une population âgée en perte d’autonomie. En outre, des services d’aides à domicile non agréés pourraient aussi se développer si l’offre est insuffisante par rapport à la demande. Des entreprises commerciales comme « Happytal » le font déjà … • Quelle que soit la politique que mènera la Région wallonne et le dispositif qu’elle mettra en place pour mieux couvrir la perte d’autonomie des personnes âgées : – Il est important, et nous le soulignons la FGTB wallonne, de préserver la mission sociale des services d’aide aux familles et aux aînés (SAFA) ainsi que le rôle social et éducatif de l’aide familiale. Les SAFA apportent en effet un soutien et un encadrement à des adultes ou des familles en difficulté, à des personnes âgées, handicapées ou malades dans leur vie quotidienne, ainsi qu’à leurs aidants proches. Ils n’accompagnent donc pas uniquement des personnes en perte d’autonomie : ils apportent aussi leur soutien à des familles et à des adultes en difficulté sociale qui peuvent, dans certains services, représenter jusqu’à 46,8 % des heures prestées. C’est pourquoi l’aide familiale doit préserver son rôle éducatif et social, à côté de sa mission sanitaire. Notons qu’une majorité des SAFA relevant du pilier chrétien a déjà dédicacé l’aide familiale à un rôle exclusivement sanitaire, en lui faisant effectuer pour l’essentiel des toilettes d’hygiène, en raison d’un meilleur financement obtenu pour ce type d’acte s’il est posé par une aide familiale plutôt que par un infirmier à domicile (financé par le Fédéral). Cela est aussi la conséquence de la marchandisation des soins et nous sommes évidemment contre une telle évolution concernant le rôle des aide-familiales. – D’avoir des garanties financières doivent donc être fournies quant aux budgets réservés aux missions sociales et éducatives des SAFA. – En outre le financement de ces mesures et la mise en place d’un nouveau dispositif pour mieux couvrir la perte d’autonomie des personnes âgées en Wallonie ne doit pas être financée, comme le précise la FGTB wallonne, par une cotisation forfaitaire à charge de la population, car cela correspond à une taxe déguisée. Si la Région wallonne cherche un financement complémentaire pour mieux couvrir la perte d’autonomie, ce financement devrait plutôt se faire via la quote-part régionale de l’impôt des personnes physique (IPP). L’autonomie fiscale introduite par la nouvelle loi spéciale de financement à la suite de la 6e réforme de l’État le permet ! Ce mécanisme tient de facto compte du revenu des intéressés et apporterait un financement complémentaire suffisant aux SAFA. • Augmenter les aides matérielles et techniques individuelles pour l’aménagement du domicile. Si on ne le fait pas et si les besoins en aides matérielles et techniques nécessaires au maintien à domicile d’une population âgée en perte d’autonomie ne sont pas couverts, d’autres de la sphère privée commerciale se chargeront de le faire dans le cadre de la « Silver Economie », avec évidemment comme objectif un profit maximum ! Actuellement, on ne peut bénéficier des aides matérielles individuelles pour l’aménagement du domicile que si on a été reconnu auparavant comme handicapé avant 65 ans par l’AViQ. C’est évidemment absurde. Cette discrimination doit disparaître. • Augmenter les plafonds de revenus en dessous desquels on a droit à recevoir l’aide aux personnes âgées en perte d’autonomie (APA). Ces plafonds au 1er août 2022 de 15.693,99 € pour les cohabitants et les isolés et de 19.610,98 € pour les ménages. Comme nous revendiquons une pension minimum pour tous les pensionnés à 1.500 € net par mois, nous estimons que les plafonds de revenu de l’APA doivent être alignés sur ce montant pour les cohabitants et les isolés. Ce qui donne un plafond de revenu par an pour l’APA de 1.500 € X 12 = 18.000 € (au lieu de 15.693,99 € pour les cohabitants et les isolés). Nous revendiquons en outre une individualisation des droits de l’APA de telle sorte que pour un ménage chacun des membres doivent pouvoir avoir le même plafond de revenu de 19.610,98 € comme référence pour l’attribution ou non de l’APA. 53 Si on ne le fait pas, un grand nombre de personnes âgées qui pourraient bénéficier de l’APA, du fait de leur perte d’autonomie, ne pourront pas en réalité la recevoir car leurs revenus sont au-dessus des plafonds pour l’attribution de l’APA. En 2021, il y avait en Wallonie seulement 36.842 bénéficiaires de l’APA alors que 79.431 personnes âgées sont reconnues comme pouvant bénéficier d’une APA mais qui ne l’avaient pas reçue car leurs revenus étaient trop au-delà des plafonds d’attribution de l’époque. Une étude doit également être faite pour évaluer si ce que reçoivent les 5 catégories de personnes âgées bénéficiant de l’APA suffisent à assumer leurs frais en matière de perte d’autonomie. Toutes ces revendications ne peuvent être financées que si on augmente le budget consacré à l’APA qui est en 2022 de 139.946.000 millions d’euros en Wallonie. L’APA est actuellement accessible à partir de 65 ans. Nous sommes contre le relèvement de l’âge permettant d’y avoir droit ! Nous demandons également que les délais pour l’attribution de l’APA soient de maximum 4 mois partout en Wallonie. Pour rappel : dans le passé ce délai avait été porté par la Charte de l’assuré social à 6 mois à cause des procédures administratives et médicales qui étaient très longues à l’époque. Mais comme entretemps la diffusion des informations médicales entre les institutions et les professionnels de la santé est devenu beaucoup plus rapide grâce à e-health, rien ne justifie un délai de plus de 4 mois pour l’attribution de l’APA. Par rapport à l’effet de seuil Pour éviter aux personnes paupérisées de perdre ou diminuer trop rapidement les avantages des tarifs sociaux ou des aides sociales quand leurs revenus dépassent les montants de références et des plafonds donnant accès aux différents tarifs sociaux et aux interventions majorées de l’assurance soins de santé ainsi que les barèmes fiscaux, nous revendiquons une adaptation des plafonds et montants de référence à l’augmentation des revenus et/ou pensions et des barèmes fiscaux pour éviter l’effet de seuil. Si on ne le fait pas, une petite augmentation des pensions pour les personnes les plus paupérisées par exemple peut avoir pour conséquence de dépasser les montants de référence ou des plafonds en question et faire perdre ou diminuer l’avantage des tarifs sociaux ou des aides sociales en question et, en parallèle, augmenter le montant de ses impôts ! ». Afin de rendre les investissements en infrastructures hospitalières et en maisons de repos compatibles aux normes comptables européennes et d’éviter la requalification de leur financement public dans le périmètre de la dette wallonne, le Gouvernement wallon a opté dans les deux cas pour un nouveau mécanisme de financement des infrastructures via une facturation reprise de façon séparée dans le prix global d’hébergement des patients hospitalisés ou hébergés en maisons de repos. Il a été convenu que ce nouveau mécanisme de financement, qui n’est rien d’autre qu’un jeu d’écriture comptable, ne devait pas entraîner un coût supplémentaire aux patients hospitalisés et aux personnes âgées hébergées en maison de repos. Nous tenons à le rappeler ! 54 Le Réseau européen contre la commercialisation de la santé et de la protection sociale Sarah MELSENS, coordinatrice & Quentin ORBAN, membre de la Coordination belge du Réseau Droit à la santé et influence des politiques de l’Union Européenne Le 2 avril 2019, le réseau européen contre la commercialisation et la privatisation de la santé et de la protection sociale organisait une grande manifestation suivie d’une conférence dans le parlement européen. Parmi les intervenants, Sabina Stan, chercheuse à l’université de Dublin, nous présentait les résultats d’une étude évaluant les orientations politiques des « prescriptions de soin de santé » émises par l’UE à l’attention de 4 États membres (Allemagne, Italie, Irlande, Roumanie). L’orientation est claire : « Alors que la prescription la plus répandue pour les quatre pays a été l’invitation quelque peu vague à ‘accroître la rentabilité des soins de santé’, cette prescription a été directement liée à une série d’autres prescriptions qui vont assez explicitement dans le sens d’une réduction des dépenses publiques de santé et/ou de la marchandisation de l’allocation de ces ressources ». Le constat est d’autant plus grave que ces prescriptions servaient, d’une part, de conditionnalités au plan de financement UE-FMI de 2009 (indispensable aux pays frappés par la crise), et que d’autre part leur non-respect pouvait engendrer, dès 2011, des sanctions financières de la part de la commission. Outre l’orthodoxie budgétaire, on pourrait également citer au moins deux autres mécanismes problématiques : • L’adoption du système européen des comptes 2010 (SEC 2010), qui imposent de nouvelles règles comptables. Celles-ci interdisent désormais aux administrations publiques (hôpitaux inclus) d’étaler le remboursement d’un emprunt dans le temps. 100 % du capital emprunté (par exemple pour construire une maison de repos), doit être directement comptabilisé en dépenses, l’année de l’investissement. Ceci plombe les finances des administrations et les empêche de réaliser de nouveaux investissements (CEPAG, 2016). • Les traités de libre échange comme le CETA qui donnent le droit aux multinationales (big pharma, groupes de maisons de repos, etc.) d’attaquer en justice un État qui prendrait une décision contraire à ses intérêts. Austérité, règle comptable (SEC 2010) et libre échange forment ainsi le triptyque européen sur lequel repose la commercialisation de la santé. L’austérité détruit les services publics et non marchands, les règles comptables empêchent les investissements publics, pendant que le libre échangisme et la libre concurrence protègent les opérateurs commerciaux… Dans ce contexte, la plateforme action santé et solidarité [ www.sante-solidarite.be ] a contribué à l’unification de syndicats, mutuelles, ONGs, mouvements citoyens et associations de différents pays sous la bannière de notre actuel réseau européen [ http://europe-health-network.net/?lang=fr ]. En vue des élections de mai 2019, le réseau a lancé sa campagne « Our health is not for sale » qui vise à solliciter l’adhésion des eurodéputés (et candidats aux européennes) à notre déclaration de principe (cf. ci-après). Au 1er juillet 2019, nous avions 70 signataires dont 20 eurodéputés de plusieurs nationalités. Forts de nos soutiens au sein du parlement, nous continuerons cette campagne en sélectionnant un des six engagements de notre déclaration, afin de focaliser la pression politique sur ce dernier. La parole aux organisations qui disent 5 NON à la marchandisation de la santé 55 Déclaration de principe du « Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale » 1. Pour notre santé : assurer un financement suffisant pour les services de santé publics et non marchands des États membres, garantissant un système de protection sociale solidaire, public et universel offrant des services accessibles, de qualité ; 2. Pour notre santé : protéger la population contre les dérives commerciales, car la santé et la protection sociale sont des biens communs et ne sont pas à vendre ; 3. Pour notre santé : garantir une accessibilité financière, géographique, temporelle, culturelle à la santé pour toutes les populations, sans restriction d’aucune sorte, en tenant compte des réalités locales ; 4. Pour notre santé : stimuler la démocratie sanitaire en impliquant la société civile, les travailleurs et les bénéficiaires, dans la définition des objectifs et moyens des politiques de santé ; 5. Pour notre santé : améliorer la santé en attaquant les causes profondes tels que les déterminants sociaux, environnementaux, écologiques et du genre de santé ; 6. Pour notre santé : orienter une politique des médicaments au service de la population et non des multinationales pharmaceutiques. 56 Le « Gang des Vieux en colère » Michel HUISMAN & Mireille FRANCQ-HERMANUS Le mouvement citoyen « Gang des Vieux en Colère » est un mouvement indépendant, non partisan et trans-partisan, qui est né début janvier 2017 et qui regroupe en décembre 2019 plus de 10.500 membres et sympathisants (principalement en Wallonie et Bruxelles). C’est un mouvement altruiste qui se bat pour que les générations futures puissent vieillir dans la dignité en ayant un accès décent à la santé et un montant de pension de retraite minimum garanti, égal pour toutes les femmes comme pour tous les hommes. Ce mouvement s’est déjà illustré dans plusieurs actions originales, spectaculaires et non violentes comme : • la remise, en fanfare, d’une lettre ouverte à Charles Michel au 16 rue de la Loi, • l’enterrement de la sécurité sociale avec pleureurs et pleureuses, fleurs, couronnes, cercueil et corbillard, devant le Parlement européen. • l’occupation de l’Appel Store avec des « pack-man » géants de ballons-euros et la transformation d’un McDonald’s en Maison de Repos avec jeux de Bingo, tricots et « clowns soignants » (avec Flash mob Fiscal Justice), etc. Le « GANG » a aussi marqué sa solidarité avec les derniers « fronts communs syndicaux » et « La Santé en Lutte » et adhère aux travaux du CEPAG, qui sont essentiels et complémentaires par le sérieux de ses analyses et de ses dossiers comme le prouve encore ce dernier dossier dédicacé à la « SANTÉ » auquel le « GANG » est honoré de pouvoir y apporter sa petite contribution. Constat « Santé » du mouvement citoyen « Gang des Vieux en Colère » Rappelons que l’âgisme engendre un mépris dont les plus vieux sont les victimes de la part d’une partie grandissante de la population, encouragée par la vision négative qu’en donnent certaines instances privées comme parfois publiques. Tout faire pour permettre à chacun de recevoir soins de santé et assistance à domicile doit être une priorité sociale et politique. Le « Gang des Vieux en Colère » s’alarme de multiples témoignages de maltraitance envers nos aînés placés en service gériatrique, Maison de Repos ou Maisons de Repos et de Soins, visant surtout les plus désorientés. Les techniques de « Lean Management » (cf. supra) conduisent trop souvent à une maltraitance physique et mentale en milieux gériatriques. Si dans certains établissements (qui ont pour mission d’assister nos parents les plus handicapés par le poids des ans) il y est fait état d’excellents services rendus à la personne par le personnel soignant, dans d’autres établissements, une maltraitance apparentée à de la torture, imposée par un « New Public Management » (cf. supra), y est trop souvent constatée : actes médicaux et infirmiers dévastateurs (administration de neuroleptiques à haute dose, contrainte des langes entraînant l’incontinence…), destruction systématiques des prothèses (lunettes, dentiers, appareils auditifs), négligence, humiliations, grossièretés, brutalités, isolement, contention physique et chimique, absence d’hygiène, alimentation carentielle, refus de traiter douleurs et maladies résultant de la maltraitance se rencontrent dans de nombreux établissements à travers le pays. Ces institutions en défaut sont souvent les mêmes qui pratiquent l’opacité vis-à-vis des proches, tout en investissant massivement dans une propagande clientéliste relayée par les organes supposés informer le public. Résultat du sous-effectif flagrant de personnel soignant autant que bien trop souvent de la non-qualification des aides-soignants, cette situation est presque toujours liée à la marchandisation de la fin de vie. Le « Gang des Vieux en Colère » refuse qu’au XXIème siècle, une quelconque forme de maltraitance apparentée à de la torture soit appliquée aux vieilles femmes comme aux vieux hommes parce que considérés hors service par un management néolibéral ! Recommandations du « Gang des Vieux en Colère »sur les Maisons de Repos et Maisons de Repos et de Soins PRÉAMBULE Les maisons de repos et de soin apportent, à l’heure actuelle, une solution à ceux et celles qui ne sont plus capables de vivre de manière autonome à leur domicile. Le concept de la famille dans nos sociétés occidentales ne comprend pas, comme d’autres cultures, les Vieilles et les Vieux sous le même toit et souvent ce sont ces mêmes aînés âgés qui ne se voient pas dans cette situation, tenant avant tout à leur indépendance. Ces personnes font donc ce difficile choix par obligation étant livrées à elles-mêmes parce qu’elles ne veulent pas être une charge pour leur(s) enfant(s), soit ce sont les proches qui ne peuvent plus assurer le bien-être de leurs aînés ou encore contraints et forcés doivent abandonner la charge d’un malade atteint d’Alzheimer, pudiquement taxé de « désorienté ». 57 Peu font ce choix par conviction ! Entrer en maison de repos ou de soins, c’est renoncer à sa liberté, son autonomie, à ses goûts, ses plaisirs, la gestion de ses finances, à son intimité en échange d’une prise en charge totale alliant le logement, le couvert, les soins de santé, l’hygiène et surtout la sécurité. Outre le prix de ces renoncements, l’aspect financier est un lourd tribut au budget du résident ou à défaut des enfants, le prix des maisons de repos étant dans la majorité des cas bien au-delà du montant de la pension du résident ! Les CPAS se substituent financièrement aux résidents n’étant pas en capacité de couvrir le prix des maisons de repos, pour payer le solde moyennant la main mise sur tous leurs biens immobiliers et mobiliers. Les CPAS se réservent le droit de récupérer les sommes investies auprès des enfants. Le prix des maisons de repos est un savant calcul entre le prix de revient et les subsides alloués par les régions ou l’état fédéral ! Le déficit des maisons de repos publiques est à charge des communes sur le territoire desquelles elles se situent. Pour toutes ces raisons précitées, nous souhaitons que l’accès à une MR ou MRS soit plafonné à : (calculé en janvier 2019) 1.600 € net lié au bien-être. « Minimum pension-décente universel ». Entrer en maison de repos ou/et de soins est un aller sans retour, la seule perspective étant malheureusement la mort ! L’objectif du présent document est de rendre cette dernière demeure la plus agréable possible et d’en faire un lieu de vie ! CHACUN·E CHEZ SOI Il est un vœu pieux que nous formulons tous et toutes : vivre ses dernières années en autonomie à son domicile ! Ce souhait est tout bénéfice tant pour la personne elle-même qui ne doit pas faire face à un déracinement physique et moral en se coupant de tout son vécu que pour les finances de l’État. Toutes les études montrent en effet que le coût du maintien des personnes âgées à domicile est bien moindre pour la société que l’entrée dans une maison de repos ! LES PROPOSITIONS1 Le « Gang des Vieux en Colère » s’est attelé à faire des propositions réalistes et concrètes qui peuvent être mise en place assez rapidement et assez facilement. Il a pu recueillir des témoignages mettant en exergue des problèmes, une certaine forme de maltraitance, qui dans certains cas émanent du personnel, ou de la famille, mais qui, dans la majorité des cas ressemblent bien plus à une maltraitance institutionnelle engendrée par des directives managériales néolibérales. Les MR et MRS sont un microcosme de la société, où se côtoient le bien et le mal. Et c’est aux politiques à mettre en place un filet de sécurité qui tende à éloigner le mal. Le « Gang des Vieux en Colère » est optimiste et pense que tout est perfectible ! Propositions pour un maintien des Vieilles et des Vieux à domicile : 1. Mettre en place au niveau de toutes les communes un service de « Vigilance des Seniors » avec numéro de téléphone vert. L’objectif étant de déceler les besoins des personnes âgées. 2. Mettre en place annuellement un rendez-vous au domicile sur base du registre national par le service de vigilance des séniors. Cette visite au domicile permet de déterminer les travaux à effectuer dans le logement pour y maintenir la personne à domicile, les besoins d’aide-ménagère ou familiale, le besoin de bénéficier de repas à domicile, de chèque taxi, de toute aide administrative ou de visites pour casser la solitude, etc. 3. Créer dans chaque commune, à l’instar de ce qui existe déjà dans certaines communes, un service de dépannage et de petits travaux (y compris informatique) dans le cadre d’un projet communal social avec des personnes engagées sous contrat article 60 auquel les seniors pourront faire appel en fonction de leurs revenus. 4. Informer bi-annuellement la population concernée des services dont elle peut disposer en mettant en place un système efficace et performant (médias, flyers, affichage, email, réseaux sociaux, visite à domicile…) 5. Élargir l’aide financière pour perte d’autonomie au niveau fédéral 1. Les propositions et revendications ci-dessous sont parfois redondantes, mais plus souvent complémentaires de celles décrites supra et infra. 58 Propositions pour un projet de vie dans les Maisons de repos (MR) et les Maisons de repos et de soins (MRS) tant publiques que privées : • Organisation – Commencer par libérer le personnel soignant des tâches administratives avant d’augmenter les normes INAMI. – Mettre en place au niveau régional un « Délégué aux droits des seniors » (= Ombudsman) pour contrôler les maisons de repos et de soins, et gérer les plaintes y afférentes. – Rendre obligatoire l’engagement d’un/d’une psychologue indépendant·e et extérieur·e par home à la fois au service des résidents mais aussi du personnel. – Mettre en place une commission de vigilance présidée par le psychologue et composée de représentants des familles, des résidents, du personnel soignant, des kinésithérapeutes, de l’ombudsman pour lutter contre la maltraitance – Sauvegarder l’intimité des couples et aussi des couples en formation. (Pas de caméra dans les chambres). Maintenir les couples dans la même chambre même si l’un ou l’autre occupe des lits dédicacés différemment (l’un·e en MR, l’autre en MRS). – Considérer les résidents comme des personnes à part entière et leur offrir un choix d’activités et d’animations en rapport avec leur intellect en cessant de les infantiliser. • Soins – Plutôt recourir au psychologue (supra) qu’aux antidépresseurs, somnifères, neuroleptiques et autres médications. – Consacrer au minimum une demi-heure à la toilette des résidents qui ne sont plus aptes à la faire euxmêmes en tenant compte de leur dignité (habillement approprié, coiffeur, changement de couches non limité à un arbitraire financier, etc.). • Animation – Rendre obligatoire un budget alloué à l’animation permettant des activités et des sorties culturelles : sorties au restaurant, voyage annuel à la mer ou dans les Ardennes, des animations sur place concert, danses, jeux, bibliothèque, cinéma, théâtre, informatique en considérant les résidents comme des personnes à part entière et leur offrir un choix d’activités et d’animations en rapport avec leur intellect en cessant de les infantiliser. – Engager un·e animateur·ice TP (temps plein) par MR et MRS. – Acheter un bus ou bénéficier du bus communal ou de la STIB/TEC / De Lijn pour les activités (supra). – Associer les résidents qui le souhaitent à la vie du home : par exemple à l’entretien du jardin, du potager, du poulailler éventuel, à la cuisine, à la réparation des vêtements, aux petites réparations, aux travaux administratifs, à des courses, à l’entretien des animaux domestiques (promenades), etc. Attention les couvrir par une assurance ! • Repas – Horaire des repas à faire coïncider avec la vie sociale : 8h – 9h30 petit déjeuner / 12h30-14h repas de midi / 16h collation et café / 18h-19h repas du soir. – Relever la qualité des repas, de préférence cuisine sur place avec produits locaux et réunion des résidents pour élaborer avec la diététicienne et le cuisinier le menu de la semaine. – Autoriser le vin et la bière aux repas. – Accompagner les résidents qui ne sont plus capables de manger seul au moins pendant une demi-heure par repas. • Briser l’isolement – Instaurer un parrainage des nouveaux résidents pour qu’ils soient mieux intégrés. – Assurer au moins une visite par semaine aux résidents qui le souhaitent (organisations laïque, religieuse, bénévolat, écoles). – Passer dans les chambres de ceux qui sont alités tous les jours avec des livres, journaux, magazines dans le cadre de bénévolat, bibliothécaires communaux, article 60, etc. – Instaurer des relations intergénérationnelles avec les écoles et les crèches du territoire de la commune. – Accepter dans une certaine mesure les animaux domestiques des résidents ou en visite. 59 Proposition concernant exclusivement les homes privés Le Privé investit dans la construction et la gestion des maisons de repos car sa rentabilité est « garantie » par le bénéfice de subsides Il est donc important de contrôler les bénéfices de ces structures ! Une juste rentabilité est acceptable car tout service mérite salaire mais le profit ne doit pas se substituer au bien être des résidents ! Il est inconcevable que des restrictions sur la nourriture, la qualité des soins, l’animation, le personnel… renforcent le bénéfice du privé ! Il est important de contractualiser leur la gestion des homes privés par la signature d’un plan financier plafonnant leur bénéfice pour assurer financièrement les services à rendre aux résidents. Cette contractualisation doit se réaliser dans le cadre de l’obtention de subsides déjà en vigueur. L’obtention de subsides doit être assujettie à un contrôle annuel des comptes qui impose (en décembre 2019) : • Les rémunérations2 directes et/ou indirectes des dirigeants limitées à 130 000 €/an. • Les mandats ou jetons de présence des administrateurs limités à 50 000 €/an. • Le résultat de l’exercice ne pourra jamais être distribué aux actionnaires ou propriétaires à plus de 5 % des sommes investies (le bénéfice sera donc plafonné !). LE NERF DE LA GUERRE : LES FINANCES Il est clair que la majorité des propositions ci-dessus implique une augmentation des budgets santé, que cette augmentation soit intégrée ou non au prix des MR/MRS ne change rien au fait que cette charge supplémentaire grèvera les budgets des communes, des régions et/ou de l’État ! La question sera où trouver les budgets supplémentaires… Faire de la politique c’est d’abord faire des choix budgétaires. Juguler toute forme d’évasion fiscale, d’optimisation fiscale et de fraude fiscale est une piste. Mais, si le secteur des retraités grève les budgets c’est d’abord un grand pourvoyeur d’emplois dont les titulaires participent à la vie économique (supra), en un mot réinvestissent leurs rémunérations dans l’économie et paient des impôts (supra). Par ailleurs voici quelques pistes réalisables à très court terme : • Élargir la prime pour perte d’autonomie bénéficierait au budget des homes. • Diminuer la médication allégerait le budget des soins de santé et pourrait être réinvesti dans l’engagement de psychologues. • Les activités culturelles pour Vieux pourraient faire partie de la contractualisation de l’obtention de subsides par les théâtres, les musées, les concerts, les maisons de la culture, etc. • Dans le cadre du cours de citoyenneté, les étudiants pourraient s’engager sur base volontaire à faire un certain nombre d’heures de bénévolat dans les homes pour les visites, l’aide pour manger, passer dans les chambres avec le café, les livres, les magazines, etc. • Pourquoi ne pas créer un « service national » où toute une génération de jeunes s’engagerait sur base volontaire pour œuvrer dans les Maisons de Repos. Avantage énorme pour les jeunes, apprendre les réalités du temps et de la vie, la solidarité et la citoyenneté, etc. • Les logements partagés entre Vieux ou entre Vieux et étudiants devraient être encouragés et défiscalisés. • Un pourcentage des gains de la loterie devrait être annuellement sanctuarisé, pour être réinvesti impérativement pour le bien être des résidents. • Les communes pourraient sensibiliser les écoles sur leur territoire aux activités avec les homes, offrir un accès gratuit aux bibliothèques, aux maisons de la culture, aux piscines, etc. Les écoles communales devraient être « couplées » avec les homes et des activités communes organisées. • Un pourcentage des budgets communaux devrait être sanctuarisé et affecté au bien être des résidents en fonction du pourcentage senior de la population locale. 2. Nous entendons par rémunérations le brut par an augmenté des avantages sociaux (voiture, restaurants, téléphone, gsm, smartphone, tablette, loyer d’un bureau à la maison, etc.). 60 En ce qui concerne la SANTÉ, le « Gang des Vieux En Colère » revendique : • La création d’un « Délégué aux Droits des Vieux » (Ombudsman), chargé du contrôle MR et des MRS tant publiques que privées, de la gestion des plaintes y afférentes et de lutter contre toute forme d’abus commercial des Vieux. • Libérer le personnel soignant des tâches administratives et relever les normes de l’INAMI en terme d’effectifs (numériques minimaux en personnel) dans les MR et MRS. • L’instauration de critères qualitatifs obligatoires en MR et MRS (propreté, hygiène, soins, alimentation, sécurité, animation, bien-être). • La valorisation des métiers de soignant en milieu gériatrique et un enseignement des métiers de soignants en gériatrie, qui inculque des réelles connaissances (hygiène, nutrition, troubles neurologiques) liées à l’âge. En ce qui concerne la SANTÉ, le « Gang des Vieux En Colère » refuse : • Tous mauvais traitements infligés aux Vieilles et Vieux dépendants quel que soit le secteur gériatrique. • Toute discrimination (soins, remboursements de médicament, prothèses) en fonction de l’âge. • Toute exploitation commerciale abusive de l’état de « VIEUX » en milieux gériatriques. 61 « Pourquoi j’adhère à la démarche du CEPAG qui veut définir, de manière constructive et collaborative, une série de revendications en matière de soins de santé » Un témoignage de Michel ROLAND, médecin généraliste à la Maison médicale « Santé Plurielle » de St Gilles jusqu’en 2013 et ancien Président de Médecins du Monde « Parce que j’ai retrouvé dans les premiers textes produits une convergence avec d’autres initiatives prises récemment par d’autres structures dans la même matière, et auxquelles j’ai eu la possibilité de collaborer étroitement. Cette convergence ne s’est pas faite par hasard, elle résulte de constats identiques sur l’évolution de notre système de santé vers une diminution de son efficience et de son accessibilité. Ce système, formalisé concrètement après la 2e guerre mondiale sur base d’idées généreuses antérieures mais mises en avant à ce moment, est reconnu partout comme étant de grande qualité malgré ses limites, essentiellement parce qu’il repose sur les valeurs fondamentales d’égalité, d’équité, de solidarité et d’accessibilité. Les évolutions récentes mettent à mal ces valeurs fondatrices, entraînant des analyses alternatives et des propositions réalistes garantissant a contrario la pérennité d’une véritable sécurité sociale. La première de ces initiatives à laquelle je pense est le Livre Blanc, publié conjointement par Médecins du Monde et l’INAMI à l’occasion du 50e anniversaire de celui-ci (donc en 2014), après la production d’un Livre Vert, ensemble de constats édifiants sur l’accès aux soins.5 grands axes prioritaires ont été mis en évidence, avec, à l’issue d’un travail collaboratif en tables rondes, l’identification et la proposition pour chacun d’eux d’une série de solutions réalistes possibles : 1. Simplifier le système d’accès aux soins et le rendre plus inclusif pour les personnes en dehors du cadre de l’assurance soins de santé, avec une approche phasée par groupe cible (détenus et internés, demandeurs de l’aide médicale urgente auprès d’un CPAS et demandeurs d’asile qui résident dans un logement privé (ou dans une Initiative Locale d’Accueil), personnes sans domicile fixe, etc. 2. Généraliser le tiers-payant pour les patients avec le statut « malade chronique » et pour ceux qui bénéficient de l’intervention majorée, en priorité pour les prestations de médecine générale et de dentisterie, à terme pour les prestations des autres secteurs ambulatoires. 3. Investir dans la prévention et la promotion de la santé : principalement chez les femmes et les jeunes enfants selon une approche globale et non morcelée, notamment en renforçant le travail en réseau entre les différents acteurs. 4. Mettre en place dans chaque grande ville une ligne de soins intermédiaire, appelée « ligne 0,5 composée d’un ensemble de services et structures multidisciplinaires, offrant des soins de santé primaire (y compris la santé sexuelle et reproductive) destinée aux populations vulnérables (sans-abris, primo-arrivants, travailleurs du sexe, usagers de drogue, etc.), avec pour objectif à terme de réintégrer ces patients dans la 1ère ligne traditionnelle. 5. Créer de nouveaux métiers dans le secteur ambulatoire (p. ex. médiateurs interculturels, experts du vécu) en vue d’améliorer l’information et la compréhension du patient. Ces recommandations sont en quelque sorte des mesures « d’urgence » réalisables à court terme. La PASS Plateforme d’Action Santé Solidarité (une initiative de représentants de syndicats, de mutualités, divers réseaux et associations, des ONG et des représentants d’universités, issus de toutes les régions du pays) va un stade plus loin en proposant début 2019 une véritable réforme en profondeur de notre système de santé, dont les principaux axes sont les suivants : 1. Une approche globale de la santé 2. Une protection sociale solidaire et équitable 3. Répondre aux besoins selon un système de santé structuré 4. Les patients, acteurs de leur santé et du système de santé 5. Prendre soin des professionnels de santé 6. Un financement efficace des soins et du système 7. Europe et santé Ces axes et les propositions qui y sont présentées recoupent en toute cohérence celles auxquelles le groupe de travail du CEPAG est arrivé, témoignant par-là de leur solidité et de la logique qui les sous-tend, mais aussi de l’urgence qu’il y a à les mettre en place au risque de voir disparaître notre système de santé dans la marchandisation et les dynamiques libérales qui progressent aujourd’hui à toute vitesse et qu’il convient d’arrêter au plus vite. 62 Déclaration de Solidaris dans le cadre des travaux de la Commission wallonne des Pensionnés et des Prépensionnés sur la marchandisation de la santé Ermelinde MALCOTTE, chargée d’études et de projet – Espace Seniors Solidaris souhaite inscrire les réflexions à propos de la marchandisation de la santé dans le cadre de la dynamique plus générale de la destruction de l’État social. L’État social repose sur trois piliers fondamentaux : des services publics forts développés selon une logique d’intérêt général, une sécurité sociale basée sur l’assurance et la solidarité et le droit du travail qui protège les travailleurs contre l’arbitraire des employeurs. Ces trois piliers reposent à leur tour sur trois politiques : une politique de régulation dite keynésienne (maîtrise de la monnaie, de l’investissement, objectif de plein emploi, etc.), une politique de redistribution des richesses par le biais des cotisations sociales et de l’impôt progressif et une enfin une politique de concertation sociale et de gestion paritaire. Ce faisant, l’État social démarchandise des pans entiers de l’économie, nécessaires à l’émancipation de l’individu. C’est ainsi 42 % du PIB qui est soustrait à la logique lucrative, dont 8 % pour l’éducation, 6 % pour les autres services publics, 10 % pour la santé, 12 % pour les pensions, et 5 % pour les aides sociales (chiffres de 2016). Or, nous assistons à un processus de remarchandisation, notamment dans le domaine de la santé, tel que décrit dans ce document. Nous souhaitons insister sur le fait que cette marchandisation ne signifie pas une baisse des dépenses en santé — il suffit à ce titre de rappeler le coût exorbitant du système privatisé des ÉtatsUnis — mais l’accaparement privé des ressources allouées à la santé. L’offensive néo-libérale, dont nous constatons les effets actuellement, a commencé avant la crise de 2008. Elle affecte à la fois la dynamique politique de l’État social et ses trois piliers. Les politiques keynésiennes de régulation et de stabilisation ont laissé le pas à la dérégulation, ce qui favorise la financiarisation. La fiscalité sur le capital et les hauts revenus a fortement baissé. Les cotisations sociales payées par les employeurs ont été réduites, soi-disant pour favoriser la création d’emploi. Enfin, nous assistons depuis quelques temps à une destruction des mécanismes de concertation sociale. Ensuite, l’offensive néo-libérale fragilise les trois piliers de l’État social, par des plans de privatisation des services publics, par la limitation du droit du travail, et par l’imposition d’une logique purement budgétaire à la sécurité sociale. Cela transforme profondément le sens de la sécurité sociale qui n’est plus la garante de la solidarité mais devient une simple technique d’assurance conçue comme une couverture individuelle des risques. Il devient alors aisé de la transférer au privé. Solidaris fait les propositions suivantes en réponse à la marchandisation des soins de santé : 1. fonder le budget de l’assurance en soins de santé sur les besoins réels et non sur les objectifs de croissance économique ; 2. relancer les accords et les conventions entre organismes assureurs et prestataires de soin ; 3. reprogrammer l’ensemble des lignes de soin en fonction des besoins de la population : redéfinition du concept d’hôpital, prise en charge globale et multidisciplinaire, accessibilité du système de soins ; 4. enfin, Solidaris insiste sur la lutte contre les inégalités sociales comme point d’ancrage d’une refondation de la sécurité sociale. 63 Fédération francophone des maisons médicales Pierre DRIELSMA, Médecin généraliste, Maison médicale « Bautista van Schowen » à Seraing Nous soutenons avec enthousiasme le très important travail de la Commission wallonne des pensionnés et prépensionnés. Pourquoi ? Tout d’abord, le fait que d’anciens militants syndicaux ou autres se mobilisent sur la question de la sécurité sociale et en particulier les soins de santé nous parait très important. En effet, ils ont connu les trente glorieuses et ils assistent, médusés, au dé-tricotage assidu des conquêtes sociales des années ‘30 et de l’immédiat aprèsguerre. Eux-mêmes, ils n’ont plus grand chose à perdre, mais ils souhaitent porter leur pierre dans le combat pour le maintien et la poursuite d’une société équitable3 dont devraient bénéficier leurs successeurs. Cette initiative tombe à pic après les graves mésaventures que nous avons connues dans le secteur des soins de santé. La ministre, en fonction pour quelque temps encore, s’est lancée à corps perdu dans des réformes tous azimuts. Certaines idées étaient louables mais mal ficelées, comme des amorces de virage ambulatoire malencontreusement confiée à des services hospitaliers ; les réseaux hospitaliers devraient également réaliser des économies intelligentes. Malheureusement en province de Liège, par exemple, on se retrouvera avec un clivage en deux réseaux pseudo-philosophiques dont les patients n’auront rien à faire. Au contraire, les patients, comme la première ligne n’endossent pas ce conflit périmé. Ils éprouveront de grandes difficultés à naviguer dans un dispositif mis en place à l’insu de leur plein gré… Dans sa loi qualité, notre ministre et ex-généraliste a poussé le bouchon jusqu’à exiger que tous les généralistes participent à la permanence des soins (pourquoi pas ?) mais sans imposer la même contrainte aux spécialistes (pourquoi ?). Quand on sait qu’on manque de généralistes et qu’il y a pléthore de nombreuses spécialités… cherchez l’erreur… Le sabotage de l’extension des pratiques forfaitaires et la lenteur à appliquer le projet d’arrêté royal limitant l’accès du forfait aux charognards ont freiné un processus rationnel de réformes des soins de santé en Belgique. Enfin et peut être surtout, l’immense complaisance vis-à-vis de Big Pharma qui a conduit à des dépassements de budget du médicament sans commune mesure avec les faiblesses passées vis-à-vis de ce secteur. Tous les compartiments des soins de santé ont été mis à la diète sauf les actionnaires de firmes privées qui distribuent des profits sans commune mesure avec l’utilité sociale et le coût réel de leurs activités. Tout cela démontre encore s’il en était besoin que la privatisation, la marchandisation dans les soins de santé contribue à l’appauvrissement de la grande majorité de nos concitoyens et l’enrichissement de quelques happy few (rares veinards). Nous sommes heureux de compter comme alliés les pensionnés de la FGTB qui n’oublient rien des luttes passées et qui engagent déjà les combats à venir. Tous les observateurs avisés admettent que le système actuel court à sa perte. Depuis 1973, le capitalisme survit de crise en crise en faisant de plus en plus de casse sur son passage4 . Nous pouvons parler de capitalisme destructeur tel un bulldozer qui dévale la pente d’une montagne de monnaie de singe. Il ne faut pas se leurrer, le combat pour des soins de santé de qualité et accessibles passe par une transformation sociale en profondeur qui doit redonner à la population la maitrise de son sort. Pour ce qui nous concerne, l’enjeu européen est essentiel. Si l’Europe poursuit dans l’erreur et qu’elle persévère dans la défense et illustration de positions libérales meurtrières, il sera alors préférable qu’elle explose en vol. Si elle met enfin la question sociale en premier point de son agenda, il sera possible de donner ce petit cap d’Eurasie en exemple aux peuples du monde. 3. L’équité c’est le respect du principe suivant : de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. C’est-à-dire chacun travaille au bien commun selon ses capacités et chacun reçoit en fonction de ses besoins réels. 4. Les Chinois ont amélioré leur sort, mais ils connaissent déjà les joies des délocalisations vers les paradis salariaux avoisinant. 64 Croisons les doigts… Concernant la réforme des soins de santé, le cœur du changement repose sur le virage ambulatoire organisé autour d’équipes pluridisciplinaires intégrées qui regrouperont sous le même toit l’essentiel des professions de première ligne. Le payement à la capitation représentera la part du lion du financement car il sécurise le moyen/long terme, parce qu’il place le patient au centre du dispositif5 , favorise la prévention et le suivi longitudinal, donc le suivi des maladies chroniques. Depuis 1984, les pratiques forfaitaires existantes ont démontré la plus-value qu’elle représente dans le système de santé belge Cette réforme ne sera ni facile ni rapide à être mise en œuvre, car pour investir sérieusement dans la première ligne, il faudra réduire la voilure hospitalière et spécialisée ce qui nécessitera des mesures transitoires coûteuses pour ne laisser personne sur le carreau. Bon vent au CEPAG et à la FGTB Wallonne et à tous les acteurs du (bon) changement social…. 5. Un patient mécontent quitte le centre et emmène le financement avec lui. 65 Médecine pour le Peuple Liza LEBRUN, Coordinatrice MPLP Marcinelle L’historique de Médecine pour le Peuple Médecine pour le Peuple est une initiative créée en 1971 dans la suite des mouvements de mai 68 par des jeunes médecins engagés qui veulent se mettre au service des travailleurs. Vu leurs idées, ils décident dès le départ de pratiquer la médecine gratuite, en ne demandant comme honoraire que le montant remboursé par la mutuelle. Ils vivent au sein des populations qu’ils soignent et avec un salaire d’ouvrier. Leur conception du « docteur-camarade » diffère radicalement de la position, à l’époque dominante, qui protège le statut et les revenus des riches docteurs. C’est à Hoboken, une commune d’Anvers, que se développe la première maison médicale de Médecine pour le Peuple, elle sera rapidement suivie par les maisons médicales de Zelzate, Genk, Lommel, Deurne, Herstal, Seraing, Marcinelle, La Louvière, Schaerbeek et enfin Molenbeek. La vision de Médecine pour le Peuple Être en bonne santé est un droit fondamental. Dans une situation de pauvreté, de pollution environnementale, d’exploitation et de guerre, ce droit est menacé. Les facteurs sociaux, politiques, économiques et environnementaux influencent l’état de la santé. Autrement dit : si nous n’abordons pas les causes sociales de la maladie, nous ne pouvons pas réaliser réellement le droit à la santé pour tous. Lutter pour de meilleures conditions de travail, pour un meilleur logement, pour des soins de santé accessibles… tout cela fait partie de l’ensemble des tâches du travail pour la santé. MPLP ne veut pas seulement combattre les symptômes de la maladie, mais aussi ses causes sociales. Les gens à statut socio-économique plus précaire courent davantage de risques de problèmes de santé, ils sont malades plus longtemps et meurent prématurément. Par exemple : habiter dans un logement insalubre ou travailler dans de mauvaises conditions rend malade. La flexibilisation croissante du marché de l’emploi, la menace de licenciement ou de chômage, le travail intérimaire, le relèvement de l’âge de la pension… tous ces facteurs provoquent une augmentation du stress, du burn-out et d’autres problèmes de santé. Cette inégalité dans la santé n’est pas une calamité inévitable à laquelle nous devons nous résoudre. Elle est surtout la conséquence de la violation des droits d’un groupe de plus en plus important de personnes. La sécurité sociale en Belgique a été mise sur pied grâce à la lutte de la classe ouvrière pour de meilleures conditions de vie. Elle doit être défendue contre la politique néolibérale actuelle qui, en diminuant systématiquement les cotisations patronales, érode la sécurité sociale. C’est une partie intégrante de la lutte pour la défense du droit à la santé. La médecine au forfait Nous défendons la gratuité des soins de santé pour tous les travailleurs. Nos maisons médicales veulent être représentatives du quartier dans lequel elles sont implantées : patients au travail et patients sans travail, personnes âgées et plus jeunes, patients qui ont des racines ailleurs et en Belgique, etc. Nous cherchons à créer une mixité et à permettre les rencontres dans nos activités, quelles qu’elles soient. Sans argent chez mon généraliste, c’est un principe que nous mettons en pratique jour après jour pour nos 25 000 patients depuis près de 50 ans. Les patients ne doivent pas payer pour leurs soins, quelle que soit la fréquence à laquelle ils en ont besoin. Pour cela, nous travaillons selon le « système de paiement forfaitaire ». Pour chaque patient inscrit, la maison médicale reçoit un montant fixe par mois que ce soit pour les soins généralistes et pour les soins infirmiers. Ce système favorise une approche préventive et multidisciplinaire en plus de l’aspect curatif. Seul l’élément médical intervient dans la décision de revoir un patient plusieurs fois. Nous ne devons pas nous soucier du coût que cela représente pour le patient. Les thérapeutes peuvent alors se concentrer entièrement sur la qualité des soins. Indirectement, ce montant fixe par mois et par patient est également une forme de solidarité : entre les patients qui viennent souvent, et ceux qui n’ont pratiquement jamais besoin de nous. Chacun est différent et la santé est un ensemble de facteurs physiques, psychiques et sociaux. Aussi, depuis longtemps, les maisons médicales de Médecine pour le Peuple ne sont plus de simples maisons médicales avec généralistes. Ces dernières années, nous avons évolué pour devenir des centres multidisciplinaires à part entière. Et nous en sommes fiers. MPLP s’engage à fond dans cette collaboration multidisciplinaire. De la sorte, nous voulons en premier lieu améliorer la qualité des soins. La complexité des maladies chez les patients nous 66 place devant un grand défi. Chaque discipline a un autre angle d’incidence pour examiner le patient et on comprend mieux ensemble qu’en s’y prenant tout seul. On le sait, le montant des pensions est beaucoup trop bas en Belgique. Une femme sur trois touche moins de 800 € de pension. Les maisons médicales au forfait sont donc une solution essentielle pour garantir le droit à la santé. Les pensionnés peuvent y avoir un suivi régulier, quels que soient leurs revenus. Ils y bénéficient d’une prise en charge multidisciplinaire qui offre un éventail d’approches différentes et donc une qualité médicale supérieure. Un exemple concret de la lutte contre la marchandisation des soins de santé : le modèle kiwi où comment démocratiser l’accès aux médicaments Notre assurance maladie dépense chaque année 4,5 milliards d’euros en médicaments. Il y a beaucoup trop de médicaments sur le marché, beaucoup trop de médicaments identiques, à des prix beaucoup trop élevés. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la première ligne a besoin de 300 médicaments de qualité sélectionnés avec minutie pour traiter 90 % des problèmes. En Belgique, on en compte plus de 10 000 sur le marché. La pression marketing des entreprises pharmaceutiques entraîne un recul de la qualité du comportement des prescripteurs. Les médicaments les plus prescrits sont surtout les plus récents et les plus chers, mais pas toujours les meilleurs. Le modèle kiwi offre une solution en vue de diminuer les prix exorbitants des médicaments et d’améliorer le comportement prescripteur des médecins. L’actuelle politique en matière de médicaments, qui est axée sur l’offre, serait alors remplacée par une politique axée sur les besoins, dans le cadre de laquelle les autorités choisissent d’abord les meilleurs produits (sur base de l’avis d’une équipe d’expert indépendants qui s’intéressent aussi bien à la qualité qu’aux besoins de la population) avant de laisser jouer le marché pour obtenir de fortes diminutions de prix. C’est comme ça que l’Omeprazole, un médicament contre l’acidité dans l’estomac, coûte 43 € en Belgique et 3 € dans un pays qui applique un modèle similaire au modèle kiwi. Un modèle appliqué avec succès depuis 1997 en Nouvelle-Zélande, le pays des kiwi. L’industrie pharmaceutique fait de la publicité ciblée auprès des médecins. Ils sont assaillis d’informations via toute sorte de techniques de marketing en vue d’influencer leur prescriptions. Ils ne sont évidemment pas informés de manière neutre et scientifique sur les effets des nouveaux médicaments. Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé a étudié la publicité à laquelle ils étaient soumis en 2007. Pendant un mois, la fiabilité scientifique de 450 annonces publicitaires envoyées aux médecins généralistes belges par l’industrie pharmaceutique a été contrôlée. Il en est ressorti que 83 % des messages de ces publicités n’étaient pas fondés scientifiquement, ou étaient même erronés. C’est un grave problème de santé publique. Les nouveaux médicaments ne devraient être remboursés que si des études indépendantes montrent qu’ils sont plus efficaces que le meilleur des médicaments existant jusque-là sur le marché. Ce n’est pourtant pas le cas aujourd’hui. 85 % des nouveaux médicaments sur le marché n’ont aucune valeur ajoutée. Ce qui explique la nécessité d’investir dans le marketing pour convaincre les médecins de préférer tel médicament plutôt que tel autre. Pour qu’un nouveau médicament ait accès au marché et soit remboursé, il suffit que deux études (n’importe lesquelles) montrent qu’il est plus efficace qu’un placebo. Même si les études sont sponsorisées par l’entreprise pharmaceutique qui produit ce médicament. Même s’il existe 10 autres études qui montrent que le médicament en question n’est pas efficace. Le modèle kiwi décourage la recherche sur les médicaments suiveurs et favorise la recherche sur des médicaments innovateurs. Une approche des médicaments basée sur le modèle kiwi est synonyme de politique rationnelle, efficace en termes de coûts et basée sur un processus en trois étapes, les autorités : • se basent sur une analyse scientifique des besoins • choisissent les meilleurs médicaments sur la base de critères et d’études scientifiques objectifs • font appel au pouvoir d’achat global de la communauté, via l’assurance-maladie, en vue d’obtenir le meilleur prix pour ces meilleurs médicaments. 67 Le contraste avec la politique menée aujourd’hui est saisissant : • La politique actuelle ne se fonde pas sur une analyse des besoins. Ainsi qu’il a été précisé ci-dessus, toute entreprise qui propose un médicament dont deux études cliniques randomisées et contrôlées peuvent prouver qu’il est sûr et qu’il est plus efficace qu’un placebo doit obtenir une autorisation de commercialisation. • On constate qu’un nombre considérable de nouveaux médicaments dont la valeur ajoutée ne peut être démontrée par rapport aux meilleurs médicaments du marché sont actuellement agréés et remboursés. Le modèle kiwi ne rembourse quant à lui que les produits dont la valeur ajoutée peut être prouvée • Les prix des médicaments — même génériques — sont aujourd’hui beaucoup trop élevés. Le choix est bien trop vaste et l’on constate que beaucoup trop de médicaments identiques font l’objet d’un remboursement. Aujourd’hui le marketing de la firme influence plus le comportement prescripteur que la réelle qualité du médicament. C’est pour cela que certains médecins ont tendance à prescrire trop vite et trop souvent les médicaments les plus récents et les plus chers, qui ne sont pas pour autant les meilleurs. Et on ne pas dire que ce soit la faut des médecins. D’un côté le gouvernement diminue (voir supprime) les subsides aux organisations indépendants qui analysent la qualité et l’apport des médicaments et établissent des recommandations d’usage. De l’autre les entreprises pharmaceutiques investissent des sommes toujours plus grandes dans le marketing et la communication autour de leurs nouveaux médicaments. Aujourd’hui si on veut une approche des médicaments qui permettent à chacun de se soigner et de vivre dans des conditions décentes, on doit imposer des normes contraignantes aux entreprises pharmaceutiques et développer un modèle qui protège les patients. 68 Réseau wallon de lutte contre la pauvreté Gaëlle PETERS, Animatrice politique en matière de réduction des inégalités et lutte contre la pauvreté L’accès aux droits à la santé et la réduction des inégalités Extraits tirés du document du RWLP : La prévention et la promotion de la santé, au cœur de la réduction des inégalités pour lutter contre la pauvreté, oui, mais à quelles conditions ? (Disponible sur demande au RWLP). INTRODUCTION Le groupe de travail permanent « santé » (GTS), comme d’autres groupes thématiques au sein du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), s’organise avec et à partir de personnes qui vivent ou ont vécu la précarité, la pauvreté, la pauvreté durable, nommés au sein du RWLP : les témoins du vécu/militant·e·s (TVM). Tous confirment que leur santé est fragilisée, tout au long de la vie, par des conditions de vie appauvries. Si les inégalités à l’origine de la pauvreté sont inacceptables dans tous les champs de la vie, elles sont particulièrement insupportables en matière de santé. 1. L’aspect fondamental du lien humain Pour le RWLP, la communication, la participation, l’accompagnement, la formation des professionnels sont des éléments à prendre en considération de façon urgente dans les politiques publiques en matière de santé depuis la promotion de la santé, en passant par la prévention jusqu’à l’organisation des soins. N’est-il pas du devoir de l’État d’humaniser ce qui doit encore l’être afin de permettre le lien humain et ainsi la réalisation des droits ? En effet, en plus de toutes les raisons ci-dessous qui expliquent l’importance du lien, à l’heure de l’informatisation, nous constatons que seul le maillon humain est efficace pour dépasser la fracture numérique. Il est question d’assurer la proximité des services avec des personnes disponibles pour créer ce lien, assurer une écoute et des réponses possibles. Il y a lieu de maintenir et de recréer de l’emploi dans le secteur de la santé et autour, notamment à ces fins. La communication : autrement renommée rencontre, échange, dialogue Les TVM invitent à mettre la communication sous des formes qui soient centrées sur la rencontre, l’échange, le dialogue, et surtout dénuées de tout propos culpabilisant. En effet si l’injustice des conditions de vie et la violence qu’est la pauvreté impactent négativement la santé, la communication ne peut en aucun cas renforcer cette injustice et cette violence. Les personnes doivent bénéficier de ces informations accessibles et compréhensibles dans la proximité dans les lieux de vie qui sont les leurs : « Il faut que la prévention arrive « près de chez soi » par exemple dans une association qu’on fréquente avec qui on peut échanger, chez le médecin, via l’aide familiale… »6 Si les inégalités d’accès à l’information sont notamment dues aux conditions de vie appauvries, il faut bien constater qu’elles sont également le résultat de la complexité des informations et de la rapidité des évolutions, de l’organisation des services et de leur diminution ou éloignement de l’environnement proche des personnes, ainsi que de la dématérialisation renforcée par la fracture numérique. Le RWLP insiste pour que l’informatisation et la dématérialisation soient entendues comme des opportunités pour redéployer du temps humain au profit des populations appauvries. La participation Partir des savoirs, des questionnements, des expériences de vie des personnes qui vivent dans le trop peu de tout, est indispensable. Il s’agit de pratiquer un processus ascendant, et de construire à partir du « parler actif » en rapport avec les préoccupations des personnes concernant le droit à la santé. Outre le bénéfice collectif qu’offrent la participation et la pratique de ce « parler actif », le renforcement du soi, la confiance en soi, l’émancipation, et l’appropriation d’informations en constituent des bénéfices secondaires essentiels. La participation s’inscrit dans le processus d’éducation permanente. Concernant la santé, comme pour tout autre droit fondamental, il ne suffit pas de permettre l’expression, d’informer et d’expliquer, mais bien d’offrir la possibilité aux personnes concernées de s’approprier la question du droit à la santé pour s’autoriser à influencer la décision politique en la matière, pour entrer en dialogue avec les champs professionnels en charge de l’organisation du droit à la santé, pour exercer sa citoyenneté critique et politique en la matière. 6. Extrait de témoignages de Témoins du vécu/militant·e·s. 69 Pour ces raisons, outre les lieux directement dévolus à accueillir les personnes confrontées à la maladie, aux soins, aux dépistages, le RWLP plaide pour un soutien aux associations qui pratiquent la participation et l’éducation permanente en rapport avec les champs de la promotion et de la prévention en matière de santé. Il s’agit de renforcer ces acteurs pour qu’ils puissent non seulement pratiquer cela avec la population dans leur association, mais également établir des partenariats pour intégrer la participation et le « parler actif » au service de l’éducation permanente dans les lieux de vie fréquentés par les populations précarisées, appauvries, en désaffiliation sociale, que ce soit des maisons de quartiers, maisons citoyennes, lieux de formation d’adultes, permanences syndicales ou autres, mais aussi dans les hôpitaux, lieux de consultations tels que l’ONE, institutions d’hébergement pour adultes, diverses associations d’éducation permanente et de lutte contre la pauvreté, etc. L’accompagnement Accompagner n’est pas assister, ni rendre dépendant, ni précéder, ni décider pour, ni imposer. Accompagner, c’est marcher avec, cheminer avec, prendre le rythme de la personne pour lui permettre de faire le pas de plus qui est possible et qui lui conviendra. Accompagner, c’est se mettre à la disposition pour le temps d’un bout de chemin, c’est être compagnon de route pour un temps, c’est un compagnonnage. L’accompagnement est un atout indispensable pour mieux se faire comprendre et dès lors être ouvert à comprendre d’autres, pour se sentir plus à l’aise dans une démarche. Les TVM accordent une grande importance à l’accompagnement bien compris, respectueusement pratiqué. Il rattache directement l’accompagnement à l’importance de la relation : « Le réinvestissement dans le relationnel est un des outils pour contrer la fracture numérique ». L’accompagnement, c’est aussi « allez avec », soutenir dans le dépassement de craintes et de blocages ensemble, faire le premier pas avec la sécurité de l’accompagnement. Ces premiers pas avec, vont régulièrement contribuer à lever des blocages préjudiciables. Certaines associations offrent d’accompagner des bénéficiaires dans leurs démarches. Pour autant que cela soit travaillé avec la personne, le RWLP encourage une telle démarche quand elle s’avère nécessaire : « J’ai attendu longtemps avant d’aller chez le dentiste, j’avais peur, c’est une travailleuse qui m’a finalement accompagnée et cela s’est bien passé »7 . Si l’accompagnement peut être assuré par des acteurs « externes » aux acteurs de la prise en charge de la santé, le personnel médical, de prévention ou de soin, doit également réaliser un travail pour être capable d’accueillir toute personne, quelle que soit sa réalité de vie, et peu importe le moment où celle-ci trouve l’énergie de se prendre en charge au niveau de la santé… L’ouverture, le non-jugement, l’accueil de la différence font partie intégrante d’un accompagnement professionnel bien compris par les soignants. Suivant l’accueil, le temps consacré et l’accompagnement qui seront assurés par le personnel médical, la porte vers la promotion et la prévention de la santé, ainsi que les soins, s’ouvrira ou se refermera, et ceci avec la personne concernée mais également pour la famille et parfois l’environnement amical. L’accompagnement est essentiel alors que la société d’aujourd’hui concède tout à la rapidité et au remplacement par la technologie. Le RWLP revendique qu’il est essentiel de consacrer du temps humain à l’humain, singulièrement en matière de santé. Le RWLP pense que le développement des métiers de proximité notamment en rapport avec la santé, et singulièrement concernant la promotion et la prévention de la santé, est essentiel. La formation des professionnels Organiser des modules de formation à destination des professionnels de la santé, tant les professionnels de la promotion, que de la prévention, et des soins pour appréhender les violences que sont la pauvreté, le fait de vivre en permanence dans le trop peu de tout, la désaffiliation sociale, est indispensable. Les conditions de vie dans la pauvreté rendent tout différent, plus complexe, plus compliqué, plus distant, plus dangereux, exacerbent les peurs, engagent à la méfiance et à la prudence, conduisent à développer des mécanismes de protection, font perdre confiance dans les autres, en soi, donnent parfois envie de passer inaperçu, de devenir invisible, etc. La formation des professionnels doit avoir pour objectif de mieux comprendre pour mieux décider et agir, pour adapter ses pratiques, pour analyser un contexte sans reporter la responsabilité des fonctionnements/ dysfonctionnements des dispositifs de santé sur la personne. La formation doit viser également à ce que les personnes concernées et les professionnels de la santé se rencontrent pour construire des réponses au service du plus grand nombre sur base d’un échange croisé entre les savoirs des populations concernées et les savoirs professionnels. La formation des professionnels doit permettre d’atteindre l’objectif de la réduction des inégalités en matière de santé, pour contribuer à éliminer la pauvreté et la désaffiliation sociale. 7. Extrait de témoignages de Témoins du vécu/militant·e·s. 70 La formation doit outiller les soignants pour qu’ils apprennent à expliquer le parcours de soins en s’assurant de la bonne compréhension de l’information. On constate un manque de compétences de certains soignants sur la façon dont ils communiquent avec les patients, un vocabulaire technique empêche parfois de comprendre : 8 « J’ai dû demander à mon médecin d’expliquer avec d’autres mots. Je me suis demandé s’il me parlait en français à cause de son jargon. » « En sortant de chez le médecin, il me dit qu’il faut prendre rendez-vous chez un pneumologue, je ne comprends pas l’importance ni chez qui me rendre, finalement, j’ai souffert d’une pneumonie. » « Si j’ai besoin d’un rendez-vous urgent, c’est mon médecin qui me suit depuis que je suis toute petite qui prend le rendez-vous. » « Dans la maison médicale où je vais, c’est le médecin ou l’infirmière qui fixent systématiquement les rendezvous dont j’ai besoin. » Le RWLP pense également, qu’outre la formation directement souhaitée à destination du personnel impliqué dans des fonctions en lien avec la promotion, la prévention et les soins en matière de santé, il est nécessaire également de former le personnel dirigeant au pilotage des institutions que sont notamment les hôpitaux. En effet, l’organisation institutionnelle d’un hôpital aura des répercussions non-négligeables sur l’organisation de l’accueil et de l’accompagnement des personnes et familles qui vivent dans le trop peu de tout. Ceci tant dans le rapport aux aspects financiers, mais aussi sociaux et médicaux. 2. L’organisation des soins Ne pas pouvoir se soigner est une réalité vécue massivement par les populations appauvries. De nombreuses personnes doivent reporter des soins dont elles ont pourtant besoin. « Une fois le budget d’un petit revenu plombé par le coût du logement, de l’énergie, des transports, c’est compliqué… » C’est donc une question de coût des soins inscrit dans le coût global de la vie mais aussi une question d’organisation des soins de santé. Voici les recommandations des TVM pour surmonter certains obstacles : Le coût des traitements • Elargir le tiers-payant obligatoire à toutes les disciplines médicales et ce compris en dentisterie. Le rendre applicable à toute la population. Il s’agit aussi de faciliter son application administrativement pour les praticiens afin de ne pas impacter sur la qualité des soins car tout effet pervers est à écarter structurellement. • La gratuité des médicaments dans certaines circonstances doit être envisagée, tenant compte de la réalité de vie de la personne et de ses besoins spécifiques. Nous pensons ici particulièrement aux personnes malades chroniques et aux personnes âgées à petits revenus. • L’automaticité du statut BIM pour tous les groupes concernés devrait être organisée. Cette automatisation changerait la réalité de nombreuses personnes en détresse financière et aurait un impact réel sur l’accès aux soins. La première ligne doit être renforcée • Il est important d’organiser dans chaque lieu de vie la diversité des réponses en matière de suivi médical pour garantir le choix du patient au plus proche de ses besoins, de sa réalité. Il s’agit de promouvoir le développement des maisons médicales et de garantir aussi la présence de cabinets de médecine générale dans tous les quartiers et en milieu rural. • La revalorisation du métier de généraliste mettrait en exergue la prise en compte globale du patient : ses soucis de santé, ses conditions de vie et les conséquences du soin sur son quotidien et inversement. L’humain comme chapeau du parcours de soins. • Les associations de première ligne du secteur santé et du secteur socio-culturel jouent un rôle primordial en amont pour le recours aux droits en matière de santé aussi notamment au travers de l’éducation permanente mais aussi en tant que lieu d’accueil de bas seuil dans l’environnement direct de la population. Une attention particulière pour les patients fragiles est nécessaire • La question administrative pour les patients vivant dans la rue, demande une souplesse des administrations, des services de santé. Une personne en rue n’a pas de bloc-notes pour noter un rendez-vous, elle subit souvent des pertes de ses papiers dont sa carte d’identité et n’a pas forcément la possibilité d’avoir une adresse de référence pour être en ordre de mutuelle. Il est donc indispensable de prendre en compte ces paramètres pour assurer ses droits sinon la santé lui est entièrement inaccessible. 8. Ibidem. 71 • La santé en prison devrait être au cœur des préoccupations : tant la santé mentale que physique. Cela démontrerait la considération que la société a vis-à-vis de personnes qui « réparent » et en principe « préparent leur réinsertion ». Il n’est pas normal de sortir de prison dans un état de santé nettement plus dégradé qu’en y entrant. Les pratiques dans les hôpitaux sont à évaluer Le rendement dans les structures hospitalières empêche de prendre le temps nécessaire avec les patients et épuisent les équipes. La rentabilité en tant qu’objectif prioritaire freine l’accès aux soins. Cela ne favorise pas le lien au patient et ce compris au moment d’examens préventifs qui est le moment où la confiance se met en place. Il faut y garantir le temps et la qualité de l’accompagnement du patient par les différents services et praticiens dès l’accueil. Les points centraux sont le respect et l’écoute des besoins des patients. Prévoir cet aspect dans la formation des soignants. La solidarité La santé nécessite de se donner les moyens. Sans la solidarité, on n’a pas les moyens. Sauver et financer solidement la sécurité sociale est un enjeu crucial. En matière de santé, l’adage cotiser selon ses moyens et bénéficier selon ses besoins est primordial. Informer sur les coûts et les droits dans les lieux de soins Il est utile de garantir une information claire dans des lieux stratégiques (salle d’attente de cabinets médicaux, d’hôpitaux, mutuelles…) : « C’est important de savoir si on a droit au tiers payant ou pas, si le médecin le pratique et dans quel cas est-ce obligatoire pour le médecin. Quand on sait combien cela coûte précisément, on se rend plus facilement chez le médecin ou du moins on peut mieux s’organiser. Chez les dentistes et orthodontistes, c’est difficile de savoir s’ils sont conventionnés ou pas. Quand on doit aller chez le spécialiste, cela crée un stress, une pression car on ne sait pas si on va pouvoir gérer la dépense. » ; « L’affichage des prix, c’est plus facile que de demander »9. Nous pensons qu’il serait judicieux d’afficher les tarifs à l’entrée et salles d’attente des cabinets, des hôpitaux, des pharmacies et de bien voir si le médecin est conventionné ou non. En complément, il serait aussi intéressant d’indiquer l’application du tiers payant et des autres possibilités de réduction des coûts (BIM notamment). En effet, les informations sur les coûts et remboursements à l’endroit de se faire aider et soigner renforcera l’accès à tous les soins y compris la prévention. L’aspect fondamental du lien humain décrit plus haut, doit être soutenu, renforcé, organisé, financé par les politiques publiques. Avec la même force, les politiques publiques doivent structurer et financer l’organisation des soins pour rendre effectif le droit à la santé pour toute la population. L’enjeu est de réussir à réduire le gap énorme qui existe entre l’accès à la santé pour les populations qui vivent dans le trop peu de tout et les autres. C’est à l’État de garantir les moyens à ces fins pour réduire les inégalités et rendre la santé accessible à tous les citoyens. C’est une question de santé publique. 9. Extrait de témoignages de Témoins du vécu/militant·e·s. E.R. : Vanessa Amboldi – rue de Namur 47, 5000 Beez / 2255 cepag.be M CEPAGasbl © 2022 • Avec le soutien de la
En savoir + Revendications complètes sur fgtb.be/8mars Lire l’Appel à la grève du 8 mars : Le 8 mars, la FGTB sera en GRÈVE. Contactez votre Centrale ou votre Régionale pour participer aux différentes actions. AVORTEMENT : DÉPÉNALISATION TOTALE INSCRITE DANS LA CONSTITUTION 1990 : Le droit à l’avortement est acquis. Mais… Le recours à l’avortement est toujours passible de sanctions pénales pour les médecins et les femmes qui ne respectent pas les règles. En Belgique, l’IVG1 est autorisée jusqu’à 12 semaines de grossesse. C’est trop court. Nous voulons que les femmes puissent avorter en toute légalité et en toute sécurité jusqu’à la 20ème semaine. Par ailleurs, on impose aux femmes un « temps de réflexion » de 6 jours avant de décider d’avorter ! Nous demandons la suppression de ce délai infantilisant. Les femmes disposent librement de leur corps et la décision d’avorter doit pleinement leur appartenir. SALAIRES ET TEMPS DE TRAVAIL : L’ÉGALITÉ, TOUT SIMPLEMENT 2012 : La loi sur l’écart salarial est votée ! 2023 : La directive européenne sur la transparence des salaires est adoptée. Mais l’écart salarial entre les femmes et les hommes est toujours de 21% en Belgique. Il est temps de mettre en œuvre des sanctions pour faire respecter la loi. Par ailleurs, la transparence totale des salaires et l’élimination de toutes les clauses de confidentialité est la première étape à franchir. Chaque heure supplémentaire doit être payée. Un réel partage équitable du travail passe par la réduction collective du temps de travail (32h/ semaine). Le salaire minimum doit être relevé pour atteindre progressivement 17€ bruts/h, soit 2800€ bruts/mois. Nous voulons aussi que le nombre minimum de jours de congés payés passe de 4 à 5 semaines. 1 Interruption volontaire de grossesse. É.R. : Fédérale, Thierry Bodson, rue Haute 42, 1000 Bruxelles 2024, ANNÉE ÉLECTORALE POUR QUE L’ÉGALITÉ AVANCE PARTOUT. 8 MARS-GRÈVE DES FEMMES Journée internationale de lutte pour les Droits des femmes. VICTOIRE VICTOIRE DEVENIR PARENT : ÉGALITÉ DES GENRES ET DES CONGÉS 2020 : 15 semaines complètes de repos de maternité. 2023 : Le congé de naissance pour le père ou le co-parent passe de 10 à 20 jours. Que l’on accouche, que l’on adopte, que l’on accueille, nous avons toutes et tous besoin de temps pour devenir parent. Il n’y a aucune raison que le congé pour le père ou le co-parent soit plus court que le congé de maternité : nous demandons 15 semaines pour tout le monde, ce qui devrait avoir un impact positif sur le partage des tâches au sein de la famille. Par ailleurs, une meilleure rémunération des congés parentaux inciterait davantage de parents (pères, mères, co-parents) à faire ce choix qui, aujourd’hui, est encore principalement posé par les femmes. Enfin, devenir mère ne doit pas être pénalisant financièrement. La FGTB revendique le paiement du salaire à 100% pendant le congé de maternité. PENSIONS : UNE RÉFORME QUI TIENT COMPTE DE LA CARRIÈRE DES FEMMES 2023 : augmentation de la pension minimum à 1500€ nets. Les femmes ont des carrières incomplètes, morcelées. La faute à qui ? À quoi ? À une répartition inégale des rôles dans la sphère privée mais aussi au fait que le marché du travail les cantonne encore dans des métiers moins bien rémunérés où le contrat à temps partiel est la norme. Elles occupent 80% des emplois à temps partiel. Alors, en attendant une réforme globale du temps de travail, la FGTB revendique que la réalité soit prise en compte dans le calcul de la pension en assimilant à du travail effectif, certaines périodes où elles n’ont pas pu travailler. SERVICES PUBLICS : ON EN VEUT PLUS ET PARTOUT ! Transports, logement, accueil de l’enfance, soins de santé, enseignement, énergie, technologie numérique, etc. Dans tous les domaines de la vie en société, les services publics sont un facteur d’égalité entre les genres, entre les personnes d’origines différentes, entre les classes sociales. La FGTB en fera toujours une priorité. Ils sont notre patrimoine commun et le meilleur rempart contre la pauvreté. Un refinancement et un développement des services publics est indispensable pour renforcer la cohésion sociale et réduire les inégalités. Les femmes, en première ligne du risque de pauvreté, sont parmi les publics qui ont le plus besoin des services publics de qualité. VIOLENCE FAITE AUX FEMMES : TOLÉRANCE ZÉRO 2023 : Grâce à nos luttes, la Belgique complète son arsenal législatif. La Convention 190 de l’OIT contre le harcèlement sur le lieu de travail et la Loi Stop Féminicide ont été signées l’an dernier. La Belgique avait déjà signé la Convention d’Istanbul en 2012. Les textes juridiques existent mais ne suffisent pas. Il faut les traduire dans les faits, en appliquant -ici aussi- des sanctions. Par ailleurs, la FGTB demande plus de moyens humains et financiers pour éradiquer les féminicides. La police et la justice doivent impérativement prendre à bras le corps ce fléau qui continue de tuer des femmes, parce qu’elles sont des femmes. EXTRÊME DROITE : PAS UNE SEULE VOIX ! Les partis d’extrême droite ont, de tout temps, œuvré contre l’émancipation des femmes. Les modèles familiaux traditionnels, avec des rôles dévolus aux hommes et aux femmes sont au cœur de leur projet de société. Le droit à l’avortement n’y a pas sa place. L’égalité entre les genres non plus. Toute les revendications qui précèdent sont aux antipodes de ces partis qui surfent sur les peurs, alimentent le repli sur soi et la haine de l’autre. Aux élections de juin 2024, faisons barrage à l’extrême droite. VICTOIRE VICTOIRE VICTOIRE
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Un jour dans l’histoire
La lutte des classes : l’expression popularisée par Karl Marx est-elle toujours d’actualité ?
12 sept. 2023 à 15:15 – mise à jour 13 sept. 2023 à 09:16
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Temps de lecture38 min
Nadine Wergifosse
La Première
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Àpartir de quand parle-t-on de classes sociales ? De quelle manière se sont-elles formées ? En quoi le genre et l’origine de celles et ceux qui les composent ont-ils influé ? Y a-t-il un âge d’or des classes sociales ? Un déclin ? Où en sommes-nous aujourd’hui ? Pour répondre à toutes ces questions, Etienne Penissat, sociologue au CNRS, était l’invité d’Un Jour dans l’Histoire sur La Première.
Dans son ouvrage Classe, Etienne Penissat propose une réflexion sur la classe sociale à l’heure actuelle. « Il me semblait important de faire ce retour historique parce que tout terme que l’on utilise garde des traces du passé […] C’est un mot qui fait conflit, qui va être un enjeu de lutte sur sa définition et sur ses usages et ces luttes symboliques ont des effets concrets et matériels sur la société. C’est un enjeu qui est toujours actuel » explique le sociologue.
La différence entre ordres et classes
Pour comprendre l’étymologie du terme de ‘classe sociale’, il faut remonter quelques siècles en arrière.
Selon Etienne Penissat, dans l’Ancien Régime, la notion d’ordres renvoie à une hiérarchisation des sociétés selon la dignité religieuse ou sociale : le clergé, la noblesse et le tiers état.
La notion de classe, quant à elle, est utilisée pour penser les divisions économiques et les dynamiques de la production des richesses dans les sociétés à cette époque-là. On associe ce terme à Karl Marx qui l’utilise en effet. Mais avant lui, au 18e siècle, d’autres intellectuels, dont les physiocrates, qui sont les précurseurs des économistes, utilisent déjà ce vocable. C’est le moment où on commence à utiliser la désignation de classe pour penser une même condition sociale qui est l’usage que l’on en fait aujourd’hui.
La société vue en termes de production de richesse se divise en trois classes :
La classe productive qui regroupe notamment les paysans
La classe des marchands et des industriels
La classe des propriétaires
Une réorganisation des classes après la Révolution française
Comme l’explique Etienne Penissat, après la Révolution française, la notion de classe est aussi associée à une réflexion historique : qui est le moteur du progrès dans une société ? Saint-Simon, philosophe, militaire et économiste, l’un des inspirateurs du socialisme, théorise en 1821 une société en trois classes en mélangeant :
La classe féodale : le clergé et la noblesse
La classe intermédiaire : les propriétaires oisifs
La classe industrielle : elle regroupe ceux qui sont producteurs et rassemble aussi bien les patrons que les ouvriers
« Entre 1814 et 1830, pendant la période de la Restauration, le mot classe devient un enjeu de luttes parmi les dominants. L’aristocratie cherche à restaurer son pouvoir […] Pour contrer ce mouvement, une partie de la bourgeoisie, notamment des penseurs libéraux, va essayer de légitimer leur rôle dans la production des richesses en tant que classe productive, industrielle et commerciale et aussi avec le rôle de stabilisateur dans les sociétés. Il y aura une définition qui émerge de la capacité et des fonctions et pas seulement de la richesse. Cette tension joue un rôle dans l’émergence de la classe moyenne » explique le chercheur.
Etienne Penissat souligne que depuis la Révolution française qui reconnaît des citoyens, les corporations sont interdites. Petit à petit, des associations ouvrières naissent et revendiquent l’utilité sociale des ouvriers. Elles coordonnent des grèves qui sont interdites et qui se multiplient entre 1830 et 1848 : « Les chefs d’entreprise réagissent à ces mouvements, s’associent en chambres syndicales. Le mot ‘patron’ se diffuse avec une notion morale venant de ‘pater’, qui est le chef de famille ».
Prolétaires de tous pays, unissez-vous !
Karl Marx n’est donc pas l’inventeur de la notion de classe sociale. Il a cependant contribué à souligner les discordances existant entre les patrons et les ouvriers et à porter ce vocable sur la scène politique.
« Pour Karl Marx, en 1860, lors de l’association internationale des travailleurs, la conscience d’appartenir à une classe est une donnée importante […] Il définit bien la classe comme un rapport d’antagonismes entre deux groupes qui ont des rôles différents dans la production : les capitalistes et les prolétaires. Il associe aussi l’idée que la classe s’ancre dans les formes de pensées et de l’action des individus […] C’est un concept qui sert à penser des formes d’action, de politisation, qui rendent possible l’organisation de ceux qu’ils nomment ‘les exploités’ qui peut devenir alors une force politique » raconte Etienne Penissat.
La phrase « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ! » est entendue lors de l’Internationale ouvrière de 1864. À partir de cet instant, des caisses de soutien se créent et aident financièrement les grévistes.
Misogynie de la classe ouvrière
« Lorsque se forment les classes sociales, la question de la place des femmes est centrale et la question des rôles sexués aussi. Dans la bourgeoisie, la femme aura le rôle d’entretenir l’espace privé de la maison. Lors de la création du mouvement socialiste, les femmes sont très actives et participent aux révolutions de 1830 et 1848. Elles sont mobilisées dans les grèves et en même temps, elles vont être marginalisées et leurs revendications minorées […] En 1866, le travail des femmes est critiqué et condamné » explique le sociologue, dont les recherches portent sur les inégalités et les catégorisations sociales en Europe.
© Getty Images
Un âge d’or des classes sociales ?
Pour Etienne Penissat, entre 1945 et 1960, les classes sociales, autour d’associations et de puissants syndicats, sont associées à la politique du pays : « Le taux de syndiqués est historiquement le plus élevé, les grèves sont nombreuses. Le Parti communiste, qui a la prétention de représenter la classe ouvrière politiquement, est le premier parti de France. L’État organise l’action publique autour d’un compromis de classes. En échange de l’effort de la classe ouvrière pour reconstruire le pays et développer l’industrie, on accorde des droits sociaux, une protection sociale, des services publics et une redistribution d’imposition importante […] Mais la rupture entre le monde ouvrier et les capitalistes reste intact ».
Mai 1968 et le déclin des classes
« Il y a avec Mai 68 une double face, avec d’un côté un moment fort du mouvement ouvrier qui traduit sa puissance sociale et politique. On a un mouvement étudiant, mais aussi des grèves, jusqu’à 10 millions de grévistes, qui mettent la France à l’arrêt. […] Ça se passe aussi dans d’autres pays, ce n’est pas que franco-français. En même temps émerge une critique de l’hégémonie des organisations du mouvement ouvrier par les intellectuels, les enseignants et les étudiants, les artistes, avec la question de la place des groupes dominés au sein des classes populaires que sont les femmes, les travailleurs immigrés » souligne le sociologue.
Dans les années 70, l’État et les sciences sociales disqualifient le langage des classes sociales et segmentent symboliquement les classes populaires : « On a des transformations du capitalisme, notamment la désindustrialisation qui viennent remettre en cause le groupe ouvrier […] L’État construit de nouvelles catégories. On va s’intéresser aux chômeurs et chômeuses, aux exclus, aux quartiers sensibles, aux jeunes de banlieues. On va mettre à l’index une partie des classes laborieuses : les assistés, les fraudeurs… […] Petit à petit, on va valoriser d’autres groupes sociaux, les cadres et les managers, ou les classes créatives » relève Etienne Penissat.
Aujourd’hui sommes-nous toujours dans une lutte des classes ?
Selon Etienne Penissat, si on entend ‘lutte des classes’ comme structurée autour d’une opposition dans les systèmes de production et de la location des ressources et des richesses, la réponse est ‘oui’ : « On voit bien que le mouvement des gilets jaunes et le dernier mouvement sur la réforme des retraites en France renvoient à ce type d’opposition et de différenciation des intérêts. Ces oppositions sont moins représentées à partir de ce langage des classes, qui est moins utilisé par l’État ».
Il conclut : « La classe ouvrière a toujours été segmentée et différenciée […] L’unification symbolique et politique s’opère moins […] Ceux qui se sont mis en mouvement pendant les gilets jaunes ont certainement du mal à se syndiquer et à faire grève […] Ils se sont exprimés d’une manière différente ».
AIP Augmenter les salaires pour sortir de la crise Enfin ! Relèvement de la pension minimum 6 8-9 13-20 Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. SEXISME au travail Toujours vrai aujourd’hui MENSUEL | Année 76 | n° 1 Janvier 2021 E.R. : Thierry Bodson rue Haute, 42 – 1000 Bruxelles BUREAU DE DÉPÔT : Charleroi X – P912051 Actualités Bonne retraite, chef ! …………………………………………………………………………………. 4 En bref ………………………………………………………………………………………………………….. 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise ………………………………………. 6 Lettre ouverte …………………………………………………………………………………………….. 7 Relèvement de la pension minimum : enfin ! …………………………………….. 8-9 C’est un joli nom, « Camarade ! » ………………………………………………………….. 10 À la santé des grosse fortunes ! ……………………………………………………………… 11 Améliorer la place des femmes sur le marché de l’emploi ……………….. 12 Dossier : Sexisme au travail Une réalité de tous les jours …………………………………………………………….. 13-20 Votre centrale Centrale Générale ………………………………………………………………………………. 21-23 MWB ……………………………………………………………………………………………………. 24-25 UBT ………………………………………………………………………………………………………. 26-27 Horval ………………………………………………………………………………………………….. 28-29 SETCa ………………………………………………………………………………………………….. 30-32 Régions Question/Réponse : congé de naissance……………………………………………… 33 Actualités régionales ………………………………………………………………………………. 34 Agenda des régions ………………………………………………………………………….. 34-35 @syndicatFGTB syndicatFGTB ABVV/FGTB La FGTB en ligne www.fgtb.be Inscrivez-vous à notre newsletter www.fgtb.be My FGTB votre dossier en ligne www.fgtb.be/my-fgtb Syndicats Magazine en ligne www.syndicatsmag.be Syndicats Magazine o Application mobile Sommaire 13-20 N° 1 2 N° 1 • Janvier 2021 Le terme « négocier » n’est pas tout à fait exact. Cette négociation est enfermée dans un carcan fixé par la loi de sauvegarde de la compétitivité. La fameuse « Loi de ’96 » impose en effet une comparaison, à charge du Conseil central de l’Économie (CCE), entre l’évolution prévue des salaires chez nous et chez nos voisins : France, Allemagne, Pays-Bas. L’idée étant de ne pas augmenter les salaires belges plus que les autres pour ne pas menacer nos exportations. Le CCE détermine ainsi une « marge » dans laquelle on pourra négocier l’évolution des salaires belges. Taille unique En toute logique, cette loi ne devrait concerner que les secteurs orientés vers l’exportation et soumis à la concurrence internationale. Mais la loi est ainsi (mal) faite qu’elle taille le même costume pour tous, exportateur ou non, secteur riche ou pauvre. Les patrons nous disent : « C’est la crise, il faut être raisonnable, ce n’est pas le moment de jouer les Saint-Nicolas. Pour relancer l’économie, il faut aider les entreprises. Il faut modérer les salaires… ». Sauf qu’en modérant les salaires, on limite la part du gâteau pour les travailleurs, même quand le gâteau grossit. Et c’est toujours le travail qui doit porter le corset… C’est la crise. C’est vrai. Et elle ne fait que commencer. Mais si certains secteurs ont été particulièrement touchés par le confinement et la baisse de l’activité, d’autres en ont bien profité. Tailler le même costume pour tous revient donc à faire un cadeau aux secteurs qui ont pu réaliser des profits. Miser sur la consommation intérieure Nous, nous disons qu’il faut relâcher le carcan et laisser négocier patrons et syndicats librement. Que les secteurs qui se portent bien, voire très bien, le traduisent à travers des augmentations de salaires (juste part des travailleuses et travailleurs). Nous faisons d’autres constats que ceux du CCE : 1. La baisse de l’activité est largement liée à la baisse de la consommation intérieure. Les services dits « non essentiels » ont été paralysés. À part de quoi manger, les gens ont peu acheté. Sauf ceux qui en ont les moyens et qui ont investi dans l’immobilier en plein boom. Il faut donner à la population les moyens de relancer la machine économique (par la consommation intérieure). L’augmentation des salaires est le nerf de la guerre. 2. Depuis des décennies, l’évolution des salaires est plus faible que l’évolution de la productivité. La part du gâteau des travailleurs et travailleuses diminue d’année en année alors que celle du capital augmente. 3. Le salaire minimum a en outre augmenté moins vite que l’ensemble des salaires, faisant grimper le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres, c’est-à-dire celles et ceux qui ont un revenu du travail insuffisant pour vivre. Et il y a aussi celles et ceux qui sont pauvres sans travail. 4. Cela se traduit par un approfondissement des inégalités et de la pauvreté que la crise Corona a fait exploser. Nous ne voulons pas d’une aumône D’après le calcul du CCE, la marge maximum pour améliorer les salaires en 2021-2022 serait de… 0,4 % ! Alors même que le pouvoir d’achat est en berne en cette période de crise profonde. Ce qui se passe aujourd’hui montre une fois de plus à quel point la loi de 1996* est totalement déconnectée de la réalité. La FGTB, mais aussi la CSC et la CGSLB, ont décidé de refuser en bloc ce cadre étriqué qui ne permet absolument pas d’entamer les négociations. À situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les règles budgétaires ont été assouplies pour les gouvernements, les entreprises ont bénéficié de soutien… Une souplesse doit également être appliquée pour permettre d’augmenter les salaires. Et faire de ce chiffre (0,4 %) une indication, pas une camisole de force. * Qui compare l’évolution de nos salaires avec celui des trois pays voisins afin de préserver la « compétitivité ». Tous les deux ans, patrons et syndicats se retrouvent autour de la table pour négocier un « Accord interprofessionnel » (AIP) sur un tas de questions relatives aux conditions de travail, mais le principal enjeu est la fixation de la norme salariale. C’est elle qui détermine l’ampleur — mais généralement la limite — de l’évolution des salaires. Cet AIP concerne près de 4 millions de personnes. AIP Une aumône de 0,4%… Non, merci Miranda Ulens Secrétaire générale Thierry Bodson Président Édito N° 1 • Janvier 2021 3 Ce numéro de Syndicats est le « dernier » de notre rédacteur en chef Nicolas Errante, qui entame désormais une nouvelle étape de sa vie : la pension ! Diplômé en journalisme et traduction, il démarrait sa carrière de journaliste professionnel en 1981. Il a fait ses armes au Drapeau rouge et au Peuple avant de rejoindre la FGTB en 1993, et plus particulièrement la rédaction du magazine Syndicats. Il devenait rédacteur en chef en 2006. D’un naturel discret, il était pourtant très présent dans ces pages. Nicolas écrivait en effet de nombreux dossiers et articles complexes, sur des thèmes précis, comme sa plume peut l’être. Pensions, fiscalité, chômage, allocations sociales, Nicolas est devenu un expert en ces matières essentielles. Il était également passionné par les coopératives ouvrières et leur fonctionnement, et a largement relayé nombre de ces initiatives. Nicolas a par ailleurs mené les diverses réformes du magazine Syndicats, et même entamé la réflexion sur le développement d’outils numériques. En 1996 déjà, il publiait la première version « PDF » de Syndicats sur l’intranet de la FGTB. Nicolas a toujours veillé à ce que Syndicats soit un outil intelligent, au service de nos affiliés, reprenant des sujets de fond, des reportages et des textes de qualité. C’est à nous aujourd’hui de poursuivre cette réflexion, et d’assurer la continuité de son travail. Nicolas nous manquera, sans aucun doute, mais nous savons qu’il a beaucoup à faire. Entre ses petits-enfants, son goût pour la cuisine, son apprentissage de l’espagnol et sans nul doute d’autres passions à naître, nous ne pouvons que lui dire merci et lui souhaiter une excellente retraite. L’équipe de Syndicats Bonne retraite, Chef! En mode pension En mode incognito En mode combatif En mode furtif Actu 4 N° 1 • Janvier 2021 EN BREF INDEX DÉCEMBRE 2020 Indice des prix à la consommation 109,49 Indice santé 109,88 Indice santé lissé 107,72 En décembre 2020, l’indice des prix à la consommation est en hausse de 0,03 % par rapport à novembre 2020. En rythme annuel, l’inflation se chiffre à 0,41 %. L’indice-pivot (de l’index santé lissé qui déclenche le relèvement des allocations sociales et les salaires du secteur public) s’élève à 109,34. PÉRIODES ASSIMILÉES DU CRÉDIT-TEMPS FIN DE CARRIÈRE : RECOURS AU CONSEIL D’ÉTAT DU FRONT COMMUN SYNDICAL La FGTB, la CSC et la CGSLB ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté royal du 17 janvier 2017. Pour rappel, cet arrêté royal prévoit que l’assimilation des périodes d’un crédit-temps fin de carrière pour les personnes ayant plus de 55 ans et une carrière de 35 ans introduit à partir du 1er janvier 2015 sera calculée sur base d’un salaire fictif forfaitaire (1.947,87 €). Ce faisant, ce texte supprime la possibilité qui existait pour ces personnes d’assimiler ces périodes au salaire réel pour 312 jours de 55 à 60 ans. Avec pour conséquence une pension inférieure. Et ce avec effet rétroactif puisque l’arrêté adopté en 2017 concerne les crédit-temps dès 2015. Le Conseil d’État a suivi partiellement le raisonnement des syndicats sur le fait que cela porte atteinte au principe de confiance des travailleurs qui avaient choisi de réduire leur temps de travail en prenant un crédit-temps fin de carrière dans la période entre le 1er janvier 2015 et le 17 janvier 2017. Le Conseil d’État a dès lors déclaré la nullité de la disposition en question pour ce qui est de la rétroactivité et des conséquences avant la publication. Pour tout ce qui se situe après la publication de l’arrêté royal, l’effet rétroactif est cependant maintenu. ADAPTATION DE L’INDEMNITÉ CHÔMAGE COMPLÉMENTAIRE CCT46 Le CNT a également adapté l’indemnité complémentaire de chômage pour le travail de nuit. Les travailleurs âgés qui justifient d’une ancienneté de 20 ans dans un travail de nuit peuvent demander de retourner définitivement à un régime de travail de jour à l’âge de 55 ans ou sous condition de raisons médicales sérieuses validées par le médecin du travail à l’âge de 50 ans. Si l’employeur ne peut proposer un travail de jour, le travailleur peut rompre le contrat sans être sanctionné par l’ONEM. Il touchera même pendant 5 ans une indemnité complémentaire de 152,24 €/mois (montant au 1er janvier 2021). ADAPTATION DU COMPLÉMENT D’ENTREPRISE CCT17 (PRÉPENSION) Chaque année le Conseil national du Travail adapte une série de montants au coût de la vie. C’est le cas du plafond de salaire de référence pour le calcul du complément d’entreprise pour la prépension CCT17 qui est revalorisé d’un coefficient de 1,0032 pour atteindre ainsi 4.179,43 €. C’est ce montant diminué de la cotisation personnelle à la sécurité sociale et du précompte professionnel qui sert à calculer le complément d’entreprise. Ce complément correspond à la moitié de la différence entre la rémunération nette de référence et les allocations de chômage. Allocations ellesmêmes calculées sur base de 60 % d’un salaire plafonné à 2.313,97 € par mois. N° 1 • Janvier 2021 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise AIP À la FGTB, nous voulons un accord interprofessionnel favorable à tous les secteurs et toutes les entreprises. Un tel accord permettrait à près de 4 millions de salarié·e·s — y compris celles et ceux des petites entreprises — de parvenir à un réel progrès, sous différentes formes : plus de salaire, des salaires minima plus élevés et des meilleurs régimes de fin de carrière. Mais cet accord doit reposer sur la volonté des deux parties. Or, les déclarations de la FEB excluant toute augmentation des salaires n’ont pas simplifié les choses. Et récemment, le calcul d’une marge disponible de… 0,4 % (d’après le Conseil Central de l’Économie) nous place dans l’impossibilité de négocier quoi que soit pour le moment. Pourtant, il y a de la marge… Augmenter les salaires et les revenus de remplacement est le meilleur moyen de stimuler la demande et de ramener notre économie à sa vitesse de croisière. C’est une nécessité, particulièrement dans les secteurs affaiblis par la crise et fortement dépendants de la consommation intérieure (comme le commerce, le tourisme…). Une marge de manœuvre existe pour négocier des améliorations de tous les salaires. Notamment parce que le coût du travail a augmenté plus lentement en Belgique que dans les pays voisins ces dernières années. Début 2020, la Belgique affichait 1 % de moins en la matière. Les travailleuses et travailleurs de notre pays doivent pouvoir résorber ce retard sur les pays voisins qui, eux, ne craignent pas de négocier de nouvelles hausses salariales (IG Metall, l’un des plus grands syndicats allemands, revendique une hausse de rémunération de 4 % sur 12 mois). Ce retard est particulièrement violent pour les bas salaires. Le salaire minimum intersectoriel ne cesse de perdre de la valeur par rapport au salaire médian. Et ce, parce qu’il n’a connu aucune augmentation — hors index — depuis de nombreuses années. Or, le mouvement inverse vient de se produire dans d’autres pays (base de données de l’OCDE sur le salaire minimum). Le salaire minimum dans la grande majorité des « fonctions essentielles » est largement inférieur à 14 €/2.300 € (bruts). Pourtant, les études démontrent qu’il s’agit du minimum nécessaire pour faire face aux besoins de base. Il conviendrait d’adapter les règles (para)fiscales afin que cette augmentation soit pleine et entière. À situations exceptionnelles, règles exceptionnelles Si nécessaire, les règles doivent être assouplies, comme c’est le cas pour le budget et pour le soutien aux entreprises en ce contexte Covid. Une flexibilité doit donc également être accordée aux négociations salariales. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les 3 syndicats refusent la norme impérative de 0,4 % et veulent pouvoir la considérer comme une simple indication qui n’empêche pas les secteurs d’augmenter les salaires en fonction de leurs contextes et réalités. Nous voulons croire que le cadre de la négociation peut encore évoluer pour qu’un AIP soit possible. n Actu 6 N° 1 • Janvier 2021 Combattre la Covid-19 sans saper les fondements démocratiques : possible, indispensable et urgent Lettre ouverte La semaine dernière, la ministre de l’Intérieur annonçait avoir préparé un projet de « loi pandémie », visant à fournir une base juridique aux mesures adoptées non seulement dans le cadre de cette pandémie, mais aussi pour les éventuelles répliques futures. Tout indique que ce texte va aller dans le même sens que les mesures déjà en vigueur. Si nous soutenons sans ambiguïtés la lutte contre la pandémie, nous ne pouvons accepter qu’elle soit utilisée à mauvais escient pour restreindre les droits et libertés fondamentaux, surtout si ces restrictions prennent un caractère définitif. C’est précisément le danger des crises : des restrictions qui seraient justifiées par l’urgence sont adoptées mais avec un caractère pérenne. Il va de soi que cette pandémie pose des défis majeurs à notre pays et nécessite des interventions sanitaires de grande ampleur. Toutefois, dans une démocratie, les citoyen·ne·s ne renoncent pas si facilement à leurs libertés lorsque les mesures prises leur semblent manquer de logique, lorsqu’elles ne sont pas ciblées, proportionnées et temporaires et lorsque tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Or, la stratégie actuelle comporte trois dangers : D’abord, pour pouvoir sanctionner quelqu’un, il est indispensable que les interdictions soient claires. Dans le cadre de cette pandémie, des individus ont été sanctionnés sur la base de textes vagues et la créativité des gouverneurs et bourgmestres avait peu de limites : couvre-feux, drones, interdictions de mener des actions de soutien à des travailleurs licenciés… Plus de 200.000 amendes ont été infligées, certaines pour des infractions mineures ou contestables. Or, s’il y a bien quelque chose qui nuit à l’adhésion aux mesures, c’est l’arbitraire. Un deuxième danger réside dans le fait que le contrôle judiciaire soit négligé au profit de l’exécutif. L’exemple le plus connu est celui des visites domiciliaires. Notre Constitution stipule que le domicile est inviolable et que seul un juge peut autoriser une perquisition, dans des cas exceptionnels. Néanmoins, le gouvernement a déclaré le procureur compétent pour accorder cette autorisation. La marge d’appréciation est large car un procureur n’est pas un juge indépendant et impartial. Troisièmement, lorsque le politique définit un cadre d’intervention vague et accorde davantage de pouvoir aux autorités répressives, il les encourage à agir de leur propre initiative. L’appel à dénoncer des voisins qui ne respectent pas les mesures entraîne des interventions et des incidents inutiles. Une police qui pense pouvoir se passer de toute autorisation d’un juge et se sent soutenue en ce sens par le politique est un phénomène inquiétant. La combinaison de ces trois tendances fait craindre l’émergence d’une crise démocratique, en plus d’une crise sanitaire. Les mesures doivent être ciblées, proportionnées et temporaires. Dès que la crise sanitaire s’atténue, les mesures de restriction des libertés doivent être levées. À défaut, on se rapproche dangereusement d’une forme de stratégie du choc, ce phénomène par lequel les gouvernements tirent profit de situations de crise pour introduire certaines mesures que la population est alors prête à accepter, ces mesures exorbitantes subsistant au-delà de la fin de la crise. La rapidité avec laquelle on porte atteinte à nos droits fondamentaux est tout sauf rassurante. L’instauration d’un climat d’arbitraire et de méfiance rend la société malade et est dangereuse. Ce dont nous avons besoin, c’est de solidarité et de confiance réciproque. Les autorités doivent agir pour assurer le droit à la vie et à la protection de la santé mais tout autant respecter les autres droits fondamentaux des individus : droit à la vie privée, droit à l’inviolabilité du domicile, droits économiques, sociaux et culturels. On ne peut restreindre toute forme d’expression et d’action sociale. En effet, celles-ci permettent aux groupes les plus touchés par la crise du Coronavirus et les moins écoutés de faire entendre leur voix. Quiconque compte abuser de la pandémie de Coronavirus doit s’attendre à faire face à de fortes controverses. n Signataires : Thierry Bodson, Président de la FGTB ; Jan Buelens, avocat chez Progress Lawyers Network ; Vanessa De Greef, chargée de recherches FNRS et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et responsable du Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GREPEC) ; Christelle Macq, chercheuse à l’UCLouvain et Présidente de la commission Justice de la Ligue des droits humains ; Marie Messiaen, Présidente de l’Association Syndicale des Magistrats ; Pierre-Arnaud Perrouty, Directeur de la Ligue des droits humains ; Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel à l’UCLouvain et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Diletta Tati, assistante et chercheuse à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ; Xavier Van Gils, Président d’Avocats.be ; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE ; Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits humains ; Kati Verstrepen, Présidente de la Liga voor Mensenrechten. 19 janvier 2021 7 N° 1 • Janvier 2021 Relèvement de la pension minimum ENFIN ! La pension minimum légale pour les travailleurs salariés et indépendants a été augmentée de 2,65 % au 1er janvier 2021. Il s’agit de la première d’une série d’augmentations annuelles sans précédent devant porter, en 2024, la pension minimum légale à 1.580 € bruts pour les travailleurs ayant une carrière de 45 ans. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous réjouir, bien sûr, que les pensions minimum soient enfin revues à la hausse, après des années de revendications et de combat. Mais ce n’est qu’un premier pas et ce n’est pas suffisant. Patricia Vermoote, Secrétaire fédérale de la FGTB La pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants augmentera progressivement en janvier de chaque année de façon à obtenir une augmentation de 11 % en 2024. Elle a déjà été augmentée de 2,65 % le 1er janvier 2021. On compte également sur les adaptations au bien-être, pour lesquelles les interlocuteurs sociaux prévoient traditionnellement une augmentation bisannuelle de 2 %. En tout, cela signifie une augmentation réelle du pouvoir d’achat de 15 à 16 %. Soit la plus grande augmentation enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale. Index En y ajoutant les indexations automatiques, la pension minimum brute pour isolés atteindrait 1.580 € début 2024. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui (environ 22 % d’augmentation). La pension de ménage minimum brute atteindrait 1.979 € en 2024 pour une carrière complète de 45 ans, soit une augmentation d’environ 360 € par mois. Les salariés qui n’ont pas une carrière complète verront également leur pension augmenter, mais proportionnellement à la durée de leur carrière. Pour les pensionnés ne touchant qu’une très maigre pension, la Garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) sera également relevée progressivement chaque année. Le Gouvernement veut parvenir, en 2024, à un montant de base brut de 983 € par mois pour une GRAPA /cohabitant. À savoir une augmentation de 213 € par mois. Pour les meilleurs revenus également, les perspectives s’annoncent plus roses en matière de pension. Le plafond de calcul pour les pensions futures, le salaire maximal pris en compte pour le calcul de la pension, augmente progressivement d’environ 4 % sur 4 ans. Pour l’année de carrière 2021, le plafond a maintenant été augmenté de 2,38 % pour les pensions qui prendront effet à partir de 2022. 1.500 € nets D’autres mesures restent nécessaires. La FGTB poursuit la lutte pour une pension minimum légale de 1.500 € nets pour quiconque peut justifier d’une carrière d’au moins 42 ans. « Une réflexion doit impérativement être menée sur la notion de carrière complète », poursuit Patricia Vermoote. « La condition pour bénéficier d’une pension minimum complète est de disposer d’une carrière de 45 ans, cela ne concerne qu’une très petite tranche de la population. On est donc encore très loin d’une pension minimum de 1.500 € nets pour tout le monde et ce sont les femmes qui sont plus particulièrement touchées. La concertation relative à la réforme des pensions va bientôt débuter, il faudra encore batailler dur et la FGTB sera présente. » Calcul du montant de la GRAPA La GRAPA est un complément de revenu octroyé après enquête sur les revenus. Les montants indiqués sont des maxima. Les revenus éventuels sont déduits de l’allocation maximale pour que la somme de ces revenus et la GRAPA atteigne le montant maximum de la GRAPA. Pour ce qui est d’un ménage, le total des ressources est divisé par le nombre de cohabitants y compris le demandeur. Ce montant divisé sera déduit du montant maximum de la GRAPA. Il n’est pas tenu compte, dans le calcul du montant de la GRAPA, de certaines ressources telles que : • les allocations familiales ; • les prestations qui relèvent de l’assistance publique ou privée (ex. : CPAS, institution de bienfaisance, assurance soins de la communauté flamande) ; • les rentes alimentaires entre ascendants et descendants ; • les allocations aux handicapés ; • l’allocation de chauffage du régime des travailleurs salariés ; Plus d’infos sur la GRAPA J www.sfpd.fgov.be/fr/droit-a-la-pension/grapa Actu 8 N° 1 • Janvier 2021 Les nouveaux montants à partir du 1er janvier 2021 La nouvelle législation est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 et a été automatiquement appliquée aux pensions et à l’allocation de garantie de revenus du mois de janvier. Si vous avez droit à l’augmentation, votre pension ou votre allocation de garantie de revenus sera automatiquement adaptée. Pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants avec une carrière complète de 45 ans* Ancien montant Àpd 01/01/2021 Pension d’isolé 1.291,69 € 1.325,92 € Pension de ménage** 1.614,10 € 1.656,88 € Pension de survie 1.274,43 € 1.308,20 € * Si vous n’avez pas une carrière de 45 ans, l’augmentation sera calculée en fonction de votre carrière. ** Une pension de ménage ne s’applique que lorsque l’un des partenaires n’a que peu ou pas de revenus de pension. Le Service des Pensions applique toujours la situation la plus favorable. Augmentation de la garantie de revenus pour personnes âgées (GRAPA) et du revenu garanti (RG) Les montants de base de la GRAPA et du RG sont augmentés de 2,58 %. Ancien montant Àpd 01/01/2021 GRAPAMontant de base pour cohabitants 769,61 € 789,47 € Montant de base majoré pour isolés 1.154,41 € 1.184,20 € RGMontant isolés 823,66 € 844,91 € Montant ménage 1.098,20 € 1.126,53 € Augmentation des minima sociaux dès janvier À partir de janvier 2021, les minima des allocations de chômage seront augmentés par étapes. Le Gouvernement a débloqué un budget de 343 millions d’euros pour augmenter le montant minimum des allocations de chômage. L’arrêté royal décrivant la mise en œuvre pratique stipule que les minima des allocations de chômage et des allocations d’insertion seront augmentés annuellement de 1,125 % pour toutes les catégories familiales pendant la période 2021 à 2024. Les nouveaux montants des allocations sont publiés sur le site de l’ONEM : • Chômage complet sans complément d’ancienneté J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/chomage-complet • Allocations d’insertion J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/allocation-dinsertion • Allocations de transition J www.onem.be/fr/documentation/bar%c3%a8mes/allocation-de-transition • Allocation de garantie de revenu (travail à temps partiel) J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/travail-temps-partiel Il existe cependant certaines exceptions auxquelles l’augmentation annuelle ne s’applique pas : • les chômeurs avec complément d’ancienneté, pour lesquels les minima sont déjà plus élevés ; • les travailleurs dans les systèmes de chômage avec complément d’entreprise (prépension), y compris à temps partiel ; • les chômeurs temporaires, pour qui le minimum a déjà été relevé dans le contexte de crise sanitaire ; • les allocations de vacances jeunes et seniors. n Même si toute augmentation des allocations de chômage constitue une avancée – et ce, en particulier pour les minima — la FGTB regrette qu’un certain nombre de groupes soient exclus de l’augmentation. L’augmentation est également trop limitée pour permettre d’augmenter les revenus des travailleurs sans emploi de 10 % au-dessus du seuil de pauvreté, ce que nous jugeons urgent. Les chômeurs demeurent le groupe ayant droit à des allocations chez qui le risque de pauvreté est le plus grand. Nous constatons néanmoins un changement de politique par rapport au gouvernement précédent. Nous espérons donc pouvoir parvenir rapidement à un accord sur des ajustements au bien-être de toutes les prestations sociales, via une augmentation plus significative des allocations de chômage. Cette question est également une préoccupation des organisations de lutte contre la pauvreté. N° 1 • Janvier 2021 9 C’est un joli nom, « Camarade ! » Depuis le mois de septembre, la Centrale Jeunes de la FGTB wallonne dispose de son propre journal qui répond au joli nom de « Camarade ! ». Ce dernier a pour vocation d’exprimer un point de vue syndical pour et par les jeunes syndicalistes. L’objectif de notre journal est double : informer nos affilié·e·s sur une série de sujets qui les concernent directement (changements législatifs, mobilisations syndicales, activités des Jeunes en régionales, …) mais également sensibiliser les jeunes (étudiant·e·s, apprenti·e·s, en stage d’insertion) quant à l’importance du syndicalisme et des combats sociaux. Chaque numéro — trimestriel — est l’occasion d’aborder des thématiques de société aussi variées que la lutte contre le capitalisme, l’extrême droite, le racisme, et de traiter des sujets actuels comme le féminisme ou encore l’écologie. Le numéro de septembre était dédié à l’enseignement et aux pédagogies alternatives. Celui de décembre portait sur la crise sanitaire actuelle. Le numéro de mars abordera évidemment les questions féministes ! Si « Camarade ! » entend mettre en évidence le syndicalisme jeune, le but est également d’influencer l’ensemble du monde syndical en proposant des réflexions en phase avec les attentes des Jeunes. Le journal est disponible en version papier et numérique, ce qui permet d’élargir notre audience. La version numérique permet également de proposer davantage de contenus entre chaque numéro mais aussi de diversifier les formats pour être plus en phase avec la communication sur les réseaux sociaux qui sont devenus l’une des premières sources d’information chez les jeunes. Enfin, « Camarade ! » se veut également participatif. Ainsi le journal est ouvert à contributions (pour autant qu’elles correspondent à notre ligne éditoriale) et nous tâchons de développer un réseau de contributeur·trice·s régulier·ère·s qui enrichit le journal de son expérience en tant que militant·e·s au sein des Jeunes FGTB ou dans d’autres secteurs. La mise en page est d’ailleurs assurée par une étudiante en arts graphiques affiliée dans notre Centrale. Le choix du titre ne doit évidemment rien au hasard. « Camarade ! » est sans doute le mot le plus utilisé dans la bouche d’un·e syndicaliste. Nous souhaitons lui rendre toute sa dimension, qu’il ne devienne pas une appellation sans contenu. Il représente notre volonté de construire un monde bâti autour des notions de solidarité, d’entraide et d’égalité. Nous espérons que notre journal y contribue à sa manière ! n Plus d’info J www.camarade.be fCamaradeWebMedia Actu 10 N° 1 • Janvier 2021 « Square des milliardaires » à Bruxelles Champagne ! À la santé des grosses fortunes ! Le 5 janvier à 12h, le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN) ont sabré le champagne devant le square du Bois à Bruxelles dit « Square des milliardaires ». Par cette action, ces organisations rappellent que le creusement des inégalités provoqué par la crise du Coronavirus n’empêche pas les gros patrimoines d’échapper toujours à l’impôt en Belgique. Sur base des données de l’OCDE, en Belgique, les 10 % les plus riches concentrent 21 % du revenu et près de la moitié du patrimoine national. Tandis que les 25 % les moins fortunés détiennent moins de 0,5 % des richesses. La Banque nationale indique que près d’un tiers des ménages ne pourrait pas vivre de ses économies au-delà de trois mois. L’écart entre le salaire minimum et les hauts salaires devient de plus en plus grand. La crise sanitaire creuse les inégalités Les pertes de revenus pour les indépendants et les chômeurs temporaires sont plus importantes en pourcentage pour les plus bas revenus. Par ailleurs, si la pauvreté rend malade, la maladie rend pauvre. La contribution personnelle aux soins de santé relativement élevée (le double des pays voisins) pousse les revenus modestes à ne pas recourir ou à se rendre aux urgences. 4 % des ménages ont dû faire face à des dépenses de santé qui représentaient 40 % de leurs dépenses totales. Mais ce n’est pas tout. Les indépendants, les étudiants et les travailleurs sous contrats temporaires ou actifs dans le secteur informel sont frappés de pertes importantes de revenus. Les inégalités sont également nourries par les vagues de licenciements et les faillites annoncées de petits commerces. La Belgique comptait en 2019 plus de 132.000 millionnaires, disposant d’au moins un million de dollars d’actifs (environ 882.000 €), soit une progression de 8,5 % en un an, selon le Rapport sur la richesse mondiale publié par Capgemini. Leur richesse s’évaluait à plus de 332 milliards de dollars, en croissance de 8,7 % par rapport à 2018. À qui la facture ? Ces derniers mois, l’importance des services publics et de la sécurité sociale a été mise en évidence. Il ne faudrait pas que ce soit aux victimes de la crise de payer la note, au moment où l’État devra se refinancer. Par ailleurs, depuis 50 ans, les réductions d’impôt qui ont été accordées aux plus riches dans les pays développés n’ont absolument pas contribué à créer de l’emploi ou de la croissance. La théorie du ruissellement est un leurre. Pour le FMI, entre autres, il faut au contraire à nouveau davantage taxer les plus fortunés. On oublie trop souvent que les taux marginaux d’imposition pour les plus riches étaient de 75 % aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Pour lutter contre les inégalités économiques, chacun devrait contribuer à l’effort en fonction de la hauteur de son patrimoine et de ses revenus. C’est le sens d’un impôt sur les patrimoines supérieurs à un million d’euros (hors habitation personnelle), réclamé par les organisateurs de l’action. n Le RJF et le FAN réunissent les syndicats et une quarantaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles. 11 N° 1 • Janvier 2021 Une priorité Améliorer durablement la place des femmes sur le marché de l’emploi Ce n’est un secret pour personne : les faits de sexisme sur le lieu de travail touchent majoritairement les femmes. Mais ces comportements inacceptables sont un des symptômes d’un phénomène plus étendu : la position précaire des femmes sur le marché de l’emploi, dénoncée de longue date par la FGTB Bruxelles. Dans son baromètre de la qualité de l’emploi en région bruxelloise publié en 2019, la FGTB pointait déjà la précarité de l’emploi féminin. Aujourd’hui, l’emploi féminin est sous-valorisé et l’écart salarial plafonne : il est encore situé autour de 20 %, malgré l’Article 119 du Traité de Rome sur l’égalité salariale ratifié par la Belgique en… 1957 ! Les femmes sont également surreprésentées dans les temps partiels subis. Elles éprouvent également plus de difficultés de concilier vie privée et travail dues, entre autres, au manque de structures d’accueil pour les enfants ou à une répartition inégale des tâches familiales au sein du ménage. À côté de cela, la FGTB pointe également une sous-représentation dans les fonctions dirigeantes, des stéréotypes persistants dans l’orientation scolaire, etc. La crise de la Covid-19 renforce les inégalités Cette situation plus que préoccupante à l’époque s’est encore aggravée durant la crise sociale et économique suite à la pandémie de la Covid-19. Les conséquences des confinements sont en effet différentes pour les femmes et les hommes. Tout d’abord, les femmes représentent la majorité des travailleurs de première ligne : 80 % des travailleurs occupés dans la gestion de la crise sanitaire sont des femmes et elles sont également aussi nombreuses dans les secteurs dits « essentiels » : commerce alimentaire, enseignement, crèches, nettoyage, etc. Les femmes sont plus touchées par les pertes de revenus liées au chômage temporaire, leur salaire étant bien souvent inférieurs à celui des hommes. Les mesures de confinement décrétées pour contrer l’augmentation des cas de Covid-19 ont transféré une charge de travail qui était assumée par le collectif vers la sphère privée, notamment les activités d’éducation et de soin : cette charge supplémentaire est majoritairement assumée par les femmes, déjà désavantagées par la répartition inégalitaire des tâches domestiques au sein du ménage. Les priorités de la FGTB Bruxelles pour sortir de la crise da la Covid-19 « par le haut » Sans mesures correctrices adéquates, la crise économique sans précédents risque bien de précariser encore plus l’emploi féminin et de renforcer durablement les inégalités hommesfemmes déjà bien présentes sur le marché du travail bruxellois. Pour contrer cette précarisation galopante, la FGTB Bruxelles réclame : Un renforcement des mesures de gender mainstreaming dans les politiques d’emploi et de formation sachant que 80 % des travailleurs de première ligne durant la crise sont des femmes : il est donc important de s’assurer que les emplois féminins ne reçoivent une protection inférieure à celle des hommes, avec une attention particulière pour les familles monoparentales. Parallèlement, l’égalité de traitement doit enfin être concrétisée par la solidarité et la lutte contre les discriminations : la création d’un dispositif de veille anti-discrimination (en partenariat avec Unia et l’institut pour l’égalité entre femmes et hommes) conjuguée à la mise en place d’actions positives vers les publics touchés par la précarité peuvent servir de base pour atteindre cet objectif important pour l’inclusion durable des femmes sur le marché de l’emploi. Enfin, il faudra absolument investir dans des services publics de qualité accessibles à tout·e·s et revaloriser les métiers du care (soins de santé, aide à domicile, nettoyage, etc.) dont l’importance capitale a été démontrée une fois de plus lors de la crise sanitaire : les revendications portées par la FGTB sur un salaire horaire minimum fixé à 14 € de l’heure, si elles sont finalisées, constituent là aussi une sortie par le haut de la crise que nous venons de traverser. La FGTB Bruxelles pèsera de tout son poids lors des prochains mois pour que les belles intentions annoncées par les décideurs politiques ces derniers mois se concrétisent par des actes forts, permettant à l’ensemble des travailleurs et travailleuses belges de retrouver la dignité qu’ils/ elles méritent. n Actu 12 N° 1 • Janvier 2021 Le sexisme au travail, toujours vrai aujourd’hui Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. Selon une étude européenne, 6 femmes sur 10 indiquent avoir déjà vécu des violences sexistes ou sexuelles au travail. Les femmes issues de minorité sont largement représentées dans cette statistique. Quelques constats : • tout comme dans l’espace public, les violences verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues sur le lieu de travail, au premier rang desquelles les sifflements ou les gestes grossiers (26 % des femmes interrogées en ont été victimes à plusieurs reprises) et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue (17 % en ont fait l’objet de manière répétée) ; • nombre de femmes rapportent avoir fait l’objet d’agressions physiques et sexuelles : 14 % ont subi à plusieurs reprises des contacts physiques « légers », 18 % des « attouchements » ; • 9 % des Européennes ont déjà subi au moins une fois des pressions de leur hiérarchie afin de céder à un acte de nature sexuelle (ex. : un rapport sexuel en échange d’une embauche ou d’une promotion…). DES REMARQUES SUR LA TENUE, LA VIE PRIVÉE… L’enquête menée par JUMP donne des résultats encore plus tranchés, puisque 94 % des personnes interrogées indiquent avoir vécu des comportements sexistes au travail. Selon cette étude, les manifestations les plus courantes du sexisme sont les blagues, suivies des remarques déplacées. Une femme interrogée sur deux considère qu’une promotion ne lui a pas été donnée à cause de son genre. Plus de trois quarts des femmes ont répondu avoir déjà subi des remarques sur leur façon de s’habiller, mais aussi sur la gestion de leur vie familiale et sur le fait qu’une femme est censée s’occuper de son foyer plutôt que de travailler. Plus de sept femmes sur dix ont déjà été victimes au moins une fois de gestes ou regards intrusifs et/ou déplacés sur leur lieu de travail et un quart des femmes interrogées témoignent avoir déjà été victimes de harcèlement ou agression physique. Lire l’intégralité de l’enquête J http://stopausexisme.be/sexismebientotfini À l’automne 2019, la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et la Fondation Jean Jaurès publiaient une grande enquête intitulée « Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail ». Le but : mesurer l’ampleur des violences sexistes ou sexuelles subies par les femmes européennes, sur leur lieu de travail. Plus de 5.000 femmes en âge de travailler ont répondu à cette enquête, dans cinq grands pays européens (Italie, Espagne, France, Royaume-Uni, Allemagne). Si la Belgique n’est pas reprise dans l’échantillon, l’on peut toutefois raisonnablement croire que les situations connues chez nos voisins le sont également chez nous. Il y a cinq ans, l’étude JUMP (réalisée principalement en Belgique et en France auprès de 3.400 femmes) démontrait que 9 femmes sur 10 avaient déjà vécu des « comportements sexistes » au travail. Notons que cette étude prenait en compte des critères supplémentaires — comme le fait d’être bloquée dans sa carrière en raison de son genre —, tandis que l’Observatoire ne s’attardait que sur les « violences » verbales ou physiques. Dossier N° 1 • Janvier 2021 13 Toutes concernées, mais pas toutes exposées au même risque L’Observatoire démontre également que toutes les femmes ne sont pas soumises au même niveau de risque, face à ces agressions. Plusieurs profils de femmes sont davantage exposés au phénomène, à savoir : les travailleuses jeunes, issues d’un milieu urbain, déjà discriminées pour leur orientation sexuelle ou leur religion, victimes de violences sexuelles par ailleurs ou par le passé, employées dans un environnement de travail masculin ou forcées à porter des tenues de travail considérées comme « sexy ». Le facteur « âge » joue un grand rôle. 42 % des femmes de moins de 30 ans ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête, contre 28 % des trentenaires, 24 % des quadragénaires et 16 % des quinquagénaires. La double peine des minorités Les résultats de l’étude démontrent que les femmes issues de minorités religieuses, en plus de subir des violences ou discriminations liées à leurs croyances, vivent également le sexisme de plein fouet. Ainsi, deux fois plus de femmes musulmanes (que de femmes qui se décrivent comme catholiques) ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête. « Cette surreprésentation des Musulmanes parmi les victimes récentes doit s’expliquer par des ‘effets de structure’ : la population musulmane étant surreprésentée dans les pans de la population les plus exposés à ces formes ‘d’harcèlement’ (ex. : jeunes, catégories populaires, grandes agglomérations). Mais elle met aussi en évidence les interactions entre les discriminations liées au genre et d’autres motifs comme les origines, la couleur de peau ou une religion réelle ou supposée », indique François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop, qui coordonnait l’étude. Le même principe s’applique aux femmes issues de minorités sexuelles. Les femmes bisexuelles ou lesbiennes sont plus souvent victimes de violences sexistes et sexuelles au travail : 36 % d’entre elles, soit presque deux fois plus que les hétérosexuelles (21 %). Les faits les plus rapportés : propos obscènes, envoi de vidéos inappropriées, propositions à connotation sexuelle… On le voit, les préjugés et clichés ont la vie dure. Le « problème » avec la tenue de travail imposée Il faut le dire et le répéter : en aucun cas la tenue portée par la victime n’est la cause de son agression. Dans 100 % des agressions sexuelles, le responsable, c’est l’agresseur. Pourtant, la tenue est encore largement perçue (à tort) comme une incitation, ou plutôt est utilisée comme « excuse » pour justifier le comportement machiste ou l’agression. C’est également le cas sur le lieu de travail. L’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail démontre que les femmes qui sont contraintes de travailler en uniforme ou dans une tenue de travail qui laisse apparaître leurs formes (exemple : jupe obligatoire, port de talons…) sont le plus souvent victimes d’agressions graves. C’est dans cette catégorie de travailleuses que l’on trouve le plus de femmes (33 %) ayant eu un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré ». « Cela soulève donc la question des tenues de travail genrées qui peuvent accentuer la pression sexuelle sur les femmes en en faisant des ‘objets de désir’ stéréotypés, notamment dans des secteurs (ex. : services publics, hôtellerie, restauration…) où elles sont directement en contact avec le public. » Des agresseurs à tous les échelons Et les agresseurs dans tout ça ? Contrairement aux idées reçues, les agresseurs ne sont pas uniquement les supérieurs hiérarchiques. Collègues directs, mais aussi clients, fournisseurs, visiteurs externes se partagent le triste gâteau. « La seule situation dans laquelle une fraction significative de femmes (à 34 %) rapporte avoir été harcelée par un supérieur a trait aux pressions psychologiques exercées pour obtenir un acte sexuel en échange par exemple d’une promotion ou d’une embauche. Les autres formes de violence sont soit le fait de collègues n’exerçant pas d’autorité hiérarchique — notamment les remarques gênantes sur le physique (à 46 %) ou les propos à connotation sexuelle (à 38 %) —, soit le fait de personnes extérieures comme des clients ou des fournisseurs (comme par exemple pour la réception de cadeaux gênants à 61 %). » Observatoire européen du sexisme J www.ifop.com/publication/observatoireeuropeen-du-sexisme-et-du-harcelementsexuel-au-travail Dossier 14 N° 1 • Janvier 2021 Sortir du cycle de la violence L’asbl « De Maux à Mots » lutte au quotidien contre toutes les formes de violences sexuelles. Cindy Renski, présidente, nous en parle. « La violence sexiste, ça commence généralement par des paroles blessantes ou infantilisantes, une fausse bienveillance rétrograde, des blagues douteuses, auxquelles personne ne prête attention, tant la culture du sexisme est ancrée dans notre société, comme une mauvaise tradition. Si on ne désamorce pas la situation dès le départ, la personne qui exerce la pression morale prend le pouvoir. Il peut s’ensuivre des attouchements, des violences physiques. La victime se referme alors sur elle-même. Les femmes qui subissent ou ont subi le sexisme au travail se sentent en effet coupable de leur situation. » Tout le monde a un rôle à jouer. Collègues, témoins, peuvent intervenir et dire « stop ». Très souvent, la peur des représailles ou la crainte de perdre son emploi pousse la victime à s’enfermer dans une forme de passivité, et tenter d’éviter au maximum d’aborder le problème. « La victime amène alors son angoisse à la maison, elle commence à avoir une crainte du travail, et là tout s’enchaîne : arrêt de travail, impossibilité de revenir, c’est la victime qui se retrouve écartée. Alors que c’est elle qui a besoin d’assistance psychologique et de soutien. » Burn out, dépression, crises d’angoisse, perte de confiance ou d’estime de soi, les conséquences sont nombreuses. Dès lors que pouvons-nous faire ? Agir, au plus tôt. « Nous insistons auprès de chaque personne concernée : il faut parler. Déposer une plainte, s’adresser à son représentant syndical ou à sa direction. Pour convaincre la victime de faire le pas, nous essayons d’activer un réflexe de protection de l’autre. En expliquant que dénoncer le problème évitera à d’autres travailleuses de subir la même chose. Nous insistons également sur le fait qu’il y a des lois et que celles-ci doivent être appliquées. Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. » En tant que femme de ménage dans un hôtel, je rencontre toutes sortes de clients. Selon l’humeur du client de l’hôtel, qui est donc aussi mon client, je suis confrontée à de multiples situations. La plupart des clients sont amicaux et compréhensifs et quittent souvent leur chambre lorsque je viens la nettoyer. Mais avec d’autres, c’est moins facile. Par exemple, il y a quelques années, j’ai dû faire face au harcèlement sexuel au travail. La première fois que je suis allée nettoyer la chambre d’un homme d’un certain âge, il a ouvert la porte… sans vêtements ! Bien sûr, j’ai été choquée. Je lui ai poliment demandé de bien vouloir passer des vêtements. Et il l’a fait. La fois suivante, quand je suis retournée laver sa chambre, une nouvelle mauvaise surprise m’attendait. Après avoir frappé à la porte, je suis entrée et j’ai trouvé l’homme nu sur le lit. Je me suis vite rendu compte que je ne pourrais pas régler cette situation seule. J’ai donc décidé de partir — sans faire le ménage — et j’en ai parlé avec mon employeur. Il a directement contacté le directeur de l’hôtel et celui-ci a, à son tour, contacté le client de l’hôtel. Nadine Cathy a été élue pour la première fois lors des récentes élections sociales. En tant que déléguée, elle souhaite avant tout offrir une oreille attentive aux collègues qui ont des questions ou des difficultés. Et elle est déterminée à s’attaquer aux problèmes qui se posent dans l’entreprise. « Depuis toute petite, je ne supporte pas l’injustice. Par le passé, je travaillais dans une entreprise où les propos misogynes et racistes étaient monnaie courante. J’ai immédiatement pris la parole contre cela. Mais la situation est devenue intenable. Je suis devenue un problème pour la direction, et j’ai finalement dû partir. Il n’y avait pas de représentation syndicale… Quand j’ai commencé à travailler chez ALVANCE Aluminium, il y a deux ans, ma décision a été rapidement prise : je voulais me rendre utile en tant que représentante syndicale. » Une des rares femmes L’entreprise n’emploie que quelques femmes, sur un total de 650 travailleurs. Cathy est la seule femme de son unité. « Au début, j’ai ressenti quelques réticences. J’ai eu le sentiment d’être ‘un intrus’ dans un bastion d’hommes. Mais ça a vite changé. Nous avons une bonne équipe, il y a beaucoup de respect entre les collègues, et ils savent de quoi je suis capable. Je débute en tant que délégués syndicale. Ce sont mes premiers pas ! J’évolue actuellement dans mon rôle avec le soutien de mon délégué principal. Mais il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je veux travailler dans les années à venir. Premièrement, nous devons avoir un point de contact accessible, pour pouvoir prendre en charge les problèmes des collègues à temps. Deuxièmement, il faut recruter plus de femmes. Enfin, je veux garantir l’équité et la justice pour toutes et tous, dans l’entreprise. » Cathy Van Rymenam, déléguée de l’entreprise métallurgique ALVANCE Aluminium Quand on parle de violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail, de quoi parle-t-on exactement ? La définition est large. Il peut s’agir de gestes déplacés, de propos grossiers, de remarques gênantes sur la tenue ou le physique de la victime, d’écrits ou de propos à caractère sexuel, de l’envoi de textes ou de photos obscènes, d’invitations gênantes, et, malheureusement de contacts physiques imposés, de rapports sexuels forcés. Un cycle de violence qu’il est essentiel d’enrayer dès les premiers signes d’agression. N° 1 • Janvier 2021 15 Violences sexuelles au travail Comment (ré)agir ? Les violences sexistes et sexuelles au travail font l’objet d’une réflexion régulière au sein du Bureau wallon des Femmes de la FGTB. Cette question a d’ailleurs fait l‘objet de la 4e journée des États généraux féministes organisée, en novembre 2019, avec le CEPAG, mouvement d’éducation permanente1 . En voici les principales conclusions… La violence à l’égard des femmes est multiforme : intrafamiliale, verbale, physique et/ou sexuelle, sexiste, psychologique, économique… Mais elle est également présente à tous les niveaux de la société : dans la sphère privée, dans l’espace public et au travail. Nous le verrons dans le dossier, où que se situe la violence, trop souvent, c’est la loi du silence qui prime. Comme dans la sphère privée ou domestique, les victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail doivent souvent se taire. En outre, les statistiques établies par les autorités sont encore peu nombreuses. Peu de femmes ont la force de réagir ou de dénoncer les faits par peur de perdre leur emploi, par honte, en raison de la lourdeur de la procédure ou parce qu’elles estiment que ça ne sert à rien… Sur ce dernier point, le fait que, dans de nombreux secteurs, les délégations syndicales comptent encore trop peu de femmes en leur sein peut avoir une influence. En effet, une femme victime aura plus de difficultés à s’adresser à un homme qu’à une femme et ce, en particulier en cas d’agression sexuelle. Par ailleurs, la peur de réagir et ainsi, de mettre en péril son emploi ou ses chances de promotion a été encore renforcée par les politiques d’austérité. Les économies réalisées sur les allocations sociales (comme les allocations de chômage ou les allocations de garantie de revenu pour le travail à temps partiel) et la limitation des droits sociaux (notamment celle des périodes assimilées) touchent plus particulièrement les femmes, dont elles restreignent l’autonomie financière. Ces politiques austéritaires aggravent donc le sort des femmes exposées à la violence, qu’elle soit conjugale, intrafamiliale ou au travail. Elles ont également fortement réduit les moyens alloués à la Justice, ce qui a aussi un impact sur la prise en charge des femmes victimes de violences. Une nécessaire approche individuelle ET collective Lors de la réflexion menée à l’occasion des États généraux féministes, les aspects et outils légaux ont été particulièrement mis en avant. Le harcèlement moral, la violence et le harcèlement sexuel au travail ont un impact sur la santé, la sécurité et donc le bien-être de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. L’employeur est donc tenu de respecter la législation en la matière. La législation existante — et qui comporte des aspects tant positifs que négatifs — doit donc être davantage exploitée. En reprenant la violence et le harcèlement sexuels au travail sous la catégorie des « risques psychosociaux », la loi met ainsi en évidence la responsabilité des employeurs. Ils ont donc des obligations et procédures à respecter et ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité lorsque de tels actes sont commis. On ne peut pas non plus négliger le rôle joué par l’organisation du travail, notamment dans certains secteurs. Ainsi, les femmes d’ouvrage ou les aides ménagères travaillant souvent seules, à l’extérieur de l’entreprise, sont par exemple plus vulnérables. Au niveau des organisations syndicales, il serait opportun que les formations sur la prévention et la gestion des risques psychosociaux prennent davantage en compte la dimension du genre pour mettre en lumière les rapports de domination à l’œuvre en cas de violences sexuelles au travail. Il serait également important de travailler encore plus avec les délégués et Dossier 16 N° 1 • Janvier 2021 déléguées sur la déconstruction des stéréotypes de genre dont se nourrissent les violences à l’égard des femmes. En effet, les propos et comportements sexistes préfigurent souvent la violence physique sexiste et sexuelle. Notre société est construite sur un modèle patriarcal pour lequel la femme est encore et toujours perçue comme une personne plus sensible et fragile sans réels moyens de défense. Cela induit des rapports inégalitaires dans la société qui sont transposables dans les collectifs de travail : • inégalité salariale ; • plafond de verre et plancher collant ; • ségrégation horizontale du marché du travail ; • temps partiels majoritairement féminins ; • femmes majoritairement victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui ont aussi un impact sur leur vie professionnelle ; • femmes majoritairement victimes de violences et de harcèlement sexuels au travail. Il apparaît donc essentiel d’avoir une approche individuelle des cas de violences sexistes ou sexuelles au travail ou dans la sphère privée tant pour assurer un accompagnement adapté et efficace de la victime que pour sanctionner l’auteur. Mais cela doit être combiné à une approche collective. Cette approche globale contribuera à faire en sorte que l’organisation du travail ne soit pas « facilitatrice » ou « propice » à ce type d’agissements mais aussi de tenir compte, par exemple, de l’impact des violences conjugales sur le bien-être au travail. Plus largement, cela permettrait à combattre le sexisme et à contribuer, enfin, à une société plus égalitaire. 25 novembre Une journée internationale contre les violences faites aux femmes En 1999, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 25 novembre « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Une journée importante pour les féministes et les organisations qui les soutiennent car elle est l’occasion de rappeler qu’aujourd’hui encore, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Ces violences sont la conséquence directe d’un système patriarcal encore fortement ancré dans l’ensemble de la société. Les inégalités entre les sexes persistent en effet dans le monde entier, empêchant les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux et compromettant leur vie ainsi que leur avenir. Des efforts doivent être faits pour parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles, notamment sur le plan juridique. D’ailleurs, la Belgique ne respecte pas ses engagements en la matière en n’appliquant pas totalement la Convention d’Istanbul qu’elle a pourtant officiellement adoptée en 20162. Victime ou témoin de violences sexuelles ou sexistes au travail ? La Cellule de Lutte contre les discriminations du CEPAG et de la FGTB wallonne (CLCD) est à vos côtés pour lutter contre toutes formes de discriminations — notamment sexistes —, d’exclusion ou d’exploitation à l’embauche, lors d’une formation ou au travail. Concrètement, la CLCD vous apporte une écoute, de l’information et un accompagnement de qualité si vous êtes témoin ou victime de discrimination. Contacter la CLCD ( 081 26 51 56 E clcd@cepag.be J www.clcd.info 1. https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_novembre_2019_-_violences_sexuelles.pdf 2. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique conclue à Istanbul, le 11.05.2011 – ratifiée par la Belgique le 14 mars 2016 et entrée en vigueur le 1er juillet 2016. MOBILISONS-NOUS CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES! STOP 17 N° 1 • Janvier 2021 Le silence n’est PAS une option Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. L’Observatoire européen fait également le constat suivant : sortir du silence est extrêmement difficile. Dénoncer une situation, c’est éventuellement prendre le risque d’un conflit avec son employeur, voire de perdre son emploi. De nombreuses femmes préfèrent subir remarques désobligeantes et commentaires en silence. Les femmes qui osent évoquer le problème à un supérieur ou à un représentant syndical restent peu nombreuses : 9 à 16 % selon les cas. Notons que ce chiffre augmente à 27 % chez les femmes de moins de 25 ans, tandis qu’il descend à 10 % chez les travailleuses « âgées ». Les différents mouvements de libération de la parole ont en effet certainement eu un impact plus grand parmi les jeunes. L’enquête « JUMP » confirme : plus de huit femmes sur dix déclarent ne jamais avoir fait appel aux autorités (entreprise, police…) pour dénoncer les faits subis). Un lieu de travail exempt de sexisme commence pourtant avec la parole de toutes et tous. Luttons au quotidien contre les comportements problématiques. Témoin du sexisme sur le lieu de travail ? En tant que témoin, vous avez un rôle à jouer. N’hésitez pas à condamner ouvertement le sexisme, à en parler à votre délégué et/ou à un responsable. Se taire face à des comportements inacceptables, c’est se rendre complice. Les organisations syndicales et les employeurs ont mis en place dans l’entreprise des procédures d’accompagnement des travailleuses victimes de harcèlement sexuel et ou de propos sexistes. Le problème peut être signalé à l’employeur via un·e représentant·e syndical·e, ou à la personne de confiance, ou au conseiller en prévention chargé des aspects psycho-sociaux. Le rôle de la personne de confiance est d’écouter, de soutenir la victime, de conseiller les différentes pistes existantes, d’orienter vers les services adéquats. Il ou elle peut faire office de médiateur. Une blague qui blesse n’est pas drôle Restons vigilants, ensemble, pour une communication respectueuse. Chacun peut surveiller son langage et ses actions, pour éviter d’avoir un mot ou un geste blessant. Certaines formes de sexisme sont plus « subtiles » que d’autres. Essayez de les identifier, et réagissez de manière conséquente. Même si ce n’est « qu’une blague ». Les blagues ne sont pas drôles quand elles font mal. Cela s’applique à vous-mêmes, à vos proches, à vos collègues. Être ouvert aux différences Une vision rigide de la société renforce les stéréotypes. Acceptons les différences, renforçons le respect. Nous sommes tous différents et c’est une bonne chose. Pourtant, nous devons nous assurer que nous avons toutes et tous les mêmes droits. Soyez à l’écoute Quelqu’un se confie à vous ? Écoutez sans préjugés et faites votre part du travail : apportez votre soutien, vos conseils, et orientez votre collègue. L’institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes vous propose également un formulaire de signalement, ainsi qu’un point « info » sur la question. N’hésitez pas à consulter leur site. J https://igvm-iefh.belgium.be/fr/infos-et-aide Dossier 18 N° 1 • Janvier 2021 Sexisme au travail Tolérance Pourquoi est-ce important de porter une attention particulière à ce phénomène ? Dalila : Le sexisme dans l’entreprise décourage les femmes. Elles finissent par travailler sans ambition. Il arrive qu’elles quittent leur travail sous une pression sexiste trop forte. Pourtant, les femmes, en Belgique, sont globalement plus diplômées que les hommes et sont des candidates de qualités. Si le monde de l’entreprise ne prend pas de dispositions fortes contre ces comportements sexistes, l’employeur qui a investi du temps et de l’argent dans ses collaboratrices voit son investissement perdu. C’est regrettable pour tout le monde. Martine : Le sexisme sur le lieu de travail est toujours très présent et très difficile à combattre. Beaucoup de gens ne savent pas comment y mettre fin. Pourtant il faut s’attaquer à ce phénomène de la même manière que l’on s’attaque au racisme. Il faut se demander « Est-ce que ça vous ferait encore rire si c’était aux dépends de votre soeur, de votre mère ? » Une tolérance zéro à l’égard du sexisme et du racisme devrait être la norme. » Pourquoi, justement, ces deux problèmes sont-ils traités diffèremment ? Martine : Parce que toute une série de gens ne comprennent pas que les formes subtiles du sexisme, principalement des « blagues », peuvent apparaître comme blessantes. « C’est juste une blague ! » Cela dit, depuis le mouvement #Metoo, les comportements changent. C’est la même chose pour les « gestes » déplacés. C’est à la victime de déterminer si une frontière est franchie, pas à celui qui pose le geste ! Dalila : Il faut aussi rappeler que les femmes de couleur subissent une double discrimination. Elles se confrontent à des attitudes sexistes ET racistes. Ces deux fléaux doivent être combattus avec la même rigueur. Ils répondent à une même construction, qui infériorise les femmes. Une entreprise moderne, et l’ensemble des travailleurs et travailleuses, se doivent de défendre des valeurs d’égalité. L’instruction, l’éducation, la formation sont des outils essentiels pour y arriver. La formation de nos délégué·e·s doit intégrer cette thématique, pour une évolution positive tant au niveau de la structure syndicale que des entreprises. Comment agir ? Martine : Il faut continuer à insister sur ce sujet, prendre position, et chercher un soutien en cas de besoin, tant au sein du syndicat qu’à l’extérieur. Pas à pas, il faut éliminer les inégalités. C’est un effort à long terme. En tant que syndicat, nous avons pris des mesures. Nous travaillons avec des quotas, par exemple. Il faut au moins une femme sur trois dans tous les organes officiels, et nous visons la parité. Cela fait une différence. Depuis septembre, nous avons pour la première fois un secrétariat fédéral avec quatre femmes et trois hommes. C’est une véritable réussite. Dalila : En Belgique, il existe déjà une législation qui punit le sexisme, la discrimination et le harcèlement sexuel au travail. Citons la loi sur le sexisme de 2014, la loi anti-discrimination de 2007 et la loi de 1996 sur le bien-être des employés dans l’exercice de leur travail. Mais dans la pratique, les procédures sont lourdes, et peu de victimes souhaitent engager la procédure. Il faut faciliter tout cela. Dans de nombreux cas, la victime est déjà partie quand la procédure aboutit… Si les salariées victimes de sexisme ne réagissent pas, c’est parce qu’elles ont peur de représailles. Si les employeurs ne mettent pas en place des mesures strictes de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel, c’est très difficile pour les travailleuses d’en parler. Peu de cas sont portés dans les tribunaux, elles se disent que ça ne sert à rien. Pourtant c’est à force de donner une visibilité à ces plaintes qu’elles prendront un réel sens. Car les conséquences psychiques sur les victimes sont désastreuses. Nous avons le devoir d’en faire un point essentiel dans le cadre du bien-être au travail. Martine Vandevenne et Dalila Larabi sont les expertes « Gender » de la FGTB. Via des actions, formations, de la sensibilisation, elles luttent au quotidien contre zéro! le sexisme dans le monde du travail. N° 1 • Janvier 2021 19 OIT Un cadre international de lutte contre le sexisme Le 21 juin 2019, les syndicats et leurs alliés du monde entier ont célébré l’adoption historique d’une loi internationale sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail : la Convention n° 190 (C190) de l’OIT (Organisation internationale du Travail). Avec une majorité favorable à l’adoption de cette convention, l’on a clairement déclaré que la violence et le harcèlement n’avaient PAS leur place au travail. La C190 de l’OIT reconnaît le droit de toutes et tous de travailler sans subir de violence et de harcèlement. Ce, tant dans l’économie formelle qu’informelle et quel que soit le statut de la personne. Cette convention est donc particulièrement novatrice puisqu’elle reconnaît que la violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique qui trouve sa source dans des rapports de pouvoir inégalitaires au sein de la société et dans le monde du travail En juin 2020, l’Uruguay est devenu le premier pays à ratifier la C190. L’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, la Belgique, l’Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Namibie, l’Ouganda et les Philippines ont signalé leur intention de la ratifier également. Et dès lors d’aligner leurs lois nationales sur les normes du traité. En Belgique, dans le cadre du processus de ratification, le Conseil National du Travail a un avis dans lequel il constate que, selon la déclaration gouvernementale, la législation nationale est conforme aux prescriptions de la Convention et qu’une procédure d’assentiment peut dès lors être envisagée. La Belgique dispose déjà d’un système de protection très développé en ce qui concerne la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Toutefois, la législation pourrait être renforcée sur certains points. • Former les personnes de de confiance, conseillers en prévention… afin, d’une part, qu’elles puissent orienter les victimes vers des services d’aide appropriés et, d’autre part, qu’elles tiennent compte des conséquences de la violence domestique dans le travail ; • Poursuivre le travail de sensibilisation sur les violences domestiques et leurs implications dans le travail ; • Améliorer les pratiques et notamment : – renforcer les recherches et la concertation pour identifier les secteurs, professions et modalités de travail qui exposent particulièrement les travailleurs et prendre des mesures appropriées ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris concernant la formation des acteurs du monde judiciaire et du monde du travail ; – examiner la possibilité de prendre de nouvelles mesures de soutien pour les victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail et de mettre en place des services de conseil pour les auteurs ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris en matière d’information et de sensibilisation. n En savoir plus… L’IFSI, travaille sur ces thèmes au quotidien, en partenariat avec des acteurs sociaux et syndicaux à travers le monde. L’IFSI est l’Institut de coopération syndicale internationale soutenu par la FGTB. Sur leur site, vous trouverez des analyses et publications en rapport avec la lutte contre les violences basées sur le genre sur le lieu de travail, et l’importance de la C190. J www.ifsi-isvi.be/category/publications/analyses-reflexions Dossier 20 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les entreprises enfin reconnues comme premier lieu de propagation de la Covid-19 Nous le défendions depuis des mois : le rôle du lieu de travail dans l’évolution de cette épidémie a toujours été minimisé. Aujourd’hui, notre appel a enfin été entendu. Sciensano, l’Institut belge de santé, publie désormais chaque semaine les lieux de contaminations les plus fréquents. Et sans grande surprise pour la Centrale Générale – FGTB, le premier lieu de contamination se trouve dans les entreprises avec plus de 40 % des foyers détectés. Et ce résultat ne reflète pas encore toute la réalité de l’impact du travail car les travailleurs d’autres secteurs comme les écoles, les hôpitaux ou les maisons de repos sont repris dans leur propre secteur plutôt que dans la catégorie entreprise. Ce chiffre devrait donc être bien plus élevé. L’apparition soudaine des données concernant le lieu de travail démontre que notre appel n’était pas anodin. D’autant plus que les résultats confirment ce que nous pensions depuis le début. Reste maintenant à prendre des mesures adéquates. Nous tenons donc à rappeler nos revendications en la matière : • un élargissement de la reconnaissance de la Covid-19 en tant que maladie professionnelle ; • une application totale du code du bien-être au travail et une analyse du risque particulier qu’est la Covid dans toute les entreprises ; • un véritable contrôle des mesures prises suites à ces analyses de risque ; • une analyse plus approfondie de ces données pour pouvoir identifier les secteurs à risque et donc ceux dans lesquels la prévention doit être renforcée. 0 % 10 % 20 % 30 % 40 % ENTREPRISES Maisons de repos Résidences pour personnes handicapées Types de clusters Autres collectivités résidentielles Clusters communautaires Autres clusters Écoles Clusters actifs rapportés par les régions par types de clusters Belgique, semaine 53 (28/12 au 03/01) CG 21 N° 1 • Janvier 2021 Secteurs du textile, entretien du textile, habillement et confection en 2021 Le Corona et le Brexit constituent des défis importants Le textile et les secteurs de la confection sont actuellement confrontés à de nombreux défis : la crise du Corona, mais certainement aussi le Brexit. Mais avec les délégués nouvellement élus, la Centrale Générale – FGTB est déjà en position de force pour les quatre années à venir. Nous passons en revue les défis et les priorités qui attendent les secteurs du textile et de la confection avec l’ancien secrétaire fédéral, Elie Verplancken qui part en RCC et Annelies Deman, qui a repris le flambeau depuis le 1er janvier. 2020 a bien entendu été une année particulière. La crise du Coronavirus a-t-elle durement impacté le secteur du textile et de l’habillement ? Elie : Pendant le premier confinement, un certain nombre d’entreprises ont été complètement fermées et l’emploi a diminué de 25 %. Mais sur une base annuelle, nous arrivons à environ 16 %. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas encore de tous les chiffres et nous ne connaîtrons le détail des conséquences du Coronavirus pour l’année 2020 que durant 2021. Dans l’ensemble, je pense que les dégâts ont été moins importants que ce que l’on craignait initialement. Mais pour le secteur du textile, il existe un autre facteur de risque qui peut faire davantage de dégâts : le Brexit. Le Royaume-Uni est l’un des plus gros clients du secteur belge du tapis. Il est très difficile d’estimer l’impact de cette mesure. Quel rôle la Centrale Générale a-t-elle pu jouer dans les secteurs ces dernières années ? Elie : Nous avons déjà négocié l’introduction du deuxième pilier de pensions dans l’industrie du textile. Au départ, cela a été très difficile pour les employeurs, mais lors des négociations finales pour une CCT sectorielle, nous sommes parvenus à un accord et le deuxième pilier sera en place à partir de 2021. Nous avons également travaillé dur sur une classification de fonctions commune pour les ouvriers et les employés. En raison de la loi sur la norme salariale, il n’a pas été facile de négocier de fortes augmentations de salaire, mais nous avons quand même réussi à tirer le maximum. Suite aux élections sociales, la FGTB reste-t-elle forte dans le textile ? Elie : Des élections sociales ont été organisées dans 132 entreprises des secteurs du textile, de la confection et de l’entretien du textile. Au CPPT, la FGTB a remporté 34 % des mandats, (une progression de 1,4 %) et au CE, 32,6 % (une progression de 0,5 %). Nous sommes donc contents ! Nous progressons le plus dans le secteur de l’entretien du textile et c’est important parce que dans ce secteur, la pression au travail est très forte. Une nouvelle période, une nouvelle secrétaire fédérale. Quelles sont les priorités pour les années à venir ? Annelies : Il est clair qu’entre les conséquences du Coronavirus et les incertitudes liées au Brexit, nous sommes confrontés à une année très importante. Les négociations pour un accord interprofessionnel (AIP) et sa transposition dans les secteurs seront essentielles. Ce sera un véritable défi. Mais avant tout, je veux mieux connaître les secteurs. Les élections sociales sont juste derrière nous. De nouvelles délégations très motivées sont constituées. J’ai hâte de les rencontrer. Parce que la force de notre syndicat se trouve bien sûr à la base, sur le terrain. CG 22 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les agressions envers les agents de gardiennage doivent cesser ! Les agents de gardiennage sont connus pour garantir la sécurité des personnes, des espaces publics ou privés ou encore des habitations. Or, depuis mars 2020, ces agents de gardiennage doivent également s’assurer que les mesures Corona soient bien respectées. Une tâche pas évidente étant donné les agressions fréquentes dont ils sont victimes. « Nous sommes présents dans les magasins et nous devons inciter les gens à respecter les mesures, mais ce n’est pas toujours apprécié. Les gens sont surtout agressifs verbalement, même si, voici quelques mois, un collègue s’est retrouvé à l’hôpital avec une grave commotion cérébrale suite à une altercation », explique Patrick, agent de gardiennage. Lui et ses collègues constatent une hausse des agressions verbales envers les agents de gardiennage depuis la crise du Coronavirus. Ils ont l’impression qu’à force de se voir rappeler les mesures sanitaires à respecter (garder ses distances, porter correctement son masque buccal, faire ses courses seul, prendre un chariot, se désinfecter les mains), les gens ont de moins en moins envie de les respecter, ils semblent blasés. « Dès que ce comportement agressif se manifeste, nous essayons d’expliquer que ces mesures sont imposées par le Gouvernement et que nous faisons simplement notre travail : on nous demande de les faire respecter », dit Patrick. Inutile d’en vouloir aux agents de gardiennage car c’est le Gouvernement qui fixe les règles. Il est donc grand temps d’être plus tolérant et de respecter ces travailleurs qui ont un rôle essentiel à jouer pour réduire les risques d’exposition à la Covid-19. Car c’est avec respect qu’ils assurent la sécurité de tous ! Téléchargez l’affiche sur J www.fgtbgardiennage.be Nous ne faisons que notre travail ! Emplois précaires et impact négatif sur la santé et le bien-être Selon une étude récente de la VUB (aile flamande de l’Université Libre de Bruxelles), il apparaît que les emplois précaires comportent plus de risques pour la santé et le bien-être des travailleurs. La situation familiale, un faible revenu du ménage ou des conflits entre vie privée et professionnelle, par exemple, jouent un rôle important à cet égard. Un emploi précaire, c’est un emploi sans contrat fixe, à temps partiel, mal rémunéré avec des horaires flexibles ou imprévisibles. Malheureusement, ce type d’emplois est en progression, y compris en Belgique. L’enquête menée par la VUB auprès de 3000 personnes a montré que les personnes qui ont un emploi précaire obtiennent de mauvais résultats en termes de bienêtre et de santé. Le bien-être de ces travailleurs est plus mauvais lorsque le revenu du ménage est faible ou lorsqu’il n’y a pas de bon équilibre entre vie privée et professionnelle. En outre, il s’avère que les travailleurs du secteur de la construction, du gardiennage et des titres-services sont particulièrement vulnérables. Ils encourent un risque plus élevé de problèmes de santé et de bien-être en raison de bas salaires – et donc des faibles revenus du ménage, des horaires de travail irréguliers qui contribuent à un déséquilibre entre vie privée et professionnelle et un risque accru de blessures physiques. Ces travailleurs doivent également faire face à la pression du temps pendant l’exécution de leur travail, à des conditions de travail physiques difficiles et à un manque d’autonomie ou de variation des tâches. Il existe un lien évident entre ces conditions de travail et le travail précaire : les travailleurs précaires sont plus souvent exposés à de telles conditions de travail du fait qu’ils ont structurellement moins de poids et de choix dans la détermination de leurs conditions de travail. Scannez le QR code pour remplir la deuxième enquête sur le travail précaire en Belgique actuellement en cours. Envie d’en savoir plus ? J www.precariouswork.be n N° 1 • Janvier 2021 23 Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits Car il n’y a pas de quoi être fiers ! Même si des avancées ont pu être enregistrées dans le fossé en matière de droits entre les femmes et les hommes au cours des dernières années, le chemin à parcourir reste long et semé d’embuches pour parvenir à une réelle égalité des droits dans une société construite sur le modèle qui reste — reconnaissons-le — essentiellement patriarcal. Ainsi, le taux d’emploi, les salaires et la qualité des contrats des femmes sont encore globalement inférieurs à ceux des hommes avec de grandes variations selon les secteurs. Et ce ne sont pas les politiques d’austérité des dernières années ni l’atténuation de la responsabilité sociale des entreprises (atteintes à la liberté de négociation collective) qui ont empêché les femmes de tomber les premières dans le travail précaire et la pauvreté. 5 questions parmi d’autres nous semblent essentielles et réclament des réponses énergiques ainsi que programmées dans le temps. 1. Écart de rémunération entre hommes et femmes Dans toute l’Europe, les femmes continuent de gagner en moyenne 16,4 %* de moins que les hommes pour le même emploi. Nous exigeons : • le développement et l’utilisation de systèmes de rémunération transparents ; • la revalorisation des fonctions et métiers à prédominance féminine (revalorisation salariale, amélioration des conditions de travail, validation des compétences, reconnaissance des qualifications) ; • la promotion de la mixité des métiers ; • la lutte contre toutes les formes de travail précaire, en particulier les emplois à temps partiels « non choisis » ; • la lutte contre la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes ; • la promotion de l’égalité d’accès aux congés parentaux ; • la lutte contre les discriminations à l’embauche dont les femmes sont encore trop souvent victimes en raison de la persistance de stéréotypes de genre. 2. Plafonds de verre La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. En outre, les femmes sont encore trop souvent confinées dans certains emplois, écartées d’autres et cantonnées dans des postes qui ne réclament que peu ou pas de formation. 3. Écart de retraite Une majorité de femmes ont — responsabilités familiales obligent — des carrières professionnelles plus courtes ou non complètes et ont tendance à occuper un emploi précaire (temps partiel, durée déterminée, contrats flexibles, etc.). En 2014, l’écart moyen dans l’UE28 s’élevait à 40,2 %, les hommes de 65 à 74 ans ayant en moyenne des retraites de 40 % supérieures à celles des femmes de la même tranche d’âge. Les régimes de sécurité sociale et, en particulier, les régimes de retraite doivent être solidaires, protégés, améliorés et adaptés afin de permettre aux femmes d’avoir une vie sûre et décente à tous les stades de la vie ! 4. Lutte contre les stéréotypes En dépit des dernières décennies de progrès en matière d’égalité des genres, les stéréotypes liés au genre restent présents dans nos vies quotidiennes, à domicile et au Les Métallos de la FGTB ont soutenu avec détermination la résolution adoptée lors du dernier Congrès d’Industriall Europe en 2020 et traitant DES questions d’égalité entre les femmes et les hommes et intitulée : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». * Source: Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE) Ecart des salaires entre les hommes et les femmes non-ajusté (2015). MWB 24 N° 1 • Janvier 2021 Métallurgistes Wallonie-Bruxelles travail, et ils sont source de discrimination. Les Métallos FGTB plaident pour l’élimination des stéréotypes liés au genre par la revalorisation des emplois à prédominance féminine en revalorisant les salaires, en améliorant les conditions de travail, en reconnaissant les qualifications, en encourageant la mixité hommes-femmes dans les compétences, etc. Les obligations familiales (éducation des enfants et tâches ménagères) ne doivent pas être perçues comme incombant exclusivement aux femmes. Elles relèvent d’une même responsabilité pour les parents quel que soit leur genre. 5. Violence contre les femmes La violence à l’égard des femmes est partout, à la maison, au travail, à l’école, dans les rues ou encore sur Internet, ceci sans distinction de classe sociale et de niveau d’éducation. La violence à l’égard des femmes reste la violation la plus importante et la plus répandue des droits humains, avec 1 femme sur 3 en Europe ayant été victime de violences physiques ou sexuelles à un moment de sa vie (depuis l’âge de 15 ans). Aujourd’hui, la violence des hommes à l’égard des femmes reste une cause majeure de décès chez les femmes. Les Métallos FGTB continueront à travailler conjointement avec IndustriAll Europe et la CES sur le projet « Safe at Home, Safe at Work ». En outre, nous resterons vigilants à l’égard de la protection des droits fondamentaux des femmes de disposer de leur corps et de leur vie. De plus, des mesures visant à prévenir, protéger et soutenir les victimes doivent être mises en œuvre partout et en particulier sur le lieu de travail et des sanctions doivent être prises contre les personnes reconnues coupables de violence sexuelle ou sexiste. Parce que notre objectif est la réalisation d’une société dans laquelle les hommes et les femmes ont les mêmes chances et droits d’épanouissement et de participation, les dates du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes et du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes sont cochées de manière indélébiles dans nos agendas Métallos présents et à venir. Dans chacune de nos négociations et systématiquement dès que nous en aurons l’occasion, l’aspect « gender » sera traité de manière transversale avec pour unique objectif : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». n La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. N° 1 • Janvier 2021 25 Au centre de la difficulté se trouve l’opportunité D Des paroles poétiques d’un homme intelligent. Albert Einstein était aussi incontestablement un homme optimiste. À la FGTB Métal et à l’UBT, nous le sommes également. Nous attendons beaucoup de 2021. Ensemble, nous mettrons cette nouvelle année à profit pour continuer le combat et saisir les opportunités qui se présenteront. Des opportunités pour obtenir de meilleures conditions sociales. Pour poursuivre la formation de nos délégués particulièrement motivés, qu’ils soient nouveaux ou chevronnés. Des opportunités générées par notre coopération pour encore mieux vous servir. Pour forcer ensemble un avenir meilleur pour tous les travailleurs. Au travail ! À la veille des négociations interprofessionnelles et des négociations sectorielles qui suivront, nous nous apprêtons à transformer les nombreux hommages rendus aux travailleurs pendant la crise du Coronavirus en augmentations salariales effectives, en de vrais emplois et en des conditions de travail meilleures et plus sûres. Il est de notre devoir syndical de continuer à renforcer le filet de sécurité sociale et de ne pas le laisser vider de sa substance par des économies ou des motifs idéologiques. Nous nous battrons pour ces objectifs à tous les niveaux de nos organisations. Nous ne sommes pas seuls, car ensemble nous sommes plus forts ! Nous poursuivrons aussi de manière intense, en Flandres, la coopération entre le Métal et le Transport. Nous continuerons à étendre notre réseau de bureaux communs dans cette partie du pays dans le but de répondre encore mieux à vos besoins. En 2021, la formation poursuivra son trajet de professionnalisation, en partie en ligne et physiquement dès que ce sera autorisé. Par ailleurs, nous lancerons sous peu une plateforme juridique commune pour fournir toute l’information nécessaire à nos délégués, nos propagandistes et nos secrétaires. Nous ne sommes en effet pas seuls. Année après année, des milliers de personnalités fortes aident et conseillent nos membres. Il s’agit d’un travail syndical qui nous rend fiers et qui présente d’innombrables opportunités. C’est pourquoi, nous continuerons à avancer, nous serons présents 365 jours par an et ne laisserons personne au bord du chemin. Voilà notre engagement pour 2021 ! Rohnny Champagne Frank Moreels Président FGTB Métal Président UBT Un cadeau de Nouvel An pour nos membres Des réductions supplémentaires et une nouvelle appli Pour bien commencer 2021, nous modernisons notre plateforme MyAdvantage. Notre but : vous faire profiter de plus d’offres encore et de réductions exclusives. Vous pourrez ainsi bénéficier de réductions de prix pour vos loisirs et surtout pour vos achats. Un nouveau look, davantage de fonctionnalités, des offres supplémentaires, une plus grande convivialité mais surtout une appli mobile flambant neuve. Grâce à cette nouvelle appli, vous pourrez profiter à tout moment de ces avantages, où que vous vous trouviez. Fantastique, non ? Scannez le code QR avec votre téléphone portable et téléchargez l’application EKIVITA en quelques secondes. Ou directement via le terme de recherche EKIVITA. Notre engagement pour 2021 UBT 26 N° 1 • Janvier 2021 Union Belge du Transport Ces entreprises entrent dans la nouvelle année de manière explosive ! Alors que la pandémie du Coronavirus continue à sévir et que notre économie a connu des temps bien meilleurs, ce n’est pas la misère partout. Au début du nouvel an, plusieurs entreprises marchent bien, voire très bien. C’est le cas aussi de quelques grandes entreprises de transport et logistiques. Aussi bien l’entreprise logistique Kuehne+Nagel que la firme de transport H. Essers se sont vu attribuer un rôle crucial dans la distribution du vaccin Covid-19 en Europe. S’il devait y avoir encore des sceptiques qui ne comprennent pas le rôle essentiel joué par les chauffeurs dans cette pandémie, lisez l’article qui suit et vous comprendrez. H. Essers : les chauffeurs assurent la distribution du vaccin de Pfizer le lendemain de Noël L’entreprise de transport belge H. Essers a obtenu fin décembre, comme partenaire logistique de l’entreprise pharmaceutique Pfizer, le contrat européen pour la distribution du vaccin de Pfizer en Europe. Depuis 2006, cette entreprise logistique est spécialisée dans le transport de produits pharmaceutiques avec une attention particulière pour la chaîne du froid. Cela signifie que la température des médicaments doit rester constante pendant tout le transport. Les semiremorques de la firme H. Essers sont équipées d’une série de senseurs pour mesurer la température. Ces senseurs sont suivis à partir d’une tour de contrôle. Une bonne chose pour le vaccin Covid-19 de Pfizer qui doit être transporté à une température de -70°C. Pfizer avait demandé de livrer le vaccin dans tous les États membres de l’Union européenne le lendemain de Noël. Les camions ont donc dû partir de notre pays le jour de Noël, voire avant, pour arriver à temps. La firme Essers ne s’est d’ailleurs pas seulement chargée des camions et des chauffeurs, mais aussi de la sécurité des transports. Essers, une entreprise familiale limbourgeoise, connaît depuis des années une croissance remarquable. Au cours des cinq dernières années, elle a connu une croissance de 10 % par an. La clé du succès réside dans sa spécialisation dans des niches comme le secteur pharmaceutique ou celui de la chimie, qui nécessitent une approche et des moyens spécifiques. C’est pourquoi H. Essers investit de plus en plus dans ses propres magasins, ce qui a permis à l’entreprise d’évoluer d’une entreprise de transport vers un acteur logistique intégré. Par ailleurs, Essers a repris récemment des entreprises dans le secteur de la logistique chimique en France et aux Pays-Bas. Kuehne+Nagel : stockage et distribution du vaccin Moderna au départ d’une plateforme belge Début janvier, l’entreprise logistique suisse Kuehne+Nagel annonçait qu’elle était chargée du stockage et de la distribution du vaccin Covid-19 de Moderna. La plateforme chimique du logisticien suisse en Belgique jouera un rôle clé dans cette opération. Le contrat logistique international concerne la distribution du vaccin sur les marchés en Europe, en Asie, au Moyen Orient, en Afrique et dans des parties de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord. En Europe, la production est aux mains de la société Lonza, à Visp en Suisse. Ce n’est pas une nouveauté que notre pays joue un rôle important dans la logistique pharmaceutique du groupe suisse, avec son centre de distribution spécialisé à Geel, récemment agrandi, et une plateforme pharmaceutique de 15.000 m² à Brussels Airport, qui vient d’ouvrir au mois de septembre dernier. Selon toute probabilité, le vaccin sera transporté de la Suisse en Belgique pour ensuite être distribué par la route et par l’air dans les différents pays via le réseau de Kuehne+Nagel. Ce réseau ne compte pas moins de 230 sites dans le monde. En Europe, le transport du vaccin se fera par la route. Le groupe dispose à cet effet de sa propre flotte de plus de deux cents véhicules spécialisés dans le transport de produits pharmaceutiques. Conclusion Ces exemples sont un signal d’espoir. Ils illustrent la résilience de notre industrie qui parvient à croître et à se développer, même en période de pandémie. Ils démontrent aussi que les entreprises logistiques et les entreprises de transport ont encore un bel avenir devant eux. Qui plus est, ils contribuent à forger l’avenir en investissant dans l’innovation, la croissance durable et des travailleurs compétents. Et oui, nous ne l’ignorons pas. L’année 2021 sera, elle aussi, difficile sur le plan économique. La crise du Coronavirus continue de sévir et de nombreuses entreprises sont en difficultés. Mais ne perdons pas espoir. Il y a de la lumière au bout du tunnel. L’exemple de ces entreprises en est une belle illustration. n 27 N° 1 • Janvier 2021 Friesland Campina ferme son entreprise Yoko Cheese à Genk Début novembre, les travailleurs de Friesland Campina ont appris, par la presse (!), la restructuration prévue par l’entreprise et sa volonté de supprimer environ 1.000 emplois en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le jeudi 10 décembre 2020, l’entreprise a annoncé la fermeture du site Yoko Cheese à Genk fin 2021. Cela représente une perte de 250 emplois… La direction de Friesland Campina se cache derrière la crise du Coronavirus qui aurait impacté la marge bénéficiaire de l’entreprise, alors que l’entreprise a toujours poursuivi son opérationnalité, comme entreprise alimentaire relevant des secteurs essentiels. « Dans la motivation de sa décision, la direction renvoie également à la crise du Coronavirus », réagit Nicole Houbrechts, Secrétaire régionale Horval à Campine-Limbourg. « Or, cela est injuste. Les travailleurs ont travaillé très dur pendant la crise du Coronavirus, également pendant les week-ends et après les horaires de jours normaux. » En réalité, cette fermeture fait partie d’un élargissement d’échelle prévu depuis déjà longtemps. Le site de Genk est trop petit et les activités sont transférées aux PaysBas. Le site à Genk n’est donc pas déficitaire, bien au contraire ; en 2019, les bénéfices s’élevaient encore à 4 millions d’euros. Le choix consiste à supprimer 250 emplois afin d’engranger davantage de bénéfices et non pas à réduire les pertes ou à garantir l’avenir de l’entreprise. Les travailleurs de Yoko Cheese ont appris qu’ils étaient sur le point de perdre leur emploi, juste avant la période de fin d’année. C’est encore plus dur à avaler dans cette période difficile d’insécurité, de distanciation sociale et de chômage temporaire, où tout le monde a consenti des efforts supplémentaires. Sauf les actionnaires apparemment. Suite à cette annonce, Yoko Cheese a fermé ses portes toute la semaine, afin de permettre aux travailleurs de se remettre de leurs émotions et de reprendre le travail en pleine forme la semaine suivante. Quelle compassion de la part de la direction… Le lundi 14 décembre, une concertation entre la direction et les syndicats a eu lieu. La seule revendication des syndicats était une prime afin d’encourager le personnel concerné à poursuivre le travail. La direction a encore une fois laissé voir son bon côté. « On a demandé une prime d’encouragement de 1.200 €, comme elle a déjà été payée à Campina Lummen », dit Nicole Houbrechts. « Or, la direction a proposé une prime de 400 € bruts, dont 30 % sur la fiche de paie et 70 % lors du départ. Quand nos délégués ont attiré l’attention sur la prime à Lummen, un membre de direction a fait la déclaration maladroite que là il s’agissait d’employés qui représentaient une plus grande valeur ajoutée dans l’entreprise. Un peu plus tard, cette prime a été portée à 450 €, mais les dégâts étaient déjà trop importants. Cerise sur le gâteau, une production de 99 % a été liée à cette prime. Ce taux est déjà difficilement réalisable dans des circonstances normales. » Suite à cette réunion, les travailleurs se sont mis en grève. Vu la période du Coronavirus, il leur a été demandé de rester à la maison, plutôt que de s’installer devant les portes de l’usine, à l’exception d’une poignée de personnes. La grève a duré jusqu’au 21 décembre. La direction a fini par céder aux revendications syndicales. Une prime a été prévue pour les ouvriers, conformément aux primes antérieures octroyées aux employés. Actuellement, le personnel a repris le travail et attend dans l’insécurité la suite de la procédure et le plan social. Pour Horval, il est inacceptable qu’une entreprise fasse sombrer 250 familles dans l’insécurité financière pour engranger davantage de bénéfices en faveur d’une poignée d’actionnaires. La FGTB Horval sera toujours là pour défendre les intérêts des travailleurs ! Horval 28 N° 1 • Janvier 2021 Alimentation / Horeca / Services La FGTB Horval solidaire avec le syndicat BACKUS Pratiques anti-syndicales d’AB InBev au Pérou Nous avons déjà mis en évidence l’attitude antisyndicale de l’entreprise AB InBev dans de nombreux pays et plus particulièrement au Pérou. Au fur et à mesure des fusions et de la globalisation du groupe, la culture de concertation sociale à la belge d’AB InBev, premier groupe brassicole mondial historiquement belge, s’est dissoute. AB InBev devient un gigantesque mastodonte qui ne supporte ni critique, ni opposition. La forme peut différer selon les pays, mais le fond et la démarche sont toujours les mêmes : écraser l’opposition, les « fauteurs de troubles », liquider les syndicalistes qui osent s’opposer à la politique du groupe, diviser le monde du travail et s’appuyer sur des organisations syndicales consensuelles, à l’écoute de la direction de l’entreprise. C’est vrai en Belgique, rappelons-nous du dossier AB InBev Jupille, c’est vrai au Pérou. Le parallélisme des réactions du groupe est frappant ! Au Pérou, AB InBev veut licencier le Secrétaire Général du syndicat BACKUS (filiale d’AB InBev), Luis Saman. L’entreprise dépose également plainte pour diffamation contre ce dernier en exigeant de très gros dédommagements (ce type de plainte peut coûter très cher et valoir de la prison). En Belgique, AB InBev a fait interdire l’exercice légitime de la grève par le tribunal et a demandé des astreintes contre les délégués FGTB, assorties de saisies mobilières. Une entreprise multinationale qui dégage des milliards de bénéfices a voulu saisir les meubles de ses travailleurs qui gagnent moins de 2.000 € par mois… Nous devons réaffirmer très fort certains principes : un syndicaliste n’est pas un terroriste ! Le droit de grève doit être respecté et protégé ! Nous devons construire l’union des travailleurs dans la lutte contre ces pratiques antisyndicales d’AB InBev partout dans le monde ! La FGTB Horval affirme sa solidarité et son soutien à ses camarades syndicalistes de BACKUS du Pérou et à son Secrétaire Général Luis Salman. Commission paritaire 119 Enfin un accord sectoriel ! Les confinements successifs ont démontré quels emplois et quels secteurs sont essentiels pour notre société. Le commerce alimentaire en fait partie. On a beaucoup entendu parler, à juste titre d’ailleurs, des employés des supermarchés qui ont dû poursuivre le travail dans des conditions compliquées et angoissantes. Or, il n’a jamais été question de la chaîne logistique qui a permis que les supermarchés soient approvisionnés. Pour la FGTB Horval, la reconnaissance de ce travail était indispensable ! Depuis le début, les fédérations patronales (COMEOS, UNIZO, UCM) se sont cachées derrière la diversité du secteur, qui se compose aussi bien de très petites que de très grandes entreprises. Elles ont prétendu que c’était la raison pour laquelle il était impossible de conclure un accord sectoriel. Pour les employeurs, la diversité était une raison suffisante pour éviter un quelconque accord. Ce n’est qu’après le dépôt d’un préavis de grève du front commun syndical que le dialogue a été à nouveau envisageable. Après des négociations très compliquées et très dures, un accord a pu être conclu. Premièrement, tous les jours de chômage temporaire ont été assimilés pour le calcul de la prime de fin d’année. Deuxièmement, un accord de solidarité a été trouvé : tous les jours de chômage temporaire en raison du Coronavirus, compris entre la période du 31 mars 2020 au 31 mars 2021 seront pris en compte. Enfin, une indemnité de 1,6 € par jour de chômage temporaire sera payée au travers du Fonds social. Lors de crises comme celle que nous traversons, les Fonds sociaux sont des acteurs essentiels pour la protection des travailleurs. n HASTA LA VICTORIA SIEMPRE ! N° 1 • Janvier 2021 29 2020 Une année exceptionnelle en tous points 2020 a enfin tiré sa révérence. Cette année aura été exceptionnelle en tous points. Des joies, des peines, des séparations douloureuses sans pouvoir dire au revoir à nos proches. Une année au cours de laquelle chacun a pu redécouvrir l’autre, dans un contexte de crise où toutes nos certitudes et habitudes ont été ébranlées. Souvent de belles surprises, une solidarité que l’on croyait oubliée et qui ressurgit de manière rassurante ! De temps en temps, par contre, des déceptions, du repli sur soi, de l’exclusion. La mise en place de mesures sanitaires, un confinement, des quarantaines… qui surfent souvent avec les limites de nos libertés fondamentales. Un système capitaliste qui montre sa fragilité et son cynisme, où les intérêts humains de santé ont été durement écornés et mis en concurrence insolente avec les intérêts économiques. Une mise en avant aussi des métiers les plus essentiels à notre survie, ceux les moins valorisés tant financièrement qu’humainement. Heureusement, un début de reconnaissance nécessaire, essentielle mais pas suffisante encore, pour tous ces métiers. Que formuler comme vœux pour 2021 ? Un changement profond ! Une solidarité plus grande, une rupture par rapport aux schémas capitalistes habituels. Une société centrée sur l’humain. Une société qui se donne les moyens de vaincre les pandémies, pas uniquement de manière curative, mais aussi surtout en les anticipant et en les évitant, notamment en respectant notre planète. L’urgence immédiate ? Vaincre cette pandémie. N’hésitons pas à utiliser les moyens mis à disposition pour cela (gestes barrières, vaccins…) tout en préservant nos libertés fondamentales. En 2021, plus que jamais, soyons au cœur de notre futur. Soyons acteurs du changement de notre société pour que nous puissions recommencer une vie humaine, faite de relations sociales riches, de solidarité et d’amitié ! Bonne année 2021, prenez soin de vous ! In memoriam Jean-Pierre Peutat, Secrétaire Permanent SETCa Verviers Cette année 2020 s’est achevée de manière encore plus grise qu’elle ne l’était déjà : avec l’annonce du décès de notre camarade et collègue Jean-Pierre Peutat, qui a occupé durant plus de 20 ans le poste de Secrétaire Permanent au sein de notre section de Verviers. Avec son empathie débordante et sa chaleur humaine, il faisait partie de ces personnes qui marquent directement le cœur et l’esprit à la première rencontre. Jean-Pierre a commencé sur le terrain en tant qu’éducateur à « La cité de l’espoir », un centre d’éducation et d’hébergement. C’est là qu’il a embrassé le début de sa carrière syndicale en devenant délégué. Il a ensuite intégré le service formation du SETCa Fédéral durant plusieurs années. C’est en 1995 qu’il a rejoint la section régionale de Verviers pour devenir Secrétaire Permanent. Il avait notamment en charge le secteur du Non Marchand et s’est investi dans de nombreux combats syndicaux, dont ceux menés au sein de « La cité de l’espoir », l’importante institution de la CP 219 où il avait fait ses débuts. Jean-Pierre combattait la maladie avec courage, dignité et détermination depuis plusieurs années. Son professionnalisme, sa force tranquille, son écoute, sa fraternité, sa loyauté et sa discrétion resteront en nos mémoires. Au revoir, camarade. SETCa 30 N° 1 • Janvier 2021 Les résultats Allons droit au but : s’ils doivent choisir, 68 % des travailleurs sondés préfèrent travailler de la maison. Selon eux, les principaux avantages du télétravail sont (par ordre) : le gain de temps (35 %), un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle (26,5 %), plus de calme (10 %) et l’impact environnemental (9 %). Mais il y a aussi des inconvénients (par ordre) : l’isolement (32,13 %), le manque de confort à la maison (20 %) et le sentiment de devoir être plus disponible à la maison qu’au travail (13 %). Avant la crise du Corona, environ 60 % des répondants avaient déjà accès au télétravail au sein de leur entreprise. 86 % d’entre eux voudraient qu’il soit élargi. 82 % des travailleurs pour lesquels le télétravail n’existe pas encore de manière structurelle désireraient que cette possibilité soit introduite au sein de leur entreprise. Il est évident que l’accès au télétravail est important pour vous. Pourtant, 1 personne sur 4 utilise son propre matériel à la maison pour travailler. Les outils les plus plébiscités sont le PC portable et l’accès à une ligne internet. 86 % des sondés estiment que le télétravail permet d’avoir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Notons toutefois que 20 % des participants estiment que le télétravail a une incidence négative sur leur vie privée. C’est pas moins d’1 travailleur sur 5. 2020 a été l’année où le Coronavirus a frappé sans pitié dans notre pays. Lorsque la Belgique a été confinée, le télétravail a été rendu obligatoire pour de très nombreuses personnes. Bien sûr, le télétravail existe depuis plus longtemps, mais l’obligation a forcé une percée dans les entreprises où il n’était pas possible jusqu’ici. Le télétravail est en tout cas appelé à rester. Nous avons dès lors voulu savoir comment vous le vivez. En octobre, nous avons lancé notre enquête « Télétravail : stop ou encore ? ». Vous avez réagi en masse à notre appel et avez été nombreux à compléter l’enquête. L’objectif était clair : quelles sont vos attentes ? Voulez-vous étendre ou encadrer le travail à domicile dans les entreprises où nous vous représentons ? Voudriez-vous que le télétravail soit élargi (plus de jours ou d’heures par semaine) au sein de votre entreprise ? Voudriez-vous que le télétravail soit mis en place de manière structurelle au sein de votre entreprise ? D’après votre expérience, le télétravail est-il un plus pour assurer un meilleur équilibre entre votre vie privée et votre vie professionnelle ? g Oui g Non 31 N° 1 • Janvier 2021 Environ la moitié des sondés pensent également travailler plus efficacement à la maison et être donc plus productifs. 12 % ont en revanche le sentiment d’être moins productifs. 35 % ne remarquent aucune différence. Bien que le télétravail soit donc ressenti positivement pour l’équilibre vie privée/vie professionnelle, 36 % des sondés se sentent isolés des collègues mais aussi des réalités de l’entreprise. Vu l’importance du contact, 85 % des travailleurs disent entretenir régulièrement des contacts avec les collègues au moyen de la visioconférence, du chat d’entreprise, d’appels téléphoniques ou par mail. Stop ou encore ? Le télétravail présente clairement des avantages et des inconvénients. Pour certains travailleurs, le télétravail offre des avantages tels que la mobilité ou une meilleure adéquation avec la vie de famille. D’un autre côté, une telle augmentation de la flexibilité et de la disponibilité peut générer du stress. La CCT n° 85 confère déjà un certain cadre. Il est nécessaire de négocier des balises au télétravail afin de prévenir les abus. Le télétravail doit dès lors être organisé en concertation avec la délégation syndicale afin de prévoir les garanties et compensations nécessaires (santé, charge psychosociale, fréquence, compensations). C’est pourquoi un accord sectoriel, contraignant sur le plan de l’entreprise, doit être conclu. Le télétravail ne peut en aucun cas entraîner une disponibilité constante des travailleurs. Pour que le télétravail soit au top pour tous, il faut un fonctionnement syndical optimal. Merci à tous ceux qui ont pris le temps de compléter notre enquête ! n Télétravail : stop ou encore ? SETCa 32 N° 1 • Janvier 2021 De quoi s’agit-il ? En tant que travailleur — sous contrat dans le secteur privé — vous avez le droit de vous absenter à la suite de la naissance de votre enfant. Vous pouvez prendre un congé de naissance si vous établissez la filiation de l’enfant à votre égard ou, pour les co-parents, si au moment de la naissance, vous êtes marié/vous cohabitez légalement avec la personne à l’égard de laquelle la filiation est établie, ou encore si vous habitez depuis au moins 3 ans (préalablement à la naissance) de façon ininterrompue et affective avec la mère de l’enfant, chez qui l’enfant à son domicile principal. Un seul travailleur a droit au congé de naissance. S’il existe par ailleurs un lien de filiation avec le père, il n’y aura qu’un droit au congé dans le chef du père. Combien de jours ? Vous avez droit à : • 10 jours en cas de naissance d’un enfant avant le 1er janvier 2021 ; • 15 jours en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2021 et avant le 1er janvier 2023 ; • 20 jours de congé de naissance en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2023. Comment prendre vos jours de congé ? Vous pouvez choisir et répartir librement vos jours de congé. Ils ne doivent pas nécessairement être pris en une fois. Seule condition : vous devez les prendre dans les 4 mois qui suivent l’accouchement. En cas de naissance de jumeaux ou de naissance multiple, vous n’avez droit qu’une seule fois au congé de naissance. Allocation Pendant les 3 premiers jours de votre congé de naissance, vous conservez votre rémunération complète à charge de l’employeur. Prévenez au préalable votre employeur de l’accouchement et de votre souhait d’exercer votre droit au congé de naissance. Prévenez-le de nouveau lors de la naissance. Remettez-lui les preuves nécessaires : copie du certificat de naissance (que vous recevez lorsque vous déclarez la naissance à la commune) et, le cas échéant, une copie de l’acte de mariage, une preuve de cohabitation ou un extrait du registre de la population. Au cours des jours suivants du congé de naissance (max. 7 jours pour les naissances antérieures au 01/01/2021, max. 12 pour les naissances à partir du 01/01/2021, max. 17 pour les naissances à partir du 01/01/2023), vous ne percevrez pas de rémunération, mais une allocation vous sera versée par votre mutualité. Introduisez une demande auprès de votre mutualité et remettez-lui toutes les informations demandées. Votre employeur communique le salaire sur la base duquel les allocations doivent être calculées. Votre mutualité vérifie, calcule et verse votre allocation. Bon à savoir : • Le montant de cette allocation est fixé à 82 % du salaire brut perdu, avec un plafond (brut) de 120,52 € par jour. Sur ce montant, votre mutualité retient un précompte professionnel (11,11 %). Pour l’adaptation à l’index de ce montant, consultez le site web de l’INAMI J www.inami.fgov.be (voir thème « Grossesse et naissance », « Montants et plafonds des indemnités »). • Les impôts finaux sur cette allocation ne seront portés en compte que 2 ans plus tard, lors du décompte final de vos impôts. Certains secteurs ou certaines entreprises prévoient par CCT plus que 3 jours avec maintien de la rémunération. L’employeur se charge alors pour les autres jours de régler la différence entre votre salaire et les allocations de la mutualité. Informez-vous auprès de votre employeur, de votre délégué et/ou de votre régionale FGTB. Protection contre le licenciement Sauf pour des motifs étrangers à la prise du congé de naissance, votre employeur ne peut pas mettre fin, de façon unilatérale, à votre contrat de travail à partir du moment où il a été averti par écrit (conservez donc toujours une preuve), et ce jusqu’à 3 mois après cet avertissement. En cas de non-respect de cette protection contre le licenciement, votre employeur vous serait redevable d’une indemnité forfaitaire égale à la protection brute de trois mois, outre l’indemnité compensatoire de préavis qui serait éventuellement due. n Congé de naissance 15 jours à partir de cette année Le congé de naissance sera relevé progressivement. En tant que travailleur père ou co-parent, vous avez maintenant droit à 15 jours de congé de naissance si votre enfant est né à partir du 1er Question/réponse janvier 2021. N° 1 • Janvier 2021 33 ÉMISSION TV « REGARDS » 1960-1961 Faits d’hiver L’émission télévisée « Regards », diffusée ce mois-ci sur les trois chaînes de la RTBF, vous propose un document exceptionnel : « Faits d’hiver », un film inédit de Paul Meyer (25 mn). Consacré à la grève de l’hiver 1960-1961, ce documentaire a été réalisé en 1990 par le grand cinéaste belge, auteur en 1959 du film « Déjà s’envole la fleur maigre ». Produit par la FGTB wallonne à l’occasion du 30e anniversaire de ce qu’on appelait à l’époque « la grève du siècle », ce film n’a connu que quelques projections publiques à sa sortie. La FGTB wallonne le remet en lumière aujourd’hui, alors que Paul Meyer aurait tout juste 100 ans et que l’on commémore le 60e anniversaire de la grève de ’60. « Faits d’hiver » nous en apprend beaucoup sur cet événement important de l’histoire sociale, avec la résistance syndicale et populaire à la « Loi unique », l’action d’André Renard et de la FGTB, les débats sur le fédéralisme et le contexte social et politique de l’époque. Mais il nous parle aussi, avec une singulière actualité, des politiques d’austérité, des violences policières, de la répression des mouvements sociaux, des attaques contre les syndicats et le droit de grève. Déjà diffusé à la RTBF en décembre dernier, il sera rediffusé plusieurs fois en février 2021. Voici la programmation en février – émission télévisée « Regards » : Samedi 13 février à 10h sur La Une Mercredi 17 février à 23h10 sur Tipik Jeudi 18 février à 24h05 sur La Trois Jeudi 18 février à 23h30 sur La Une (extrait de 10 mn) Lundi 22 février à 23h45 sur La Trois (extrait de 10 mn) Y EmissionREGARDS f regards.emissiontv Une affiche Agenda commune pour promouvoir la FGTB Luxembourg Un support de communication ? Différentes propositions ont été faites aux participants, à savoir la réalisation d’une vidéo, l’écriture d’un tract, la création d’un visuel à destination des réseaux sociaux… Au final, le choix s’est porté sur l’élaboration d’une affiche syndicale commune à toutes les entreprises luxembourgeoises. Le travail s’est décliné en la recherche : • d’un slogan : « La FGTB Luxembourg au cœur de vos attentes… Notre engagement quotidien ! » ; • d’un visuel propre à la région : la carte de la province ; • et d’une couleur en rapport avec le syndicat socialiste : le rouge. Auxquels sont venus se joindre plusieurs logos. Le résultat donne l’affiche ci-jointe. Réalisée par des travailleurs pour des travailleurs. Plusieurs de nos candidats l’ont d’ailleurs utilisée durant leur campagne. Et encore aujourd’hui, pour promouvoir la FGTB Luxembourg. n Le CEPPST — l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Luxembourg — a organisé, avant les débuts de la crise Covid, une formation à destination de délégués en entreprise. Le cadre posé, à savoir les futures élections sociales 2020, l’objectif était de réfléchir à la conception d’un support de communication propre à la province. Régions 34 N° 1 • Janvier 2021 CEPAG Cycle « La santé dans tous ses états » La crise sanitaire nous a touché de plein fouet. Ses conséquences sur notre vie sociale mais aussi au travail se feront sentir pendant longtemps. Dans ce contexte, et en tenant compte de la crise socio-économique qui s’annonce, le CEPAG a lancé, en octobre dernier, un cycle de réflexion sur la santé. Nos rendez-vous en 2021 • Vendredi 29 janvier : Réintégration des malades de longue durée • Vendredi 26 février : 5G et ondes électromagnétiques : quels dangers ? • Vendredi 26 mars : Dix ans de politiques sanitaires • Vendredi 23 avril : Conditions de travail dans les secteurs de la santé En raison de la situation sanitaire actuelle, les activités du cycle sont actuellement orgnaisées en ligne, sous forme de webinaires. Consultez le site J www.cepag.be ou la page FB f CEPAGasbl pour les informations pratiques. OPINIONS FGTB LA PREMIÈRE (RTBF) Soulèvements populaires au Sud : un nouveau « printemps des peuples » ? Insurrections, révoltes, soulè-vements populaires : de nombreux pays du Sud sont secoués par des mouvements sociaux de (très) grande ampleur. Exemple : en Inde, le soulèvement a donné lieu en novembre dernier à la plus grande grève de l’Histoire. Et au Nord, pendant ce temps-là ? On s’en tamponne, ou presque. Très peu d’écho dans nos médias, sans doute trop occupés par l’état d’urgence sanitaire pour observer avec un peu d’attention les raisons et enjeux des dynamiques sociales à l’œuvre. Au micro d’Opinions FGTB, Frédéric Thomas, chargé d’études au Centre tricontinental (CETRI), qui vient de codiriger la publication, aux Éditions Syllepse, d’un ouvrage collectif consacré à ces soulèvements populaires au Sud. Assisterait-on à une « mondialisation de la protestation sociale », un nouveau « printemps des peuples » ? Une séquence radio (7 mn) à écouter et partager ici : J www.fgtb-wallonne.be/ outils/radio/soulevementspopulaires-sud-nouveauprintemps-peuples f www.facebook.com/ fgtbwallonne/posts/ 2591807114277257 t twitter.com/FGTBwallonne/ status/1350088078120071173 LIÈGE-HUY-WAREMME Séances d’infos sur le contrôle de la disponibilité des chômeurs En janvier : 25 – 26 – 28 – 29 En février : 22 – 25 – 26 À quelle heure ? De 13h30 à 14h30 Où ? FGTB Liège-Huy-Waremme Place Saint-Paul 9 – 11 4000 Liège Inscriptions obligatoires 04/221.96.05 ou @ dispo.liege@fgtb.be Séances organisées dans le strict respect des mesures Covid. WALLONIE PICARDE Comment contacter la FGTB Wallonie Picarde ? Pour rappel, vous pouvez nous joindre : @ Par e-mail tournai@fgtb.be mouscron@fgtb.be antoing@fgtb.be ath@fgtb.be blaton@fgtb.be comines@fgtb.be (pour les agences de Comines et du Bizet) dottignies@fgtb.be lessines@fgtb.be leuze@fgtb.be peruwelz@fgtb.be ( Par téléphone (call center) 069/881.881 du lundi au jeudi de 8h30 à 12h et de 13h30 à 16h30 Par Facebook f FGTB Wallonie Picarde Rédaction : Syndicats Rue Haute 42 1000 Bruxelles E-mail : syndicats@fgtb.be Nicolas Errante, Rédacteur en chef Tél. : 02 506 82 44 Aurélie Vandecasteele, Journaliste Tél. : 02 506 83 11 Secrétariat : Sabine Vincent Tél. : 02 506 82 45 Service abonnements : 02 506 82 11 Ont collaboré à ce numéro : Vinnie Maes Annelies Huylebroeck Karen de Pooter Mada Minciuna Thomas Keirse Arnaud Dupuis Antonina Fuca Photos : iStock Shannon Rowies (action Champagne) Mise en page : ramdam.be cepag.be N° 1 • Janvier 2021 35 LA RESPONSABILITÉ CIVILE LA MINI OMNIUM LA MAXI OMNIUM RECEVEZ 20% DE RÉDUCTION SUR LA PRIME DE 3 GARANTIES PENDANT UN AN ! Souscrivez un contrat entre le 01/01/2021 et le 30/04/2021 inclus et payez la Responsabilité Civile, la Mini Omnium et/ou la Maxi Omnium 20% moins cher ! DÉCOUVREZ ÉGALEMENT NOS DIFFÉRENTS AVANTAGES ET RÉDUCTIONS. Primes avantageuses, assistance rapide 24h/24 et 7j/7 via l’application Actel Assist, réduction en fonction du kilométrage, réductions spécifi ques si vous disposez d’un garage, d’un carport ou d’un système d’aide à la conduite, … VOUS SOUHAITEZ PLUS D’INFOS OU UNE OFFRE SANS ENGAGEMENT ? Appelez gratuitement le contact center au 0800/49 490 ou surfez sur www.actelaffinity.be/fgtb/action Actelanity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – marque de P&V Assurances scrl – Entreprise d’assurances agréée sous le code 0058 – Rue Royale 151, 1210 Bruxelles. Ce document est un document publicitaire qui contient de l’information générale sur l’assurance auto Actelanity, développée par P&V Assurances, et qui est soumise au droit belge. L’assurance Actela nity fait l’objet d’exclusions, de limitations et de conditions applicables au risque assuré. Nous vous invitons donc à lire attentivement les conditions générales applicables à ce produit avant de le souscrire. Elles sont à votre disposition via le site internet www.actelanity.be/cgauto ou sur simple demande auprès d’un conseiller de notre contact center. Le contrat d’assurance est conclu pour une durée d’un an avec possibilité de reconduction tacite. En cas de plainte éventuelle, vous pouvez contacter un conseiller de notre contact center au 0800/49 490, votre interlocuteur privilégié pour toutes vos questions. Il fera tout son possible pour vous aider au mieux. Vous pouvez aussi prendre directement contact avec notre service Gestion des Plaintes qui examinera votre plainte ou remarque avec la plus grande attention. Nous concilierons au mieux les di érentes parties et essayerons de trouver une solution. Vous pouvez nous contacter par lettre (Gestion des Plaintes, Rue Royale 151, 1210 Bruxelles), par email plainte@actel.be ou par téléphone au 02/250.90.60. Si la solution proposée ne vous convient pas, vous pouvez vous adresser au service Ombudsman des Assurances (Square de Meeûs 35 à 1000 Bruxelles) par téléphone 02 547 58 71 ou par mail info@ombudsman.as. BESOIN D’UNE ASSURANCE AUTO? N’ATTENDEZ PLUS, ÉCONOMISEZ MAINTENANT ! ACTION TEMPORAIRE 20% DE RÉDUCTION LA PREMIÈRE ANNÉE SUR: EXCLUSIVEMENT POUR LES MEMBRES DE LA FGTB E.R. : P&V Assurances SCRL – Actelaffinity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – Actel est une marque de P&V Assurances SCRL – 01/2020 ACT1811-Annonce full paquet-FGTB-195×265.indd 1 9/01/19 09:39
AIP Augmenter les salaires pour sortir de la crise Enfin ! Relèvement de la pension minimum 6 8-9 13-20 Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. SEXISME au travail Toujours vrai aujourd’hui MENSUEL | Année 76 | n° 1 Janvier 2021 E.R. : Thierry Bodson rue Haute, 42 – 1000 Bruxelles BUREAU DE DÉPÔT : Charleroi X – P912051 Actualités Bonne retraite, chef ! …………………………………………………………………………………. 4 En bref ………………………………………………………………………………………………………….. 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise ………………………………………. 6 Lettre ouverte …………………………………………………………………………………………….. 7 Relèvement de la pension minimum : enfin ! …………………………………….. 8-9 C’est un joli nom, « Camarade ! » ………………………………………………………….. 10 À la santé des grosse fortunes ! ……………………………………………………………… 11 Améliorer la place des femmes sur le marché de l’emploi ……………….. 12 Dossier : Sexisme au travail Une réalité de tous les jours …………………………………………………………….. 13-20 Votre centrale Centrale Générale ………………………………………………………………………………. 21-23 MWB ……………………………………………………………………………………………………. 24-25 UBT ………………………………………………………………………………………………………. 26-27 Horval ………………………………………………………………………………………………….. 28-29 SETCa ………………………………………………………………………………………………….. 30-32 Régions Question/Réponse : congé de naissance……………………………………………… 33 Actualités régionales ………………………………………………………………………………. 34 Agenda des régions ………………………………………………………………………….. 34-35 @syndicatFGTB syndicatFGTB ABVV/FGTB La FGTB en ligne www.fgtb.be Inscrivez-vous à notre newsletter www.fgtb.be My FGTB votre dossier en ligne www.fgtb.be/my-fgtb Syndicats Magazine en ligne www.syndicatsmag.be Syndicats Magazine o Application mobile Sommaire 13-20 N° 1 2 N° 1 • Janvier 2021 Le terme « négocier » n’est pas tout à fait exact. Cette négociation est enfermée dans un carcan fixé par la loi de sauvegarde de la compétitivité. La fameuse « Loi de ’96 » impose en effet une comparaison, à charge du Conseil central de l’Économie (CCE), entre l’évolution prévue des salaires chez nous et chez nos voisins : France, Allemagne, Pays-Bas. L’idée étant de ne pas augmenter les salaires belges plus que les autres pour ne pas menacer nos exportations. Le CCE détermine ainsi une « marge » dans laquelle on pourra négocier l’évolution des salaires belges. Taille unique En toute logique, cette loi ne devrait concerner que les secteurs orientés vers l’exportation et soumis à la concurrence internationale. Mais la loi est ainsi (mal) faite qu’elle taille le même costume pour tous, exportateur ou non, secteur riche ou pauvre. Les patrons nous disent : « C’est la crise, il faut être raisonnable, ce n’est pas le moment de jouer les Saint-Nicolas. Pour relancer l’économie, il faut aider les entreprises. Il faut modérer les salaires… ». Sauf qu’en modérant les salaires, on limite la part du gâteau pour les travailleurs, même quand le gâteau grossit. Et c’est toujours le travail qui doit porter le corset… C’est la crise. C’est vrai. Et elle ne fait que commencer. Mais si certains secteurs ont été particulièrement touchés par le confinement et la baisse de l’activité, d’autres en ont bien profité. Tailler le même costume pour tous revient donc à faire un cadeau aux secteurs qui ont pu réaliser des profits. Miser sur la consommation intérieure Nous, nous disons qu’il faut relâcher le carcan et laisser négocier patrons et syndicats librement. Que les secteurs qui se portent bien, voire très bien, le traduisent à travers des augmentations de salaires (juste part des travailleuses et travailleurs). Nous faisons d’autres constats que ceux du CCE : 1. La baisse de l’activité est largement liée à la baisse de la consommation intérieure. Les services dits « non essentiels » ont été paralysés. À part de quoi manger, les gens ont peu acheté. Sauf ceux qui en ont les moyens et qui ont investi dans l’immobilier en plein boom. Il faut donner à la population les moyens de relancer la machine économique (par la consommation intérieure). L’augmentation des salaires est le nerf de la guerre. 2. Depuis des décennies, l’évolution des salaires est plus faible que l’évolution de la productivité. La part du gâteau des travailleurs et travailleuses diminue d’année en année alors que celle du capital augmente. 3. Le salaire minimum a en outre augmenté moins vite que l’ensemble des salaires, faisant grimper le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres, c’est-à-dire celles et ceux qui ont un revenu du travail insuffisant pour vivre. Et il y a aussi celles et ceux qui sont pauvres sans travail. 4. Cela se traduit par un approfondissement des inégalités et de la pauvreté que la crise Corona a fait exploser. Nous ne voulons pas d’une aumône D’après le calcul du CCE, la marge maximum pour améliorer les salaires en 2021-2022 serait de… 0,4 % ! Alors même que le pouvoir d’achat est en berne en cette période de crise profonde. Ce qui se passe aujourd’hui montre une fois de plus à quel point la loi de 1996* est totalement déconnectée de la réalité. La FGTB, mais aussi la CSC et la CGSLB, ont décidé de refuser en bloc ce cadre étriqué qui ne permet absolument pas d’entamer les négociations. À situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les règles budgétaires ont été assouplies pour les gouvernements, les entreprises ont bénéficié de soutien… Une souplesse doit également être appliquée pour permettre d’augmenter les salaires. Et faire de ce chiffre (0,4 %) une indication, pas une camisole de force. * Qui compare l’évolution de nos salaires avec celui des trois pays voisins afin de préserver la « compétitivité ». Tous les deux ans, patrons et syndicats se retrouvent autour de la table pour négocier un « Accord interprofessionnel » (AIP) sur un tas de questions relatives aux conditions de travail, mais le principal enjeu est la fixation de la norme salariale. C’est elle qui détermine l’ampleur — mais généralement la limite — de l’évolution des salaires. Cet AIP concerne près de 4 millions de personnes. AIP Une aumône de 0,4%… Non, merci Miranda Ulens Secrétaire générale Thierry Bodson Président Édito N° 1 • Janvier 2021 3 Ce numéro de Syndicats est le « dernier » de notre rédacteur en chef Nicolas Errante, qui entame désormais une nouvelle étape de sa vie : la pension ! Diplômé en journalisme et traduction, il démarrait sa carrière de journaliste professionnel en 1981. Il a fait ses armes au Drapeau rouge et au Peuple avant de rejoindre la FGTB en 1993, et plus particulièrement la rédaction du magazine Syndicats. Il devenait rédacteur en chef en 2006. D’un naturel discret, il était pourtant très présent dans ces pages. Nicolas écrivait en effet de nombreux dossiers et articles complexes, sur des thèmes précis, comme sa plume peut l’être. Pensions, fiscalité, chômage, allocations sociales, Nicolas est devenu un expert en ces matières essentielles. Il était également passionné par les coopératives ouvrières et leur fonctionnement, et a largement relayé nombre de ces initiatives. Nicolas a par ailleurs mené les diverses réformes du magazine Syndicats, et même entamé la réflexion sur le développement d’outils numériques. En 1996 déjà, il publiait la première version « PDF » de Syndicats sur l’intranet de la FGTB. Nicolas a toujours veillé à ce que Syndicats soit un outil intelligent, au service de nos affiliés, reprenant des sujets de fond, des reportages et des textes de qualité. C’est à nous aujourd’hui de poursuivre cette réflexion, et d’assurer la continuité de son travail. Nicolas nous manquera, sans aucun doute, mais nous savons qu’il a beaucoup à faire. Entre ses petits-enfants, son goût pour la cuisine, son apprentissage de l’espagnol et sans nul doute d’autres passions à naître, nous ne pouvons que lui dire merci et lui souhaiter une excellente retraite. L’équipe de Syndicats Bonne retraite, Chef! En mode pension En mode incognito En mode combatif En mode furtif Actu 4 N° 1 • Janvier 2021 EN BREF INDEX DÉCEMBRE 2020 Indice des prix à la consommation 109,49 Indice santé 109,88 Indice santé lissé 107,72 En décembre 2020, l’indice des prix à la consommation est en hausse de 0,03 % par rapport à novembre 2020. En rythme annuel, l’inflation se chiffre à 0,41 %. L’indice-pivot (de l’index santé lissé qui déclenche le relèvement des allocations sociales et les salaires du secteur public) s’élève à 109,34. PÉRIODES ASSIMILÉES DU CRÉDIT-TEMPS FIN DE CARRIÈRE : RECOURS AU CONSEIL D’ÉTAT DU FRONT COMMUN SYNDICAL La FGTB, la CSC et la CGSLB ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté royal du 17 janvier 2017. Pour rappel, cet arrêté royal prévoit que l’assimilation des périodes d’un crédit-temps fin de carrière pour les personnes ayant plus de 55 ans et une carrière de 35 ans introduit à partir du 1er janvier 2015 sera calculée sur base d’un salaire fictif forfaitaire (1.947,87 €). Ce faisant, ce texte supprime la possibilité qui existait pour ces personnes d’assimiler ces périodes au salaire réel pour 312 jours de 55 à 60 ans. Avec pour conséquence une pension inférieure. Et ce avec effet rétroactif puisque l’arrêté adopté en 2017 concerne les crédit-temps dès 2015. Le Conseil d’État a suivi partiellement le raisonnement des syndicats sur le fait que cela porte atteinte au principe de confiance des travailleurs qui avaient choisi de réduire leur temps de travail en prenant un crédit-temps fin de carrière dans la période entre le 1er janvier 2015 et le 17 janvier 2017. Le Conseil d’État a dès lors déclaré la nullité de la disposition en question pour ce qui est de la rétroactivité et des conséquences avant la publication. Pour tout ce qui se situe après la publication de l’arrêté royal, l’effet rétroactif est cependant maintenu. ADAPTATION DE L’INDEMNITÉ CHÔMAGE COMPLÉMENTAIRE CCT46 Le CNT a également adapté l’indemnité complémentaire de chômage pour le travail de nuit. Les travailleurs âgés qui justifient d’une ancienneté de 20 ans dans un travail de nuit peuvent demander de retourner définitivement à un régime de travail de jour à l’âge de 55 ans ou sous condition de raisons médicales sérieuses validées par le médecin du travail à l’âge de 50 ans. Si l’employeur ne peut proposer un travail de jour, le travailleur peut rompre le contrat sans être sanctionné par l’ONEM. Il touchera même pendant 5 ans une indemnité complémentaire de 152,24 €/mois (montant au 1er janvier 2021). ADAPTATION DU COMPLÉMENT D’ENTREPRISE CCT17 (PRÉPENSION) Chaque année le Conseil national du Travail adapte une série de montants au coût de la vie. C’est le cas du plafond de salaire de référence pour le calcul du complément d’entreprise pour la prépension CCT17 qui est revalorisé d’un coefficient de 1,0032 pour atteindre ainsi 4.179,43 €. C’est ce montant diminué de la cotisation personnelle à la sécurité sociale et du précompte professionnel qui sert à calculer le complément d’entreprise. Ce complément correspond à la moitié de la différence entre la rémunération nette de référence et les allocations de chômage. Allocations ellesmêmes calculées sur base de 60 % d’un salaire plafonné à 2.313,97 € par mois. N° 1 • Janvier 2021 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise AIP À la FGTB, nous voulons un accord interprofessionnel favorable à tous les secteurs et toutes les entreprises. Un tel accord permettrait à près de 4 millions de salarié·e·s — y compris celles et ceux des petites entreprises — de parvenir à un réel progrès, sous différentes formes : plus de salaire, des salaires minima plus élevés et des meilleurs régimes de fin de carrière. Mais cet accord doit reposer sur la volonté des deux parties. Or, les déclarations de la FEB excluant toute augmentation des salaires n’ont pas simplifié les choses. Et récemment, le calcul d’une marge disponible de… 0,4 % (d’après le Conseil Central de l’Économie) nous place dans l’impossibilité de négocier quoi que soit pour le moment. Pourtant, il y a de la marge… Augmenter les salaires et les revenus de remplacement est le meilleur moyen de stimuler la demande et de ramener notre économie à sa vitesse de croisière. C’est une nécessité, particulièrement dans les secteurs affaiblis par la crise et fortement dépendants de la consommation intérieure (comme le commerce, le tourisme…). Une marge de manœuvre existe pour négocier des améliorations de tous les salaires. Notamment parce que le coût du travail a augmenté plus lentement en Belgique que dans les pays voisins ces dernières années. Début 2020, la Belgique affichait 1 % de moins en la matière. Les travailleuses et travailleurs de notre pays doivent pouvoir résorber ce retard sur les pays voisins qui, eux, ne craignent pas de négocier de nouvelles hausses salariales (IG Metall, l’un des plus grands syndicats allemands, revendique une hausse de rémunération de 4 % sur 12 mois). Ce retard est particulièrement violent pour les bas salaires. Le salaire minimum intersectoriel ne cesse de perdre de la valeur par rapport au salaire médian. Et ce, parce qu’il n’a connu aucune augmentation — hors index — depuis de nombreuses années. Or, le mouvement inverse vient de se produire dans d’autres pays (base de données de l’OCDE sur le salaire minimum). Le salaire minimum dans la grande majorité des « fonctions essentielles » est largement inférieur à 14 €/2.300 € (bruts). Pourtant, les études démontrent qu’il s’agit du minimum nécessaire pour faire face aux besoins de base. Il conviendrait d’adapter les règles (para)fiscales afin que cette augmentation soit pleine et entière. À situations exceptionnelles, règles exceptionnelles Si nécessaire, les règles doivent être assouplies, comme c’est le cas pour le budget et pour le soutien aux entreprises en ce contexte Covid. Une flexibilité doit donc également être accordée aux négociations salariales. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les 3 syndicats refusent la norme impérative de 0,4 % et veulent pouvoir la considérer comme une simple indication qui n’empêche pas les secteurs d’augmenter les salaires en fonction de leurs contextes et réalités. Nous voulons croire que le cadre de la négociation peut encore évoluer pour qu’un AIP soit possible. n Actu 6 N° 1 • Janvier 2021 Combattre la Covid-19 sans saper les fondements démocratiques : possible, indispensable et urgent Lettre ouverte La semaine dernière, la ministre de l’Intérieur annonçait avoir préparé un projet de « loi pandémie », visant à fournir une base juridique aux mesures adoptées non seulement dans le cadre de cette pandémie, mais aussi pour les éventuelles répliques futures. Tout indique que ce texte va aller dans le même sens que les mesures déjà en vigueur. Si nous soutenons sans ambiguïtés la lutte contre la pandémie, nous ne pouvons accepter qu’elle soit utilisée à mauvais escient pour restreindre les droits et libertés fondamentaux, surtout si ces restrictions prennent un caractère définitif. C’est précisément le danger des crises : des restrictions qui seraient justifiées par l’urgence sont adoptées mais avec un caractère pérenne. Il va de soi que cette pandémie pose des défis majeurs à notre pays et nécessite des interventions sanitaires de grande ampleur. Toutefois, dans une démocratie, les citoyen·ne·s ne renoncent pas si facilement à leurs libertés lorsque les mesures prises leur semblent manquer de logique, lorsqu’elles ne sont pas ciblées, proportionnées et temporaires et lorsque tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Or, la stratégie actuelle comporte trois dangers : D’abord, pour pouvoir sanctionner quelqu’un, il est indispensable que les interdictions soient claires. Dans le cadre de cette pandémie, des individus ont été sanctionnés sur la base de textes vagues et la créativité des gouverneurs et bourgmestres avait peu de limites : couvre-feux, drones, interdictions de mener des actions de soutien à des travailleurs licenciés… Plus de 200.000 amendes ont été infligées, certaines pour des infractions mineures ou contestables. Or, s’il y a bien quelque chose qui nuit à l’adhésion aux mesures, c’est l’arbitraire. Un deuxième danger réside dans le fait que le contrôle judiciaire soit négligé au profit de l’exécutif. L’exemple le plus connu est celui des visites domiciliaires. Notre Constitution stipule que le domicile est inviolable et que seul un juge peut autoriser une perquisition, dans des cas exceptionnels. Néanmoins, le gouvernement a déclaré le procureur compétent pour accorder cette autorisation. La marge d’appréciation est large car un procureur n’est pas un juge indépendant et impartial. Troisièmement, lorsque le politique définit un cadre d’intervention vague et accorde davantage de pouvoir aux autorités répressives, il les encourage à agir de leur propre initiative. L’appel à dénoncer des voisins qui ne respectent pas les mesures entraîne des interventions et des incidents inutiles. Une police qui pense pouvoir se passer de toute autorisation d’un juge et se sent soutenue en ce sens par le politique est un phénomène inquiétant. La combinaison de ces trois tendances fait craindre l’émergence d’une crise démocratique, en plus d’une crise sanitaire. Les mesures doivent être ciblées, proportionnées et temporaires. Dès que la crise sanitaire s’atténue, les mesures de restriction des libertés doivent être levées. À défaut, on se rapproche dangereusement d’une forme de stratégie du choc, ce phénomène par lequel les gouvernements tirent profit de situations de crise pour introduire certaines mesures que la population est alors prête à accepter, ces mesures exorbitantes subsistant au-delà de la fin de la crise. La rapidité avec laquelle on porte atteinte à nos droits fondamentaux est tout sauf rassurante. L’instauration d’un climat d’arbitraire et de méfiance rend la société malade et est dangereuse. Ce dont nous avons besoin, c’est de solidarité et de confiance réciproque. Les autorités doivent agir pour assurer le droit à la vie et à la protection de la santé mais tout autant respecter les autres droits fondamentaux des individus : droit à la vie privée, droit à l’inviolabilité du domicile, droits économiques, sociaux et culturels. On ne peut restreindre toute forme d’expression et d’action sociale. En effet, celles-ci permettent aux groupes les plus touchés par la crise du Coronavirus et les moins écoutés de faire entendre leur voix. Quiconque compte abuser de la pandémie de Coronavirus doit s’attendre à faire face à de fortes controverses. n Signataires : Thierry Bodson, Président de la FGTB ; Jan Buelens, avocat chez Progress Lawyers Network ; Vanessa De Greef, chargée de recherches FNRS et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et responsable du Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GREPEC) ; Christelle Macq, chercheuse à l’UCLouvain et Présidente de la commission Justice de la Ligue des droits humains ; Marie Messiaen, Présidente de l’Association Syndicale des Magistrats ; Pierre-Arnaud Perrouty, Directeur de la Ligue des droits humains ; Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel à l’UCLouvain et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Diletta Tati, assistante et chercheuse à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ; Xavier Van Gils, Président d’Avocats.be ; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE ; Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits humains ; Kati Verstrepen, Présidente de la Liga voor Mensenrechten. 19 janvier 2021 7 N° 1 • Janvier 2021 Relèvement de la pension minimum ENFIN ! La pension minimum légale pour les travailleurs salariés et indépendants a été augmentée de 2,65 % au 1er janvier 2021. Il s’agit de la première d’une série d’augmentations annuelles sans précédent devant porter, en 2024, la pension minimum légale à 1.580 € bruts pour les travailleurs ayant une carrière de 45 ans. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous réjouir, bien sûr, que les pensions minimum soient enfin revues à la hausse, après des années de revendications et de combat. Mais ce n’est qu’un premier pas et ce n’est pas suffisant. Patricia Vermoote, Secrétaire fédérale de la FGTB La pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants augmentera progressivement en janvier de chaque année de façon à obtenir une augmentation de 11 % en 2024. Elle a déjà été augmentée de 2,65 % le 1er janvier 2021. On compte également sur les adaptations au bien-être, pour lesquelles les interlocuteurs sociaux prévoient traditionnellement une augmentation bisannuelle de 2 %. En tout, cela signifie une augmentation réelle du pouvoir d’achat de 15 à 16 %. Soit la plus grande augmentation enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale. Index En y ajoutant les indexations automatiques, la pension minimum brute pour isolés atteindrait 1.580 € début 2024. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui (environ 22 % d’augmentation). La pension de ménage minimum brute atteindrait 1.979 € en 2024 pour une carrière complète de 45 ans, soit une augmentation d’environ 360 € par mois. Les salariés qui n’ont pas une carrière complète verront également leur pension augmenter, mais proportionnellement à la durée de leur carrière. Pour les pensionnés ne touchant qu’une très maigre pension, la Garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) sera également relevée progressivement chaque année. Le Gouvernement veut parvenir, en 2024, à un montant de base brut de 983 € par mois pour une GRAPA /cohabitant. À savoir une augmentation de 213 € par mois. Pour les meilleurs revenus également, les perspectives s’annoncent plus roses en matière de pension. Le plafond de calcul pour les pensions futures, le salaire maximal pris en compte pour le calcul de la pension, augmente progressivement d’environ 4 % sur 4 ans. Pour l’année de carrière 2021, le plafond a maintenant été augmenté de 2,38 % pour les pensions qui prendront effet à partir de 2022. 1.500 € nets D’autres mesures restent nécessaires. La FGTB poursuit la lutte pour une pension minimum légale de 1.500 € nets pour quiconque peut justifier d’une carrière d’au moins 42 ans. « Une réflexion doit impérativement être menée sur la notion de carrière complète », poursuit Patricia Vermoote. « La condition pour bénéficier d’une pension minimum complète est de disposer d’une carrière de 45 ans, cela ne concerne qu’une très petite tranche de la population. On est donc encore très loin d’une pension minimum de 1.500 € nets pour tout le monde et ce sont les femmes qui sont plus particulièrement touchées. La concertation relative à la réforme des pensions va bientôt débuter, il faudra encore batailler dur et la FGTB sera présente. » Calcul du montant de la GRAPA La GRAPA est un complément de revenu octroyé après enquête sur les revenus. Les montants indiqués sont des maxima. Les revenus éventuels sont déduits de l’allocation maximale pour que la somme de ces revenus et la GRAPA atteigne le montant maximum de la GRAPA. Pour ce qui est d’un ménage, le total des ressources est divisé par le nombre de cohabitants y compris le demandeur. Ce montant divisé sera déduit du montant maximum de la GRAPA. Il n’est pas tenu compte, dans le calcul du montant de la GRAPA, de certaines ressources telles que : • les allocations familiales ; • les prestations qui relèvent de l’assistance publique ou privée (ex. : CPAS, institution de bienfaisance, assurance soins de la communauté flamande) ; • les rentes alimentaires entre ascendants et descendants ; • les allocations aux handicapés ; • l’allocation de chauffage du régime des travailleurs salariés ; Plus d’infos sur la GRAPA J www.sfpd.fgov.be/fr/droit-a-la-pension/grapa Actu 8 N° 1 • Janvier 2021 Les nouveaux montants à partir du 1er janvier 2021 La nouvelle législation est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 et a été automatiquement appliquée aux pensions et à l’allocation de garantie de revenus du mois de janvier. Si vous avez droit à l’augmentation, votre pension ou votre allocation de garantie de revenus sera automatiquement adaptée. Pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants avec une carrière complète de 45 ans* Ancien montant Àpd 01/01/2021 Pension d’isolé 1.291,69 € 1.325,92 € Pension de ménage** 1.614,10 € 1.656,88 € Pension de survie 1.274,43 € 1.308,20 € * Si vous n’avez pas une carrière de 45 ans, l’augmentation sera calculée en fonction de votre carrière. ** Une pension de ménage ne s’applique que lorsque l’un des partenaires n’a que peu ou pas de revenus de pension. Le Service des Pensions applique toujours la situation la plus favorable. Augmentation de la garantie de revenus pour personnes âgées (GRAPA) et du revenu garanti (RG) Les montants de base de la GRAPA et du RG sont augmentés de 2,58 %. Ancien montant Àpd 01/01/2021 GRAPAMontant de base pour cohabitants 769,61 € 789,47 € Montant de base majoré pour isolés 1.154,41 € 1.184,20 € RGMontant isolés 823,66 € 844,91 € Montant ménage 1.098,20 € 1.126,53 € Augmentation des minima sociaux dès janvier À partir de janvier 2021, les minima des allocations de chômage seront augmentés par étapes. Le Gouvernement a débloqué un budget de 343 millions d’euros pour augmenter le montant minimum des allocations de chômage. L’arrêté royal décrivant la mise en œuvre pratique stipule que les minima des allocations de chômage et des allocations d’insertion seront augmentés annuellement de 1,125 % pour toutes les catégories familiales pendant la période 2021 à 2024. Les nouveaux montants des allocations sont publiés sur le site de l’ONEM : • Chômage complet sans complément d’ancienneté J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/chomage-complet • Allocations d’insertion J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/allocation-dinsertion • Allocations de transition J www.onem.be/fr/documentation/bar%c3%a8mes/allocation-de-transition • Allocation de garantie de revenu (travail à temps partiel) J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/travail-temps-partiel Il existe cependant certaines exceptions auxquelles l’augmentation annuelle ne s’applique pas : • les chômeurs avec complément d’ancienneté, pour lesquels les minima sont déjà plus élevés ; • les travailleurs dans les systèmes de chômage avec complément d’entreprise (prépension), y compris à temps partiel ; • les chômeurs temporaires, pour qui le minimum a déjà été relevé dans le contexte de crise sanitaire ; • les allocations de vacances jeunes et seniors. n Même si toute augmentation des allocations de chômage constitue une avancée – et ce, en particulier pour les minima — la FGTB regrette qu’un certain nombre de groupes soient exclus de l’augmentation. L’augmentation est également trop limitée pour permettre d’augmenter les revenus des travailleurs sans emploi de 10 % au-dessus du seuil de pauvreté, ce que nous jugeons urgent. Les chômeurs demeurent le groupe ayant droit à des allocations chez qui le risque de pauvreté est le plus grand. Nous constatons néanmoins un changement de politique par rapport au gouvernement précédent. Nous espérons donc pouvoir parvenir rapidement à un accord sur des ajustements au bien-être de toutes les prestations sociales, via une augmentation plus significative des allocations de chômage. Cette question est également une préoccupation des organisations de lutte contre la pauvreté. N° 1 • Janvier 2021 9 C’est un joli nom, « Camarade ! » Depuis le mois de septembre, la Centrale Jeunes de la FGTB wallonne dispose de son propre journal qui répond au joli nom de « Camarade ! ». Ce dernier a pour vocation d’exprimer un point de vue syndical pour et par les jeunes syndicalistes. L’objectif de notre journal est double : informer nos affilié·e·s sur une série de sujets qui les concernent directement (changements législatifs, mobilisations syndicales, activités des Jeunes en régionales, …) mais également sensibiliser les jeunes (étudiant·e·s, apprenti·e·s, en stage d’insertion) quant à l’importance du syndicalisme et des combats sociaux. Chaque numéro — trimestriel — est l’occasion d’aborder des thématiques de société aussi variées que la lutte contre le capitalisme, l’extrême droite, le racisme, et de traiter des sujets actuels comme le féminisme ou encore l’écologie. Le numéro de septembre était dédié à l’enseignement et aux pédagogies alternatives. Celui de décembre portait sur la crise sanitaire actuelle. Le numéro de mars abordera évidemment les questions féministes ! Si « Camarade ! » entend mettre en évidence le syndicalisme jeune, le but est également d’influencer l’ensemble du monde syndical en proposant des réflexions en phase avec les attentes des Jeunes. Le journal est disponible en version papier et numérique, ce qui permet d’élargir notre audience. La version numérique permet également de proposer davantage de contenus entre chaque numéro mais aussi de diversifier les formats pour être plus en phase avec la communication sur les réseaux sociaux qui sont devenus l’une des premières sources d’information chez les jeunes. Enfin, « Camarade ! » se veut également participatif. Ainsi le journal est ouvert à contributions (pour autant qu’elles correspondent à notre ligne éditoriale) et nous tâchons de développer un réseau de contributeur·trice·s régulier·ère·s qui enrichit le journal de son expérience en tant que militant·e·s au sein des Jeunes FGTB ou dans d’autres secteurs. La mise en page est d’ailleurs assurée par une étudiante en arts graphiques affiliée dans notre Centrale. Le choix du titre ne doit évidemment rien au hasard. « Camarade ! » est sans doute le mot le plus utilisé dans la bouche d’un·e syndicaliste. Nous souhaitons lui rendre toute sa dimension, qu’il ne devienne pas une appellation sans contenu. Il représente notre volonté de construire un monde bâti autour des notions de solidarité, d’entraide et d’égalité. Nous espérons que notre journal y contribue à sa manière ! n Plus d’info J www.camarade.be fCamaradeWebMedia Actu 10 N° 1 • Janvier 2021 « Square des milliardaires » à Bruxelles Champagne ! À la santé des grosses fortunes ! Le 5 janvier à 12h, le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN) ont sabré le champagne devant le square du Bois à Bruxelles dit « Square des milliardaires ». Par cette action, ces organisations rappellent que le creusement des inégalités provoqué par la crise du Coronavirus n’empêche pas les gros patrimoines d’échapper toujours à l’impôt en Belgique. Sur base des données de l’OCDE, en Belgique, les 10 % les plus riches concentrent 21 % du revenu et près de la moitié du patrimoine national. Tandis que les 25 % les moins fortunés détiennent moins de 0,5 % des richesses. La Banque nationale indique que près d’un tiers des ménages ne pourrait pas vivre de ses économies au-delà de trois mois. L’écart entre le salaire minimum et les hauts salaires devient de plus en plus grand. La crise sanitaire creuse les inégalités Les pertes de revenus pour les indépendants et les chômeurs temporaires sont plus importantes en pourcentage pour les plus bas revenus. Par ailleurs, si la pauvreté rend malade, la maladie rend pauvre. La contribution personnelle aux soins de santé relativement élevée (le double des pays voisins) pousse les revenus modestes à ne pas recourir ou à se rendre aux urgences. 4 % des ménages ont dû faire face à des dépenses de santé qui représentaient 40 % de leurs dépenses totales. Mais ce n’est pas tout. Les indépendants, les étudiants et les travailleurs sous contrats temporaires ou actifs dans le secteur informel sont frappés de pertes importantes de revenus. Les inégalités sont également nourries par les vagues de licenciements et les faillites annoncées de petits commerces. La Belgique comptait en 2019 plus de 132.000 millionnaires, disposant d’au moins un million de dollars d’actifs (environ 882.000 €), soit une progression de 8,5 % en un an, selon le Rapport sur la richesse mondiale publié par Capgemini. Leur richesse s’évaluait à plus de 332 milliards de dollars, en croissance de 8,7 % par rapport à 2018. À qui la facture ? Ces derniers mois, l’importance des services publics et de la sécurité sociale a été mise en évidence. Il ne faudrait pas que ce soit aux victimes de la crise de payer la note, au moment où l’État devra se refinancer. Par ailleurs, depuis 50 ans, les réductions d’impôt qui ont été accordées aux plus riches dans les pays développés n’ont absolument pas contribué à créer de l’emploi ou de la croissance. La théorie du ruissellement est un leurre. Pour le FMI, entre autres, il faut au contraire à nouveau davantage taxer les plus fortunés. On oublie trop souvent que les taux marginaux d’imposition pour les plus riches étaient de 75 % aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Pour lutter contre les inégalités économiques, chacun devrait contribuer à l’effort en fonction de la hauteur de son patrimoine et de ses revenus. C’est le sens d’un impôt sur les patrimoines supérieurs à un million d’euros (hors habitation personnelle), réclamé par les organisateurs de l’action. n Le RJF et le FAN réunissent les syndicats et une quarantaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles. 11 N° 1 • Janvier 2021 Une priorité Améliorer durablement la place des femmes sur le marché de l’emploi Ce n’est un secret pour personne : les faits de sexisme sur le lieu de travail touchent majoritairement les femmes. Mais ces comportements inacceptables sont un des symptômes d’un phénomène plus étendu : la position précaire des femmes sur le marché de l’emploi, dénoncée de longue date par la FGTB Bruxelles. Dans son baromètre de la qualité de l’emploi en région bruxelloise publié en 2019, la FGTB pointait déjà la précarité de l’emploi féminin. Aujourd’hui, l’emploi féminin est sous-valorisé et l’écart salarial plafonne : il est encore situé autour de 20 %, malgré l’Article 119 du Traité de Rome sur l’égalité salariale ratifié par la Belgique en… 1957 ! Les femmes sont également surreprésentées dans les temps partiels subis. Elles éprouvent également plus de difficultés de concilier vie privée et travail dues, entre autres, au manque de structures d’accueil pour les enfants ou à une répartition inégale des tâches familiales au sein du ménage. À côté de cela, la FGTB pointe également une sous-représentation dans les fonctions dirigeantes, des stéréotypes persistants dans l’orientation scolaire, etc. La crise de la Covid-19 renforce les inégalités Cette situation plus que préoccupante à l’époque s’est encore aggravée durant la crise sociale et économique suite à la pandémie de la Covid-19. Les conséquences des confinements sont en effet différentes pour les femmes et les hommes. Tout d’abord, les femmes représentent la majorité des travailleurs de première ligne : 80 % des travailleurs occupés dans la gestion de la crise sanitaire sont des femmes et elles sont également aussi nombreuses dans les secteurs dits « essentiels » : commerce alimentaire, enseignement, crèches, nettoyage, etc. Les femmes sont plus touchées par les pertes de revenus liées au chômage temporaire, leur salaire étant bien souvent inférieurs à celui des hommes. Les mesures de confinement décrétées pour contrer l’augmentation des cas de Covid-19 ont transféré une charge de travail qui était assumée par le collectif vers la sphère privée, notamment les activités d’éducation et de soin : cette charge supplémentaire est majoritairement assumée par les femmes, déjà désavantagées par la répartition inégalitaire des tâches domestiques au sein du ménage. Les priorités de la FGTB Bruxelles pour sortir de la crise da la Covid-19 « par le haut » Sans mesures correctrices adéquates, la crise économique sans précédents risque bien de précariser encore plus l’emploi féminin et de renforcer durablement les inégalités hommesfemmes déjà bien présentes sur le marché du travail bruxellois. Pour contrer cette précarisation galopante, la FGTB Bruxelles réclame : Un renforcement des mesures de gender mainstreaming dans les politiques d’emploi et de formation sachant que 80 % des travailleurs de première ligne durant la crise sont des femmes : il est donc important de s’assurer que les emplois féminins ne reçoivent une protection inférieure à celle des hommes, avec une attention particulière pour les familles monoparentales. Parallèlement, l’égalité de traitement doit enfin être concrétisée par la solidarité et la lutte contre les discriminations : la création d’un dispositif de veille anti-discrimination (en partenariat avec Unia et l’institut pour l’égalité entre femmes et hommes) conjuguée à la mise en place d’actions positives vers les publics touchés par la précarité peuvent servir de base pour atteindre cet objectif important pour l’inclusion durable des femmes sur le marché de l’emploi. Enfin, il faudra absolument investir dans des services publics de qualité accessibles à tout·e·s et revaloriser les métiers du care (soins de santé, aide à domicile, nettoyage, etc.) dont l’importance capitale a été démontrée une fois de plus lors de la crise sanitaire : les revendications portées par la FGTB sur un salaire horaire minimum fixé à 14 € de l’heure, si elles sont finalisées, constituent là aussi une sortie par le haut de la crise que nous venons de traverser. La FGTB Bruxelles pèsera de tout son poids lors des prochains mois pour que les belles intentions annoncées par les décideurs politiques ces derniers mois se concrétisent par des actes forts, permettant à l’ensemble des travailleurs et travailleuses belges de retrouver la dignité qu’ils/ elles méritent. n Actu 12 N° 1 • Janvier 2021 Le sexisme au travail, toujours vrai aujourd’hui Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. Selon une étude européenne, 6 femmes sur 10 indiquent avoir déjà vécu des violences sexistes ou sexuelles au travail. Les femmes issues de minorité sont largement représentées dans cette statistique. Quelques constats : • tout comme dans l’espace public, les violences verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues sur le lieu de travail, au premier rang desquelles les sifflements ou les gestes grossiers (26 % des femmes interrogées en ont été victimes à plusieurs reprises) et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue (17 % en ont fait l’objet de manière répétée) ; • nombre de femmes rapportent avoir fait l’objet d’agressions physiques et sexuelles : 14 % ont subi à plusieurs reprises des contacts physiques « légers », 18 % des « attouchements » ; • 9 % des Européennes ont déjà subi au moins une fois des pressions de leur hiérarchie afin de céder à un acte de nature sexuelle (ex. : un rapport sexuel en échange d’une embauche ou d’une promotion…). DES REMARQUES SUR LA TENUE, LA VIE PRIVÉE… L’enquête menée par JUMP donne des résultats encore plus tranchés, puisque 94 % des personnes interrogées indiquent avoir vécu des comportements sexistes au travail. Selon cette étude, les manifestations les plus courantes du sexisme sont les blagues, suivies des remarques déplacées. Une femme interrogée sur deux considère qu’une promotion ne lui a pas été donnée à cause de son genre. Plus de trois quarts des femmes ont répondu avoir déjà subi des remarques sur leur façon de s’habiller, mais aussi sur la gestion de leur vie familiale et sur le fait qu’une femme est censée s’occuper de son foyer plutôt que de travailler. Plus de sept femmes sur dix ont déjà été victimes au moins une fois de gestes ou regards intrusifs et/ou déplacés sur leur lieu de travail et un quart des femmes interrogées témoignent avoir déjà été victimes de harcèlement ou agression physique. Lire l’intégralité de l’enquête J http://stopausexisme.be/sexismebientotfini À l’automne 2019, la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et la Fondation Jean Jaurès publiaient une grande enquête intitulée « Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail ». Le but : mesurer l’ampleur des violences sexistes ou sexuelles subies par les femmes européennes, sur leur lieu de travail. Plus de 5.000 femmes en âge de travailler ont répondu à cette enquête, dans cinq grands pays européens (Italie, Espagne, France, Royaume-Uni, Allemagne). Si la Belgique n’est pas reprise dans l’échantillon, l’on peut toutefois raisonnablement croire que les situations connues chez nos voisins le sont également chez nous. Il y a cinq ans, l’étude JUMP (réalisée principalement en Belgique et en France auprès de 3.400 femmes) démontrait que 9 femmes sur 10 avaient déjà vécu des « comportements sexistes » au travail. Notons que cette étude prenait en compte des critères supplémentaires — comme le fait d’être bloquée dans sa carrière en raison de son genre —, tandis que l’Observatoire ne s’attardait que sur les « violences » verbales ou physiques. Dossier N° 1 • Janvier 2021 13 Toutes concernées, mais pas toutes exposées au même risque L’Observatoire démontre également que toutes les femmes ne sont pas soumises au même niveau de risque, face à ces agressions. Plusieurs profils de femmes sont davantage exposés au phénomène, à savoir : les travailleuses jeunes, issues d’un milieu urbain, déjà discriminées pour leur orientation sexuelle ou leur religion, victimes de violences sexuelles par ailleurs ou par le passé, employées dans un environnement de travail masculin ou forcées à porter des tenues de travail considérées comme « sexy ». Le facteur « âge » joue un grand rôle. 42 % des femmes de moins de 30 ans ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête, contre 28 % des trentenaires, 24 % des quadragénaires et 16 % des quinquagénaires. La double peine des minorités Les résultats de l’étude démontrent que les femmes issues de minorités religieuses, en plus de subir des violences ou discriminations liées à leurs croyances, vivent également le sexisme de plein fouet. Ainsi, deux fois plus de femmes musulmanes (que de femmes qui se décrivent comme catholiques) ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête. « Cette surreprésentation des Musulmanes parmi les victimes récentes doit s’expliquer par des ‘effets de structure’ : la population musulmane étant surreprésentée dans les pans de la population les plus exposés à ces formes ‘d’harcèlement’ (ex. : jeunes, catégories populaires, grandes agglomérations). Mais elle met aussi en évidence les interactions entre les discriminations liées au genre et d’autres motifs comme les origines, la couleur de peau ou une religion réelle ou supposée », indique François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop, qui coordonnait l’étude. Le même principe s’applique aux femmes issues de minorités sexuelles. Les femmes bisexuelles ou lesbiennes sont plus souvent victimes de violences sexistes et sexuelles au travail : 36 % d’entre elles, soit presque deux fois plus que les hétérosexuelles (21 %). Les faits les plus rapportés : propos obscènes, envoi de vidéos inappropriées, propositions à connotation sexuelle… On le voit, les préjugés et clichés ont la vie dure. Le « problème » avec la tenue de travail imposée Il faut le dire et le répéter : en aucun cas la tenue portée par la victime n’est la cause de son agression. Dans 100 % des agressions sexuelles, le responsable, c’est l’agresseur. Pourtant, la tenue est encore largement perçue (à tort) comme une incitation, ou plutôt est utilisée comme « excuse » pour justifier le comportement machiste ou l’agression. C’est également le cas sur le lieu de travail. L’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail démontre que les femmes qui sont contraintes de travailler en uniforme ou dans une tenue de travail qui laisse apparaître leurs formes (exemple : jupe obligatoire, port de talons…) sont le plus souvent victimes d’agressions graves. C’est dans cette catégorie de travailleuses que l’on trouve le plus de femmes (33 %) ayant eu un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré ». « Cela soulève donc la question des tenues de travail genrées qui peuvent accentuer la pression sexuelle sur les femmes en en faisant des ‘objets de désir’ stéréotypés, notamment dans des secteurs (ex. : services publics, hôtellerie, restauration…) où elles sont directement en contact avec le public. » Des agresseurs à tous les échelons Et les agresseurs dans tout ça ? Contrairement aux idées reçues, les agresseurs ne sont pas uniquement les supérieurs hiérarchiques. Collègues directs, mais aussi clients, fournisseurs, visiteurs externes se partagent le triste gâteau. « La seule situation dans laquelle une fraction significative de femmes (à 34 %) rapporte avoir été harcelée par un supérieur a trait aux pressions psychologiques exercées pour obtenir un acte sexuel en échange par exemple d’une promotion ou d’une embauche. Les autres formes de violence sont soit le fait de collègues n’exerçant pas d’autorité hiérarchique — notamment les remarques gênantes sur le physique (à 46 %) ou les propos à connotation sexuelle (à 38 %) —, soit le fait de personnes extérieures comme des clients ou des fournisseurs (comme par exemple pour la réception de cadeaux gênants à 61 %). » Observatoire européen du sexisme J www.ifop.com/publication/observatoireeuropeen-du-sexisme-et-du-harcelementsexuel-au-travail Dossier 14 N° 1 • Janvier 2021 Sortir du cycle de la violence L’asbl « De Maux à Mots » lutte au quotidien contre toutes les formes de violences sexuelles. Cindy Renski, présidente, nous en parle. « La violence sexiste, ça commence généralement par des paroles blessantes ou infantilisantes, une fausse bienveillance rétrograde, des blagues douteuses, auxquelles personne ne prête attention, tant la culture du sexisme est ancrée dans notre société, comme une mauvaise tradition. Si on ne désamorce pas la situation dès le départ, la personne qui exerce la pression morale prend le pouvoir. Il peut s’ensuivre des attouchements, des violences physiques. La victime se referme alors sur elle-même. Les femmes qui subissent ou ont subi le sexisme au travail se sentent en effet coupable de leur situation. » Tout le monde a un rôle à jouer. Collègues, témoins, peuvent intervenir et dire « stop ». Très souvent, la peur des représailles ou la crainte de perdre son emploi pousse la victime à s’enfermer dans une forme de passivité, et tenter d’éviter au maximum d’aborder le problème. « La victime amène alors son angoisse à la maison, elle commence à avoir une crainte du travail, et là tout s’enchaîne : arrêt de travail, impossibilité de revenir, c’est la victime qui se retrouve écartée. Alors que c’est elle qui a besoin d’assistance psychologique et de soutien. » Burn out, dépression, crises d’angoisse, perte de confiance ou d’estime de soi, les conséquences sont nombreuses. Dès lors que pouvons-nous faire ? Agir, au plus tôt. « Nous insistons auprès de chaque personne concernée : il faut parler. Déposer une plainte, s’adresser à son représentant syndical ou à sa direction. Pour convaincre la victime de faire le pas, nous essayons d’activer un réflexe de protection de l’autre. En expliquant que dénoncer le problème évitera à d’autres travailleuses de subir la même chose. Nous insistons également sur le fait qu’il y a des lois et que celles-ci doivent être appliquées. Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. » En tant que femme de ménage dans un hôtel, je rencontre toutes sortes de clients. Selon l’humeur du client de l’hôtel, qui est donc aussi mon client, je suis confrontée à de multiples situations. La plupart des clients sont amicaux et compréhensifs et quittent souvent leur chambre lorsque je viens la nettoyer. Mais avec d’autres, c’est moins facile. Par exemple, il y a quelques années, j’ai dû faire face au harcèlement sexuel au travail. La première fois que je suis allée nettoyer la chambre d’un homme d’un certain âge, il a ouvert la porte… sans vêtements ! Bien sûr, j’ai été choquée. Je lui ai poliment demandé de bien vouloir passer des vêtements. Et il l’a fait. La fois suivante, quand je suis retournée laver sa chambre, une nouvelle mauvaise surprise m’attendait. Après avoir frappé à la porte, je suis entrée et j’ai trouvé l’homme nu sur le lit. Je me suis vite rendu compte que je ne pourrais pas régler cette situation seule. J’ai donc décidé de partir — sans faire le ménage — et j’en ai parlé avec mon employeur. Il a directement contacté le directeur de l’hôtel et celui-ci a, à son tour, contacté le client de l’hôtel. Nadine Cathy a été élue pour la première fois lors des récentes élections sociales. En tant que déléguée, elle souhaite avant tout offrir une oreille attentive aux collègues qui ont des questions ou des difficultés. Et elle est déterminée à s’attaquer aux problèmes qui se posent dans l’entreprise. « Depuis toute petite, je ne supporte pas l’injustice. Par le passé, je travaillais dans une entreprise où les propos misogynes et racistes étaient monnaie courante. J’ai immédiatement pris la parole contre cela. Mais la situation est devenue intenable. Je suis devenue un problème pour la direction, et j’ai finalement dû partir. Il n’y avait pas de représentation syndicale… Quand j’ai commencé à travailler chez ALVANCE Aluminium, il y a deux ans, ma décision a été rapidement prise : je voulais me rendre utile en tant que représentante syndicale. » Une des rares femmes L’entreprise n’emploie que quelques femmes, sur un total de 650 travailleurs. Cathy est la seule femme de son unité. « Au début, j’ai ressenti quelques réticences. J’ai eu le sentiment d’être ‘un intrus’ dans un bastion d’hommes. Mais ça a vite changé. Nous avons une bonne équipe, il y a beaucoup de respect entre les collègues, et ils savent de quoi je suis capable. Je débute en tant que délégués syndicale. Ce sont mes premiers pas ! J’évolue actuellement dans mon rôle avec le soutien de mon délégué principal. Mais il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je veux travailler dans les années à venir. Premièrement, nous devons avoir un point de contact accessible, pour pouvoir prendre en charge les problèmes des collègues à temps. Deuxièmement, il faut recruter plus de femmes. Enfin, je veux garantir l’équité et la justice pour toutes et tous, dans l’entreprise. » Cathy Van Rymenam, déléguée de l’entreprise métallurgique ALVANCE Aluminium Quand on parle de violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail, de quoi parle-t-on exactement ? La définition est large. Il peut s’agir de gestes déplacés, de propos grossiers, de remarques gênantes sur la tenue ou le physique de la victime, d’écrits ou de propos à caractère sexuel, de l’envoi de textes ou de photos obscènes, d’invitations gênantes, et, malheureusement de contacts physiques imposés, de rapports sexuels forcés. Un cycle de violence qu’il est essentiel d’enrayer dès les premiers signes d’agression. N° 1 • Janvier 2021 15 Violences sexuelles au travail Comment (ré)agir ? Les violences sexistes et sexuelles au travail font l’objet d’une réflexion régulière au sein du Bureau wallon des Femmes de la FGTB. Cette question a d’ailleurs fait l‘objet de la 4e journée des États généraux féministes organisée, en novembre 2019, avec le CEPAG, mouvement d’éducation permanente1 . En voici les principales conclusions… La violence à l’égard des femmes est multiforme : intrafamiliale, verbale, physique et/ou sexuelle, sexiste, psychologique, économique… Mais elle est également présente à tous les niveaux de la société : dans la sphère privée, dans l’espace public et au travail. Nous le verrons dans le dossier, où que se situe la violence, trop souvent, c’est la loi du silence qui prime. Comme dans la sphère privée ou domestique, les victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail doivent souvent se taire. En outre, les statistiques établies par les autorités sont encore peu nombreuses. Peu de femmes ont la force de réagir ou de dénoncer les faits par peur de perdre leur emploi, par honte, en raison de la lourdeur de la procédure ou parce qu’elles estiment que ça ne sert à rien… Sur ce dernier point, le fait que, dans de nombreux secteurs, les délégations syndicales comptent encore trop peu de femmes en leur sein peut avoir une influence. En effet, une femme victime aura plus de difficultés à s’adresser à un homme qu’à une femme et ce, en particulier en cas d’agression sexuelle. Par ailleurs, la peur de réagir et ainsi, de mettre en péril son emploi ou ses chances de promotion a été encore renforcée par les politiques d’austérité. Les économies réalisées sur les allocations sociales (comme les allocations de chômage ou les allocations de garantie de revenu pour le travail à temps partiel) et la limitation des droits sociaux (notamment celle des périodes assimilées) touchent plus particulièrement les femmes, dont elles restreignent l’autonomie financière. Ces politiques austéritaires aggravent donc le sort des femmes exposées à la violence, qu’elle soit conjugale, intrafamiliale ou au travail. Elles ont également fortement réduit les moyens alloués à la Justice, ce qui a aussi un impact sur la prise en charge des femmes victimes de violences. Une nécessaire approche individuelle ET collective Lors de la réflexion menée à l’occasion des États généraux féministes, les aspects et outils légaux ont été particulièrement mis en avant. Le harcèlement moral, la violence et le harcèlement sexuel au travail ont un impact sur la santé, la sécurité et donc le bien-être de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. L’employeur est donc tenu de respecter la législation en la matière. La législation existante — et qui comporte des aspects tant positifs que négatifs — doit donc être davantage exploitée. En reprenant la violence et le harcèlement sexuels au travail sous la catégorie des « risques psychosociaux », la loi met ainsi en évidence la responsabilité des employeurs. Ils ont donc des obligations et procédures à respecter et ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité lorsque de tels actes sont commis. On ne peut pas non plus négliger le rôle joué par l’organisation du travail, notamment dans certains secteurs. Ainsi, les femmes d’ouvrage ou les aides ménagères travaillant souvent seules, à l’extérieur de l’entreprise, sont par exemple plus vulnérables. Au niveau des organisations syndicales, il serait opportun que les formations sur la prévention et la gestion des risques psychosociaux prennent davantage en compte la dimension du genre pour mettre en lumière les rapports de domination à l’œuvre en cas de violences sexuelles au travail. Il serait également important de travailler encore plus avec les délégués et Dossier 16 N° 1 • Janvier 2021 déléguées sur la déconstruction des stéréotypes de genre dont se nourrissent les violences à l’égard des femmes. En effet, les propos et comportements sexistes préfigurent souvent la violence physique sexiste et sexuelle. Notre société est construite sur un modèle patriarcal pour lequel la femme est encore et toujours perçue comme une personne plus sensible et fragile sans réels moyens de défense. Cela induit des rapports inégalitaires dans la société qui sont transposables dans les collectifs de travail : • inégalité salariale ; • plafond de verre et plancher collant ; • ségrégation horizontale du marché du travail ; • temps partiels majoritairement féminins ; • femmes majoritairement victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui ont aussi un impact sur leur vie professionnelle ; • femmes majoritairement victimes de violences et de harcèlement sexuels au travail. Il apparaît donc essentiel d’avoir une approche individuelle des cas de violences sexistes ou sexuelles au travail ou dans la sphère privée tant pour assurer un accompagnement adapté et efficace de la victime que pour sanctionner l’auteur. Mais cela doit être combiné à une approche collective. Cette approche globale contribuera à faire en sorte que l’organisation du travail ne soit pas « facilitatrice » ou « propice » à ce type d’agissements mais aussi de tenir compte, par exemple, de l’impact des violences conjugales sur le bien-être au travail. Plus largement, cela permettrait à combattre le sexisme et à contribuer, enfin, à une société plus égalitaire. 25 novembre Une journée internationale contre les violences faites aux femmes En 1999, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 25 novembre « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Une journée importante pour les féministes et les organisations qui les soutiennent car elle est l’occasion de rappeler qu’aujourd’hui encore, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Ces violences sont la conséquence directe d’un système patriarcal encore fortement ancré dans l’ensemble de la société. Les inégalités entre les sexes persistent en effet dans le monde entier, empêchant les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux et compromettant leur vie ainsi que leur avenir. Des efforts doivent être faits pour parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles, notamment sur le plan juridique. D’ailleurs, la Belgique ne respecte pas ses engagements en la matière en n’appliquant pas totalement la Convention d’Istanbul qu’elle a pourtant officiellement adoptée en 20162. Victime ou témoin de violences sexuelles ou sexistes au travail ? La Cellule de Lutte contre les discriminations du CEPAG et de la FGTB wallonne (CLCD) est à vos côtés pour lutter contre toutes formes de discriminations — notamment sexistes —, d’exclusion ou d’exploitation à l’embauche, lors d’une formation ou au travail. Concrètement, la CLCD vous apporte une écoute, de l’information et un accompagnement de qualité si vous êtes témoin ou victime de discrimination. Contacter la CLCD ( 081 26 51 56 E clcd@cepag.be J www.clcd.info 1. https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_novembre_2019_-_violences_sexuelles.pdf 2. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique conclue à Istanbul, le 11.05.2011 – ratifiée par la Belgique le 14 mars 2016 et entrée en vigueur le 1er juillet 2016. MOBILISONS-NOUS CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES! STOP 17 N° 1 • Janvier 2021 Le silence n’est PAS une option Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. L’Observatoire européen fait également le constat suivant : sortir du silence est extrêmement difficile. Dénoncer une situation, c’est éventuellement prendre le risque d’un conflit avec son employeur, voire de perdre son emploi. De nombreuses femmes préfèrent subir remarques désobligeantes et commentaires en silence. Les femmes qui osent évoquer le problème à un supérieur ou à un représentant syndical restent peu nombreuses : 9 à 16 % selon les cas. Notons que ce chiffre augmente à 27 % chez les femmes de moins de 25 ans, tandis qu’il descend à 10 % chez les travailleuses « âgées ». Les différents mouvements de libération de la parole ont en effet certainement eu un impact plus grand parmi les jeunes. L’enquête « JUMP » confirme : plus de huit femmes sur dix déclarent ne jamais avoir fait appel aux autorités (entreprise, police…) pour dénoncer les faits subis). Un lieu de travail exempt de sexisme commence pourtant avec la parole de toutes et tous. Luttons au quotidien contre les comportements problématiques. Témoin du sexisme sur le lieu de travail ? En tant que témoin, vous avez un rôle à jouer. N’hésitez pas à condamner ouvertement le sexisme, à en parler à votre délégué et/ou à un responsable. Se taire face à des comportements inacceptables, c’est se rendre complice. Les organisations syndicales et les employeurs ont mis en place dans l’entreprise des procédures d’accompagnement des travailleuses victimes de harcèlement sexuel et ou de propos sexistes. Le problème peut être signalé à l’employeur via un·e représentant·e syndical·e, ou à la personne de confiance, ou au conseiller en prévention chargé des aspects psycho-sociaux. Le rôle de la personne de confiance est d’écouter, de soutenir la victime, de conseiller les différentes pistes existantes, d’orienter vers les services adéquats. Il ou elle peut faire office de médiateur. Une blague qui blesse n’est pas drôle Restons vigilants, ensemble, pour une communication respectueuse. Chacun peut surveiller son langage et ses actions, pour éviter d’avoir un mot ou un geste blessant. Certaines formes de sexisme sont plus « subtiles » que d’autres. Essayez de les identifier, et réagissez de manière conséquente. Même si ce n’est « qu’une blague ». Les blagues ne sont pas drôles quand elles font mal. Cela s’applique à vous-mêmes, à vos proches, à vos collègues. Être ouvert aux différences Une vision rigide de la société renforce les stéréotypes. Acceptons les différences, renforçons le respect. Nous sommes tous différents et c’est une bonne chose. Pourtant, nous devons nous assurer que nous avons toutes et tous les mêmes droits. Soyez à l’écoute Quelqu’un se confie à vous ? Écoutez sans préjugés et faites votre part du travail : apportez votre soutien, vos conseils, et orientez votre collègue. L’institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes vous propose également un formulaire de signalement, ainsi qu’un point « info » sur la question. N’hésitez pas à consulter leur site. J https://igvm-iefh.belgium.be/fr/infos-et-aide Dossier 18 N° 1 • Janvier 2021 Sexisme au travail Tolérance Pourquoi est-ce important de porter une attention particulière à ce phénomène ? Dalila : Le sexisme dans l’entreprise décourage les femmes. Elles finissent par travailler sans ambition. Il arrive qu’elles quittent leur travail sous une pression sexiste trop forte. Pourtant, les femmes, en Belgique, sont globalement plus diplômées que les hommes et sont des candidates de qualités. Si le monde de l’entreprise ne prend pas de dispositions fortes contre ces comportements sexistes, l’employeur qui a investi du temps et de l’argent dans ses collaboratrices voit son investissement perdu. C’est regrettable pour tout le monde. Martine : Le sexisme sur le lieu de travail est toujours très présent et très difficile à combattre. Beaucoup de gens ne savent pas comment y mettre fin. Pourtant il faut s’attaquer à ce phénomène de la même manière que l’on s’attaque au racisme. Il faut se demander « Est-ce que ça vous ferait encore rire si c’était aux dépends de votre soeur, de votre mère ? » Une tolérance zéro à l’égard du sexisme et du racisme devrait être la norme. » Pourquoi, justement, ces deux problèmes sont-ils traités diffèremment ? Martine : Parce que toute une série de gens ne comprennent pas que les formes subtiles du sexisme, principalement des « blagues », peuvent apparaître comme blessantes. « C’est juste une blague ! » Cela dit, depuis le mouvement #Metoo, les comportements changent. C’est la même chose pour les « gestes » déplacés. C’est à la victime de déterminer si une frontière est franchie, pas à celui qui pose le geste ! Dalila : Il faut aussi rappeler que les femmes de couleur subissent une double discrimination. Elles se confrontent à des attitudes sexistes ET racistes. Ces deux fléaux doivent être combattus avec la même rigueur. Ils répondent à une même construction, qui infériorise les femmes. Une entreprise moderne, et l’ensemble des travailleurs et travailleuses, se doivent de défendre des valeurs d’égalité. L’instruction, l’éducation, la formation sont des outils essentiels pour y arriver. La formation de nos délégué·e·s doit intégrer cette thématique, pour une évolution positive tant au niveau de la structure syndicale que des entreprises. Comment agir ? Martine : Il faut continuer à insister sur ce sujet, prendre position, et chercher un soutien en cas de besoin, tant au sein du syndicat qu’à l’extérieur. Pas à pas, il faut éliminer les inégalités. C’est un effort à long terme. En tant que syndicat, nous avons pris des mesures. Nous travaillons avec des quotas, par exemple. Il faut au moins une femme sur trois dans tous les organes officiels, et nous visons la parité. Cela fait une différence. Depuis septembre, nous avons pour la première fois un secrétariat fédéral avec quatre femmes et trois hommes. C’est une véritable réussite. Dalila : En Belgique, il existe déjà une législation qui punit le sexisme, la discrimination et le harcèlement sexuel au travail. Citons la loi sur le sexisme de 2014, la loi anti-discrimination de 2007 et la loi de 1996 sur le bien-être des employés dans l’exercice de leur travail. Mais dans la pratique, les procédures sont lourdes, et peu de victimes souhaitent engager la procédure. Il faut faciliter tout cela. Dans de nombreux cas, la victime est déjà partie quand la procédure aboutit… Si les salariées victimes de sexisme ne réagissent pas, c’est parce qu’elles ont peur de représailles. Si les employeurs ne mettent pas en place des mesures strictes de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel, c’est très difficile pour les travailleuses d’en parler. Peu de cas sont portés dans les tribunaux, elles se disent que ça ne sert à rien. Pourtant c’est à force de donner une visibilité à ces plaintes qu’elles prendront un réel sens. Car les conséquences psychiques sur les victimes sont désastreuses. Nous avons le devoir d’en faire un point essentiel dans le cadre du bien-être au travail. Martine Vandevenne et Dalila Larabi sont les expertes « Gender » de la FGTB. Via des actions, formations, de la sensibilisation, elles luttent au quotidien contre zéro! le sexisme dans le monde du travail. N° 1 • Janvier 2021 19 OIT Un cadre international de lutte contre le sexisme Le 21 juin 2019, les syndicats et leurs alliés du monde entier ont célébré l’adoption historique d’une loi internationale sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail : la Convention n° 190 (C190) de l’OIT (Organisation internationale du Travail). Avec une majorité favorable à l’adoption de cette convention, l’on a clairement déclaré que la violence et le harcèlement n’avaient PAS leur place au travail. La C190 de l’OIT reconnaît le droit de toutes et tous de travailler sans subir de violence et de harcèlement. Ce, tant dans l’économie formelle qu’informelle et quel que soit le statut de la personne. Cette convention est donc particulièrement novatrice puisqu’elle reconnaît que la violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique qui trouve sa source dans des rapports de pouvoir inégalitaires au sein de la société et dans le monde du travail En juin 2020, l’Uruguay est devenu le premier pays à ratifier la C190. L’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, la Belgique, l’Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Namibie, l’Ouganda et les Philippines ont signalé leur intention de la ratifier également. Et dès lors d’aligner leurs lois nationales sur les normes du traité. En Belgique, dans le cadre du processus de ratification, le Conseil National du Travail a un avis dans lequel il constate que, selon la déclaration gouvernementale, la législation nationale est conforme aux prescriptions de la Convention et qu’une procédure d’assentiment peut dès lors être envisagée. La Belgique dispose déjà d’un système de protection très développé en ce qui concerne la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Toutefois, la législation pourrait être renforcée sur certains points. • Former les personnes de de confiance, conseillers en prévention… afin, d’une part, qu’elles puissent orienter les victimes vers des services d’aide appropriés et, d’autre part, qu’elles tiennent compte des conséquences de la violence domestique dans le travail ; • Poursuivre le travail de sensibilisation sur les violences domestiques et leurs implications dans le travail ; • Améliorer les pratiques et notamment : – renforcer les recherches et la concertation pour identifier les secteurs, professions et modalités de travail qui exposent particulièrement les travailleurs et prendre des mesures appropriées ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris concernant la formation des acteurs du monde judiciaire et du monde du travail ; – examiner la possibilité de prendre de nouvelles mesures de soutien pour les victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail et de mettre en place des services de conseil pour les auteurs ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris en matière d’information et de sensibilisation. n En savoir plus… L’IFSI, travaille sur ces thèmes au quotidien, en partenariat avec des acteurs sociaux et syndicaux à travers le monde. L’IFSI est l’Institut de coopération syndicale internationale soutenu par la FGTB. Sur leur site, vous trouverez des analyses et publications en rapport avec la lutte contre les violences basées sur le genre sur le lieu de travail, et l’importance de la C190. J www.ifsi-isvi.be/category/publications/analyses-reflexions Dossier 20 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les entreprises enfin reconnues comme premier lieu de propagation de la Covid-19 Nous le défendions depuis des mois : le rôle du lieu de travail dans l’évolution de cette épidémie a toujours été minimisé. Aujourd’hui, notre appel a enfin été entendu. Sciensano, l’Institut belge de santé, publie désormais chaque semaine les lieux de contaminations les plus fréquents. Et sans grande surprise pour la Centrale Générale – FGTB, le premier lieu de contamination se trouve dans les entreprises avec plus de 40 % des foyers détectés. Et ce résultat ne reflète pas encore toute la réalité de l’impact du travail car les travailleurs d’autres secteurs comme les écoles, les hôpitaux ou les maisons de repos sont repris dans leur propre secteur plutôt que dans la catégorie entreprise. Ce chiffre devrait donc être bien plus élevé. L’apparition soudaine des données concernant le lieu de travail démontre que notre appel n’était pas anodin. D’autant plus que les résultats confirment ce que nous pensions depuis le début. Reste maintenant à prendre des mesures adéquates. Nous tenons donc à rappeler nos revendications en la matière : • un élargissement de la reconnaissance de la Covid-19 en tant que maladie professionnelle ; • une application totale du code du bien-être au travail et une analyse du risque particulier qu’est la Covid dans toute les entreprises ; • un véritable contrôle des mesures prises suites à ces analyses de risque ; • une analyse plus approfondie de ces données pour pouvoir identifier les secteurs à risque et donc ceux dans lesquels la prévention doit être renforcée. 0 % 10 % 20 % 30 % 40 % ENTREPRISES Maisons de repos Résidences pour personnes handicapées Types de clusters Autres collectivités résidentielles Clusters communautaires Autres clusters Écoles Clusters actifs rapportés par les régions par types de clusters Belgique, semaine 53 (28/12 au 03/01) CG 21 N° 1 • Janvier 2021 Secteurs du textile, entretien du textile, habillement et confection en 2021 Le Corona et le Brexit constituent des défis importants Le textile et les secteurs de la confection sont actuellement confrontés à de nombreux défis : la crise du Corona, mais certainement aussi le Brexit. Mais avec les délégués nouvellement élus, la Centrale Générale – FGTB est déjà en position de force pour les quatre années à venir. Nous passons en revue les défis et les priorités qui attendent les secteurs du textile et de la confection avec l’ancien secrétaire fédéral, Elie Verplancken qui part en RCC et Annelies Deman, qui a repris le flambeau depuis le 1er janvier. 2020 a bien entendu été une année particulière. La crise du Coronavirus a-t-elle durement impacté le secteur du textile et de l’habillement ? Elie : Pendant le premier confinement, un certain nombre d’entreprises ont été complètement fermées et l’emploi a diminué de 25 %. Mais sur une base annuelle, nous arrivons à environ 16 %. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas encore de tous les chiffres et nous ne connaîtrons le détail des conséquences du Coronavirus pour l’année 2020 que durant 2021. Dans l’ensemble, je pense que les dégâts ont été moins importants que ce que l’on craignait initialement. Mais pour le secteur du textile, il existe un autre facteur de risque qui peut faire davantage de dégâts : le Brexit. Le Royaume-Uni est l’un des plus gros clients du secteur belge du tapis. Il est très difficile d’estimer l’impact de cette mesure. Quel rôle la Centrale Générale a-t-elle pu jouer dans les secteurs ces dernières années ? Elie : Nous avons déjà négocié l’introduction du deuxième pilier de pensions dans l’industrie du textile. Au départ, cela a été très difficile pour les employeurs, mais lors des négociations finales pour une CCT sectorielle, nous sommes parvenus à un accord et le deuxième pilier sera en place à partir de 2021. Nous avons également travaillé dur sur une classification de fonctions commune pour les ouvriers et les employés. En raison de la loi sur la norme salariale, il n’a pas été facile de négocier de fortes augmentations de salaire, mais nous avons quand même réussi à tirer le maximum. Suite aux élections sociales, la FGTB reste-t-elle forte dans le textile ? Elie : Des élections sociales ont été organisées dans 132 entreprises des secteurs du textile, de la confection et de l’entretien du textile. Au CPPT, la FGTB a remporté 34 % des mandats, (une progression de 1,4 %) et au CE, 32,6 % (une progression de 0,5 %). Nous sommes donc contents ! Nous progressons le plus dans le secteur de l’entretien du textile et c’est important parce que dans ce secteur, la pression au travail est très forte. Une nouvelle période, une nouvelle secrétaire fédérale. Quelles sont les priorités pour les années à venir ? Annelies : Il est clair qu’entre les conséquences du Coronavirus et les incertitudes liées au Brexit, nous sommes confrontés à une année très importante. Les négociations pour un accord interprofessionnel (AIP) et sa transposition dans les secteurs seront essentielles. Ce sera un véritable défi. Mais avant tout, je veux mieux connaître les secteurs. Les élections sociales sont juste derrière nous. De nouvelles délégations très motivées sont constituées. J’ai hâte de les rencontrer. Parce que la force de notre syndicat se trouve bien sûr à la base, sur le terrain. CG 22 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les agressions envers les agents de gardiennage doivent cesser ! Les agents de gardiennage sont connus pour garantir la sécurité des personnes, des espaces publics ou privés ou encore des habitations. Or, depuis mars 2020, ces agents de gardiennage doivent également s’assurer que les mesures Corona soient bien respectées. Une tâche pas évidente étant donné les agressions fréquentes dont ils sont victimes. « Nous sommes présents dans les magasins et nous devons inciter les gens à respecter les mesures, mais ce n’est pas toujours apprécié. Les gens sont surtout agressifs verbalement, même si, voici quelques mois, un collègue s’est retrouvé à l’hôpital avec une grave commotion cérébrale suite à une altercation », explique Patrick, agent de gardiennage. Lui et ses collègues constatent une hausse des agressions verbales envers les agents de gardiennage depuis la crise du Coronavirus. Ils ont l’impression qu’à force de se voir rappeler les mesures sanitaires à respecter (garder ses distances, porter correctement son masque buccal, faire ses courses seul, prendre un chariot, se désinfecter les mains), les gens ont de moins en moins envie de les respecter, ils semblent blasés. « Dès que ce comportement agressif se manifeste, nous essayons d’expliquer que ces mesures sont imposées par le Gouvernement et que nous faisons simplement notre travail : on nous demande de les faire respecter », dit Patrick. Inutile d’en vouloir aux agents de gardiennage car c’est le Gouvernement qui fixe les règles. Il est donc grand temps d’être plus tolérant et de respecter ces travailleurs qui ont un rôle essentiel à jouer pour réduire les risques d’exposition à la Covid-19. Car c’est avec respect qu’ils assurent la sécurité de tous ! Téléchargez l’affiche sur J www.fgtbgardiennage.be Nous ne faisons que notre travail ! Emplois précaires et impact négatif sur la santé et le bien-être Selon une étude récente de la VUB (aile flamande de l’Université Libre de Bruxelles), il apparaît que les emplois précaires comportent plus de risques pour la santé et le bien-être des travailleurs. La situation familiale, un faible revenu du ménage ou des conflits entre vie privée et professionnelle, par exemple, jouent un rôle important à cet égard. Un emploi précaire, c’est un emploi sans contrat fixe, à temps partiel, mal rémunéré avec des horaires flexibles ou imprévisibles. Malheureusement, ce type d’emplois est en progression, y compris en Belgique. L’enquête menée par la VUB auprès de 3000 personnes a montré que les personnes qui ont un emploi précaire obtiennent de mauvais résultats en termes de bienêtre et de santé. Le bien-être de ces travailleurs est plus mauvais lorsque le revenu du ménage est faible ou lorsqu’il n’y a pas de bon équilibre entre vie privée et professionnelle. En outre, il s’avère que les travailleurs du secteur de la construction, du gardiennage et des titres-services sont particulièrement vulnérables. Ils encourent un risque plus élevé de problèmes de santé et de bien-être en raison de bas salaires – et donc des faibles revenus du ménage, des horaires de travail irréguliers qui contribuent à un déséquilibre entre vie privée et professionnelle et un risque accru de blessures physiques. Ces travailleurs doivent également faire face à la pression du temps pendant l’exécution de leur travail, à des conditions de travail physiques difficiles et à un manque d’autonomie ou de variation des tâches. Il existe un lien évident entre ces conditions de travail et le travail précaire : les travailleurs précaires sont plus souvent exposés à de telles conditions de travail du fait qu’ils ont structurellement moins de poids et de choix dans la détermination de leurs conditions de travail. Scannez le QR code pour remplir la deuxième enquête sur le travail précaire en Belgique actuellement en cours. Envie d’en savoir plus ? J www.precariouswork.be n N° 1 • Janvier 2021 23 Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits Car il n’y a pas de quoi être fiers ! Même si des avancées ont pu être enregistrées dans le fossé en matière de droits entre les femmes et les hommes au cours des dernières années, le chemin à parcourir reste long et semé d’embuches pour parvenir à une réelle égalité des droits dans une société construite sur le modèle qui reste — reconnaissons-le — essentiellement patriarcal. Ainsi, le taux d’emploi, les salaires et la qualité des contrats des femmes sont encore globalement inférieurs à ceux des hommes avec de grandes variations selon les secteurs. Et ce ne sont pas les politiques d’austérité des dernières années ni l’atténuation de la responsabilité sociale des entreprises (atteintes à la liberté de négociation collective) qui ont empêché les femmes de tomber les premières dans le travail précaire et la pauvreté. 5 questions parmi d’autres nous semblent essentielles et réclament des réponses énergiques ainsi que programmées dans le temps. 1. Écart de rémunération entre hommes et femmes Dans toute l’Europe, les femmes continuent de gagner en moyenne 16,4 %* de moins que les hommes pour le même emploi. Nous exigeons : • le développement et l’utilisation de systèmes de rémunération transparents ; • la revalorisation des fonctions et métiers à prédominance féminine (revalorisation salariale, amélioration des conditions de travail, validation des compétences, reconnaissance des qualifications) ; • la promotion de la mixité des métiers ; • la lutte contre toutes les formes de travail précaire, en particulier les emplois à temps partiels « non choisis » ; • la lutte contre la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes ; • la promotion de l’égalité d’accès aux congés parentaux ; • la lutte contre les discriminations à l’embauche dont les femmes sont encore trop souvent victimes en raison de la persistance de stéréotypes de genre. 2. Plafonds de verre La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. En outre, les femmes sont encore trop souvent confinées dans certains emplois, écartées d’autres et cantonnées dans des postes qui ne réclament que peu ou pas de formation. 3. Écart de retraite Une majorité de femmes ont — responsabilités familiales obligent — des carrières professionnelles plus courtes ou non complètes et ont tendance à occuper un emploi précaire (temps partiel, durée déterminée, contrats flexibles, etc.). En 2014, l’écart moyen dans l’UE28 s’élevait à 40,2 %, les hommes de 65 à 74 ans ayant en moyenne des retraites de 40 % supérieures à celles des femmes de la même tranche d’âge. Les régimes de sécurité sociale et, en particulier, les régimes de retraite doivent être solidaires, protégés, améliorés et adaptés afin de permettre aux femmes d’avoir une vie sûre et décente à tous les stades de la vie ! 4. Lutte contre les stéréotypes En dépit des dernières décennies de progrès en matière d’égalité des genres, les stéréotypes liés au genre restent présents dans nos vies quotidiennes, à domicile et au Les Métallos de la FGTB ont soutenu avec détermination la résolution adoptée lors du dernier Congrès d’Industriall Europe en 2020 et traitant DES questions d’égalité entre les femmes et les hommes et intitulée : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». * Source: Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE) Ecart des salaires entre les hommes et les femmes non-ajusté (2015). MWB 24 N° 1 • Janvier 2021 Métallurgistes Wallonie-Bruxelles travail, et ils sont source de discrimination. Les Métallos FGTB plaident pour l’élimination des stéréotypes liés au genre par la revalorisation des emplois à prédominance féminine en revalorisant les salaires, en améliorant les conditions de travail, en reconnaissant les qualifications, en encourageant la mixité hommes-femmes dans les compétences, etc. Les obligations familiales (éducation des enfants et tâches ménagères) ne doivent pas être perçues comme incombant exclusivement aux femmes. Elles relèvent d’une même responsabilité pour les parents quel que soit leur genre. 5. Violence contre les femmes La violence à l’égard des femmes est partout, à la maison, au travail, à l’école, dans les rues ou encore sur Internet, ceci sans distinction de classe sociale et de niveau d’éducation. La violence à l’égard des femmes reste la violation la plus importante et la plus répandue des droits humains, avec 1 femme sur 3 en Europe ayant été victime de violences physiques ou sexuelles à un moment de sa vie (depuis l’âge de 15 ans). Aujourd’hui, la violence des hommes à l’égard des femmes reste une cause majeure de décès chez les femmes. Les Métallos FGTB continueront à travailler conjointement avec IndustriAll Europe et la CES sur le projet « Safe at Home, Safe at Work ». En outre, nous resterons vigilants à l’égard de la protection des droits fondamentaux des femmes de disposer de leur corps et de leur vie. De plus, des mesures visant à prévenir, protéger et soutenir les victimes doivent être mises en œuvre partout et en particulier sur le lieu de travail et des sanctions doivent être prises contre les personnes reconnues coupables de violence sexuelle ou sexiste. Parce que notre objectif est la réalisation d’une société dans laquelle les hommes et les femmes ont les mêmes chances et droits d’épanouissement et de participation, les dates du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes et du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes sont cochées de manière indélébiles dans nos agendas Métallos présents et à venir. Dans chacune de nos négociations et systématiquement dès que nous en aurons l’occasion, l’aspect « gender » sera traité de manière transversale avec pour unique objectif : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». n La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. N° 1 • Janvier 2021 25 Au centre de la difficulté se trouve l’opportunité D Des paroles poétiques d’un homme intelligent. Albert Einstein était aussi incontestablement un homme optimiste. À la FGTB Métal et à l’UBT, nous le sommes également. Nous attendons beaucoup de 2021. Ensemble, nous mettrons cette nouvelle année à profit pour continuer le combat et saisir les opportunités qui se présenteront. Des opportunités pour obtenir de meilleures conditions sociales. Pour poursuivre la formation de nos délégués particulièrement motivés, qu’ils soient nouveaux ou chevronnés. Des opportunités générées par notre coopération pour encore mieux vous servir. Pour forcer ensemble un avenir meilleur pour tous les travailleurs. Au travail ! À la veille des négociations interprofessionnelles et des négociations sectorielles qui suivront, nous nous apprêtons à transformer les nombreux hommages rendus aux travailleurs pendant la crise du Coronavirus en augmentations salariales effectives, en de vrais emplois et en des conditions de travail meilleures et plus sûres. Il est de notre devoir syndical de continuer à renforcer le filet de sécurité sociale et de ne pas le laisser vider de sa substance par des économies ou des motifs idéologiques. Nous nous battrons pour ces objectifs à tous les niveaux de nos organisations. Nous ne sommes pas seuls, car ensemble nous sommes plus forts ! Nous poursuivrons aussi de manière intense, en Flandres, la coopération entre le Métal et le Transport. Nous continuerons à étendre notre réseau de bureaux communs dans cette partie du pays dans le but de répondre encore mieux à vos besoins. En 2021, la formation poursuivra son trajet de professionnalisation, en partie en ligne et physiquement dès que ce sera autorisé. Par ailleurs, nous lancerons sous peu une plateforme juridique commune pour fournir toute l’information nécessaire à nos délégués, nos propagandistes et nos secrétaires. Nous ne sommes en effet pas seuls. Année après année, des milliers de personnalités fortes aident et conseillent nos membres. Il s’agit d’un travail syndical qui nous rend fiers et qui présente d’innombrables opportunités. C’est pourquoi, nous continuerons à avancer, nous serons présents 365 jours par an et ne laisserons personne au bord du chemin. Voilà notre engagement pour 2021 ! Rohnny Champagne Frank Moreels Président FGTB Métal Président UBT Un cadeau de Nouvel An pour nos membres Des réductions supplémentaires et une nouvelle appli Pour bien commencer 2021, nous modernisons notre plateforme MyAdvantage. Notre but : vous faire profiter de plus d’offres encore et de réductions exclusives. Vous pourrez ainsi bénéficier de réductions de prix pour vos loisirs et surtout pour vos achats. Un nouveau look, davantage de fonctionnalités, des offres supplémentaires, une plus grande convivialité mais surtout une appli mobile flambant neuve. Grâce à cette nouvelle appli, vous pourrez profiter à tout moment de ces avantages, où que vous vous trouviez. Fantastique, non ? Scannez le code QR avec votre téléphone portable et téléchargez l’application EKIVITA en quelques secondes. Ou directement via le terme de recherche EKIVITA. Notre engagement pour 2021 UBT 26 N° 1 • Janvier 2021 Union Belge du Transport Ces entreprises entrent dans la nouvelle année de manière explosive ! Alors que la pandémie du Coronavirus continue à sévir et que notre économie a connu des temps bien meilleurs, ce n’est pas la misère partout. Au début du nouvel an, plusieurs entreprises marchent bien, voire très bien. C’est le cas aussi de quelques grandes entreprises de transport et logistiques. Aussi bien l’entreprise logistique Kuehne+Nagel que la firme de transport H. Essers se sont vu attribuer un rôle crucial dans la distribution du vaccin Covid-19 en Europe. S’il devait y avoir encore des sceptiques qui ne comprennent pas le rôle essentiel joué par les chauffeurs dans cette pandémie, lisez l’article qui suit et vous comprendrez. H. Essers : les chauffeurs assurent la distribution du vaccin de Pfizer le lendemain de Noël L’entreprise de transport belge H. Essers a obtenu fin décembre, comme partenaire logistique de l’entreprise pharmaceutique Pfizer, le contrat européen pour la distribution du vaccin de Pfizer en Europe. Depuis 2006, cette entreprise logistique est spécialisée dans le transport de produits pharmaceutiques avec une attention particulière pour la chaîne du froid. Cela signifie que la température des médicaments doit rester constante pendant tout le transport. Les semiremorques de la firme H. Essers sont équipées d’une série de senseurs pour mesurer la température. Ces senseurs sont suivis à partir d’une tour de contrôle. Une bonne chose pour le vaccin Covid-19 de Pfizer qui doit être transporté à une température de -70°C. Pfizer avait demandé de livrer le vaccin dans tous les États membres de l’Union européenne le lendemain de Noël. Les camions ont donc dû partir de notre pays le jour de Noël, voire avant, pour arriver à temps. La firme Essers ne s’est d’ailleurs pas seulement chargée des camions et des chauffeurs, mais aussi de la sécurité des transports. Essers, une entreprise familiale limbourgeoise, connaît depuis des années une croissance remarquable. Au cours des cinq dernières années, elle a connu une croissance de 10 % par an. La clé du succès réside dans sa spécialisation dans des niches comme le secteur pharmaceutique ou celui de la chimie, qui nécessitent une approche et des moyens spécifiques. C’est pourquoi H. Essers investit de plus en plus dans ses propres magasins, ce qui a permis à l’entreprise d’évoluer d’une entreprise de transport vers un acteur logistique intégré. Par ailleurs, Essers a repris récemment des entreprises dans le secteur de la logistique chimique en France et aux Pays-Bas. Kuehne+Nagel : stockage et distribution du vaccin Moderna au départ d’une plateforme belge Début janvier, l’entreprise logistique suisse Kuehne+Nagel annonçait qu’elle était chargée du stockage et de la distribution du vaccin Covid-19 de Moderna. La plateforme chimique du logisticien suisse en Belgique jouera un rôle clé dans cette opération. Le contrat logistique international concerne la distribution du vaccin sur les marchés en Europe, en Asie, au Moyen Orient, en Afrique et dans des parties de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord. En Europe, la production est aux mains de la société Lonza, à Visp en Suisse. Ce n’est pas une nouveauté que notre pays joue un rôle important dans la logistique pharmaceutique du groupe suisse, avec son centre de distribution spécialisé à Geel, récemment agrandi, et une plateforme pharmaceutique de 15.000 m² à Brussels Airport, qui vient d’ouvrir au mois de septembre dernier. Selon toute probabilité, le vaccin sera transporté de la Suisse en Belgique pour ensuite être distribué par la route et par l’air dans les différents pays via le réseau de Kuehne+Nagel. Ce réseau ne compte pas moins de 230 sites dans le monde. En Europe, le transport du vaccin se fera par la route. Le groupe dispose à cet effet de sa propre flotte de plus de deux cents véhicules spécialisés dans le transport de produits pharmaceutiques. Conclusion Ces exemples sont un signal d’espoir. Ils illustrent la résilience de notre industrie qui parvient à croître et à se développer, même en période de pandémie. Ils démontrent aussi que les entreprises logistiques et les entreprises de transport ont encore un bel avenir devant eux. Qui plus est, ils contribuent à forger l’avenir en investissant dans l’innovation, la croissance durable et des travailleurs compétents. Et oui, nous ne l’ignorons pas. L’année 2021 sera, elle aussi, difficile sur le plan économique. La crise du Coronavirus continue de sévir et de nombreuses entreprises sont en difficultés. Mais ne perdons pas espoir. Il y a de la lumière au bout du tunnel. L’exemple de ces entreprises en est une belle illustration. n 27 N° 1 • Janvier 2021 Friesland Campina ferme son entreprise Yoko Cheese à Genk Début novembre, les travailleurs de Friesland Campina ont appris, par la presse (!), la restructuration prévue par l’entreprise et sa volonté de supprimer environ 1.000 emplois en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le jeudi 10 décembre 2020, l’entreprise a annoncé la fermeture du site Yoko Cheese à Genk fin 2021. Cela représente une perte de 250 emplois… La direction de Friesland Campina se cache derrière la crise du Coronavirus qui aurait impacté la marge bénéficiaire de l’entreprise, alors que l’entreprise a toujours poursuivi son opérationnalité, comme entreprise alimentaire relevant des secteurs essentiels. « Dans la motivation de sa décision, la direction renvoie également à la crise du Coronavirus », réagit Nicole Houbrechts, Secrétaire régionale Horval à Campine-Limbourg. « Or, cela est injuste. Les travailleurs ont travaillé très dur pendant la crise du Coronavirus, également pendant les week-ends et après les horaires de jours normaux. » En réalité, cette fermeture fait partie d’un élargissement d’échelle prévu depuis déjà longtemps. Le site de Genk est trop petit et les activités sont transférées aux PaysBas. Le site à Genk n’est donc pas déficitaire, bien au contraire ; en 2019, les bénéfices s’élevaient encore à 4 millions d’euros. Le choix consiste à supprimer 250 emplois afin d’engranger davantage de bénéfices et non pas à réduire les pertes ou à garantir l’avenir de l’entreprise. Les travailleurs de Yoko Cheese ont appris qu’ils étaient sur le point de perdre leur emploi, juste avant la période de fin d’année. C’est encore plus dur à avaler dans cette période difficile d’insécurité, de distanciation sociale et de chômage temporaire, où tout le monde a consenti des efforts supplémentaires. Sauf les actionnaires apparemment. Suite à cette annonce, Yoko Cheese a fermé ses portes toute la semaine, afin de permettre aux travailleurs de se remettre de leurs émotions et de reprendre le travail en pleine forme la semaine suivante. Quelle compassion de la part de la direction… Le lundi 14 décembre, une concertation entre la direction et les syndicats a eu lieu. La seule revendication des syndicats était une prime afin d’encourager le personnel concerné à poursuivre le travail. La direction a encore une fois laissé voir son bon côté. « On a demandé une prime d’encouragement de 1.200 €, comme elle a déjà été payée à Campina Lummen », dit Nicole Houbrechts. « Or, la direction a proposé une prime de 400 € bruts, dont 30 % sur la fiche de paie et 70 % lors du départ. Quand nos délégués ont attiré l’attention sur la prime à Lummen, un membre de direction a fait la déclaration maladroite que là il s’agissait d’employés qui représentaient une plus grande valeur ajoutée dans l’entreprise. Un peu plus tard, cette prime a été portée à 450 €, mais les dégâts étaient déjà trop importants. Cerise sur le gâteau, une production de 99 % a été liée à cette prime. Ce taux est déjà difficilement réalisable dans des circonstances normales. » Suite à cette réunion, les travailleurs se sont mis en grève. Vu la période du Coronavirus, il leur a été demandé de rester à la maison, plutôt que de s’installer devant les portes de l’usine, à l’exception d’une poignée de personnes. La grève a duré jusqu’au 21 décembre. La direction a fini par céder aux revendications syndicales. Une prime a été prévue pour les ouvriers, conformément aux primes antérieures octroyées aux employés. Actuellement, le personnel a repris le travail et attend dans l’insécurité la suite de la procédure et le plan social. Pour Horval, il est inacceptable qu’une entreprise fasse sombrer 250 familles dans l’insécurité financière pour engranger davantage de bénéfices en faveur d’une poignée d’actionnaires. La FGTB Horval sera toujours là pour défendre les intérêts des travailleurs ! Horval 28 N° 1 • Janvier 2021 Alimentation / Horeca / Services La FGTB Horval solidaire avec le syndicat BACKUS Pratiques anti-syndicales d’AB InBev au Pérou Nous avons déjà mis en évidence l’attitude antisyndicale de l’entreprise AB InBev dans de nombreux pays et plus particulièrement au Pérou. Au fur et à mesure des fusions et de la globalisation du groupe, la culture de concertation sociale à la belge d’AB InBev, premier groupe brassicole mondial historiquement belge, s’est dissoute. AB InBev devient un gigantesque mastodonte qui ne supporte ni critique, ni opposition. La forme peut différer selon les pays, mais le fond et la démarche sont toujours les mêmes : écraser l’opposition, les « fauteurs de troubles », liquider les syndicalistes qui osent s’opposer à la politique du groupe, diviser le monde du travail et s’appuyer sur des organisations syndicales consensuelles, à l’écoute de la direction de l’entreprise. C’est vrai en Belgique, rappelons-nous du dossier AB InBev Jupille, c’est vrai au Pérou. Le parallélisme des réactions du groupe est frappant ! Au Pérou, AB InBev veut licencier le Secrétaire Général du syndicat BACKUS (filiale d’AB InBev), Luis Saman. L’entreprise dépose également plainte pour diffamation contre ce dernier en exigeant de très gros dédommagements (ce type de plainte peut coûter très cher et valoir de la prison). En Belgique, AB InBev a fait interdire l’exercice légitime de la grève par le tribunal et a demandé des astreintes contre les délégués FGTB, assorties de saisies mobilières. Une entreprise multinationale qui dégage des milliards de bénéfices a voulu saisir les meubles de ses travailleurs qui gagnent moins de 2.000 € par mois… Nous devons réaffirmer très fort certains principes : un syndicaliste n’est pas un terroriste ! Le droit de grève doit être respecté et protégé ! Nous devons construire l’union des travailleurs dans la lutte contre ces pratiques antisyndicales d’AB InBev partout dans le monde ! La FGTB Horval affirme sa solidarité et son soutien à ses camarades syndicalistes de BACKUS du Pérou et à son Secrétaire Général Luis Salman. Commission paritaire 119 Enfin un accord sectoriel ! Les confinements successifs ont démontré quels emplois et quels secteurs sont essentiels pour notre société. Le commerce alimentaire en fait partie. On a beaucoup entendu parler, à juste titre d’ailleurs, des employés des supermarchés qui ont dû poursuivre le travail dans des conditions compliquées et angoissantes. Or, il n’a jamais été question de la chaîne logistique qui a permis que les supermarchés soient approvisionnés. Pour la FGTB Horval, la reconnaissance de ce travail était indispensable ! Depuis le début, les fédérations patronales (COMEOS, UNIZO, UCM) se sont cachées derrière la diversité du secteur, qui se compose aussi bien de très petites que de très grandes entreprises. Elles ont prétendu que c’était la raison pour laquelle il était impossible de conclure un accord sectoriel. Pour les employeurs, la diversité était une raison suffisante pour éviter un quelconque accord. Ce n’est qu’après le dépôt d’un préavis de grève du front commun syndical que le dialogue a été à nouveau envisageable. Après des négociations très compliquées et très dures, un accord a pu être conclu. Premièrement, tous les jours de chômage temporaire ont été assimilés pour le calcul de la prime de fin d’année. Deuxièmement, un accord de solidarité a été trouvé : tous les jours de chômage temporaire en raison du Coronavirus, compris entre la période du 31 mars 2020 au 31 mars 2021 seront pris en compte. Enfin, une indemnité de 1,6 € par jour de chômage temporaire sera payée au travers du Fonds social. Lors de crises comme celle que nous traversons, les Fonds sociaux sont des acteurs essentiels pour la protection des travailleurs. n HASTA LA VICTORIA SIEMPRE ! N° 1 • Janvier 2021 29 2020 Une année exceptionnelle en tous points 2020 a enfin tiré sa révérence. Cette année aura été exceptionnelle en tous points. Des joies, des peines, des séparations douloureuses sans pouvoir dire au revoir à nos proches. Une année au cours de laquelle chacun a pu redécouvrir l’autre, dans un contexte de crise où toutes nos certitudes et habitudes ont été ébranlées. Souvent de belles surprises, une solidarité que l’on croyait oubliée et qui ressurgit de manière rassurante ! De temps en temps, par contre, des déceptions, du repli sur soi, de l’exclusion. La mise en place de mesures sanitaires, un confinement, des quarantaines… qui surfent souvent avec les limites de nos libertés fondamentales. Un système capitaliste qui montre sa fragilité et son cynisme, où les intérêts humains de santé ont été durement écornés et mis en concurrence insolente avec les intérêts économiques. Une mise en avant aussi des métiers les plus essentiels à notre survie, ceux les moins valorisés tant financièrement qu’humainement. Heureusement, un début de reconnaissance nécessaire, essentielle mais pas suffisante encore, pour tous ces métiers. Que formuler comme vœux pour 2021 ? Un changement profond ! Une solidarité plus grande, une rupture par rapport aux schémas capitalistes habituels. Une société centrée sur l’humain. Une société qui se donne les moyens de vaincre les pandémies, pas uniquement de manière curative, mais aussi surtout en les anticipant et en les évitant, notamment en respectant notre planète. L’urgence immédiate ? Vaincre cette pandémie. N’hésitons pas à utiliser les moyens mis à disposition pour cela (gestes barrières, vaccins…) tout en préservant nos libertés fondamentales. En 2021, plus que jamais, soyons au cœur de notre futur. Soyons acteurs du changement de notre société pour que nous puissions recommencer une vie humaine, faite de relations sociales riches, de solidarité et d’amitié ! Bonne année 2021, prenez soin de vous ! In memoriam Jean-Pierre Peutat, Secrétaire Permanent SETCa Verviers Cette année 2020 s’est achevée de manière encore plus grise qu’elle ne l’était déjà : avec l’annonce du décès de notre camarade et collègue Jean-Pierre Peutat, qui a occupé durant plus de 20 ans le poste de Secrétaire Permanent au sein de notre section de Verviers. Avec son empathie débordante et sa chaleur humaine, il faisait partie de ces personnes qui marquent directement le cœur et l’esprit à la première rencontre. Jean-Pierre a commencé sur le terrain en tant qu’éducateur à « La cité de l’espoir », un centre d’éducation et d’hébergement. C’est là qu’il a embrassé le début de sa carrière syndicale en devenant délégué. Il a ensuite intégré le service formation du SETCa Fédéral durant plusieurs années. C’est en 1995 qu’il a rejoint la section régionale de Verviers pour devenir Secrétaire Permanent. Il avait notamment en charge le secteur du Non Marchand et s’est investi dans de nombreux combats syndicaux, dont ceux menés au sein de « La cité de l’espoir », l’importante institution de la CP 219 où il avait fait ses débuts. Jean-Pierre combattait la maladie avec courage, dignité et détermination depuis plusieurs années. Son professionnalisme, sa force tranquille, son écoute, sa fraternité, sa loyauté et sa discrétion resteront en nos mémoires. Au revoir, camarade. SETCa 30 N° 1 • Janvier 2021 Les résultats Allons droit au but : s’ils doivent choisir, 68 % des travailleurs sondés préfèrent travailler de la maison. Selon eux, les principaux avantages du télétravail sont (par ordre) : le gain de temps (35 %), un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle (26,5 %), plus de calme (10 %) et l’impact environnemental (9 %). Mais il y a aussi des inconvénients (par ordre) : l’isolement (32,13 %), le manque de confort à la maison (20 %) et le sentiment de devoir être plus disponible à la maison qu’au travail (13 %). Avant la crise du Corona, environ 60 % des répondants avaient déjà accès au télétravail au sein de leur entreprise. 86 % d’entre eux voudraient qu’il soit élargi. 82 % des travailleurs pour lesquels le télétravail n’existe pas encore de manière structurelle désireraient que cette possibilité soit introduite au sein de leur entreprise. Il est évident que l’accès au télétravail est important pour vous. Pourtant, 1 personne sur 4 utilise son propre matériel à la maison pour travailler. Les outils les plus plébiscités sont le PC portable et l’accès à une ligne internet. 86 % des sondés estiment que le télétravail permet d’avoir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Notons toutefois que 20 % des participants estiment que le télétravail a une incidence négative sur leur vie privée. C’est pas moins d’1 travailleur sur 5. 2020 a été l’année où le Coronavirus a frappé sans pitié dans notre pays. Lorsque la Belgique a été confinée, le télétravail a été rendu obligatoire pour de très nombreuses personnes. Bien sûr, le télétravail existe depuis plus longtemps, mais l’obligation a forcé une percée dans les entreprises où il n’était pas possible jusqu’ici. Le télétravail est en tout cas appelé à rester. Nous avons dès lors voulu savoir comment vous le vivez. En octobre, nous avons lancé notre enquête « Télétravail : stop ou encore ? ». Vous avez réagi en masse à notre appel et avez été nombreux à compléter l’enquête. L’objectif était clair : quelles sont vos attentes ? Voulez-vous étendre ou encadrer le travail à domicile dans les entreprises où nous vous représentons ? Voudriez-vous que le télétravail soit élargi (plus de jours ou d’heures par semaine) au sein de votre entreprise ? Voudriez-vous que le télétravail soit mis en place de manière structurelle au sein de votre entreprise ? D’après votre expérience, le télétravail est-il un plus pour assurer un meilleur équilibre entre votre vie privée et votre vie professionnelle ? g Oui g Non 31 N° 1 • Janvier 2021 Environ la moitié des sondés pensent également travailler plus efficacement à la maison et être donc plus productifs. 12 % ont en revanche le sentiment d’être moins productifs. 35 % ne remarquent aucune différence. Bien que le télétravail soit donc ressenti positivement pour l’équilibre vie privée/vie professionnelle, 36 % des sondés se sentent isolés des collègues mais aussi des réalités de l’entreprise. Vu l’importance du contact, 85 % des travailleurs disent entretenir régulièrement des contacts avec les collègues au moyen de la visioconférence, du chat d’entreprise, d’appels téléphoniques ou par mail. Stop ou encore ? Le télétravail présente clairement des avantages et des inconvénients. Pour certains travailleurs, le télétravail offre des avantages tels que la mobilité ou une meilleure adéquation avec la vie de famille. D’un autre côté, une telle augmentation de la flexibilité et de la disponibilité peut générer du stress. La CCT n° 85 confère déjà un certain cadre. Il est nécessaire de négocier des balises au télétravail afin de prévenir les abus. Le télétravail doit dès lors être organisé en concertation avec la délégation syndicale afin de prévoir les garanties et compensations nécessaires (santé, charge psychosociale, fréquence, compensations). C’est pourquoi un accord sectoriel, contraignant sur le plan de l’entreprise, doit être conclu. Le télétravail ne peut en aucun cas entraîner une disponibilité constante des travailleurs. Pour que le télétravail soit au top pour tous, il faut un fonctionnement syndical optimal. Merci à tous ceux qui ont pris le temps de compléter notre enquête ! n Télétravail : stop ou encore ? SETCa 32 N° 1 • Janvier 2021 De quoi s’agit-il ? En tant que travailleur — sous contrat dans le secteur privé — vous avez le droit de vous absenter à la suite de la naissance de votre enfant. Vous pouvez prendre un congé de naissance si vous établissez la filiation de l’enfant à votre égard ou, pour les co-parents, si au moment de la naissance, vous êtes marié/vous cohabitez légalement avec la personne à l’égard de laquelle la filiation est établie, ou encore si vous habitez depuis au moins 3 ans (préalablement à la naissance) de façon ininterrompue et affective avec la mère de l’enfant, chez qui l’enfant à son domicile principal. Un seul travailleur a droit au congé de naissance. S’il existe par ailleurs un lien de filiation avec le père, il n’y aura qu’un droit au congé dans le chef du père. Combien de jours ? Vous avez droit à : • 10 jours en cas de naissance d’un enfant avant le 1er janvier 2021 ; • 15 jours en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2021 et avant le 1er janvier 2023 ; • 20 jours de congé de naissance en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2023. Comment prendre vos jours de congé ? Vous pouvez choisir et répartir librement vos jours de congé. Ils ne doivent pas nécessairement être pris en une fois. Seule condition : vous devez les prendre dans les 4 mois qui suivent l’accouchement. En cas de naissance de jumeaux ou de naissance multiple, vous n’avez droit qu’une seule fois au congé de naissance. Allocation Pendant les 3 premiers jours de votre congé de naissance, vous conservez votre rémunération complète à charge de l’employeur. Prévenez au préalable votre employeur de l’accouchement et de votre souhait d’exercer votre droit au congé de naissance. Prévenez-le de nouveau lors de la naissance. Remettez-lui les preuves nécessaires : copie du certificat de naissance (que vous recevez lorsque vous déclarez la naissance à la commune) et, le cas échéant, une copie de l’acte de mariage, une preuve de cohabitation ou un extrait du registre de la population. Au cours des jours suivants du congé de naissance (max. 7 jours pour les naissances antérieures au 01/01/2021, max. 12 pour les naissances à partir du 01/01/2021, max. 17 pour les naissances à partir du 01/01/2023), vous ne percevrez pas de rémunération, mais une allocation vous sera versée par votre mutualité. Introduisez une demande auprès de votre mutualité et remettez-lui toutes les informations demandées. Votre employeur communique le salaire sur la base duquel les allocations doivent être calculées. Votre mutualité vérifie, calcule et verse votre allocation. Bon à savoir : • Le montant de cette allocation est fixé à 82 % du salaire brut perdu, avec un plafond (brut) de 120,52 € par jour. Sur ce montant, votre mutualité retient un précompte professionnel (11,11 %). Pour l’adaptation à l’index de ce montant, consultez le site web de l’INAMI J www.inami.fgov.be (voir thème « Grossesse et naissance », « Montants et plafonds des indemnités »). • Les impôts finaux sur cette allocation ne seront portés en compte que 2 ans plus tard, lors du décompte final de vos impôts. Certains secteurs ou certaines entreprises prévoient par CCT plus que 3 jours avec maintien de la rémunération. L’employeur se charge alors pour les autres jours de régler la différence entre votre salaire et les allocations de la mutualité. Informez-vous auprès de votre employeur, de votre délégué et/ou de votre régionale FGTB. Protection contre le licenciement Sauf pour des motifs étrangers à la prise du congé de naissance, votre employeur ne peut pas mettre fin, de façon unilatérale, à votre contrat de travail à partir du moment où il a été averti par écrit (conservez donc toujours une preuve), et ce jusqu’à 3 mois après cet avertissement. En cas de non-respect de cette protection contre le licenciement, votre employeur vous serait redevable d’une indemnité forfaitaire égale à la protection brute de trois mois, outre l’indemnité compensatoire de préavis qui serait éventuellement due. n Congé de naissance 15 jours à partir de cette année Le congé de naissance sera relevé progressivement. En tant que travailleur père ou co-parent, vous avez maintenant droit à 15 jours de congé de naissance si votre enfant est né à partir du 1er Question/réponse janvier 2021. N° 1 • Janvier 2021 33 ÉMISSION TV « REGARDS » 1960-1961 Faits d’hiver L’émission télévisée « Regards », diffusée ce mois-ci sur les trois chaînes de la RTBF, vous propose un document exceptionnel : « Faits d’hiver », un film inédit de Paul Meyer (25 mn). Consacré à la grève de l’hiver 1960-1961, ce documentaire a été réalisé en 1990 par le grand cinéaste belge, auteur en 1959 du film « Déjà s’envole la fleur maigre ». Produit par la FGTB wallonne à l’occasion du 30e anniversaire de ce qu’on appelait à l’époque « la grève du siècle », ce film n’a connu que quelques projections publiques à sa sortie. La FGTB wallonne le remet en lumière aujourd’hui, alors que Paul Meyer aurait tout juste 100 ans et que l’on commémore le 60e anniversaire de la grève de ’60. « Faits d’hiver » nous en apprend beaucoup sur cet événement important de l’histoire sociale, avec la résistance syndicale et populaire à la « Loi unique », l’action d’André Renard et de la FGTB, les débats sur le fédéralisme et le contexte social et politique de l’époque. Mais il nous parle aussi, avec une singulière actualité, des politiques d’austérité, des violences policières, de la répression des mouvements sociaux, des attaques contre les syndicats et le droit de grève. Déjà diffusé à la RTBF en décembre dernier, il sera rediffusé plusieurs fois en février 2021. Voici la programmation en février – émission télévisée « Regards » : Samedi 13 février à 10h sur La Une Mercredi 17 février à 23h10 sur Tipik Jeudi 18 février à 24h05 sur La Trois Jeudi 18 février à 23h30 sur La Une (extrait de 10 mn) Lundi 22 février à 23h45 sur La Trois (extrait de 10 mn) Y EmissionREGARDS f regards.emissiontv Une affiche Agenda commune pour promouvoir la FGTB Luxembourg Un support de communication ? Différentes propositions ont été faites aux participants, à savoir la réalisation d’une vidéo, l’écriture d’un tract, la création d’un visuel à destination des réseaux sociaux… Au final, le choix s’est porté sur l’élaboration d’une affiche syndicale commune à toutes les entreprises luxembourgeoises. Le travail s’est décliné en la recherche : • d’un slogan : « La FGTB Luxembourg au cœur de vos attentes… Notre engagement quotidien ! » ; • d’un visuel propre à la région : la carte de la province ; • et d’une couleur en rapport avec le syndicat socialiste : le rouge. Auxquels sont venus se joindre plusieurs logos. Le résultat donne l’affiche ci-jointe. Réalisée par des travailleurs pour des travailleurs. Plusieurs de nos candidats l’ont d’ailleurs utilisée durant leur campagne. Et encore aujourd’hui, pour promouvoir la FGTB Luxembourg. n Le CEPPST — l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Luxembourg — a organisé, avant les débuts de la crise Covid, une formation à destination de délégués en entreprise. Le cadre posé, à savoir les futures élections sociales 2020, l’objectif était de réfléchir à la conception d’un support de communication propre à la province. Régions 34 N° 1 • Janvier 2021 CEPAG Cycle « La santé dans tous ses états » La crise sanitaire nous a touché de plein fouet. Ses conséquences sur notre vie sociale mais aussi au travail se feront sentir pendant longtemps. Dans ce contexte, et en tenant compte de la crise socio-économique qui s’annonce, le CEPAG a lancé, en octobre dernier, un cycle de réflexion sur la santé. Nos rendez-vous en 2021 • Vendredi 29 janvier : Réintégration des malades de longue durée • Vendredi 26 février : 5G et ondes électromagnétiques : quels dangers ? • Vendredi 26 mars : Dix ans de politiques sanitaires • Vendredi 23 avril : Conditions de travail dans les secteurs de la santé En raison de la situation sanitaire actuelle, les activités du cycle sont actuellement orgnaisées en ligne, sous forme de webinaires. Consultez le site J www.cepag.be ou la page FB f CEPAGasbl pour les informations pratiques. OPINIONS FGTB LA PREMIÈRE (RTBF) Soulèvements populaires au Sud : un nouveau « printemps des peuples » ? Insurrections, révoltes, soulè-vements populaires : de nombreux pays du Sud sont secoués par des mouvements sociaux de (très) grande ampleur. Exemple : en Inde, le soulèvement a donné lieu en novembre dernier à la plus grande grève de l’Histoire. Et au Nord, pendant ce temps-là ? On s’en tamponne, ou presque. Très peu d’écho dans nos médias, sans doute trop occupés par l’état d’urgence sanitaire pour observer avec un peu d’attention les raisons et enjeux des dynamiques sociales à l’œuvre. Au micro d’Opinions FGTB, Frédéric Thomas, chargé d’études au Centre tricontinental (CETRI), qui vient de codiriger la publication, aux Éditions Syllepse, d’un ouvrage collectif consacré à ces soulèvements populaires au Sud. Assisterait-on à une « mondialisation de la protestation sociale », un nouveau « printemps des peuples » ? Une séquence radio (7 mn) à écouter et partager ici : J www.fgtb-wallonne.be/ outils/radio/soulevementspopulaires-sud-nouveauprintemps-peuples f www.facebook.com/ fgtbwallonne/posts/ 2591807114277257 t twitter.com/FGTBwallonne/ status/1350088078120071173 LIÈGE-HUY-WAREMME Séances d’infos sur le contrôle de la disponibilité des chômeurs En janvier : 25 – 26 – 28 – 29 En février : 22 – 25 – 26 À quelle heure ? De 13h30 à 14h30 Où ? FGTB Liège-Huy-Waremme Place Saint-Paul 9 – 11 4000 Liège Inscriptions obligatoires 04/221.96.05 ou @ dispo.liege@fgtb.be Séances organisées dans le strict respect des mesures Covid. WALLONIE PICARDE Comment contacter la FGTB Wallonie Picarde ? Pour rappel, vous pouvez nous joindre : @ Par e-mail tournai@fgtb.be mouscron@fgtb.be antoing@fgtb.be ath@fgtb.be blaton@fgtb.be comines@fgtb.be (pour les agences de Comines et du Bizet) dottignies@fgtb.be lessines@fgtb.be leuze@fgtb.be peruwelz@fgtb.be ( Par téléphone (call center) 069/881.881 du lundi au jeudi de 8h30 à 12h et de 13h30 à 16h30 Par Facebook f FGTB Wallonie Picarde Rédaction : Syndicats Rue Haute 42 1000 Bruxelles E-mail : syndicats@fgtb.be Nicolas Errante, Rédacteur en chef Tél. : 02 506 82 44 Aurélie Vandecasteele, Journaliste Tél. : 02 506 83 11 Secrétariat : Sabine Vincent Tél. : 02 506 82 45 Service abonnements : 02 506 82 11 Ont collaboré à ce numéro : Vinnie Maes Annelies Huylebroeck Karen de Pooter Mada Minciuna Thomas Keirse Arnaud Dupuis Antonina Fuca Photos : iStock Shannon Rowies (action Champagne) Mise en page : ramdam.be cepag.be N° 1 • Janvier 2021 35 LA RESPONSABILITÉ CIVILE LA MINI OMNIUM LA MAXI OMNIUM RECEVEZ 20% DE RÉDUCTION SUR LA PRIME DE 3 GARANTIES PENDANT UN AN ! Souscrivez un contrat entre le 01/01/2021 et le 30/04/2021 inclus et payez la Responsabilité Civile, la Mini Omnium et/ou la Maxi Omnium 20% moins cher ! DÉCOUVREZ ÉGALEMENT NOS DIFFÉRENTS AVANTAGES ET RÉDUCTIONS. Primes avantageuses, assistance rapide 24h/24 et 7j/7 via l’application Actel Assist, réduction en fonction du kilométrage, réductions spécifi ques si vous disposez d’un garage, d’un carport ou d’un système d’aide à la conduite, … VOUS SOUHAITEZ PLUS D’INFOS OU UNE OFFRE SANS ENGAGEMENT ? Appelez gratuitement le contact center au 0800/49 490 ou surfez sur www.actelaffinity.be/fgtb/action Actelanity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – marque de P&V Assurances scrl – Entreprise d’assurances agréée sous le code 0058 – Rue Royale 151, 1210 Bruxelles. Ce document est un document publicitaire qui contient de l’information générale sur l’assurance auto Actelanity, développée par P&V Assurances, et qui est soumise au droit belge. L’assurance Actelanity fait l’objet d’exclusions, de limitations et de conditions applicables au risque assuré. Nous vous invitons donc à lire attentivement les conditions générales applicables à ce produit avant de le souscrire. Elles sont à votre disposition via le site internet www.actela nity.be/cgauto ou sur simple demande auprès d’un conseiller de notre contact center. Le contrat d’assurance est conclu pour une durée d’un an avec possibilité de reconduction tacite. En cas de plainte éventuelle, vous pouvez contacter un conseiller de notre contact center au 0800/49 490, votre interlocuteur privilégié pour toutes vos questions. Il fera tout son possible pour vous aider au mieux. Vous pouvez aussi prendre directement contact avec notre service Gestion des Plaintes qui examinera votre plainte ou remarque avec la plus grande attention. Nous concilierons au mieux les di érentes parties et essayerons de trouver une solution. Vous pouvez nous contacter par lettre (Gestion des Plaintes, Rue Royale 151, 1210 Bruxelles), par email plainte@actel.be ou par téléphone au 02/250.90.60. Si la solution proposée ne vous convient pas, vous pouvez vous adresser au service Ombudsman des Assurances (Square de Meeûs 35 à 1000 Bruxelles) par téléphone 02 547 58 71 ou par mail info@ombudsman.as. BESOIN D’UNE ASSURANCE AUTO? N’ATTENDEZ PLUS, ÉCONOMISEZ MAINTENANT ! ACTION TEMPORAIRE 20% DE RÉDUCTION LA PREMIÈRE ANNÉE SUR: EXCLUSIVEMENT POUR LES MEMBRES DE LA FGTB E.R. : P&V Assurances SCRL – Actelaffinity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – Actel est une marque de P&V Assurances SCRL – 01/2020 ACT1811-Annonce full paquet-FGTB-195×265.indd 1 9/01/19 09:39
AIP Augmenter les salaires pour sortir de la crise Enfin ! Relèvement de la pension minimum 6 8-9 13-20 Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. SEXISME au travail Toujours vrai aujourd’hui MENSUEL | Année 76 | n° 1 Janvier 2021 E.R. : Thierry Bodson rue Haute, 42 – 1000 Bruxelles BUREAU DE DÉPÔT : Charleroi X – P912051 Actualités Bonne retraite, chef ! …………………………………………………………………………………. 4 En bref ………………………………………………………………………………………………………….. 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise ………………………………………. 6 Lettre ouverte …………………………………………………………………………………………….. 7 Relèvement de la pension minimum : enfin ! …………………………………….. 8-9 C’est un joli nom, « Camarade ! » ………………………………………………………….. 10 À la santé des grosse fortunes ! ……………………………………………………………… 11 Améliorer la place des femmes sur le marché de l’emploi ……………….. 12 Dossier : Sexisme au travail Une réalité de tous les jours …………………………………………………………….. 13-20 Votre centrale Centrale Générale ………………………………………………………………………………. 21-23 MWB ……………………………………………………………………………………………………. 24-25 UBT ………………………………………………………………………………………………………. 26-27 Horval ………………………………………………………………………………………………….. 28-29 SETCa ………………………………………………………………………………………………….. 30-32 Régions Question/Réponse : congé de naissance……………………………………………… 33 Actualités régionales ………………………………………………………………………………. 34 Agenda des régions ………………………………………………………………………….. 34-35 @syndicatFGTB syndicatFGTB ABVV/FGTB La FGTB en ligne www.fgtb.be Inscrivez-vous à notre newsletter www.fgtb.be My FGTB votre dossier en ligne www.fgtb.be/my-fgtb Syndicats Magazine en ligne www.syndicatsmag.be Syndicats Magazine o Application mobile Sommaire 13-20 N° 1 2 N° 1 • Janvier 2021 Le terme « négocier » n’est pas tout à fait exact. Cette négociation est enfermée dans un carcan fixé par la loi de sauvegarde de la compétitivité. La fameuse « Loi de ’96 » impose en effet une comparaison, à charge du Conseil central de l’Économie (CCE), entre l’évolution prévue des salaires chez nous et chez nos voisins : France, Allemagne, Pays-Bas. L’idée étant de ne pas augmenter les salaires belges plus que les autres pour ne pas menacer nos exportations. Le CCE détermine ainsi une « marge » dans laquelle on pourra négocier l’évolution des salaires belges. Taille unique En toute logique, cette loi ne devrait concerner que les secteurs orientés vers l’exportation et soumis à la concurrence internationale. Mais la loi est ainsi (mal) faite qu’elle taille le même costume pour tous, exportateur ou non, secteur riche ou pauvre. Les patrons nous disent : « C’est la crise, il faut être raisonnable, ce n’est pas le moment de jouer les Saint-Nicolas. Pour relancer l’économie, il faut aider les entreprises. Il faut modérer les salaires… ». Sauf qu’en modérant les salaires, on limite la part du gâteau pour les travailleurs, même quand le gâteau grossit. Et c’est toujours le travail qui doit porter le corset… C’est la crise. C’est vrai. Et elle ne fait que commencer. Mais si certains secteurs ont été particulièrement touchés par le confinement et la baisse de l’activité, d’autres en ont bien profité. Tailler le même costume pour tous revient donc à faire un cadeau aux secteurs qui ont pu réaliser des profits. Miser sur la consommation intérieure Nous, nous disons qu’il faut relâcher le carcan et laisser négocier patrons et syndicats librement. Que les secteurs qui se portent bien, voire très bien, le traduisent à travers des augmentations de salaires (juste part des travailleuses et travailleurs). Nous faisons d’autres constats que ceux du CCE : 1. La baisse de l’activité est largement liée à la baisse de la consommation intérieure. Les services dits « non essentiels » ont été paralysés. À part de quoi manger, les gens ont peu acheté. Sauf ceux qui en ont les moyens et qui ont investi dans l’immobilier en plein boom. Il faut donner à la population les moyens de relancer la machine économique (par la consommation intérieure). L’augmentation des salaires est le nerf de la guerre. 2. Depuis des décennies, l’évolution des salaires est plus faible que l’évolution de la productivité. La part du gâteau des travailleurs et travailleuses diminue d’année en année alors que celle du capital augmente. 3. Le salaire minimum a en outre augmenté moins vite que l’ensemble des salaires, faisant grimper le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres, c’est-à-dire celles et ceux qui ont un revenu du travail insuffisant pour vivre. Et il y a aussi celles et ceux qui sont pauvres sans travail. 4. Cela se traduit par un approfondissement des inégalités et de la pauvreté que la crise Corona a fait exploser. Nous ne voulons pas d’une aumône D’après le calcul du CCE, la marge maximum pour améliorer les salaires en 2021-2022 serait de… 0,4 % ! Alors même que le pouvoir d’achat est en berne en cette période de crise profonde. Ce qui se passe aujourd’hui montre une fois de plus à quel point la loi de 1996* est totalement déconnectée de la réalité. La FGTB, mais aussi la CSC et la CGSLB, ont décidé de refuser en bloc ce cadre étriqué qui ne permet absolument pas d’entamer les négociations. À situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les règles budgétaires ont été assouplies pour les gouvernements, les entreprises ont bénéficié de soutien… Une souplesse doit également être appliquée pour permettre d’augmenter les salaires. Et faire de ce chiffre (0,4 %) une indication, pas une camisole de force. * Qui compare l’évolution de nos salaires avec celui des trois pays voisins afin de préserver la « compétitivité ». Tous les deux ans, patrons et syndicats se retrouvent autour de la table pour négocier un « Accord interprofessionnel » (AIP) sur un tas de questions relatives aux conditions de travail, mais le principal enjeu est la fixation de la norme salariale. C’est elle qui détermine l’ampleur — mais généralement la limite — de l’évolution des salaires. Cet AIP concerne près de 4 millions de personnes. AIP Une aumône de 0,4%… Non, merci Miranda Ulens Secrétaire générale Thierry Bodson Président Édito N° 1 • Janvier 2021 3 Ce numéro de Syndicats est le « dernier » de notre rédacteur en chef Nicolas Errante, qui entame désormais une nouvelle étape de sa vie : la pension ! Diplômé en journalisme et traduction, il démarrait sa carrière de journaliste professionnel en 1981. Il a fait ses armes au Drapeau rouge et au Peuple avant de rejoindre la FGTB en 1993, et plus particulièrement la rédaction du magazine Syndicats. Il devenait rédacteur en chef en 2006. D’un naturel discret, il était pourtant très présent dans ces pages. Nicolas écrivait en effet de nombreux dossiers et articles complexes, sur des thèmes précis, comme sa plume peut l’être. Pensions, fiscalité, chômage, allocations sociales, Nicolas est devenu un expert en ces matières essentielles. Il était également passionné par les coopératives ouvrières et leur fonctionnement, et a largement relayé nombre de ces initiatives. Nicolas a par ailleurs mené les diverses réformes du magazine Syndicats, et même entamé la réflexion sur le développement d’outils numériques. En 1996 déjà, il publiait la première version « PDF » de Syndicats sur l’intranet de la FGTB. Nicolas a toujours veillé à ce que Syndicats soit un outil intelligent, au service de nos affiliés, reprenant des sujets de fond, des reportages et des textes de qualité. C’est à nous aujourd’hui de poursuivre cette réflexion, et d’assurer la continuité de son travail. Nicolas nous manquera, sans aucun doute, mais nous savons qu’il a beaucoup à faire. Entre ses petits-enfants, son goût pour la cuisine, son apprentissage de l’espagnol et sans nul doute d’autres passions à naître, nous ne pouvons que lui dire merci et lui souhaiter une excellente retraite. L’équipe de Syndicats Bonne retraite, Chef! En mode pension En mode incognito En mode combatif En mode furtif Actu 4 N° 1 • Janvier 2021 EN BREF INDEX DÉCEMBRE 2020 Indice des prix à la consommation 109,49 Indice santé 109,88 Indice santé lissé 107,72 En décembre 2020, l’indice des prix à la consommation est en hausse de 0,03 % par rapport à novembre 2020. En rythme annuel, l’inflation se chiffre à 0,41 %. L’indice-pivot (de l’index santé lissé qui déclenche le relèvement des allocations sociales et les salaires du secteur public) s’élève à 109,34. PÉRIODES ASSIMILÉES DU CRÉDIT-TEMPS FIN DE CARRIÈRE : RECOURS AU CONSEIL D’ÉTAT DU FRONT COMMUN SYNDICAL La FGTB, la CSC et la CGSLB ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté royal du 17 janvier 2017. Pour rappel, cet arrêté royal prévoit que l’assimilation des périodes d’un crédit-temps fin de carrière pour les personnes ayant plus de 55 ans et une carrière de 35 ans introduit à partir du 1er janvier 2015 sera calculée sur base d’un salaire fictif forfaitaire (1.947,87 €). Ce faisant, ce texte supprime la possibilité qui existait pour ces personnes d’assimiler ces périodes au salaire réel pour 312 jours de 55 à 60 ans. Avec pour conséquence une pension inférieure. Et ce avec effet rétroactif puisque l’arrêté adopté en 2017 concerne les crédit-temps dès 2015. Le Conseil d’État a suivi partiellement le raisonnement des syndicats sur le fait que cela porte atteinte au principe de confiance des travailleurs qui avaient choisi de réduire leur temps de travail en prenant un crédit-temps fin de carrière dans la période entre le 1er janvier 2015 et le 17 janvier 2017. Le Conseil d’État a dès lors déclaré la nullité de la disposition en question pour ce qui est de la rétroactivité et des conséquences avant la publication. Pour tout ce qui se situe après la publication de l’arrêté royal, l’effet rétroactif est cependant maintenu. ADAPTATION DE L’INDEMNITÉ CHÔMAGE COMPLÉMENTAIRE CCT46 Le CNT a également adapté l’indemnité complémentaire de chômage pour le travail de nuit. Les travailleurs âgés qui justifient d’une ancienneté de 20 ans dans un travail de nuit peuvent demander de retourner définitivement à un régime de travail de jour à l’âge de 55 ans ou sous condition de raisons médicales sérieuses validées par le médecin du travail à l’âge de 50 ans. Si l’employeur ne peut proposer un travail de jour, le travailleur peut rompre le contrat sans être sanctionné par l’ONEM. Il touchera même pendant 5 ans une indemnité complémentaire de 152,24 €/mois (montant au 1er janvier 2021). ADAPTATION DU COMPLÉMENT D’ENTREPRISE CCT17 (PRÉPENSION) Chaque année le Conseil national du Travail adapte une série de montants au coût de la vie. C’est le cas du plafond de salaire de référence pour le calcul du complément d’entreprise pour la prépension CCT17 qui est revalorisé d’un coefficient de 1,0032 pour atteindre ainsi 4.179,43 €. C’est ce montant diminué de la cotisation personnelle à la sécurité sociale et du précompte professionnel qui sert à calculer le complément d’entreprise. Ce complément correspond à la moitié de la différence entre la rémunération nette de référence et les allocations de chômage. Allocations ellesmêmes calculées sur base de 60 % d’un salaire plafonné à 2.313,97 € par mois. N° 1 • Janvier 2021 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise AIP À la FGTB, nous voulons un accord interprofessionnel favorable à tous les secteurs et toutes les entreprises. Un tel accord permettrait à près de 4 millions de salarié·e·s — y compris celles et ceux des petites entreprises — de parvenir à un réel progrès, sous différentes formes : plus de salaire, des salaires minima plus élevés et des meilleurs régimes de fin de carrière. Mais cet accord doit reposer sur la volonté des deux parties. Or, les déclarations de la FEB excluant toute augmentation des salaires n’ont pas simplifié les choses. Et récemment, le calcul d’une marge disponible de… 0,4 % (d’après le Conseil Central de l’Économie) nous place dans l’impossibilité de négocier quoi que soit pour le moment. Pourtant, il y a de la marge… Augmenter les salaires et les revenus de remplacement est le meilleur moyen de stimuler la demande et de ramener notre économie à sa vitesse de croisière. C’est une nécessité, particulièrement dans les secteurs affaiblis par la crise et fortement dépendants de la consommation intérieure (comme le commerce, le tourisme…). Une marge de manœuvre existe pour négocier des améliorations de tous les salaires. Notamment parce que le coût du travail a augmenté plus lentement en Belgique que dans les pays voisins ces dernières années. Début 2020, la Belgique affichait 1 % de moins en la matière. Les travailleuses et travailleurs de notre pays doivent pouvoir résorber ce retard sur les pays voisins qui, eux, ne craignent pas de négocier de nouvelles hausses salariales (IG Metall, l’un des plus grands syndicats allemands, revendique une hausse de rémunération de 4 % sur 12 mois). Ce retard est particulièrement violent pour les bas salaires. Le salaire minimum intersectoriel ne cesse de perdre de la valeur par rapport au salaire médian. Et ce, parce qu’il n’a connu aucune augmentation — hors index — depuis de nombreuses années. Or, le mouvement inverse vient de se produire dans d’autres pays (base de données de l’OCDE sur le salaire minimum). Le salaire minimum dans la grande majorité des « fonctions essentielles » est largement inférieur à 14 €/2.300 € (bruts). Pourtant, les études démontrent qu’il s’agit du minimum nécessaire pour faire face aux besoins de base. Il conviendrait d’adapter les règles (para)fiscales afin que cette augmentation soit pleine et entière. À situations exceptionnelles, règles exceptionnelles Si nécessaire, les règles doivent être assouplies, comme c’est le cas pour le budget et pour le soutien aux entreprises en ce contexte Covid. Une flexibilité doit donc également être accordée aux négociations salariales. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les 3 syndicats refusent la norme impérative de 0,4 % et veulent pouvoir la considérer comme une simple indication qui n’empêche pas les secteurs d’augmenter les salaires en fonction de leurs contextes et réalités. Nous voulons croire que le cadre de la négociation peut encore évoluer pour qu’un AIP soit possible. n Actu 6 N° 1 • Janvier 2021 Combattre la Covid-19 sans saper les fondements démocratiques : possible, indispensable et urgent Lettre ouverte La semaine dernière, la ministre de l’Intérieur annonçait avoir préparé un projet de « loi pandémie », visant à fournir une base juridique aux mesures adoptées non seulement dans le cadre de cette pandémie, mais aussi pour les éventuelles répliques futures. Tout indique que ce texte va aller dans le même sens que les mesures déjà en vigueur. Si nous soutenons sans ambiguïtés la lutte contre la pandémie, nous ne pouvons accepter qu’elle soit utilisée à mauvais escient pour restreindre les droits et libertés fondamentaux, surtout si ces restrictions prennent un caractère définitif. C’est précisément le danger des crises : des restrictions qui seraient justifiées par l’urgence sont adoptées mais avec un caractère pérenne. Il va de soi que cette pandémie pose des défis majeurs à notre pays et nécessite des interventions sanitaires de grande ampleur. Toutefois, dans une démocratie, les citoyen·ne·s ne renoncent pas si facilement à leurs libertés lorsque les mesures prises leur semblent manquer de logique, lorsqu’elles ne sont pas ciblées, proportionnées et temporaires et lorsque tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Or, la stratégie actuelle comporte trois dangers : D’abord, pour pouvoir sanctionner quelqu’un, il est indispensable que les interdictions soient claires. Dans le cadre de cette pandémie, des individus ont été sanctionnés sur la base de textes vagues et la créativité des gouverneurs et bourgmestres avait peu de limites : couvre-feux, drones, interdictions de mener des actions de soutien à des travailleurs licenciés… Plus de 200.000 amendes ont été infligées, certaines pour des infractions mineures ou contestables. Or, s’il y a bien quelque chose qui nuit à l’adhésion aux mesures, c’est l’arbitraire. Un deuxième danger réside dans le fait que le contrôle judiciaire soit négligé au profit de l’exécutif. L’exemple le plus connu est celui des visites domiciliaires. Notre Constitution stipule que le domicile est inviolable et que seul un juge peut autoriser une perquisition, dans des cas exceptionnels. Néanmoins, le gouvernement a déclaré le procureur compétent pour accorder cette autorisation. La marge d’appréciation est large car un procureur n’est pas un juge indépendant et impartial. Troisièmement, lorsque le politique définit un cadre d’intervention vague et accorde davantage de pouvoir aux autorités répressives, il les encourage à agir de leur propre initiative. L’appel à dénoncer des voisins qui ne respectent pas les mesures entraîne des interventions et des incidents inutiles. Une police qui pense pouvoir se passer de toute autorisation d’un juge et se sent soutenue en ce sens par le politique est un phénomène inquiétant. La combinaison de ces trois tendances fait craindre l’émergence d’une crise démocratique, en plus d’une crise sanitaire. Les mesures doivent être ciblées, proportionnées et temporaires. Dès que la crise sanitaire s’atténue, les mesures de restriction des libertés doivent être levées. À défaut, on se rapproche dangereusement d’une forme de stratégie du choc, ce phénomène par lequel les gouvernements tirent profit de situations de crise pour introduire certaines mesures que la population est alors prête à accepter, ces mesures exorbitantes subsistant au-delà de la fin de la crise. La rapidité avec laquelle on porte atteinte à nos droits fondamentaux est tout sauf rassurante. L’instauration d’un climat d’arbitraire et de méfiance rend la société malade et est dangereuse. Ce dont nous avons besoin, c’est de solidarité et de confiance réciproque. Les autorités doivent agir pour assurer le droit à la vie et à la protection de la santé mais tout autant respecter les autres droits fondamentaux des individus : droit à la vie privée, droit à l’inviolabilité du domicile, droits économiques, sociaux et culturels. On ne peut restreindre toute forme d’expression et d’action sociale. En effet, celles-ci permettent aux groupes les plus touchés par la crise du Coronavirus et les moins écoutés de faire entendre leur voix. Quiconque compte abuser de la pandémie de Coronavirus doit s’attendre à faire face à de fortes controverses. n Signataires : Thierry Bodson, Président de la FGTB ; Jan Buelens, avocat chez Progress Lawyers Network ; Vanessa De Greef, chargée de recherches FNRS et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et responsable du Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GREPEC) ; Christelle Macq, chercheuse à l’UCLouvain et Présidente de la commission Justice de la Ligue des droits humains ; Marie Messiaen, Présidente de l’Association Syndicale des Magistrats ; Pierre-Arnaud Perrouty, Directeur de la Ligue des droits humains ; Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel à l’UCLouvain et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Diletta Tati, assistante et chercheuse à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ; Xavier Van Gils, Président d’Avocats.be ; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE ; Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits humains ; Kati Verstrepen, Présidente de la Liga voor Mensenrechten. 19 janvier 2021 7 N° 1 • Janvier 2021 Relèvement de la pension minimum ENFIN ! La pension minimum légale pour les travailleurs salariés et indépendants a été augmentée de 2,65 % au 1er janvier 2021. Il s’agit de la première d’une série d’augmentations annuelles sans précédent devant porter, en 2024, la pension minimum légale à 1.580 € bruts pour les travailleurs ayant une carrière de 45 ans. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous réjouir, bien sûr, que les pensions minimum soient enfin revues à la hausse, après des années de revendications et de combat. Mais ce n’est qu’un premier pas et ce n’est pas suffisant. Patricia Vermoote, Secrétaire fédérale de la FGTB La pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants augmentera progressivement en janvier de chaque année de façon à obtenir une augmentation de 11 % en 2024. Elle a déjà été augmentée de 2,65 % le 1er janvier 2021. On compte également sur les adaptations au bien-être, pour lesquelles les interlocuteurs sociaux prévoient traditionnellement une augmentation bisannuelle de 2 %. En tout, cela signifie une augmentation réelle du pouvoir d’achat de 15 à 16 %. Soit la plus grande augmentation enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale. Index En y ajoutant les indexations automatiques, la pension minimum brute pour isolés atteindrait 1.580 € début 2024. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui (environ 22 % d’augmentation). La pension de ménage minimum brute atteindrait 1.979 € en 2024 pour une carrière complète de 45 ans, soit une augmentation d’environ 360 € par mois. Les salariés qui n’ont pas une carrière complète verront également leur pension augmenter, mais proportionnellement à la durée de leur carrière. Pour les pensionnés ne touchant qu’une très maigre pension, la Garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) sera également relevée progressivement chaque année. Le Gouvernement veut parvenir, en 2024, à un montant de base brut de 983 € par mois pour une GRAPA /cohabitant. À savoir une augmentation de 213 € par mois. Pour les meilleurs revenus également, les perspectives s’annoncent plus roses en matière de pension. Le plafond de calcul pour les pensions futures, le salaire maximal pris en compte pour le calcul de la pension, augmente progressivement d’environ 4 % sur 4 ans. Pour l’année de carrière 2021, le plafond a maintenant été augmenté de 2,38 % pour les pensions qui prendront effet à partir de 2022. 1.500 € nets D’autres mesures restent nécessaires. La FGTB poursuit la lutte pour une pension minimum légale de 1.500 € nets pour quiconque peut justifier d’une carrière d’au moins 42 ans. « Une réflexion doit impérativement être menée sur la notion de carrière complète », poursuit Patricia Vermoote. « La condition pour bénéficier d’une pension minimum complète est de disposer d’une carrière de 45 ans, cela ne concerne qu’une très petite tranche de la population. On est donc encore très loin d’une pension minimum de 1.500 € nets pour tout le monde et ce sont les femmes qui sont plus particulièrement touchées. La concertation relative à la réforme des pensions va bientôt débuter, il faudra encore batailler dur et la FGTB sera présente. » Calcul du montant de la GRAPA La GRAPA est un complément de revenu octroyé après enquête sur les revenus. Les montants indiqués sont des maxima. Les revenus éventuels sont déduits de l’allocation maximale pour que la somme de ces revenus et la GRAPA atteigne le montant maximum de la GRAPA. Pour ce qui est d’un ménage, le total des ressources est divisé par le nombre de cohabitants y compris le demandeur. Ce montant divisé sera déduit du montant maximum de la GRAPA. Il n’est pas tenu compte, dans le calcul du montant de la GRAPA, de certaines ressources telles que : • les allocations familiales ; • les prestations qui relèvent de l’assistance publique ou privée (ex. : CPAS, institution de bienfaisance, assurance soins de la communauté flamande) ; • les rentes alimentaires entre ascendants et descendants ; • les allocations aux handicapés ; • l’allocation de chauffage du régime des travailleurs salariés ; Plus d’infos sur la GRAPA J www.sfpd.fgov.be/fr/droit-a-la-pension/grapa Actu 8 N° 1 • Janvier 2021 Les nouveaux montants à partir du 1er janvier 2021 La nouvelle législation est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 et a été automatiquement appliquée aux pensions et à l’allocation de garantie de revenus du mois de janvier. Si vous avez droit à l’augmentation, votre pension ou votre allocation de garantie de revenus sera automatiquement adaptée. Pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants avec une carrière complète de 45 ans* Ancien montant Àpd 01/01/2021 Pension d’isolé 1.291,69 € 1.325,92 € Pension de ménage** 1.614,10 € 1.656,88 € Pension de survie 1.274,43 € 1.308,20 € * Si vous n’avez pas une carrière de 45 ans, l’augmentation sera calculée en fonction de votre carrière. ** Une pension de ménage ne s’applique que lorsque l’un des partenaires n’a que peu ou pas de revenus de pension. Le Service des Pensions applique toujours la situation la plus favorable. Augmentation de la garantie de revenus pour personnes âgées (GRAPA) et du revenu garanti (RG) Les montants de base de la GRAPA et du RG sont augmentés de 2,58 %. Ancien montant Àpd 01/01/2021 GRAPAMontant de base pour cohabitants 769,61 € 789,47 € Montant de base majoré pour isolés 1.154,41 € 1.184,20 € RGMontant isolés 823,66 € 844,91 € Montant ménage 1.098,20 € 1.126,53 € Augmentation des minima sociaux dès janvier À partir de janvier 2021, les minima des allocations de chômage seront augmentés par étapes. Le Gouvernement a débloqué un budget de 343 millions d’euros pour augmenter le montant minimum des allocations de chômage. L’arrêté royal décrivant la mise en œuvre pratique stipule que les minima des allocations de chômage et des allocations d’insertion seront augmentés annuellement de 1,125 % pour toutes les catégories familiales pendant la période 2021 à 2024. Les nouveaux montants des allocations sont publiés sur le site de l’ONEM : • Chômage complet sans complément d’ancienneté J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/chomage-complet • Allocations d’insertion J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/allocation-dinsertion • Allocations de transition J www.onem.be/fr/documentation/bar%c3%a8mes/allocation-de-transition • Allocation de garantie de revenu (travail à temps partiel) J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/travail-temps-partiel Il existe cependant certaines exceptions auxquelles l’augmentation annuelle ne s’applique pas : • les chômeurs avec complément d’ancienneté, pour lesquels les minima sont déjà plus élevés ; • les travailleurs dans les systèmes de chômage avec complément d’entreprise (prépension), y compris à temps partiel ; • les chômeurs temporaires, pour qui le minimum a déjà été relevé dans le contexte de crise sanitaire ; • les allocations de vacances jeunes et seniors. n Même si toute augmentation des allocations de chômage constitue une avancée – et ce, en particulier pour les minima — la FGTB regrette qu’un certain nombre de groupes soient exclus de l’augmentation. L’augmentation est également trop limitée pour permettre d’augmenter les revenus des travailleurs sans emploi de 10 % au-dessus du seuil de pauvreté, ce que nous jugeons urgent. Les chômeurs demeurent le groupe ayant droit à des allocations chez qui le risque de pauvreté est le plus grand. Nous constatons néanmoins un changement de politique par rapport au gouvernement précédent. Nous espérons donc pouvoir parvenir rapidement à un accord sur des ajustements au bien-être de toutes les prestations sociales, via une augmentation plus significative des allocations de chômage. Cette question est également une préoccupation des organisations de lutte contre la pauvreté. N° 1 • Janvier 2021 9 C’est un joli nom, « Camarade ! » Depuis le mois de septembre, la Centrale Jeunes de la FGTB wallonne dispose de son propre journal qui répond au joli nom de « Camarade ! ». Ce dernier a pour vocation d’exprimer un point de vue syndical pour et par les jeunes syndicalistes. L’objectif de notre journal est double : informer nos affilié·e·s sur une série de sujets qui les concernent directement (changements législatifs, mobilisations syndicales, activités des Jeunes en régionales, …) mais également sensibiliser les jeunes (étudiant·e·s, apprenti·e·s, en stage d’insertion) quant à l’importance du syndicalisme et des combats sociaux. Chaque numéro — trimestriel — est l’occasion d’aborder des thématiques de société aussi variées que la lutte contre le capitalisme, l’extrême droite, le racisme, et de traiter des sujets actuels comme le féminisme ou encore l’écologie. Le numéro de septembre était dédié à l’enseignement et aux pédagogies alternatives. Celui de décembre portait sur la crise sanitaire actuelle. Le numéro de mars abordera évidemment les questions féministes ! Si « Camarade ! » entend mettre en évidence le syndicalisme jeune, le but est également d’influencer l’ensemble du monde syndical en proposant des réflexions en phase avec les attentes des Jeunes. Le journal est disponible en version papier et numérique, ce qui permet d’élargir notre audience. La version numérique permet également de proposer davantage de contenus entre chaque numéro mais aussi de diversifier les formats pour être plus en phase avec la communication sur les réseaux sociaux qui sont devenus l’une des premières sources d’information chez les jeunes. Enfin, « Camarade ! » se veut également participatif. Ainsi le journal est ouvert à contributions (pour autant qu’elles correspondent à notre ligne éditoriale) et nous tâchons de développer un réseau de contributeur·trice·s régulier·ère·s qui enrichit le journal de son expérience en tant que militant·e·s au sein des Jeunes FGTB ou dans d’autres secteurs. La mise en page est d’ailleurs assurée par une étudiante en arts graphiques affiliée dans notre Centrale. Le choix du titre ne doit évidemment rien au hasard. « Camarade ! » est sans doute le mot le plus utilisé dans la bouche d’un·e syndicaliste. Nous souhaitons lui rendre toute sa dimension, qu’il ne devienne pas une appellation sans contenu. Il représente notre volonté de construire un monde bâti autour des notions de solidarité, d’entraide et d’égalité. Nous espérons que notre journal y contribue à sa manière ! n Plus d’info J www.camarade.be fCamaradeWebMedia Actu 10 N° 1 • Janvier 2021 « Square des milliardaires » à Bruxelles Champagne ! À la santé des grosses fortunes ! Le 5 janvier à 12h, le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN) ont sabré le champagne devant le square du Bois à Bruxelles dit « Square des milliardaires ». Par cette action, ces organisations rappellent que le creusement des inégalités provoqué par la crise du Coronavirus n’empêche pas les gros patrimoines d’échapper toujours à l’impôt en Belgique. Sur base des données de l’OCDE, en Belgique, les 10 % les plus riches concentrent 21 % du revenu et près de la moitié du patrimoine national. Tandis que les 25 % les moins fortunés détiennent moins de 0,5 % des richesses. La Banque nationale indique que près d’un tiers des ménages ne pourrait pas vivre de ses économies au-delà de trois mois. L’écart entre le salaire minimum et les hauts salaires devient de plus en plus grand. La crise sanitaire creuse les inégalités Les pertes de revenus pour les indépendants et les chômeurs temporaires sont plus importantes en pourcentage pour les plus bas revenus. Par ailleurs, si la pauvreté rend malade, la maladie rend pauvre. La contribution personnelle aux soins de santé relativement élevée (le double des pays voisins) pousse les revenus modestes à ne pas recourir ou à se rendre aux urgences. 4 % des ménages ont dû faire face à des dépenses de santé qui représentaient 40 % de leurs dépenses totales. Mais ce n’est pas tout. Les indépendants, les étudiants et les travailleurs sous contrats temporaires ou actifs dans le secteur informel sont frappés de pertes importantes de revenus. Les inégalités sont également nourries par les vagues de licenciements et les faillites annoncées de petits commerces. La Belgique comptait en 2019 plus de 132.000 millionnaires, disposant d’au moins un million de dollars d’actifs (environ 882.000 €), soit une progression de 8,5 % en un an, selon le Rapport sur la richesse mondiale publié par Capgemini. Leur richesse s’évaluait à plus de 332 milliards de dollars, en croissance de 8,7 % par rapport à 2018. À qui la facture ? Ces derniers mois, l’importance des services publics et de la sécurité sociale a été mise en évidence. Il ne faudrait pas que ce soit aux victimes de la crise de payer la note, au moment où l’État devra se refinancer. Par ailleurs, depuis 50 ans, les réductions d’impôt qui ont été accordées aux plus riches dans les pays développés n’ont absolument pas contribué à créer de l’emploi ou de la croissance. La théorie du ruissellement est un leurre. Pour le FMI, entre autres, il faut au contraire à nouveau davantage taxer les plus fortunés. On oublie trop souvent que les taux marginaux d’imposition pour les plus riches étaient de 75 % aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Pour lutter contre les inégalités économiques, chacun devrait contribuer à l’effort en fonction de la hauteur de son patrimoine et de ses revenus. C’est le sens d’un impôt sur les patrimoines supérieurs à un million d’euros (hors habitation personnelle), réclamé par les organisateurs de l’action. n Le RJF et le FAN réunissent les syndicats et une quarantaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles. 11 N° 1 • Janvier 2021 Une priorité Améliorer durablement la place des femmes sur le marché de l’emploi Ce n’est un secret pour personne : les faits de sexisme sur le lieu de travail touchent majoritairement les femmes. Mais ces comportements inacceptables sont un des symptômes d’un phénomène plus étendu : la position précaire des femmes sur le marché de l’emploi, dénoncée de longue date par la FGTB Bruxelles. Dans son baromètre de la qualité de l’emploi en région bruxelloise publié en 2019, la FGTB pointait déjà la précarité de l’emploi féminin. Aujourd’hui, l’emploi féminin est sous-valorisé et l’écart salarial plafonne : il est encore situé autour de 20 %, malgré l’Article 119 du Traité de Rome sur l’égalité salariale ratifié par la Belgique en… 1957 ! Les femmes sont également surreprésentées dans les temps partiels subis. Elles éprouvent également plus de difficultés de concilier vie privée et travail dues, entre autres, au manque de structures d’accueil pour les enfants ou à une répartition inégale des tâches familiales au sein du ménage. À côté de cela, la FGTB pointe également une sous-représentation dans les fonctions dirigeantes, des stéréotypes persistants dans l’orientation scolaire, etc. La crise de la Covid-19 renforce les inégalités Cette situation plus que préoccupante à l’époque s’est encore aggravée durant la crise sociale et économique suite à la pandémie de la Covid-19. Les conséquences des confinements sont en effet différentes pour les femmes et les hommes. Tout d’abord, les femmes représentent la majorité des travailleurs de première ligne : 80 % des travailleurs occupés dans la gestion de la crise sanitaire sont des femmes et elles sont également aussi nombreuses dans les secteurs dits « essentiels » : commerce alimentaire, enseignement, crèches, nettoyage, etc. Les femmes sont plus touchées par les pertes de revenus liées au chômage temporaire, leur salaire étant bien souvent inférieurs à celui des hommes. Les mesures de confinement décrétées pour contrer l’augmentation des cas de Covid-19 ont transféré une charge de travail qui était assumée par le collectif vers la sphère privée, notamment les activités d’éducation et de soin : cette charge supplémentaire est majoritairement assumée par les femmes, déjà désavantagées par la répartition inégalitaire des tâches domestiques au sein du ménage. Les priorités de la FGTB Bruxelles pour sortir de la crise da la Covid-19 « par le haut » Sans mesures correctrices adéquates, la crise économique sans précédents risque bien de précariser encore plus l’emploi féminin et de renforcer durablement les inégalités hommesfemmes déjà bien présentes sur le marché du travail bruxellois. Pour contrer cette précarisation galopante, la FGTB Bruxelles réclame : Un renforcement des mesures de gender mainstreaming dans les politiques d’emploi et de formation sachant que 80 % des travailleurs de première ligne durant la crise sont des femmes : il est donc important de s’assurer que les emplois féminins ne reçoivent une protection inférieure à celle des hommes, avec une attention particulière pour les familles monoparentales. Parallèlement, l’égalité de traitement doit enfin être concrétisée par la solidarité et la lutte contre les discriminations : la création d’un dispositif de veille anti-discrimination (en partenariat avec Unia et l’institut pour l’égalité entre femmes et hommes) conjuguée à la mise en place d’actions positives vers les publics touchés par la précarité peuvent servir de base pour atteindre cet objectif important pour l’inclusion durable des femmes sur le marché de l’emploi. Enfin, il faudra absolument investir dans des services publics de qualité accessibles à tout·e·s et revaloriser les métiers du care (soins de santé, aide à domicile, nettoyage, etc.) dont l’importance capitale a été démontrée une fois de plus lors de la crise sanitaire : les revendications portées par la FGTB sur un salaire horaire minimum fixé à 14 € de l’heure, si elles sont finalisées, constituent là aussi une sortie par le haut de la crise que nous venons de traverser. La FGTB Bruxelles pèsera de tout son poids lors des prochains mois pour que les belles intentions annoncées par les décideurs politiques ces derniers mois se concrétisent par des actes forts, permettant à l’ensemble des travailleurs et travailleuses belges de retrouver la dignité qu’ils/ elles méritent. n Actu 12 N° 1 • Janvier 2021 Le sexisme au travail, toujours vrai aujourd’hui Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. Selon une étude européenne, 6 femmes sur 10 indiquent avoir déjà vécu des violences sexistes ou sexuelles au travail. Les femmes issues de minorité sont largement représentées dans cette statistique. Quelques constats : • tout comme dans l’espace public, les violences verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues sur le lieu de travail, au premier rang desquelles les sifflements ou les gestes grossiers (26 % des femmes interrogées en ont été victimes à plusieurs reprises) et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue (17 % en ont fait l’objet de manière répétée) ; • nombre de femmes rapportent avoir fait l’objet d’agressions physiques et sexuelles : 14 % ont subi à plusieurs reprises des contacts physiques « légers », 18 % des « attouchements » ; • 9 % des Européennes ont déjà subi au moins une fois des pressions de leur hiérarchie afin de céder à un acte de nature sexuelle (ex. : un rapport sexuel en échange d’une embauche ou d’une promotion…). DES REMARQUES SUR LA TENUE, LA VIE PRIVÉE… L’enquête menée par JUMP donne des résultats encore plus tranchés, puisque 94 % des personnes interrogées indiquent avoir vécu des comportements sexistes au travail. Selon cette étude, les manifestations les plus courantes du sexisme sont les blagues, suivies des remarques déplacées. Une femme interrogée sur deux considère qu’une promotion ne lui a pas été donnée à cause de son genre. Plus de trois quarts des femmes ont répondu avoir déjà subi des remarques sur leur façon de s’habiller, mais aussi sur la gestion de leur vie familiale et sur le fait qu’une femme est censée s’occuper de son foyer plutôt que de travailler. Plus de sept femmes sur dix ont déjà été victimes au moins une fois de gestes ou regards intrusifs et/ou déplacés sur leur lieu de travail et un quart des femmes interrogées témoignent avoir déjà été victimes de harcèlement ou agression physique. Lire l’intégralité de l’enquête J http://stopausexisme.be/sexismebientotfini À l’automne 2019, la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et la Fondation Jean Jaurès publiaient une grande enquête intitulée « Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail ». Le but : mesurer l’ampleur des violences sexistes ou sexuelles subies par les femmes européennes, sur leur lieu de travail. Plus de 5.000 femmes en âge de travailler ont répondu à cette enquête, dans cinq grands pays européens (Italie, Espagne, France, Royaume-Uni, Allemagne). Si la Belgique n’est pas reprise dans l’échantillon, l’on peut toutefois raisonnablement croire que les situations connues chez nos voisins le sont également chez nous. Il y a cinq ans, l’étude JUMP (réalisée principalement en Belgique et en France auprès de 3.400 femmes) démontrait que 9 femmes sur 10 avaient déjà vécu des « comportements sexistes » au travail. Notons que cette étude prenait en compte des critères supplémentaires — comme le fait d’être bloquée dans sa carrière en raison de son genre —, tandis que l’Observatoire ne s’attardait que sur les « violences » verbales ou physiques. Dossier N° 1 • Janvier 2021 13 Toutes concernées, mais pas toutes exposées au même risque L’Observatoire démontre également que toutes les femmes ne sont pas soumises au même niveau de risque, face à ces agressions. Plusieurs profils de femmes sont davantage exposés au phénomène, à savoir : les travailleuses jeunes, issues d’un milieu urbain, déjà discriminées pour leur orientation sexuelle ou leur religion, victimes de violences sexuelles par ailleurs ou par le passé, employées dans un environnement de travail masculin ou forcées à porter des tenues de travail considérées comme « sexy ». Le facteur « âge » joue un grand rôle. 42 % des femmes de moins de 30 ans ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête, contre 28 % des trentenaires, 24 % des quadragénaires et 16 % des quinquagénaires. La double peine des minorités Les résultats de l’étude démontrent que les femmes issues de minorités religieuses, en plus de subir des violences ou discriminations liées à leurs croyances, vivent également le sexisme de plein fouet. Ainsi, deux fois plus de femmes musulmanes (que de femmes qui se décrivent comme catholiques) ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête. « Cette surreprésentation des Musulmanes parmi les victimes récentes doit s’expliquer par des ‘effets de structure’ : la population musulmane étant surreprésentée dans les pans de la population les plus exposés à ces formes ‘d’harcèlement’ (ex. : jeunes, catégories populaires, grandes agglomérations). Mais elle met aussi en évidence les interactions entre les discriminations liées au genre et d’autres motifs comme les origines, la couleur de peau ou une religion réelle ou supposée », indique François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop, qui coordonnait l’étude. Le même principe s’applique aux femmes issues de minorités sexuelles. Les femmes bisexuelles ou lesbiennes sont plus souvent victimes de violences sexistes et sexuelles au travail : 36 % d’entre elles, soit presque deux fois plus que les hétérosexuelles (21 %). Les faits les plus rapportés : propos obscènes, envoi de vidéos inappropriées, propositions à connotation sexuelle… On le voit, les préjugés et clichés ont la vie dure. Le « problème » avec la tenue de travail imposée Il faut le dire et le répéter : en aucun cas la tenue portée par la victime n’est la cause de son agression. Dans 100 % des agressions sexuelles, le responsable, c’est l’agresseur. Pourtant, la tenue est encore largement perçue (à tort) comme une incitation, ou plutôt est utilisée comme « excuse » pour justifier le comportement machiste ou l’agression. C’est également le cas sur le lieu de travail. L’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail démontre que les femmes qui sont contraintes de travailler en uniforme ou dans une tenue de travail qui laisse apparaître leurs formes (exemple : jupe obligatoire, port de talons…) sont le plus souvent victimes d’agressions graves. C’est dans cette catégorie de travailleuses que l’on trouve le plus de femmes (33 %) ayant eu un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré ». « Cela soulève donc la question des tenues de travail genrées qui peuvent accentuer la pression sexuelle sur les femmes en en faisant des ‘objets de désir’ stéréotypés, notamment dans des secteurs (ex. : services publics, hôtellerie, restauration…) où elles sont directement en contact avec le public. » Des agresseurs à tous les échelons Et les agresseurs dans tout ça ? Contrairement aux idées reçues, les agresseurs ne sont pas uniquement les supérieurs hiérarchiques. Collègues directs, mais aussi clients, fournisseurs, visiteurs externes se partagent le triste gâteau. « La seule situation dans laquelle une fraction significative de femmes (à 34 %) rapporte avoir été harcelée par un supérieur a trait aux pressions psychologiques exercées pour obtenir un acte sexuel en échange par exemple d’une promotion ou d’une embauche. Les autres formes de violence sont soit le fait de collègues n’exerçant pas d’autorité hiérarchique — notamment les remarques gênantes sur le physique (à 46 %) ou les propos à connotation sexuelle (à 38 %) —, soit le fait de personnes extérieures comme des clients ou des fournisseurs (comme par exemple pour la réception de cadeaux gênants à 61 %). » Observatoire européen du sexisme J www.ifop.com/publication/observatoireeuropeen-du-sexisme-et-du-harcelementsexuel-au-travail Dossier 14 N° 1 • Janvier 2021 Sortir du cycle de la violence L’asbl « De Maux à Mots » lutte au quotidien contre toutes les formes de violences sexuelles. Cindy Renski, présidente, nous en parle. « La violence sexiste, ça commence généralement par des paroles blessantes ou infantilisantes, une fausse bienveillance rétrograde, des blagues douteuses, auxquelles personne ne prête attention, tant la culture du sexisme est ancrée dans notre société, comme une mauvaise tradition. Si on ne désamorce pas la situation dès le départ, la personne qui exerce la pression morale prend le pouvoir. Il peut s’ensuivre des attouchements, des violences physiques. La victime se referme alors sur elle-même. Les femmes qui subissent ou ont subi le sexisme au travail se sentent en effet coupable de leur situation. » Tout le monde a un rôle à jouer. Collègues, témoins, peuvent intervenir et dire « stop ». Très souvent, la peur des représailles ou la crainte de perdre son emploi pousse la victime à s’enfermer dans une forme de passivité, et tenter d’éviter au maximum d’aborder le problème. « La victime amène alors son angoisse à la maison, elle commence à avoir une crainte du travail, et là tout s’enchaîne : arrêt de travail, impossibilité de revenir, c’est la victime qui se retrouve écartée. Alors que c’est elle qui a besoin d’assistance psychologique et de soutien. » Burn out, dépression, crises d’angoisse, perte de confiance ou d’estime de soi, les conséquences sont nombreuses. Dès lors que pouvons-nous faire ? Agir, au plus tôt. « Nous insistons auprès de chaque personne concernée : il faut parler. Déposer une plainte, s’adresser à son représentant syndical ou à sa direction. Pour convaincre la victime de faire le pas, nous essayons d’activer un réflexe de protection de l’autre. En expliquant que dénoncer le problème évitera à d’autres travailleuses de subir la même chose. Nous insistons également sur le fait qu’il y a des lois et que celles-ci doivent être appliquées. Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. » En tant que femme de ménage dans un hôtel, je rencontre toutes sortes de clients. Selon l’humeur du client de l’hôtel, qui est donc aussi mon client, je suis confrontée à de multiples situations. La plupart des clients sont amicaux et compréhensifs et quittent souvent leur chambre lorsque je viens la nettoyer. Mais avec d’autres, c’est moins facile. Par exemple, il y a quelques années, j’ai dû faire face au harcèlement sexuel au travail. La première fois que je suis allée nettoyer la chambre d’un homme d’un certain âge, il a ouvert la porte… sans vêtements ! Bien sûr, j’ai été choquée. Je lui ai poliment demandé de bien vouloir passer des vêtements. Et il l’a fait. La fois suivante, quand je suis retournée laver sa chambre, une nouvelle mauvaise surprise m’attendait. Après avoir frappé à la porte, je suis entrée et j’ai trouvé l’homme nu sur le lit. Je me suis vite rendu compte que je ne pourrais pas régler cette situation seule. J’ai donc décidé de partir — sans faire le ménage — et j’en ai parlé avec mon employeur. Il a directement contacté le directeur de l’hôtel et celui-ci a, à son tour, contacté le client de l’hôtel. Nadine Cathy a été élue pour la première fois lors des récentes élections sociales. En tant que déléguée, elle souhaite avant tout offrir une oreille attentive aux collègues qui ont des questions ou des difficultés. Et elle est déterminée à s’attaquer aux problèmes qui se posent dans l’entreprise. « Depuis toute petite, je ne supporte pas l’injustice. Par le passé, je travaillais dans une entreprise où les propos misogynes et racistes étaient monnaie courante. J’ai immédiatement pris la parole contre cela. Mais la situation est devenue intenable. Je suis devenue un problème pour la direction, et j’ai finalement dû partir. Il n’y avait pas de représentation syndicale… Quand j’ai commencé à travailler chez ALVANCE Aluminium, il y a deux ans, ma décision a été rapidement prise : je voulais me rendre utile en tant que représentante syndicale. » Une des rares femmes L’entreprise n’emploie que quelques femmes, sur un total de 650 travailleurs. Cathy est la seule femme de son unité. « Au début, j’ai ressenti quelques réticences. J’ai eu le sentiment d’être ‘un intrus’ dans un bastion d’hommes. Mais ça a vite changé. Nous avons une bonne équipe, il y a beaucoup de respect entre les collègues, et ils savent de quoi je suis capable. Je débute en tant que délégués syndicale. Ce sont mes premiers pas ! J’évolue actuellement dans mon rôle avec le soutien de mon délégué principal. Mais il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je veux travailler dans les années à venir. Premièrement, nous devons avoir un point de contact accessible, pour pouvoir prendre en charge les problèmes des collègues à temps. Deuxièmement, il faut recruter plus de femmes. Enfin, je veux garantir l’équité et la justice pour toutes et tous, dans l’entreprise. » Cathy Van Rymenam, déléguée de l’entreprise métallurgique ALVANCE Aluminium Quand on parle de violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail, de quoi parle-t-on exactement ? La définition est large. Il peut s’agir de gestes déplacés, de propos grossiers, de remarques gênantes sur la tenue ou le physique de la victime, d’écrits ou de propos à caractère sexuel, de l’envoi de textes ou de photos obscènes, d’invitations gênantes, et, malheureusement de contacts physiques imposés, de rapports sexuels forcés. Un cycle de violence qu’il est essentiel d’enrayer dès les premiers signes d’agression. N° 1 • Janvier 2021 15 Violences sexuelles au travail Comment (ré)agir ? Les violences sexistes et sexuelles au travail font l’objet d’une réflexion régulière au sein du Bureau wallon des Femmes de la FGTB. Cette question a d’ailleurs fait l‘objet de la 4e journée des États généraux féministes organisée, en novembre 2019, avec le CEPAG, mouvement d’éducation permanente1 . En voici les principales conclusions… La violence à l’égard des femmes est multiforme : intrafamiliale, verbale, physique et/ou sexuelle, sexiste, psychologique, économique… Mais elle est également présente à tous les niveaux de la société : dans la sphère privée, dans l’espace public et au travail. Nous le verrons dans le dossier, où que se situe la violence, trop souvent, c’est la loi du silence qui prime. Comme dans la sphère privée ou domestique, les victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail doivent souvent se taire. En outre, les statistiques établies par les autorités sont encore peu nombreuses. Peu de femmes ont la force de réagir ou de dénoncer les faits par peur de perdre leur emploi, par honte, en raison de la lourdeur de la procédure ou parce qu’elles estiment que ça ne sert à rien… Sur ce dernier point, le fait que, dans de nombreux secteurs, les délégations syndicales comptent encore trop peu de femmes en leur sein peut avoir une influence. En effet, une femme victime aura plus de difficultés à s’adresser à un homme qu’à une femme et ce, en particulier en cas d’agression sexuelle. Par ailleurs, la peur de réagir et ainsi, de mettre en péril son emploi ou ses chances de promotion a été encore renforcée par les politiques d’austérité. Les économies réalisées sur les allocations sociales (comme les allocations de chômage ou les allocations de garantie de revenu pour le travail à temps partiel) et la limitation des droits sociaux (notamment celle des périodes assimilées) touchent plus particulièrement les femmes, dont elles restreignent l’autonomie financière. Ces politiques austéritaires aggravent donc le sort des femmes exposées à la violence, qu’elle soit conjugale, intrafamiliale ou au travail. Elles ont également fortement réduit les moyens alloués à la Justice, ce qui a aussi un impact sur la prise en charge des femmes victimes de violences. Une nécessaire approche individuelle ET collective Lors de la réflexion menée à l’occasion des États généraux féministes, les aspects et outils légaux ont été particulièrement mis en avant. Le harcèlement moral, la violence et le harcèlement sexuel au travail ont un impact sur la santé, la sécurité et donc le bien-être de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. L’employeur est donc tenu de respecter la législation en la matière. La législation existante — et qui comporte des aspects tant positifs que négatifs — doit donc être davantage exploitée. En reprenant la violence et le harcèlement sexuels au travail sous la catégorie des « risques psychosociaux », la loi met ainsi en évidence la responsabilité des employeurs. Ils ont donc des obligations et procédures à respecter et ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité lorsque de tels actes sont commis. On ne peut pas non plus négliger le rôle joué par l’organisation du travail, notamment dans certains secteurs. Ainsi, les femmes d’ouvrage ou les aides ménagères travaillant souvent seules, à l’extérieur de l’entreprise, sont par exemple plus vulnérables. Au niveau des organisations syndicales, il serait opportun que les formations sur la prévention et la gestion des risques psychosociaux prennent davantage en compte la dimension du genre pour mettre en lumière les rapports de domination à l’œuvre en cas de violences sexuelles au travail. Il serait également important de travailler encore plus avec les délégués et Dossier 16 N° 1 • Janvier 2021 déléguées sur la déconstruction des stéréotypes de genre dont se nourrissent les violences à l’égard des femmes. En effet, les propos et comportements sexistes préfigurent souvent la violence physique sexiste et sexuelle. Notre société est construite sur un modèle patriarcal pour lequel la femme est encore et toujours perçue comme une personne plus sensible et fragile sans réels moyens de défense. Cela induit des rapports inégalitaires dans la société qui sont transposables dans les collectifs de travail : • inégalité salariale ; • plafond de verre et plancher collant ; • ségrégation horizontale du marché du travail ; • temps partiels majoritairement féminins ; • femmes majoritairement victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui ont aussi un impact sur leur vie professionnelle ; • femmes majoritairement victimes de violences et de harcèlement sexuels au travail. Il apparaît donc essentiel d’avoir une approche individuelle des cas de violences sexistes ou sexuelles au travail ou dans la sphère privée tant pour assurer un accompagnement adapté et efficace de la victime que pour sanctionner l’auteur. Mais cela doit être combiné à une approche collective. Cette approche globale contribuera à faire en sorte que l’organisation du travail ne soit pas « facilitatrice » ou « propice » à ce type d’agissements mais aussi de tenir compte, par exemple, de l’impact des violences conjugales sur le bien-être au travail. Plus largement, cela permettrait à combattre le sexisme et à contribuer, enfin, à une société plus égalitaire. 25 novembre Une journée internationale contre les violences faites aux femmes En 1999, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 25 novembre « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Une journée importante pour les féministes et les organisations qui les soutiennent car elle est l’occasion de rappeler qu’aujourd’hui encore, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Ces violences sont la conséquence directe d’un système patriarcal encore fortement ancré dans l’ensemble de la société. Les inégalités entre les sexes persistent en effet dans le monde entier, empêchant les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux et compromettant leur vie ainsi que leur avenir. Des efforts doivent être faits pour parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles, notamment sur le plan juridique. D’ailleurs, la Belgique ne respecte pas ses engagements en la matière en n’appliquant pas totalement la Convention d’Istanbul qu’elle a pourtant officiellement adoptée en 20162. Victime ou témoin de violences sexuelles ou sexistes au travail ? La Cellule de Lutte contre les discriminations du CEPAG et de la FGTB wallonne (CLCD) est à vos côtés pour lutter contre toutes formes de discriminations — notamment sexistes —, d’exclusion ou d’exploitation à l’embauche, lors d’une formation ou au travail. Concrètement, la CLCD vous apporte une écoute, de l’information et un accompagnement de qualité si vous êtes témoin ou victime de discrimination. Contacter la CLCD ( 081 26 51 56 E clcd@cepag.be J www.clcd.info 1. https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_novembre_2019_-_violences_sexuelles.pdf 2. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique conclue à Istanbul, le 11.05.2011 – ratifiée par la Belgique le 14 mars 2016 et entrée en vigueur le 1er juillet 2016. MOBILISONS-NOUS CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES! STOP 17 N° 1 • Janvier 2021 Le silence n’est PAS une option Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. L’Observatoire européen fait également le constat suivant : sortir du silence est extrêmement difficile. Dénoncer une situation, c’est éventuellement prendre le risque d’un conflit avec son employeur, voire de perdre son emploi. De nombreuses femmes préfèrent subir remarques désobligeantes et commentaires en silence. Les femmes qui osent évoquer le problème à un supérieur ou à un représentant syndical restent peu nombreuses : 9 à 16 % selon les cas. Notons que ce chiffre augmente à 27 % chez les femmes de moins de 25 ans, tandis qu’il descend à 10 % chez les travailleuses « âgées ». Les différents mouvements de libération de la parole ont en effet certainement eu un impact plus grand parmi les jeunes. L’enquête « JUMP » confirme : plus de huit femmes sur dix déclarent ne jamais avoir fait appel aux autorités (entreprise, police…) pour dénoncer les faits subis). Un lieu de travail exempt de sexisme commence pourtant avec la parole de toutes et tous. Luttons au quotidien contre les comportements problématiques. Témoin du sexisme sur le lieu de travail ? En tant que témoin, vous avez un rôle à jouer. N’hésitez pas à condamner ouvertement le sexisme, à en parler à votre délégué et/ou à un responsable. Se taire face à des comportements inacceptables, c’est se rendre complice. Les organisations syndicales et les employeurs ont mis en place dans l’entreprise des procédures d’accompagnement des travailleuses victimes de harcèlement sexuel et ou de propos sexistes. Le problème peut être signalé à l’employeur via un·e représentant·e syndical·e, ou à la personne de confiance, ou au conseiller en prévention chargé des aspects psycho-sociaux. Le rôle de la personne de confiance est d’écouter, de soutenir la victime, de conseiller les différentes pistes existantes, d’orienter vers les services adéquats. Il ou elle peut faire office de médiateur. Une blague qui blesse n’est pas drôle Restons vigilants, ensemble, pour une communication respectueuse. Chacun peut surveiller son langage et ses actions, pour éviter d’avoir un mot ou un geste blessant. Certaines formes de sexisme sont plus « subtiles » que d’autres. Essayez de les identifier, et réagissez de manière conséquente. Même si ce n’est « qu’une blague ». Les blagues ne sont pas drôles quand elles font mal. Cela s’applique à vous-mêmes, à vos proches, à vos collègues. Être ouvert aux différences Une vision rigide de la société renforce les stéréotypes. Acceptons les différences, renforçons le respect. Nous sommes tous différents et c’est une bonne chose. Pourtant, nous devons nous assurer que nous avons toutes et tous les mêmes droits. Soyez à l’écoute Quelqu’un se confie à vous ? Écoutez sans préjugés et faites votre part du travail : apportez votre soutien, vos conseils, et orientez votre collègue. L’institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes vous propose également un formulaire de signalement, ainsi qu’un point « info » sur la question. N’hésitez pas à consulter leur site. J https://igvm-iefh.belgium.be/fr/infos-et-aide Dossier 18 N° 1 • Janvier 2021 Sexisme au travail Tolérance Pourquoi est-ce important de porter une attention particulière à ce phénomène ? Dalila : Le sexisme dans l’entreprise décourage les femmes. Elles finissent par travailler sans ambition. Il arrive qu’elles quittent leur travail sous une pression sexiste trop forte. Pourtant, les femmes, en Belgique, sont globalement plus diplômées que les hommes et sont des candidates de qualités. Si le monde de l’entreprise ne prend pas de dispositions fortes contre ces comportements sexistes, l’employeur qui a investi du temps et de l’argent dans ses collaboratrices voit son investissement perdu. C’est regrettable pour tout le monde. Martine : Le sexisme sur le lieu de travail est toujours très présent et très difficile à combattre. Beaucoup de gens ne savent pas comment y mettre fin. Pourtant il faut s’attaquer à ce phénomène de la même manière que l’on s’attaque au racisme. Il faut se demander « Est-ce que ça vous ferait encore rire si c’était aux dépends de votre soeur, de votre mère ? » Une tolérance zéro à l’égard du sexisme et du racisme devrait être la norme. » Pourquoi, justement, ces deux problèmes sont-ils traités diffèremment ? Martine : Parce que toute une série de gens ne comprennent pas que les formes subtiles du sexisme, principalement des « blagues », peuvent apparaître comme blessantes. « C’est juste une blague ! » Cela dit, depuis le mouvement #Metoo, les comportements changent. C’est la même chose pour les « gestes » déplacés. C’est à la victime de déterminer si une frontière est franchie, pas à celui qui pose le geste ! Dalila : Il faut aussi rappeler que les femmes de couleur subissent une double discrimination. Elles se confrontent à des attitudes sexistes ET racistes. Ces deux fléaux doivent être combattus avec la même rigueur. Ils répondent à une même construction, qui infériorise les femmes. Une entreprise moderne, et l’ensemble des travailleurs et travailleuses, se doivent de défendre des valeurs d’égalité. L’instruction, l’éducation, la formation sont des outils essentiels pour y arriver. La formation de nos délégué·e·s doit intégrer cette thématique, pour une évolution positive tant au niveau de la structure syndicale que des entreprises. Comment agir ? Martine : Il faut continuer à insister sur ce sujet, prendre position, et chercher un soutien en cas de besoin, tant au sein du syndicat qu’à l’extérieur. Pas à pas, il faut éliminer les inégalités. C’est un effort à long terme. En tant que syndicat, nous avons pris des mesures. Nous travaillons avec des quotas, par exemple. Il faut au moins une femme sur trois dans tous les organes officiels, et nous visons la parité. Cela fait une différence. Depuis septembre, nous avons pour la première fois un secrétariat fédéral avec quatre femmes et trois hommes. C’est une véritable réussite. Dalila : En Belgique, il existe déjà une législation qui punit le sexisme, la discrimination et le harcèlement sexuel au travail. Citons la loi sur le sexisme de 2014, la loi anti-discrimination de 2007 et la loi de 1996 sur le bien-être des employés dans l’exercice de leur travail. Mais dans la pratique, les procédures sont lourdes, et peu de victimes souhaitent engager la procédure. Il faut faciliter tout cela. Dans de nombreux cas, la victime est déjà partie quand la procédure aboutit… Si les salariées victimes de sexisme ne réagissent pas, c’est parce qu’elles ont peur de représailles. Si les employeurs ne mettent pas en place des mesures strictes de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel, c’est très difficile pour les travailleuses d’en parler. Peu de cas sont portés dans les tribunaux, elles se disent que ça ne sert à rien. Pourtant c’est à force de donner une visibilité à ces plaintes qu’elles prendront un réel sens. Car les conséquences psychiques sur les victimes sont désastreuses. Nous avons le devoir d’en faire un point essentiel dans le cadre du bien-être au travail. Martine Vandevenne et Dalila Larabi sont les expertes « Gender » de la FGTB. Via des actions, formations, de la sensibilisation, elles luttent au quotidien contre zéro! le sexisme dans le monde du travail. N° 1 • Janvier 2021 19 OIT Un cadre international de lutte contre le sexisme Le 21 juin 2019, les syndicats et leurs alliés du monde entier ont célébré l’adoption historique d’une loi internationale sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail : la Convention n° 190 (C190) de l’OIT (Organisation internationale du Travail). Avec une majorité favorable à l’adoption de cette convention, l’on a clairement déclaré que la violence et le harcèlement n’avaient PAS leur place au travail. La C190 de l’OIT reconnaît le droit de toutes et tous de travailler sans subir de violence et de harcèlement. Ce, tant dans l’économie formelle qu’informelle et quel que soit le statut de la personne. Cette convention est donc particulièrement novatrice puisqu’elle reconnaît que la violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique qui trouve sa source dans des rapports de pouvoir inégalitaires au sein de la société et dans le monde du travail En juin 2020, l’Uruguay est devenu le premier pays à ratifier la C190. L’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, la Belgique, l’Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Namibie, l’Ouganda et les Philippines ont signalé leur intention de la ratifier également. Et dès lors d’aligner leurs lois nationales sur les normes du traité. En Belgique, dans le cadre du processus de ratification, le Conseil National du Travail a un avis dans lequel il constate que, selon la déclaration gouvernementale, la législation nationale est conforme aux prescriptions de la Convention et qu’une procédure d’assentiment peut dès lors être envisagée. La Belgique dispose déjà d’un système de protection très développé en ce qui concerne la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Toutefois, la législation pourrait être renforcée sur certains points. • Former les personnes de de confiance, conseillers en prévention… afin, d’une part, qu’elles puissent orienter les victimes vers des services d’aide appropriés et, d’autre part, qu’elles tiennent compte des conséquences de la violence domestique dans le travail ; • Poursuivre le travail de sensibilisation sur les violences domestiques et leurs implications dans le travail ; • Améliorer les pratiques et notamment : – renforcer les recherches et la concertation pour identifier les secteurs, professions et modalités de travail qui exposent particulièrement les travailleurs et prendre des mesures appropriées ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris concernant la formation des acteurs du monde judiciaire et du monde du travail ; – examiner la possibilité de prendre de nouvelles mesures de soutien pour les victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail et de mettre en place des services de conseil pour les auteurs ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris en matière d’information et de sensibilisation. n En savoir plus… L’IFSI, travaille sur ces thèmes au quotidien, en partenariat avec des acteurs sociaux et syndicaux à travers le monde. L’IFSI est l’Institut de coopération syndicale internationale soutenu par la FGTB. Sur leur site, vous trouverez des analyses et publications en rapport avec la lutte contre les violences basées sur le genre sur le lieu de travail, et l’importance de la C190. J www.ifsi-isvi.be/category/publications/analyses-reflexions Dossier 20 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les entreprises enfin reconnues comme premier lieu de propagation de la Covid-19 Nous le défendions depuis des mois : le rôle du lieu de travail dans l’évolution de cette épidémie a toujours été minimisé. Aujourd’hui, notre appel a enfin été entendu. Sciensano, l’Institut belge de santé, publie désormais chaque semaine les lieux de contaminations les plus fréquents. Et sans grande surprise pour la Centrale Générale – FGTB, le premier lieu de contamination se trouve dans les entreprises avec plus de 40 % des foyers détectés. Et ce résultat ne reflète pas encore toute la réalité de l’impact du travail car les travailleurs d’autres secteurs comme les écoles, les hôpitaux ou les maisons de repos sont repris dans leur propre secteur plutôt que dans la catégorie entreprise. Ce chiffre devrait donc être bien plus élevé. L’apparition soudaine des données concernant le lieu de travail démontre que notre appel n’était pas anodin. D’autant plus que les résultats confirment ce que nous pensions depuis le début. Reste maintenant à prendre des mesures adéquates. Nous tenons donc à rappeler nos revendications en la matière : • un élargissement de la reconnaissance de la Covid-19 en tant que maladie professionnelle ; • une application totale du code du bien-être au travail et une analyse du risque particulier qu’est la Covid dans toute les entreprises ; • un véritable contrôle des mesures prises suites à ces analyses de risque ; • une analyse plus approfondie de ces données pour pouvoir identifier les secteurs à risque et donc ceux dans lesquels la prévention doit être renforcée. 0 % 10 % 20 % 30 % 40 % ENTREPRISES Maisons de repos Résidences pour personnes handicapées Types de clusters Autres collectivités résidentielles Clusters communautaires Autres clusters Écoles Clusters actifs rapportés par les régions par types de clusters Belgique, semaine 53 (28/12 au 03/01) CG 21 N° 1 • Janvier 2021 Secteurs du textile, entretien du textile, habillement et confection en 2021 Le Corona et le Brexit constituent des défis importants Le textile et les secteurs de la confection sont actuellement confrontés à de nombreux défis : la crise du Corona, mais certainement aussi le Brexit. Mais avec les délégués nouvellement élus, la Centrale Générale – FGTB est déjà en position de force pour les quatre années à venir. Nous passons en revue les défis et les priorités qui attendent les secteurs du textile et de la confection avec l’ancien secrétaire fédéral, Elie Verplancken qui part en RCC et Annelies Deman, qui a repris le flambeau depuis le 1er janvier. 2020 a bien entendu été une année particulière. La crise du Coronavirus a-t-elle durement impacté le secteur du textile et de l’habillement ? Elie : Pendant le premier confinement, un certain nombre d’entreprises ont été complètement fermées et l’emploi a diminué de 25 %. Mais sur une base annuelle, nous arrivons à environ 16 %. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas encore de tous les chiffres et nous ne connaîtrons le détail des conséquences du Coronavirus pour l’année 2020 que durant 2021. Dans l’ensemble, je pense que les dégâts ont été moins importants que ce que l’on craignait initialement. Mais pour le secteur du textile, il existe un autre facteur de risque qui peut faire davantage de dégâts : le Brexit. Le Royaume-Uni est l’un des plus gros clients du secteur belge du tapis. Il est très difficile d’estimer l’impact de cette mesure. Quel rôle la Centrale Générale a-t-elle pu jouer dans les secteurs ces dernières années ? Elie : Nous avons déjà négocié l’introduction du deuxième pilier de pensions dans l’industrie du textile. Au départ, cela a été très difficile pour les employeurs, mais lors des négociations finales pour une CCT sectorielle, nous sommes parvenus à un accord et le deuxième pilier sera en place à partir de 2021. Nous avons également travaillé dur sur une classification de fonctions commune pour les ouvriers et les employés. En raison de la loi sur la norme salariale, il n’a pas été facile de négocier de fortes augmentations de salaire, mais nous avons quand même réussi à tirer le maximum. Suite aux élections sociales, la FGTB reste-t-elle forte dans le textile ? Elie : Des élections sociales ont été organisées dans 132 entreprises des secteurs du textile, de la confection et de l’entretien du textile. Au CPPT, la FGTB a remporté 34 % des mandats, (une progression de 1,4 %) et au CE, 32,6 % (une progression de 0,5 %). Nous sommes donc contents ! Nous progressons le plus dans le secteur de l’entretien du textile et c’est important parce que dans ce secteur, la pression au travail est très forte. Une nouvelle période, une nouvelle secrétaire fédérale. Quelles sont les priorités pour les années à venir ? Annelies : Il est clair qu’entre les conséquences du Coronavirus et les incertitudes liées au Brexit, nous sommes confrontés à une année très importante. Les négociations pour un accord interprofessionnel (AIP) et sa transposition dans les secteurs seront essentielles. Ce sera un véritable défi. Mais avant tout, je veux mieux connaître les secteurs. Les élections sociales sont juste derrière nous. De nouvelles délégations très motivées sont constituées. J’ai hâte de les rencontrer. Parce que la force de notre syndicat se trouve bien sûr à la base, sur le terrain. CG 22 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les agressions envers les agents de gardiennage doivent cesser ! Les agents de gardiennage sont connus pour garantir la sécurité des personnes, des espaces publics ou privés ou encore des habitations. Or, depuis mars 2020, ces agents de gardiennage doivent également s’assurer que les mesures Corona soient bien respectées. Une tâche pas évidente étant donné les agressions fréquentes dont ils sont victimes. « Nous sommes présents dans les magasins et nous devons inciter les gens à respecter les mesures, mais ce n’est pas toujours apprécié. Les gens sont surtout agressifs verbalement, même si, voici quelques mois, un collègue s’est retrouvé à l’hôpital avec une grave commotion cérébrale suite à une altercation », explique Patrick, agent de gardiennage. Lui et ses collègues constatent une hausse des agressions verbales envers les agents de gardiennage depuis la crise du Coronavirus. Ils ont l’impression qu’à force de se voir rappeler les mesures sanitaires à respecter (garder ses distances, porter correctement son masque buccal, faire ses courses seul, prendre un chariot, se désinfecter les mains), les gens ont de moins en moins envie de les respecter, ils semblent blasés. « Dès que ce comportement agressif se manifeste, nous essayons d’expliquer que ces mesures sont imposées par le Gouvernement et que nous faisons simplement notre travail : on nous demande de les faire respecter », dit Patrick. Inutile d’en vouloir aux agents de gardiennage car c’est le Gouvernement qui fixe les règles. Il est donc grand temps d’être plus tolérant et de respecter ces travailleurs qui ont un rôle essentiel à jouer pour réduire les risques d’exposition à la Covid-19. Car c’est avec respect qu’ils assurent la sécurité de tous ! Téléchargez l’affiche sur J www.fgtbgardiennage.be Nous ne faisons que notre travail ! Emplois précaires et impact négatif sur la santé et le bien-être Selon une étude récente de la VUB (aile flamande de l’Université Libre de Bruxelles), il apparaît que les emplois précaires comportent plus de risques pour la santé et le bien-être des travailleurs. La situation familiale, un faible revenu du ménage ou des conflits entre vie privée et professionnelle, par exemple, jouent un rôle important à cet égard. Un emploi précaire, c’est un emploi sans contrat fixe, à temps partiel, mal rémunéré avec des horaires flexibles ou imprévisibles. Malheureusement, ce type d’emplois est en progression, y compris en Belgique. L’enquête menée par la VUB auprès de 3000 personnes a montré que les personnes qui ont un emploi précaire obtiennent de mauvais résultats en termes de bienêtre et de santé. Le bien-être de ces travailleurs est plus mauvais lorsque le revenu du ménage est faible ou lorsqu’il n’y a pas de bon équilibre entre vie privée et professionnelle. En outre, il s’avère que les travailleurs du secteur de la construction, du gardiennage et des titres-services sont particulièrement vulnérables. Ils encourent un risque plus élevé de problèmes de santé et de bien-être en raison de bas salaires – et donc des faibles revenus du ménage, des horaires de travail irréguliers qui contribuent à un déséquilibre entre vie privée et professionnelle et un risque accru de blessures physiques. Ces travailleurs doivent également faire face à la pression du temps pendant l’exécution de leur travail, à des conditions de travail physiques difficiles et à un manque d’autonomie ou de variation des tâches. Il existe un lien évident entre ces conditions de travail et le travail précaire : les travailleurs précaires sont plus souvent exposés à de telles conditions de travail du fait qu’ils ont structurellement moins de poids et de choix dans la détermination de leurs conditions de travail. Scannez le QR code pour remplir la deuxième enquête sur le travail précaire en Belgique actuellement en cours. Envie d’en savoir plus ? J www.precariouswork.be n N° 1 • Janvier 2021 23 Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits Car il n’y a pas de quoi être fiers ! Même si des avancées ont pu être enregistrées dans le fossé en matière de droits entre les femmes et les hommes au cours des dernières années, le chemin à parcourir reste long et semé d’embuches pour parvenir à une réelle égalité des droits dans une société construite sur le modèle qui reste — reconnaissons-le — essentiellement patriarcal. Ainsi, le taux d’emploi, les salaires et la qualité des contrats des femmes sont encore globalement inférieurs à ceux des hommes avec de grandes variations selon les secteurs. Et ce ne sont pas les politiques d’austérité des dernières années ni l’atténuation de la responsabilité sociale des entreprises (atteintes à la liberté de négociation collective) qui ont empêché les femmes de tomber les premières dans le travail précaire et la pauvreté. 5 questions parmi d’autres nous semblent essentielles et réclament des réponses énergiques ainsi que programmées dans le temps. 1. Écart de rémunération entre hommes et femmes Dans toute l’Europe, les femmes continuent de gagner en moyenne 16,4 %* de moins que les hommes pour le même emploi. Nous exigeons : • le développement et l’utilisation de systèmes de rémunération transparents ; • la revalorisation des fonctions et métiers à prédominance féminine (revalorisation salariale, amélioration des conditions de travail, validation des compétences, reconnaissance des qualifications) ; • la promotion de la mixité des métiers ; • la lutte contre toutes les formes de travail précaire, en particulier les emplois à temps partiels « non choisis » ; • la lutte contre la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes ; • la promotion de l’égalité d’accès aux congés parentaux ; • la lutte contre les discriminations à l’embauche dont les femmes sont encore trop souvent victimes en raison de la persistance de stéréotypes de genre. 2. Plafonds de verre La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. En outre, les femmes sont encore trop souvent confinées dans certains emplois, écartées d’autres et cantonnées dans des postes qui ne réclament que peu ou pas de formation. 3. Écart de retraite Une majorité de femmes ont — responsabilités familiales obligent — des carrières professionnelles plus courtes ou non complètes et ont tendance à occuper un emploi précaire (temps partiel, durée déterminée, contrats flexibles, etc.). En 2014, l’écart moyen dans l’UE28 s’élevait à 40,2 %, les hommes de 65 à 74 ans ayant en moyenne des retraites de 40 % supérieures à celles des femmes de la même tranche d’âge. Les régimes de sécurité sociale et, en particulier, les régimes de retraite doivent être solidaires, protégés, améliorés et adaptés afin de permettre aux femmes d’avoir une vie sûre et décente à tous les stades de la vie ! 4. Lutte contre les stéréotypes En dépit des dernières décennies de progrès en matière d’égalité des genres, les stéréotypes liés au genre restent présents dans nos vies quotidiennes, à domicile et au Les Métallos de la FGTB ont soutenu avec détermination la résolution adoptée lors du dernier Congrès d’Industriall Europe en 2020 et traitant DES questions d’égalité entre les femmes et les hommes et intitulée : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». * Source: Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE) Ecart des salaires entre les hommes et les femmes non-ajusté (2015). MWB 24 N° 1 • Janvier 2021 Métallurgistes Wallonie-Bruxelles travail, et ils sont source de discrimination. Les Métallos FGTB plaident pour l’élimination des stéréotypes liés au genre par la revalorisation des emplois à prédominance féminine en revalorisant les salaires, en améliorant les conditions de travail, en reconnaissant les qualifications, en encourageant la mixité hommes-femmes dans les compétences, etc. Les obligations familiales (éducation des enfants et tâches ménagères) ne doivent pas être perçues comme incombant exclusivement aux femmes. Elles relèvent d’une même responsabilité pour les parents quel que soit leur genre. 5. Violence contre les femmes La violence à l’égard des femmes est partout, à la maison, au travail, à l’école, dans les rues ou encore sur Internet, ceci sans distinction de classe sociale et de niveau d’éducation. La violence à l’égard des femmes reste la violation la plus importante et la plus répandue des droits humains, avec 1 femme sur 3 en Europe ayant été victime de violences physiques ou sexuelles à un moment de sa vie (depuis l’âge de 15 ans). Aujourd’hui, la violence des hommes à l’égard des femmes reste une cause majeure de décès chez les femmes. Les Métallos FGTB continueront à travailler conjointement avec IndustriAll Europe et la CES sur le projet « Safe at Home, Safe at Work ». En outre, nous resterons vigilants à l’égard de la protection des droits fondamentaux des femmes de disposer de leur corps et de leur vie. De plus, des mesures visant à prévenir, protéger et soutenir les victimes doivent être mises en œuvre partout et en particulier sur le lieu de travail et des sanctions doivent être prises contre les personnes reconnues coupables de violence sexuelle ou sexiste. Parce que notre objectif est la réalisation d’une société dans laquelle les hommes et les femmes ont les mêmes chances et droits d’épanouissement et de participation, les dates du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes et du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes sont cochées de manière indélébiles dans nos agendas Métallos présents et à venir. Dans chacune de nos négociations et systématiquement dès que nous en aurons l’occasion, l’aspect « gender » sera traité de manière transversale avec pour unique objectif : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». n La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. N° 1 • Janvier 2021 25 Au centre de la difficulté se trouve l’opportunité D Des paroles poétiques d’un homme intelligent. Albert Einstein était aussi incontestablement un homme optimiste. À la FGTB Métal et à l’UBT, nous le sommes également. Nous attendons beaucoup de 2021. Ensemble, nous mettrons cette nouvelle année à profit pour continuer le combat et saisir les opportunités qui se présenteront. Des opportunités pour obtenir de meilleures conditions sociales. Pour poursuivre la formation de nos délégués particulièrement motivés, qu’ils soient nouveaux ou chevronnés. Des opportunités générées par notre coopération pour encore mieux vous servir. Pour forcer ensemble un avenir meilleur pour tous les travailleurs. Au travail ! À la veille des négociations interprofessionnelles et des négociations sectorielles qui suivront, nous nous apprêtons à transformer les nombreux hommages rendus aux travailleurs pendant la crise du Coronavirus en augmentations salariales effectives, en de vrais emplois et en des conditions de travail meilleures et plus sûres. Il est de notre devoir syndical de continuer à renforcer le filet de sécurité sociale et de ne pas le laisser vider de sa substance par des économies ou des motifs idéologiques. Nous nous battrons pour ces objectifs à tous les niveaux de nos organisations. Nous ne sommes pas seuls, car ensemble nous sommes plus forts ! Nous poursuivrons aussi de manière intense, en Flandres, la coopération entre le Métal et le Transport. Nous continuerons à étendre notre réseau de bureaux communs dans cette partie du pays dans le but de répondre encore mieux à vos besoins. En 2021, la formation poursuivra son trajet de professionnalisation, en partie en ligne et physiquement dès que ce sera autorisé. Par ailleurs, nous lancerons sous peu une plateforme juridique commune pour fournir toute l’information nécessaire à nos délégués, nos propagandistes et nos secrétaires. Nous ne sommes en effet pas seuls. Année après année, des milliers de personnalités fortes aident et conseillent nos membres. Il s’agit d’un travail syndical qui nous rend fiers et qui présente d’innombrables opportunités. C’est pourquoi, nous continuerons à avancer, nous serons présents 365 jours par an et ne laisserons personne au bord du chemin. Voilà notre engagement pour 2021 ! Rohnny Champagne Frank Moreels Président FGTB Métal Président UBT Un cadeau de Nouvel An pour nos membres Des réductions supplémentaires et une nouvelle appli Pour bien commencer 2021, nous modernisons notre plateforme MyAdvantage. Notre but : vous faire profiter de plus d’offres encore et de réductions exclusives. Vous pourrez ainsi bénéficier de réductions de prix pour vos loisirs et surtout pour vos achats. Un nouveau look, davantage de fonctionnalités, des offres supplémentaires, une plus grande convivialité mais surtout une appli mobile flambant neuve. Grâce à cette nouvelle appli, vous pourrez profiter à tout moment de ces avantages, où que vous vous trouviez. Fantastique, non ? Scannez le code QR avec votre téléphone portable et téléchargez l’application EKIVITA en quelques secondes. Ou directement via le terme de recherche EKIVITA. Notre engagement pour 2021 UBT 26 N° 1 • Janvier 2021 Union Belge du Transport Ces entreprises entrent dans la nouvelle année de manière explosive ! Alors que la pandémie du Coronavirus continue à sévir et que notre économie a connu des temps bien meilleurs, ce n’est pas la misère partout. Au début du nouvel an, plusieurs entreprises marchent bien, voire très bien. C’est le cas aussi de quelques grandes entreprises de transport et logistiques. Aussi bien l’entreprise logistique Kuehne+Nagel que la firme de transport H. Essers se sont vu attribuer un rôle crucial dans la distribution du vaccin Covid-19 en Europe. S’il devait y avoir encore des sceptiques qui ne comprennent pas le rôle essentiel joué par les chauffeurs dans cette pandémie, lisez l’article qui suit et vous comprendrez. H. Essers : les chauffeurs assurent la distribution du vaccin de Pfizer le lendemain de Noël L’entreprise de transport belge H. Essers a obtenu fin décembre, comme partenaire logistique de l’entreprise pharmaceutique Pfizer, le contrat européen pour la distribution du vaccin de Pfizer en Europe. Depuis 2006, cette entreprise logistique est spécialisée dans le transport de produits pharmaceutiques avec une attention particulière pour la chaîne du froid. Cela signifie que la température des médicaments doit rester constante pendant tout le transport. Les semiremorques de la firme H. Essers sont équipées d’une série de senseurs pour mesurer la température. Ces senseurs sont suivis à partir d’une tour de contrôle. Une bonne chose pour le vaccin Covid-19 de Pfizer qui doit être transporté à une température de -70°C. Pfizer avait demandé de livrer le vaccin dans tous les États membres de l’Union européenne le lendemain de Noël. Les camions ont donc dû partir de notre pays le jour de Noël, voire avant, pour arriver à temps. La firme Essers ne s’est d’ailleurs pas seulement chargée des camions et des chauffeurs, mais aussi de la sécurité des transports. Essers, une entreprise familiale limbourgeoise, connaît depuis des années une croissance remarquable. Au cours des cinq dernières années, elle a connu une croissance de 10 % par an. La clé du succès réside dans sa spécialisation dans des niches comme le secteur pharmaceutique ou celui de la chimie, qui nécessitent une approche et des moyens spécifiques. C’est pourquoi H. Essers investit de plus en plus dans ses propres magasins, ce qui a permis à l’entreprise d’évoluer d’une entreprise de transport vers un acteur logistique intégré. Par ailleurs, Essers a repris récemment des entreprises dans le secteur de la logistique chimique en France et aux Pays-Bas. Kuehne+Nagel : stockage et distribution du vaccin Moderna au départ d’une plateforme belge Début janvier, l’entreprise logistique suisse Kuehne+Nagel annonçait qu’elle était chargée du stockage et de la distribution du vaccin Covid-19 de Moderna. La plateforme chimique du logisticien suisse en Belgique jouera un rôle clé dans cette opération. Le contrat logistique international concerne la distribution du vaccin sur les marchés en Europe, en Asie, au Moyen Orient, en Afrique et dans des parties de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord. En Europe, la production est aux mains de la société Lonza, à Visp en Suisse. Ce n’est pas une nouveauté que notre pays joue un rôle important dans la logistique pharmaceutique du groupe suisse, avec son centre de distribution spécialisé à Geel, récemment agrandi, et une plateforme pharmaceutique de 15.000 m² à Brussels Airport, qui vient d’ouvrir au mois de septembre dernier. Selon toute probabilité, le vaccin sera transporté de la Suisse en Belgique pour ensuite être distribué par la route et par l’air dans les différents pays via le réseau de Kuehne+Nagel. Ce réseau ne compte pas moins de 230 sites dans le monde. En Europe, le transport du vaccin se fera par la route. Le groupe dispose à cet effet de sa propre flotte de plus de deux cents véhicules spécialisés dans le transport de produits pharmaceutiques. Conclusion Ces exemples sont un signal d’espoir. Ils illustrent la résilience de notre industrie qui parvient à croître et à se développer, même en période de pandémie. Ils démontrent aussi que les entreprises logistiques et les entreprises de transport ont encore un bel avenir devant eux. Qui plus est, ils contribuent à forger l’avenir en investissant dans l’innovation, la croissance durable et des travailleurs compétents. Et oui, nous ne l’ignorons pas. L’année 2021 sera, elle aussi, difficile sur le plan économique. La crise du Coronavirus continue de sévir et de nombreuses entreprises sont en difficultés. Mais ne perdons pas espoir. Il y a de la lumière au bout du tunnel. L’exemple de ces entreprises en est une belle illustration. n 27 N° 1 • Janvier 2021 Friesland Campina ferme son entreprise Yoko Cheese à Genk Début novembre, les travailleurs de Friesland Campina ont appris, par la presse (!), la restructuration prévue par l’entreprise et sa volonté de supprimer environ 1.000 emplois en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le jeudi 10 décembre 2020, l’entreprise a annoncé la fermeture du site Yoko Cheese à Genk fin 2021. Cela représente une perte de 250 emplois… La direction de Friesland Campina se cache derrière la crise du Coronavirus qui aurait impacté la marge bénéficiaire de l’entreprise, alors que l’entreprise a toujours poursuivi son opérationnalité, comme entreprise alimentaire relevant des secteurs essentiels. « Dans la motivation de sa décision, la direction renvoie également à la crise du Coronavirus », réagit Nicole Houbrechts, Secrétaire régionale Horval à Campine-Limbourg. « Or, cela est injuste. Les travailleurs ont travaillé très dur pendant la crise du Coronavirus, également pendant les week-ends et après les horaires de jours normaux. » En réalité, cette fermeture fait partie d’un élargissement d’échelle prévu depuis déjà longtemps. Le site de Genk est trop petit et les activités sont transférées aux PaysBas. Le site à Genk n’est donc pas déficitaire, bien au contraire ; en 2019, les bénéfices s’élevaient encore à 4 millions d’euros. Le choix consiste à supprimer 250 emplois afin d’engranger davantage de bénéfices et non pas à réduire les pertes ou à garantir l’avenir de l’entreprise. Les travailleurs de Yoko Cheese ont appris qu’ils étaient sur le point de perdre leur emploi, juste avant la période de fin d’année. C’est encore plus dur à avaler dans cette période difficile d’insécurité, de distanciation sociale et de chômage temporaire, où tout le monde a consenti des efforts supplémentaires. Sauf les actionnaires apparemment. Suite à cette annonce, Yoko Cheese a fermé ses portes toute la semaine, afin de permettre aux travailleurs de se remettre de leurs émotions et de reprendre le travail en pleine forme la semaine suivante. Quelle compassion de la part de la direction… Le lundi 14 décembre, une concertation entre la direction et les syndicats a eu lieu. La seule revendication des syndicats était une prime afin d’encourager le personnel concerné à poursuivre le travail. La direction a encore une fois laissé voir son bon côté. « On a demandé une prime d’encouragement de 1.200 €, comme elle a déjà été payée à Campina Lummen », dit Nicole Houbrechts. « Or, la direction a proposé une prime de 400 € bruts, dont 30 % sur la fiche de paie et 70 % lors du départ. Quand nos délégués ont attiré l’attention sur la prime à Lummen, un membre de direction a fait la déclaration maladroite que là il s’agissait d’employés qui représentaient une plus grande valeur ajoutée dans l’entreprise. Un peu plus tard, cette prime a été portée à 450 €, mais les dégâts étaient déjà trop importants. Cerise sur le gâteau, une production de 99 % a été liée à cette prime. Ce taux est déjà difficilement réalisable dans des circonstances normales. » Suite à cette réunion, les travailleurs se sont mis en grève. Vu la période du Coronavirus, il leur a été demandé de rester à la maison, plutôt que de s’installer devant les portes de l’usine, à l’exception d’une poignée de personnes. La grève a duré jusqu’au 21 décembre. La direction a fini par céder aux revendications syndicales. Une prime a été prévue pour les ouvriers, conformément aux primes antérieures octroyées aux employés. Actuellement, le personnel a repris le travail et attend dans l’insécurité la suite de la procédure et le plan social. Pour Horval, il est inacceptable qu’une entreprise fasse sombrer 250 familles dans l’insécurité financière pour engranger davantage de bénéfices en faveur d’une poignée d’actionnaires. La FGTB Horval sera toujours là pour défendre les intérêts des travailleurs ! Horval 28 N° 1 • Janvier 2021 Alimentation / Horeca / Services La FGTB Horval solidaire avec le syndicat BACKUS Pratiques anti-syndicales d’AB InBev au Pérou Nous avons déjà mis en évidence l’attitude antisyndicale de l’entreprise AB InBev dans de nombreux pays et plus particulièrement au Pérou. Au fur et à mesure des fusions et de la globalisation du groupe, la culture de concertation sociale à la belge d’AB InBev, premier groupe brassicole mondial historiquement belge, s’est dissoute. AB InBev devient un gigantesque mastodonte qui ne supporte ni critique, ni opposition. La forme peut différer selon les pays, mais le fond et la démarche sont toujours les mêmes : écraser l’opposition, les « fauteurs de troubles », liquider les syndicalistes qui osent s’opposer à la politique du groupe, diviser le monde du travail et s’appuyer sur des organisations syndicales consensuelles, à l’écoute de la direction de l’entreprise. C’est vrai en Belgique, rappelons-nous du dossier AB InBev Jupille, c’est vrai au Pérou. Le parallélisme des réactions du groupe est frappant ! Au Pérou, AB InBev veut licencier le Secrétaire Général du syndicat BACKUS (filiale d’AB InBev), Luis Saman. L’entreprise dépose également plainte pour diffamation contre ce dernier en exigeant de très gros dédommagements (ce type de plainte peut coûter très cher et valoir de la prison). En Belgique, AB InBev a fait interdire l’exercice légitime de la grève par le tribunal et a demandé des astreintes contre les délégués FGTB, assorties de saisies mobilières. Une entreprise multinationale qui dégage des milliards de bénéfices a voulu saisir les meubles de ses travailleurs qui gagnent moins de 2.000 € par mois… Nous devons réaffirmer très fort certains principes : un syndicaliste n’est pas un terroriste ! Le droit de grève doit être respecté et protégé ! Nous devons construire l’union des travailleurs dans la lutte contre ces pratiques antisyndicales d’AB InBev partout dans le monde ! La FGTB Horval affirme sa solidarité et son soutien à ses camarades syndicalistes de BACKUS du Pérou et à son Secrétaire Général Luis Salman. Commission paritaire 119 Enfin un accord sectoriel ! Les confinements successifs ont démontré quels emplois et quels secteurs sont essentiels pour notre société. Le commerce alimentaire en fait partie. On a beaucoup entendu parler, à juste titre d’ailleurs, des employés des supermarchés qui ont dû poursuivre le travail dans des conditions compliquées et angoissantes. Or, il n’a jamais été question de la chaîne logistique qui a permis que les supermarchés soient approvisionnés. Pour la FGTB Horval, la reconnaissance de ce travail était indispensable ! Depuis le début, les fédérations patronales (COMEOS, UNIZO, UCM) se sont cachées derrière la diversité du secteur, qui se compose aussi bien de très petites que de très grandes entreprises. Elles ont prétendu que c’était la raison pour laquelle il était impossible de conclure un accord sectoriel. Pour les employeurs, la diversité était une raison suffisante pour éviter un quelconque accord. Ce n’est qu’après le dépôt d’un préavis de grève du front commun syndical que le dialogue a été à nouveau envisageable. Après des négociations très compliquées et très dures, un accord a pu être conclu. Premièrement, tous les jours de chômage temporaire ont été assimilés pour le calcul de la prime de fin d’année. Deuxièmement, un accord de solidarité a été trouvé : tous les jours de chômage temporaire en raison du Coronavirus, compris entre la période du 31 mars 2020 au 31 mars 2021 seront pris en compte. Enfin, une indemnité de 1,6 € par jour de chômage temporaire sera payée au travers du Fonds social. Lors de crises comme celle que nous traversons, les Fonds sociaux sont des acteurs essentiels pour la protection des travailleurs. n HASTA LA VICTORIA SIEMPRE ! N° 1 • Janvier 2021 29 2020 Une année exceptionnelle en tous points 2020 a enfin tiré sa révérence. Cette année aura été exceptionnelle en tous points. Des joies, des peines, des séparations douloureuses sans pouvoir dire au revoir à nos proches. Une année au cours de laquelle chacun a pu redécouvrir l’autre, dans un contexte de crise où toutes nos certitudes et habitudes ont été ébranlées. Souvent de belles surprises, une solidarité que l’on croyait oubliée et qui ressurgit de manière rassurante ! De temps en temps, par contre, des déceptions, du repli sur soi, de l’exclusion. La mise en place de mesures sanitaires, un confinement, des quarantaines… qui surfent souvent avec les limites de nos libertés fondamentales. Un système capitaliste qui montre sa fragilité et son cynisme, où les intérêts humains de santé ont été durement écornés et mis en concurrence insolente avec les intérêts économiques. Une mise en avant aussi des métiers les plus essentiels à notre survie, ceux les moins valorisés tant financièrement qu’humainement. Heureusement, un début de reconnaissance nécessaire, essentielle mais pas suffisante encore, pour tous ces métiers. Que formuler comme vœux pour 2021 ? Un changement profond ! Une solidarité plus grande, une rupture par rapport aux schémas capitalistes habituels. Une société centrée sur l’humain. Une société qui se donne les moyens de vaincre les pandémies, pas uniquement de manière curative, mais aussi surtout en les anticipant et en les évitant, notamment en respectant notre planète. L’urgence immédiate ? Vaincre cette pandémie. N’hésitons pas à utiliser les moyens mis à disposition pour cela (gestes barrières, vaccins…) tout en préservant nos libertés fondamentales. En 2021, plus que jamais, soyons au cœur de notre futur. Soyons acteurs du changement de notre société pour que nous puissions recommencer une vie humaine, faite de relations sociales riches, de solidarité et d’amitié ! Bonne année 2021, prenez soin de vous ! In memoriam Jean-Pierre Peutat, Secrétaire Permanent SETCa Verviers Cette année 2020 s’est achevée de manière encore plus grise qu’elle ne l’était déjà : avec l’annonce du décès de notre camarade et collègue Jean-Pierre Peutat, qui a occupé durant plus de 20 ans le poste de Secrétaire Permanent au sein de notre section de Verviers. Avec son empathie débordante et sa chaleur humaine, il faisait partie de ces personnes qui marquent directement le cœur et l’esprit à la première rencontre. Jean-Pierre a commencé sur le terrain en tant qu’éducateur à « La cité de l’espoir », un centre d’éducation et d’hébergement. C’est là qu’il a embrassé le début de sa carrière syndicale en devenant délégué. Il a ensuite intégré le service formation du SETCa Fédéral durant plusieurs années. C’est en 1995 qu’il a rejoint la section régionale de Verviers pour devenir Secrétaire Permanent. Il avait notamment en charge le secteur du Non Marchand et s’est investi dans de nombreux combats syndicaux, dont ceux menés au sein de « La cité de l’espoir », l’importante institution de la CP 219 où il avait fait ses débuts. Jean-Pierre combattait la maladie avec courage, dignité et détermination depuis plusieurs années. Son professionnalisme, sa force tranquille, son écoute, sa fraternité, sa loyauté et sa discrétion resteront en nos mémoires. Au revoir, camarade. SETCa 30 N° 1 • Janvier 2021 Les résultats Allons droit au but : s’ils doivent choisir, 68 % des travailleurs sondés préfèrent travailler de la maison. Selon eux, les principaux avantages du télétravail sont (par ordre) : le gain de temps (35 %), un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle (26,5 %), plus de calme (10 %) et l’impact environnemental (9 %). Mais il y a aussi des inconvénients (par ordre) : l’isolement (32,13 %), le manque de confort à la maison (20 %) et le sentiment de devoir être plus disponible à la maison qu’au travail (13 %). Avant la crise du Corona, environ 60 % des répondants avaient déjà accès au télétravail au sein de leur entreprise. 86 % d’entre eux voudraient qu’il soit élargi. 82 % des travailleurs pour lesquels le télétravail n’existe pas encore de manière structurelle désireraient que cette possibilité soit introduite au sein de leur entreprise. Il est évident que l’accès au télétravail est important pour vous. Pourtant, 1 personne sur 4 utilise son propre matériel à la maison pour travailler. Les outils les plus plébiscités sont le PC portable et l’accès à une ligne internet. 86 % des sondés estiment que le télétravail permet d’avoir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Notons toutefois que 20 % des participants estiment que le télétravail a une incidence négative sur leur vie privée. C’est pas moins d’1 travailleur sur 5. 2020 a été l’année où le Coronavirus a frappé sans pitié dans notre pays. Lorsque la Belgique a été confinée, le télétravail a été rendu obligatoire pour de très nombreuses personnes. Bien sûr, le télétravail existe depuis plus longtemps, mais l’obligation a forcé une percée dans les entreprises où il n’était pas possible jusqu’ici. Le télétravail est en tout cas appelé à rester. Nous avons dès lors voulu savoir comment vous le vivez. En octobre, nous avons lancé notre enquête « Télétravail : stop ou encore ? ». Vous avez réagi en masse à notre appel et avez été nombreux à compléter l’enquête. L’objectif était clair : quelles sont vos attentes ? Voulez-vous étendre ou encadrer le travail à domicile dans les entreprises où nous vous représentons ? Voudriez-vous que le télétravail soit élargi (plus de jours ou d’heures par semaine) au sein de votre entreprise ? Voudriez-vous que le télétravail soit mis en place de manière structurelle au sein de votre entreprise ? D’après votre expérience, le télétravail est-il un plus pour assurer un meilleur équilibre entre votre vie privée et votre vie professionnelle ? g Oui g Non 31 N° 1 • Janvier 2021 Environ la moitié des sondés pensent également travailler plus efficacement à la maison et être donc plus productifs. 12 % ont en revanche le sentiment d’être moins productifs. 35 % ne remarquent aucune différence. Bien que le télétravail soit donc ressenti positivement pour l’équilibre vie privée/vie professionnelle, 36 % des sondés se sentent isolés des collègues mais aussi des réalités de l’entreprise. Vu l’importance du contact, 85 % des travailleurs disent entretenir régulièrement des contacts avec les collègues au moyen de la visioconférence, du chat d’entreprise, d’appels téléphoniques ou par mail. Stop ou encore ? Le télétravail présente clairement des avantages et des inconvénients. Pour certains travailleurs, le télétravail offre des avantages tels que la mobilité ou une meilleure adéquation avec la vie de famille. D’un autre côté, une telle augmentation de la flexibilité et de la disponibilité peut générer du stress. La CCT n° 85 confère déjà un certain cadre. Il est nécessaire de négocier des balises au télétravail afin de prévenir les abus. Le télétravail doit dès lors être organisé en concertation avec la délégation syndicale afin de prévoir les garanties et compensations nécessaires (santé, charge psychosociale, fréquence, compensations). C’est pourquoi un accord sectoriel, contraignant sur le plan de l’entreprise, doit être conclu. Le télétravail ne peut en aucun cas entraîner une disponibilité constante des travailleurs. Pour que le télétravail soit au top pour tous, il faut un fonctionnement syndical optimal. Merci à tous ceux qui ont pris le temps de compléter notre enquête ! n Télétravail : stop ou encore ? SETCa 32 N° 1 • Janvier 2021 De quoi s’agit-il ? En tant que travailleur — sous contrat dans le secteur privé — vous avez le droit de vous absenter à la suite de la naissance de votre enfant. Vous pouvez prendre un congé de naissance si vous établissez la filiation de l’enfant à votre égard ou, pour les co-parents, si au moment de la naissance, vous êtes marié/vous cohabitez légalement avec la personne à l’égard de laquelle la filiation est établie, ou encore si vous habitez depuis au moins 3 ans (préalablement à la naissance) de façon ininterrompue et affective avec la mère de l’enfant, chez qui l’enfant à son domicile principal. Un seul travailleur a droit au congé de naissance. S’il existe par ailleurs un lien de filiation avec le père, il n’y aura qu’un droit au congé dans le chef du père. Combien de jours ? Vous avez droit à : • 10 jours en cas de naissance d’un enfant avant le 1er janvier 2021 ; • 15 jours en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2021 et avant le 1er janvier 2023 ; • 20 jours de congé de naissance en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2023. Comment prendre vos jours de congé ? Vous pouvez choisir et répartir librement vos jours de congé. Ils ne doivent pas nécessairement être pris en une fois. Seule condition : vous devez les prendre dans les 4 mois qui suivent l’accouchement. En cas de naissance de jumeaux ou de naissance multiple, vous n’avez droit qu’une seule fois au congé de naissance. Allocation Pendant les 3 premiers jours de votre congé de naissance, vous conservez votre rémunération complète à charge de l’employeur. Prévenez au préalable votre employeur de l’accouchement et de votre souhait d’exercer votre droit au congé de naissance. Prévenez-le de nouveau lors de la naissance. Remettez-lui les preuves nécessaires : copie du certificat de naissance (que vous recevez lorsque vous déclarez la naissance à la commune) et, le cas échéant, une copie de l’acte de mariage, une preuve de cohabitation ou un extrait du registre de la population. Au cours des jours suivants du congé de naissance (max. 7 jours pour les naissances antérieures au 01/01/2021, max. 12 pour les naissances à partir du 01/01/2021, max. 17 pour les naissances à partir du 01/01/2023), vous ne percevrez pas de rémunération, mais une allocation vous sera versée par votre mutualité. Introduisez une demande auprès de votre mutualité et remettez-lui toutes les informations demandées. Votre employeur communique le salaire sur la base duquel les allocations doivent être calculées. Votre mutualité vérifie, calcule et verse votre allocation. Bon à savoir : • Le montant de cette allocation est fixé à 82 % du salaire brut perdu, avec un plafond (brut) de 120,52 € par jour. Sur ce montant, votre mutualité retient un précompte professionnel (11,11 %). Pour l’adaptation à l’index de ce montant, consultez le site web de l’INAMI J www.inami.fgov.be (voir thème « Grossesse et naissance », « Montants et plafonds des indemnités »). • Les impôts finaux sur cette allocation ne seront portés en compte que 2 ans plus tard, lors du décompte final de vos impôts. Certains secteurs ou certaines entreprises prévoient par CCT plus que 3 jours avec maintien de la rémunération. L’employeur se charge alors pour les autres jours de régler la différence entre votre salaire et les allocations de la mutualité. Informez-vous auprès de votre employeur, de votre délégué et/ou de votre régionale FGTB. Protection contre le licenciement Sauf pour des motifs étrangers à la prise du congé de naissance, votre employeur ne peut pas mettre fin, de façon unilatérale, à votre contrat de travail à partir du moment où il a été averti par écrit (conservez donc toujours une preuve), et ce jusqu’à 3 mois après cet avertissement. En cas de non-respect de cette protection contre le licenciement, votre employeur vous serait redevable d’une indemnité forfaitaire égale à la protection brute de trois mois, outre l’indemnité compensatoire de préavis qui serait éventuellement due. n Congé de naissance 15 jours à partir de cette année Le congé de naissance sera relevé progressivement. En tant que travailleur père ou co-parent, vous avez maintenant droit à 15 jours de congé de naissance si votre enfant est né à partir du 1er Question/réponse janvier 2021. N° 1 • Janvier 2021 33 ÉMISSION TV « REGARDS » 1960-1961 Faits d’hiver L’émission télévisée « Regards », diffusée ce mois-ci sur les trois chaînes de la RTBF, vous propose un document exceptionnel : « Faits d’hiver », un film inédit de Paul Meyer (25 mn). Consacré à la grève de l’hiver 1960-1961, ce documentaire a été réalisé en 1990 par le grand cinéaste belge, auteur en 1959 du film « Déjà s’envole la fleur maigre ». Produit par la FGTB wallonne à l’occasion du 30e anniversaire de ce qu’on appelait à l’époque « la grève du siècle », ce film n’a connu que quelques projections publiques à sa sortie. La FGTB wallonne le remet en lumière aujourd’hui, alors que Paul Meyer aurait tout juste 100 ans et que l’on commémore le 60e anniversaire de la grève de ’60. « Faits d’hiver » nous en apprend beaucoup sur cet événement important de l’histoire sociale, avec la résistance syndicale et populaire à la « Loi unique », l’action d’André Renard et de la FGTB, les débats sur le fédéralisme et le contexte social et politique de l’époque. Mais il nous parle aussi, avec une singulière actualité, des politiques d’austérité, des violences policières, de la répression des mouvements sociaux, des attaques contre les syndicats et le droit de grève. Déjà diffusé à la RTBF en décembre dernier, il sera rediffusé plusieurs fois en février 2021. Voici la programmation en février – émission télévisée « Regards » : Samedi 13 février à 10h sur La Une Mercredi 17 février à 23h10 sur Tipik Jeudi 18 février à 24h05 sur La Trois Jeudi 18 février à 23h30 sur La Une (extrait de 10 mn) Lundi 22 février à 23h45 sur La Trois (extrait de 10 mn) Y EmissionREGARDS f regards.emissiontv Une affiche Agenda commune pour promouvoir la FGTB Luxembourg Un support de communication ? Différentes propositions ont été faites aux participants, à savoir la réalisation d’une vidéo, l’écriture d’un tract, la création d’un visuel à destination des réseaux sociaux… Au final, le choix s’est porté sur l’élaboration d’une affiche syndicale commune à toutes les entreprises luxembourgeoises. Le travail s’est décliné en la recherche : • d’un slogan : « La FGTB Luxembourg au cœur de vos attentes… Notre engagement quotidien ! » ; • d’un visuel propre à la région : la carte de la province ; • et d’une couleur en rapport avec le syndicat socialiste : le rouge. Auxquels sont venus se joindre plusieurs logos. Le résultat donne l’affiche ci-jointe. Réalisée par des travailleurs pour des travailleurs. Plusieurs de nos candidats l’ont d’ailleurs utilisée durant leur campagne. Et encore aujourd’hui, pour promouvoir la FGTB Luxembourg. n Le CEPPST — l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Luxembourg — a organisé, avant les débuts de la crise Covid, une formation à destination de délégués en entreprise. Le cadre posé, à savoir les futures élections sociales 2020, l’objectif était de réfléchir à la conception d’un support de communication propre à la province. Régions 34 N° 1 • Janvier 2021 CEPAG Cycle « La santé dans tous ses états » La crise sanitaire nous a touché de plein fouet. Ses conséquences sur notre vie sociale mais aussi au travail se feront sentir pendant longtemps. Dans ce contexte, et en tenant compte de la crise socio-économique qui s’annonce, le CEPAG a lancé, en octobre dernier, un cycle de réflexion sur la santé. Nos rendez-vous en 2021 • Vendredi 29 janvier : Réintégration des malades de longue durée • Vendredi 26 février : 5G et ondes électromagnétiques : quels dangers ? • Vendredi 26 mars : Dix ans de politiques sanitaires • Vendredi 23 avril : Conditions de travail dans les secteurs de la santé En raison de la situation sanitaire actuelle, les activités du cycle sont actuellement orgnaisées en ligne, sous forme de webinaires. Consultez le site J www.cepag.be ou la page FB f CEPAGasbl pour les informations pratiques. OPINIONS FGTB LA PREMIÈRE (RTBF) Soulèvements populaires au Sud : un nouveau « printemps des peuples » ? Insurrections, révoltes, soulè-vements populaires : de nombreux pays du Sud sont secoués par des mouvements sociaux de (très) grande ampleur. Exemple : en Inde, le soulèvement a donné lieu en novembre dernier à la plus grande grève de l’Histoire. Et au Nord, pendant ce temps-là ? On s’en tamponne, ou presque. Très peu d’écho dans nos médias, sans doute trop occupés par l’état d’urgence sanitaire pour observer avec un peu d’attention les raisons et enjeux des dynamiques sociales à l’œuvre. Au micro d’Opinions FGTB, Frédéric Thomas, chargé d’études au Centre tricontinental (CETRI), qui vient de codiriger la publication, aux Éditions Syllepse, d’un ouvrage collectif consacré à ces soulèvements populaires au Sud. Assisterait-on à une « mondialisation de la protestation sociale », un nouveau « printemps des peuples » ? Une séquence radio (7 mn) à écouter et partager ici : J www.fgtb-wallonne.be/ outils/radio/soulevementspopulaires-sud-nouveauprintemps-peuples f www.facebook.com/ fgtbwallonne/posts/ 2591807114277257 t twitter.com/FGTBwallonne/ status/1350088078120071173 LIÈGE-HUY-WAREMME Séances d’infos sur le contrôle de la disponibilité des chômeurs En janvier : 25 – 26 – 28 – 29 En février : 22 – 25 – 26 À quelle heure ? De 13h30 à 14h30 Où ? FGTB Liège-Huy-Waremme Place Saint-Paul 9 – 11 4000 Liège Inscriptions obligatoires 04/221.96.05 ou @ dispo.liege@fgtb.be Séances organisées dans le strict respect des mesures Covid. WALLONIE PICARDE Comment contacter la FGTB Wallonie Picarde ? Pour rappel, vous pouvez nous joindre : @ Par e-mail tournai@fgtb.be mouscron@fgtb.be antoing@fgtb.be ath@fgtb.be blaton@fgtb.be comines@fgtb.be (pour les agences de Comines et du Bizet) dottignies@fgtb.be lessines@fgtb.be leuze@fgtb.be peruwelz@fgtb.be ( Par téléphone (call center) 069/881.881 du lundi au jeudi de 8h30 à 12h et de 13h30 à 16h30 Par Facebook f FGTB Wallonie Picarde Rédaction : Syndicats Rue Haute 42 1000 Bruxelles E-mail : syndicats@fgtb.be Nicolas Errante, Rédacteur en chef Tél. : 02 506 82 44 Aurélie Vandecasteele, Journaliste Tél. : 02 506 83 11 Secrétariat : Sabine Vincent Tél. : 02 506 82 45 Service abonnements : 02 506 82 11 Ont collaboré à ce numéro : Vinnie Maes Annelies Huylebroeck Karen de Pooter Mada Minciuna Thomas Keirse Arnaud Dupuis Antonina Fuca Photos : iStock Shannon Rowies (action Champagne) Mise en page : ramdam.be cepag.be N° 1 • Janvier 2021 35 LA RESPONSABILITÉ CIVILE LA MINI OMNIUM LA MAXI OMNIUM RECEVEZ 20% DE RÉDUCTION SUR LA PRIME DE 3 GARANTIES PENDANT UN AN ! Souscrivez un contrat entre le 01/01/2021 et le 30/04/2021 inclus et payez la Responsabilité Civile, la Mini Omnium et/ou la Maxi Omnium 20% moins cher ! DÉCOUVREZ ÉGALEMENT NOS DIFFÉRENTS AVANTAGES ET RÉDUCTIONS. Primes avantageuses, assistance rapide 24h/24 et 7j/7 via l’application Actel Assist, réduction en fonction du kilométrage, réductions spécifi ques si vous disposez d’un garage, d’un carport ou d’un système d’aide à la conduite, … VOUS SOUHAITEZ PLUS D’INFOS OU UNE OFFRE SANS ENGAGEMENT ? Appelez gratuitement le contact center au 0800/49 490 ou surfez sur www.actelaffinity.be/fgtb/action Actelanity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – marque de P&V Assurances scrl – Entreprise d’assurances agréée sous le code 0058 – Rue Royale 151, 1210 Bruxelles. Ce document est un document publicitaire qui contient de l’information générale sur l’assurance auto Actelanity, développée par P&V Assurances, et qui est soumise au droit belge. L’assurance Actelanity fait l’objet d’exclusions, de limitations et de conditions applicables au risque assuré. Nous vous invitons donc à lire attentivement les conditions générales applicables à ce produit avant de le souscrire. Elles sont à votre disposition via le site internet www.actela nity.be/cgauto ou sur simple demande auprès d’un conseiller de notre contact center. Le contrat d’assurance est conclu pour une durée d’un an avec possibilité de reconduction tacite. En cas de plainte éventuelle, vous pouvez contacter un conseiller de notre contact center au 0800/49 490, votre interlocuteur privilégié pour toutes vos questions. Il fera tout son possible pour vous aider au mieux. Vous pouvez aussi prendre directement contact avec notre service Gestion des Plaintes qui examinera votre plainte ou remarque avec la plus grande attention. Nous concilierons au mieux les di érentes parties et essayerons de trouver une solution. Vous pouvez nous contacter par lettre (Gestion des Plaintes, Rue Royale 151, 1210 Bruxelles), par email plainte@actel.be ou par téléphone au 02/250.90.60. Si la solution proposée ne vous convient pas, vous pouvez vous adresser au service Ombudsman des Assurances (Square de Meeûs 35 à 1000 Bruxelles) par téléphone 02 547 58 71 ou par mail info@ombudsman.as. BESOIN D’UNE ASSURANCE AUTO? N’ATTENDEZ PLUS, ÉCONOMISEZ MAINTENANT ! ACTION TEMPORAIRE 20% DE RÉDUCTION LA PREMIÈRE ANNÉE SUR: EXCLUSIVEMENT POUR LES MEMBRES DE LA FGTB E.R. : P&V Assurances SCRL – Actelaffinity est une dénomination commerciale d’un produit d’Actel – Actel est une marque de P&V Assurances SCRL – 01/2020 ACT1811-Annonce full paquet-FGTB-195×265.indd 1 9/01/19 09:39
AIP Augmenter les salaires pour sortir de la crise Enfin ! Relèvement de la pension minimum 6 8-9 13-20 Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. SEXISME au travail Toujours vrai aujourd’hui MENSUEL | Année 76 | n° 1 Janvier 2021 E.R. : Thierry Bodson rue Haute, 42 – 1000 Bruxelles BUREAU DE DÉPÔT : Charleroi X – P912051 Actualités Bonne retraite, chef ! …………………………………………………………………………………. 4 En bref ………………………………………………………………………………………………………….. 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise ………………………………………. 6 Lettre ouverte …………………………………………………………………………………………….. 7 Relèvement de la pension minimum : enfin ! …………………………………….. 8-9 C’est un joli nom, « Camarade ! » ………………………………………………………….. 10 À la santé des grosse fortunes ! ……………………………………………………………… 11 Améliorer la place des femmes sur le marché de l’emploi ……………….. 12 Dossier : Sexisme au travail Une réalité de tous les jours …………………………………………………………….. 13-20 Votre centrale Centrale Générale ………………………………………………………………………………. 21-23 MWB ……………………………………………………………………………………………………. 24-25 UBT ………………………………………………………………………………………………………. 26-27 Horval ………………………………………………………………………………………………….. 28-29 SETCa ………………………………………………………………………………………………….. 30-32 Régions Question/Réponse : congé de naissance……………………………………………… 33 Actualités régionales ………………………………………………………………………………. 34 Agenda des régions ………………………………………………………………………….. 34-35 @syndicatFGTB syndicatFGTB ABVV/FGTB La FGTB en ligne www.fgtb.be Inscrivez-vous à notre newsletter www.fgtb.be My FGTB votre dossier en ligne www.fgtb.be/my-fgtb Syndicats Magazine en ligne www.syndicatsmag.be Syndicats Magazine o Application mobile Sommaire 13-20 N° 1 2 N° 1 • Janvier 2021 Le terme « négocier » n’est pas tout à fait exact. Cette négociation est enfermée dans un carcan fixé par la loi de sauvegarde de la compétitivité. La fameuse « Loi de ’96 » impose en effet une comparaison, à charge du Conseil central de l’Économie (CCE), entre l’évolution prévue des salaires chez nous et chez nos voisins : France, Allemagne, Pays-Bas. L’idée étant de ne pas augmenter les salaires belges plus que les autres pour ne pas menacer nos exportations. Le CCE détermine ainsi une « marge » dans laquelle on pourra négocier l’évolution des salaires belges. Taille unique En toute logique, cette loi ne devrait concerner que les secteurs orientés vers l’exportation et soumis à la concurrence internationale. Mais la loi est ainsi (mal) faite qu’elle taille le même costume pour tous, exportateur ou non, secteur riche ou pauvre. Les patrons nous disent : « C’est la crise, il faut être raisonnable, ce n’est pas le moment de jouer les Saint-Nicolas. Pour relancer l’économie, il faut aider les entreprises. Il faut modérer les salaires… ». Sauf qu’en modérant les salaires, on limite la part du gâteau pour les travailleurs, même quand le gâteau grossit. Et c’est toujours le travail qui doit porter le corset… C’est la crise. C’est vrai. Et elle ne fait que commencer. Mais si certains secteurs ont été particulièrement touchés par le confinement et la baisse de l’activité, d’autres en ont bien profité. Tailler le même costume pour tous revient donc à faire un cadeau aux secteurs qui ont pu réaliser des profits. Miser sur la consommation intérieure Nous, nous disons qu’il faut relâcher le carcan et laisser négocier patrons et syndicats librement. Que les secteurs qui se portent bien, voire très bien, le traduisent à travers des augmentations de salaires (juste part des travailleuses et travailleurs). Nous faisons d’autres constats que ceux du CCE : 1. La baisse de l’activité est largement liée à la baisse de la consommation intérieure. Les services dits « non essentiels » ont été paralysés. À part de quoi manger, les gens ont peu acheté. Sauf ceux qui en ont les moyens et qui ont investi dans l’immobilier en plein boom. Il faut donner à la population les moyens de relancer la machine économique (par la consommation intérieure). L’augmentation des salaires est le nerf de la guerre. 2. Depuis des décennies, l’évolution des salaires est plus faible que l’évolution de la productivité. La part du gâteau des travailleurs et travailleuses diminue d’année en année alors que celle du capital augmente. 3. Le salaire minimum a en outre augmenté moins vite que l’ensemble des salaires, faisant grimper le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres, c’est-à-dire celles et ceux qui ont un revenu du travail insuffisant pour vivre. Et il y a aussi celles et ceux qui sont pauvres sans travail. 4. Cela se traduit par un approfondissement des inégalités et de la pauvreté que la crise Corona a fait exploser. Nous ne voulons pas d’une aumône D’après le calcul du CCE, la marge maximum pour améliorer les salaires en 2021-2022 serait de… 0,4 % ! Alors même que le pouvoir d’achat est en berne en cette période de crise profonde. Ce qui se passe aujourd’hui montre une fois de plus à quel point la loi de 1996* est totalement déconnectée de la réalité. La FGTB, mais aussi la CSC et la CGSLB, ont décidé de refuser en bloc ce cadre étriqué qui ne permet absolument pas d’entamer les négociations. À situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Les règles budgétaires ont été assouplies pour les gouvernements, les entreprises ont bénéficié de soutien… Une souplesse doit également être appliquée pour permettre d’augmenter les salaires. Et faire de ce chiffre (0,4 %) une indication, pas une camisole de force. * Qui compare l’évolution de nos salaires avec celui des trois pays voisins afin de préserver la « compétitivité ». Tous les deux ans, patrons et syndicats se retrouvent autour de la table pour négocier un « Accord interprofessionnel » (AIP) sur un tas de questions relatives aux conditions de travail, mais le principal enjeu est la fixation de la norme salariale. C’est elle qui détermine l’ampleur — mais généralement la limite — de l’évolution des salaires. Cet AIP concerne près de 4 millions de personnes. AIP Une aumône de 0,4%… Non, merci Miranda Ulens Secrétaire générale Thierry Bodson Président Édito N° 1 • Janvier 2021 3 Ce numéro de Syndicats est le « dernier » de notre rédacteur en chef Nicolas Errante, qui entame désormais une nouvelle étape de sa vie : la pension ! Diplômé en journalisme et traduction, il démarrait sa carrière de journaliste professionnel en 1981. Il a fait ses armes au Drapeau rouge et au Peuple avant de rejoindre la FGTB en 1993, et plus particulièrement la rédaction du magazine Syndicats. Il devenait rédacteur en chef en 2006. D’un naturel discret, il était pourtant très présent dans ces pages. Nicolas écrivait en effet de nombreux dossiers et articles complexes, sur des thèmes précis, comme sa plume peut l’être. Pensions, fiscalité, chômage, allocations sociales, Nicolas est devenu un expert en ces matières essentielles. Il était également passionné par les coopératives ouvrières et leur fonctionnement, et a largement relayé nombre de ces initiatives. Nicolas a par ailleurs mené les diverses réformes du magazine Syndicats, et même entamé la réflexion sur le développement d’outils numériques. En 1996 déjà, il publiait la première version « PDF » de Syndicats sur l’intranet de la FGTB. Nicolas a toujours veillé à ce que Syndicats soit un outil intelligent, au service de nos affiliés, reprenant des sujets de fond, des reportages et des textes de qualité. C’est à nous aujourd’hui de poursuivre cette réflexion, et d’assurer la continuité de son travail. Nicolas nous manquera, sans aucun doute, mais nous savons qu’il a beaucoup à faire. Entre ses petits-enfants, son goût pour la cuisine, son apprentissage de l’espagnol et sans nul doute d’autres passions à naître, nous ne pouvons que lui dire merci et lui souhaiter une excellente retraite. L’équipe de Syndicats Bonne retraite, Chef! En mode pension En mode incognito En mode combatif En mode furtif Actu 4 N° 1 • Janvier 2021 EN BREF INDEX DÉCEMBRE 2020 Indice des prix à la consommation 109,49 Indice santé 109,88 Indice santé lissé 107,72 En décembre 2020, l’indice des prix à la consommation est en hausse de 0,03 % par rapport à novembre 2020. En rythme annuel, l’inflation se chiffre à 0,41 %. L’indice-pivot (de l’index santé lissé qui déclenche le relèvement des allocations sociales et les salaires du secteur public) s’élève à 109,34. PÉRIODES ASSIMILÉES DU CRÉDIT-TEMPS FIN DE CARRIÈRE : RECOURS AU CONSEIL D’ÉTAT DU FRONT COMMUN SYNDICAL La FGTB, la CSC et la CGSLB ont déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre l’arrêté royal du 17 janvier 2017. Pour rappel, cet arrêté royal prévoit que l’assimilation des périodes d’un crédit-temps fin de carrière pour les personnes ayant plus de 55 ans et une carrière de 35 ans introduit à partir du 1er janvier 2015 sera calculée sur base d’un salaire fictif forfaitaire (1.947,87 €). Ce faisant, ce texte supprime la possibilité qui existait pour ces personnes d’assimiler ces périodes au salaire réel pour 312 jours de 55 à 60 ans. Avec pour conséquence une pension inférieure. Et ce avec effet rétroactif puisque l’arrêté adopté en 2017 concerne les crédit-temps dès 2015. Le Conseil d’État a suivi partiellement le raisonnement des syndicats sur le fait que cela porte atteinte au principe de confiance des travailleurs qui avaient choisi de réduire leur temps de travail en prenant un crédit-temps fin de carrière dans la période entre le 1er janvier 2015 et le 17 janvier 2017. Le Conseil d’État a dès lors déclaré la nullité de la disposition en question pour ce qui est de la rétroactivité et des conséquences avant la publication. Pour tout ce qui se situe après la publication de l’arrêté royal, l’effet rétroactif est cependant maintenu. ADAPTATION DE L’INDEMNITÉ CHÔMAGE COMPLÉMENTAIRE CCT46 Le CNT a également adapté l’indemnité complémentaire de chômage pour le travail de nuit. Les travailleurs âgés qui justifient d’une ancienneté de 20 ans dans un travail de nuit peuvent demander de retourner définitivement à un régime de travail de jour à l’âge de 55 ans ou sous condition de raisons médicales sérieuses validées par le médecin du travail à l’âge de 50 ans. Si l’employeur ne peut proposer un travail de jour, le travailleur peut rompre le contrat sans être sanctionné par l’ONEM. Il touchera même pendant 5 ans une indemnité complémentaire de 152,24 €/mois (montant au 1er janvier 2021). ADAPTATION DU COMPLÉMENT D’ENTREPRISE CCT17 (PRÉPENSION) Chaque année le Conseil national du Travail adapte une série de montants au coût de la vie. C’est le cas du plafond de salaire de référence pour le calcul du complément d’entreprise pour la prépension CCT17 qui est revalorisé d’un coefficient de 1,0032 pour atteindre ainsi 4.179,43 €. C’est ce montant diminué de la cotisation personnelle à la sécurité sociale et du précompte professionnel qui sert à calculer le complément d’entreprise. Ce complément correspond à la moitié de la différence entre la rémunération nette de référence et les allocations de chômage. Allocations ellesmêmes calculées sur base de 60 % d’un salaire plafonné à 2.313,97 € par mois. N° 1 • Janvier 2021 5 Augmenter les salaires pour sortir de la crise AIP À la FGTB, nous voulons un accord interprofessionnel favorable à tous les secteurs et toutes les entreprises. Un tel accord permettrait à près de 4 millions de salarié·e·s — y compris celles et ceux des petites entreprises — de parvenir à un réel progrès, sous différentes formes : plus de salaire, des salaires minima plus élevés et des meilleurs régimes de fin de carrière. Mais cet accord doit reposer sur la volonté des deux parties. Or, les déclarations de la FEB excluant toute augmentation des salaires n’ont pas simplifié les choses. Et récemment, le calcul d’une marge disponible de… 0,4 % (d’après le Conseil Central de l’Économie) nous place dans l’impossibilité de négocier quoi que soit pour le moment. Pourtant, il y a de la marge… Augmenter les salaires et les revenus de remplacement est le meilleur moyen de stimuler la demande et de ramener notre économie à sa vitesse de croisière. C’est une nécessité, particulièrement dans les secteurs affaiblis par la crise et fortement dépendants de la consommation intérieure (comme le commerce, le tourisme…). Une marge de manœuvre existe pour négocier des améliorations de tous les salaires. Notamment parce que le coût du travail a augmenté plus lentement en Belgique que dans les pays voisins ces dernières années. Début 2020, la Belgique affichait 1 % de moins en la matière. Les travailleuses et travailleurs de notre pays doivent pouvoir résorber ce retard sur les pays voisins qui, eux, ne craignent pas de négocier de nouvelles hausses salariales (IG Metall, l’un des plus grands syndicats allemands, revendique une hausse de rémunération de 4 % sur 12 mois). Ce retard est particulièrement violent pour les bas salaires. Le salaire minimum intersectoriel ne cesse de perdre de la valeur par rapport au salaire médian. Et ce, parce qu’il n’a connu aucune augmentation — hors index — depuis de nombreuses années. Or, le mouvement inverse vient de se produire dans d’autres pays (base de données de l’OCDE sur le salaire minimum). Le salaire minimum dans la grande majorité des « fonctions essentielles » est largement inférieur à 14 €/2.300 € (bruts). Pourtant, les études démontrent qu’il s’agit du minimum nécessaire pour faire face aux besoins de base. Il conviendrait d’adapter les règles (para)fiscales afin que cette augmentation soit pleine et entière. À situations exceptionnelles, règles exceptionnelles Si nécessaire, les règles doivent être assouplies, comme c’est le cas pour le budget et pour le soutien aux entreprises en ce contexte Covid. Une flexibilité doit donc également être accordée aux négociations salariales. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les 3 syndicats refusent la norme impérative de 0,4 % et veulent pouvoir la considérer comme une simple indication qui n’empêche pas les secteurs d’augmenter les salaires en fonction de leurs contextes et réalités. Nous voulons croire que le cadre de la négociation peut encore évoluer pour qu’un AIP soit possible. n Actu 6 N° 1 • Janvier 2021 Combattre la Covid-19 sans saper les fondements démocratiques : possible, indispensable et urgent Lettre ouverte La semaine dernière, la ministre de l’Intérieur annonçait avoir préparé un projet de « loi pandémie », visant à fournir une base juridique aux mesures adoptées non seulement dans le cadre de cette pandémie, mais aussi pour les éventuelles répliques futures. Tout indique que ce texte va aller dans le même sens que les mesures déjà en vigueur. Si nous soutenons sans ambiguïtés la lutte contre la pandémie, nous ne pouvons accepter qu’elle soit utilisée à mauvais escient pour restreindre les droits et libertés fondamentaux, surtout si ces restrictions prennent un caractère définitif. C’est précisément le danger des crises : des restrictions qui seraient justifiées par l’urgence sont adoptées mais avec un caractère pérenne. Il va de soi que cette pandémie pose des défis majeurs à notre pays et nécessite des interventions sanitaires de grande ampleur. Toutefois, dans une démocratie, les citoyen·ne·s ne renoncent pas si facilement à leurs libertés lorsque les mesures prises leur semblent manquer de logique, lorsqu’elles ne sont pas ciblées, proportionnées et temporaires et lorsque tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Or, la stratégie actuelle comporte trois dangers : D’abord, pour pouvoir sanctionner quelqu’un, il est indispensable que les interdictions soient claires. Dans le cadre de cette pandémie, des individus ont été sanctionnés sur la base de textes vagues et la créativité des gouverneurs et bourgmestres avait peu de limites : couvre-feux, drones, interdictions de mener des actions de soutien à des travailleurs licenciés… Plus de 200.000 amendes ont été infligées, certaines pour des infractions mineures ou contestables. Or, s’il y a bien quelque chose qui nuit à l’adhésion aux mesures, c’est l’arbitraire. Un deuxième danger réside dans le fait que le contrôle judiciaire soit négligé au profit de l’exécutif. L’exemple le plus connu est celui des visites domiciliaires. Notre Constitution stipule que le domicile est inviolable et que seul un juge peut autoriser une perquisition, dans des cas exceptionnels. Néanmoins, le gouvernement a déclaré le procureur compétent pour accorder cette autorisation. La marge d’appréciation est large car un procureur n’est pas un juge indépendant et impartial. Troisièmement, lorsque le politique définit un cadre d’intervention vague et accorde davantage de pouvoir aux autorités répressives, il les encourage à agir de leur propre initiative. L’appel à dénoncer des voisins qui ne respectent pas les mesures entraîne des interventions et des incidents inutiles. Une police qui pense pouvoir se passer de toute autorisation d’un juge et se sent soutenue en ce sens par le politique est un phénomène inquiétant. La combinaison de ces trois tendances fait craindre l’émergence d’une crise démocratique, en plus d’une crise sanitaire. Les mesures doivent être ciblées, proportionnées et temporaires. Dès que la crise sanitaire s’atténue, les mesures de restriction des libertés doivent être levées. À défaut, on se rapproche dangereusement d’une forme de stratégie du choc, ce phénomène par lequel les gouvernements tirent profit de situations de crise pour introduire certaines mesures que la population est alors prête à accepter, ces mesures exorbitantes subsistant au-delà de la fin de la crise. La rapidité avec laquelle on porte atteinte à nos droits fondamentaux est tout sauf rassurante. L’instauration d’un climat d’arbitraire et de méfiance rend la société malade et est dangereuse. Ce dont nous avons besoin, c’est de solidarité et de confiance réciproque. Les autorités doivent agir pour assurer le droit à la vie et à la protection de la santé mais tout autant respecter les autres droits fondamentaux des individus : droit à la vie privée, droit à l’inviolabilité du domicile, droits économiques, sociaux et culturels. On ne peut restreindre toute forme d’expression et d’action sociale. En effet, celles-ci permettent aux groupes les plus touchés par la crise du Coronavirus et les moins écoutés de faire entendre leur voix. Quiconque compte abuser de la pandémie de Coronavirus doit s’attendre à faire face à de fortes controverses. n Signataires : Thierry Bodson, Président de la FGTB ; Jan Buelens, avocat chez Progress Lawyers Network ; Vanessa De Greef, chargée de recherches FNRS et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Christine Guillain, professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et responsable du Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GREPEC) ; Christelle Macq, chercheuse à l’UCLouvain et Présidente de la commission Justice de la Ligue des droits humains ; Marie Messiaen, Présidente de l’Association Syndicale des Magistrats ; Pierre-Arnaud Perrouty, Directeur de la Ligue des droits humains ; Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel à l’UCLouvain et Vice-Présidente de la Ligue des droits humains ; Diletta Tati, assistante et chercheuse à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ; Xavier Van Gils, Président d’Avocats.be ; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE ; Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits humains ; Kati Verstrepen, Présidente de la Liga voor Mensenrechten. 19 janvier 2021 7 N° 1 • Janvier 2021 Relèvement de la pension minimum ENFIN ! La pension minimum légale pour les travailleurs salariés et indépendants a été augmentée de 2,65 % au 1er janvier 2021. Il s’agit de la première d’une série d’augmentations annuelles sans précédent devant porter, en 2024, la pension minimum légale à 1.580 € bruts pour les travailleurs ayant une carrière de 45 ans. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous réjouir, bien sûr, que les pensions minimum soient enfin revues à la hausse, après des années de revendications et de combat. Mais ce n’est qu’un premier pas et ce n’est pas suffisant. Patricia Vermoote, Secrétaire fédérale de la FGTB La pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants augmentera progressivement en janvier de chaque année de façon à obtenir une augmentation de 11 % en 2024. Elle a déjà été augmentée de 2,65 % le 1er janvier 2021. On compte également sur les adaptations au bien-être, pour lesquelles les interlocuteurs sociaux prévoient traditionnellement une augmentation bisannuelle de 2 %. En tout, cela signifie une augmentation réelle du pouvoir d’achat de 15 à 16 %. Soit la plus grande augmentation enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale. Index En y ajoutant les indexations automatiques, la pension minimum brute pour isolés atteindrait 1.580 € début 2024. Soit environ 300 € de plus qu’aujourd’hui (environ 22 % d’augmentation). La pension de ménage minimum brute atteindrait 1.979 € en 2024 pour une carrière complète de 45 ans, soit une augmentation d’environ 360 € par mois. Les salariés qui n’ont pas une carrière complète verront également leur pension augmenter, mais proportionnellement à la durée de leur carrière. Pour les pensionnés ne touchant qu’une très maigre pension, la Garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) sera également relevée progressivement chaque année. Le Gouvernement veut parvenir, en 2024, à un montant de base brut de 983 € par mois pour une GRAPA /cohabitant. À savoir une augmentation de 213 € par mois. Pour les meilleurs revenus également, les perspectives s’annoncent plus roses en matière de pension. Le plafond de calcul pour les pensions futures, le salaire maximal pris en compte pour le calcul de la pension, augmente progressivement d’environ 4 % sur 4 ans. Pour l’année de carrière 2021, le plafond a maintenant été augmenté de 2,38 % pour les pensions qui prendront effet à partir de 2022. 1.500 € nets D’autres mesures restent nécessaires. La FGTB poursuit la lutte pour une pension minimum légale de 1.500 € nets pour quiconque peut justifier d’une carrière d’au moins 42 ans. « Une réflexion doit impérativement être menée sur la notion de carrière complète », poursuit Patricia Vermoote. « La condition pour bénéficier d’une pension minimum complète est de disposer d’une carrière de 45 ans, cela ne concerne qu’une très petite tranche de la population. On est donc encore très loin d’une pension minimum de 1.500 € nets pour tout le monde et ce sont les femmes qui sont plus particulièrement touchées. La concertation relative à la réforme des pensions va bientôt débuter, il faudra encore batailler dur et la FGTB sera présente. » Calcul du montant de la GRAPA La GRAPA est un complément de revenu octroyé après enquête sur les revenus. Les montants indiqués sont des maxima. Les revenus éventuels sont déduits de l’allocation maximale pour que la somme de ces revenus et la GRAPA atteigne le montant maximum de la GRAPA. Pour ce qui est d’un ménage, le total des ressources est divisé par le nombre de cohabitants y compris le demandeur. Ce montant divisé sera déduit du montant maximum de la GRAPA. Il n’est pas tenu compte, dans le calcul du montant de la GRAPA, de certaines ressources telles que : • les allocations familiales ; • les prestations qui relèvent de l’assistance publique ou privée (ex. : CPAS, institution de bienfaisance, assurance soins de la communauté flamande) ; • les rentes alimentaires entre ascendants et descendants ; • les allocations aux handicapés ; • l’allocation de chauffage du régime des travailleurs salariés ; Plus d’infos sur la GRAPA J www.sfpd.fgov.be/fr/droit-a-la-pension/grapa Actu 8 N° 1 • Janvier 2021 Les nouveaux montants à partir du 1er janvier 2021 La nouvelle législation est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 et a été automatiquement appliquée aux pensions et à l’allocation de garantie de revenus du mois de janvier. Si vous avez droit à l’augmentation, votre pension ou votre allocation de garantie de revenus sera automatiquement adaptée. Pension minimum pour les travailleurs salariés et indépendants avec une carrière complète de 45 ans* Ancien montant Àpd 01/01/2021 Pension d’isolé 1.291,69 € 1.325,92 € Pension de ménage** 1.614,10 € 1.656,88 € Pension de survie 1.274,43 € 1.308,20 € * Si vous n’avez pas une carrière de 45 ans, l’augmentation sera calculée en fonction de votre carrière. ** Une pension de ménage ne s’applique que lorsque l’un des partenaires n’a que peu ou pas de revenus de pension. Le Service des Pensions applique toujours la situation la plus favorable. Augmentation de la garantie de revenus pour personnes âgées (GRAPA) et du revenu garanti (RG) Les montants de base de la GRAPA et du RG sont augmentés de 2,58 %. Ancien montant Àpd 01/01/2021 GRAPAMontant de base pour cohabitants 769,61 € 789,47 € Montant de base majoré pour isolés 1.154,41 € 1.184,20 € RGMontant isolés 823,66 € 844,91 € Montant ménage 1.098,20 € 1.126,53 € Augmentation des minima sociaux dès janvier À partir de janvier 2021, les minima des allocations de chômage seront augmentés par étapes. Le Gouvernement a débloqué un budget de 343 millions d’euros pour augmenter le montant minimum des allocations de chômage. L’arrêté royal décrivant la mise en œuvre pratique stipule que les minima des allocations de chômage et des allocations d’insertion seront augmentés annuellement de 1,125 % pour toutes les catégories familiales pendant la période 2021 à 2024. Les nouveaux montants des allocations sont publiés sur le site de l’ONEM : • Chômage complet sans complément d’ancienneté J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/chomage-complet • Allocations d’insertion J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/allocation-dinsertion • Allocations de transition J www.onem.be/fr/documentation/bar%c3%a8mes/allocation-de-transition • Allocation de garantie de revenu (travail à temps partiel) J www.onem.be/fr/documentation/bar%C3%A8mes/travail-temps-partiel Il existe cependant certaines exceptions auxquelles l’augmentation annuelle ne s’applique pas : • les chômeurs avec complément d’ancienneté, pour lesquels les minima sont déjà plus élevés ; • les travailleurs dans les systèmes de chômage avec complément d’entreprise (prépension), y compris à temps partiel ; • les chômeurs temporaires, pour qui le minimum a déjà été relevé dans le contexte de crise sanitaire ; • les allocations de vacances jeunes et seniors. n Même si toute augmentation des allocations de chômage constitue une avancée – et ce, en particulier pour les minima — la FGTB regrette qu’un certain nombre de groupes soient exclus de l’augmentation. L’augmentation est également trop limitée pour permettre d’augmenter les revenus des travailleurs sans emploi de 10 % au-dessus du seuil de pauvreté, ce que nous jugeons urgent. Les chômeurs demeurent le groupe ayant droit à des allocations chez qui le risque de pauvreté est le plus grand. Nous constatons néanmoins un changement de politique par rapport au gouvernement précédent. Nous espérons donc pouvoir parvenir rapidement à un accord sur des ajustements au bien-être de toutes les prestations sociales, via une augmentation plus significative des allocations de chômage. Cette question est également une préoccupation des organisations de lutte contre la pauvreté. N° 1 • Janvier 2021 9 C’est un joli nom, « Camarade ! » Depuis le mois de septembre, la Centrale Jeunes de la FGTB wallonne dispose de son propre journal qui répond au joli nom de « Camarade ! ». Ce dernier a pour vocation d’exprimer un point de vue syndical pour et par les jeunes syndicalistes. L’objectif de notre journal est double : informer nos affilié·e·s sur une série de sujets qui les concernent directement (changements législatifs, mobilisations syndicales, activités des Jeunes en régionales, …) mais également sensibiliser les jeunes (étudiant·e·s, apprenti·e·s, en stage d’insertion) quant à l’importance du syndicalisme et des combats sociaux. Chaque numéro — trimestriel — est l’occasion d’aborder des thématiques de société aussi variées que la lutte contre le capitalisme, l’extrême droite, le racisme, et de traiter des sujets actuels comme le féminisme ou encore l’écologie. Le numéro de septembre était dédié à l’enseignement et aux pédagogies alternatives. Celui de décembre portait sur la crise sanitaire actuelle. Le numéro de mars abordera évidemment les questions féministes ! Si « Camarade ! » entend mettre en évidence le syndicalisme jeune, le but est également d’influencer l’ensemble du monde syndical en proposant des réflexions en phase avec les attentes des Jeunes. Le journal est disponible en version papier et numérique, ce qui permet d’élargir notre audience. La version numérique permet également de proposer davantage de contenus entre chaque numéro mais aussi de diversifier les formats pour être plus en phase avec la communication sur les réseaux sociaux qui sont devenus l’une des premières sources d’information chez les jeunes. Enfin, « Camarade ! » se veut également participatif. Ainsi le journal est ouvert à contributions (pour autant qu’elles correspondent à notre ligne éditoriale) et nous tâchons de développer un réseau de contributeur·trice·s régulier·ère·s qui enrichit le journal de son expérience en tant que militant·e·s au sein des Jeunes FGTB ou dans d’autres secteurs. La mise en page est d’ailleurs assurée par une étudiante en arts graphiques affiliée dans notre Centrale. Le choix du titre ne doit évidemment rien au hasard. « Camarade ! » est sans doute le mot le plus utilisé dans la bouche d’un·e syndicaliste. Nous souhaitons lui rendre toute sa dimension, qu’il ne devienne pas une appellation sans contenu. Il représente notre volonté de construire un monde bâti autour des notions de solidarité, d’entraide et d’égalité. Nous espérons que notre journal y contribue à sa manière ! n Plus d’info J www.camarade.be fCamaradeWebMedia Actu 10 N° 1 • Janvier 2021 « Square des milliardaires » à Bruxelles Champagne ! À la santé des grosses fortunes ! Le 5 janvier à 12h, le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF) et le Financieel Actie Netwerk (FAN) ont sabré le champagne devant le square du Bois à Bruxelles dit « Square des milliardaires ». Par cette action, ces organisations rappellent que le creusement des inégalités provoqué par la crise du Coronavirus n’empêche pas les gros patrimoines d’échapper toujours à l’impôt en Belgique. Sur base des données de l’OCDE, en Belgique, les 10 % les plus riches concentrent 21 % du revenu et près de la moitié du patrimoine national. Tandis que les 25 % les moins fortunés détiennent moins de 0,5 % des richesses. La Banque nationale indique que près d’un tiers des ménages ne pourrait pas vivre de ses économies au-delà de trois mois. L’écart entre le salaire minimum et les hauts salaires devient de plus en plus grand. La crise sanitaire creuse les inégalités Les pertes de revenus pour les indépendants et les chômeurs temporaires sont plus importantes en pourcentage pour les plus bas revenus. Par ailleurs, si la pauvreté rend malade, la maladie rend pauvre. La contribution personnelle aux soins de santé relativement élevée (le double des pays voisins) pousse les revenus modestes à ne pas recourir ou à se rendre aux urgences. 4 % des ménages ont dû faire face à des dépenses de santé qui représentaient 40 % de leurs dépenses totales. Mais ce n’est pas tout. Les indépendants, les étudiants et les travailleurs sous contrats temporaires ou actifs dans le secteur informel sont frappés de pertes importantes de revenus. Les inégalités sont également nourries par les vagues de licenciements et les faillites annoncées de petits commerces. La Belgique comptait en 2019 plus de 132.000 millionnaires, disposant d’au moins un million de dollars d’actifs (environ 882.000 €), soit une progression de 8,5 % en un an, selon le Rapport sur la richesse mondiale publié par Capgemini. Leur richesse s’évaluait à plus de 332 milliards de dollars, en croissance de 8,7 % par rapport à 2018. À qui la facture ? Ces derniers mois, l’importance des services publics et de la sécurité sociale a été mise en évidence. Il ne faudrait pas que ce soit aux victimes de la crise de payer la note, au moment où l’État devra se refinancer. Par ailleurs, depuis 50 ans, les réductions d’impôt qui ont été accordées aux plus riches dans les pays développés n’ont absolument pas contribué à créer de l’emploi ou de la croissance. La théorie du ruissellement est un leurre. Pour le FMI, entre autres, il faut au contraire à nouveau davantage taxer les plus fortunés. On oublie trop souvent que les taux marginaux d’imposition pour les plus riches étaient de 75 % aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Pour lutter contre les inégalités économiques, chacun devrait contribuer à l’effort en fonction de la hauteur de son patrimoine et de ses revenus. C’est le sens d’un impôt sur les patrimoines supérieurs à un million d’euros (hors habitation personnelle), réclamé par les organisateurs de l’action. n Le RJF et le FAN réunissent les syndicats et une quarantaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles. 11 N° 1 • Janvier 2021 Une priorité Améliorer durablement la place des femmes sur le marché de l’emploi Ce n’est un secret pour personne : les faits de sexisme sur le lieu de travail touchent majoritairement les femmes. Mais ces comportements inacceptables sont un des symptômes d’un phénomène plus étendu : la position précaire des femmes sur le marché de l’emploi, dénoncée de longue date par la FGTB Bruxelles. Dans son baromètre de la qualité de l’emploi en région bruxelloise publié en 2019, la FGTB pointait déjà la précarité de l’emploi féminin. Aujourd’hui, l’emploi féminin est sous-valorisé et l’écart salarial plafonne : il est encore situé autour de 20 %, malgré l’Article 119 du Traité de Rome sur l’égalité salariale ratifié par la Belgique en… 1957 ! Les femmes sont également surreprésentées dans les temps partiels subis. Elles éprouvent également plus de difficultés de concilier vie privée et travail dues, entre autres, au manque de structures d’accueil pour les enfants ou à une répartition inégale des tâches familiales au sein du ménage. À côté de cela, la FGTB pointe également une sous-représentation dans les fonctions dirigeantes, des stéréotypes persistants dans l’orientation scolaire, etc. La crise de la Covid-19 renforce les inégalités Cette situation plus que préoccupante à l’époque s’est encore aggravée durant la crise sociale et économique suite à la pandémie de la Covid-19. Les conséquences des confinements sont en effet différentes pour les femmes et les hommes. Tout d’abord, les femmes représentent la majorité des travailleurs de première ligne : 80 % des travailleurs occupés dans la gestion de la crise sanitaire sont des femmes et elles sont également aussi nombreuses dans les secteurs dits « essentiels » : commerce alimentaire, enseignement, crèches, nettoyage, etc. Les femmes sont plus touchées par les pertes de revenus liées au chômage temporaire, leur salaire étant bien souvent inférieurs à celui des hommes. Les mesures de confinement décrétées pour contrer l’augmentation des cas de Covid-19 ont transféré une charge de travail qui était assumée par le collectif vers la sphère privée, notamment les activités d’éducation et de soin : cette charge supplémentaire est majoritairement assumée par les femmes, déjà désavantagées par la répartition inégalitaire des tâches domestiques au sein du ménage. Les priorités de la FGTB Bruxelles pour sortir de la crise da la Covid-19 « par le haut » Sans mesures correctrices adéquates, la crise économique sans précédents risque bien de précariser encore plus l’emploi féminin et de renforcer durablement les inégalités hommesfemmes déjà bien présentes sur le marché du travail bruxellois. Pour contrer cette précarisation galopante, la FGTB Bruxelles réclame : Un renforcement des mesures de gender mainstreaming dans les politiques d’emploi et de formation sachant que 80 % des travailleurs de première ligne durant la crise sont des femmes : il est donc important de s’assurer que les emplois féminins ne reçoivent une protection inférieure à celle des hommes, avec une attention particulière pour les familles monoparentales. Parallèlement, l’égalité de traitement doit enfin être concrétisée par la solidarité et la lutte contre les discriminations : la création d’un dispositif de veille anti-discrimination (en partenariat avec Unia et l’institut pour l’égalité entre femmes et hommes) conjuguée à la mise en place d’actions positives vers les publics touchés par la précarité peuvent servir de base pour atteindre cet objectif important pour l’inclusion durable des femmes sur le marché de l’emploi. Enfin, il faudra absolument investir dans des services publics de qualité accessibles à tout·e·s et revaloriser les métiers du care (soins de santé, aide à domicile, nettoyage, etc.) dont l’importance capitale a été démontrée une fois de plus lors de la crise sanitaire : les revendications portées par la FGTB sur un salaire horaire minimum fixé à 14 € de l’heure, si elles sont finalisées, constituent là aussi une sortie par le haut de la crise que nous venons de traverser. La FGTB Bruxelles pèsera de tout son poids lors des prochains mois pour que les belles intentions annoncées par les décideurs politiques ces derniers mois se concrétisent par des actes forts, permettant à l’ensemble des travailleurs et travailleuses belges de retrouver la dignité qu’ils/ elles méritent. n Actu 12 N° 1 • Janvier 2021 Le sexisme au travail, toujours vrai aujourd’hui Le sexisme est une réalité de tous les jours. Dans la rue, dans le cercle familial, à l’école, dans toutes les sphères de la société, y compris au travail. Selon une étude européenne, 6 femmes sur 10 indiquent avoir déjà vécu des violences sexistes ou sexuelles au travail. Les femmes issues de minorité sont largement représentées dans cette statistique. Quelques constats : • tout comme dans l’espace public, les violences verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues sur le lieu de travail, au premier rang desquelles les sifflements ou les gestes grossiers (26 % des femmes interrogées en ont été victimes à plusieurs reprises) et les remarques déplacées sur la silhouette ou la tenue (17 % en ont fait l’objet de manière répétée) ; • nombre de femmes rapportent avoir fait l’objet d’agressions physiques et sexuelles : 14 % ont subi à plusieurs reprises des contacts physiques « légers », 18 % des « attouchements » ; • 9 % des Européennes ont déjà subi au moins une fois des pressions de leur hiérarchie afin de céder à un acte de nature sexuelle (ex. : un rapport sexuel en échange d’une embauche ou d’une promotion…). DES REMARQUES SUR LA TENUE, LA VIE PRIVÉE… L’enquête menée par JUMP donne des résultats encore plus tranchés, puisque 94 % des personnes interrogées indiquent avoir vécu des comportements sexistes au travail. Selon cette étude, les manifestations les plus courantes du sexisme sont les blagues, suivies des remarques déplacées. Une femme interrogée sur deux considère qu’une promotion ne lui a pas été donnée à cause de son genre. Plus de trois quarts des femmes ont répondu avoir déjà subi des remarques sur leur façon de s’habiller, mais aussi sur la gestion de leur vie familiale et sur le fait qu’une femme est censée s’occuper de son foyer plutôt que de travailler. Plus de sept femmes sur dix ont déjà été victimes au moins une fois de gestes ou regards intrusifs et/ou déplacés sur leur lieu de travail et un quart des femmes interrogées témoignent avoir déjà été victimes de harcèlement ou agression physique. Lire l’intégralité de l’enquête J http://stopausexisme.be/sexismebientotfini À l’automne 2019, la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et la Fondation Jean Jaurès publiaient une grande enquête intitulée « Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail ». Le but : mesurer l’ampleur des violences sexistes ou sexuelles subies par les femmes européennes, sur leur lieu de travail. Plus de 5.000 femmes en âge de travailler ont répondu à cette enquête, dans cinq grands pays européens (Italie, Espagne, France, Royaume-Uni, Allemagne). Si la Belgique n’est pas reprise dans l’échantillon, l’on peut toutefois raisonnablement croire que les situations connues chez nos voisins le sont également chez nous. Il y a cinq ans, l’étude JUMP (réalisée principalement en Belgique et en France auprès de 3.400 femmes) démontrait que 9 femmes sur 10 avaient déjà vécu des « comportements sexistes » au travail. Notons que cette étude prenait en compte des critères supplémentaires — comme le fait d’être bloquée dans sa carrière en raison de son genre —, tandis que l’Observatoire ne s’attardait que sur les « violences » verbales ou physiques. Dossier N° 1 • Janvier 2021 13 Toutes concernées, mais pas toutes exposées au même risque L’Observatoire démontre également que toutes les femmes ne sont pas soumises au même niveau de risque, face à ces agressions. Plusieurs profils de femmes sont davantage exposés au phénomène, à savoir : les travailleuses jeunes, issues d’un milieu urbain, déjà discriminées pour leur orientation sexuelle ou leur religion, victimes de violences sexuelles par ailleurs ou par le passé, employées dans un environnement de travail masculin ou forcées à porter des tenues de travail considérées comme « sexy ». Le facteur « âge » joue un grand rôle. 42 % des femmes de moins de 30 ans ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête, contre 28 % des trentenaires, 24 % des quadragénaires et 16 % des quinquagénaires. La double peine des minorités Les résultats de l’étude démontrent que les femmes issues de minorités religieuses, en plus de subir des violences ou discriminations liées à leurs croyances, vivent également le sexisme de plein fouet. Ainsi, deux fois plus de femmes musulmanes (que de femmes qui se décrivent comme catholiques) ont vécu « au moins une » forme de violence sexiste et sexuelle sur leur lieu de travail au cours de l’année précédant l’enquête. « Cette surreprésentation des Musulmanes parmi les victimes récentes doit s’expliquer par des ‘effets de structure’ : la population musulmane étant surreprésentée dans les pans de la population les plus exposés à ces formes ‘d’harcèlement’ (ex. : jeunes, catégories populaires, grandes agglomérations). Mais elle met aussi en évidence les interactions entre les discriminations liées au genre et d’autres motifs comme les origines, la couleur de peau ou une religion réelle ou supposée », indique François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop, qui coordonnait l’étude. Le même principe s’applique aux femmes issues de minorités sexuelles. Les femmes bisexuelles ou lesbiennes sont plus souvent victimes de violences sexistes et sexuelles au travail : 36 % d’entre elles, soit presque deux fois plus que les hétérosexuelles (21 %). Les faits les plus rapportés : propos obscènes, envoi de vidéos inappropriées, propositions à connotation sexuelle… On le voit, les préjugés et clichés ont la vie dure. Le « problème » avec la tenue de travail imposée Il faut le dire et le répéter : en aucun cas la tenue portée par la victime n’est la cause de son agression. Dans 100 % des agressions sexuelles, le responsable, c’est l’agresseur. Pourtant, la tenue est encore largement perçue (à tort) comme une incitation, ou plutôt est utilisée comme « excuse » pour justifier le comportement machiste ou l’agression. C’est également le cas sur le lieu de travail. L’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail démontre que les femmes qui sont contraintes de travailler en uniforme ou dans une tenue de travail qui laisse apparaître leurs formes (exemple : jupe obligatoire, port de talons…) sont le plus souvent victimes d’agressions graves. C’est dans cette catégorie de travailleuses que l’on trouve le plus de femmes (33 %) ayant eu un rapport sexuel « forcé » ou « non désiré ». « Cela soulève donc la question des tenues de travail genrées qui peuvent accentuer la pression sexuelle sur les femmes en en faisant des ‘objets de désir’ stéréotypés, notamment dans des secteurs (ex. : services publics, hôtellerie, restauration…) où elles sont directement en contact avec le public. » Des agresseurs à tous les échelons Et les agresseurs dans tout ça ? Contrairement aux idées reçues, les agresseurs ne sont pas uniquement les supérieurs hiérarchiques. Collègues directs, mais aussi clients, fournisseurs, visiteurs externes se partagent le triste gâteau. « La seule situation dans laquelle une fraction significative de femmes (à 34 %) rapporte avoir été harcelée par un supérieur a trait aux pressions psychologiques exercées pour obtenir un acte sexuel en échange par exemple d’une promotion ou d’une embauche. Les autres formes de violence sont soit le fait de collègues n’exerçant pas d’autorité hiérarchique — notamment les remarques gênantes sur le physique (à 46 %) ou les propos à connotation sexuelle (à 38 %) —, soit le fait de personnes extérieures comme des clients ou des fournisseurs (comme par exemple pour la réception de cadeaux gênants à 61 %). » Observatoire européen du sexisme J www.ifop.com/publication/observatoireeuropeen-du-sexisme-et-du-harcelementsexuel-au-travail Dossier 14 N° 1 • Janvier 2021 Sortir du cycle de la violence L’asbl « De Maux à Mots » lutte au quotidien contre toutes les formes de violences sexuelles. Cindy Renski, présidente, nous en parle. « La violence sexiste, ça commence généralement par des paroles blessantes ou infantilisantes, une fausse bienveillance rétrograde, des blagues douteuses, auxquelles personne ne prête attention, tant la culture du sexisme est ancrée dans notre société, comme une mauvaise tradition. Si on ne désamorce pas la situation dès le départ, la personne qui exerce la pression morale prend le pouvoir. Il peut s’ensuivre des attouchements, des violences physiques. La victime se referme alors sur elle-même. Les femmes qui subissent ou ont subi le sexisme au travail se sentent en effet coupable de leur situation. » Tout le monde a un rôle à jouer. Collègues, témoins, peuvent intervenir et dire « stop ». Très souvent, la peur des représailles ou la crainte de perdre son emploi pousse la victime à s’enfermer dans une forme de passivité, et tenter d’éviter au maximum d’aborder le problème. « La victime amène alors son angoisse à la maison, elle commence à avoir une crainte du travail, et là tout s’enchaîne : arrêt de travail, impossibilité de revenir, c’est la victime qui se retrouve écartée. Alors que c’est elle qui a besoin d’assistance psychologique et de soutien. » Burn out, dépression, crises d’angoisse, perte de confiance ou d’estime de soi, les conséquences sont nombreuses. Dès lors que pouvons-nous faire ? Agir, au plus tôt. « Nous insistons auprès de chaque personne concernée : il faut parler. Déposer une plainte, s’adresser à son représentant syndical ou à sa direction. Pour convaincre la victime de faire le pas, nous essayons d’activer un réflexe de protection de l’autre. En expliquant que dénoncer le problème évitera à d’autres travailleuses de subir la même chose. Nous insistons également sur le fait qu’il y a des lois et que celles-ci doivent être appliquées. Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. » En tant que femme de ménage dans un hôtel, je rencontre toutes sortes de clients. Selon l’humeur du client de l’hôtel, qui est donc aussi mon client, je suis confrontée à de multiples situations. La plupart des clients sont amicaux et compréhensifs et quittent souvent leur chambre lorsque je viens la nettoyer. Mais avec d’autres, c’est moins facile. Par exemple, il y a quelques années, j’ai dû faire face au harcèlement sexuel au travail. La première fois que je suis allée nettoyer la chambre d’un homme d’un certain âge, il a ouvert la porte… sans vêtements ! Bien sûr, j’ai été choquée. Je lui ai poliment demandé de bien vouloir passer des vêtements. Et il l’a fait. La fois suivante, quand je suis retournée laver sa chambre, une nouvelle mauvaise surprise m’attendait. Après avoir frappé à la porte, je suis entrée et j’ai trouvé l’homme nu sur le lit. Je me suis vite rendu compte que je ne pourrais pas régler cette situation seule. J’ai donc décidé de partir — sans faire le ménage — et j’en ai parlé avec mon employeur. Il a directement contacté le directeur de l’hôtel et celui-ci a, à son tour, contacté le client de l’hôtel. Nadine Cathy a été élue pour la première fois lors des récentes élections sociales. En tant que déléguée, elle souhaite avant tout offrir une oreille attentive aux collègues qui ont des questions ou des difficultés. Et elle est déterminée à s’attaquer aux problèmes qui se posent dans l’entreprise. « Depuis toute petite, je ne supporte pas l’injustice. Par le passé, je travaillais dans une entreprise où les propos misogynes et racistes étaient monnaie courante. J’ai immédiatement pris la parole contre cela. Mais la situation est devenue intenable. Je suis devenue un problème pour la direction, et j’ai finalement dû partir. Il n’y avait pas de représentation syndicale… Quand j’ai commencé à travailler chez ALVANCE Aluminium, il y a deux ans, ma décision a été rapidement prise : je voulais me rendre utile en tant que représentante syndicale. » Une des rares femmes L’entreprise n’emploie que quelques femmes, sur un total de 650 travailleurs. Cathy est la seule femme de son unité. « Au début, j’ai ressenti quelques réticences. J’ai eu le sentiment d’être ‘un intrus’ dans un bastion d’hommes. Mais ça a vite changé. Nous avons une bonne équipe, il y a beaucoup de respect entre les collègues, et ils savent de quoi je suis capable. Je débute en tant que délégués syndicale. Ce sont mes premiers pas ! J’évolue actuellement dans mon rôle avec le soutien de mon délégué principal. Mais il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je veux travailler dans les années à venir. Premièrement, nous devons avoir un point de contact accessible, pour pouvoir prendre en charge les problèmes des collègues à temps. Deuxièmement, il faut recruter plus de femmes. Enfin, je veux garantir l’équité et la justice pour toutes et tous, dans l’entreprise. » Cathy Van Rymenam, déléguée de l’entreprise métallurgique ALVANCE Aluminium Quand on parle de violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail, de quoi parle-t-on exactement ? La définition est large. Il peut s’agir de gestes déplacés, de propos grossiers, de remarques gênantes sur la tenue ou le physique de la victime, d’écrits ou de propos à caractère sexuel, de l’envoi de textes ou de photos obscènes, d’invitations gênantes, et, malheureusement de contacts physiques imposés, de rapports sexuels forcés. Un cycle de violence qu’il est essentiel d’enrayer dès les premiers signes d’agression. N° 1 • Janvier 2021 15 Violences sexuelles au travail Comment (ré)agir ? Les violences sexistes et sexuelles au travail font l’objet d’une réflexion régulière au sein du Bureau wallon des Femmes de la FGTB. Cette question a d’ailleurs fait l‘objet de la 4e journée des États généraux féministes organisée, en novembre 2019, avec le CEPAG, mouvement d’éducation permanente1 . En voici les principales conclusions… La violence à l’égard des femmes est multiforme : intrafamiliale, verbale, physique et/ou sexuelle, sexiste, psychologique, économique… Mais elle est également présente à tous les niveaux de la société : dans la sphère privée, dans l’espace public et au travail. Nous le verrons dans le dossier, où que se situe la violence, trop souvent, c’est la loi du silence qui prime. Comme dans la sphère privée ou domestique, les victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail doivent souvent se taire. En outre, les statistiques établies par les autorités sont encore peu nombreuses. Peu de femmes ont la force de réagir ou de dénoncer les faits par peur de perdre leur emploi, par honte, en raison de la lourdeur de la procédure ou parce qu’elles estiment que ça ne sert à rien… Sur ce dernier point, le fait que, dans de nombreux secteurs, les délégations syndicales comptent encore trop peu de femmes en leur sein peut avoir une influence. En effet, une femme victime aura plus de difficultés à s’adresser à un homme qu’à une femme et ce, en particulier en cas d’agression sexuelle. Par ailleurs, la peur de réagir et ainsi, de mettre en péril son emploi ou ses chances de promotion a été encore renforcée par les politiques d’austérité. Les économies réalisées sur les allocations sociales (comme les allocations de chômage ou les allocations de garantie de revenu pour le travail à temps partiel) et la limitation des droits sociaux (notamment celle des périodes assimilées) touchent plus particulièrement les femmes, dont elles restreignent l’autonomie financière. Ces politiques austéritaires aggravent donc le sort des femmes exposées à la violence, qu’elle soit conjugale, intrafamiliale ou au travail. Elles ont également fortement réduit les moyens alloués à la Justice, ce qui a aussi un impact sur la prise en charge des femmes victimes de violences. Une nécessaire approche individuelle ET collective Lors de la réflexion menée à l’occasion des États généraux féministes, les aspects et outils légaux ont été particulièrement mis en avant. Le harcèlement moral, la violence et le harcèlement sexuel au travail ont un impact sur la santé, la sécurité et donc le bien-être de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. L’employeur est donc tenu de respecter la législation en la matière. La législation existante — et qui comporte des aspects tant positifs que négatifs — doit donc être davantage exploitée. En reprenant la violence et le harcèlement sexuels au travail sous la catégorie des « risques psychosociaux », la loi met ainsi en évidence la responsabilité des employeurs. Ils ont donc des obligations et procédures à respecter et ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité lorsque de tels actes sont commis. On ne peut pas non plus négliger le rôle joué par l’organisation du travail, notamment dans certains secteurs. Ainsi, les femmes d’ouvrage ou les aides ménagères travaillant souvent seules, à l’extérieur de l’entreprise, sont par exemple plus vulnérables. Au niveau des organisations syndicales, il serait opportun que les formations sur la prévention et la gestion des risques psychosociaux prennent davantage en compte la dimension du genre pour mettre en lumière les rapports de domination à l’œuvre en cas de violences sexuelles au travail. Il serait également important de travailler encore plus avec les délégués et Dossier 16 N° 1 • Janvier 2021 déléguées sur la déconstruction des stéréotypes de genre dont se nourrissent les violences à l’égard des femmes. En effet, les propos et comportements sexistes préfigurent souvent la violence physique sexiste et sexuelle. Notre société est construite sur un modèle patriarcal pour lequel la femme est encore et toujours perçue comme une personne plus sensible et fragile sans réels moyens de défense. Cela induit des rapports inégalitaires dans la société qui sont transposables dans les collectifs de travail : • inégalité salariale ; • plafond de verre et plancher collant ; • ségrégation horizontale du marché du travail ; • temps partiels majoritairement féminins ; • femmes majoritairement victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui ont aussi un impact sur leur vie professionnelle ; • femmes majoritairement victimes de violences et de harcèlement sexuels au travail. Il apparaît donc essentiel d’avoir une approche individuelle des cas de violences sexistes ou sexuelles au travail ou dans la sphère privée tant pour assurer un accompagnement adapté et efficace de la victime que pour sanctionner l’auteur. Mais cela doit être combiné à une approche collective. Cette approche globale contribuera à faire en sorte que l’organisation du travail ne soit pas « facilitatrice » ou « propice » à ce type d’agissements mais aussi de tenir compte, par exemple, de l’impact des violences conjugales sur le bien-être au travail. Plus largement, cela permettrait à combattre le sexisme et à contribuer, enfin, à une société plus égalitaire. 25 novembre Une journée internationale contre les violences faites aux femmes En 1999, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 25 novembre « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Une journée importante pour les féministes et les organisations qui les soutiennent car elle est l’occasion de rappeler qu’aujourd’hui encore, la violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Ces violences sont la conséquence directe d’un système patriarcal encore fortement ancré dans l’ensemble de la société. Les inégalités entre les sexes persistent en effet dans le monde entier, empêchant les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux et compromettant leur vie ainsi que leur avenir. Des efforts doivent être faits pour parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles, notamment sur le plan juridique. D’ailleurs, la Belgique ne respecte pas ses engagements en la matière en n’appliquant pas totalement la Convention d’Istanbul qu’elle a pourtant officiellement adoptée en 20162. Victime ou témoin de violences sexuelles ou sexistes au travail ? La Cellule de Lutte contre les discriminations du CEPAG et de la FGTB wallonne (CLCD) est à vos côtés pour lutter contre toutes formes de discriminations — notamment sexistes —, d’exclusion ou d’exploitation à l’embauche, lors d’une formation ou au travail. Concrètement, la CLCD vous apporte une écoute, de l’information et un accompagnement de qualité si vous êtes témoin ou victime de discrimination. Contacter la CLCD ( 081 26 51 56 E clcd@cepag.be J www.clcd.info 1. https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_novembre_2019_-_violences_sexuelles.pdf 2. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique conclue à Istanbul, le 11.05.2011 – ratifiée par la Belgique le 14 mars 2016 et entrée en vigueur le 1er juillet 2016. MOBILISONS-NOUS CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES! STOP 17 N° 1 • Janvier 2021 Le silence n’est PAS une option Dénoncer c’est aussi avancer dans sa reconstruction, se permettre de se faire aider, obtenir l’écoute nécessaire afin de récupérer la confiance en soi. L’Observatoire européen fait également le constat suivant : sortir du silence est extrêmement difficile. Dénoncer une situation, c’est éventuellement prendre le risque d’un conflit avec son employeur, voire de perdre son emploi. De nombreuses femmes préfèrent subir remarques désobligeantes et commentaires en silence. Les femmes qui osent évoquer le problème à un supérieur ou à un représentant syndical restent peu nombreuses : 9 à 16 % selon les cas. Notons que ce chiffre augmente à 27 % chez les femmes de moins de 25 ans, tandis qu’il descend à 10 % chez les travailleuses « âgées ». Les différents mouvements de libération de la parole ont en effet certainement eu un impact plus grand parmi les jeunes. L’enquête « JUMP » confirme : plus de huit femmes sur dix déclarent ne jamais avoir fait appel aux autorités (entreprise, police…) pour dénoncer les faits subis). Un lieu de travail exempt de sexisme commence pourtant avec la parole de toutes et tous. Luttons au quotidien contre les comportements problématiques. Témoin du sexisme sur le lieu de travail ? En tant que témoin, vous avez un rôle à jouer. N’hésitez pas à condamner ouvertement le sexisme, à en parler à votre délégué et/ou à un responsable. Se taire face à des comportements inacceptables, c’est se rendre complice. Les organisations syndicales et les employeurs ont mis en place dans l’entreprise des procédures d’accompagnement des travailleuses victimes de harcèlement sexuel et ou de propos sexistes. Le problème peut être signalé à l’employeur via un·e représentant·e syndical·e, ou à la personne de confiance, ou au conseiller en prévention chargé des aspects psycho-sociaux. Le rôle de la personne de confiance est d’écouter, de soutenir la victime, de conseiller les différentes pistes existantes, d’orienter vers les services adéquats. Il ou elle peut faire office de médiateur. Une blague qui blesse n’est pas drôle Restons vigilants, ensemble, pour une communication respectueuse. Chacun peut surveiller son langage et ses actions, pour éviter d’avoir un mot ou un geste blessant. Certaines formes de sexisme sont plus « subtiles » que d’autres. Essayez de les identifier, et réagissez de manière conséquente. Même si ce n’est « qu’une blague ». Les blagues ne sont pas drôles quand elles font mal. Cela s’applique à vous-mêmes, à vos proches, à vos collègues. Être ouvert aux différences Une vision rigide de la société renforce les stéréotypes. Acceptons les différences, renforçons le respect. Nous sommes tous différents et c’est une bonne chose. Pourtant, nous devons nous assurer que nous avons toutes et tous les mêmes droits. Soyez à l’écoute Quelqu’un se confie à vous ? Écoutez sans préjugés et faites votre part du travail : apportez votre soutien, vos conseils, et orientez votre collègue. L’institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes vous propose également un formulaire de signalement, ainsi qu’un point « info » sur la question. N’hésitez pas à consulter leur site. J https://igvm-iefh.belgium.be/fr/infos-et-aide Dossier 18 N° 1 • Janvier 2021 Sexisme au travail Tolérance Pourquoi est-ce important de porter une attention particulière à ce phénomène ? Dalila : Le sexisme dans l’entreprise décourage les femmes. Elles finissent par travailler sans ambition. Il arrive qu’elles quittent leur travail sous une pression sexiste trop forte. Pourtant, les femmes, en Belgique, sont globalement plus diplômées que les hommes et sont des candidates de qualités. Si le monde de l’entreprise ne prend pas de dispositions fortes contre ces comportements sexistes, l’employeur qui a investi du temps et de l’argent dans ses collaboratrices voit son investissement perdu. C’est regrettable pour tout le monde. Martine : Le sexisme sur le lieu de travail est toujours très présent et très difficile à combattre. Beaucoup de gens ne savent pas comment y mettre fin. Pourtant il faut s’attaquer à ce phénomène de la même manière que l’on s’attaque au racisme. Il faut se demander « Est-ce que ça vous ferait encore rire si c’était aux dépends de votre soeur, de votre mère ? » Une tolérance zéro à l’égard du sexisme et du racisme devrait être la norme. » Pourquoi, justement, ces deux problèmes sont-ils traités diffèremment ? Martine : Parce que toute une série de gens ne comprennent pas que les formes subtiles du sexisme, principalement des « blagues », peuvent apparaître comme blessantes. « C’est juste une blague ! » Cela dit, depuis le mouvement #Metoo, les comportements changent. C’est la même chose pour les « gestes » déplacés. C’est à la victime de déterminer si une frontière est franchie, pas à celui qui pose le geste ! Dalila : Il faut aussi rappeler que les femmes de couleur subissent une double discrimination. Elles se confrontent à des attitudes sexistes ET racistes. Ces deux fléaux doivent être combattus avec la même rigueur. Ils répondent à une même construction, qui infériorise les femmes. Une entreprise moderne, et l’ensemble des travailleurs et travailleuses, se doivent de défendre des valeurs d’égalité. L’instruction, l’éducation, la formation sont des outils essentiels pour y arriver. La formation de nos délégué·e·s doit intégrer cette thématique, pour une évolution positive tant au niveau de la structure syndicale que des entreprises. Comment agir ? Martine : Il faut continuer à insister sur ce sujet, prendre position, et chercher un soutien en cas de besoin, tant au sein du syndicat qu’à l’extérieur. Pas à pas, il faut éliminer les inégalités. C’est un effort à long terme. En tant que syndicat, nous avons pris des mesures. Nous travaillons avec des quotas, par exemple. Il faut au moins une femme sur trois dans tous les organes officiels, et nous visons la parité. Cela fait une différence. Depuis septembre, nous avons pour la première fois un secrétariat fédéral avec quatre femmes et trois hommes. C’est une véritable réussite. Dalila : En Belgique, il existe déjà une législation qui punit le sexisme, la discrimination et le harcèlement sexuel au travail. Citons la loi sur le sexisme de 2014, la loi anti-discrimination de 2007 et la loi de 1996 sur le bien-être des employés dans l’exercice de leur travail. Mais dans la pratique, les procédures sont lourdes, et peu de victimes souhaitent engager la procédure. Il faut faciliter tout cela. Dans de nombreux cas, la victime est déjà partie quand la procédure aboutit… Si les salariées victimes de sexisme ne réagissent pas, c’est parce qu’elles ont peur de représailles. Si les employeurs ne mettent pas en place des mesures strictes de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel, c’est très difficile pour les travailleuses d’en parler. Peu de cas sont portés dans les tribunaux, elles se disent que ça ne sert à rien. Pourtant c’est à force de donner une visibilité à ces plaintes qu’elles prendront un réel sens. Car les conséquences psychiques sur les victimes sont désastreuses. Nous avons le devoir d’en faire un point essentiel dans le cadre du bien-être au travail. Martine Vandevenne et Dalila Larabi sont les expertes « Gender » de la FGTB. Via des actions, formations, de la sensibilisation, elles luttent au quotidien contre zéro! le sexisme dans le monde du travail. N° 1 • Janvier 2021 19 OIT Un cadre international de lutte contre le sexisme Le 21 juin 2019, les syndicats et leurs alliés du monde entier ont célébré l’adoption historique d’une loi internationale sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail : la Convention n° 190 (C190) de l’OIT (Organisation internationale du Travail). Avec une majorité favorable à l’adoption de cette convention, l’on a clairement déclaré que la violence et le harcèlement n’avaient PAS leur place au travail. La C190 de l’OIT reconnaît le droit de toutes et tous de travailler sans subir de violence et de harcèlement. Ce, tant dans l’économie formelle qu’informelle et quel que soit le statut de la personne. Cette convention est donc particulièrement novatrice puisqu’elle reconnaît que la violence et le harcèlement fondés sur le genre constituent un problème systémique qui trouve sa source dans des rapports de pouvoir inégalitaires au sein de la société et dans le monde du travail En juin 2020, l’Uruguay est devenu le premier pays à ratifier la C190. L’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, la Belgique, l’Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Namibie, l’Ouganda et les Philippines ont signalé leur intention de la ratifier également. Et dès lors d’aligner leurs lois nationales sur les normes du traité. En Belgique, dans le cadre du processus de ratification, le Conseil National du Travail a un avis dans lequel il constate que, selon la déclaration gouvernementale, la législation nationale est conforme aux prescriptions de la Convention et qu’une procédure d’assentiment peut dès lors être envisagée. La Belgique dispose déjà d’un système de protection très développé en ce qui concerne la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Toutefois, la législation pourrait être renforcée sur certains points. • Former les personnes de de confiance, conseillers en prévention… afin, d’une part, qu’elles puissent orienter les victimes vers des services d’aide appropriés et, d’autre part, qu’elles tiennent compte des conséquences de la violence domestique dans le travail ; • Poursuivre le travail de sensibilisation sur les violences domestiques et leurs implications dans le travail ; • Améliorer les pratiques et notamment : – renforcer les recherches et la concertation pour identifier les secteurs, professions et modalités de travail qui exposent particulièrement les travailleurs et prendre des mesures appropriées ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris concernant la formation des acteurs du monde judiciaire et du monde du travail ; – examiner la possibilité de prendre de nouvelles mesures de soutien pour les victimes de violence et de harcèlement dans le monde du travail et de mettre en place des services de conseil pour les auteurs ; – poursuivre et intensifier les efforts entrepris en matière d’information et de sensibilisation. n En savoir plus… L’IFSI, travaille sur ces thèmes au quotidien, en partenariat avec des acteurs sociaux et syndicaux à travers le monde. L’IFSI est l’Institut de coopération syndicale internationale soutenu par la FGTB. Sur leur site, vous trouverez des analyses et publications en rapport avec la lutte contre les violences basées sur le genre sur le lieu de travail, et l’importance de la C190. J www.ifsi-isvi.be/category/publications/analyses-reflexions Dossier 20 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les entreprises enfin reconnues comme premier lieu de propagation de la Covid-19 Nous le défendions depuis des mois : le rôle du lieu de travail dans l’évolution de cette épidémie a toujours été minimisé. Aujourd’hui, notre appel a enfin été entendu. Sciensano, l’Institut belge de santé, publie désormais chaque semaine les lieux de contaminations les plus fréquents. Et sans grande surprise pour la Centrale Générale – FGTB, le premier lieu de contamination se trouve dans les entreprises avec plus de 40 % des foyers détectés. Et ce résultat ne reflète pas encore toute la réalité de l’impact du travail car les travailleurs d’autres secteurs comme les écoles, les hôpitaux ou les maisons de repos sont repris dans leur propre secteur plutôt que dans la catégorie entreprise. Ce chiffre devrait donc être bien plus élevé. L’apparition soudaine des données concernant le lieu de travail démontre que notre appel n’était pas anodin. D’autant plus que les résultats confirment ce que nous pensions depuis le début. Reste maintenant à prendre des mesures adéquates. Nous tenons donc à rappeler nos revendications en la matière : • un élargissement de la reconnaissance de la Covid-19 en tant que maladie professionnelle ; • une application totale du code du bien-être au travail et une analyse du risque particulier qu’est la Covid dans toute les entreprises ; • un véritable contrôle des mesures prises suites à ces analyses de risque ; • une analyse plus approfondie de ces données pour pouvoir identifier les secteurs à risque et donc ceux dans lesquels la prévention doit être renforcée. 0 % 10 % 20 % 30 % 40 % ENTREPRISES Maisons de repos Résidences pour personnes handicapées Types de clusters Autres collectivités résidentielles Clusters communautaires Autres clusters Écoles Clusters actifs rapportés par les régions par types de clusters Belgique, semaine 53 (28/12 au 03/01) CG 21 N° 1 • Janvier 2021 Secteurs du textile, entretien du textile, habillement et confection en 2021 Le Corona et le Brexit constituent des défis importants Le textile et les secteurs de la confection sont actuellement confrontés à de nombreux défis : la crise du Corona, mais certainement aussi le Brexit. Mais avec les délégués nouvellement élus, la Centrale Générale – FGTB est déjà en position de force pour les quatre années à venir. Nous passons en revue les défis et les priorités qui attendent les secteurs du textile et de la confection avec l’ancien secrétaire fédéral, Elie Verplancken qui part en RCC et Annelies Deman, qui a repris le flambeau depuis le 1er janvier. 2020 a bien entendu été une année particulière. La crise du Coronavirus a-t-elle durement impacté le secteur du textile et de l’habillement ? Elie : Pendant le premier confinement, un certain nombre d’entreprises ont été complètement fermées et l’emploi a diminué de 25 %. Mais sur une base annuelle, nous arrivons à environ 16 %. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas encore de tous les chiffres et nous ne connaîtrons le détail des conséquences du Coronavirus pour l’année 2020 que durant 2021. Dans l’ensemble, je pense que les dégâts ont été moins importants que ce que l’on craignait initialement. Mais pour le secteur du textile, il existe un autre facteur de risque qui peut faire davantage de dégâts : le Brexit. Le Royaume-Uni est l’un des plus gros clients du secteur belge du tapis. Il est très difficile d’estimer l’impact de cette mesure. Quel rôle la Centrale Générale a-t-elle pu jouer dans les secteurs ces dernières années ? Elie : Nous avons déjà négocié l’introduction du deuxième pilier de pensions dans l’industrie du textile. Au départ, cela a été très difficile pour les employeurs, mais lors des négociations finales pour une CCT sectorielle, nous sommes parvenus à un accord et le deuxième pilier sera en place à partir de 2021. Nous avons également travaillé dur sur une classification de fonctions commune pour les ouvriers et les employés. En raison de la loi sur la norme salariale, il n’a pas été facile de négocier de fortes augmentations de salaire, mais nous avons quand même réussi à tirer le maximum. Suite aux élections sociales, la FGTB reste-t-elle forte dans le textile ? Elie : Des élections sociales ont été organisées dans 132 entreprises des secteurs du textile, de la confection et de l’entretien du textile. Au CPPT, la FGTB a remporté 34 % des mandats, (une progression de 1,4 %) et au CE, 32,6 % (une progression de 0,5 %). Nous sommes donc contents ! Nous progressons le plus dans le secteur de l’entretien du textile et c’est important parce que dans ce secteur, la pression au travail est très forte. Une nouvelle période, une nouvelle secrétaire fédérale. Quelles sont les priorités pour les années à venir ? Annelies : Il est clair qu’entre les conséquences du Coronavirus et les incertitudes liées au Brexit, nous sommes confrontés à une année très importante. Les négociations pour un accord interprofessionnel (AIP) et sa transposition dans les secteurs seront essentielles. Ce sera un véritable défi. Mais avant tout, je veux mieux connaître les secteurs. Les élections sociales sont juste derrière nous. De nouvelles délégations très motivées sont constituées. J’ai hâte de les rencontrer. Parce que la force de notre syndicat se trouve bien sûr à la base, sur le terrain. CG 22 N° 1 • Janvier 2021 La Centrale Générale Les agressions envers les agents de gardiennage doivent cesser ! Les agents de gardiennage sont connus pour garantir la sécurité des personnes, des espaces publics ou privés ou encore des habitations. Or, depuis mars 2020, ces agents de gardiennage doivent également s’assurer que les mesures Corona soient bien respectées. Une tâche pas évidente étant donné les agressions fréquentes dont ils sont victimes. « Nous sommes présents dans les magasins et nous devons inciter les gens à respecter les mesures, mais ce n’est pas toujours apprécié. Les gens sont surtout agressifs verbalement, même si, voici quelques mois, un collègue s’est retrouvé à l’hôpital avec une grave commotion cérébrale suite à une altercation », explique Patrick, agent de gardiennage. Lui et ses collègues constatent une hausse des agressions verbales envers les agents de gardiennage depuis la crise du Coronavirus. Ils ont l’impression qu’à force de se voir rappeler les mesures sanitaires à respecter (garder ses distances, porter correctement son masque buccal, faire ses courses seul, prendre un chariot, se désinfecter les mains), les gens ont de moins en moins envie de les respecter, ils semblent blasés. « Dès que ce comportement agressif se manifeste, nous essayons d’expliquer que ces mesures sont imposées par le Gouvernement et que nous faisons simplement notre travail : on nous demande de les faire respecter », dit Patrick. Inutile d’en vouloir aux agents de gardiennage car c’est le Gouvernement qui fixe les règles. Il est donc grand temps d’être plus tolérant et de respecter ces travailleurs qui ont un rôle essentiel à jouer pour réduire les risques d’exposition à la Covid-19. Car c’est avec respect qu’ils assurent la sécurité de tous ! Téléchargez l’affiche sur J www.fgtbgardiennage.be Nous ne faisons que notre travail ! Emplois précaires et impact négatif sur la santé et le bien-être Selon une étude récente de la VUB (aile flamande de l’Université Libre de Bruxelles), il apparaît que les emplois précaires comportent plus de risques pour la santé et le bien-être des travailleurs. La situation familiale, un faible revenu du ménage ou des conflits entre vie privée et professionnelle, par exemple, jouent un rôle important à cet égard. Un emploi précaire, c’est un emploi sans contrat fixe, à temps partiel, mal rémunéré avec des horaires flexibles ou imprévisibles. Malheureusement, ce type d’emplois est en progression, y compris en Belgique. L’enquête menée par la VUB auprès de 3000 personnes a montré que les personnes qui ont un emploi précaire obtiennent de mauvais résultats en termes de bienêtre et de santé. Le bien-être de ces travailleurs est plus mauvais lorsque le revenu du ménage est faible ou lorsqu’il n’y a pas de bon équilibre entre vie privée et professionnelle. En outre, il s’avère que les travailleurs du secteur de la construction, du gardiennage et des titres-services sont particulièrement vulnérables. Ils encourent un risque plus élevé de problèmes de santé et de bien-être en raison de bas salaires – et donc des faibles revenus du ménage, des horaires de travail irréguliers qui contribuent à un déséquilibre entre vie privée et professionnelle et un risque accru de blessures physiques. Ces travailleurs doivent également faire face à la pression du temps pendant l’exécution de leur travail, à des conditions de travail physiques difficiles et à un manque d’autonomie ou de variation des tâches. Il existe un lien évident entre ces conditions de travail et le travail précaire : les travailleurs précaires sont plus souvent exposés à de telles conditions de travail du fait qu’ils ont structurellement moins de poids et de choix dans la détermination de leurs conditions de travail. Scannez le QR code pour remplir la deuxième enquête sur le travail précaire en Belgique actuellement en cours. Envie d’en savoir plus ? J www.precariouswork.be n N° 1 • Janvier 2021 23 Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits Car il n’y a pas de quoi être fiers ! Même si des avancées ont pu être enregistrées dans le fossé en matière de droits entre les femmes et les hommes au cours des dernières années, le chemin à parcourir reste long et semé d’embuches pour parvenir à une réelle égalité des droits dans une société construite sur le modèle qui reste — reconnaissons-le — essentiellement patriarcal. Ainsi, le taux d’emploi, les salaires et la qualité des contrats des femmes sont encore globalement inférieurs à ceux des hommes avec de grandes variations selon les secteurs. Et ce ne sont pas les politiques d’austérité des dernières années ni l’atténuation de la responsabilité sociale des entreprises (atteintes à la liberté de négociation collective) qui ont empêché les femmes de tomber les premières dans le travail précaire et la pauvreté. 5 questions parmi d’autres nous semblent essentielles et réclament des réponses énergiques ainsi que programmées dans le temps. 1. Écart de rémunération entre hommes et femmes Dans toute l’Europe, les femmes continuent de gagner en moyenne 16,4 %* de moins que les hommes pour le même emploi. Nous exigeons : • le développement et l’utilisation de systèmes de rémunération transparents ; • la revalorisation des fonctions et métiers à prédominance féminine (revalorisation salariale, amélioration des conditions de travail, validation des compétences, reconnaissance des qualifications) ; • la promotion de la mixité des métiers ; • la lutte contre toutes les formes de travail précaire, en particulier les emplois à temps partiels « non choisis » ; • la lutte contre la ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes ; • la promotion de l’égalité d’accès aux congés parentaux ; • la lutte contre les discriminations à l’embauche dont les femmes sont encore trop souvent victimes en raison de la persistance de stéréotypes de genre. 2. Plafonds de verre La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. En outre, les femmes sont encore trop souvent confinées dans certains emplois, écartées d’autres et cantonnées dans des postes qui ne réclament que peu ou pas de formation. 3. Écart de retraite Une majorité de femmes ont — responsabilités familiales obligent — des carrières professionnelles plus courtes ou non complètes et ont tendance à occuper un emploi précaire (temps partiel, durée déterminée, contrats flexibles, etc.). En 2014, l’écart moyen dans l’UE28 s’élevait à 40,2 %, les hommes de 65 à 74 ans ayant en moyenne des retraites de 40 % supérieures à celles des femmes de la même tranche d’âge. Les régimes de sécurité sociale et, en particulier, les régimes de retraite doivent être solidaires, protégés, améliorés et adaptés afin de permettre aux femmes d’avoir une vie sûre et décente à tous les stades de la vie ! 4. Lutte contre les stéréotypes En dépit des dernières décennies de progrès en matière d’égalité des genres, les stéréotypes liés au genre restent présents dans nos vies quotidiennes, à domicile et au Les Métallos de la FGTB ont soutenu avec détermination la résolution adoptée lors du dernier Congrès d’Industriall Europe en 2020 et traitant DES questions d’égalité entre les femmes et les hommes et intitulée : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». * Source: Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE) Ecart des salaires entre les hommes et les femmes non-ajusté (2015). MWB 24 N° 1 • Janvier 2021 Métallurgistes Wallonie-Bruxelles travail, et ils sont source de discrimination. Les Métallos FGTB plaident pour l’élimination des stéréotypes liés au genre par la revalorisation des emplois à prédominance féminine en revalorisant les salaires, en améliorant les conditions de travail, en reconnaissant les qualifications, en encourageant la mixité hommes-femmes dans les compétences, etc. Les obligations familiales (éducation des enfants et tâches ménagères) ne doivent pas être perçues comme incombant exclusivement aux femmes. Elles relèvent d’une même responsabilité pour les parents quel que soit leur genre. 5. Violence contre les femmes La violence à l’égard des femmes est partout, à la maison, au travail, à l’école, dans les rues ou encore sur Internet, ceci sans distinction de classe sociale et de niveau d’éducation. La violence à l’égard des femmes reste la violation la plus importante et la plus répandue des droits humains, avec 1 femme sur 3 en Europe ayant été victime de violences physiques ou sexuelles à un moment de sa vie (depuis l’âge de 15 ans). Aujourd’hui, la violence des hommes à l’égard des femmes reste une cause majeure de décès chez les femmes. Les Métallos FGTB continueront à travailler conjointement avec IndustriAll Europe et la CES sur le projet « Safe at Home, Safe at Work ». En outre, nous resterons vigilants à l’égard de la protection des droits fondamentaux des femmes de disposer de leur corps et de leur vie. De plus, des mesures visant à prévenir, protéger et soutenir les victimes doivent être mises en œuvre partout et en particulier sur le lieu de travail et des sanctions doivent être prises contre les personnes reconnues coupables de violence sexuelle ou sexiste. Parce que notre objectif est la réalisation d’une société dans laquelle les hommes et les femmes ont les mêmes chances et droits d’épanouissement et de participation, les dates du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes et du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes sont cochées de manière indélébiles dans nos agendas Métallos présents et à venir. Dans chacune de nos négociations et systématiquement dès que nous en aurons l’occasion, l’aspect « gender » sera traité de manière transversale avec pour unique objectif : « Atteindre l’égalité des chances pour l’égalité des droits ». n La progression professionnelle des femmes est trop souvent freinée parce que l’accès aux postes à responsabilité leur est fermé. N° 1 • Janvier 2021 25 Au centre de la difficulté se trouve l’opportunité D Des paroles poétiques d’un homme intelligent. Albert Einstein était aussi incontestablement un homme optimiste. À la FGTB Métal et à l’UBT, nous le sommes également. Nous attendons beaucoup de 2021. Ensemble, nous mettrons cette nouvelle année à profit pour continuer le combat et saisir les opportunités qui se présenteront. Des opportunités pour obtenir de meilleures conditions sociales. Pour poursuivre la formation de nos délégués particulièrement motivés, qu’ils soient nouveaux ou chevronnés. Des opportunités générées par notre coopération pour encore mieux vous servir. Pour forcer ensemble un avenir meilleur pour tous les travailleurs. Au travail ! À la veille des négociations interprofessionnelles et des négociations sectorielles qui suivront, nous nous apprêtons à transformer les nombreux hommages rendus aux travailleurs pendant la crise du Coronavirus en augmentations salariales effectives, en de vrais emplois et en des conditions de travail meilleures et plus sûres. Il est de notre devoir syndical de continuer à renforcer le filet de sécurité sociale et de ne pas le laisser vider de sa substance par des économies ou des motifs idéologiques. Nous nous battrons pour ces objectifs à tous les niveaux de nos organisations. Nous ne sommes pas seuls, car ensemble nous sommes plus forts ! Nous poursuivrons aussi de manière intense, en Flandres, la coopération entre le Métal et le Transport. Nous continuerons à étendre notre réseau de bureaux communs dans cette partie du pays dans le but de répondre encore mieux à vos besoins. En 2021, la formation poursuivra son trajet de professionnalisation, en partie en ligne et physiquement dès que ce sera autorisé. Par ailleurs, nous lancerons sous peu une plateforme juridique commune pour fournir toute l’information nécessaire à nos délégués, nos propagandistes et nos secrétaires. Nous ne sommes en effet pas seuls. Année après année, des milliers de personnalités fortes aident et conseillent nos membres. Il s’agit d’un travail syndical qui nous rend fiers et qui présente d’innombrables opportunités. C’est pourquoi, nous continuerons à avancer, nous serons présents 365 jours par an et ne laisserons personne au bord du chemin. Voilà notre engagement pour 2021 ! Rohnny Champagne Frank Moreels Président FGTB Métal Président UBT Un cadeau de Nouvel An pour nos membres Des réductions supplémentaires et une nouvelle appli Pour bien commencer 2021, nous modernisons notre plateforme MyAdvantage. Notre but : vous faire profiter de plus d’offres encore et de réductions exclusives. Vous pourrez ainsi bénéficier de réductions de prix pour vos loisirs et surtout pour vos achats. Un nouveau look, davantage de fonctionnalités, des offres supplémentaires, une plus grande convivialité mais surtout une appli mobile flambant neuve. Grâce à cette nouvelle appli, vous pourrez profiter à tout moment de ces avantages, où que vous vous trouviez. Fantastique, non ? Scannez le code QR avec votre téléphone portable et téléchargez l’application EKIVITA en quelques secondes. Ou directement via le terme de recherche EKIVITA. Notre engagement pour 2021 UBT 26 N° 1 • Janvier 2021 Union Belge du Transport Ces entreprises entrent dans la nouvelle année de manière explosive ! Alors que la pandémie du Coronavirus continue à sévir et que notre économie a connu des temps bien meilleurs, ce n’est pas la misère partout. Au début du nouvel an, plusieurs entreprises marchent bien, voire très bien. C’est le cas aussi de quelques grandes entreprises de transport et logistiques. Aussi bien l’entreprise logistique Kuehne+Nagel que la firme de transport H. Essers se sont vu attribuer un rôle crucial dans la distribution du vaccin Covid-19 en Europe. S’il devait y avoir encore des sceptiques qui ne comprennent pas le rôle essentiel joué par les chauffeurs dans cette pandémie, lisez l’article qui suit et vous comprendrez. H. Essers : les chauffeurs assurent la distribution du vaccin de Pfizer le lendemain de Noël L’entreprise de transport belge H. Essers a obtenu fin décembre, comme partenaire logistique de l’entreprise pharmaceutique Pfizer, le contrat européen pour la distribution du vaccin de Pfizer en Europe. Depuis 2006, cette entreprise logistique est spécialisée dans le transport de produits pharmaceutiques avec une attention particulière pour la chaîne du froid. Cela signifie que la température des médicaments doit rester constante pendant tout le transport. Les semiremorques de la firme H. Essers sont équipées d’une série de senseurs pour mesurer la température. Ces senseurs sont suivis à partir d’une tour de contrôle. Une bonne chose pour le vaccin Covid-19 de Pfizer qui doit être transporté à une température de -70°C. Pfizer avait demandé de livrer le vaccin dans tous les États membres de l’Union européenne le lendemain de Noël. Les camions ont donc dû partir de notre pays le jour de Noël, voire avant, pour arriver à temps. La firme Essers ne s’est d’ailleurs pas seulement chargée des camions et des chauffeurs, mais aussi de la sécurité des transports. Essers, une entreprise familiale limbourgeoise, connaît depuis des années une croissance remarquable. Au cours des cinq dernières années, elle a connu une croissance de 10 % par an. La clé du succès réside dans sa spécialisation dans des niches comme le secteur pharmaceutique ou celui de la chimie, qui nécessitent une approche et des moyens spécifiques. C’est pourquoi H. Essers investit de plus en plus dans ses propres magasins, ce qui a permis à l’entreprise d’évoluer d’une entreprise de transport vers un acteur logistique intégré. Par ailleurs, Essers a repris récemment des entreprises dans le secteur de la logistique chimique en France et aux Pays-Bas. Kuehne+Nagel : stockage et distribution du vaccin Moderna au départ d’une plateforme belge Début janvier, l’entreprise logistique suisse Kuehne+Nagel annonçait qu’elle était chargée du stockage et de la distribution du vaccin Covid-19 de Moderna. La plateforme chimique du logisticien suisse en Belgique jouera un rôle clé dans cette opération. Le contrat logistique international concerne la distribution du vaccin sur les marchés en Europe, en Asie, au Moyen Orient, en Afrique et dans des parties de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord. En Europe, la production est aux mains de la société Lonza, à Visp en Suisse. Ce n’est pas une nouveauté que notre pays joue un rôle important dans la logistique pharmaceutique du groupe suisse, avec son centre de distribution spécialisé à Geel, récemment agrandi, et une plateforme pharmaceutique de 15.000 m² à Brussels Airport, qui vient d’ouvrir au mois de septembre dernier. Selon toute probabilité, le vaccin sera transporté de la Suisse en Belgique pour ensuite être distribué par la route et par l’air dans les différents pays via le réseau de Kuehne+Nagel. Ce réseau ne compte pas moins de 230 sites dans le monde. En Europe, le transport du vaccin se fera par la route. Le groupe dispose à cet effet de sa propre flotte de plus de deux cents véhicules spécialisés dans le transport de produits pharmaceutiques. Conclusion Ces exemples sont un signal d’espoir. Ils illustrent la résilience de notre industrie qui parvient à croître et à se développer, même en période de pandémie. Ils démontrent aussi que les entreprises logistiques et les entreprises de transport ont encore un bel avenir devant eux. Qui plus est, ils contribuent à forger l’avenir en investissant dans l’innovation, la croissance durable et des travailleurs compétents. Et oui, nous ne l’ignorons pas. L’année 2021 sera, elle aussi, difficile sur le plan économique. La crise du Coronavirus continue de sévir et de nombreuses entreprises sont en difficultés. Mais ne perdons pas espoir. Il y a de la lumière au bout du tunnel. L’exemple de ces entreprises en est une belle illustration. n 27 N° 1 • Janvier 2021 Friesland Campina ferme son entreprise Yoko Cheese à Genk Début novembre, les travailleurs de Friesland Campina ont appris, par la presse (!), la restructuration prévue par l’entreprise et sa volonté de supprimer environ 1.000 emplois en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Le jeudi 10 décembre 2020, l’entreprise a annoncé la fermeture du site Yoko Cheese à Genk fin 2021. Cela représente une perte de 250 emplois… La direction de Friesland Campina se cache derrière la crise du Coronavirus qui aurait impacté la marge bénéficiaire de l’entreprise, alors que l’entreprise a toujours poursuivi son opérationnalité, comme entreprise alimentaire relevant des secteurs essentiels. « Dans la motivation de sa décision, la direction renvoie également à la crise du Coronavirus », réagit Nicole Houbrechts, Secrétaire régionale Horval à Campine-Limbourg. « Or, cela est injuste. Les travailleurs ont travaillé très dur pendant la crise du Coronavirus, également pendant les week-ends et après les horaires de jours normaux. » En réalité, cette fermeture fait partie d’un élargissement d’échelle prévu depuis déjà longtemps. Le site de Genk est trop petit et les activités sont transférées aux PaysBas. Le site à Genk n’est donc pas déficitaire, bien au contraire ; en 2019, les bénéfices s’élevaient encore à 4 millions d’euros. Le choix consiste à supprimer 250 emplois afin d’engranger davantage de bénéfices et non pas à réduire les pertes ou à garantir l’avenir de l’entreprise. Les travailleurs de Yoko Cheese ont appris qu’ils étaient sur le point de perdre leur emploi, juste avant la période de fin d’année. C’est encore plus dur à avaler dans cette période difficile d’insécurité, de distanciation sociale et de chômage temporaire, où tout le monde a consenti des efforts supplémentaires. Sauf les actionnaires apparemment. Suite à cette annonce, Yoko Cheese a fermé ses portes toute la semaine, afin de permettre aux travailleurs de se remettre de leurs émotions et de reprendre le travail en pleine forme la semaine suivante. Quelle compassion de la part de la direction… Le lundi 14 décembre, une concertation entre la direction et les syndicats a eu lieu. La seule revendication des syndicats était une prime afin d’encourager le personnel concerné à poursuivre le travail. La direction a encore une fois laissé voir son bon côté. « On a demandé une prime d’encouragement de 1.200 €, comme elle a déjà été payée à Campina Lummen », dit Nicole Houbrechts. « Or, la direction a proposé une prime de 400 € bruts, dont 30 % sur la fiche de paie et 70 % lors du départ. Quand nos délégués ont attiré l’attention sur la prime à Lummen, un membre de direction a fait la déclaration maladroite que là il s’agissait d’employés qui représentaient une plus grande valeur ajoutée dans l’entreprise. Un peu plus tard, cette prime a été portée à 450 €, mais les dégâts étaient déjà trop importants. Cerise sur le gâteau, une production de 99 % a été liée à cette prime. Ce taux est déjà difficilement réalisable dans des circonstances normales. » Suite à cette réunion, les travailleurs se sont mis en grève. Vu la période du Coronavirus, il leur a été demandé de rester à la maison, plutôt que de s’installer devant les portes de l’usine, à l’exception d’une poignée de personnes. La grève a duré jusqu’au 21 décembre. La direction a fini par céder aux revendications syndicales. Une prime a été prévue pour les ouvriers, conformément aux primes antérieures octroyées aux employés. Actuellement, le personnel a repris le travail et attend dans l’insécurité la suite de la procédure et le plan social. Pour Horval, il est inacceptable qu’une entreprise fasse sombrer 250 familles dans l’insécurité financière pour engranger davantage de bénéfices en faveur d’une poignée d’actionnaires. La FGTB Horval sera toujours là pour défendre les intérêts des travailleurs ! Horval 28 N° 1 • Janvier 2021 Alimentation / Horeca / Services La FGTB Horval solidaire avec le syndicat BACKUS Pratiques anti-syndicales d’AB InBev au Pérou Nous avons déjà mis en évidence l’attitude antisyndicale de l’entreprise AB InBev dans de nombreux pays et plus particulièrement au Pérou. Au fur et à mesure des fusions et de la globalisation du groupe, la culture de concertation sociale à la belge d’AB InBev, premier groupe brassicole mondial historiquement belge, s’est dissoute. AB InBev devient un gigantesque mastodonte qui ne supporte ni critique, ni opposition. La forme peut différer selon les pays, mais le fond et la démarche sont toujours les mêmes : écraser l’opposition, les « fauteurs de troubles », liquider les syndicalistes qui osent s’opposer à la politique du groupe, diviser le monde du travail et s’appuyer sur des organisations syndicales consensuelles, à l’écoute de la direction de l’entreprise. C’est vrai en Belgique, rappelons-nous du dossier AB InBev Jupille, c’est vrai au Pérou. Le parallélisme des réactions du groupe est frappant ! Au Pérou, AB InBev veut licencier le Secrétaire Général du syndicat BACKUS (filiale d’AB InBev), Luis Saman. L’entreprise dépose également plainte pour diffamation contre ce dernier en exigeant de très gros dédommagements (ce type de plainte peut coûter très cher et valoir de la prison). En Belgique, AB InBev a fait interdire l’exercice légitime de la grève par le tribunal et a demandé des astreintes contre les délégués FGTB, assorties de saisies mobilières. Une entreprise multinationale qui dégage des milliards de bénéfices a voulu saisir les meubles de ses travailleurs qui gagnent moins de 2.000 € par mois… Nous devons réaffirmer très fort certains principes : un syndicaliste n’est pas un terroriste ! Le droit de grève doit être respecté et protégé ! Nous devons construire l’union des travailleurs dans la lutte contre ces pratiques antisyndicales d’AB InBev partout dans le monde ! La FGTB Horval affirme sa solidarité et son soutien à ses camarades syndicalistes de BACKUS du Pérou et à son Secrétaire Général Luis Salman. Commission paritaire 119 Enfin un accord sectoriel ! Les confinements successifs ont démontré quels emplois et quels secteurs sont essentiels pour notre société. Le commerce alimentaire en fait partie. On a beaucoup entendu parler, à juste titre d’ailleurs, des employés des supermarchés qui ont dû poursuivre le travail dans des conditions compliquées et angoissantes. Or, il n’a jamais été question de la chaîne logistique qui a permis que les supermarchés soient approvisionnés. Pour la FGTB Horval, la reconnaissance de ce travail était indispensable ! Depuis le début, les fédérations patronales (COMEOS, UNIZO, UCM) se sont cachées derrière la diversité du secteur, qui se compose aussi bien de très petites que de très grandes entreprises. Elles ont prétendu que c’était la raison pour laquelle il était impossible de conclure un accord sectoriel. Pour les employeurs, la diversité était une raison suffisante pour éviter un quelconque accord. Ce n’est qu’après le dépôt d’un préavis de grève du front commun syndical que le dialogue a été à nouveau envisageable. Après des négociations très compliquées et très dures, un accord a pu être conclu. Premièrement, tous les jours de chômage temporaire ont été assimilés pour le calcul de la prime de fin d’année. Deuxièmement, un accord de solidarité a été trouvé : tous les jours de chômage temporaire en raison du Coronavirus, compris entre la période du 31 mars 2020 au 31 mars 2021 seront pris en compte. Enfin, une indemnité de 1,6 € par jour de chômage temporaire sera payée au travers du Fonds social. Lors de crises comme celle que nous traversons, les Fonds sociaux sont des acteurs essentiels pour la protection des travailleurs. n HASTA LA VICTORIA SIEMPRE ! N° 1 • Janvier 2021 29 2020 Une année exceptionnelle en tous points 2020 a enfin tiré sa révérence. Cette année aura été exceptionnelle en tous points. Des joies, des peines, des séparations douloureuses sans pouvoir dire au revoir à nos proches. Une année au cours de laquelle chacun a pu redécouvrir l’autre, dans un contexte de crise où toutes nos certitudes et habitudes ont été ébranlées. Souvent de belles surprises, une solidarité que l’on croyait oubliée et qui ressurgit de manière rassurante ! De temps en temps, par contre, des déceptions, du repli sur soi, de l’exclusion. La mise en place de mesures sanitaires, un confinement, des quarantaines… qui surfent souvent avec les limites de nos libertés fondamentales. Un système capitaliste qui montre sa fragilité et son cynisme, où les intérêts humains de santé ont été durement écornés et mis en concurrence insolente avec les intérêts économiques. Une mise en avant aussi des métiers les plus essentiels à notre survie, ceux les moins valorisés tant financièrement qu’humainement. Heureusement, un début de reconnaissance nécessaire, essentielle mais pas suffisante encore, pour tous ces métiers. Que formuler comme vœux pour 2021 ? Un changement profond ! Une solidarité plus grande, une rupture par rapport aux schémas capitalistes habituels. Une société centrée sur l’humain. Une société qui se donne les moyens de vaincre les pandémies, pas uniquement de manière curative, mais aussi surtout en les anticipant et en les évitant, notamment en respectant notre planète. L’urgence immédiate ? Vaincre cette pandémie. N’hésitons pas à utiliser les moyens mis à disposition pour cela (gestes barrières, vaccins…) tout en préservant nos libertés fondamentales. En 2021, plus que jamais, soyons au cœur de notre futur. Soyons acteurs du changement de notre société pour que nous puissions recommencer une vie humaine, faite de relations sociales riches, de solidarité et d’amitié ! Bonne année 2021, prenez soin de vous ! In memoriam Jean-Pierre Peutat, Secrétaire Permanent SETCa Verviers Cette année 2020 s’est achevée de manière encore plus grise qu’elle ne l’était déjà : avec l’annonce du décès de notre camarade et collègue Jean-Pierre Peutat, qui a occupé durant plus de 20 ans le poste de Secrétaire Permanent au sein de notre section de Verviers. Avec son empathie débordante et sa chaleur humaine, il faisait partie de ces personnes qui marquent directement le cœur et l’esprit à la première rencontre. Jean-Pierre a commencé sur le terrain en tant qu’éducateur à « La cité de l’espoir », un centre d’éducation et d’hébergement. C’est là qu’il a embrassé le début de sa carrière syndicale en devenant délégué. Il a ensuite intégré le service formation du SETCa Fédéral durant plusieurs années. C’est en 1995 qu’il a rejoint la section régionale de Verviers pour devenir Secrétaire Permanent. Il avait notamment en charge le secteur du Non Marchand et s’est investi dans de nombreux combats syndicaux, dont ceux menés au sein de « La cité de l’espoir », l’importante institution de la CP 219 où il avait fait ses débuts. Jean-Pierre combattait la maladie avec courage, dignité et détermination depuis plusieurs années. Son professionnalisme, sa force tranquille, son écoute, sa fraternité, sa loyauté et sa discrétion resteront en nos mémoires. Au revoir, camarade. SETCa 30 N° 1 • Janvier 2021 Les résultats Allons droit au but : s’ils doivent choisir, 68 % des travailleurs sondés préfèrent travailler de la maison. Selon eux, les principaux avantages du télétravail sont (par ordre) : le gain de temps (35 %), un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle (26,5 %), plus de calme (10 %) et l’impact environnemental (9 %). Mais il y a aussi des inconvénients (par ordre) : l’isolement (32,13 %), le manque de confort à la maison (20 %) et le sentiment de devoir être plus disponible à la maison qu’au travail (13 %). Avant la crise du Corona, environ 60 % des répondants avaient déjà accès au télétravail au sein de leur entreprise. 86 % d’entre eux voudraient qu’il soit élargi. 82 % des travailleurs pour lesquels le télétravail n’existe pas encore de manière structurelle désireraient que cette possibilité soit introduite au sein de leur entreprise. Il est évident que l’accès au télétravail est important pour vous. Pourtant, 1 personne sur 4 utilise son propre matériel à la maison pour travailler. Les outils les plus plébiscités sont le PC portable et l’accès à une ligne internet. 86 % des sondés estiment que le télétravail permet d’avoir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Notons toutefois que 20 % des participants estiment que le télétravail a une incidence négative sur leur vie privée. C’est pas moins d’1 travailleur sur 5. 2020 a été l’année où le Coronavirus a frappé sans pitié dans notre pays. Lorsque la Belgique a été confinée, le télétravail a été rendu obligatoire pour de très nombreuses personnes. Bien sûr, le télétravail existe depuis plus longtemps, mais l’obligation a forcé une percée dans les entreprises où il n’était pas possible jusqu’ici. Le télétravail est en tout cas appelé à rester. Nous avons dès lors voulu savoir comment vous le vivez. En octobre, nous avons lancé notre enquête « Télétravail : stop ou encore ? ». Vous avez réagi en masse à notre appel et avez été nombreux à compléter l’enquête. L’objectif était clair : quelles sont vos attentes ? Voulez-vous étendre ou encadrer le travail à domicile dans les entreprises où nous vous représentons ? Voudriez-vous que le télétravail soit élargi (plus de jours ou d’heures par semaine) au sein de votre entreprise ? Voudriez-vous que le télétravail soit mis en place de manière structurelle au sein de votre entreprise ? D’après votre expérience, le télétravail est-il un plus pour assurer un meilleur équilibre entre votre vie privée et votre vie professionnelle ? g Oui g Non 31 N° 1 • Janvier 2021 Environ la moitié des sondés pensent également travailler plus efficacement à la maison et être donc plus productifs. 12 % ont en revanche le sentiment d’être moins productifs. 35 % ne remarquent aucune différence. Bien que le télétravail soit donc ressenti positivement pour l’équilibre vie privée/vie professionnelle, 36 % des sondés se sentent isolés des collègues mais aussi des réalités de l’entreprise. Vu l’importance du contact, 85 % des travailleurs disent entretenir régulièrement des contacts avec les collègues au moyen de la visioconférence, du chat d’entreprise, d’appels téléphoniques ou par mail. Stop ou encore ? Le télétravail présente clairement des avantages et des inconvénients. Pour certains travailleurs, le télétravail offre des avantages tels que la mobilité ou une meilleure adéquation avec la vie de famille. D’un autre côté, une telle augmentation de la flexibilité et de la disponibilité peut générer du stress. La CCT n° 85 confère déjà un certain cadre. Il est nécessaire de négocier des balises au télétravail afin de prévenir les abus. Le télétravail doit dès lors être organisé en concertation avec la délégation syndicale afin de prévoir les garanties et compensations nécessaires (santé, charge psychosociale, fréquence, compensations). C’est pourquoi un accord sectoriel, contraignant sur le plan de l’entreprise, doit être conclu. Le télétravail ne peut en aucun cas entraîner une disponibilité constante des travailleurs. Pour que le télétravail soit au top pour tous, il faut un fonctionnement syndical optimal. Merci à tous ceux qui ont pris le temps de compléter notre enquête ! n Télétravail : stop ou encore ? SETCa 32 N° 1 • Janvier 2021 De quoi s’agit-il ? En tant que travailleur — sous contrat dans le secteur privé — vous avez le droit de vous absenter à la suite de la naissance de votre enfant. Vous pouvez prendre un congé de naissance si vous établissez la filiation de l’enfant à votre égard ou, pour les co-parents, si au moment de la naissance, vous êtes marié/vous cohabitez légalement avec la personne à l’égard de laquelle la filiation est établie, ou encore si vous habitez depuis au moins 3 ans (préalablement à la naissance) de façon ininterrompue et affective avec la mère de l’enfant, chez qui l’enfant à son domicile principal. Un seul travailleur a droit au congé de naissance. S’il existe par ailleurs un lien de filiation avec le père, il n’y aura qu’un droit au congé dans le chef du père. Combien de jours ? Vous avez droit à : • 10 jours en cas de naissance d’un enfant avant le 1er janvier 2021 ; • 15 jours en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2021 et avant le 1er janvier 2023 ; • 20 jours de congé de naissance en cas de naissance d’un enfant à partir du 1er janvier 2023. Comment prendre vos jours de congé ? Vous pouvez choisir et répartir librement vos jours de congé. Ils ne doivent pas nécessairement être pris en une fois. Seule condition : vous devez les prendre dans les 4 mois qui suivent l’accouchement. En cas de naissance de jumeaux ou de naissance multiple, vous n’avez droit qu’une seule fois au congé de naissance. Allocation Pendant les 3 premiers jours de votre congé de naissance, vous conservez votre rémunération complète à charge de l’employeur. Prévenez au préalable votre employeur de l’accouchement et de votre souhait d’exercer votre droit au congé de naissance. Prévenez-le de nouveau lors de la naissance. Remettez-lui les preuves nécessaires : copie du certificat de naissance (que vous recevez lorsque vous déclarez la naissance à la commune) et, le cas échéant, une copie de l’acte de mariage, une preuve de cohabitation ou un extrait du registre de la population. Au cours des jours suivants du congé de naissance (max. 7 jours pour les naissances antérieures au 01/01/2021, max. 12 pour les naissances à partir du 01/01/2021, max. 17 pour les naissances à partir du 01/01/2023), vous ne percevrez pas de rémunération, mais une allocation vous sera versée par votre mutualité. Introduisez une demande auprès de votre mutualité et remettez-lui toutes les informations demandées. Votre employeur communique le salaire sur la base duquel les allocations doivent être calculées. Votre mutualité vérifie, calcule et verse votre allocation. Bon à savoir : • Le montant de cette allocation est fixé à 82 % du salaire brut perdu, avec un plafond (brut) de 120,52 € par jour. Sur ce montant, votre mutualité retient un précompte professionnel (11,11 %). Pour l’adaptation à l’index de ce montant, consultez le site web de l’INAMI J www.inami.fgov.be (voir thème « Grossesse et naissance », « Montants et plafonds des indemnités »). • Les impôts finaux sur cette allocation ne seront portés en compte que 2 ans plus tard, lors du décompte final de vos impôts. Certains secteurs ou certaines entreprises prévoient par CCT plus que 3 jours avec maintien de la rémunération. L’employeur se charge alors pour les autres jours de régler la différence entre votre salaire et les allocations de la mutualité. Informez-vous auprès de votre employeur, de votre délégué et/ou de votre régionale FGTB. Protection contre le licenciement Sauf pour des motifs étrangers à la prise du congé de naissance, votre employeur ne peut pas mettre fin, de façon unilatérale, à votre contrat de travail à partir du moment où il a été averti par écrit (conservez donc toujours une preuve), et ce jusqu’à 3 mois après cet avertissement. En cas de non-respect de cette protection contre le licenciement, votre employeur vous serait redevable d’une indemnité forfaitaire égale à la protection brute de trois mois, outre l’indemnité compensatoire de préavis qui serait éventuellement due. n Congé de naissance 15 jours à partir de cette année Le congé de naissance sera relevé progressivement. En tant que travailleur père ou co-parent, vous avez maintenant droit à 15 jours de congé de naissance si votre enfant est né à partir du 1er Question/réponse janvier 2021. N° 1 • Janvier 2021 33 ÉMISSION TV « REGARDS » 1960-1961 Faits d’hiver L’émission télévisée « Regards », diffusée ce mois-ci sur les trois chaînes de la RTBF, vous propose un document exceptionnel : « Faits d’hiver », un film inédit de Paul Meyer (25 mn). Consacré à la grève de l’hiver 1960-1961, ce documentaire a été réalisé en 1990 par le grand cinéaste belge, auteur en 1959 du film « Déjà s’envole la fleur maigre ». Produit par la FGTB wallonne à l’occasion du 30e anniversaire de ce qu’on appelait à l’époque « la grève du siècle », ce film n’a connu que quelques projections publiques à sa sortie. La FGTB wallonne le remet en lumière aujourd’hui, alors que Paul Meyer aurait tout juste 100 ans et que l’on commémore le 60e anniversaire de la grève de ’60. « Faits d’hiver » nous en apprend beaucoup sur cet événement important de l’histoire sociale, avec la résistance syndicale et populaire à la « Loi unique », l’action d’André Renard et de la FGTB, les débats sur le fédéralisme et le contexte social et politique de l’époque. Mais il nous parle aussi, avec une singulière actualité, des politiques d’austérité, des violences policières, de la répression des mouvements sociaux, des attaques contre les syndicats et le droit de grève. Déjà diffusé à la RTBF en décembre dernier, il sera rediffusé plusieurs fois en février 2021. Voici la programmation en février – émission télévisée « Regards » : Samedi 13 février à 10h sur La Une Mercredi 17 février à 23h10 sur Tipik Jeudi 18 février à 24h05 sur La Trois Jeudi 18 février à 23h30 sur La Une (extrait de 10 mn) Lundi 22 février à 23h45 sur La Trois (extrait de 10 mn) Y EmissionREGARDS f regards.emissiontv Une affiche Agenda commune pour promouvoir la FGTB Luxembourg Un support de communication ? Différentes propositions ont été faites aux participants, à savoir la réalisation d’une vidéo, l’écriture d’un tract, la création d’un visuel à destination des réseaux sociaux… Au final, le choix s’est porté sur l’élaboration d’une affiche syndicale commune à toutes les entreprises luxembourgeoises. Le travail s’est décliné en la recherche : • d’un slogan : « La FGTB Luxembourg au cœur de vos attentes… Notre engagement quotidien ! » ; • d’un visuel propre à la région : la carte de la province ; • et d’une couleur en rapport avec le syndicat socialiste : le rouge. Auxquels sont venus se joindre plusieurs logos. Le résultat donne l’affiche ci-jointe. Réalisée par des travailleurs pour des travailleurs. Plusieurs de nos candidats l’ont d’ailleurs utilisée durant leur campagne. Et encore aujourd’hui, pour promouvoir la FGTB Luxembourg. n Le CEPPST — l’ASBL d’éducation permanente de la FGTB Luxembourg — a organisé, avant les débuts de la crise Covid, une formation à destination de délégués en entreprise. Le cadre posé, à savoir les futures élections sociales 2020, l’objectif était de réfléchir à la conception d’un support de communication propre à la province. Régions 34 N° 1 • Janvier 2021 CEPAG Cycle « La santé dans tous ses états » La crise sanitaire nous a touché de plein fouet. Ses conséquences sur notre vie sociale mais aussi au travail se feront sentir pendant longtemps. Dans ce contexte, et en tenant compte de la crise socio-économique qui s’annonce, le CEPAG a lancé, en octobre dernier, un cycle de réflexion sur la santé. Nos rendez-vous en 2021 • Vendredi 29 janvier : Réintégration des malades de longue durée • Vendredi 26 février : 5G et ondes électromagnétiques : quels dangers ? • Vendredi 26 mars : Dix ans de politiques sanitaires • Vendredi 23 avril : Conditions de travail dans les secteurs de la santé En raison de la situation sanitaire actuelle, les activités du cycle sont actuellement orgnaisées en ligne, sous forme de webinaires. Consultez le site J www.cepag.be ou la page FB f CEPAGasbl pour les informations pratiques. OPINIONS FGTB LA PREMIÈRE (RTBF) Soulèvements populaires au Sud : un nouveau « printemps des peuples » ? Insurrections, révoltes, soulè-vements populaires : de nombreux pays du Sud sont secoués par des mouvements sociaux de (très) grande ampleur. Exemple : en Inde, le soulèvement a donné lieu en novembre dernier à la plus grande grève de l’Histoire. Et au Nord, pendant ce temps-là ? On s’en tamponne, ou presque. Très peu d’écho dans nos médias, sans doute trop occupés par l’état d’urgence sanitaire pour observer avec un peu d’attention les raisons et enjeux des dynamiques sociales à l’œuvre. Au micro d’Opinions FGTB, Frédéric Thomas, chargé d’études au Centre tricontinental (CETRI), qui vient de codiriger la publication, aux Éditions Syllepse, d’un ouvrage collectif consacré à ces soulèvements populaires au Sud. Assisterait-on à une « mondialisation de la protestation sociale », un nouveau « printemps des peuples » ? Une séquence radio (7 mn) à écouter et partager ici : J www.fgtb-wallonne.be/ outils/radio/soulevementspopulaires-sud-nouveauprintemps-peuples f www.facebook.com/ fgtbwallonne/posts/ 2591807114277257 t twitter.com/FGTBwallonne/ status/1350088078120071173 LIÈGE-HUY-WAREMME Séances d’infos sur le contrôle de la disponibilité des chômeurs En janvier : 25 – 26 – 28 – 29 En février : 22 – 25 – 26 À quelle heure ? De 13h30 à 14h30 Où ? FGTB Liège-Huy-Waremme Place Saint-Paul 9 – 11 4000 Liège Inscriptions obligatoires 04/221.96.05 ou @ dispo.liege@fgtb.be Séances organisées dans le strict respect des mesures Covid. WALLONIE PICARDE Comment contacter la FGTB Wallonie Picarde ? Pour rappel, vous pouvez nous joindre : @ Par e-mail tournai@fgtb.be mouscron@fgtb.be antoing@fgtb.be ath@fgtb.be blaton@fgtb.be comines@fgtb.be (pour les agences de Comines et du Bizet) dottignies@fgtb.be lessines@fgtb.be leuze@fgtb.be peruwelz@fgtb.be ( Par téléphone (call center) 069/881.881 du lundi au jeudi de 8h30 à 12h et de 13h30 à 16h30 Par Facebook f FGTB Wallonie Picarde Rédaction : Syndicats Rue Haute 42 1000 Bruxelles E-mail : syndicats@fgtb.be Nicolas Errante, Rédacteur en chef Tél. : 02 506 82 44 Aurélie Vandecasteele, Journaliste Tél. : 02 506 83 11 Secrétariat : Sabine Vincent Tél. : 02 506 82 45 Service abonnements : 02 506 82 11 Ont collaboré à ce numéro : Vinnie Maes Annelies Huylebroeck Karen de Pooter Mada Minciuna Thomas Keirse Arnaud Dupuis Antonina Fuca Photos : iStock Shannon Rowies (action Champagne) Mise en page : ramdam.be cepag.be N° 1 • Janvier 2021 35 LA RESPONSABILITÉ CIVILE LA MINI OMNIUM LA MAXI OMNIUM RECEVEZ 20% DE RÉDUCTION SUR LA PRIME DE 3 GARANTIES PENDANT UN AN ! 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L’assurance Actelanity fait l’objet d’exclusions, de limitations et de conditions applicables au risque assuré. Nous vous invitons donc à lire attentivement les conditions générales applicables à ce produit avant de le souscrire. Elles sont à votre disposition via le site internet www.actelanity.be/cgauto ou sur simple demande auprès d’un conseiller de notre contact center. Le contrat d’assurance est conclu pour une durée d’un an avec possibilité de reconduction tacite. En cas de plainte éventuelle, vous pouvez contacter un conseiller de notre contact center au 0800/49 490, votre interlocuteur privilégié pour toutes vos questions. Il fera tout son possible pour vous aider au mieux. Vous pouvez aussi prendre directement contact avec notre service Gestion des Plaintes qui examinera votre plainte ou remarque avec la plus grande attention. Nous concilierons au mieux les di érentes parties et essayerons de trouver une solution. 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Concerne : préavis de grève
Depuis le début de l’année déjà la FEB envoie une lettre type aux Régionales et aux Centrales ayant déposé un préavis de grève couvrant toutes les actions durant une période déterminée voire indéterminée.
Cette lettre avance comme affirmation que pareil préavis de grève n’est pas légal (quod non).
La présente note tient à préciser la règlementation relative aux préavis de grève.
La règlementation relative aux préavis de grève
Le Comité de la liberté syndicale auprès de l’OIT permet de conditionner les grèves à un préavis de grève.
Néanmoins, la Belgique ne connaît aucune disposition légale imposant pareille condition.
Dans son article 6 § 4, la Charte sociale européenne dit explicitement que le droit de grève peut être exercé sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur.
En Belgique, il n’y a pas de convention collective interprofessionnelle de travail sur le droit de grève (y compris le préavis de grève), mais il y a des conventions collectives sectorielles de travail.
Le champ d’application de pareille CCT sectorielle est cependant limité à des actions sectorielles. Ce qui est explicitement mentionné, comme par ex. dans la CCT conclue le 29 novembre 2012 au sein de la CP 116, visant à garantir la paix sociale, qui dit :
“ Elle ne s’applique pas en cas d’actions interprofessionnelles, décidées au niveau des instances compétentes des organisations signataires ”
Le Gentlemen’s agreement de 2002 stipule dans un protocole additionnel « Protocole d’accord en matière de règlement des conflits collectifs » uniquement que les organisations de travailleurs s’engagent à recommander à leurs membres de respecter « les procédures de notification de grève ». Il convient d’interpréter ceci comme suit : respecter la procédure de notification de grève là où une procédure de notification de grève existe.
Les arguments avancés par la FEB
Selon la FEB, un préavis de grève n’est valable que s’il remplit plusieurs conditions cumulatives :
– respecter préalablement le délai de préavis convenu;
– annoncer le lieu, le jour et le moment précis des actions;
– indiquer pour quelles catégories de travailleurs le préavis de grève est applicable;
– annoncer la nature et l’ampleur de l’action syndicale ;
– avoir pour objet une revendication spécifique et clairement exprimée .
.
Analyse
Aucune législation, aucune CCT interprofessionnelle ne contient une base permettant à la FEB de formuler des conditions qu’un préavis de grève devrait remplir. Et encore moins de parler de l‘obligation du préavis de grève même.
De facto, en ce qui concerne les actions interprofessionnelles, la coutume veut qu’un préavis de grève soit déposé. A nos connaissances, pareil préavis de grève n’a jamais été contesté ni soumis à des conditions quant à son contenu.
Pour ne citer qu’un premier exemple : un préavis de grève a été communiqué à la FEB pour une manifestation en front commun, prévue le 2 décembre 2011. Comme ‘revendication spécifique et clairement exprimée’ ce dernier mentionnait uniquement “les mesures d’économie annoncées par le futur gouvernement”. Le moment précis de l’action n’était pas non plus annoncé, le préavis disait uniquement que la manifestation devait avoir lieu à Bruxelles le 2 décembre 2011. L’ampleur n’était pas non plus annoncée.
Autre exemple : le préavis de grève pour la journée d’action du 21 février 2013, annonçant ‘des actions de sensibilisation à Bruxelles’. Dans ce cas-ci, l’ ampleur n’a pas été annoncée non plus.
Le préavis concernant le plan d’action de novembre et de décembre mentionne, comme ‘revendication spécifique et clairement exprimée’ uniquement ‘l’accord de gouvernement communiqué’. En ce qui concerne le lieu, l’ampleur et le moment précis des actions, le préavis ne mentionnait que les provinces et les dates, mais à nouveau pas l’ampleur.
L’exemple le plus récent est bien la lettre que la FGTB a envoyée le 11 mars à la FEB et qui dit uniquement ‘que des actions syndicales pourraient être menées dans les jours à venir jusqu’à la date du 3 avril 2015 afin de sensibiliser nos militants face aux mesures du gouvernement’. Cette lettre n’a pas rencontré de réaction spécifique de la part de la FEB, malgré le fait qu’ici non plus les conditions avancées par la FEB n’étaient pas non plus remplies.
Conclusion
Nous savons depuis longtemps que, quand il s’agit d’entraver des actions syndicales, les organisations patronales font preuve d’imagination et de créativité.
Dans ce cas précis, il n’existe aucune base juridique permettant à la FEB de dire qu’un préavis de grève n’est valable que s’il remplit plusieurs conditions.
Ces conditions doivent être lues comme ‘wishful thinking’ patronal (prendre ses rêves pour réalité) ni plus ni moins.
La judiciarisation du droit de grève
Une pratique illégale préjudiciable au droit fondamental des travailleurs
Mémoire réalisé par
François-Xavier LIEVENS
Promoteur
Filip DORSSEMONT
Année académique 2016-2017
Master en droit
Remerciements
Pour sa disponibilité et ses nombreux conseils avisés, que trouve ici l’expression de mes sincères remerciements Monsieur Dorssemont, promoteur de ce mémoire.
Pour le temps qu’ils ont passé à relire ce travail, que trouvent ici l’expression de ma gratitude les membres de ma famille ainsi que Merlin, Charles et Morgane.
Pour le soutien continuel et mutuel durant les dernières semaines d’écriture, que trouvent ici l’expression de mon amitié Romain, Antoine et Merlin.
Sommaire
Introduction 1
Chapitre 1er. Droit d’action collective et de grève 7
Section Ire. Sources 7
Section II. Définition et étendue de la protection juridique 10
Chapitre 2. Office du juge 17
Section Ire. Compétence 17
Section II. Procédure : requête unilatérale 24
Chapitre 3. Confrontation et conciliation
des droits et libertés en présence 27
Section Ire. Droits et libertés invoqués par l’employeur 27
Section II. Outils de conciliation des droits et libertés 33
Section III. Résolution 42
Chapitre 4. Perspective critique et épistémologique 55
Conclusion 59
Abstract
Ce mémoire défend la thèse que la judiciarisation du droit de grève est une pratique illégale qui constitue une atteinte au droit fondamental des travailleurs. Nous analysons cette thématique et portons notre position en quatre étapes.
La première détaille l’état actuel du droit de grève (sources et caractéristiques) et propose une définition téléologique de ce droit qui protège les piquets et les occupations d’entreprise.
La deuxième étape conteste la compétence des Cours et Tribunaux. Nous défendons qu’un juge ne peut pas limiter une modalité de la grève sans toucher ipso facto au conflit collectif, ce qui lui est interdit. La procédure en référé et l’usage de la requête unilatérale ne sont pas acceptables parce qu’elles requièrent que le défenseur puisse introduire un recours pour présenter ses arguments au fond, ce qui n’est pas envisageable dans ce cas vu la réalité du conflit social.
La troisième étape confronte les droits et libertés invoqués par l’employeur avec le droit de grève des travailleurs et conclut que ce dernier prévaut. Nous y analysons que seul le droit de propriété est fondamental, au même titre que la grève, tandis que les autres libertés sont de valeur légale (liberté d’entreprendre, liberté de travailler, liberté d’exécuter ses contrats commerciaux et de consommation). La théorie de l’abus de droit est inadaptée pour évaluer la grève mais permet de limiter l’invocation du droit de propriété. Les autres libertés civiles ne remplissent pas les conditions de la Charte sociale européenne pour pouvoir restreindre le droit de grève.
La quatrième étape étudie la problématique sous l’angle épistémologique. Nous observons un retour et une utilisation par l’employeur du paradigme individualiste du droit civil dans un domaine réservé au paradigme holistique du droit social. Employeur et juge remettent ainsi en cause les principes fondateurs du droit du travail.
It is not good for trade unions that they should be brought in contact with the courts,
and it is not good for the courts.
W. CHURCHILL
House of Commons, 30 mai 1911 Débat sur le projet de loi sur les syndicats
Introduction
Ce mémoire a pour thème la judiciarisation du droit de grève. Avant d’exposer ce sujet et de préciser les contours de notre étude, un avertissement liminaire doit être posé, et deux notions doivent être situées dans leurs contextes, la judiciarisation, d’une part, la grève, d’autre part.
Avertissement liminaire
Le droit, en tant que science, tend vers l’objectivité dans sa recherche de la vérité. Mais notre objet d’étude – l’ensemble des règles, leur interprétation et leur application – n’est pas neutre. Les lois, les règlements, les décisions judiciaires, sont imprégnés d’un contenu et d’idées politiques. Les autorités investies d’un pouvoir normatif adoptent des règles qui reflètent nécessairement des conceptions et un idéal de société. Cette impossible neutralité axiologique vaut tant pour l’objet d’étude – la législation et la jurisprudence – que pour la personne qui l’étudie – le juriste, la doctrine. Les juristes, comme tout être humain, possèdent des idéaux et des valeurs. La science n’en demeure pas moins rationnelle. La raison du droit pose des balises, une méthodologie, des principes, qui permettent de considérer un argument ou une hypothèse comme recevable sur le plan juridique. Mais les meilleurs raisonnements juridiques seront toujours émis par des auteurs qui restent des êtres humains et qui, par là même, ne peuvent pas faire l’impasse absolue sur leurs convictions. La question que nous aborderons dans ce mémoire en est un exemple criant. La grève déchaîne les passions1. Droit utilisé de manière abusive pour les uns, expression légitime des travailleurs pour les autres, les raisonnements formulés dans ce domaine laissent transparaître les orientations idéologiques de leurs auteurs. Il en va de même pour les juges à la lecture de leurs décisions2. Cet avertissement préalable nous concerne : prétendre la neutralité de ce mémoire serait au mieux naïf, au pire malhonnête. Mais la perspective de notre étude demeure juridique. Et nous ne dérogerons pas à ce principe.
Judiciarisation
La judiciarisation est un phénomène général dans notre société, elle n’est pas propre à la contestation du droit de grève. Ce terme désigne une réalité récente : « le recours de plus en plus systématique à des instances juridictionnelles pour le traitement de questions ou de difficultés qui,
1 L. FRANÇOIS, Théorie des relations collectives du travail en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1980, p. 47.
2 V. VANNES, Le droit de grève : concilier le droit de grève et les autres droits fondamentaux. Recours au principe de proportionnalité ?, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2015, p. 619.
naguère encore, y échappaient presque totalement »3. Le recours à un juge se remarque dans des domaines tels que l’enseignement, la médecine, la culture ou la cohabitation entre voisins, par exemple4. Cette tendance a fini par toucher la vie des entreprises et les conflits collectifs, par le biais de la contestation judiciaire des modalités de la grève. La judiciarisation n’est pas sans poser des questions fondamentales : tous les conflits doivent-ils être tranchés en droit ? Faut-il un arbitre dans tous les litiges ? Le juge est-il l’arbitre idéal ? Ces interrogations poussent à considérer ce phénomène avec circonspection sinon suspicion.
Grève et démocratie
Comprendre la notion et l’importance de la grève dans notre société nécessite de parler de démocratie, tant sur un plan économique et social que politique. Pour l’aspect économique et social, la grève est intrinsèquement liée aux structures des entreprises dans une économie capitaliste. Le propre de ce système est d’attribuer la direction des entreprises aux propriétaires des moyens de production5. Pour subsister, les travailleurs doivent nécessairement conclure des contrats de travail6. La relation de travail, établie théoriquement entre gens libres et égaux, trouve en pratique sa principale caractéristique dans le lien de subordination. Ce rapport hiérarchique induit l’inégalité structurelle du monde de l’entreprise. À cette inégalité, s’adjoint une conflictualité latente parce que patron et travailleurs n’ont pas les mêmes intérêts : le premier doit faire fructifier le capital investi tandis que les seconds espèrent les meilleures conditions de rémunération et de travail7. La répartition des gains de l’entreprise demeure donc une lutte continuelle, même en l’absence de conflit apparent. De plus, en situation de conflit social, le patron, outre son autorité légale, peut attendre et vivre du capital de l’entreprise, tandis que les travailleurs n’ont, par hypothèse, que leur travail pour vivre8.
Pour rééquilibrer le rapport de force structurellement favorable à l’employeur, la grève est nécessaire parce qu’il ne peut y avoir de négociation qu’entre égaux9. Et elle est efficace parce qu’elle frappe l’entreprise au cœur : les intérêts économiques. Partant, elle constitue « la pierre angulaire
3 G. DEMEZ, « La judiciarisation des conflits sociaux », in Dynamique de la concertation sociale, Bruxelles, CRISP, 2015,
p. 491.
4 É. BREWAEYS, B. LIETAERT et K. SALOMEZ, « Het kort geding bij collectieve arbeidsconflicten », in Collectieve conflicten (sous la dir. de P. HUMBLET et G. COX), Malines, Kluwer, 2012, pp. 207-208.
5 F. EWALD, L’État providence, Paris, Grasset, 1986, p. 123.
6 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, « Le droit de grève : un droit fondamental remis fondamentalement en cause », in Actualités du dialogue social et du droit de grève, Journée d’études organisée à la Faculté de droit de l’UCL le 3 octobre 2008 en hommage au professeur Marcel Bourlard, Waterloo, Kluwer, 2009, pp. 47 et s.
7 Ibid., p. 48.
8 Ibid., p. 47.
9 Ibid.
d’un système de relations collectives qui, sans lui, écraserait les travailleurs »10. La grève n’est donc pas un accident ou le signe d’un échec, tout au contraire, elle constitue la condition de possibilité de la négociation collective et de la prise en compte des intérêts des travailleurs11. Cette reconnaissance de l’inégalité et de la conflictualité inhérentes à la relation de travail ont permis de bâtir des structures de négociation paritaire et une représentation des travailleurs, d’accepter la grève comme un fait légitime, de construire ainsi ce qu’il est permis d’appeler une « démocratie économique et sociale »12.
La critique actuelle de la grève insiste sur l’évolution de notre société et la circonstance que les travailleurs ne vivent plus l’enfer décrit par Zola. Il est indéniable que les dispositifs de démocratie économique, la Sécurité sociale et le suffrage universel ont permis d’améliorer significativement les conditions de vie de l’ensemble de la population occidentale. Néanmoins, l’inégalité structurelle et la conflictualité latente continuent de caractériser les rapports internes aux entreprises. La grève conserve donc toute sa pertinence pour vivifier la démocratie économique et sociale.
La grève est également un outil important de la démocratie politique à deux égards. D’un côté, elle est l’un des nombreux leviers qui ont permis d’établir et d’approfondir le caractère démocratique des institutions politiques13. Rappelons qu’avant 1893, le suffrage censitaire empêche la majorité de la population de voter, il faut ensuite attendre 1919 pour le suffrage masculin égalitaire et 1948 pour le suffrage universel. Cette évolution ne s’est pas faite en douceur : il aura fallu des grèves, des émeutes, et le sacrifice de milliers de citoyens sous les balles des forces de l’ordre belges et de l’armée allemande pour y parvenir. D’un autre côté, la grève est également un indice de la vitalité démocratique d’un État. La limitation voire l’interdiction de l’arme des travailleurs caractérise les régimes non-démocratiques, autoritaires voire dictatoriaux14. Il peut aussi bien s’agir des anciens États fascistes ou soviétiques, que d’entités consacrant une liberté économique absolue, comme la Belgique au XIXe siècle ou l’Union européenne actuellement15.
10 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., p. 49.
11 Ibid., p. 48.
12 Nous empruntons les mots au programme Les Jours heureux du Conseil national de la Résistance, cité par A. SUPIOT,
« Voilà l’‘économie communiste de marché’ », Le Monde, 24 janvier 2008, accessible sur le site internet www.lemonde.fr (consulté le 7 août 2017).
13 J.-L. STALPORT, « La grève violée », in Les conflits collectifs en droit du travail, solutions négociées ou interventions judiciaires ? (sous la dir. de J. GILLARDIN et P. VAN DER VORST), Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 157.
14 A. SUPIOT, « Rendre aux plus faibles la capacité d’agir », L’Humanité, 24 novembre 2007, accessible sur le site internet www.humanite.fr (consulté le 7 août 2017).
15 A. SUPIOT, « Voilà l’‘économie communiste de marché’ », op. cit. L’auteur fait référence aux arrêts Viking et Laval de la Cour de Justice de l’Union européenne.
La grève a ainsi longtemps été réprimée. Entre 1810 et 1866, l’article 415 du Code pénal incriminait les coalitions d’ouvriers et les grèves. L’asymétrie était totale : les possédants se voyaient garantir le droit de propriété et la liberté de commerce et d’industrie16, tandis que les libertés syndicale et d’action collective des travailleurs étaient entérinées dans le droit pénal. La disposition fut abrogée en 1866 et remplacée par l’article 310 du même Code, qui érigeait en infraction l’atteinte aux libertés de travail et d’industrie. La grève constituait donc une liberté en théorie mais un délit en pratique. Cette disposition n’est abrogée qu’en 1921, deux ans après la survenance du suffrage masculin égalitaire. La répression des actions collectives coïncide ainsi avec une période de notre histoire où le régime politique n’est pas, à proprement parler, une démocratie.
Aujourd’hui, le droit de grève se trouve en situation critique. Tandis que les médias ne parlent que des conséquences néfastes des actions sociales, le patronat individualise les travailleurs pour les diviser et les affaiblir17. Au Parlement, une large majorité considère que la grève est sujette à de nombreux abus18 et les partis libéraux proposent récurremment de rétablir une disposition similaire à l’article 31019. En sus, le dumping social et l’importance accrue des libertés de circulation menacent la démocratie économique. Ces vives attaques contre le droit de grève inquiètent pour la pérennité de notre démocratie. Cet exposé permet de situer l’importance de la grève comme enjeu de société.
Présentation du sujet et structure du mémoire
La judiciarisation du droit de grève est un phénomène survenu durant les années 198020. Les recours en justice patronaux ont pu prendre diverses formes mais la tendance actuelle est de privilégier les requêtes unilatérales en extrême urgence introduites auprès du Président du Tribunal de première instance21. Outre qu’il s’agisse d’un magistrat civil, les grévistes n’ont donc pas la possibilité de comparaître pour présenter leurs moyens justifiant la légalité de leur action. Dans leur requête, les employeurs demandent la protection de différents droits et libertés. Le plus souvent, il s’agit de leur droit de propriété, de leur liberté d’entreprendre, de la liberté de travailler des non- grévistes, et des droits et libertés des tiers (partenaires commerciaux et clients)22. Ces prérogatives
16 C. civ., art. 544 ; décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, art. 7.
17 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., pp. 55 et s.
18 Audition du 11 mai 2016 relative à la problématique du droit de grève, Procès-verbal fait au nom de la Commission des Affaires sociales, inédit, Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° SOC/005 ; pour un commentaire, voy. F. DORSSEMONT,
« De wetgever, het stakingsrecht en het recht te staken : een hoorzitting », Juristenkrant, 2016, pp. 12-13.
19 Voy. not. Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève,
Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2010-2011, n° 1565/001.
20 F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites du droit de grève en Belgique », in Droit de grève : actualités et questions choisies (sous la dir. de F. KRENC), Bruxelles, Larcier, 2015, pp. 12-13.
21 Ibid., p. 12.
22 N. BEAUFILS, « Droit de grève en bref : principes de base et nouvelles tendances », J.T.T., 2010, pp. 133 et s.
sont entravées par certaines modalités de la grève, en particulier les piquets de grève qui bloquent l’accès aux locaux et les occupations d’entreprises. La réponse des Cours et Tribunaux est à géométrie variable23. Certains refusent de connaître de ce type de demande24, d’autres en revanche sont enclins à interdire les modalités d’action collective25. Étant donné que le droit de grève est protégé par la Charte sociale européenne26, cette pratique judiciaire a pu être condamnée par le Comité européen des droits sociaux lors de contrôles réguliers27 et sur plainte des syndicats belges28.
Ce sujet interpelle et intéresse en matière de droit du travail mais également en droit judiciaire, et il n’est pas sans poser des questions fondamentales sur le plan démocratique et pour notre modèle de concertation sociale. De ce fait, il a déjà fait l’objet de nombreuses études et publications. Nous tâcherons donc, par ce mémoire, d’apporter notre pierre à l’édifice de la critique de la judiciarisation du droit de grève. Notre hypothèse centrale est que cette pratique est illégale, à la fois sur la forme, au regard des règles de droit judiciaire, et sur le fond, dans la solution proposée par les juges qui en vient à privilégier les droits invoqués par l’employeur et à nier le droit de grève des travailleurs.
Nous traiterons notre sujet en examinant un procès-type à l’aune du droit en vigueur en Belgique. Nous nous attacherons aux éléments cruciaux de cette problématique. D’une part, la régularité des requêtes unilatérales en extrême urgence introduites par l’employeur auprès du Président du Tribunal de première instance. D’autre part, l’étude des arguments avancés par le demandeur. Nous tenterons l’exercice particulier de proposer, tel un juge, une conciliation des droits et libertés en présence. Précisons à toutes fins utiles que notre mémoire porte sur la situation belge, exclusion faite des questions de libre circulation européenne. Pour cette thématique particulière, nous renvoyons principalement vers les publications relatives aux jurisprudences Viking et Laval de la Cour de Justice de l’Union européenne29.
23 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève, la procédure sur requête unilatérale et les pouvoirs du juge des référés après la décision du Comité européen des droits sociaux du 13 septembre 2011 », R.D.S., 2012, pp. 401-402.
24 Voy. not. Prés. Civ. Hainaut, 12 décembre 2014, R.G. 2014/1855/B, inédit, cité par J.-F. NEVEN, « Jurisprudence récente en matière de piquets de grève (2012-2015) », www.terralaboris.be, 29 septembre 2015, p. 1 ; Prés. Civ. Anvers, 23 septembre 2015, R.G. 2015/756/B, inédit, cité par ibid.
25 Voy. not. Prés. Civ. Hainaut, 21 novembre 2014, R.G. 14/950 B, inédit, cité par ibid. ; Prés. Civ. Hainaut, 2 avril 2014,
R.G. 14/293/B, inédit, cité par ibid.
26 Charte sociale européenne révisée, adoptée à Strasbourg le 3 mai 1996, approuvée par la loi du 15 mars 2002, M.B., 10 mai 2004, p. 37404. Les articles pertinents sont repris en annexe du mémoire.
27 Comité européen des droits sociaux, Conclusions XVI-1 (2002), Belgique, art. 6, § 4, accessible sur le site internet hudoc.esc.coe.int (consulté le 10 mai 2017).
28 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, accessible sur le site internet hudoc.esc.coe.int (consulté le 13 avril 2017).
29 Voy. not. M. FREEDLAND et J. PRASSL (sous la dir.), Viking, Laval and beyond, Oxford, Hart, 2014 ; F. DORSSEMONT,
« How the European Court of Human Rights gave us Enerji to cope with Laval and Viking », in Before and after the
Ce mémoire s’articulera autour de quatre chapitres. Le premier dressera un portrait général du droit de grève en s’attachant à ses sources et à ses caractéristiques principales avant de proposer une définition inclusive de ce droit. Le deuxième chapitre répondra à la question de savoir si le juge peut intervenir dans notre situation. Il s’agira d’envisager, d’une part, la juridiction du pouvoir judiciaire en général et la compétence du Président du Tribunal de première instance en particulier, et d’autre part, la recevabilité d’une requête unilatérale vu les circonstances d’espèce. Le troisième chapitre abordera la conciliation que le juge doit réaliser entre les droits et libertés invoqués par l’employeur et le droit de grève des travailleurs. Dans un premier temps, nous présenterons un état juridique de ces droits et libertés. Dans un deuxième temps, nous discuterons des outils à disposition du juge pour résoudre le litige. Dans un troisième temps, nous exposerons la manière dont le conflit devrait être tranché au regard des règles exposées dans les premier et deuxième temps. Le quatrième chapitre portera un point de vue critique sur notre thème avec un angle épistémologique. La conclusion reprendra ces éléments en vérifiant si notre hypothèse a été rencontrée.
economic crisis : what implications for the ‘European social model’ ? (sous la dir. de M.-A. MOREAU), Cheltenham, Elgar, 2011, pp. 217-237.
Chapitre 1er. Droit d’action collective et de grève
1. Dans l’étude du droit d’action collective des travailleurs et de sa composante principale, le droit de grève30, nous nous attacherons d’abord aux sources (Section Ire) avant de nous pencher sur la définition et l’étendue de la protection juridique (Section II).
Section Ire. Sources
2. Parmi les sources du droit d’action collective, deux catégories peuvent être distinguées : les sources internationales (§ 1er) et les sources nationales (§ 2).
§ 1er. Sources internationales
3. Parmi les bases légales internationales, distinguons les sources internationales sensu stricto et les sources européennes. Premièrement, concernant les fondements internationaux, il convient de cibler principalement deux textes pertinents. Précisons d’emblée que ces textes ne sont pas directement applicables en droit belge et ne pourront donc pas être invoqués devant les Cours et Tribunaux31. Il s’agit, tout d’abord, au niveau des Nations-Unies, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui prescrit que ses « États parties […] s’engagent à assurer le droit de grève exercé conformément aux lois de chaque pays »32. Ensuite, pour ce qui concerne l’Organisation internationale du Travail (OIT), la Convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical33 est utilisée en pratique pour protéger le droit de grève34. En effet, bien que ce texte ne parle pas expressément des actions collectives, le Comité de la liberté syndicale
30 Bien que le droit de grève ne soit qu’une composante du droit d’action collective des travailleurs, nous utiliserons ces deux termes comme synonymes dans ce travail – nonobstant le droit d’action collective des employeurs qui ne sera pas étudié dans ce mémoire. Nous sommes conscient que les deux termes ne se valent pas, mais en pratique beaucoup d’auteurs et les juges parlent uniquement du droit de grève – notamment la Cour de cassation – et ce droit peut se comprendre comme englobant les autres actions liées à l’abstention de travail, comme nous aurons l’occasion de l’étudier dans ce mémoire. Sur cette distinction, voy. F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge relatif à l’action collective par rapport à la Charte sociale européenne », in Actualités du dialogue social et du droit de grève, op. cit., pp. 174 et s.
31 N. BEAUFILS, op. cit., p. 130.
32 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté à New York le 19 décembre 1966, approuvé par la loi du 15 mai 1981, M.B., 6 juillet 1983, p. 8806, art. 8, 1°, d).
33 Convention internationale n° 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, adoptée à San Francisco le 9 juillet 1948, approuvée par la loi du 13 juillet 1951, M.B., 16 janvier 1952, p. 338.
34 R. DELARUE, « Action collective et droit de grève – le point de vue de l’OIT », in Actualités du dialogue social et du droit de grève, op. cit., p. 161.
l’interprète d’une manière telle que le droit de grève est désormais considéré comme le « corollaire indissociable du droit syndical protégé par la convention n° 87 »35.
4. Deuxièmement, en Europe, le droit d’action collective se retrouve dans des traités de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. D’une part, concernant l’ordre juridique de l’Union, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît aux travailleurs le droit de recourir à l’action collective et au droit de grève36. Cependant, ce texte n’est pas contraignant à l’égard du juge pour ce qui nous occupe37.
5. D’autre part, au sein du Conseil de l’Europe, deux ordres doivent être distingués : la Convention européenne des droits de l’Homme38 et la Charte sociale européenne39. En premier lieu, du côté de la Convention, l’article 11, § 1er, reconnaît les libertés d’association et de réunion aux personnes, notamment pour fonder des syndicats qui défendent leurs intérêts. Cette liberté a progressivement été interprétée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour protéger le droit d’action collective des travailleurs40. La juridiction de Strasbourg n’hésite pas à se référer au Comité de la liberté syndicale de l’OIT ainsi qu’à la Charte sociale européenne pour fonder son raisonnement41. L’intérêt de la protection des actions collectives par l’article 11 réside dans les limites que les États peuvent apporter à la liberté d’association. En effet, les restrictions posées au droit de grève doivent, ipso facto, respecter le triple test de proportionnalité42 qui impose que la limitation poursuive un objectif légitime, soit prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique43. De plus, les arrêts de la Cour européenne sont contraignants et exécutoires, ce qui peut constituer un atout pour protéger ce droit des travailleurs.
35 Comité de la liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes, 2006, 5e éd., accessible sur le site internet www.ilo.org (consulté le 12 avril 2017), p. 113.
36 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée à Nice le 7 décembre 2000, J.O.U.E., 26 octobre 2012, C-326, art. 28.
37 W. RAUWS, « De bedrijfsbezetting », in Collectieve conflicten, op. cit., p. 302. La Charte des droits fondamentaux s’applique aux institutions européennes ainsi qu’aux institutions nationales dans la mise en œuvre du droit européen. Dans notre cas, le juge applique donc le droit belge.
38 Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955, p. 5028.
39 Charte sociale européenne révisée, précitée.
40 Pour une analyse approfondie de l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne, voy. F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites … », op. cit., pp. 20-29.
41 Voy. not. Cour eur. D.H., arrêt Enerji Yapi Yol Sen c. Turquie du 21 avril 2009, req. n° 68959/01, accessible sur le site internet hudoc.echr.coe.int (consulté le 12 avril 2017), § 24.
42 Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, précitée, art. 11, § 2.
43 F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites … », op. cit., p. 20.
6. En second lieu, pour ce qui concerne la Charte sociale européenne, elle prescrit, en son article 6, § 4, que « les Parties […] reconnaissent le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur »44. Selon la doctrine majoritaire, l’article 6, § 4, a effet direct en droit belge45. Cet effet a été implicitement reconnu par le Conseil d’État46 et la Cour constitutionnelle47. Partant, cette norme est considérée comme le fondement juridique du droit de grève en Belgique depuis la ratification de la Charte originaire en 199048, à défaut de sources légales nationales49. La Charte sociale européenne fait l’objet de deux types de contrôle50 effectués par un Comité d’experts indépendants : le Comité européen des droits sociaux (CEDS). Ce Comité a eu l’occasion de détailler plus avant la protection du droit d’action collective ainsi que les restrictions qui peuvent lui être apportées.
§ 2. Sources nationales
7. En Belgique, le droit de grève est actuellement absent tant de la Constitution que de la loi. Rappelons sur le plan historique que, jusqu’en 1921, la grève était pénalement répréhensible51. À partir de 1921, s’est installé un régime de liberté de grève caractérisé par une absence d’interdiction mais une qualification de celle-ci comme faute contractuelle52. La reconnaissance officielle d’un droit de grève adviendra bien plus tard, non du fait du législateur ou du constituant dérivé, mais de la Cour
44 Charte sociale européenne révisée, précitée, art. 6, § 4. L’annexe reprend cet article en intégralité.
45 Voy. not. M. JAMOULLE, « Le droit de grève en Belgique : évolution et perspectives », Chron. D.S., 2003, p. 372 ; J. CLESSE, « Le statut juridique de la grève dans le secteur privé », in La grève : recours aux tribunaux ou retour à la conciliation sociale ? (sous la dir. de J.-P. CORDIER), Bruxelles, Jeune Barreau de Bruxelles, 2002, pp. 6-7 ; F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites … », op. cit., p. 16.
46 C.E., 22 mars 1995, Robert Henry, n° 52.424, A.P.T., 1995, p. 231.
47 C. const., 18 mai 2017, n° 64/2017, accessible sur le site internet www.const-court.be (consulté le 7 juillet 2017), B.28.6.
48 Loi du 11 juillet 1990 portant approbation de la Charte sociale européenne et de l’Annexe, faites à Turin le 18 octobre 1961, M.B., 28 décembre 1990, p. 24278.
49 Cf. infra n° 7.
50 De manière synthétique, deux mécanismes de contrôle existent. Le premier, établi par la Charte originaire de 1961, est un système basé sur des rapports bisannuels, rendus par les États parties, dans lesquels ils présentent l’application de la Charte dans leur pays (Charte sociale européenne, adoptée à Turin le 18 octobre 1961, approuvée par la loi du 11 juillet 1990, M.B., 28 décembre 1990, p. 24278, Partie IV). Le deuxième mécanisme de contrôle, créé par la Charte révisée de 1996, est un système de plainte (« réclamation collective ») introduite par un syndicat ou un patronat, national ou international, ou une ONG inscrite auprès du Conseil de l’Europe. Le plaignant demande au CEDS de constater une pratique nationale contraire à la Charte, et le Comité gouvernemental peut, le cas échéant, proposer des mesures pour remédier à l’illégalité (Charte sociale européenne révisée, précitée, art. D ; Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives, adopté à Strasbourg le 9 novembre 1995, approuvé par la loi du 26 juin 2000, M.B., 24 juillet 2003, p. 39076).
51 C. pén., anciens art. 415 et 310.
52 F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites … », op. cit., p. 10.
de cassation. Celle-ci reconnut, dans le fameux arrêt De Bruyne du 21 décembre 1981, que les travailleurs avaient droit de ne pas exécuter le travail convenu en raison d’une grève, par dérogation à l’article 1134 du Code civil53. À défaut de base constitutionnelle ou légale explicite, la Cour a dû se référer à la loi du 19 août 194854. Depuis la ratification de la Charte sociale européenne, celle-ci peut servir de base juridique au droit de grève, comme en attestent certains jugements55. Notons enfin que la Cour constitutionnelle a récemment fait siennes les jurisprudences protectrices de la grève de la Cour européenne des droits de l’Homme et du Comité européen des droits sociaux56.
8. Au terme de cet aperçu des sources du droit d’action collective, nous pouvons relever que les sources les plus pertinentes et foisonnantes pour notre étude sont, d’une part, le droit du Conseil de l’Europe – et principalement le cadre de la Charte sociale européenne –, et d’autre part, la jurisprudence belge. La présence du droit de grève dans des traités internationaux permet d’affirmer sans ambages qu’il s’agit d’un droit fondamental57.
Section II. Définition et étendue de la protection juridique
9. Il convient à présent de dessiner les contours du droit d’action collective pour connaître l’étendue de sa protection juridique. Nous dresserons d’abord un aperçu général du droit de grève (§ 1er) avant de nous attacher ensuite aux limites qu’il est possible de lui imposer (§ 2) et de proposer enfin notre définition du droit de grève (§ 3).
§ 1er. Aperçu général et caractéristiques
10. Aucune disposition, nationale ou internationale, ne définit expressément la notion d’action collective ni sa modalité principale que constitue la grève. Il est admis que la grève constitue « la cessation collective et volontaire du travail »58. La Cour de cassation définit cette prérogative comme
« le droit du travailleur de ne pas, en raison de la grève, effectuer le travail convenu et partant, par dérogation à l’article 1134 du Code civil, de ne pas exécuter l’obligation découlant du contrat de
53 Cass., 21 décembre 1981, Pas., 1982, I, p. 538.
54 Loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix, M.B., 21 août 1948, p. 6753.
55 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 396.
56 C. const., 26 juillet 2017, n° 101/2017, accessible sur le site internet www.const-court.be (consulté le 27 juillet 2017),
B.22.1 et s.
57 F. DORSSEMONT, « À propos des sources et des limites … », op. cit., p. 13.
58 Loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix, précitée, art. 1er.
travail »59. Il importe de relever que l’énoncé de la Cour laisse transparaître une approche civiliste de la situation puisque l’arrêt ne s’attache qu’aux conséquences de la grève sur le contrat de travail. Et cette définition est restrictive en ce que la grève ne constitue pas seulement une suspension d’exécution du contrat de travail60. Pour appréhender tous les contours de la grève, nous étudierons successivement la titulature, les objectifs et les modalités d’exercice de ce droit.
11. Premièrement, tous les travailleurs sont détenteurs du droit de grève individuellement. Cela ressort explicitement de la définition de la Cour de cassation qui parle du « droit du travailleur ». Au demeurant, la Cour rajoute : « aucune disposition légale n’interdit au travailleur de participer à une grève qui n’est pas reconnue par une organisation professionnelle représentative »61. Cela écarte définitivement l’hypothèse d’une légalité de la grève restreinte aux seules grèves organisées par des syndicats. La grève dite « sauvage »62 est donc autorisée en Belgique. Au surplus, notons que le Comité européen des droits sociaux autorise cette restriction à condition que la grève puisse être organisée par un syndicat non-représentatif et que la constitution d’un syndicat ne soit pas soumise à des formalités excessives63 64. Du côté de l’OIT, les organes de contrôle considèrent, à l’inverse de la jurisprudence belge, que l’action collective est un droit fondamental des organisations des travailleurs (représentatives ou non)65.
12. Deuxièmement, concernant les objectifs de la grève, il s’agit d’une lacune de la définition de la Cour de cassation. Cerner l’objectif permet d’appréhender le contexte dans lequel s’inscrit l’action collective : la promotion des intérêts des travailleurs auprès de l’employeur ou de l’État. Cette lacune de l’arrêt De Bruyne a été comblée par la doctrine qui définit la grève comme « la cessation collective et concertée du travail par un groupe de travailleurs afin d’enrayer le fonctionnement de l’entreprise en vue de faire pression sur l’employeur ou sur des tiers »66. Cette définition fait consensus
59 Cass., 21 décembre 1981, précité, p. 538.
60 S. GILSON et F. LAMBINET, « Le droit de grève en question », Ors., 2015, liv. 9, p. 23.
61 Cass., 21 décembre 1981, précité, p. 538.
62 Le qualificatif « sauvage » est en soi significatif du travail politique et médiatique de délégitimation de la grève. Pour une analyse approfondie de cette question, voy. A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., pp. 55 et s.
63 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, 1er septembre 2008, accessible sur le site internet www.coe.int (consulté le 14 avril 2017), p. 55.
64 En Belgique, la Cour constitutionnelle a récemment annulé une loi qui avait restreint le dépôt de préavis de grève à la SNCB aux seuls syndicats représentés au Conseil national du Travail (CSC, FGTB et CGSLB), privant ipso facto les syndicats minoritaires (SIC et SACT) de leur droit fondamental (Loi du 3 août 2016 portant des dispositions diverses en matière ferroviaire, M.B., 7 septembre 2016, p. 60143, art. 12 ; C. const., 26 juillet 2017, précité ; pour un commentaire de l’arrêt, voy. J.-F. NEVEN, « SNCB : les ‘petits’ syndicats remis sur les rails… par la Cour constitutionnelle », www.justice-en-ligne.be, 26 juin 2017).
65 R. DELARUE, op. cit., p. 164 ; F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 190.
66 J. PIRON et P. DENIS, Le droit des relations collectives du travail en Belgique, Bruxelles, Larcier, 1970, p. 109.
aujourd’hui. Nous ne détaillerons pas dans cet aperçu général du droit de grève les multiples controverses relatives aux limites éventuelles à apporter à la grève en fonction de ses objectifs67. La seule certitude à ce stade, établie par le Comité européen des droits sociaux, est que la grève ne peut pas être restreinte aux conflits liés à la négociation d’une convention collective68.
13. Troisièmement, concernant les modalités de l’action collective, il s’agit de la seconde lacune de la définition de la Cour de cassation. Ces modalités – principalement les piquets et occupations d’entreprise – visent à renforcer l’atteinte portée aux intérêts de l’employeur causée par l’arrêt de travail. Cela améliore donc le rapport de force en faveur des travailleurs. Trois éléments doivent être expliqués dans ce domaine : l’absence de consensus sur la question d’abord, une modalité d’office illicite ensuite, une modalité d’office autorisée enfin. Tout d’abord, cet aspect de la définition de la grève ne fait pas consensus. En effet, certains auteurs69 défendent qu’il faille limiter la grève à la seule suspension de l’exécution du contrat de travail, tandis que d’autres70 considèrent que ces modalités font partie intégrante du droit de grève. Ces positions divergentes ont un impact certain sur la conciliation entre l’action collective et les droits des demandeurs en justice, nous reviendrons donc sur celles-ci dans notre proposition de définition inclusive71. Ensuite, concernant la modalité d’office illicite, eu égard à une doctrine et une jurisprudence unanimes, les actes d’intimidation, de violence ou de dégradation ne sont jamais couverts par la protection du droit de grève72. Ce qui, au demeurant, semble logique dans la mesure où l’émergence d’une action collective ne suspend pas l’application des lois pénales. Enfin, pour ce qui concerne la modalité d’office autorisée, en raison également d’une unanimité doctrinale et jurisprudentielle, il s’agit du piquet de grève qui n’entrave ni l’accès ni le fonctionnement de l’entreprise – les piquets dérangeant l’entreprise demeurant sujets à controverse. Ces piquets « inoffensifs » sont protégés par les instances internationales. Du côté de l’OIT, le Comité pour la liberté syndicale considère que cette modalité s’identifie à l’exercice de la liberté de réunion73.
67 Nous y reviendrons lorsque cela sera pertinent, cf. infra n° 62-65.
68 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 55.
69 Voy. not. V. VANNES, « Grève et voie de fait – une nouvelle définition du droit de grève ? Ses conséquences sur la manière de juger ? », www.justice-en-ligne.be, 23 juin 2010 ; R.-C. GOFFIN et F. LAGASSE, « Conflits sociaux et pouvoir judiciaire (suite) », Ors., 1996, liv. 1, p. 2.
70 Voy. not. A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., p. 58 ; F. DORSSEMONT, « Libre propos sur la légitimité des requêtes unilatérales contre l’exercice du droit à l’action collective à la lumière de la décision du Comité européen des droits sociaux (réclamation collective n° 59/2009) », in Actions orphelines et voies de recours en droit social (sous la dir. de I. FICHER et al.), Limal, Anthemis, 2012, pp. 138 et s.
71 Cf. infra n° 18-20.
72 Voy. not. Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, précitée, § 30 ; S. GILSON et F. LAMBINET, « Regards sur les droits fondamentaux du travailleur », in Les droits de l’homme : une réalité quotidienne (sous la dir. de D. FRIES), Limal, Anthemis, 2014, p. 131 ; J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 471.
73 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 181.
Du côté du Conseil de l’Europe, le Comité européen des droits sociaux intègre la participation aux piquets de grève au droit d’action collective et la soumet au même degré de protection que ce dernier74. Une opinion dissidente à la décision concernée du CEDS a d’ailleurs insisté sur ce point en soulignant que le Comité aurait dû être plus incisif et catégorique sur cette question75.
§ 2. Restrictions
14. Des restrictions peuvent être apportées à l’exercice du droit de grève. À défaut de base légale nationale, nous devons nous en remettre à la Charte sociale européenne. Celle-ci établit deux catégories de limitations : celles prévues par les conventions collectives de travail76 et celles de nature générale et abstraite77.
15. Premièrement, les conventions peuvent réduire les possibilités d’action collective de deux manières : des clauses de paix sociale, d’une part, des clauses de procédure, d’autre part78. Les premières engagent les parties à ne pas recourir à la grève endéans une certaine période. Les secondes prévoient généralement que l’action collective ne peut advenir directement mais doit être précédée d’un préavis ou doit être utilisée comme ultimum remedium en cas d’échec de la négociation sociale. La question centrale consiste ensuite à savoir le type de clause dont il s’agit, obligatoire ou normative, afin de savoir si, outre les syndicats, les travailleurs sont aussi liés, ou non, sur le plan individuel79 80. Si la clause est normative, il convient de savoir ensuite si elle a une portée individuelle ou collective puisqu’elle ne lie le salarié que dans le premier cas, pas dans le second en principe81.
16. Deuxièmement, des limitations d’ordre général et abstrait peuvent être prévues par des règles étatiques. Il s’agit d’exceptions à l’exercice du droit de grève qui doivent être « prescrites par la loi
74 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, précitée, § 29.
75 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Opinion dissidente de M. Luis JIMENA QUESADA à laquelle se rallient M. Jean-Michel BELORGEY et M. Rüçhan ISIK, précité, § III, al. 1er.
76 Charte sociale européenne révisée, précitée, art. 6, § 4, in fine. L’annexe reprend cet article en intégralité.
77 Ibid., art. G. L’annexe reprend cet article en intégralité.
78 J. CLESSE, op. cit., p. 24.
79 M. Jamoulle considère à ce titre que ladite clause est d’office de nature obligatoire (M. JAMOULLE, Le contrat de travail, Liège, Publications de la Faculté de droit, d’économie et de sciences sociales de l’Université de Liège, 1986, t. II, n° 394, cité par J. CLESSE, op. cit., p. 23).
80 J. CLESSE, op. cit., p. 23.
81 Une controverse existe néanmoins. Pour une analyse plus approfondie de la question de l’application d’une clause normative collective aux travailleurs, voy. J. CLESSE, op. cit., p. 23.
et […] nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs »82. Analysons successivement les trois conditions exigées. Tout d’abord, l’exception doit être prévue par la loi. La loi dont question peut consister en une loi au sens formel mais peut également découler de la jurisprudence pour autant que celle-ci présente de la stabilité et de la prévisibilité83. Pour illustrer, nous pouvons déduire de ce seul critère que les ordonnances rendues en référé dans les affaires « Mathilde »84 et « Sabena »85 sont contraires à la Charte sociale européenne puisque la jurisprudence belge en la matière n’est ni stable ni prévisible. Ensuite, la restriction doit être justifiée par un intérêt public (ordre public, sécurité nationale, santé publique, bonnes mœurs) ou par la protection de particuliers (droits et libertés d’autrui). Ces précisions permettent de rompre avec deux tentations. La première consisterait à limiter l’exercice du droit de grève dans le but de protéger l’intérêt général, tout du contraire, il faut un intérêt public spécifique86. La seconde tentation serait de restreindre l’action collective pour défendre des intérêts particuliers alors que l’exception nécessite des droits ou libertés reconnus légalement87. Enfin, la restriction à la grève requiert que les mesures soient nécessaires au regard de l’objectif poursuivi. L’appréciation de cette nécessité s’effectue à l’aide du principe de proportionnalité88. La proportionnalité envisagée ici s’applique bien à la limitation au droit fondamental, non à l’exercice de ce droit, nous reviendrons sur l’application de ce critère à l’exercice même dans le troisième chapitre89.
17. En Belgique, les deux types d’exceptions existent. Pour la deuxième catégorie, il convient de relever la loi de 1948 sur les prestations d’intérêt public en temps de paix. Par ailleurs, nous pouvons identifier une troisième catégorie dans notre royaume : les restrictions de soft law. En effet, en 2002, les interlocuteurs sociaux ont conclu un protocole d’accord sans valeur juridique contraignante. Ce gentlemen’s agreement prévoyait, pour le patronat, d’inciter leurs affiliés à ne pas saisir les Cours et
82 Charte sociale européenne révisée, précitée, art. G, § 1er.
83 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, précitée, § 43.
84 Dans cette affaire restée célèbre, la SNCB a introduit des actions préventives devant tous les Présidents des Tribunaux de première instance de Belgique en vue d’interdire aux cheminots de faire grève le jour du mariage princier de Philippe et Mathilde. La majorité des magistrats du pays a ordonné l’interdiction pure et simple de la grève. Cette affaire pose problème à de nombreux égards en plus de l’aspect évoqué ci-dessus (P. HENRY, « Y a-t-il un magistrat pour sauver la princesse ? », J.L.M.B., 1999, pp. 1845-1846).
85 Dans une ordonnance du 7 septembre 2001, le Président du Tribunal de première instance de Bruxelles a interdit aux pilotes de la Sabena de faire grève sous peine d’astreinte, avant de retirer son ordonnance quelques jours plus tard, faute de preuves suffisantes (D. DEJONGHE et F. RAEPSAET, « L’intervention du juge des référés sur requête unilatérale en cas de conflit collectif : contraire à la Charte sociale européenne ? », R.D.S., 2013, p. 121).
86 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 194.
87 Ibid., p. 195.
88 Ibid.
89 Cf. infra n° 68-70.
Tribunaux en cas d’action collective, et pour les syndicats, d’inciter leurs affiliés à ne pas déclencher de grève dites « sauvages » ni de grèves spontanées90. L’accord ne fut pas suivi d’effets en pratique, malgré les rappels des organisations signataires à leurs membres91. Relevons finalement que des négociations ont repris en 2017 pour mettre ce protocole d’accord à jour92.
§ 3. Définition inclusive
18. Comme précisé ci-avant, il n’existe pas actuellement de définition légale ou jurisprudentielle du droit de grève93. L’essence de ce droit étant d’exercer une pression sur l’employeur afin de faire triompher des revendications professionnelles, il nous semble qu’une définition inclusive et précise de cette action sociale se doit d’être de nature téléologique. La Cour d’appel de Liège a proposé une définition en ce sens en 2010. Elle qualifie la grève de « droit à exercer une pression économique sur l’entreprise pour obtenir de celle-ci, en faveur des travailleurs, une concession – conforme au système légal et assurant la réalisation d’un objectif légitime du travail – à laquelle l’entreprise n’aurait pas spontanément consenti »94. Cette perspective téléologique permet ainsi de protéger toutes les modalités de la grève tant qu’elles visent l’amélioration de la condition professionnelle au moyen d’une pression sur l’employeur95. La Cour du Travail de Bruxelles a également rendu un arrêt suivant la même logique96. Dans sa décision, la juridiction affirme que les piquets de grève sont inhérents à la grève et que l’occupation d’entreprise, « lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’un conflit d’intérêts entre travailleurs et employeur, […] est une forme d’action sociale qui doit être admise »97. Précisons par ailleurs que la Cour du Travail rappelle que cette protection juridique des modalités de grève ne s’étend pas aux intimidations, violences et dégradations qui pourraient accompagner l’action collective et altérer son caractère pacifique98.
19. De plus, nous pouvons relever un revirement jurisprudentiel aux Pays-Bas qui va dans le même sens. Depuis 2014, le Hoge Raad soutient une définition téléologique de la grève garantie par
90 N. BEAUFILS, op. cit., p. 135.
91 Ibid., p. 136.
92 D. COPPI, « Patrons et syndicats relancent les discussions sur le droit de grève », Le Soir, 13 avril 2017, p. 4.
93 Rappelons qu’une approche civiliste restrictive transparaît dans la définition de la Cour de cassation (cf. supra n° 10).
94 Liège (13e ch.), 14 janvier 2010, J.T.T., 2010, p. 89.
95 V. VANNES, « Grève et voie de fait … », op. cit.
96 Cour trav. Bruxelles (2e ch.), 5 novembre 2009, J.T.T., 2010, pp. 139-144.
97 Ibid., p. 142.
98 Ibid.
la Charte sociale européenne99. La juridiction suprême néerlandaise raisonne en plusieurs étapes100. Primo, l’article 6, § 4, ne peut pas servir de base pour limiter le droit fondamental d’action collective. Secundo, les travailleurs choisissent librement leurs moyens d’action. Tertio, une action sociale est considérée comme une action collective au sens de l’article 6, § 4, dès lors qu’on démontre qu’elle contribue à l’exercice effectif du droit de négociation collective. Quarto, si cette contribution est attestée, l’action sociale bénéficie de la protection de la Charte. En l’espèce, le Hoge Raad a décidé qu’une occupation d’entreprise était ainsi couverte par le droit d’action collective.
20. Enfin, cette définition de la grève n’entre pas en contradiction avec l’arrêt De Bruyne de la Cour de cassation, au contraire même, il se trouve qu’elle le complète. En effet, la Cour autorise le
« travailleur [à] ne pas, en raison de la grève, effectuer le travail convenu »101. Dans cette formule, la grève n’est pas la suspension de l’exécution du contrat de travail, elle est la cause légitime de la suspension de cette exécution. La Cour se garde d’ailleurs bien de définir la grève plus avant, ce qui aurait permis d’expliciter la protection des modalités d’action collective102. Dans cette perspective, la grève consiste donc en l’ensemble des moyens qui accompagnent l’arrêt de travail et sont mis en œuvre afin de promouvoir les intérêts des travailleurs dans le cadre de la négociation collective.
99 Hoge Raad der Nederlanden, 31 octobre 2014, affaire n° 13/04468 (« Enerco »), accessible sur le site internet uitspraken.rechtspraak.nl (consulté le 27 juillet 2017).
100 Hoge Raad der Nederlanden, 19 juin 2015, affaire n° 14/03094 (« Amsta »), accessible sur le site internet uitspraken.rechtspraak.nl (consulté le 27 juillet 2017), n° 3.3.2.
101 Cass., 21 décembre 1981, précité, p. 538.
102 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 174.
Chapitre 2. Office du juge
21. La saisine du juge par l’employeur pose des questions qui relèvent de deux ordres : compétence des juridictions et procédure civile. Nous étudierons donc tout d’abord la compétence des Cours et Tribunaux pour connaître de la contestation d’une action collective (Section Ire). Nous nous attacherons ensuite à la question procédurale de savoir si le Président du Tribunal de première instance peut être saisi par une requête unilatérale en extrême urgence dans les circonstances qui nous occupent (Section II).
Section Ire. Compétence
22. La question de la compétence des Cours et Tribunaux nécessite une double analyse. Une première partie sera consacrée à la juridiction même du pouvoir judiciaire afin de déterminer si les prétoires peuvent accueillir des revendications relatives à une grève (§ 1er). La seconde partie veillera à déterminer si le Président du Tribunal de première instance est compétent dans ce cas (§ 2).
§ 1er. Juridiction du pouvoir judiciaire
23. La juridiction du pouvoir judiciaire doit être analysée en distinguant utilement deux notions : conflit collectif, d’une part, action collective, d’autre part. Premièrement, le conflit collectif, selon une doctrine établie, désigne le conflit qui naît de « l’opposition d’intérêts entre groupes sociaux et dont la solution est négociée sur la base d’impératifs politiques et économiques »103. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les Cours et Tribunaux sont incompétents pour connaître d’un conflit collectif et pour le trancher104. La raison principale est que le conflit social constitue une opposition d’intérêts105, non de droits subjectifs, or le pouvoir judiciaire n’est compétent que pour connaître de
103 A. FETTWEISS, Précis de droit judiciaire, t. II, La compétence, Bruxelles, Larcier, 1971, p. 206.
104 C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, t. II, La compétence, Bruxelles, Larcier, 1981, p. 589. Certains auteurs* considèrent que les Cours et Tribunaux peuvent connaître des conflits collectifs. En réalité, leurs propos visent l’action collective et non le conflit lui-même. Ils sont donc d’accord avec la position classique – qui est la nôtre. La confusion entre le conflit social et l’action qui en découle est une erreur courante.
*Voy. not. M. DISPERSYN, « L’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et les articles 92 et 93 de la Constitution à l’épreuve des conflits collectifs du travail », in Les conflits collectifs en droit du travail …, op. cit., pp. 13-38 ; V. VANNES, « La compétence des tribunaux en matière de conflit collectif », D.A.O.R., 1994, liv. 32, pp. 9-23.
105 S. GILSON et F. LAMBINET, « Le droit de grève en question », op. cit., p. 19.
ces derniers106. Notons, par ailleurs, que les commissions paritaires ont, parmi leurs attributions, la conciliation de ces conflits107. Les travaux préparatoires du Code judiciaire et de la loi sur les commissions paritaires, adoptés successivement, attestent de l’intention des auteurs de soustraire au troisième pouvoir le règlement des conflits collectifs108.
24. Deuxièmement, attachons-nous à l’action collective. Celle-ci s’identifie aux moyens utilisés par une partie à la négociation collective pour mettre la pression sur l’autre partie et la pousser à discuter voire à accepter des revendications109. Cette action, du côté des travailleurs, se concrétise le plus souvent dans la grève110. Cette grève est la partie visible (et souvent médiatisée111) du conflit collectif, en conséquence de quoi, nombreuses sont les personnes qui confondent ces deux notions – y compris, chose étonnante, parmi les spécialistes112. De plus, la grève peut s’accompagner de modalités (piquets et occupation d’entreprise) qui ont un impact direct sur les droits et libertés d’autrui (liberté d’entreprendre, droit de propriété, liberté de travailler, etc.). Les dissensus sur la protection de ces modalités et l’absence de position claire du CEDS113 auront un impact sur la compétence des prétoires.
25. Avant d’analyser concrètement la juridiction du pouvoir judiciaire, deux remarques doivent être faites concernant le « droit au juge » des employeurs. D’une part, les droits et libertés d’autrui susmentionnés sont sujets à controverses et feront l’objet d’une analyse approfondie dans la suite de ce travail114. Néanmoins, pour les besoins de ce chapitre, nous considérons qu’il s’agit a minima de droits subjectifs au sens des articles 144 et 145 de la Constitution115, dont les Cours et Tribunaux peuvent donc connaître. D’autre part, il importe également de relever l’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui fonde le droit d’accès à un juge. Sur cette base,
106 Const. coord., art. 144 et 145.
107 Loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, M.B., 15 janvier 1969,
p. 267, art. 38, al. 1er, 2°.
108 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 403.
109 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 170.
110 Ibid., pp. 174 et s.
111 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., p. 57.
112 Par exemple, V. Vannes écrit : « les conflits collectifs sont généralement regroupés sous les vocables de ‘grève’, ‘lock- out’ et ‘occupation d’entreprise’ » (V. VANNES, « La compétence des tribunaux … », op. cit., p. 9).
113 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., pp. 176-182.
114 Cf. infra n° 41 et s.
115 Const. coord., art. 144 et 145. Ces articles disposent que le pouvoir judiciaire est seul compétent pour connaître des litiges relatifs aux droits civils, et compétent, sauf exception, pour les conflits concernant des droits politiques.
toute personne qui s’estime lésée dans ses droits doit avoir la possibilité de s’adresser à une juridiction pour y présenter ses prétentions juridiques116.
26. Concernant la juridiction du troisième pouvoir en matière d’action collective, la grève étant un droit fondamental, il n’y a aucune raison que celle-ci fasse l’objet d’un procès tant que l’action collective respecte les lois pénales et ne porte pas atteinte aux droits et libertés d’autrui. Et c’est le cas lorsque la grève se limite au seul arrêt de travail, elle correspond alors à la définition restrictive qu’une « doctrine juridique patronale »117 aimerait lui donner. Dans cette situation, l’impact de l’action collective est considéré comme une atteinte légitime aux intérêts de l’employeur118. La question judiciaire surgit quand des atteintes à des droits et libertés d’autrui sont portées par des modalités de la grève dont la protection par le droit fondamental est controversée. Les patrons rentrent alors dans la brèche de l’incertitude juridique pour intenter des procès visant à réduire les moyens d’action des travailleurs dans le conflit social.
27. La question centrale de la juridiction du pouvoir judiciaire se pose en ces termes : dans la mesure où les Cours et Tribunaux ne peuvent pas connaître des conflits collectifs ni de la grève qui en découle, sont-ils compétents pour les modalités de la grève ? Plus concrètement, ces modalités sont-elles juridiquement détachables de la grève et a fortiori de sa protection au titre de droit fondamental ? Répondre à ces questions revient à s’interroger sur l’application de la théorie dite « des actes détachables » à notre sujet. Cette théorie, qui vient du droit administratif119, vise à autoriser les Cours et Tribunaux à se prononcer sur les modalités de la grève sans pour autant connaître de la grève elle-même ni du conflit collectif120. Les actes dits détachables sont assimilés à des voies de fait dont la connaissance revient au Président du Tribunal de première instance121. Classiquement, la voie de fait est définie comme « un acte […] qui ne peut manifestement s’autoriser d’aucune justification légale »122. Il s’agit d’une atteinte au droit d’autrui, commise avec ou sans violence123. Dans le cas
116 Pour une analyse approfondie de l’application de l’article 6, CEDH, aux droits et libertés concernés, voy. M. DISPERSYN, « L’article 6.1 de la Convention … », op. cit., pp. 13-38.
117 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., p. 58.
118 Cet aspect n’est pas contesté, y compris chez les auteurs qui considèrent les modalités de la grève comme des voies de fait (voy. not. D. DEJONGHE et F. RAEPSAET, op. cit., pp. 142-151).
119 D. RENDERS, Droit administratif général, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 390. Cette théorie vise à distinguer, lors de la conclusion d’un contrat administratif, l’acte unilatéral de l’administration par lequel elle décide de passer contrat, de l’acte bilatéral entre l’administration et le cocontractant par lequel ils concluent le contrat, cette distinction conceptuelle permettant au Conseil d’État de connaître de l’acte unilatéral détachable du contrat.
120 D. DEJONGHE et F. RAEPSAET, op. cit., p. 149.
121 C. CAMBIER, op. cit., p. 348.
122 Ibid., p. 349.
123 V. VANNES, Le droit de grève : principe de proportionnalité. Droit international, européen et national, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 669.
des tiers au conflit social (travailleurs non-grévistes, partenaires commerciaux, clients, etc.), l’argument central consiste à dire que la grève et ses modalités peuvent porter atteinte à la liberté d’entreprendre et aux intérêts économiques de l’employeur, mais pas aux droits et libertés des personnes tierces124. Dans le cas de l’employeur lui-même, l’idée est que les atteintes portées par des voies de fait à ses droits évidents sont sanctionnables par le juge des référés125. Ainsi, des modalités de la grève, telles le blocage ou l’occupation d’entreprise, se voient qualifiées de voies de fait en ce qu’elles entravent les prérogatives juridiques d’autrui.
28. Nous devons nous inscrire en faux contre cette théorie. Nous contesterons d’abord cette théorie concernant les droits du patron, ensuite pour les droits des tiers, avant d’adresser une critique générale.
29. Premièrement, dans le cas des droits évidents de l’employeur, nous verrons dans le troisième chapitre que ces droits et libertés ne sont pas d’une évidence manifeste. À ce stade, insistons simplement sur le fait que l’appréciation en référé de certains arguments et constructions juridiques paraît complexe au vu des subtilités qu’elles peuvent occasionner126.
30. Deuxièmement, il importe de revenir sur l’argument selon lequel il faut distinguer l’impact sur les intérêts du patron de celui sur les droits des tiers. Pour cet argument et le suivant, il convient de regarder hors du strict cadre juridique pour observer la réalité concrète de la négociation et du rapport de force en jeu dans le conflit social. Ainsi, la distinction entre les droits de l’employeur et des tiers se trouve, à notre estime, en dehors de toute réalité. Personne n’installe un piquet de grève ou n’occupe une entreprise dans le seul but de déranger les autres travailleurs ou les cocontractants de l’entreprise. L’objectif d’une action collective est, en définitive, de faire pression sur les intérêts économiques de l’employeur ou de la collectivité. Dans ce cadre, entraver l’accès des tiers127 ou occuper l’entreprise ne vise qu’à assurer une plus grande effectivité à l’action des grévistes et à porter un plus grand dommage économique. Une frange de la jurisprudence appuie cette thèse en affirmant que « les piquets de grève et les occupations d’entreprise apparaissent dans certains cas comme des accessoires obligés de la grève, ces différents moyens de défense, de pression ou de persuasion [étant]
124 V. VANNES, Le droit de grève …, op. cit., p. 672.
125 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., p. 694.
126 J. CLESSE, op. cit., p. 21 ; P. DE KEYSER, « Le droit de propriété à l’épreuve des conflits collectifs du travail », in Les conflits collectifs en droit du travail …, op. cit., p. 89.
127 La qualification des travailleurs non-grévistes comme « tiers » n’est pas sans poser question par ailleurs. Nous commenterons cet aspect dans le troisième chapitre (cf. infra n° 87).
rendus nécessaires par les circonstances de la cause »128. La Cour du Travail de Bruxelles a statué dans le même sens en 2009 en disant que les piquets de grève étaient inhérents à la grève et que les occupations d’entreprise ne visaient qu’à « assurer l’effectivité du droit à la négociation »129. Précisons que, même si les travailleurs se refusaient d’attenter aux tiers au conflit social et se limitaient, par exemple, à ne pas travailler pour déranger uniquement les intérêts du patron, les partenaires commerciaux et les clients de ce dernier seraient, malgré tout, touchés par l’action collective, ne fut-ce que parce que l’entreprise ne pourrait plus remplir complètement ses obligations contractuelles. La séparation entre l’impact sur les intérêts de l’employeur et l’impact sur les droits des tiers nous semble donc constituer une distinction conceptuelle artificielle et sans rapport avec la réalité du conflit collectif.
31. Troisièmement, et c’est le plus fondamental, il s’agit de s’opposer au postulat de base de la théorie des actes détachables : l’idée selon laquelle le juge pourrait statuer sur des modalités de la grève sans attenter ipso facto à la grève et au conflit collectif – qui, rappelons-le, se trouvent hors champ judiciaire. Ce postulat semble, lui aussi, détaché de la réalité du conflit social. Nous critiquerons cette théorie en trois étapes. Les deux premières visent à remettre en question les distinctions juridiques conceptuelles, d’une part, entre action collective et modalités d’action collective, et d’autre part, entre conflit collectif et action collective. La troisième étape, tirant les conclusions des deux premières, vise à contester la juridiction du pouvoir judiciaire sur ces questions. Tout d’abord, revenons sur la séparation entre action et modalités, à savoir le principe même de la théorie des actes détachables. En pratique, « le lien qui unit ces [modalités] à l’action collective est tellement étroit que les juges ne s’y trompent pas. Lorsqu’ils interviennent, ils affirment généralement au préalable que, ce faisant, ils ne mettent pas en cause le droit de grève »130, affirmation superfétatoire si ces modalités pouvaient vraiment être détachées de la grève. De plus, selon une interprétation doctrinale, le Comité européen des droits sociaux a, dans ses conclusions relatives à la Belgique131, condamné la théorie des actes détachables en élargissant la protection de la grève aux piquets eux-mêmes132 – le CEDS n’a pas, pour l’instant, donné d’équivalent pour l’occupation d’entreprise. Notre définition inclusive de la grève permet également de contester cette distinction dans la mesure où les modalités servent à assurer la défense des intérêts professionnels et bénéficient donc de la protection assurée par le droit de grève, dont les juridictions ne connaissent pas en principe.
128 S. GILSON et F. LAMBINET, « Regards sur les droits fondamentaux du travailleur », op. cit., p. 130.
129 Cour trav. Bruxelles (2e ch.), 5 novembre 2009, précité, p. 142.
130 G. DEMEZ, « La judiciarisation des conflits sociaux », op. cit., pp. 503-504.
131 Comité européen des droits sociaux, Conclusions XVI-1 (2002), Belgique, art. 6, § 4, précité.
132 M. JAMOULLE, op. cit., p. 372.
Ensuite, pour ce qui concerne la distinction entre action collective et conflit collectif, rappelons que la grève est une externalité du conflit collectif, un moyen de pression utilisé par des grévistes sur leur employeur. Juger que ce moyen est mis en œuvre abusivement conduit à « priver l’action collective de son effet utile »133, ce qui a pour effet de déforcer les travailleurs dans la négociation collective. Partant, un jugement défavorable aux grévistes a un impact sur le conflit collectif en ce qu’il modifie le rapport de force en faveur d’une partie – le patron in casu134. Enfin, s’il est bien un interdit que toute la doctrine partage, c’est celui pour le juge de trancher ou de prendre position dans un conflit collectif135. Or, comme nous venons de le démontrer, il est impossible de traiter d’une modalité de la grève sans toucher à l’action collective d’abord, et au conflit collectif ensuite. Par conséquent, un magistrat qui accepte de connaître des modalités « détachables » de la grève outrepasse irrémédiablement la juridiction du pouvoir judiciaire. En conclusion, nous pouvons affirmer que, devant une telle requête patronale, le déclinatoire de juridiction s’impose au juge136.
§ 2. Compétence du Président du Tribunal de première instance
32. Prenant conscience de l’évolution de la jurisprudence, nous ne pouvons que constater la prolifération des juges qui se considèrent compétents pour connaître des modalités de la grève. À défaut, pour le magistrat, de se dessaisir de l’affaire, il convient de préciser brièvement la juridiction compétente, en étudiant les juridictions de fond, d’une part, et les juridictions présidentielles, d’autre part. Nous adressons enfin une critique de cette compétence.
33. Premièrement, parmi les juridictions judiciaires, il convient d’en distinguer deux catégories en fonction de leur type de compétences : ordinaire ou d’exception137. D’une part, le Tribunal de première instance est la seule juridiction ordinaire, il peut connaître de toutes les questions sauf celles qui ne relèvent pas du pouvoir judiciaire. D’autre part, le Tribunal de Commerce, le Tribunal du Travail ainsi que le juge de paix sont des juridictions d’exception, leurs compétences sont donc attribuées et limitativement énumérées dans le Code judiciaire. Pour ce qui nous concerne, il est possible d’écarter directement le Tribunal de Commerce puisque celui-ci traite surtout des litiges
133 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 201.
134 M. RIGAUX, « Het recht op collective actie aan een (jurisprudentiële) herdefiniëring toe ? », in Arbeid vs. Kapitaal, een kwarteeuw staking(srecht) (sous la dir. de C. DEVOS et P. HUMBLET), Gand, Academia Press, 2007, p. 116.
135 G. CLOSSET-MARCHAL, La compétence en droit judiciaire privé, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 274.
136 G. DEMEZ, « Les conflits collectifs du travail à l’épreuve du pouvoir judiciaire », in Les conflits collectifs en droit du travail, solutions négociées ou interventions judiciaires ?, op. cit., pp. 64-71.
137 G. CLOSSET-MARCHAL, op. cit., p. 112.
entre entreprises138, or notre étude porte sur des conflits entre employeurs et grévistes. Le Tribunal du Travail doit également être mis de côté, ses compétences couvrant principalement les contestations individuelles liées aux contrats de travail ainsi que les litiges liés à la Sécurité sociale139. Le juge de paix a de nombreuses compétences également mais aucune n’est utile en l’espèce140. À défaut de tribunal spécialisé, le Tribunal de première instance est donc compétent141.
34. Deuxièmement, en pratique, ce n’est pas le juge du fond mais le Président du tribunal en référé qui sera saisi du litige142. Cela s’explique par les circonstances propres à l’action collective qui ne constitue pas, sauf exception, un évènement de longue durée. La magistrature présidentielle est compétente au provisoire en cas d’urgence. Cette dernière notion recouvre les contestations de voie de fait et les procédures requises pour éviter un préjudice irréparable ou en cas de crainte d’un préjudice grave ou d’inconvénients sérieux143. Dans l’appréciation de l’urgence, le Président du tribunal est tenu de prendre en compte les intérêts des deux parties, soit à la fois le préjudice du demandeur s’il n’obtient pas gain de cause et celui du défendeur s’il est fait droit au requérant144.
35. Troisièmement, la magistrature présidentielle mérite une critique parce qu’elle se trouve, dans notre situation, en inconformité avec la loi et la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans un arrêt de 1997 relatif au traitement d’une grève en référé, la Cour a considéré que « le juge des référés peut examiner les droits des parties à la condition qu’il n’ordonne aucune mesure susceptible de porter définitivement et irrémédiablement atteinte à ceux-ci »145. Cette précision découle du Code judiciaire qui prescrit que la décision présidentielle ne peut pas préjuger du principal146. Ce qui est assez cohérent en pratique, le Président ayant vocation à offrir des solutions d’urgence en l’attente d’une décision définitive rendue par un juge du fond. Mais notre situation est tout autre. Le même problème se posera ci-après concernant la tierce opposition et nous aurons l’occasion d’approfondir la critique147. L’idée centrale est que l’ordonnance de référé va nécessairement porter une atteinte
138 C. jud., art. 573 et s.
139 C. jud., art. 578 et s. Pour une analyse approfondie de l’incompétence du Tribunal du Travail en matière d’action collective, voy. M. DISPERSYN, « Observations sur l’intervention du pouvoir judiciaire dans les conflits collectifs du travail prenant la forme d’une grève », Jura Falc., 1988, pp. 329-334.
140 C. jud., art. 590 et s. Le juge de paix a déjà été utilisé pour contester des occupations d’entreprise en raison de sa compétence pour les actions possessoires (C. jud., art. 591, 5°). Mais cette hypothèse n’a plus cours aujourd’hui.
141 C. jud., art. 568 ; M. DISPERSYN, « Observations sur l’intervention du pouvoir judiciaire … », op. cit., p. 331.
142 C. jud., art. 584.
143 G. CLOSSET-MARCHAL, op. cit., p. 257.
144 Ibid., p. 257.
145 Cass., 31 janvier 1997, Pas., 1997, I, p. 153.
146 C. jud., art. 1039, al. 1er, in limine.
147 Cf. infra n° 37.
définitive et irrémédiable au droit de grève des travailleurs. En effet, ce serait faire fi de la réalité du conflit social que d’ignorer qu’un désaveu judiciaire d’une action collective va avoir un impact considérable sur le moral et la volonté des grévistes148, et renforcer ipso facto la position de l’employeur. Le droit de grève existe toujours après l’ordonnance, sur un plan strictement formel, mais les travailleurs se trouveront en situation de privation matérielle de leur capacité d’action. Ainsi, la condition inscrite dans le Code judiciaire et explicitée par la Cour de cassation ne se trouve pas remplie dans les circonstances d’espèce. Le Président du Tribunal de première instance n’est donc pas compétent pour connaître de la requête introduite par l’employeur.
Section II. Procédure : requête unilatérale
36. Pour contester l’action sociale, les employeurs introduisent leurs recours par voie de requête unilatérale149, de sorte qu’aucun gréviste ne se retrouve en état de se défendre devant le Président du tribunal. Ce type de requête ne peut être introduit que suivant deux ordres de conditions. D’une part, des conditions de possibilité sans lesquelles cette procédure serait contraire au principe du contradictoire et donc au procès équitable150. D’autre part, des conditions d’introduction visant à limiter ce type de requête à des circonstances précises. Ces deux ordres de conditions posent problème dans le cadre du traitement judiciaire des actions collectives.
37. Premièrement, la requête unilatérale, en tant qu’elle déroge au principe du contradictoire, n’est tolérée dans le système judiciaire que si elle respecte deux conditions. D’une part, cette procédure doit être prévue par la loi, et d’autre part, il faut que « les personnes intéressées aient la possibilité de former un contredit en garantie de leurs droits »151. Ces deux conditions sont remplies en droit judiciaire général152. Toutefois, dans la situation que nous analysons, la deuxième condition tend à manquer d’effectivité. Sur un plan strictement formel, les grévistes disposent de la possibilité juridique d’introduire une tierce opposition contre l’ordonnance qui leur est défavorable. Notons que, par le passé, certains juges ont considéré que le recours des travailleurs n’était pas recevable par défaut d’intérêt au prétexte que l’action collective avait pris fin en exécution de l’ordonnance présidentielle153. Cette jurisprudence a été anéantie par la Cour de cassation qui a établi que le juge
148 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 201.
149 C. jud., art. 584, al. 4, et 1025 et s.
150 Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, précitée, art. 6.
151 Cass., 14 janvier 2005, Pas., 2005, p. 80.
152 C. jud., art. 1025 à 1034, et spéc. art. 1033.
153 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 407.
d’appel devait contrôler la légalité des décisions de première instance154. Pour revenir à l’effectivité de la tierce opposition, celle-ci est lacunaire sur un plan matériel en raison de la situation particulière du conflit social et des règles judiciaires inadaptées155. En effet, si une ordonnance impose la levée d’un piquet de grève par exemple, cette décision est exécutoire par provision et l’opposition n’est pas suspensive de ses effets, sans compter que l’ordonnance peut être assortie d’une astreinte156. En pratique, les travailleurs se retrouvent donc empêchés et délégitimés dans leur action, ce qui aura pour effet de les affaiblir dans la négociation collective157. Le délai d’attente de la décision sur opposition étant très variable et pouvant atteindre plusieurs années158, il est plus que probable que la décision d’appel arrive trop tard pour remédier aux dégâts causés par l’ordonnance présidentielle, et que l’impact sur le conflit social soit donc irréversible159. Par conséquent, la deuxième condition émise par la Cour de cassation pour que la requête unilatérale respecte le procès équitable – un recours effectif – n’est pas remplie. L’employeur n’est donc pas en droit d’introduire son action en justice par ce biais. Au surplus, il est important de relever que le Comité européen des droits sociaux, dans sa décision du 13 septembre 2011 relative à la Belgique, a vertement condamné cette iniquité procédurale, au point d’en faire un des éléments déterminants de sa décision160.
38. Deuxièmement, la requête unilatérale, parce qu’elle constitue une entorse au principe du contradictoire, ne peut être introduite que dans des situations limitativement énumérées161, à savoir en cas d’« absolue nécessité »162. Cette nécessité absolue peut, selon une doctrine et une jurisprudence établies, survenir dans trois situations163 : lorsqu’il est nécessaire de provoquer un effet de surprise, en cas d’extrême urgence, ou quand les défenseurs ne sont pas identifiables. Les deux derniers motifs sont invoqués par les employeurs pour introduire des requêtes unilatérales. D’une part, concernant l’extrême urgence, celle-ci peut constituer un motif recevable, selon la jurisprudence, dans la mesure où les actions sociales peuvent être des évènements soudains et de courte durée164. Cependant, ce
154 Cass., 4 février 2011, J.T., 2011, p. 246.
155 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, « Rechterlijke tussenkomst bij collectieve conflicten », N.J.W., 2003,
p. 556.
156 C. jud., art. 1029, al. 2, 1039, al. 1er, et 1385bis ; É. BREWAEYS, B. LIETAERT et K. SALOMEZ, op. cit., p. 220.
157 P. HUMBLET, « Behoort de tussenkomst van de rechter in de collectieve conflicten tot het verleden ? », R.A.B.G., 2013,
p. 860.
158 J.-F. NEVEN, « Jurisprudence récente en matière de piquets de grève (2012-2015) », op. cit., p. 2.
159 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 427.
160 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, précitée, § 44.
161 H. BOULARBAH, Requête unilatérale et inversion du contentieux, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 415.
162 C. jud., art. 584, al. 4.
163 J.-F. NEVEN, « Les piquets de grève … », op. cit., p. 406.
164 H. BOULARBAH, op. cit., p. 500.
pourrait ne pas être le cas si le conflit social dure un certain temps165. D’autre part, au sujet de l’impossibilité d’identification des défenseurs, il s’agit de la raison la plus souvent invoquée166, et elle n’est pas sans poser question. En effet, malgré l’acceptation courante de cette justification par les Présidents de tribunaux, il n’en demeure pas moins que le requérant peut généralement désigner nommément certains des grévistes concernés, singulièrement lorsque le mouvement est annoncé à l’avance ou organisé par un syndicat167. En ce cas, le patron est tenu d’introduire son action à l’encontre des travailleurs identifiables et ne peut pas se fonder sur la méconnaissance de l’entièreté des grévistes pour user de la requête unilatérale168. Cette dernière ne peut donc être mobilisée qu’au cas où aucun des participants à l’action collective n’est connu au préalable. La Cour de cassation a confirmé ces principes dans un arrêt de 2014169 par lequel elle rejette un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers. Celle-ci avait décidé que le recours à la procédure unilatérale était infondé étant donné que certains grévistes étaient connus du requérant et que des débats contradictoires auraient pu avoir lieu moyennant une abréviation éventuelle des délais de comparution. Par ailleurs, notons qu’une tendance s’est dessinée ces dernières années à apprécier plus restrictivement les conditions d’introduction de la requête unilatérale170.
39. En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le juge ne peut pas intervenir pour sanctionner les modalités de l’action collective. Tout d’abord, parce que sa décision sur les méthodes de grève jugées abusives a un impact inéluctable sur le conflit social, ce qui est interdit. Ensuite, parce que la décision du Président du tribunal porte irrémédiablement atteinte au droit de grève. Enfin, parce que le régime de la requête unilatérale ne permet pas le respect des garanties du procès équitable en situation de conflit social.
165 La Cour d’appel de Mons a ainsi considéré que la requête unilatérale n’était pas recevable dans un cas où le conflit collectif avait duré plusieurs semaines et que les travailleurs avaient déposé un préavis de grève (Mons (21e ch.), 28 novembre 2012, J.T.T., 2013, pp. 57-60).
166 J.-F. NEVEN, « Piquets de grève : les suites de la décision du Comité européen des droits sociaux du 13 septembre 2011 », in Droit de grève : actualités et questions choisies, op. cit., p. 49.
167 H. BOULARBAH, op. cit., p. 508.
168 Ibid.
169 Cass., 8 décembre 2014, N.J.W., 2015, pp. 161-162 ; P. PECINOVSKY, « Cassatie beperkt toepassing van procedure via eenzijdig verzoekschrift om staking te breken », N.J.W., 2015, p. 162.
170 N. BEAUFILS, op. cit., p. 134.
Chapitre 3. Confrontation et conciliation des droits et libertés en présence
40. Le Président du Tribunal de première instance se voit demander de trancher un litige entre les modalités du droit de grève des travailleurs (absents du prétoire), et des droits invoqués par l’employeur plaignant. Pour résoudre cette confrontation particulière, il convient, tout d’abord, de passer en revue les arguments du demandeur (Section Ire), puis d’envisager différents outils permettant de concilier les droits en présence (Section II), avant de proposer une solution concrète au différend (Section III).
Section Ire. Droits et libertés invoqués par l’employeur
41. Devant le juge, l’employeur peut invoquer différents droits et libertés dans le but de contrer la grève et ses modalités. Nous analyserons les plus courants : le droit de propriété (§ 1er), la liberté d’entreprendre (§ 2), la liberté de travailler des travailleurs non-grévistes (§ 3), et les droits et libertés des clients et partenaires commerciaux (§ 4). Pour chacun d’eux, nous tâcherons de cerner la notion, de préciser la valeur juridique, et d’expliquer l’impact de la grève sur le droit ou la liberté.
§ 1er. Droit de propriété
42. Le premier argument invoqué par le demandeur est le droit de propriété. Consacré par le droit international171 ainsi que, dans une moindre mesure, par la Constitution172, le droit de propriété constitue, sans équivoque, un droit fondamental173. Conformément au Code civil, le droit de propriété est le « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »174. Ce droit appartient à son propriétaire, par exclusion à tout autre personne, et comprend les prérogatives d’usus, de fructus et d’abusus175.
171 Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, adopté à Paris le 20 mars 1952, approuvé par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955, p. 5028, art. 1er.
172 Const. coord., art. 16.
173 M. PÂQUES et C. VERCHEVAL, « Le droit de propriété », in Les droits constitutionnels en Belgique : les enseignements jurisprudentiels de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation (sous la dir. de M. VERDUSSEN et N. BONBLED), Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 789.
174 C. civ., art. 544.
175 M. PÂQUES et C. VERCHEVAL, op. cit., p. 791.
Malgré la formulation malheureuse de la disposition civile, ce droit n’est pas absolu mais donne lieu à des limitations de deux ordres : d’une part, des restrictions posées par les autorités publiques, et d’autre part, les balises développées par la théorie de l’abus de droit176.
43. Dans notre procédure, l’employeur détient, par hypothèse, le droit de propriété sur les locaux de l’entreprise. En principe, la mise à disposition des lieux est une des obligations du patron à l’égard des travailleurs dans la mise en œuvre du contrat177. Par exception, la situation de grève suspend certaines prestations contractuelles, en ce compris le devoir de mettre les lieux à disposition des travailleurs et donc la possibilité pour ces personnes d’accéder à l’entreprise178. Or, en pareille situation, il est courant que le droit de propriété de l’employeur soit mis à mal d’un point de vue civil par l’installation de piquets de grève qui gênent ou empêchent l’accès aux locaux, ou par une occupation d’entreprise qui en entrave l’accès et l’utilisation. Et le Président du tribunal se voit demander de trancher ce litige.
§ 2. Liberté d’entreprendre
44. Le deuxième argument généralement invoqué par le demandeur est sa liberté d’entreprendre. Autrefois appelée liberté de commerce et d’industrie et consacrée par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, cette prérogative est désormais inscrite dans le Code de droit économique qui dispose que
« chacun est libre d’exercer l’activité économique de son choix »179. Elle se dit aussi de « la liberté de créer et de diriger une entreprise »180. La Cour constitutionnelle ne reconnaît pas à la liberté d’entreprendre la valeur de droit constitutionnel181. Elle bénéficie donc seulement d’une valeur de norme législative. Néanmoins, elle peut servir d’argument pour un recours devant la Cour constitutionnelle par le détour des articles 10 et 11 de la Constitution, lui conférant ainsi une justiciabilité constitutionnelle182. Outre cette valeur juridique particulière, notons que la liberté
176 P. DE KEYSER, op. cit., pp. 79.
177 Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, M.B., 22 août 1978, p. 9277, art. 20, 1°.
178 F. LAGASSE et C. WILLEMS, Les conflits collectifs du travail : grève – occupation d’entreprise – lock-out, Diegem, Ced.Samson, 1993, p. 42.
179 C. dr. écon., art. II.3.
180 W. RAUWS, op. cit., p. 301 (traduction libre).
181 Voy. not. C. const., 21 mai 2015, n° 66/2015, accessible sur le site internet www.const-court.be (consulté le 12 août 2017), B.11.2 ; P. NIHOUL, Éléments de droit public de l’économie, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 32. Pour une analyse approfondie de l’absence de protection de la liberté d’entreprendre par les articles 12 (liberté individuelle) et 23 (droits économiques, sociaux et culturels), voy. ibid., pp. 23 et s.
182 P. NIHOUL, op. cit., p. 32.
d’entreprendre est garantie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne183, mais celle-ci ne s’applique pas au juge dans la situation que nous étudions184.
45. Dans la situation d’un conflit social et d’une action collective, cette dernière porte atteinte à la liberté d’entreprendre. Cela relève même de l’essence de la grève puisqu’elle vise à causer un dommage aux intérêts économiques patronaux afin de faire triompher des revendications professionnelles185. Les modalités de la grève (piquets et occupation) renforcent singulièrement ce dommage. Devant le Président du tribunal, l’employeur invoque ainsi ses intérêts économiques, consacrés juridiquement, afin de limiter l’action des travailleurs.
§ 3. Liberté de travailler
46. L’argument, invoqué par le patron186, tiré de la liberté de travailler des non-grévistes, est le plus controversé et mérite, à ce titre, un exposé plus poussé. De prime abord, il convient d’insister sur la notion même de « liberté de travailler ». Celle-ci ne doit pas être confondue avec le « droit au travail ». Ce dernier recouvre trois réalités : d’un point de vue négatif, le droit de ne pas travailler187, et d’un point de vue positif, le libre choix de son activité professionnelle ainsi que, après l’avoir choisi, le droit d’exécuter librement son travail188. C’est ce troisième aspect qui est mobilisé à l’encontre des modalités d’action des grévistes et qui fait l’objet de notre étude.
47. Concernant les sources de cette liberté de travailler, il convient d’envisager, tout d’abord, l’ordre juridique international, ensuite, le droit du Conseil de l’Europe, et enfin, le droit belge. Premièrement, en droit international, la notion de « droit au travail » se retrouve, pour l’OIT, dans la Déclaration de Philadelphie189, et pour les Nations-Unies, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels190. Toutefois, ces dispositions n’entendent pas consacrer une liberté
183 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, précitée, art. 16.
184 Pour rappel, la Charte ne s’applique qu’aux institutions européennes et aux institutions nationales dans l’application du droit européen (W. RAUWS, op. cit., p. 302).
185 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., p. 603.
186 Cette particularité procédurale fera l’objet d’une analyse ci-après (cf. infra n° 50 et 83-84).
187 Ce qui revient à l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, précitée, art. 4).
188 F. DORSSEMONT, « ‘Het recht op de vrije keuze van beroepsarbeid’ in artikel 23 van de Grondwet : een ultieme erkenning van de vrijheid van arbeid ? », R.W., 1994-1995, p. 866.
189 Déclaration du 10 mai 1944 concernant les buts et objectifs de l’Organisation internationale du Travail, Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail, XXVIe sess., accessible sur le site internet www.ilo.org (consulté le 23 juillet 2017), art. III, a) et b).
190 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, précité, art. 6.
de travailler mais uniquement imposer aux États membres de mener des politiques ambitieuses dans un objectif de plein emploi191. Le Comité de la liberté syndicale a dû connaître de situations où les grévistes se voyaient opposer la liberté de travailler des non-grévistes. Mais les décisions rendues par le Comité manquent de clarté dans la motivation des condamnations des piquets bloquant. Dans certaines décisions, ceux-ci sont condamnés parce qu’ils sont accompagnés de violence ou d’intimidation, tandis que dans d’autres, le seul blocage de l’accès à l’entreprise suffit à interdire le piquet192. Cette incohérence ne permet pas de tirer une conclusion solide sur la position de l’OIT sur la question193. De plus, le Comité stipule que l’interprétation de la liberté de travailler doit être réalisée au regard de la législation nationale194, or, comme nous le verrons ci-après195, le droit belge n’est pas explicite sur la question.
48. Deuxièmement, pour ce qui concerne le Conseil de l’Europe, distinguons la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte sociale européenne. Pour la Convention, la Cour de Strasbourg l’a déjà appliquée dans le domaine du droit du travail mais n’a jamais consacré de « liberté de travailler »196. Concernant la Charte sociale européenne, celle-ci prévoit expressément un « droit au travail »197. Cependant, cet article ne possède qu’une visée programmatique à destination des États membres dans un objectif de plein emploi198. Une position confirmée par le Comité européen des droits sociaux dans son interprétation de la Charte qui affirme que la disposition « pose une obligation de moyens plutôt que […] de résultat »199. Ce même Comité a aussi eu l’occasion de trancher des situations de conflit entre le droit de tenir un piquet bloquant et la liberté de travailler des non- grévistes. Dans sa décision du 13 septembre 2011 relative à la Belgique, le CEDS dispose à ce sujet que le piquet ne peut pas être interdit tant qu’il « n’empêche en rien le libre choix des salariés de participer ou non à la grève »200. Malgré la volonté de certains auteurs201 d’y voir la consécration d’une liberté de travailler opposable au droit de grève, la formulation de la décision ne porte pas à
191 P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken als grens van het stakingsrecht ? », R.D.S., 2016, p. 353.
192 Comité de la liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes, précité, pp. 136-137 ; P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken … », op. cit., pp. 354 et s.
193 P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken … », op. cit., p. 357.
194 Ibid., p. 354.
195 Cf. infra n° 49-50.
196 P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken … », op. cit., pp. 365-366.
197 Charte sociale européenne révisée, précitée, art. 1er.
198 I. VAN HIEL, « Stakingsposten, eenzijdige verzoekschriften en derdenverzet », note sous Prés. Civ. Bruxelles, 17 octobre 2013, Chron. D.S., 2014, p. 32.
199 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 17.
200 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 59/2009, CES/CGSLB/CSC/FGTB c. Belgique, Décision sur le bien-fondé du 13 septembre 2011, précitée, § 36.
201 Voy. not. D. DEJONGHE et F. RAEPSAET, op. cit., pp. 142 et s.
conclure en ce sens202. En effet, le Comité ne mentionne pas la liberté de travailler, il prévoit simplement que les salariés doivent avoir le choix de faire grève ou non. Or, un blocage d’entreprise n’emporte que l’impossibilité de travailler, il ne transforme pas ipso facto les travailleurs en grévistes, ces personnes demeurent libres de se ranger auprès des grévistes ou de de partir203. De plus, conformément à sa définition courante204, la grève est une action volontaire. Ainsi, un travailleur empêché ne peut donc pas devenir gréviste par le seul fait d’un piquet bloquant ou d’une occupation s’il n’en a pas la volonté205. Le cadre de la Charte sociale européenne ne permet donc pas d’établir une liberté de travailler pour les personnes non-grévistes.
49. Troisièmement, passons le droit belge en revue. La « liberté de travailler » peut potentiellement trouver source dans la Constitution ou dans la loi. D’une part, concernant la Constitution, deux articles peuvent être invoqués : 12 (liberté individuelle) et 23 (droits économiques, sociaux et culturels). Tout d’abord, concernant l’article 23, il stipule expressément le « droit au travail » mais précise qu’il s’inscrit « dans le cadre d’une politique générale de l’emploi »206. Cette obligation de moyens porte donc sur les institutions publiques dans une perspective programmatique207. Cette disposition instaure également le libre choix de l’activité professionnelle mais pas la « liberté de travailler » qui le prolonge208. Quant à la possibilité d’invoquer cet article pour protéger les non-grévistes, les travaux préparatoires de la réforme constitutionnelle sont univoques : « l’article 23 est neutre par rapport à la problématique des piquets de grève »209. Ensuite, pour ce qui concerne l’article 12, celui-ci garantit la liberté individuelle210 depuis 1831. Il doit être interprété dans le sens de la protection de l’individu (du type de l’habeas corpus) ainsi que dans la perspective du droit à la vie, à savoir la possibilité pour chacun de subvenir à ses besoins211. En aucun cas, il ne permet de contester une action collective qui dérangerait des travailleurs non-grévistes212.
202 F. DORSSEMONT, « Libre propos sur la légitimité … », op. cit., p. 141.
203 Ibid.
204 La grève est définie comme « la cessation collective et volontaire du travail » (cf. supra n° 10).
205 F. DORSSEMONT, « Libre propos sur la légitimité … », op. cit., p. 141.
206 Const., art. 23, al. 3, 1°.
207 P. JOASSART, « Le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables et le droit d’information, de consultation et de négociation collective », in Les droits constitutionnels en Belgique …, op. cit., pp. 1297-1998.
208 F. DORSSEMONT, « ‘Het recht op de vrije keuze van beroepsarbeid’ … », op. cit., p. 872.
209 Ibid., p. 874 (traduction libre).
210 Const., art. 12, al. 1er.
211 F. DORSSEMONT, « ‘Het recht op de vrije keuze van beroepsarbeid’ … », op. cit., p. 869.
212 Ibid.
50. D’autre part, il convient d’analyser les éventuelles sources légales d’une « liberté de travailler », à savoir les articles 1134 et 1780 du Code civil et l’article 7 de la loi relative aux contrats de travail. À titre de précision, notons que le décret d’Allarde a régulièrement été invoqué comme fondement de la liberté d’entreprendre et de travailler213 mais que cette source est caduque depuis son abrogation214. Tout d’abord, concernant l’article 1134 du Code civil215, il s’agit du sedes materiae des principes de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle216. Ces lignes directrices du droit des contrats permettent au travailleur et à l’employeur de s’accorder sur des obligations réciproques. Cette disposition est donc la source primaire au sens civil de la « liberté de travailler »217. Ensuite, les articles 1780 du Code civil218 et 7 de la loi relative aux contrats de travail219 contiennent la même règle : l’interdiction de l’engagement à vie. Ils fondent l’interdiction de l’esclavage et de la servitude, ainsi que le droit de changer d’employeur, mais pas la « liberté de travailler » au sens où nous l’entendons ici220. Ainsi, il ressort du droit belge que la liberté de travailler n’est pas un droit fondamental mais seulement la liberté civile et contractuelle de pouvoir exécuter son contrat de travail221. Précisons que, dans le chef de l’employeur, cette liberté contractuelle s’applique également et sur base des mêmes principes de droit civil222.
51. En conclusion, le droit international et le droit européen ne permettent pas de fonder une
« liberté de travailler » opposable à des actions sociales qui empêchent aux non-grévistes d’exécuter leurs contrats. Quant au droit belge, la Constitution est également muette à ce sujet, seule la liberté contractuelle, à valeur légale, peut être mobilisée. C’est donc cette liberté civile qui se trouve ici mise à mal par le blocage ou l’occupation de l’entreprise.
213 Voy. not. V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., p. 595.
214 Loi du 28 février 2013 introduisant le Code de droit économique, M.B., 29 mars 2013, p. 19975, art. 3. Les articles
II.3 et II.4 qui ont remplacé l’art. 7 du décret d’Allarde se trouvent sous le titre « La liberté d’entreprendre », ce qui empêche d’y trouver le fondement de la liberté de travailler (P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken … », op. cit., p. 376).
215 C. civ., art. 1134, al. 1er.
216 P. WÉRY, Droit des obligations, t. I, Théorie générale du contrat, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 124 et s.
217 F. DORSSEMONT, « ‘Het recht op de vrije keuze van beroepsarbeid’ … », op. cit., p. 870.
218 C. civ., art. 1780.
219 Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, précitée, art. 7, al. 2.
220 F. DORSSEMONT, « ‘Het recht op de vrije keuze van beroepsarbeid’ … », op. cit., p. 870.
221 M. RIGAUX, Staking en bezetting naar Belgisch recht : juridische analyse van de werkstaking en de bedrijfsbezetting als vormen van sociale actie, Anvers, Kluwer, 1979, pp. 439-440, cité par P. PECINOVSKY, « De vrijheid om te werken
… », op. cit., p. 377 ; W. RAUWS, op. cit., p. 303.
222 J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », in La grève : recours aux tribunaux ou retour à la conciliation sociale ? op. cit.,
pp. 70 et s.
§ 4. Droits et libertés des tiers
52. Le dernier argument invoqué par l’employeur223 réside dans les droits et libertés des tiers au conflit social qui, par hypothèse, le subissent sans y prendre part. Ces tiers sont des cocontractants de l’entreprise sujette au conflit collectif. Il convient d’en distinguer deux types : les partenaires commerciaux et les clients. D’une part, les partenaires commerciaux sont titulaires, à l’instar de l’employeur, de la liberté d’entreprendre224. D’autre part, les clients sont en droit d’acheter des biens et services auprès de l’entreprise concernée. Cette liberté se fonde sur l’autonomie de la volonté et leur liberté de conclure des contrats de vente225. Notons que le droit économique conforte ce principe de liberté de consommer parce qu’une entreprise ne peut pas refuser une vente à un client sauf demande anormale ou excessive au regard de ses capacités commerciales226. Cette liberté du client constitue donc une liberté civile de valeur légale. Précisons que l’employeur est titulaire, relativement à ses contrats commerciaux et de consommation, d’une liberté contractuelle ordinaire, soit de valeur légale, susceptible d’emporter une responsabilité contractuelle227.
53. En cas de conflit social et de blocage ou d’occupation d’entreprise, l’employeur n’est plus en mesure d’honorer ses obligations contractuelles avec ses partenaires commerciaux, ni de vendre, le cas échéant, ses produits à ses clients. Ainsi, ces tiers au conflit collectif se retrouvent préjudiciés par la situation. Et le patron invoque donc ces droits et libertés pour restreindre les modalités d’action utilisées par les grévistes.
Section II. Outils de conciliation des droits et libertés
54. L’employeur requiert du Président du Tribunal de première instance qu’il tranche le différend entre le droit de grève des travailleurs et les droits et libertés décryptés ci-dessus. Pour résoudre ce litige complexe, il convient d’analyser deux outils juridiques de conciliation des droits et libertés : la théorie de l’abus de droit (§ 1er) et le principe de proportionnalité (§ 2).
223 À l’instar de la liberté de travailler des non-grévistes, nous reviendrons sur le fait que les droits et libertés des tiers sont invoqués par l’employeur (cf. infra n° 90-94).
224 Pour le surplus, nous renvoyons aux développements relatifs à la liberté d’entreprendre de l’employeur (cf. supra n° 44).
225 C. civ., art. 1134, al. 1er.
226 C. dr. écon., art. V.8.
227 J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », op. cit., p. 58.
§ 1er. Théorie de l’abus de droit
55. Dans la conciliation des droits et libertés en présence, le juge peut être tenté d’appliquer la théorie de l’abus de droit. Malheureusement, cette analyse est généralement restreinte au droit de grève. Afin d’éviter les écueils de quelque dogmatisme, il convient, pour notre étude, de viser l’impartialité. Ainsi, au contraire de certains spécialistes qui se cantonnent à l’analyse de l’abus du seul droit de grève228, l’honnêteté intellectuelle nous impose d’envisager également cette théorie pour les droits invoqués par l’employeur. Dans cette partie, nous dresserons une définition de cette théorie civiliste (A) avant d’envisager son application au droit de grève de manière générale (B). L’application aux autres droits et libertés sera envisagée, pour chacun d’eux, dans la Section III où nous tenterons de résoudre la confrontation.
A. Définition
56. Initialement inventée pour limiter les usages nuisibles du droit de propriété, la théorie de l’abus de droit se conçoit comme un prolongement de la responsabilité civile229. Elle s’est progressivement développée durant le XXe siècle dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui l’a consacrée comme principe général de droit230. Elle s’applique tant en matière contractuelle qu’extracontractuelle. Précisons d’emblée que nous ne nous intéressons ici qu’au second volet étant donné que l’exécution du contrat de travail est suspendue par la grève231. En cas d’abus constaté par un juge, la sanction consiste en la réduction du droit à son usage normal ou la réparation du préjudice causé par l’abus232.
57. L’appréciation du caractère excessif de l’usage d’un droit se fait au regard d’un critère générique précisé par des critères spécifiques. Selon le critère générique, « l’abus de droit consiste à exercer un droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit
228 Voy. not. V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 543 et s. ; J. CLESSE, op. cit., pp. 17 et s.
229 P. LECOCQ, Manuel de droit des biens, t. I, Biens et propriété, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 299.
230 Cass., 24 septembre 1992, R.C.J.B., 1995, p. 10.
231 Notons que le cas d’une grève perlée pourrait mener à une réflexion sur l’utilisation de la théorie de l’abus de droit en matière contractuelle étant donné que la grève perlée consiste en une exécution du contrat de travail d’une manière nuisible (G. DEMANET, Réflexions sur le droit de grève dans le secteur privé, Discours prononcés par Monsieur G. Demanet, Procureur général, aux audiences solennelles de rentrée de la Cour du Travail de Mons les 2 septembre 1988 et 4 septembre 1989, disponible à la bibliothèque de la faculté de droit de l’Université catholique de Louvain, pp. 69-70). Notre travail portant sur les modalités que sont les piquets de grève et les occupations d’entreprise, nous n’approfondissons pas la question de la grève perlée en lien avec l’abus de droit.
232 P. LECOCQ, op. cit., pp. 305-306.
par une personne prudente et diligente »233. Le comportement de référence est celui du bon père de famille234. Cet élément général d’évaluation est précisé par une série de critères spécifiques relatifs à l’exercice du droit235 : l’intention exclusive de nuire à autrui ; l’absence d’intérêt raisonnable ; le choix de l’usage le plus dommageable à autrui ; la disproportion entre le dommage causé à autrui et l’avantage retiré par le titulaire du droit ; le détournement du droit de sa finalité économique et sociale.
B. Application au droit de grève
58. Il est coutume de rappeler que le droit de grève n’est pas absolu236. Cela va de soi : la situation de grève ne justifie pas tout et les lois continuent de s’appliquer, notamment la loi pénale. Pour autant, l’application de la théorie de l’abus de droit à la grève n’est pas sans poser des questions de légalité et d’adéquation. Nous commencerons par voir si cette théorie peut légalement s’appliquer en ce cas vu le cadre de la Charte sociale européenne (B.1), puis nous passerons en revue les différents critères spécifiques d’évaluation au regard de notre sujet (B.2).
B.1 Légalité de l’application
59. La théorie de l’abus de droit, en ce qu’elle vise à limiter le droit de grève, doit remplir les conditions de l’article G de la Charte sociale européenne. Cet article impose des conditions strictes aux restrictions qui peuvent être apportées aux droits fondamentaux énoncés dans la Charte. Ainsi, cette théorie doit être, tout d’abord, prévue par la loi, ensuite, elle doit viser le respect de droits et libertés d’autrui ou la protection d’un intérêt public spécifique, et enfin, elle doit être nécessaire dans une société démocratique (critère de proportionnalité). La théorie de l’abus de droit ne remplit pas de manière certaine ces trois conditions. Tout d’abord, pour la prescription par la loi, il peut s’agir d’une base jurisprudentielle tant que celle-ci est précise et prévisible237. La théorie de l’abus de droit constitue un principe général de droit établi depuis plusieurs décennies par la Cour de cassation238. Cette dernière a reconnu implicitement son application au droit de grève sans n’avoir jamais rendu d’arrêt de principe sur la question239. Cette condition semble donc remplie même si l’on pourrait
233 Cass., 9 mars 2009, Pas., 2009, p. 689.
234 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, op. cit., p. 549.
235 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., p. 557.
236 Ibid., p. 552 ; F. DORSSEMONT, « À propos des sources … », op. cit., p. 13.
237 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 170.
238 P. LECOCQ, op. cit. p. 299.
239 Cass., 31 janvier 1997, précité, p. 154 ; F. DORSSEMONT, « De NMBS-stakingsverboden : een gemiste kans tot reflectie over de grenzen van het recht te staken. Van kolder naar polder : even proeven van een geslaagde Hollandse receptie (art.
défendre que la jurisprudence manque de précision. Ensuite, pour la protection d’un intérêt public spécifique ou des prérogatives des particuliers, l’objet même de la théorie de l’abus de droit est de concilier le droit concerné avec les droits et libertés des tiers. Néanmoins, ces droits protégés ne sont pas expressément définis puisque la théorie a vocation à s’appliquer à toute situation abusive. Cette condition pourrait donc faire défaut. Enfin, la restriction envisagée du droit de grève doit être proportionnée au but poursuivi. C’est ici que le bât blesse singulièrement. En effet, en pratique, il résulte de l’application de la théorie de l’abus de droit une limitation du droit de grève pour maintenir intacts les droits d’autrui, ce qui, en termes de conciliation, peut sembler déséquilibré et donc disproportionné. En conclusion, la théorie de l’abus de droit, comme instrument de restriction du droit de grève, se trouve a priori en conformité douteuse, voire en inconformité, avec l’article G de la Charte sociale européenne.
60. Outre la Cour de cassation qui a reconnu implicitement l’application de cette théorie à la grève, il convient d’expliquer deux autres positions intéressantes. D’une part, la Cour constitutionnelle a récemment rendu un arrêt relatif au droit de grève dans lequel elle dit expressément que « l’abus du droit de mener une action collective n’est pas protégé et le juge compétent peut prendre des mesures visant à mettre un terme à un tel abus ou à le condamner »240. Sans revenir sur l’énigmatique « juge compétent » mentionné par la Cour, il faut relever que cette affirmation semble déconnectée du reste de l’arrêt qui ne traite pas de cette question. De plus, la Cour ne précise pas s’il s’agit d’appliquer la théorie de l’abus de droit telle que développée en droit civil, ou s’il s’agit simplement pour le juge de condamner les actes d’intimidation, de violence ou de dégradation. D’autre part, le Comité européen des droits sociaux, dans ses conclusions rendues au terme du cycle de contrôle de 2002, a constaté « que le recours à la notion d’abus de droit ou au critère de proportionnalité conduit les juridictions à s’ériger en juge de l’opportunité, et donc de la licéité de la grève »241. Et il en a tiré la conclusion « que les pratiques jurisprudentielles en question sont de nature à tenir en échec l’exercice du droit de grève et qu’elles impliquent un dépassement des restrictions admises par l’article 31 [actuel article G] de la Charte »242. Ainsi, le Comité qui contrôle la Charte sociale européenne confirme a posteriori que la théorie de l’abus de droit est inapplicable
6 juncto art. 31 E.S.H.) », Chron. D.S., 2000, p. 415. L’article n’est pas récent mais, compte tenu de nos recherches, il semble que la Cour de cassation n’a pas sorti d’arrêt de principe sur la question depuis la parution de cet article.
240 C. const., 26 juillet 2017, précité, B.23.6, al. 2.
241 Comité européen des droits sociaux, Conclusions XVI-1 (2002), Belgique, art. 6, § 4, précité.
242 Ibid.
au droit de grève. Notons à ce stade qu’il condamne explicitement la possibilité pour le juge de connaître de l’opportunité de la grève, interdiction qui sera pertinente pour la suite de notre examen243.
B.2 Adéquation de la théorie
61. S’il est fait application de la théorie de l’abus de droit, ce qui serait irrégulier comme démontré ci-dessus, cette application concrète pose également problème. Repartons des cinq critères spécifiques imaginés pour évaluer un abus. Primo, le droit ne peut pas être exercé dans l’intention exclusive de nuire à autrui. D’emblée, rappelons que l’action collective n’est qu’un moyen visant à satisfaire des revendications professionnelles. Mais ce moyen constitue, conformément à la définition même de la grève, un instrument de nuisance aux intérêts patronaux afin de le forcer à concéder. L’intention de nuire est donc inhérente à l’action sociale244, et elle n’est pas exclusive puisqu’elle est accompagnée de demandes professionnelles. Partant, ce critère est inutilisable, sauf à nier l’essence du droit de grève. Secundo, la prérogative ne peut être exercée en l’absence d’un intérêt raisonnable. À nouveau, le critère est inadapté. En effet, toute grève est nécessairement motivée par un intérêt professionnel et la situation du défaut de motif semble purement théorique245. On imagine mal des travailleurs partir en grève pour le plaisir alors que celle-ci implique pour eux une perte de rémunération246. Tertio, le droit ne doit pas être exercé de la manière la plus dommageable à autrui. L’utilisation d’un tel critère revient à méconnaître la réalité de l’action sociale puisque, « par définition, dans le choix entre deux modalités de grève qui n’infligent pas un dommage de même intensité, la modalité la plus nuisible sera la plus efficace et la plus avantageuse »247. Les grévistes ont ainsi tout intérêt à utiliser les modes d’actions les plus dommageables pour renforcer leur position dans la négociation collective. Ce critère est donc, lui aussi, inadapté. Quarto, il ne peut y avoir de disproportion entre le dommage causé à autrui et l’avantage tiré de l’usage du droit. Il va sans dire qu’une utilisation efficace du droit de grève nécessite que le dommage porté aux intérêts économiques de l’employeur soit plus grand que le coût de la revendication professionnelle espérée248, sans quoi le patron n’aurait aucun intérêt à concéder face à ses travailleurs. À nouveau, ce critère est inadéquat pour évaluer l’usage du droit d’action collective.
243 Cf. infra n° 65-66.
244 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, op. cit., pp. 549-550.
245 J. CLESSE, op. cit., p. 20.
246 Ibid..
247 F. DORSSEMONT, « De NMBS-stakingsverboden … », op. cit., p. 415 (traduction libre).
248 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, op. cit., p. 550.
62. Quinto, la prérogative ne peut être détournée de sa finalité économique et sociale. Ce critère nécessite un commentaire particulier parce qu’il pose une question sujette à controverse : l’objectif de la grève. Certains auteurs ont tenté d’établir des classifications et des critères de licéité des grèves sur cette base249. Le plus souvent, ces typologies n’ont aucun fondement légal et une légère base jurisprudentielle. Elles sont surtout tirées de la réflexion propre de l’auteur, d’autres auteurs ou de comparaison avec des droits étrangers. Ce qui est logique puisque le droit belge et la Charte sociale européenne ne permettent pas – ou peu – de déterminer la licéité d’une grève en fonction de son objectif, ce qui laisse le juge désarmé pour trancher250. La Cour de cassation n’a pas établi clairement de règles particulières en matière de licéité de la grève en fonction de ses objectifs. En revanche, le Comité européen des droits sociaux fournit quelques précisions dans ce domaine251. Celui-ci n’étend pas la protection conférée par l’article 6, § 4, aux grèves dites politiques ainsi qu’aux conflits juridiques. Ces deux notions doivent être précisées.
63. D’une part, concernant les grèves politiques252, ce concept n’est pas défini par le CEDS, mais une distinction peut être faite entre les grèves « purement politiques » et les grèves « de protestation en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement »253. D’un côté, les grèves purement politiques sont dirigées contre la politique générale des institutions publiques sans lien avec des revendications professionnelles. Elles ne bénéficient donc pas de la protection au titre de droit fondamental. De l’autre côté, les grèves de protestation visées ci-dessus contestent la politique socio- économique de l’État, elles sont donc porteuses de réclamation de nature professionnelle. C’est pour cette catégorie de grève que l’incertitude persiste. Le Comité européen des droits sociaux considère que l’article 6, § 4, ne couvre pas ces actions collectives254, tandis que le Comité de la liberté syndicale de l’OIT défend que ce type de grève est licite255. La position du Comité européen s’explique parce que l’article 6, § 4, est une garantie de l’effectivité du droit à la négociation collective entre travailleurs et employeurs énoncé dans l’article 6. Or, la grève de protestation à l’encontre d’une politique socio-économique défavorable ne peut pas être résolue par le patron qui subit donc une
249 Voy. not. J. PIRON et P. DENIS, op. cit., pp. 110 et s. ; V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 379 et s.
250 J. CLESSE, op. cit., p. 20.
251 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 55.
252 Précisons que ne rentrent pas sous le vocable de « grèves politiques » les grèves des fonctionnaires dirigées contre les institutions publiques en leur qualité d’employeur. Dans cette situation, il s’agit d’un conflit collectif ordinaire entre des travailleurs et un employeur, à ceci près qu’il s’agit d’agents et d’autorités publics.
253 Cette sémantique vient de la « jurisprudence » du Comité de la liberté syndicale de l’OIT (Comité de la liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes, précité, pp. 114-115). V. Vannes opère le même distinguo mais utilise les termes « grèves politiques » pour désigner les grèves purement politiques, et « grèves sociopolitiques » pour désigner les autres (V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 390 et s.).
254 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 55.
255 Comité de la liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes, précité, p. 115.
action sociale sans pouvoir y remédier256. Cependant, l’ordre juridique interne peut accorder une plus grande protection à la grève que celle que lui octroie la Charte sociale européenne257. Dans ce cadre, nous maintenons notre définition téléologique du droit de grève : la prérogative des travailleurs d’exercer une pression économique pour faire triompher des revendications professionnelles. Ainsi, la pression économique sur l’entreprise vise à faire en sorte que l’employeur devienne un allié dans la négociation avec les autorités publiques pour améliorer les conditions de travail et de rémunération. Ceci permettrait de couvrir, en droit belge, les grèves dirigées à l’encontre de la politique socio- économique d’un gouvernement.
64. D’autre part, en matière de conflits juridiques, le Comité européen n’accepte pas l’invocation de l’article 6, § 4. Le problème demeure, ici aussi, l’absence de définition claire de ce que recouvre les conflits juridiques. Par principe, ce concept s’oppose à celui de conflit d’intérêts, seul conflit susceptible de donner lieu à une grève licite selon le CEDS258. Au surplus, les conflits juridiques désignent « généralement les conflits qui portent sur l’existence, la validité ou l’interprétation d’une convention ou la violation d’une convention »259. Cette définition incomplète nous semble problématique. En effet, les conflits juridiques sont des conflits d’intérêts, la seule différence résidant, pour les premiers, dans la protection par le droit des intérêts d’une des parties260. Et une fois les voies de recours légales épuisées, le conflit ne disparaît pas, il perd simplement sa nature juridique et devient un conflit d’intérêts261. Ainsi, l’utilisation des moyens juridiques apparaît comme une clause de procédure telle que l’obligation de tentative de conciliation préalable – la grève devenant l’ultimum remedium262.
65. Ce principe de l’ultimum remedium doit être remis en question pour trois raisons. Tout d’abord, considérer que la grève ne peut advenir qu’en cas d’échec de la négociation (devoir de conciliation préalable) ou du procès (conflit juridique), c’est faire fi de la réalité des conflits collectifs. Comme expliqué dans l’introduction, la grève n’est pas un accident dans la vie de l’entreprise, elle est un élément structurel qui permet aux travailleurs de pallier l’inégalité systémique de la relation de travail incarnée par le lien de subordination hiérarchique263. Dans le cadre d’une négociation, la
256 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, op. cit., p. 551.
257 Ibid.
258 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 224.
259 Ibid., p. 55.
260 É. BREWAEYS, F. DORSSEMONT et K. SALOMEZ, op. cit., p. 550.
261 Ibid.
262 Ibid.
263 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., pp. 48-49.
menace de la grève permet aux représentants des travailleurs de peser face aux employeurs et d’obtenir des concessions, et elle est parfois la condition sine qua non de la négociation264. Dans le cadre d’un procès, cette menace permet des victoires qu’un juge ne pourrait accorder265. Cantonner cette grève en ultimum remedium revient donc à déforcer la capacité des travailleurs de défendre leurs intérêts et à nier la réalité du conflit collectif. Ensuite, permettre à un juge de décider de l’opportunité d’une grève – le moment où elle doit être enclenchée –, c’est reconnaître la capacité du magistrat d’empiéter sur la prérogative des travailleurs dans le cadre du conflit social. Or, dans ce domaine, le Comité européen des droits sociaux a toujours défendu l’autonomie syndicale et rappelé la nécessité de « sauvegarder l’appréciation souveraine par les travailleurs et les syndicats de ce que commandent les intérêts des travailleurs »266. Ce jugement de l’opportunité de la grève a par ailleurs été explicitement condamné par le CEDS en ce qui concerne la Belgique267. Cette position est également soutenue par une frange de la jurisprudence268 qui soutient « qu’il n’appartient pas aux Cours et Tribunaux de se substituer aux groupes et mouvements économiques pour décider de l’opportunité de leurs décisions d’action »269. Enfin, sur la question précise de l’ultimum remedium, le Comité européen a condamné les Pays-Bas où un juge peut statuer sur le caractère prématuré des grèves, « car ce faisant il s’érige en juge de l’opportunité et des modalités de la grève, prérogative essentielle des syndicats »270. Ainsi, étant donné que la limitation de la grève par le principe de l’ultimum remedium est interdite, et vu que les conflits juridiques constituent des conflits d’intérêts couplés d’un aspect juridique qui n’est autre qu’une condition procédurale d’ultimum remedium, par voie de conséquence, les conflits juridiques peuvent donner lieu à une action collective.
66. Ainsi, aucun des cinq critères spécifiques d’évaluation de l’abus de droit ne peut être appliqué au droit de grève sans le dénaturer ipso facto. Au surplus, concernant le critère générique – qui condamne l’exercice dépassant manifestement les limites de l’usage qu’en ferait une personne prudente et diligente – il nécessite de comparer le comportement des grévistes à celui du bon père de famille, or cette appréciation en opportunité, comme souligné précédemment, est condamnée par le Comité européen271.
264 A. DECOENE, A. DUFRESNE, J. FANIEL et C. GOBIN, op. cit., pp. 49 et s.
265 Nous pensons, par exemple, à la contestation d’un licenciement qui, si elle s’en tient au prétoire, ne pourra donner lieu qu’à des dommages et intérêts dans le meilleur des cas – la réintégration forcée n’étant pas autorisée en droit belge. En revanche, une menace de grève ou une grève pourraient contraindre l’employeur à revenir sur sa décision.
266 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 196.
267 Cf. supra n° 60.
268 Voy. not. Cour trav. Bruxelles (2e ch.), 5 novembre 2009, précité, p. 141 ; Liège (13e ch.), 14 janvier 2010 précité, p. 90.
269 Liège (13e ch.), 14 janvier 2010 précité, p. 90.
270 Comité européen des droits sociaux, Digest de jurisprudence, précité, p. 54.
271 Cf. supra n° 60.
67. En conclusion, la théorie de l’abus de droit n’est pas utilisable par le juge pour apprécier la régularité d’une action collective, d’une part, parce qu’elle ne remplit pas les conditions de l’article G pour restreindre un droit fondamental de la Charte sociale européenne, et d’autre part, parce que ses critères d’application sont inadaptés pour évaluer le droit de grève.
§ 2. Principe de proportionnalité
68. Le juge amené à devoir trancher le litige peut également être tenté d’utiliser le principe de proportionnalité pour concilier les droits en présence. Alors que plusieurs auteurs s’intéressent à l’abus de droit, V. Vannes est sans aucun doute l’autrice de référence pour ce qui concerne le principe de proportionnalité272. Le principe de proportionnalité existe depuis plusieurs décennies dans de nombreux domaines du droit273. En matière de droit de grève, l’idée est d’évaluer l’action collective sous trois aspects : son aptitude à obtenir le résultat escompté, sa nécessite pour atteindre ce résultat, et la proportionnalité (sens strict) entre l’action et les effets qu’elle produit274. Ce mécanisme n’est pas éloigné de la théorie de l’abus de droit, singulièrement pour son quatrième critère spécifique relatif à la proportion entre le bénéfice tiré de l’usage du droit et le dommage causé à autrui275. Il s’en distingue à deux égards. D’une part, il a une origine différente. Tandis que l’abus de droit a été élaboré par la Cour de cassation, le principe de proportionnalité provient surtout de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme276. D’autre part, dans son analyse, l’abus de droit se concentre sur l’intention du sujet tandis que le principe de proportionnalité s’attache plutôt aux effets de l’action du sujet277.
69. L’application du principe de proportionnalité au droit de grève pose un problème majeur, et
V. Vannes nous en donne l’indice essentiel. Quand elle parle du développement de ce principe, elle se réfère aux jurisprudences de plusieurs Cours. Tout d’abord, pour la Belgique, la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle ont, de jurisprudence constante, établi que les restrictions au principe d’égalité et de non-discrimination devaient comprendre un rapport de proportion entre l’objectif visé et les moyens utilisés278. Ensuite, pour l’Union européenne, la Cour de Luxembourg applique
272 Elle y a consacré sa thèse de doctorat, publiée en 2013 et rééditée en 2015 (V. VANNES, Le droit de grève …, op. cit. ; V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit.).
273 Pour un exposé historique détaillé, voy. V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 31 et s.
274 Ibid., p. 620.
275 Cf. supra n° 57 et 61.
276 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 111 et s.
277 Ibid., pp. 86-87.
278 Ibid., pp. 64 et s.
également cette proportion entre l’objectif et le moyen utilisé quand il s’agit d’évaluer les dérogations nationales aux libertés fondamentales de l’Union279. Enfin, pour le Conseil de l’Europe, la Cour de Strasbourg analyse aussi les limitations des droits fondamentaux au regard des critères du principe de proportionnalité280. Ainsi, comme V. Vannes nous l’offre à constater ostensiblement, ce principe est un élément d’évaluation non pas de l’exercice d’un droit, mais bien de la restriction à un tel exercice.
V. Vannes retourne donc le prisme pour appliquer la proportionnalité à l’exercice de la grève plutôt qu’à ses limitations, comme le prévoit pourtant expressément l’article G de la Charte sociale européenne281. Au surplus, elle prend pour exemple les arrêts Schmidberger, Viking et Laval de la Cour de Justice. Or, ces arrêts ont précisément commis l’erreur d’évaluer les grèves sous l’angle de la proportionnalité parce qu’elles étaient considérées comme des entraves aux libertés économiques fondamentales de l’Union européenne. Sans approfondir cette question délicate, il importe de relever que ce type de raisonnement n’a pas manqué de provoquer de nombreux débats et de soulever maintes critiques chez les spécialistes et les personnes concernées.
70. La thèse de V. Vannes pose donc problème puisqu’elle considère que la grève est une restriction aux droits et libertés invoqués par l’employeur, et qu’à ce titre, elle doit respecter le principe de proportionnalité. Le droit de grève est un droit fondamental et, si tant qu’il soit opposé à un autre droit fondamental, ces deux droits sont donc sur pied d’égalité – ce qui ne serait pas le cas s’il était opposé à une simple liberté civile. Et en cas de protection légale équivalente, il est juridiquement erroné de soutenir qu’un des deux droits prime l’autre et doit rester intact, tandis que l’autre doit être analysé comme une restriction au premier. En conclusion, le principe de proportionnalité ne peut pas être utilisé pour limiter l’usage du droit de grève, mais pourra s’avérer utile pour évaluer les droits et libertés non-fondamentaux opposés au droit de grève en justice – cela revient in globo à appliquer l’article G de la Charte sociale européenne qui impose une condition de proportionnalité.
Section III. Résolution
71. Après cette étude des outils utiles à la conciliation des droits et libertés en présence, il convient de tenter de résoudre concrètement le litige dont le Président du Tribunal de première instance est
279 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 113 et s.
280 Ibid., pp. 137 et s.
281 F. DORSSEMONT, « La (non)-conformité du droit belge … », op. cit., p. 195.
saisi. Nous analyserons successivement le conflit entre le droit de grève et le droit de propriété (§ 1er), la liberté d’entreprendre (§ 2), la liberté de travailler (§ 3) et les droits et libertés des tiers (§ 4).
§ 1er. Droit de grève et droit de propriété
72. La conciliation entre le droit de grève et le droit de propriété constitue sans doute l’une des plus complexes à résoudre parce qu’il s’agit de l’affrontement de deux droits fondamentaux, soit de deux droits d’égale valeur. Du côté de la grève, l’installation de piquets devant l’entreprise ou l’occupation de celle-ci bénéficient de la protection juridique au titre du droit de grève puisqu’il s’agit de modalités qui s’inscrivent dans la défense des intérêts professionnels des travailleurs et dans une perspective de négociation collective282. Du côté du droit de propriété, ces modalités d’action collective portent atteinte à la possibilité, pour l’employeur, d’accéder à son entreprise et de la faire fonctionner.
73. Une perspective très civiliste de la situation mène généralement à dénoncer l’atteinte portée à la propriété par un piquet ou une occupation, puisque la grève est généralement restreinte à la seule abstention de travailler, et les modalités qualifiées de voies de fait283. Au contraire, il convient de regarder la situation avec les concepts du droit du travail et la réalité des conflits collectifs. En ce sens, plusieurs auteurs ont historiquement développé une série de théories diverses et variées visant à légitimer les atteintes au droit de propriété de l’employeur284. Ces théories se trouvent souvent en marge du cadre juridique actuel. Une piste plus conventionnelle peut cependant être explorée : la théorie de l’abus de droit285. Celle-ci a beau être inapplicable à la grève, elle mérite d’être étudiée pour le droit de propriété comme nous l’avions annoncé ci-dessus286. Et c’est d’autant plus cohérent que cette théorie a été développée précisément pour limiter les usages excessifs de ce droit.
74. Conformément aux développements de la Cour de cassation, un droit est exercé de manière abusive lorsqu’il « dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente ». Passons en revue les cinq critères spécifiques d’évaluation au regard
282 Cf. notre définition du droit de grève élaborée supra n° 18-20.
283 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 414 et s.
284 Voy. not. M. TAQUET et C. WANTIEZ, « De la licéité de l’occupation d’usines », J.T.T., 1977, pp. 189-196 ; M. MAGREZ, « L’occupation d’usine : une voie de fait répréhensible ou l’exercice d’un droit ? », R.C.J.B., 1977, pp. 584- 600 ; R. THONON, « La grève, le droit et le pouvoir judiciaire », J.T.T., 1982, pp. 321-328 ; P. DE KEYSER, op. cit., pp. 77-91.
285 P. DE KEYSER, op. cit., p. 89.
286 Cf. supra n° 55.
du droit de propriété tel qu’il est invoqué en justice. Primo, la prérogative ne peut être utilisée dans l’intention exclusive de nuire à autrui. Dans la mesure où il s’agit d’un conflit collectif, nous pouvons logiquement supposer que l’employeur qui invoque des droits et libertés dans un prétoire le fait dans le but de réduire les moyens d’action des grévistes, donc de leur nuire287. Cependant, l’employeur ne le fait peut-être pas dans ce seul but. Il peut également, et légitimement, vouloir accéder à l’entreprise pour travailler lui-même ou pour une toute autre raison. Ce critère est donc utilisable mais nécessite une approche in concreto de l’intention du patron dans son recours en justice. Secundo, le droit ne peut être invoqué en l’absence d’intérêt raisonnable. À nouveau, cela pourrait être avéré si l’employeur n’invoque pas le droit pour accéder à l’entreprise et l’utiliser, mais uniquement pour saborder la grève. Néanmoins, et comme pour le premier critère, cela devrait se vérifier in concreto puisque le requérant peut avoir intérêt à rentrer sur le lieu de travail. Tertio, le propriétaire ne peut pas choisir l’usage du droit le plus dommageable à autrui. Ici aussi, une analyse des intentions est nécessaire pour déterminer la volonté du patron. En effet, si celui-ci désire seulement accéder à son bureau, rien ne sert d’expulser tous les grévistes ou d’interdire le blocage de l’entreprise, un passage pourrait être aménagé spécifiquement pour son accès et sa jouissance propres, par exemple. Quarto, il ne peut y avoir disproportion entre le dommage causé à autrui et l’avantage retiré par le titulaire du droit. Ce critère, proche du précédent, revient à s’interroger quant à la nécessité de casser le mouvement social simplement pour rétablir le droit de propriété patronal. Ce dernier, soulignons-le, est d’office rétabli une fois la grève terminée. La proportionnalité ici envisagée pourrait donc également servir d’argument.
75. Quinto, le droit ne peut pas être détourné de sa finalité économique et sociale. Par principe, le droit de propriété n’a pas de finalité autre que sa jouissance par son détenteur. Et par exception, un tel objectif peut être assigné mais cela nécessite de démontrer une affectation du bien par la loi ou une convention288. Sans défendre la théorie, davantage sociologique que juridique, du « patrimoine social » qui vise à créer une « communauté d’intérêts qui se détacherait […] de la personne juridique de l’employeur »289, il importe toutefois de revenir un instant sur le contrat de travail. Celui-ci comprend l’obligation pour l’employeur de donner au salarié l’accès au lieu de travail290. Cette convention comprend donc une affectation tacite de l’immeuble de l’entreprise pour l’emploi des
287 P. DE KEYSER, op. cit., p. 89.
288 P. LECOCQ, op. cit., p. 302.
289 P. DE KEYSER, op. cit., p. 87. Notons que cette théorie est infirmée par la Cour de cassation qui considère que l’intérêt de l’entreprise n’est pas distinct de celui de l’employeur (Cass., 2 octobre 1989, R.W. 1989-1990, p. 955 ; W. RAUWS, op. cit., p. 306).
290 Loi du 3 juillet 1978 relatives aux contrats de travail, précitée, art. 20, 1°.
travailleurs. Or, comme nous l’avons déjà souligné, la grève n’est pas un accident dans les relations de travail mais un élément structurel permettant de pallier le monopole légal du pouvoir de l’employeur sur l’entreprise et les travailleurs. Nous pouvons donc défendre que le blocage ou l’occupation des locaux fait partie intégrante du cours normal de la vie professionnelle. Une vie qui ne s’arrête donc pas lors de la suspension de l’exécution du contrat de travail en cas de grève. Ainsi, invoquer en justice le droit de propriété sur l’entreprise afin d’en rétablir l’accès ou l’utilisation viendrait à détourner ce droit de sa finalité économique et sociale qui, par affectation tacite, est le lieu de la vie de l’entreprise ; une vie qui, par hypothèse, ne s’arrête pas lors d’une action collective.
76. En conséquence de ce qui précède, la théorie de l’abus de droit peut être appliquée avec succès au droit de propriété in casu. Les critères spécifiques d’évaluation sont tous susceptibles d’être remplis mais nécessitent une analyse in concreto de l’intention de l’employeur291. À défaut pour l’employeur d’avoir uniquement une intention de nuire dans sa requête judiciaire, il reste qu’à ce stade, son droit de propriété légitimement invoqué lui permet seulement d’avoir accès aux locaux pour sa jouissance personnelle. En effet, débloquer l’accès pour les travailleurs et relancer le travail nécessiteraient que sa liberté d’entreprendre et la liberté de travailler des non-grévistes puissent primer également le droit de grève. Nous verrons ce qu’il en est ci-après. Précisons enfin qu’il n’y a pas d’asymétrie à appliquer l’abus de droit au seul droit de propriété tandis qu’il ne l’est pas au droit de grève. Il tient de la responsabilité de l’employeur d’invoquer un droit civil dans un conflit social, avec les risques que cela comporte. Le patron demeure libre d’utiliser son droit d’action collective et de décréter un lock-out en représailles à la grève. Une telle situation serait analysée tout différemment – sans théorie de l’abus de droit –, et se passerait assurément des services d’un magistrat.
77. En conclusion, alors que le principe de proportionnalité ne peut pas être utilisé puisque le droit de grève et le droit de propriété sont sur pied d’égalité, l’un n’étant pas une restriction à l’autre, la théorie de l’abus de droit est une piste intéressante pour concilier ces deux droits fondamentaux. Les piquets de grève bloquant et les occupations d’entreprise pourront donc se maintenir, une exception pouvant être faite pour l’accès et la jouissance du seul employeur si tant est qu’il n’introduise pas son action uniquement dans une intention de nuire.
291 P. DE KEYSER, op. cit., p. 89.
§ 2. Droit de grève et liberté d’entreprendre
78. L’employeur peut invoquer sa liberté d’entreprendre afin de limiter les modalités de l’action collective. Dans cette situation, le juge doit refuser l’argument patronal pour trois raisons.
79. Premièrement, et il s’agit de l’aspect central du raisonnement, il relève de l’essence de l’action collective de porter atteinte aux intérêts économiques patronaux pour faire triompher des revendications professionnelles292. Or, la liberté d’entreprendre n’est rien d’autre que la protection juridique des intérêts économiques de l’employeur, celle-ci se trouve donc irrémédiablement atteinte par la grève293. Partant, le magistrat ne peut pas faire droit à cet argument parce qu’il viderait ipso facto le droit de grève de sa substance.
80. Deuxièmement, les deux droits ici opposés n’ont pas la même valeur juridique. D’une part, la liberté d’entreprendre n’a pas, en droit belge, le statut de droit fondamental. Comme nous l’avons expliqué ci-avant294, cette liberté économique n’est haussée au titre de droit fondamental que dans le cadre du droit européen. Dans notre ordre juridique, elle bénéficie d’un statut hybride puisqu’il s’agit d’une norme législative à justiciabilité constitutionnelle. D’autre part, le droit de grève constitue un droit fondamental de par sa présence dans la Charte sociale européenne. Par conséquent, il n’est pas question pour le magistrat de concilier deux droits de valeur égale : la protection juridique supérieure de la grève lui permet de primer la liberté d’entreprendre. Le recours à la théorie de l’abus de droit n’est, de ce fait, pas nécessaire, son utilité valant surtout pour les situations où les droits opposés sont d’égale valeur.
81. Troisièmement, la Charte sociale européenne prévoit que des restrictions puissent être imposées aux droits fondamentaux295. La liberté d’entreprendre pourrait ainsi constituer une dérogation, si elle remplit les trois conditions posées par la Charte. Tout d’abord, la dérogation doit être prévue par la loi. Cette condition est formellement remplie puisque cette liberté se trouve dans le Code de droit économique. Néanmoins, il n’est pas précisé qu’elle serve à limiter le droit de grève. Cet aspect demeure donc contestable au regard de l’impératif de prévisibilité et de stabilité. Et la jurisprudence ne pallie pas cette carence puisqu’elle n’est pas unanime et que la Cour de cassation
292 J. CLESSE, op. cit., p. 26.
293 Ibid.
294 Cf. supra n° 44.
295 Charte sociale européenne révisée, précitée, art. G.
n’a jamais tranché une telle question. Ensuite, la dérogation doit viser la protection d’un intérêt public spécifique ou des droits et libertés d’autrui. Cette exigence d’un but légitime risque de poser problème. En effet, le Comité européen des droits sociaux a déjà eu l’occasion de préciser que « les répercussions alléguées des grèves sur l’économie […] ne peuvent être qualifiées de but légitime »296. La qualification des intérêts économiques de l’entreprise en but légitime se trouve donc compromise297. Enfin, la restriction doit être proportionnée à l’objectif poursuivi. Le bât blesse particulièrement ici. L’invocation de la liberté d’entreprendre a pour conséquence de vider purement et simplement le droit de grève de sa substance puisque la seule abstention de travail sans piquet ni occupation porte en elle-même atteinte à la liberté patronale. La disproportion est donc manifeste entre la préservation des intérêts de l’employeur et la dénaturation complète du droit de grève. Les trois exigences de l’article G pour accepter que la liberté d’entreprendre constitue une dérogation au droit fondamental d’action collective ne sont donc pas remplies en l’état. En conséquence, la grève prévaut sur la liberté d’entreprendre.
§ 3. Droit de grève et liberté de travailler
82. L’employeur qui invoque la liberté de travailler des non-grévistes pour demander la levée d’un piquet de grève ou l’évacuation d’occupants soulève différentes questions et objections tant procédurales que matérielles. Nous étudierons, tout d’abord, la question de l’intérêt du patron à agir en justice (A), ensuite, nous verrons la conciliation concrète entre ces droit et liberté (B), enfin, nous ferons un point sur la question des propositions de lois en ce domaine et ce qu’elles pourraient modifier en pratique (C).
A. Intérêt à agir de l’employeur
83. Dans le procès que nous étudions, l’employeur se trouve devant le juge à invoquer la liberté de travailler des non-grévistes. Avant d’aborder le fond du problème, deux précisions liminaires doivent être formulées. D’une part, un justiciable ne peut invoquer que ses droits et libertés propres devant un magistrat en raison de l’exigence d’intérêt personnel298. Personne, en dehors du Ministère public, n’est autorisé à agir en justice pour défendre autrui. D’autre part, la liberté de travailler ne
296 Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 32/2005, CSIB/CSP/CES c. Bulgarie, Décision sur le bien-fondé du 16 octobre 2006, accessible sur le site internet hudoc.esc.coe.int (consulté le 2 août 2017), § 36.
297 G. COX, « Beperkingen aan het recht op collective actie », in Collectieve conflicten, op. cit., p. 126.
constitue, pour le travailleur, qu’une émanation de la liberté contractuelle dans le domaine du travail. Quant au patron, il est habilité à invoquer le contrat de travail devant le juge en sa qualité d’employeur cocontractant.
84. L’employeur se prévaut donc d’un contrat qu’il ne peut plus exécuter. L’idée sous-jacente est que l’action collective l’empêche de fournir du travail aux non-grévistes et l’empêche a fortiori de rémunérer les prestations de ces derniers. Sur ce dernier point, en réalité, la loi de 1978 relative aux contrats de travail suspend l’obligation patronale de rémunération en cas de grève299. Par voie de conséquence, l’employeur est également dispensé de son obligation de fournir du travail à ses subordonnés300. Ces derniers, en revanche, peuvent choisir entre attendre la fin de l’action collective avec une perte de salaire, et exécuter effectivement leurs prestations pour percevoir leurs salaires301. Dans ce dernier cas, le patron peut alors opposer aux salariés l’exception de grève pour refuser l’exécution du contrat302. Les travailleurs pourraient alors engager éventuellement une procédure judiciaire visant à obtenir un dédommagement s’ils parviennent à prouver une faute dans le chef du patron, notamment le refus de fournir le travail convenu alors que l’action collective ne l’empêchait pas303. Cependant, cette hypothèse n’est pas pertinente au regard de notre situation, étant donné que le blocage ou l’occupation de l’entreprise dédouane complètement l’employeur de son obligation de fournir du travail304. Ainsi, le patron n’est pas tenu d’introduire une action en justice pour pouvoir exécuter ses prestations contractuelles. Partant, l’employeur, pour contester la grève, ne pourra pas tirer argument du fait que cette dernière l’empêche de fournir du travail à ses travailleurs. Il reste libre d’intenter un procès pour pouvoir exécuter ses contrats, mais sans y être contraint.
B. Conciliation du droit de grève et de la liberté de travailler
85. Pour concilier la liberté de travailler et le droit de grève, il convient de procéder en deux temps. Premièrement, rappelons que la liberté de travailler trouve source dans l’article 1134 du Code civil, il ne s’agit que d’une prérogative civile au contraire de la grève qui constitue un droit fondamental. La conciliation entre la liberté civile des non-grévistes et le droit d’action collective des grévistes ne pose donc pas de difficulté : le droit fondamental prévaut sur la liberté légale. Il en va exactement de
299 Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, précitée, art. 27, § 1er, al. 1er, 2°.
300 J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », op. cit., pp. 75-76.
301 Ibid., p. 82.
302 Ibid., pp. 76-77.
303 Ibid.
304 Ibid., p. 76.
même lorsque l’employeur invoque son contrat puisqu’il fonde alors son argumentaire sur la liberté contractuelle qui trouve source dans la même disposition. L’abus de droit n’est pas utile puisque la grève prime.
86. Deuxièmement, la liberté contractuelle pourrait constituer une dérogation au droit de grève. Il nous faut donc vérifier que les trois conditions de l’article G sont réunies. Tout d’abord, la restriction doit être prévue par la loi. C’est le cas, à l’article 1134 du Code civil, mais cette disposition est muette sur cette question. La jurisprudence ne permet pas de préciser le principe puisque les Cours et Tribunaux ne sont pas unanimes et que la Cour de cassation n’a jamais rendu d’arrêt dans ce domaine. Les exigences de prévisibilité et de stabilité ne sont donc pas rencontrées. Ensuite, la dérogation doit viser la protection d’un intérêt public spécifique ou de droits ou libertés d’autrui. C’est le cas : la liberté de travailler est une prérogative des travailleurs non-grévistes et la liberté contractuelle est un droit de l’employeur. Insistons cependant sur ceci : ce n’est pas tant la liberté de travailler qui protège les non-grévistes que leurs collègues grévistes puisque ces derniers « luttent tout autant pour l’amélioration des conditions de travail des non-grévistes alors que ceux-ci ne font rien, bien au contraire, pour mériter ces avantages »305. Enfin, la restriction doit être proportionnée au but poursuivi. Rappelons que la reconnaissance de la liberté de travailler revient ipso facto à interdire les piquets de grève bloquant ainsi que les occupations d’entreprise. Cela permet également des pressions informelles de la part de l’employeur afin de dissuader les travailleurs de faire grève. La conséquence consiste donc moins en la protection des travailleurs qu’en l’affaiblissement de ces derniers dans le rapport de force en jeu dans le conflit collectif. Aussi légitime soit l’objectif d’assurer la continuité du travail, réduire ainsi drastiquement les capacités d’action des travailleurs semble donc disproportionné. Partant, les conditions de l’article G ne sont pas réunies, et ni la liberté de travailler des non-grévistes ni la liberté contractuelle de l’employeur ne peuvent tenir lieu de restriction au droit de grève.
C. Analyse de la proposition de loi du 20 novembre 2015
87. La liberté de travailler demeure une question politique sujette à débats et controverses. Véritable « ‘tarte à la crème’ des juristes patronaux »306, elle illustre bien le fossé pouvant exister
305 M. MAGREZ, note sous Prés. Trib. trav. Namur, 11 févier 1976, R.C.J.B., 1977, p. 600, cité par G. DEMANET, op. cit.,
p. 63.
306 J. GENNEN, « À propos des occupations d’usine », Bulletin de la Fondation André Renard, 1976, p. 26, cité par L. FRANÇOIS, op. cit., p. 50.
entre un discours et une intention, le patronat allant ici jusqu’à prétendre défendre les travailleurs dans le but de réduire leurs moyens d’action. Mais le paroxysme est atteint lorsque les partis situés à la droite de l’échiquier politique307 se hissent en protecteurs des travailleurs non-grévistes, alors que ce sont historiquement les partis de gauche qui se sont fait les porte-paroles des travailleurs dans l’arène politique308. Les partis libéraux ont ainsi déposé de nombreuses propositions de lois visant à restreindre le droit de grève par la protection de la liberté de travailler309. Celles-ci ont souvent visé la réintroduction d’un article dans le Code pénal afin d’assurer l’effectivité de cette liberté310 311.
88. La dernière proposition de loi en date du 20 novembre 2015312 diffère toutefois des précédentes et mérite une attention particulière. Elle provient de députés du Mouvement Réformateur et vise également à reconnaître une liberté de travailler. Néanmoins, elle est plus intéressante que les propositions antérieures parce que son exposé des motifs est bien plus détaillé et pointu sur les questions traitées. Quatre conclusions peuvent être tirées de la lecture de ce document. Premièrement, les développements confirment notre propos ci-dessus qualifiant la liberté de travailler de simple liberté civile ne bénéficiant d’aucune protection juridique spécifique313. Ils confortent également le constat du caractère disparate de la jurisprudence en ce domaine et de l’absence de sécurité juridique en termes de stabilité et de prévisibilité314. Deuxièmement, la proposition fait fi de l’article G de la Charte sociale européenne, alors qu’il s’agit du pivot central en matière de limitation du droit de grève et que cette proposition de loi entend justement aller en ce sens. Toutefois, ce document semble implicitement viser la réunion des conditions de cette disposition. En définissant la liberté de travailler comme une dérogation au droit d’action collective, une telle législation permettrait de remplir les deux premières exigences (prévision par la loi et objectif légitime). Quant à la troisième condition de proportionnalité, elle pourrait trouver source dans les développements de la proposition, même si
307 P. HUMBLET, « Regulering van de staking : noodzaak, provocatie of windowdressing », in Arbeid vs. Kapitaal, een kwarteeuw staking(srecht), op. cit., pp. 125 et s.
308 Ibid., p. 133.
309 Pour un exposé complet et détaillé, voy. ibid., pp. 125 et s.
310 La même proposition de modification a été introduite plusieurs fois ces dernières années, voy. Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2005-2006, n° 2289/001 ; Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2007-2008, n° 0331/001 ; Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2007-2008, n° 0726/001 ; Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2010-2011, n° 1565/001.
311 Notons que le principe de la garantie de travailler ainsi que la peine proposée équivalent au contenu de l’article 310, à savoir une incrimination adoptée à une époque où la majorité des Belges n’avait pas le droit de vote.
312 Proposition de loi visant à définir la liberté de travailler, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° 1470/001 ; S. GILSON, « Une liberté de travailler bientôt consacrée ? », Bull. jur.et soc., 2016, n° 565, p. 1.
313 Proposition de loi visant à définir la liberté de travailler, précitée, Développements, pp. 11 et s.
314 Ibid., pp. 12-13.
nous ne sommes pas de cet avis pour les raisons évoquées ci-avant315. Troisièmement, ce texte ne résout en aucun cas la situation de l’intérêt à agir. En effet, au contraire des propositions d’incriminations pénales qui autoriseraient le Ministère public à poursuivre les contrevenants, cette proposition ne fait que définir la liberté de travailler sans y attacher de sanction. Garantir cette prérogative dans le chef du travailleur ne confère pas d’argument supplémentaire dans le chef de l’employeur. Celui-ci continuerait à ne pouvoir invoquer que sa liberté d’exécuter son contrat de travail. En réalité, si ce document venait à être adopté, il ne ferait qu’assurer au travailleur non- gréviste l’argument juridique nécessaire au cas où il intente lui-même une action contre l’action collective. Quatrièmement, la proposition de loi elle-même n’est pas claire quant à l’impact de la grève sur la liberté de travailler. La règle est formulée comme suit : « Toute atteinte illégitime portée volontairement à l’exercice de [la liberté de travailler] est interdite »316. Le détour par l’exposé des motifs permet de comprendre que la grève constitue une telle atteinte317. Néanmoins, une lecture simple de l’article ne permet pas de le comprendre parce qu’une grève, pour les raisons évoquées ci- avant318, ne constitue pas per se une atteinte illégitime à la liberté de travailler. Dans un autre registre, et afin de pointer les contradictions, la disposition pourrait également être utilisée en vue, par exemple, de limiter le droit discrétionnaire de l’employeur de licencier ses travailleurs. Il s’agit certainement d’une restriction définitive à la liberté de travailler dans une entreprise. Mais le Mouvement Réformateur ne fait pas de propositions de loi en ce sens. Preuve supplémentaire, si de besoin, que la défense des travailleurs se trouve instrumentalisée pour réduire les moyens d’action de ces derniers.
89. Pour conclure, cette proposition de loi est intéressante dans son développement qui fait montre d’une connaissance approfondie – même si partisane – de la thématique. Néanmoins, en cas d’adoption, cette loi ne changerait rien aux procédures judiciaires tant que l’employeur intente seul des procès à l’encontre des grévistes.
§ 4. Droit de grève et droits et libertés des tiers
90. Les derniers droits et libertés à concilier avec le droit de grève sont les prérogatives des tiers au conflit collectif. Rappelons que l’employeur n’est pas habilité à se prévaloir des droits d’autrui
315 Cf. supra n° 85.
316 Proposition de loi visant à définir la liberté de travailler, précitée, art. 4.
317 Ibid., Développements, pp. 3-7.
318 Cf. supra n° 18-20 et 85-86.
mais uniquement de ses contrats319. Nous analyserons, tout d’abord, la liberté d’entreprendre des partenaires commerciaux, ensuite, la liberté de consommer des clients, enfin, les conséquences de la grève sur les contrats de l’employeur avec les tiers.
91. Premièrement, quand l’employeur se prévaut de ses obligations commerciales à l’égard de ses partenaires, il n’invoque qu’une simple liberté contractuelle de valeur civile. Au regard du droit fondamental d’action collective, celui-ci prévaut sans nul doute. Si le requérant est le cocontractant de l’employeur, celui-ci pourrait invoquer sa liberté d’entreprendre dont la nature juridique particulière n’en demeure pas moins de valeur légale. Le résultat de la confrontation demeure identique. La théorie de l’abus de droit n’est pas nécessaire vu la prévalence de la grève.
92. Se pose ensuite la question de savoir si la liberté contractuelle du patron ou la liberté d’entreprendre du partenaire commercial peuvent constituer des dérogations au droit de grève sous les conditions de l’article G de la Charte sociale européenne. Tout d’abord, concernant la prévision par la loi, nous renvoyons aux précédents développements320 et relevons uniquement que ces libertés sont consacrées dans la loi mais de manière principielle et sans aucune référence au droit de grève qu’elles seraient susceptibles de limiter. Cette imprécision n’est pas comblée par la jurisprudence qui demeure disparate et sans position claire de la Cour de cassation. Ensuite, les libertés en question pourraient bien ne pas être considérées comme des buts légitimes étant donné la position prise par le Comité européen des droits sociaux321. Celui-ci considère que les répercussions sur l’économie ne sont pas un objectif acceptable. Or la liberté d’entreprendre du partenaire commercial et la liberté contractuelle de l’employeur constituent in casu la protection juridique de leurs intérêts économiques. Enfin, pour ce qui touche à la proportionnalité entre l’objectif poursuivi et les moyens mis en œuvre, nous renvoyons également à ce qui a déjà été dit322. Rappelons simplement qu’il y a disproportion manifeste entre la protection des libertés d’entreprendre et de contracter en temps de grève, et la restriction apportée au droit de grève. En effet, la grève porte, par essence, atteinte aux intérêts et aux capacités économiques de l’employeur et a fortiori de ses partenaires, on ne peut donc défendre ici les libertés de ces derniers sans dénaturer le droit d’action collective des travailleurs.
319 Cf. supra n° 83.
320 Cf. supra n° 81 et 86.
321 Cf. supra n° 81.
93. Deuxièmement, concernant la liberté de consommer du client, il faut à nouveau préciser la distinction entre la liberté contractuelle de l’employeur de vendre des produits à des particuliers, et la liberté de consommer du client, qui constitue une simple application de sa liberté contractuelle dans le domaine de la consommation. Dans les deux cas, il s’agit d’une liberté civile de valeur légale. Ainsi, la personne du requérant importe peu, qu’il s’agisse du patron ou du client, puisque leurs arguments ont la même force juridique. Face au droit fondamental d’action collective, celui-ci prime ces libertés civiles. Et nous pouvons nous dispenser de la théorie de l’abus de droit étant donné la primauté du droit de grève.
94. À la question de savoir si ces prérogatives légales pourraient constituer une dérogation au droit de grève, il convient de passer en revue les trois conditions de l’article G. Nous renvoyons pour l’essentiel à ce qui a déjà été développé en matière de dérogation à la grève par une liberté civile323. Précisons que ces libertés sont prévues par la loi, mais il persiste un manque de sécurité juridique étant donné l’absence d’explicitation de la grève dans les dispositions en question324 et la disparité de la jurisprudence. Il pourrait éventuellement s’agir d’objectifs légitimes même si cela demeure des répercussions purement économiques, en l’occurrence des échanges marchands, or ce motif n’est pas accepté par le Comité européen des droits sociaux. Quant à la proportionnalité, elle n’est pas sans poser problème également. Restreindre le droit de grève pour satisfaire des velléités de consommation et de vente paraît disproportionné. En effet, l’action sociale n’a pas vocation à s’étendre dans la durée, il s’agit d’un coup de force d’un ou plusieurs jours, rarement plus. Ainsi, il ne paraît pas déraisonnable de considérer que le client peut reporter son achat ou se tourner vers un autre fournisseur pendant la durée de la grève.
95. Troisièmement, il convient de préciser les conséquences contractuelles de l’action collective dans le chef de l’employeur. Celui-ci se trouve donc dans l’impossibilité d’exécuter ses prestations, et ses cocontractants peuvent le lui reprocher en justice. Dans une telle situation, le patron peut invoquer le cas de force majeure325. Cependant, pour que le juge accepte l’exception, celle-ci requiert d’être imprévisible et insurmontable326. Or, il est contestable que ces conditions soient rencontrées in casu327. En effet, pour la première condition, seules les grèves spontanées sont imprévisibles. En
323 Cf. supra n° 81 et 86.
324 C. civ., art. 1134 ; C. dr. écon., art. V.8.
325 V. VANNES, Le droit de grève …, 2e éd., op. cit., pp. 605 et s. ; J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », op. cit., pp. 58 et s.
326 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Les incapables, les obligations (première partie), Bruxelles, Bruylant, 1934, pp. 597-598.
327 J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », op. cit., p. 59.
revanche, en présence d’un préavis, l’employeur peut s’attendre à l’action sociale. Pour la seconde condition, le caractère insurmontable est plus difficile à établir parce que, par hypothèse, il suffit au patron d’accepter les revendications des travailleurs pour que cesse l’action collective. Il découle de tout ceci que la force majeure est rarement acceptée par les tribunaux belges comme cause légitime d’inexécution des prestations contractuelles328. Ainsi, l’employeur ne peut pas utiliser la grève pour légitimer la suspension de ses obligations commerciales, et tant que l’action collective demeure légale, le patron ne pourra pas se retourner contre les grévistes pour leur imputer cette inexécution.
96. En conclusion, la circonstance que l’entreprise n’est plus à même d’assurer ses obligations contractuelles à l’égard de ses partenaires commerciaux et de ses clients ne constitue pas un argument suffisant pour requérir du juge qu’il condamne les modalités de la grève. Celle-ci bénéficie d’une protection juridique supérieure, et les libertés des différents protagonistes ne remplissent pas les conditions de la Charte sociale européenne pour limiter l’action collective. L’employeur ne pourra pas invoquer la force majeure et devra donc subir ce dommage économique supplémentaire.
97. Pour conclure ce chapitre, retenons que les arguments patronaux visant à restreindre le droit de grève n’y parviennent pas lorsque nous faisons une application sérieuse, à la fois de la nature des droits et libertés en présence, des outils pour les concilier, et des conditions à remplir pour qu’une prérogative personnelle puisse déroger au droit de grève au regard de la Charte sociale européenne. Ainsi, l’action collective est un droit fondamental qui prime tous les droits invoqués par l’employeur à l’exception du droit de propriété. Nous avons établi que l’utilisation de ce dernier pour limiter la grève constitue un abus de droit. Quant aux autres prérogatives, elles ne remplissent pas les conditions de l’article G. L’action collective prévaut.
328 J.-F. NEVEN, « La grève et les tiers », op. cit., pp. 59-60.
Chapitre 4. Perspective critique et épistémologique
98. L’analyse et la critique de la judiciarisation du droit de grève mettent en lumière des inadéquations dans le travail du juge et dans le litige dont il est saisi. Premièrement, du côté du juge, trois aspects semblent déplacés. Tout d’abord, le juge intervient incidemment dans un conflit collectif, alors que la résolution de ce type de conflit appartient par principe aux interlocuteurs sociaux. Ensuite, il intervient incidemment dans un conflit d’intérêts, alors qu’il est constitutionnellement chargé de trancher des litiges de droit. Enfin, il résout un conflit qui oppose un individu à un groupe, alors qu’il est investi par la Constitution pour trancher des litiges intersubjectifs. Deuxièmement, du côté du conflit dont le juge est saisi, deux éléments sont problématiques. Tout d’abord, les arguments des parties sont de natures foncièrement distinctes : l’employeur invoque des droits civils tandis que les travailleurs invoquent un droit social. Ensuite, l’abus de droit est une théorie proprement civile qui ne trouve aucune pertinence dans une application au droit de grève. L’explication de ces inadéquations nécessite de prendre du recul.
99. Au Président du Tribunal de première instance saisi d’une requête unilatérale en extrême urgence d’un employeur fâché contre les modalités de la grève de ses travailleurs, on ne demande en réalité pas de trancher un conflit de droits subjectifs comme son métier l’exige, on lui demande de résoudre un véritable choc de nature épistémologique. Deux paradigmes – ou « rationalités juridiques »329 – s’affrontent ici. Le premier est celui du droit civil et est fondé sur un prisme individualiste : liberté individuelle, droit de propriété, liberté de contracter, responsabilité délictuelle et contractuelle, égalité des droits330. Le second est propre au droit social et son prisme est holistique : il s’agit de prendre en compte les groupes sociaux, d’appréhender les conflits structurels, d’insister sur la négociation, de reconnaître les inégalités pour y remédier331. Face à un problème ou un accident, le droit civil cherche les responsabilités individuelles tandis que le droit social trouve des solutions collectives, pour reprendre l’expression consacrée. Ces deux rationalités sont diamétralement opposées et appréhendent notre situation sous des angles antagoniques, comme en témoigne M. Planiol, civiliste français, qui qualifiait la grève de « droit contraire au droit »332.
329 L’expression vient de A. SUPIOT, Critique du droit du travail, 3e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2016, pp. 194 et s.
330 F. EWALD, op. cit., pp. 53 et s. ; F. OST, « Rapport général de synthèse », in Les conflits collectifs en droit du travail
…, op. cit., p. 127.
331 F. EWALD, op. cit., pp. 450 et s. ; F. OST, op. cit., p. 128.
332 M. PLANIOL, note sous Bourges, 19 juin 1894, D.P., p. 441, cité par F. DORSSEMONT, « À propos des sources … »,
op. cit., p. 7.
100. Dans le conflit judiciaire étudié, le juge se trouve donc face à une opposition qui n’est pas supposée exister. Le conflit social devrait être réglé selon les principes du droit du travail : négociation collective, grève et lock-out, recours éventuel à la commission paritaire, accord entre représentants des travailleurs et employeur. Au lieu de ce schéma classique, le patron va user de ses prérogatives en droit civil. Il invoque son droit de propriété, des libertés contractuelles, et il intente un procès. Partant, il se situe hors champ social. Ou plutôt essaie-t-il de réduire le champ social parce que ce champ possède la caractéristique de prendre en compte les groupes, les conflits structurels, la négociation, et donc de placer les travailleurs dans une meilleure position qu’ils ne le sont sous l’angle du droit civil. L’intuition invite à penser que le droit social est un domaine particulier de la science juridique consacré aux phénomènes du travail et de la sécurité sociale, tandis que le droit civil s’attache également à ses thématiques propres. Pourtant, ce dernier vient ici empiéter sur le territoire réservé au droit social. Mais cela n’est pas illogique étant donné que les rationalités civile et sociale sont susceptibles de s’appliquer à tous les champs du droit, pas uniquement à ceux dont ils sont tenant initialement333. Ainsi que l’exprime admirablement F. Ewald : « droit civil et droit social ne se complètent pas seulement ; ils se concurrencent, se jalousent dans la mesure même où tous deux ont commune prétention à la totalité »334. L’employeur essaie donc de faire jouer une rationalité juridique contre une autre. Il ressort ainsi de la confrontation des arguments du demandeur et du droit de grève une totale inadéquation. Une inadéquation salvatrice néanmoins puisque les thèses civiles du patron ne sont pas à même de contrecarrer l’action collective des travailleurs – du moins en théorie puisque les juges ne sont pas toujours de notre avis, nous revenons sur cet élément ci-après. Par conséquent, le patronat joue de malhonnêteté en contournant sciemment les dispositifs de négociation collective. L’employeur confronté à une grève est sommé de négocier, éventuellement d’user de son droit de lock-out, de recourir à la commission paritaire, et en cas de rapport de force défavorable, d’accepter les revendications des grévistes. Le détournement des voies légales est particulièrement problématique parce qu’il met à mal les balises fondamentales du droit social.
101. Les magistrats violent également les principes qui régissent le droit social et ce, sur simple requête patronale. Et la circonstance que le juge saisi soit le Président du Tribunal de première instance n’est sans doute pas anodine. Qui de mieux qu’un juge civil pour donner raison à des arguments de droit civil face à des modalités de la grève tout droit sorties du droit social, parfois
333 F. EWALD, op. cit., pp. 435 et s.
334 Ibid., p. 436. L’auteur donne plusieurs exemples d’extension du paradigme du droit social à d’autres domaines du droit, notamment le droit de la consommation (ibid., pp. 453 et s.).
considéré avec suspicion en tant que droit des pauvres ou de la classe laborieuse335 ? Le juge se trouve ici complice des employeurs en faisant prévaloir le paradigme civil sur le paradigme social. Le choix d’une rationalité ou une autre pour appréhender un phénomène a des implications immenses, comme en témoigne la jurisprudence actuelle en matière de limitation de la grève. Ainsi, vu les importantes conséquences d’un tel choix, la question de l’application d’une rationalité à un domaine juridique ne doit pas relever de la compétence d’un juge. Seule une norme générale et abstraite est susceptible de consacrer de tels principes. Et le droit belge le fait depuis des décennies avec une architecture et une règlementation de la négociation collective autonome qui permet de résoudre les conflits sociaux.
102. Cette nécessité de distinguer le pouvoir judiciaire du conflit social est bien exprimée par W. Churchill, alors député, dans ce passage annoncé en couverture que nous reprenons en intégralité. « It is not good for trade unions that they should be brought in contact with the courts, and it is not good for the courts. The courts hold justly a high and, I think, unequalled prominence in respect of the world in criminal cases, and in civil cases between man and man, no doubt, they deserve and command the respect and admiration of all classes in the community, but where class issues are involved, and where party issues are involved, it is impossible to pretend that the courts command the same degree of general confidence. On the contrary, they do not, and a very large number of our population have been led to the opinion that they are, unconsciously, no doubt, biassed »336.
103. En conclusion, et au-delà de l’argumentaire juridique proposé dans les chapitres deux et trois, il est nécessaire de relever que le problème de fond prend place sur un terrain plus théorique, celui de l’épistémologie. Depuis la fin du XIXe siècle, les travailleurs ont progressivement obtenu le développement d’une nouvelle rationalité, émancipée des principes du droit civil, qui permet une véritable prise en compte de leurs intérêts par le biais de dispositifs de conciliation des conflits. De manière contre-intuitive peut-être, ce paradigme holistique a permis de mieux protéger les personnes que le paradigme individualiste. Le droit du travail se trouve actuellement en proie à un retour en force de la rationalité civile, sous la houlette d’un patronat réticent à la moindre concession, et avec la complicité d’une partie de la magistrature acquise à la dénégation des principes fondateurs du droit social. Le retour au droit civil aura pour conséquence logique la résurgence des pratiques du XIXe siècle qui limitaient la négociation collective des travailleurs et autorisaient les employeurs à
335 M. ALALUF, « Le travail est-il soluble dans le droit ? Spécificité du droit social et juridictions du travail », Chron. D.S., 2000, p. 5.
336 W. CHURCHILL, intervention parlementaire, House of Commons, 30 mai 1911, Débat sur le projet de loi sur les syndicats, accessible sur le site internet hansard.millbanksystems.com (consulté le 8 août 2017).
opprimer leurs subordonnés individuellement. L’enjeu du débat se situe donc bien dans la réhabilitation des principes du droit social afin de préserver un champ socio-économique favorable à tous les individus et groupes sociaux, y compris les travailleurs.
Conclusion
La judiciarisation du droit de grève est une thématique qui demeure complexe et controversée depuis son émergence dans les années 1980. Bien que la Charte sociale européenne a consacré le droit d’action collective comme droit fondamental, cette prérogative des travailleurs continue d’être contestée par voie de requête unilatérale. Dans ce mémoire, nous avons démontré en quoi ce procédé était juridiquement irrégulier sous de nombreux aspects, en gardant à l’esprit la réalité du conflit collectif. Notre argumentaire s’est déroulé en cascade afin d’expliquer les problèmes que pose cette pratique à tous les stades du procès.
Dans un premier chapitre, nous avons exposé l’état actuel du droit de grève, un droit fondamental protégé par des normes internationales et absent de la législation belge. Nous avons également rappelé que les conditions pour déroger à ce droit sont restrictives et énumérées dans la Charte sociale européenne malgré leur violation courante par les Cours et Tribunaux de Belgique. Nous avons enfin défini le droit de grève d’une manière téléologique, ce qui permet d’inclure sous la protection légale les différentes modalités contestées par l’employeur.
Le deuxième chapitre a centré l’analyse sur le droit judiciaire. Une première étape a expliqué en quoi le pouvoir judiciaire n’est pas habilité à connaître d’une action sociale. La juridiction du troisième pouvoir ne s’étend pas au règlement des conflits d’intérêts, or l’interdiction ou la limitation des modalités d’une grève a nécessairement un impact sur le rapport de force en jeu dans le conflit, ainsi le juge en vient à outrepasser ses pouvoirs constitutionnels. La deuxième étape a permis de contester la compétence du Président du Tribunal de première instance. Celui-ci ne peut pas prendre de décisions qui portent définitivement et irrémédiablement atteinte aux droits des parties. Or un référé produit cet effet-là dans le cas d’une action collective. La troisième étape s’est attachée à la requête unilatérale dont nous avons montré que les conditions de possibilité et d’introduction n’étaient pas réunies. L’absence de débat contradictoire n’est acceptable qu’en cas d’effectivité d’un recours en tierce opposition ou appel, une exigence qui ne peut être remplie dans notre situation. Et la requête fait l’objet de nombreux abus, surtout lorsque les patrons l’utilisent sous prétexte de méconnaissance des grévistes.
Le troisième chapitre a consisté à se mettre à la place du juge pour apprécier les arguments du requérant et le droit de grève de la défense – absente ne l’oublions pas. Parmi les arguments, seul le
droit de propriété a la valeur de droit fondamental, les autres ne sont que l’application de la liberté civile de conclure et d’exécuter un contrat. Dans les outils de conciliation, la théorie de l’abus de droit est utile pour concilier des droits d’égale valeur, mais elle ne peut pas être utilisée à l’égard du droit de grève sans le dénaturer. En revanche, son application au droit de propriété permet de limiter l’invocation de ce dernier et de protéger ainsi le droit de grève. Concernant le principe de proportionnalité, il ne s’applique pas à la grève mais aux restrictions qu’on lui apporte. Il a ainsi été utile pour la conciliation avec les libertés civiles en application de la Charte sociale européenne. Les conditions pour restreindre le droit de grève ne sont pas remplies, et ce dernier prévaut sur ces libertés.
Dans un quatrième et ultime chapitre, nous avons souligné le problème de fond de cette thématique, qui est de nature épistémologique : le retour en force de la rationalité du droit civil dans un domaine jusqu’ici réservé à la rationalité du droit social. Plus qu’un conflit juridique, la confrontation de ces paradigmes a des implications qui dépassent l’office du juge. Seul le législateur est susceptible de décider d’appliquer un schème ou un autre dans la résolution des conflits collectifs. Le prétoire n’est pas le lieu pour contester une grève, et le droit civil n’a rien à faire dans ces questions, seul le droit social est susceptible d’utilité dans cette situation.
Dans ce mémoire, nous avons discuté d’un sujet révélateur d’un changement de notre société, amorcé voici plus de trente ans, et qui vise à remettre en cause tous les fondements de notre État social. Les phénomènes de mondialisation et de financiarisation de notre système économique portent une lourde responsabilité dans cette évolution. Dumping social, délocalisations, flexibilité du marché du travail, tous ces phénomènes grignotent, jour après jour, les acquis sociaux des travailleurs et des syndicats. Les droits sociaux, souvent dénigrés tels de purs conservatismes, sont le résultat de nombreuses luttes et d’innombrables sacrifices humains. Plus que des rigidités de l’économie, le droit du travail et la Sécurité sociale ont permis à l’ensemble de la population occidentale de se développer comme aucune autre société dans l’Histoire. Et cela a permis de joindre l’impératif d’égalité à celui de liberté, deux valeurs fondatrices de notre démocratie.
La judiciarisation du droit de grève est un épiphénomène dans la remise en cause de notre modèle social. Néanmoins, il est utile de s’y attaquer pour défendre ce dernier. Cette pratique n’est pas inéluctable, et l’urgence est d’introduire deux règles dans la loi. D’une part, le Code judiciaire doit prévoir qu’un juge ne peut en aucun cas connaître d’une situation liée à un conflit social en cours. D’autre part, l’employeur, désireux d’en finir avec une action collective, doit être tenu, par exclusion
des voies judiciaires, de négocier pour régler le conflit de fond en accord avec les travailleurs, quitte à saisir la commission paritaire compétente.
Il est courant dans ce domaine que les conclusions précisent que la violence n’est jamais souhaitable ni acceptable, quelle que puisse être la légitimité de la grève. C’est une critique louable, mais qui manque sa cible. Le fonctionnement d’une entreprise n’est pas démocratique puisque le pouvoir est légalement réuni dans les mains d’un individu – l’employeur –, et la majorité des personnes intéressées – les travailleurs – n’ont pas de pouvoir de décision. La grève tente de répondre à cette violence structurelle, tandis que le juge saisi joue le rôle de la police et mate les insurgés. Cette situation est mieux décrite par Dom Hélder Pessoa Câmara, archevêque brésilien, dont les mots relatifs à la dictature de son pays résonnent mutatis mutandis pour notre sujet : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »337. La violence doit être critiquée, sachons simplement ne pas nous tromper de cible.
337 H. PESSOA CÂMARA, citation, accessible sur site internet www.catechetes.qc.ca (consulté le 13 août 2017).
Annexe
Extraits de la Charte sociale européenne révisée
Dans cette annexe sont repris les deux articles de la Charte sociale européenne révisée qui ont été le plus utilisés au cours de ce mémoire.
Article 6 – Droit de négociation collective
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties s’engagent :
1. à favoriser la consultation paritaire entre travailleurs et employeurs ;
2. à promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l’institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de régler les conditions d’emploi par des conventions collectives ;
3. à favoriser l’institution et l’utilisation de procédures appropriées de conciliation et d’arbitrage volontaire pour le règlement des conflits du travail ;
et reconnaissent:
4. le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur.
Article G – Restrictions
1. Les droits et principes énoncés dans la partie I, lorsqu’ils seront effectivement mis en œuvre, et l’exercice effectif de ces droits et principes, tel qu’il est prévu dans la partie II, ne pourront faire l’objet de restrictions ou limitations non spécifiées dans les parties I et II, à l’exception de celles prescrites par la loi et qui sont nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d’autrui ou pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs.
2. Les restrictions apportées en vertu de la présente Charte aux droits et obligations reconnus dans celle-ci ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues.
Bibliographie
Législation
Traités internationaux
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Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, adopté à Paris le 20 mars 1952, approuvé par la loi du 13 mai 1955, M.B., 19 août 1955, p. 5028.
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Législation belge
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Loi du 3 août 2016 portant des dispositions diverses en matière ferroviaire, M.B., 7 septembre 2016,
p. 60143.
Documents parlementaires
Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2005-2006, n° 2289/001.
Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2007-2008, n° 0331/001.
Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2007-2008, n° 0726/001.
Proposition de loi modifiant le Code pénal en vue de garantir le droit au travail durant les actions de grève, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2010-2011, n° 1565/001.
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Audition du 11 mai 2016 relative à la problématique du droit de grève, Procès-verbal fait au nom de la Commission des Affaires sociales, inédit, Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° SOC/005.
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Articles en ligne
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NEVEN J.-F., « SNCB : les ‘petits’ syndicats remis sur les rails… par la Cour constitutionnelle », www.justice-en-ligne.be, 26 juin 2017.
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Articles de quotidien
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Autres
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PESSOA CÂMARA H., citation, accessible sur site internet www.catechetes.qc.ca (consulté le 13 août 2017).
réfugié·es & étranger·ères
petit guide anti-préjugés
© CIRÉ asbl – 2023 – cire.be
Éditrice responsable : Sotieta Ngo, directrice du CIRÉ, 80-82, rue du Vivier, B-1050 Bruxelles
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
SOMMAIRE
Tous·tes migrant·es ? Pourquoi migre-t-on ? 7
1 On est envahi par les migrant·es 9
2 On ne peut pas accueillir toute la misère
du monde 11
3 Si on les accueille, iels vont venir
plus nombreux·ses 13
4 Iels viennent seul·es puis font venir toute
leur famille 15
5 Iels sont un danger pour notre économie 17
6 Iels viennent prendre l’emploi des Belges 19
7 Iels viennent profiter de notre système social 21
8 Iels sont trop différent·es, iels ne s’intégreront
jamais 23
9 Parmi les réfugié·es, il y a des terroristes
et des criminel·les 25
10 C’est en restant chez elleux qu’iels développeront
leur pays 27
Mots-clés 28
Sources 34
« TOUTE PERSONNE A LE DROIT DE QUITTER
TOUT PAYS, Y COMPRIS LE SIEN, ET DE
REVENIR DANS SON PAYS. »
Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 13)
Iels nous envahissent !
Iels menacent notre économie !
Iels sont trop différent·es !
Peut-être même qu’iels sont
dangereux·ses ?
Ces remarques, la plupart des hommes et des femmes qui ont un jour quitté
leur pays en quête d’une vie meilleure les ont déjà entendues. Car l’arrivée de
nouvelles·aux venu·es dans une société suscite toujours des réactions variées :
de la curiosité, de l’hospitalité, mais aussi du rejet ou de la peur. Peur pour son
identité, peur pour sa sécurité, peur pour son argent…
Ces inquiétudes sont bien souvent fondées sur une vision partielle de la réalité,
qui se traduit par des préjugés. L’objectif de cette brochure est de déconstruire
les préjugés que l’on entend le plus souvent aujourd’hui en Belgique… Dans
l’espoir d’informer, d’enrichir la réflexion et de montrer que l’immigration est
d’abord une opportunité pour nos sociétés.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 5
Tous·tes migrant·es ?
Selon les Nations unies, le terme « migrant·e » désigne « toute personne qui a
résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les
causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les
moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer ».
Qu’on soit né au Nord ou au Sud, et qu’on nous appelle « expatrié·es », « réfugié·es »
ou « sans-papiers », nous sommes donc nombreux·ses à être migrants. Et ce n’est
pas nouveau. De tous temps, des êtres humains ont migré, pour assurer leur
survie ou dans l’espoir d’un avenir meilleur.
On oublie parfois qu’au cours des 19e
et 20e
siècles, par exemple, plusieurs
dizaines de milliers de Belges ont fui la misère pour aller s’installer au Canada
et aux États-Unis, et que plus d’1,5 à 2 millions de Belges ont cherché refuge
à l’étranger au cours de chacune des deux guerres mondiales.
Pour reprendre les termes de François Crépeau, ancien rapporteur spécial des
Nations unies pour les droits des migrant·es, « la migration est une réponse
normale aux défis économiques, sociaux, politiques et environnementaux. Elle
fait partie de l’ADN de l’humanité ».
Pourquoi migre-t-on ?
Parmi ces personnes que l’on appelle « migrant·es », chacune a son histoire, ses
raisons. Certaines sont poussées à l’exil par la guerre, les persécutions et les
violations des droits fondamentaux. On parle alors de « réfugié·es ». D’autres
quittent leur pays pour rejoindre leurs proches, pour poursuivre leurs études,
pour travailler… Mais la plupart du temps, les raisons qui poussent une personne à quitter son pays sont multiples. Il est donc illusoire de vouloir ranger
les migrant·es dans des catégories bien distinctes.
Il faut également se méfier de notre tendance à poser un jugement de valeur,
à vouloir distinguer les « bon·nes migrant·es » (en général les réfugié·es, celleux
qui n’ont « pas eu le choix ») des « mauvais·es migrantes » (celleux que l’on qualifie
de « migrant·es économiques »), et à ne faire preuve d’empathie qu’envers les
premier·ères.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 7
1
PRÉJUGÉ#1 On est envahi
par les migrant·es
La proportion de migrant·es parmi la population mondiale reste assez stable dans
le temps, autour de 3,6%, soit 281 millions en 2020.Parmi ces personnes, 49%
sont des femmes et 51 % sont des hommes et parmi celles-ci, 41% sont des
enfants. Le nombre de personnes qui fuient la guerre, les persécutions et les
violations des droits humains est particulièrement élevé ces dernières années. Fin
2021, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugié·es (HCR), le
nombre de personnes déracinées par la guerre, les violences, les persécutions et
les violations des droits humains s’élevait à 89,3 millions, soit une augmentation
de 8% par rapport à l’année précédente. C’est plus du double du chiffre d’il y
a 10 ans. Parmi elles, 27,1 millions ont fui leur pays pour échapper au conflit
et à la persécution et 53,2 millions sont des déplacé·es internes.
En 2021, plus de 2 réfugié·es sur 3 venaient de 5 pays : Syrie, Venezuela,
Afghanistan, Sud Soudan, Birmanie. Des chiffres records liés aux nombreux
conflits qui secouent la planète. Mais 83% de ces réfugié·es se trouvent dans
des pays en développement. En 2021, les principaux pays d’accueil étaient, dans
l’ordre : Turquie, Colombie, Ouganda, Pakistan, Allemagne. De quoi relativiser
le nombre de demandeur·euses d’asile arrivé·es la même année dans l’Union
européenne (UE) (630 890, soit 0,1% de sa population totale de 446 millions)
et en Belgique (25.971, soit 0,2% de sa population totale de 11,5 millions). Les
chiffres plus généraux de l’immigration ne permettent pas non plus de parler
d’invasion. En 2019, le nombre total d’étranger·ères arrivé·es en Belgique,
quel que soit le motif de leur venue, était de 149.174, dont 62% étaient des
citoyen·nes de l’UE
« L’invasion » de l’Europe par les migrant·es est une illusion, renforcée par les
discours politiques, les dispositifs sophistiqués de fermeture et de surveillance des
frontières (murs, barbelés…), ainsi que les milliards d’euros qui y sont consacrés.
L’Europe serait-elle menacée, pour se barricader ainsi ? La réponse est non,
mais des intérêts électoraux et économiques poussent certain·es dirigeant·es
européen·nes à le laisser croire. Ceci n’est pas sans conséquences : ces politiques
poussent les migrant·es à emprunter des routes toujours plus dangereuses et à
risquer leur vie pour rejoindre l’Europe. C’est ainsi que des images de naufrages
et de files interminables apparaissent sur nos écrans, renforçant encore la
crainte de l’invasion.
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2
PRÉJUGÉ#2 On ne peut pas accueillir
toute la misère du monde
Concernant les réfugié·es et les personnes déplacées à l’étranger en 2021,
83% ont été accueilli·es par des pays à revenu faible ou intermédiaire et
27% ont trouvé refuge dans des pays figurant parmi les moins avancés. 72%
vivaient dans des pays voisins de leur pays d’origine. Parmi les pays qui ont
accueilli le plus de réfugié·es figurent la Turquie (3,8 millions de réfugié·es,
soit la population la plus importante au monde), l’Ouganda (1,5 million), le
Pakistan (1,5 million) et l’Allemagne (1,3 million). La Colombie a accueilli 1,8
million de Vénézuélien·nes déplacé·es à l’étranger. Le Liban a accueilli le plus
grand nombre de réfugié·es par habitant·e (1 pour 8), suivi de la Jordanie (1
pour 14) et de la Turquie (1 pour 23).
Les chiffres ne permettent donc pas de dire que les pays du Nord accueillent
tou·tes les migrant·es. Et certainement pas les plus pauvres, car migrer coûte
cher ! Contrairement à ce que l’on croit parfois, les personnes qui migrent ne
sont pas parmi les plus démunies, ni les moins qualifiées. En 2015-2016, un
tiers des migrant·es internationaux·ales ayant migré vers les pays membres de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) étaient
diplômé·es de l’enseignement supérieur.
Il ne faut pas non plus oublier que les pays du Nord et notamment les pays
européens, dont la Belgique, contribuent à créer et à entretenir la misère dans le
monde. Et ce, par le rôle qu’ils jouent dans les guerres qui poussent à l’exil des
millions de personnes; par les politiques économiques qu’ils soutiennent et qui
favorisent un partage inéquitable des richesses à travers le monde; ou encore
par la responsabilité qu’ils portent dans la dégradation de l’environnement et
ses conséquences sur le climat, qui privent toujours plus de personnes de leur
habitat et de leurs sources de revenus.
En 2017, l’Europe et l’Amérique du Nord détenaient 60,6% des richesses
mondiales, alors que l’Afrique n’en détenait que 0,8% et l’Amérique latine 2,5%,
le reste étant réparti entre les pays d’Asie et du Pacifique. Face à cette inégalité
criante, un constat s’impose : nos pays ont les moyens et la responsabilité de
faire plus, et notamment d’ouvrir plus largement leurs portes aux migrant·es.
Car, pour renverser l’affirmation ci-dessus, « on ne peut pas accaparer toute la
richesse du monde ».
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3
PRÉJUGÉ#3 Si on les accueille, iels
vont venir plus nombreux·ses
« Ne les nourrissez pas, sinon d’autres viendront » a déclaré en 2016 le gouverneur
de Flandre occidentale à propos des migrant·es présent·es à la côte belge. C’est la
fameuse crainte de « l’appel d’air ». En fait, la réalité est bien plus subtile : l’attitude
plus ou moins accueillante d’un pays n’explique pas à elle seule pourquoi on
frappe à sa porte. D’autres facteurs sont souvent plus importants : la proximité
géographique, la langue, les liens familiaux, les opportunités d’emploi…
La vraie question à se poser est : si on ne les accueille pas qu’est-ce que cela
dit de nous ? Dans quelle société voulons-nous vivre ? La réponse est à la fois
éthique, politique et juridique. Éthique, parce qu’elle fait appel à des valeurs
fondamentales comme l’hospitalité, la solidarité et l’assistance. Politique, parce
qu’elle implique de choisir de voir l’immigration comme une opportunité et non
comme un problème. Et juridique, car tous les êtres humains ont des droits
fondamentaux, comme celui d’être traité·e avec dignité, de ne pas subir de
traitements inhumains et dégradants et de demander l’asile. Les réfugié·es sont
aussi protégé·es par la Convention de Genève de 1951 et le droit européen.
Mais la tendance générale au sein de l’UE est, à l’inverse, à la fermeture des
frontières et à la restriction des droits des migrant·es, y compris des réfugié·es.
Les valeurs sont revues à la baisse et les obligations internationales bafouées.
En Belgique aussi, de moins en moins de visas sont accordés et de nombreuses
lois ont été adoptées ces dernières années pour limiter les droits des migrant·es,
notamment le droit au regroupement familial, le droit au séjour pour raisons
médicales, le droit d’asile… Des campagnes de dissuasion sont même menées
pour décourager les demandeur·euses d’asile de venir chercher une protection
sur le sol belge.
Ces mesures de plus en plus restrictives sont dangereuses, car elles condamnent
de nombreux·ses migrant·es à risquer leur vie pour atteindre leur destination et
à y vivre ensuite sans papiers, dans la clandestinité. Elles sont aussi inefficaces,
car migrer est un réflexe de survie profondément ancré dans notre humanité. À
défaut de voies légales et sûres, les personnes continuent de fuir via des routes
périlleuses pour rejoindre l’UE. On dénombrait plus de 50.000 décès depuis 2014.
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4
PRÉJUGÉ#4 Iels viennent seul·es
puis font venir toute leur famille
Le droit de vivre en famille est un droit fondamental, consacré par l’article 8 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales. Pour tou·tes, Belges comme étranger·ères.
Le regroupement familial est une procédure de séjour qui permet aux personnes
d’origine étrangère ayant un membre de leur famille nucléaire en Belgique de
venir le ou la rejoindre, à certaines conditions. Donc, oui, une personne ayant
obtenu un droit de séjour en Belgique peut faire venir son ou sa conjoint·e et
ses enfants, pour qu’iels puissent vivre ensemble. C’est en effet – notamment
parce qu’il n’en existe pas beaucoup d’autres – la principale voie d’entrée légale
sur le territoire belge : environ 50% des titres de séjour accordés le sont pour
des raisons familiales.
Et cela ne se fait pas en claquant des doigts ! Les critères pour pouvoir faire venir
un·e membre de sa famille sont très stricts : il faut disposer de suffisamment
de ressources financières, d’un logement adapté, d’une mutuelle et fournir
tous les documents nécessaires à la preuve des liens familiaux… Même si les
conditions ont été assouplies pour les réfugié·es ou les bénéficiaires de protection
subsidiaire, les procédures durent de longs mois et ont un coût qui peut être
très élevé : redevance administrative, frais d’ambassade, frais de légalisation
des documents d’état civil, tests ADN…
De nombreux·ses migrant·es arrivent seul·es et entament ensuite une démarche
de regroupement familial, plutôt que de venir directement en famille. Pourquoi ?
Parce que, très souvent, le parcours pour arriver en Europe est particulièrement
dangereux et coûteux (traversées par la mer, longues marches dans le désert,
recours à des passeurs…). Ce n’est que lorsqu’elle a la possibilité de construire
un avenir meilleur quelque part que la personne va pouvoir faire venir sa famille,
par la voie sûre et légale du regroupement familial.
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5
PRÉJUGÉ#5 Iels sont un danger
pour notre économie
La majorité des études disent pourtant le contraire ! L’immigration n’est en
rien une menace pour l’économie. Selon le Fonds monétaire international, un
épisode de migration relativement massif entraîne une croissance économique
dans le pays d’accueil.
L’évolution démographique et le vieillissement de la population en Europe rendent
l’immigration de plus en plus nécessaire pour garantir la survie des systèmes de
sécurité sociale, et en particulier des systèmes de pensions. Selon les projections
du Bureau fédéral du Plan, sans immigration, la population belge diminuerait
sur le long terme, ce qui ferait grimper la facture du vieillissement.
Selon une simulation réalisée par la Banque nationale de Belgique en 2020,
l’immigration qui a eu lieu entre 2013 et 2017 a fait baisser la proportion de
personnes retraitées en Belgique. Elle a aussi fait grimper le Produit National
brut (PNB) de 3,5%. L’une des raisons principales est que la plupart de ces
personnes migrantes sont jeunes et instruites.
Enfin, l’immigration favorise la créativité et l’innovation, en apportant à la société
d’accueil de nouvelles idées et de nouvelles compétences.
Ces effets positifs de l’immigration sur l’économie impliquent que les migrant·es
soient autorisé·es à travailler, qu’iels aient accès à des formations, qu’on les aide
à s’intégrer et qu’on lutte contre les discriminations. Si les politiques d’intégration
des migrant·es, tout comme les politiques d’accueil des demandeur·euses d’asile,
peuvent être coûteuses à court terme, elles sont aussi créatrices d’emploi et
sources de consommation. Et sur le plus long terme, elles permettent aux États
de récolter les avantages économiques de l’immigration.
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6
PRÉJUGÉ#6 Iels viennent
prendre l’emploi des Belges
Croire que le nombre d’emplois dans un pays est fixe, à la manière d’un gâteau
dont le nombre de parts serait limité, est une erreur que l’on fait souvent. En
réalité, ce n’est pas le cas. Les migrant·es participent à l’économie. Lorsqu’iels
travaillent, non seulement iels paient des impôts et des cotisations sociales,
mais iels contribuent à produire des biens et services. Ce qui leur permet d’en
consommer plus, et ensuite à d’autres d’en produire plus… À terme, l’immigration
conduit à une plus grande production et à la création d’emplois. Pour reprendre
l’image du gâteau, celui-ci est donc susceptible de grossir, et le nombre de parts
d’augmenter, avec l’arrivée de nouvelles·aux venu·es sur le marché du travail.
Pour la majorité des économistes, l’immigration a un effet légèrement positif sur
l’emploi et les salaires. Selon une simulation réalisée par la Banque nationale de
Belgique en 2020, l’immigration qui a eu lieu entre 2013 et 2017 a entraîné une
augmentation de 0,69% du revenu net par personne. Cette légère augmentation
est confirmée par une autre étude publiée en 2018 et réalisée auprès de 20
pays de l’UE entre 1991 et 2015.
Souvent, la main-d’œuvre étrangère est complémentaire à la main-d’œuvre
existante. En Belgique, les migrant·es ont tendance à occuper des emplois que
les Belges ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper, dans des secteurs qui
demandent des qualifications très spécifiques (informatique, technologies de
pointe…), ou dans les secteurs de la construction, du nettoyage, de l’aide aux
personnes…
Enfin, les migrant·es peuvent elleux-mêmes être créateur·rices de nouveaux
emplois. C’est le cas lorsqu’iels se lancent comme indépendant·es ou créent
leurs propres entreprises, ajoutant ainsi leur touche personnelle au gâteau de
l’économie belge.
Malheureusement, certain·es employeur·euses profitent des sans-papiers, c’està-dire des personnes qui ne sont pas ou plus autorisées au séjour en Belgique,
pour les embaucher de manière non déclarée (« au noir ») et les soumettre à de
très bas salaires et à des conditions de travail précaires.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 19
7
PRÉJUGÉ#7 Iels viennent profiter
de notre système social
Les raisons qui poussent les migrant·es à quitter leur pays sont très diverses et
ne peuvent certainement pas se résumer à la volonté de venir « profiter ».
Par ailleurs, l’accès des étranger·ères au système social belge est très limité et
dépend de leur statut de séjour.
Les étranger·ères autorisé·es au séjour en Belgique ont accès au marché du
travail et à l’aide financière du CPAS. Mais cela ne veut pas dire qu’iels ont,
du jour au lendemain, les mêmes droits qu’un·e Belge qui a cotisé toute sa
vie, comme le droit au chômage. De plus, l’octroi et le maintien de nombreux
statuts de séjour (regroupement familial, séjour étudiant, régularisation…) sont
conditionnés au fait de ne pas dépendre du CPAS.
Quant aux demandeur·euses d’asile, pendant l’examen de leur dossier, iels n’ont
droit qu’à une aide matérielle fournie par l’Agence fédérale pour l’accueil des
demandeurs d’asile (Fedasil) et ses partenaires : iels sont logé·es, nourri·es et
accompagné·es. Ensuite, s’iels reçoivent le statut de réfugié·e ou la protection
subsidiaire, iels obtiennent un droit au séjour en Belgique, un accès au marché du
travail et un droit à l’aide financière du CPAS. Celle-ci sera bien souvent nécessaire
dans un premier temps, pour leur permettre de se construire une vie en Belgique. Selon une analyse réalisée par la Banque nationale de Belgique en 2020,
en moyenne, les étranger·ères contribuent moins que les natif·ves (en termes
d’impôts, taxes, et cotisations sociales), mais reçoivent aussi moins d’aides.
Les sans-papiers, par contre, n’ont pas accès au marché du travail et n’ont droit
à aucune aide sociale, sauf à l’aide médicale urgente. Iels sont donc dans une
situation extrêmement précaire.
Un meilleur accès des étranger·ères au système social belge, ainsi que de meilleures politiques d’intégration (cours de langues, reconnaissance des diplômes…)
leur permettrait de s’intégrer plus facilement, de travailler plus rapidement, et
donc de participer activement à ce même système. (voir préjugé 8 : « Iels ne
s’intégreront jamais »)
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 21
8
PRÉJUGÉ#8 Iels sont trop différent·es,
iels ne s’intégreront jamais
Nos sociétés sont cosmopolites et multiculturelles. C’est un fait. Et cela ne date
pas d’hier ! Sans les apports culturels venus de l’extérieur, nous ne compterions
pas en chiffres arabes, n’écouterions pas de jazz et ne mangerions pas de
spaghetti… Notre culture se renouvelle sans cesse grâce à celleux qui la façonnent
et c’est ce qui fait que nos modes de vie sont riches et variés.
Les difficultés ne sont pas la faute de l’autre, de l’étranger·ère. Elles naissent
de l’impossibilité ou du refus du monde politique de se donner les moyens de
favoriser réellement le « vivre ensemble », et de la vision d’un « elleux » et d’un
« nous ». Du coup, les différences d’origine, de religion, de comportements ou
de modes de vie entraînent la peur et le rejet. En découlent des phénomènes
de repli sur soi et de « ghettoïsation » dans les quartiers, dans les écoles et de
discriminations à l’emploi, au logement… Si la rencontre, le dialogue et la mixité
sociale étaient au cœur des politiques menées, cela permettrait d’aller dans un
sens inverse, salutaire.
La Belgique a encore pas mal de chemin à faire sur la question du « vivre ensemble ».
Les mesures répressives et les discours stigmatisants, voire criminalisants, se
multiplient et renforcent l’image négative du ou de la migrant·e. Mais, même
s’ils diffèrent dans leurs modalités, les parcours d’intégration, obligatoires,
sont en place en Flandre, en Wallonie et dans la Communauté germanophone
et à Bruxelles. L’apprentissage de l’une des langues nationales, l’initiation à la
citoyenneté et l’orientation socioprofessionnelle sont les piliers de ces parcours,
qui permettent aux étranger·ères qui arrivent de prendre pied dans la société
belge. Et que ces parcours soient obligatoires ou non, les étranger·ères sont
demandeur·euses de les suivre !
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 23
9
PRÉJUGÉ#9 Parmi les réfugié·es,
il y a des terroristes et des criminel·les
Rappelons d’abord que les demandeur·euses d’asile qui arrivent actuellement chez
nous sont les premières victimes du terrorisme et du radicalisme, notamment
en Irak, en Syrie et en Afghanistan. C’est précisément en raison de ces violences
qu’iels fuient leurs pays.
Les routes migratoires sont longues et dangereuses. Ce n’est pas un moyen facile
d’atteindre l’Europe, et donc pas un moyen privilégié pour celleux qui s’apprêtent
à commettre des actes criminels, voire de terrorisme. La majorité des terroristes
qui agissent en Europe ne viennent d’ailleurs pas de pays lointains mais sont
recruté·es sur place. Néanmoins, le risque zéro n’existe pas.
C’est pourquoi la Belgique, comme d’autres pays européens, vérifie les antécédents
des demandeur·euses d’asile. La procédure d’asile impose un screening de
contrôle. La Convention de Genève et la réglementation européenne prévoient
que sont exclues de la protection internationale les personnes suspectées de
crimes graves, ou qui constituent une menace pour l’État dans lequel elles se
trouvent. En cas de doute, les instances d’asile peuvent faire appel à la Sûreté de
l’État. Il est également possible de retirer le statut de protection à une personne
qui aurait dû en être exclue.
Si des actes criminels isolés, parfois surmédiatisés, peuvent survenir, il n’y a pas
plus de criminel·les parmi les migrant·es et les réfugié·es que dans le reste de
la population. De même, s’il n’est pas totalement impossible qu’un terroriste se
fasse passer pour un·e réfugié·e pour venir en Europe, cela ne doit pas changer
notre vision de la grande majorité d’entre elleux, venu·es chercher protection
pour elleux et pour leurs familles. Au contraire, nous devons rester convaincu·es
que leur accorder le droit d’asile est aussi une façon de lutter contre ce qui nous
menace : défendre nos valeurs, celles de l’accueil et de la défense des droits
fondamentaux, en lien avec nos obligations internationales.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 25
10
PRÉJUGÉ#10 C’est en restant chez
elleux qu’iels développeront leur pays
Un grand nombre de migrant·es n’ont pas d’autre choix que de quitter leur pays,
leur maison et leur famille : iels prennent la route de l’exil pour fuir la guerre,
les violences ou la misère.
C’est sur les conditions de vie dans leurs pays d’origine, et donc sur les causes
de leur exil, qu’il faudrait agir. Plutôt que de dépenser tant d’argent pour protéger
ses frontières et expulser les étranger·ères, l’Europe ferait mieux de mobiliser
les moyens nécessaires pour garantir la paix et le développement dans les pays
d’origine. Au contraire, depuis de nombreuses années, une partie du budget de
l’aide publique au développement est elle aussi consacrée au contrôle des flux
migratoires dans les pays d’origine et de transit des migrant·es.
Mais tant que la sécurité, les ressources et les droits fondamentaux seront plus
accessibles à certains endroits de la planète qu’à d’autres, aussi longtemps que
notre monde sera marqué par de tels déséquilibres, les humains auront des
raisons de se déplacer. Rappelons que nos pays du Nord et nos multinationales
jouent un rôle dans les déséquilibres et les inégalités avec les pays du Sud.
Enfin, ce que l’on sait peu, c’est que les migrant·es sont d’important·es
contributeur·trices financier·ères par le transfert d’argent vers leurs pays d’origine. Les montants ainsi envoyés sont bien plus élevés que les budgets de l’aide
publique au développement. En 2021, au niveau mondial, l’aide publique au
développement (OCDE) représentait 185,9 milliards de dollars, alors que les
montants envoyés par les migrant·es vers leurs pays d’origine s’élevaient à 630
milliards de dollars selon la Banque mondiale. Sans compter qu’en Belgique,
ces dernières années, les budgets de l’aide publique au développement ne
cessent d’être rabotés.
Le PNUD a, de son côté, démontré que la migration peut améliorer le développement
humain pour les personnes migrantes, comme pour les communautés d’accueil
et celles de départ.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 27
Mots-clés
Asile / Protection internationale
Toute personne qui a fui son pays car elle craint des persécutions ou encourt
un risque d’atteinte grave à ses droits fondamentaux et qui, de ce fait, ne
peut ou ne veut pas y retourner, a le droit de demander à bénéficier d’une
protection internationale de la part d’un autre État. C’est ce qu’on appelle
« demander l’asile ». La loi belge prévoit que deux types de protection peuvent
être accordés au terme de la procédure d’asile : le statut de réfugié·e ou
celui de protection subsidiaire.
Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA)
Administration indépendante, le CGRA est l’instance centrale en matière
de protection internationale (procédure d’asile). Sa mission principale est
d’instruire et d’examiner les demandes de protection internationales pour
lesquelles la Belgique est responsable et, à l’issue de l’examen, d’accorder ou
non une protection internationale au·à la demandeur·euse (statut de réfugié·e
ou statut de protection subsidiaire). Le CGRA est également compétent pour
délivrer des documents aux réfugié·es reconnu·es et apatrides reconnu·es.
Convention de Genève
Convention internationale relative au statut des réfugié·es, signée à Genève
en 1951 (et son Protocole additionnel, 1967). Elle définit le terme « réfugié·e »,
et détaille les droits et devoirs des réfugié·es, ainsi que les obligations
juridiques des États pour assurer leur protection. La Belgique et tous les
États membres de l’Union européenne ont signé cette convention, qui est
la pierre angulaire du droit d’asile.
Demandeur·euse de protection internationale
(anciennement « demandeur·euse d’asile »)
Désigne une personne qui a fui son pays en quête de protection, qui a
introduit une demande d’asile et qui est en cours de procédure, en attendant
que cette demande soit définitivement acceptée ou rejetée par la Belgique.
Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR)
Il dirige et coordonne l’action internationale pour protéger les personnes
déracinées dans le monde : demandeur·euses d’asile, réfugié·es, personnes
déplacées, apatrides…
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 29
Fedasil
L’Agence fédérale pour l’accueil des demandeur·euses d’asile : octroie
l’aide matérielle aux demandeurs·euses de d’asile et à d’autres catégories
d’étranger·e·s, comme les familles en séjour irrégulier avec enfants mineur·es
en état de besoin; organise l’accueil des demandeur·euses d’asile sur tout le
territoire belge. Elle gère, parfois avec des partenaires, l’accueil en centres
collectifs et, avec d’autres partenaires, l’accueil en structures individuelles;
est responsable de l’observation et de l’orientation des Mineur·es étranger·es
non accompagné·es (MENA); coordonne les programmes de retour volontaire
depuis la Belgique vers le pays d’origine de la personne.
Migration / Migrant·e
Dans le langage courant, désigne toute personne qui quitte ou a quitté son
pays – volontairement ou de manière forcée – et se retrouve dans un autre
pays de manière temporaire ou durable. Ce terme générique désigne toutes
les personnes qui migrent, quel que soit leur statut de séjour ou la raison de
leur départ : demandeur·euses d’asile, réfugié·es, personnes sans papiers,
étudiant·es, expatrié·es, travailleur·euses étranger·es…
Office des étrangers (OE)
Administration qui assiste le·la ministre de l’Intérieur et le·la secrétaire d’État
à l’Asile et la Migration dans la gestion de la politique des étrangers en
Belgique. L’OE prend les décisions en ce qui concerne : l’accès au territoire
(par exemple : demandes de visas pour voyage d’affaires); le séjour sur le
territoire (notamment les demandes de regroupement familial, de séjour
étudiant, ou de régularisation); l’éloignement (gestion des centres fermés
et organisation des expulsions).
L’OE est aussi compétent pour enregistrer les demandes de protection
internationale introduites sur le territoire belge ou à la frontière et pour
déterminer si la Belgique est responsable de traiter une demande d’asile,
selon le Règlement Dublin.
Protection subsidiaire
Statut de protection qui peut être octroyé au terme de la procédure de
protection internationale. Il protège les personnes qui n’obtiennent pas le
statut de réfugié·e mais pour lesquelles « il existe de sérieux motifs de croire
que, si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine, elles encourraient
un risque réel de subir des atteintes graves », comme la peine de mort, la
torture, des traitements humains et dégradants ou de la violence aveugle
dans le cadre d’un conflit armé. Lorsqu’une personne reçoit cette protection,
elle est protégée contre un renvoi vers son pays d’origine. En Belgique, ce
statut donne droit à un séjour limité à 1 an, mais renouvelable.
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 31
Réfugié·e
Personne qui satisfait aux critères définis par la Convention de Genève de
- Celle-ci précise qu’un·e réfugié·e est une personne qui a fui son pays
« craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut
se réclamer de la protection de ce pays ».
Lorsqu’une personne reçoit cette protection au terme de la procédure de
protection internationale, elle est protégée contre un renvoi vers son pays
d’origine. En Belgique, ce statut donne droit à un séjour limité à 5 ans et
qui peut devenir illimité ensuite.
Régularisation
Procédure de séjour permettant à une personne en situation irrégulière de
demander et d’obtenir une autorisation de son séjour en Belgique pour des
raisons humanitaires (article 9bis de la loi des étrangers) ou médicales
(article 9ter de la loi des étrangers). Cette demande peut être introduite
depuis la Belgique.
« Sans-papiers »
Dans le langage courant, désigne une personne qui est en séjour irrégulier,
c’est-à-dire qui n’est pas ou plus autorisée au séjour dans le pays où elle se
trouve. Ce terme recouvre une multitude de situations différentes. Il s’agit de
femmes et d’hommes, seul·es ou en famille, d’âges et de nationalités variés.
En situation irrégulière en Belgique, ces personnes ne peuvent pas travailler
légalement. Elles ne reçoivent pas non plus d’aide sociale de la part d’un
CPAS, si ce n’est l’Aide Médicale Urgente (AMU). Ces personnes ont des droits
fondamentaux et y ont accès (en théorie du moins) : le droit de se défendre en
justice, le droit de se soigner via l’Aide Médicale Urgente, le droit de se marier
et le droit à l’éducation (pour les enfants de moins de 18 ans uniquement).
Pour plus de définitions, consultez notre lexique sur cire.be
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 33
Sources
Anne Morelli (dir.), Les émigrants belges, édition Couleur Livres, 1998
Banque mondiale, Statistiques relatives aux envois de fonds par les migrants
vers les pays en développement, disponibles sur www.banquemondiale.org
Banque mondiale, Communiqué de presse du 8 avril 2019 : 2018, une année
record pour les envois de fonds dans le monde
Banque nationale de Belgique, L’impact économique de l’immigration en Belgique,
2020
Bureau fédéral du Plan, Perspectives démographiques 2016-2060 : analyses de
sensibilité, scénarios alternatifs et effets budgétaires et sociaux, 2018
Burzyński, M., Docquier, F. & Rapoport, H. The Changing Structure of Immigration
to the OECD: What Welfare Effects on Member Countries ?. IMF Econ Rev 66,
564–60, 2018
CNCD-11.11.11, Rapport 2019 sur l’aide belge au développement, 2020
Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), Statistiques belges
d’asile (annuelles et mensuelles), disponibles sur le site www.cgra.be
Crédit Suisse, Credit Suisse Global Wealth Databook, 2018
Eurostat, Statistiques européennes d’asile (annuelles et trimestrielles), disponibles
sur ec.europa.eu/eurostat
Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Global Trends : www.
unhcr.org
Institut de l’économie du travail, initié par la Deutsche Bank, L’évolution de
la structure de l’immigration à l’OCDE : Quels effets sur le bien-être des pays
membres ? 2018
Jean-Michel Lafleur (ULg), Abdeslam Marfouk (ULg), Pourquoi l’immigration ? 21
questions que se posent les Belges sur les migrations internationales au XXIème
siècle, Academia-L’Harmattan, Louvain-la-Neuve, 2017
Myria – Centre fédéral Migration, cahiers « Protection internationale » et « Population
et mouvements », de La migration en chiffres et en droits, 2020
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Un
profil global des émigrants vers les pays de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris, 2020
Organisation des Nations unies, Département des affaires économiques et
sociales. Division de la population. Migration internationale. Population de
migrants internationaux – Révision de 2017
Organisation internationale pour les migrations (OIM), World Migration Report
2020
Organisation internationale pour les migrations (OIM), Communiqué de presse du
3 mai 2020 : Le nombre de décès de migrants dans la Méditerranée passe la barre
des 20 000 suite à un naufrage au large des côtes libyennes, 2020
réfugié·es & étranger·ères : petit guide anti-préjugés | 35
C’est des préjugés
qu’il faut avoir peur,
pas des réfugié·es ni
des étranger·ères
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Parce que je n’en peux plus d’entendre, à chaque fois que je dis que je travaille dans l’accompagnement des demandeurs d’asile “Mais il sont vraiment trop nombreux, non ?” “Déjà que la France est un des pays les plus généreux en Europe …” et autres “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »… j’ai décidé d’écrire ce texte, pour contenir ma frustration, mon indignation qui croît chaque jour en entendant les politiques nous abreuver de chiffres hors contexte censés nous démontrer que nous sommes une forteresse assiégée, et contenir ma tristesse de voir notre gouvernement de “gauche” si tétanisé par l’influence de l’extrême droite dans le champ politique qu’il finit par rentrer dans son jeu …
Je comprends que les gens finissent par s’y perdre et par se demander si, vraiment, on accueille trop de demandeurs d’asile en France.
Alors déjà pour ceux qui me citent la fameuse phrase de Rocard, il ne faudrait tout de même pas en oublier la seconde partie : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre sa part ».
Et pour ce qui est de prendre sa part, on va le voir, malgré son image de pays des Droits de l’Homme, la France est loin d´être exemplaire.
En ce qui concerne les demandeurs d’asile – c’est à dire des personnes ayant fui leur pays parce qu’elles y ont subi des persécutions ou craignent d’en subir et qui sont en quête d’une protection internationale – la France a enregistré 62800 demandes d’asile en 2014, loin derriere les Etats-Unis (88400) ou d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne par exemple (202 700 demandeurs), la Suede (81200) ou l’Italie (64600)1.
Et si on rapporte ce chiffre a la proportion de la population de chaque État membre de l’UE, ce qui est plus significatif, les taux les plus élevés de demandeurs ont été enregistrés en Suède (8,4 demandeurs d’asile pour mille habitants), devant la Hongrie (4,3), l’Autriche (3,3), Malte (3,2), le Danemark (2,6) et l’Allemagne (2,5). La France n’arrive qu’en douzième position (1 demandeur d’asile pour mille habitant).
La France est donc loin de “ployer” sous le poids des demandes comme on ne cesse de nous le répéter.
La France n’est pas non plus le pays qui accorde le plus de statuts de réfugié (ce qui constitue l’aboutissement “positif” de la demande d’asile) : en 2014, dans l’UE, 45% des demandes d’asile ont été reconnues positives. Le taux d’accord en France pour 2014 était quand a lui de 28%3. Donc pour la France si génereuse, on repassera.
Et si on regarde au niveau mondial, quel est selon vous, le pays qui accueille le plus de réfugiés ?
Ca doit être en Europe pour qu’on nous répète inlassablement que c’est un si lourd fardeau … Et bien non, figurez vous! C’est le Pakistan qui arrive en tête des statistiques du HCR (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés), avec 1,6 million de réfugiés, suivi de l’Iran avec 857 000 réfugiés et du Liban qui en compte 856 000.
Le Liban a, sur son sol, 178 réfugiés pour 1 000 habitants, ce qui, rapporté à la France, donnerait quelque 12 à 15 millions… Or, on estime à environ 165 000 le nombre de personnes disposant du statut de réfugié politique en France (0,29% de la population). C’est une goutte d’eau, nous sommes tout à fait en capacité de les accueillir.
Contrairement aux idées reçues, ce sont les pays en développement qui reçoivent la majorité des personnes en demande de protection – 90% des demandeurs d’asile et des réfugiés vont dans des pays proches ou frontaliers, donc l’Europe n’est absolument pas la zone du monde la plus affectée. Par rapport à la situation des réfugiés syriens par exemple, l’exemple est flagrant.Alors que le nombre de déplacés va bientôt atteindre la barre des 4 millions, l’ONU a demandé que 30.000 d’entre eux soient « réinstallés » dans des pays occidentaux. L’Allemagne a promis d’en accueillir 20000, la Suède 1200, la France, devinez combien?……..500. L’immense majorité de ceux-ci (97%) s’installent au Liban, en Jordanie, en Turquie ou en Irak. Nous sommes loin d’être envahis. Le monde entier ne rêve pas de rejoindre l’Europe. Relisez les chiffres ci-dessus pour comprendre à quel point c’est faux.
De plus, on réduit le migrant à son statut de migrant, comme si l’unique but de sa vie était de venir frapper à notre porte, mais derrière chaque demande d’asile se cache un homme ou une femme avec son histoire, son passé, un homme ou une femme qui a grandi quelque part, a eu une enfance, a des attaches, un endroit où il s’est sentí chez lui. Je me souviens de ce Monsieur tchétchéne qui m’évoquait les larmes aux yeux les montagnes de son enfance, car jamais il n’aurait pensé ne pas vieillir a leurs pieds ou de ce Monsieur bangladais qui s’était effondré dans mon bureau car il venait d’apprendre la mort de son père au pays et savait qu’il ne pourrait même pas lui rendre un dernier hommage… Qui voudrait vivre ca ? Franchement, qui ? Sans parler des trajets abominables pour atteindre l’Europe tristement illustrés par les récents naufrages en Mediterannée…4
Vous pensez que quand on vient de pays comme la Somalie ou l’Erythrée on vient parce que le système d’allocations est plus avantageux en France que chez soi ? Il faut arrêter la plaisanterie, imaginez un instant ce que cela représente de tout quitter et vous comprendrez qu’on part parce qu’on n’a pas le choix.
Vous voudriez vous, rester dans un Etat où règne la terreur, la guerre, où vous avez peur chaque jour pour vos enfants ? Un Monsieur sri-lankais que je suivais et qui dormait dehors faute de solution d’hébérgement m’a dit un jour “C’est tres dur. Mais au moins ici je suis libre et je n’ai plus peur en permanence.”
Renseignez-vous sur les régimes politiques en Somalie ou en République Démocratique du Congo, demandez-vous si vous resteriez en Syrie dans la situation actuelle. Ou en Russie si vous êtes menacé de mort parce que vous avez écrit un texte qui déplaît aux autorités. En Guinée où votre fille se ferait potentiellement exciser comme vous dès le plus jeune âge.
L’espoir d’une vie meilleure est équitablement partagé sur notre planête et ne nous est pas réservé parce que nous sommes né du bon coté de la barrière.
Plus généralement, l’immigration est toujours présentée comme un problème, alors même que de nombreuses études indiquent que l’immigration est positive pour l’Etat francais, en termes démographiques, en termes de croissance, de savoir, de diversité et qu’elle rapporte même de l’argent (12 milliards par an tout de même selon une équipe de chercheurs de l’Université de Lille)5. C’est donc le regard médiatico-politique sur les migrants qu’il faut réussir à changer. Et ne pas céder aux discours populistes qui prospèrent à l’aune de la montée du Front National qui trouve là un terrain fertile en ces temps de récession économique.
Nos démocraties peuvent tout à fait accueillir ces migrants, et au lieu de succomber à un populisme mortifère, devraient réflechir à une politique migratoire de maniere plus sereine et apaisée et arrêter de faire des migrants les boucs émissaire de nos sociétés.
Sinon c’est notre humanité qu’on perd peu à peu.
ÉTAT DE LA MIGRATION
DANS LE MONDE 2024
Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM). Les désignations employées et la présentation des documents dans cet ouvrage n’impliquent
pas l’expression par l’OIM d’une quelconque opinion quant au statut juridique d’un pays, d’un territoire, d’une ville ou d’une zone, ou
de ses autorités, ou concernant ses frontières ou ses limites.
L’OIM croit profondément que la migration humaine et ordonnée est bénéfique pour les migrants et la société. En tant qu’organisation
intergouvernementale, l’OIM agit avec ses partenaires de la communauté internationale afin d’aider à résoudre les problèmes
opérationnels que pose la migration ; de faire mieux comprendre quels en sont les enjeux ; d’encourager le développement
économique et social grâce à la migration ; et de préserver la dignité humaine et le bien-être des migrants.
Publié par : Organisation internationale pour les migrations
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Photos de couverture :
En haut Le camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à Shahrak Sabz a été créé en 2018 par des
personnes fuyant la sécheresse. En février 2021, plus de 30 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays y
vivaient. Beaucoup craignent que le manque de neige et de pluie pendant l’hiver n’entraîne cette année un
autre épisode majeur de sécheresse, puis une famine. L’escalade du conflit touche également de nombreuses
provinces dont viennent les personnes déplacées à l’intérieur du pays, et en dissuade un grand nombre de
rentrer chez elles. En 2020, l’OIM en Afghanistan a apporté une aide humanitaire à plus de 21 600 familles
déplacées à l’intérieur du pays, touchées par une catastrophe ou autrement vulnérables, notamment sous la
forme de latrines, de stations de lavage des mains, d’articles non alimentaires, d’espèces à usages multiples et
d’abris, ainsi qu’en matière de préparation pour l’hiver. © OIM 2021/Muse MOHAMMED
Au milieu Fumée au dessus de Boutcha et d’Hostomel (Ukraine). © OIM 2022/UNIAN
En bas Vue d’établissements informels à Baidoa, dont certains ont récemment émergé dans le quartier de Howlwadaag
(Somalie). © OIM 2022/Claudia ROSEL
Citation requise : McAuliffe, M. et L.A. Oucho (dir. publ.), 2024. État de la migration dans le monde 2024. Organisation
internationale pour les migrations (OIM), Genève.
ISSN 1020-8453
ISBN 978-92-9268-727-4 (PDF)
© OIM 2024
Certains droits réservés. Cet ouvrage est mis à disposition au titre de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation
commerciale – Pas de modification 3.0 Organisations internationals (CC BY-NC-ND 3.0 IGO).*
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Le présent ouvrage ne doit pas être utilisé, publié ou rediffusé dans l’intention première d’en obtenir un avantage commercial ou une
compensation financière, sauf à des fins éducatives, par exemple, aux fins de son intégration dans un manuel.
Autorisations : Toute demande concernant l’utilisation à des fins commerciales ou les droits et licences doit être adressée
à publications@iom.int.
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PUB2023/070/L
ÉTAT DE LA MIGRATION
DANS LE MONDE 2024
ii ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
760
Ce volume est le fruit d’une collaboration étroite entre de nombreux partenaires et contributeurs menée sous la
direction des éditrices. Le projet du Rapport État de la migration dans le monde 2024, qui a débuté en mai 2022,
a abouti au lancement de la publication par la Directrice générale de l’OIM en mai 2024.
Les remarques, interprétations et conclusions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les opinions
de l’OIM ou de ses États Membres.
Les désignations employées et la présentation des documents tout au long de l’ouvrage n’impliquent pas l’expression
par l’OIM d’une quelconque opinion quant au statut juridique d’un pays, d’un territoire, d’une ville ou d’une zone,
ou de ses autorités, ou concernant ses frontières ou ses limites.
Tout a été fait pour garantir l’exactitude des données citées dans le Rapport, notamment en les vérifiant. Cependant,
il n’est pas à exclure que des erreurs aient pu passer inaperçues. Sauf indication contraire, le présent Rapport ne
renvoie pas à des données ou à des événements postérieurs à octobre 2023. Le présent Rapport a été établi sans
le recours à des outils d’intelligence artificielle générative.
On trouvera les histoires correspondant aux photographies à la page v.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 iii
Équipe de rédaction, de relecture et de production
Éditrices Marie McAuliffe (OIM) et Linda Adhiambo Oucho (African Migration and
Development Policy Centre)
Relecteurs de l’OIM Eva Åkerman Börje, Soumyadeep Banerjee, Deepali Fernandes, Sam
Grundy, Abdi Mohamud Hersi, Jobst Koehler, Tyler Kretzschmar, Izora
Mutya Maskun, Kerry-Lynn Maze, Simon McMahon, Azrah Karim Rajput
et Mariam Traore Chazalnoel
Relecteurs universitaires Maruja MB Asis, Michael Clemens, Jonathan Crush, Elizabeth Ferris, Luisa
Feline Freier, Jenna Hennebry, Ahmet İçduygu, Binod Khadria, Rainer
Muenz, Marta Pachocka, Nicola Piper, Joseph Teye et Brenda Yeoh
Responsable de la production Valerie Hagger
Administration du projet Liberty Beriña et Anu Liisa Saarelainen
Mise en page Harvy Gadia
Page Web et plateforme
interactive
Marie McAuliffe, Adrian Kitimbo, Juliana Quintero, Xaquín Veira González,
Bryan Manalo, Ray Leyesa, J.C. Borlongan et Christine Julie Batula
Équipe de recherche de l’OIM Marie McAuliffe, Adrian Kitimbo, Céline Bauloz, Pablo Rojas Coppari*
,
Jenna Blower*
, Jerome Dolling*
, Samuel Poirier*
et Micaela Lincango*
*
partie de projet
Traduction Unité de traduction française de l’OIM
Remerciements
Les éditrices remercient vivement les auteurs des chapitres thématiques, ainsi que l’ensemble des relecteurs
universitaires et de l’OIM pour leurs observations constructives sur les projets de chapitre. Elles sont tout
particulièrement reconnaissantes à la Directrice générale de l’OIM, Amy E. Pope, et aux membres de la haute
direction de l’Organisation qui ont soutenu la présente publication : Ugochi Daniels, Eva Åkerman Börje, Mohammed
Abdiker, Kristin Dadey, Maryline Py, Michele Klein Solomon, Othman Belbeisi, Diego Beltrand, Marcelo Pisani, Ashraf
El Nour, Sara Lou Arriola, Ola Henrikson, Manfred Profazi, Pär Liljert, Alejandro Guidi, Aissata Kane et Dejan
Keserovic.
Elles tiennent aussi à remercier les Gouvernements de l’Australie, des États Unis d’Amérique et de l’Irlande pour
leurs contributions financières, ainsi que Meta, le Comité d’affectation des ressources pour la migration (MiRAC)
de l’OIM, et plusieurs bureaux extérieurs de l’OIM dans le monde.
iv ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
Contributeurs
Chapitre 1 : Vue d’ensemble du Rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde
en évolution rapide, mais des défis majeurs subsistent
Autrices : Marie McAuliffe et Linda Adhiambo Oucho
Assistante de recherche : Micaela Lincango
Chapitre 2 : La migration et les migrants dans le monde
Main contributors: Marie McAuliffe, Adrian Kitimbo, Jerome Dolling et Guy Abel
Other contributors: Rainer Muenz, Julia Black, Alex Pompe et Laura McGorman
Chapitre 3 : La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Principaux contributeurs : Adrian Kitimbo, Marie McAuliffe, Guy Abel et Jerome Dolling
Assistants de recherche
et autres contributeurs :
Pilar Luz Rodrigues, Rudolf Maxwald, Pablo Escribano, Raul Soto, Ezequiel Texido,
Susanne Melde, Abdi Hersi, Tsion Tadesse Abebe, Laura Nistri, Tatiana Hadjiemmanuel,
Lisa Lim, Marcellino Ramkishun, Kristina Mejo, Sarah Carl, Edlira de Andres,
Luisa Baptista de Freitas, Amr Taha, Ivona Zakoska-Todorovska, Ionela Timofte,
Caterina Guidi, Elisa Tsakiri, Princelle Dasappa-Venketsamy, Francis Mulekya,
Wonesai Sithole, Modher Alhamadani, Misato Yuasa, Yu Yip Ching, Nayak Chandan,
Gabriela Alvarez et Jasmine Tham
Chapitre 4 : Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données
mondiales?
Auteurs : Marie McAuliffe, Guy Abel, Linda Adhiambo Oucho and Adam Sawyer
Chapitre 5 : Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Auteurs : Marie McAuliffe, Pablo Rojas Coppari, M.J. Abbasi-Shavazi et Ottilia Maunganidze
Assistant de recherche : Samuel Poirier
Chapitre 6 : Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Auteurs : Celine Bauloz, Margaret Walton-Roberts, Rose Jaji et Taehoon Lee
Research assistants: Jenna Blower et Pilar Luz Rodrigues
Chapitre 7 : Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments
factuels et mesures
Auteurs : Pablo Escribano et Diego Pons Ganddini
Other contributors: Tasneem Siddiqui et Jennifer Turyatemba
Chapitre 8 : Vers une gouvernance mondiale des migrations? De la Commission mondiale sur les migrations
internationales de 2005 au Forum d’examen des migrations internationales de 2022 et au delà
Auteurs : Andrea Milan, Amanda Bisong et Paddy Siyanga Knudsen
Research assistants: Adriana Vides et Melissa Medina-Márquez
Chapitre 9 : Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID 19
Auteurs : Alan Gamlen, Marie McAuliffe et S. Irudaya Rajan
Assistants de recherche : Geetha Binny, Jenna Blower, Jerome Dolling, Uthara Geetha et Varsha Joshi
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 v
Photographies
Chapitre 1 Ehsanuddin Dilawar tient la main de son fils Kayhan Dilawar, 7 ans, alors qu’ils descendent
de l’avion avec Ali Aqdas Dilawar, 15 ans, dans le cadre d’un transport de réfugiés afghans
du Tadjikistan vers l’aéroport international Pearson de Toronto, le mercredi 30 mars 2022.
© OIM 2022/Chris YOUNG
Partie I Des personnes fuient l’Ukraine au passage de la frontière à Medyka et à la gare de
Przemysl. © OIM 2022/Francesco MALAVOLTA
Chapitre 2 Au Yémen, des migrantes marchent le long d’une route en direction de la frontière avec
l’Arabie saoudite. © OIM 2022
Chapitre 3 Pour soutenir sa famille, Ifrah s’est exilée et n’a pas cessé d’envoyer de l’argent au pays,
mais sans jamais pouvoir économiser pour elle-même. Confrontée à divers problèmes,
notamment des soucis de santé mentale, elle a pris la décision de regagner l’Éthiopie
– les mains vides et sans avoir eu le temps d’organiser son retour. Le Bureau de l’OIM
en Éthiopie lui a apporté son soutien tout au long de sa réinsertion. Des photos ont
été prises dans le cadre du Pôle de gestion des connaissances de l’UE-OIM, financé par
l’Union européenne et sa cellule de production audiovisuelle consacrée au retour et à la
réintégration durable. © OIM 2022/Beyond Borders Media
Partie II L’OIM contribue à la réimplantation de réfugiés afghans depuis le Tadjikistan en coordination
avec le Gouvernement canadien. © OIM 2021
Chapitre 4 À l’origine, le bidonville de Bhola, à Dacca, a été formé par des migrants touchés par
l’érosion fluviale, qui pour beaucoup ont perdu leurs terres sous l’effet de la montée des
eaux. Aujourd’hui, on y trouve aussi bien des migrants économiques que des migrants
climatiques. Bangladesh (Asie du Sud). © OIM 2016/Amanda NERO
Chapitre 5 Un migrant en détresse s’apprête à prendre un vol depuis Aden vers l’Éthiopie dans le cadre
du programme de retour volontaire pour motifs humanitaires de l’OIM. L’Organisation a
fourni une aide vitale à des milliers de migrants au Yémen désireux de fuir une situation
dangereuse et de rentrer dans leur pays. © OIM 2022/Rami IBRAHIM
Chapitre 6 Migrantes originaires du Myanmar et du Cambodge en Thaïlande. OIM 2022/Anat
DUANGCHANG
vi ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
Chapitre 7 Vaccination des troupeaux. La santé animale est essentielle à la survie des populations
dans cette région difficile. En raison de la forte sécheresse qu’a connue la Mauritanie en
2017, les habitants de la région du Hodh El Chargui bénéficient d’une aide humanitaire.
© IOM 2018/Sibylle DESJARDINS
Chapitre 8 La seconde session de l’édition 2023 du Dialogue international sur la migration, qui a
eu lieu les 5 et 6 octobre à Genève, s’est appuyée sur la Déclaration de Kampala et
les résultats du Sommet sur les objectifs de développement durable, et a contribué aux
discussions tenues dans le cadre de la vingt-huitième session de la Conférence des Parties
à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 28).
© IOM 2023
Chapitre 9 Des dizaines de milliers de mesures de restriction de la mobilité liées à la COVID-19 ont
paralysé les voyages transfrontaliers. © OIM 2022
Appendices Hawa est née à Koundara, et a vu au cours de sa vie à quel point sa ville a changé en raison
du changement climatique. Les effets de ce dernier sur les perspectives de subsistance en
Guinée ont poussé un certain nombre de Guinéens à recourir à la migration irrégulière
dans l’espoir de trouver de meilleures possibilités économiques à l’étranger. © OIM 2022/
Muse MOHAMMED
Références Au large de Buka, en plein Océan pacifique, où les télécommunications sont inexistantes
et l’électricité est rare, se trouve un petit atoll formé par les îles Carteret. Avec
une superficie cumulée d’un peu plus d’un demi kilomètre carré, celles-ci comptent
2 000 habitants qui mènent une vie rurale simple : ils pêchent, cultivent des produits
alimentaires, construisent leurs habitations et exploitent les ressources disponibles sur ces
îles minuscules. Les communautés qui vivent sur l’atoll tropical font partie des populations
les plus désavantagées de la région autonome de Bougainville sur le plan économique,
social et physique. © OIM 2016/Muse MOHAMMED
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 vii
Table des matières
Équipe de rédaction, de relecture et de production………………………………………………………………………………………………….iii
Remerciements……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..iii
Contributeurs………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..iv
Photographies…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………v
Liste des figures et tableaux……………………………………………………………………………………………………………………………………………viii
Liste des appendices……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………xi
Avant propos………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..xii
Chapitre 1 – Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans
un monde en évolution rapide, mais des défis majeurs subsistent……………………………………………….1
Partie I : Données et informations clés sur la migration et les migrants…………………………………… 16
Chapitre 2 – La migration et les migrants dans le monde…………………………………………………………………………………….19
Chapitre 3 – La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale…….57
Partie II : Questions migratoires complexes et émergentes ……………………………………………………… 115
Chapitre 4 – Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment
les données mondiales ?……………………………………………………………………………………………………………………… 117
Chapitre 5 – Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités
et réponses…………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 143
Chapitre 6 – Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes………………………………………………… 171
Chapitre 7 – Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions,
éléments factuels et mesures……………………………………………………………………………………………………………. 209
Chapitre 8 – Vers une gouvernance mondiale des migrations ? De la Commission mondiale sur les
migrations internationales de 2005 au Forum d’examen des migrations internationales
de 2022 et au-delà ………………………………………………………………………………………………………………………………. 235
Chapitre 9 – Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après
la COVID-19………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 259
Appendices……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 285
Références…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 319
viii ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
Liste des figures et tableaux
Chapitre 1
Tableau 1. Faits et chiffres clés tirés des rapports État de la migration dans le monde 2000 et 2024……………….8
Chapitre 2
Tableau 1. Migrants internationaux depuis 1970…………………………………………………………………………………………………………….22
Figure 1. Principaux couloirs de migration internationale entre deux pays, 2024 ……………………………………………..23
Figure 2. Migrants internationaux, par sexe ………………………………………………………………………………………………………………….25
Figure 3. Migrants internationaux, par sexe, 20 principaux pays de destination (à gauche)
et d’origine (à droite) (millions)……………………………………………………………………………………………………………………….26
Figure 4. Migrants internationaux, par sexe, 20 principaux pays de destination (à gauche)
et d’origine (à droite) – proportion……………………………………………………………………………………………………………….27
Figure 5. Répartition géographique des travailleurs migrants par sexe (millions) ……………………………………………….28
Figure 6. Entrées de ressortissants étrangers dans les pays de l’OCDE, migration permanente,
2001-2021 (millions)…………………………………………………………………………………………………………………………………………..31
Figure 7. Décès de migrants par région, 2014-2023 ………………………………………………………………………………………………….33
Figure 8. Mesures gouvernementales prises pour réduire la transmission de la COVID-19,
par nombre de pays…………………………………………………………………………………………………………………………………………..35
Figure 9. Passagers transportés par avion dans le monde, 1945-2022………………………………………………………………….36
Figure 10. Flux de rapatriements de fonds internationaux à destination des pays à revenu faible et
intermédiaire (2000-2022)………………………………………………………………………………………………………………………………..37
Tableau 2. Dix principaux pays de destination/d’origine des rapatriements de fonds internationaux
(2010-2022) (milliards de dollars É.-U. courants)………………………………………………………………………………………38
Figure 11. Dix principaux pays destinataires de rapatriements de fonds internationaux en pourcentage
du PIB, 2022 ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..40
Figure 12. Coût moyen de l’envoi de 200 dollars É.-U. par région du monde, 2015-2022 (%) ………………………41
Figure 13. Étudiants internationaux dans le monde, 2001-2021………………………………………………………………………………..42
Figure 14. Étudiants en mobilité internationale dans le monde par genre, 2001-2021 (millions) …………………….43
Figure 15. Nombre de réfugiés en provenance des cinq principaux pays d’origine, 2005-2022 (millions)……..45
Figure 16. Nombre de réfugiés dans les cinq principaux pays d’accueil, 2005-2022 (millions)………………………….46
Tableau 3. Nombre de réfugiés ayant besoin d’être réinstallés et nombre de réfugiés réinstallés
dans le monde, depuis 2005……………………………………………………………………………………………………………………………47
Figure 17. Nombre de réfugiés réinstallés par grand pays de réinstallation, 2002-2022…………………………………….48
Figure 18. Vingt pays comptant le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays à cause d’un conflit ou de la violence à la fin de 2022 (millions)………………………………………………..51
Figure 19. Déplacements internes dus à un conflit ou à une catastrophe, 2012-2022 (millions)…………………….52
Chapitre 3
Figure 1. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Afrique, 1990-2020………………………………..59
Figure 2. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Afrique, selon le sexe…….60
Figure 3. Dix premiers pays d’Afrique classés selon le nombre total de réfugiés et de demandeurs
d’asile, 2022 ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….61
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 ix
Figure 4. Vingt premiers pays d’Afrique sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022 ……………………………………………………………………………………………………………………..62
Figure 5. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Asie, 1990-2020 ……………………………………..70
Figure 6. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Asie, selon le sexe ………….71
Figure 7. Dix premiers pays d’Asie classés selon le nombre total de réfugiés et de demandeurs d’asile,
2022 ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….72
Figure 8. Vingt premiers pays d’Asie sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022 ……………………………………………………………………………………………………………………..73
Figure 9. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Europe 1990-2020…………………………………81
Figure 10. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Europe, selon le sexe …….82
Figure 11. Dix premiers pays d’Europe classés selon le nombre total de réfugiés et de demandeurs
d’asile, 2022 ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….83
Figure 12. Vingt premiers pays d’Europe sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022 ………………………………………………………………………………………………………………………84
Figure 13. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Amérique latine et des Caraïbes,
1990-2020…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….89
Figure 14. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Amérique latine
et dans les Caraïbes, selon le sexe………………………………………………………………………………………………………………..90
Figure 15. Dix premiers pays d’Amérique latine et des Caraïbes classés selon le nombre total
de réfugiés et de demandeurs d’asile, 2022…………………………………………………………………………………………………91
Figure 16. Principaux pays d’Amérique latine et des Caraïbes sur le plan des nouveaux déplacements
internes (catastrophes et conflits), 2022………………………………………………………………………………………………………92
Figure 17. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Amérique du Nord, 1990-2020 …………99
Figure 18. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Amérique du Nord,
selon le sexe …………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 100
Figure 19. Nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile à l’intérieur et en provenance des pays
d’Amérique du Nord, 2022 ………………………………………………………………………………………………………………………….. 100
Figure 20. Nouveaux déplacements internes en Amérique du Nord (catastrophes et conflits), 2022……….. 101
Figure 21. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Océanie, 1990-2020…………………………… 104
Figure 22. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Océanie, selon le sexe …….. 105
Figure 23. Nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile à l’intérieur et en provenance des pays
d’Océanie, 2022……………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 105
Figure 24. Principaux pays d’Océanie sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022 …………………………………………………………………………………………………………………… 106
Chapitre 4
Figure 1. Migrants internationaux par région (1990-2019) : Migrants à destination, à l’intérieur
et en provenance de l’Europe, de l’Amérique latine et des Caraïbes……………………………………………….. 118
Tableau 1. Classements d’une sélection de pays selon le développement humain, la fragilité
et le passeport…………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 121
Figure 2. Modèle des mécanismes qui concourent à la migration ………………………………………………………………………. 122
Figure 3. Transition vers la mobilité …………………………………………………………………………………………………………………………….. 124
Figure 4. Prévalence de l’émigration, 1960-2019………………………………………………………………………………………………………. 126
x ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
Tableau 2. Immigrants par région des Nations Unies, 1995 et 2020……………………………………………………………………. 128
Tableau 3. Vingt principaux pays d’origine et de destination, en nombre (millions) et en proportion
de la population totale…………………………………………………………………………………………………………………………………… 129
Figure 5. Immigrants et émigrants par catégorie de pays selon l’indice de développement humain,
2020 ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. 131
Figure 6. Association entre le classement selon l’indice de développement humain et les populations
d’immigrants/émigrants, 2005 ………………………………………………………………………………………………………………………. 131
Tableau 4. Nombre de pays dans les classements de l’IDH, 1995-2019……………………………………………………………… 133
Figure 7. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de chacune des quatre catégories
d’IDH (faible, moyen, élevé et très élevé), 1995-2020………………………………………………………………………….. 134
Figure 8. États membres de l’espace Schengen ………………………………………………………………………………………………………… 137
Figure 9. Migration entre pays à IDH très élevé………………………………………………………………………………………………………. 138
Figure 10. États membres de la CEDEAO…………………………………………………………………………………………………………………… 139
Figure 11. Migration entre pays à faible IDH………………………………………………………………………………………………………………. 140
Chapitre 5
Figure 1. Décès dans le cadre de conflits impliquant des États (monde), 1946-2020 …………………………………… 145
Tableau 1. Développement, liberté, paix, fragilité des États et déplacement (sélection de pays)………………….. 151
Figure 2. La sécurité humaine d’un bout à l’autre du cycle migratoire………………………………………………………………. 154
Chapitre 6
Figure 1. Répartition des migrants internationaux par sexe, 2000-2020…………………………………………………………… 175
Figure 2. Part des femmes et des hommes dans la population de migrants internationaux,
par région d’origine, 1990-2020 ………………………………………………………………………………………………………………….. 176
Figure 3. Part des femmes et des hommes dans la population de migrants internationaux,
par région de destination, 1990-2020……………………………………………………………………………………………………….. 177
Figure 4. Répartition géographique des travailleurs migrants par sexe, 2019 ………………………………………………….. 178
Figure 5. Les 20 principaux couloirs de migration à dominante masculine, 2020…………………………………………… 179
Figure 6. Les 20 principaux couloirs de migration à dominante féminine, 2020 …………………………………………….. 180
Figure 7. Répartition des travailleurs migrants internationaux par grande catégorie d’activité
économique et par sexe, à l’échelle mondiale, 2013 et 2019…………………………………………………………….. 181
Figure 8. Les dimensions de genre à chaque étape du cycle migratoire……………………………………………………………. 183
Figure 9. Continuum des approches relatives aux questions de genre ……………………………………………………………… 198
Figure 10. Défis transversaux relatifs au genre à chaque étape du cycle migratoire ……………………………………….. 200
Tableau 1. La terminologie inclusive en bref………………………………………………………………………………………………………………… 201
Chapitre 7
Figure 1. Liens entre changements environnementaux, écosystèmes et mobilité humaine………………………….. 212
Chapitre 8
Tableau 1. Recommandations clés de la Commission mondiale sur les migrations internationales
et objectifs du Pacte mondial sur les migrations……………………………………………………………………………………. 241
Figure 1. Manifestations et processus internationaux clés 2003-2022 ……………………………………………………………….. 243
Figure 2. Annonces de contribution faites dans le cadre du Forum d’examen des migrations
internationales par type…………………………………………………………………………………………………………………………………. 251
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 xi
Chapitre 9
Figure 1. Les vastes répercussions de la COVID-19 : quelques exemples………………………………………………………… 260
Figure 2. Nombre de pays ayant pris différents types de mesures pour réduire au minimum
la transmission de la COVID-19, de janvier 2020 à janvier 2023……………………………………………………… 261
Figure 3. Nombre de passagers sur les vols internationaux par rapport à 2019, par région……………………… 265
Figure 4. Nombre de passagers sur les vols intérieurs par rapport à 2019, par région ………………………………. 266
Figure 5. Évolution de la mobilité au sein des communautés depuis la période précédant la pandémie
dans certains pays…………………………………………………………………………………………………………………………………………… 268
Liste des appendices
Chapitre 3
Appendice A. Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies : régions
et sous-régions…………………………………………………………………………………………………………………………………………. 285
Chapitre 4
Appendice A. Possibilités, migration et indice de développement humain ………………………………………………………… 290
Appendice B. Comment j’ai été mêlée à une querelle scientifique sur les chiffres de la migration
et ce que j’en ai appris…………………………………………………………………………………………………………………………… 291
Appendice C. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 294
Chapitre 5
Appendice A. La Commission des Nations Unies sur la sécurité humaine……………………………………………………….. 295
Appendice B. Études de cas nationales par région des Nations Unies………………………………………………………………. 297
Appendice C. Traités multilatéraux mondiaux et États parties……………………………………………………………………………… 310
Chapitre 6
Appendice A. Termes clés et définitions ……………………………………………………………………………………………………………………. 312
Chapitre 7
Appendice A. Définitions clés…………………………………………………………………………………………………………………………………………. 313
Appendice B. Voies vers la sécurité alimentaire pour les agriculteurs pauvres et extrêmement
pauvres au Guatemala ……………………………………………………………………………………………………………………………. 314
Chapitre 9
Appendice A. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 315
Appendice B. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. 316
xii ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024
Avant propos
La migration est aussi ancienne que l’humanité. De tout temps, les personnes ont migré en quête d’une vie
meilleure, pour fuir un conflit ou se mettre en sécurité, ou simplement à la recherche de nouvelles possibilités.
Le fait que la plupart des migrations se produisent de manière régulière, sûre et ordonnée − à l’échelle régionale
et souvent en lien direct avec le travail − peut surprendre. Ce qui attire l’attention à la une des médias ne reflète
qu’une partie du phénomène. La mésinformation et la politisation pèsent lourdement sur la question de la migration,
et les discours dominants sont aujourd’hui bien éloignés de comptes rendus exacts et équilibrés du phénomène
− tant de ses vérités simples que de ses réalités complexes propres aux différents contextes.
C’est pourquoi l’objectif central des rapports État de la migration dans le monde, série phare de l’OIM, est de
présenter avec clarté et exactitude les évolutions observées en matière de migration et de mobilité à l’échelle
mondiale pour que les lecteurs puissent mieux comprendre les changements et adapter leurs travaux. En sa qualité
d’organisme des Nations Unies chargé des migrations, l’OIM a le devoir de décrypter la complexité et la diversité
de la mobilité humaine au moyen de données, recherches et analyses fondées sur des éléments factuels.
Le Rapport témoigne par ailleurs de l’obligation permanente qui incombe à l’Organisation de préserver les droits
fondamentaux et de s’acquitter de sa mission d’aide aux migrants qui en ont le plus besoin. Cela revêt une
importance particulière dans les trois domaines que l’OIM place en tête des priorités dans son nouveau Plan
stratégique 2024-2028 : sauver des vies et protéger les migrants; trouver des solutions aux déplacements; et
faciliter des voies de migration régulières.
Les Nations Unies estiment actuellement à 281 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde, ce
qui représente 3,6 % de la population mondiale. Cependant, un nombre croissant de personnes sont déplacées,
tant à l’intérieur qu’en dehors de leur pays d’origine, en raison d’un conflit, de la violence, de l’instabilité politique
ou économique ainsi que du changement climatique et d’autres catastrophes. En 2022, on recensait 117 millions de
personnes déplacées dans le monde, et 71,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Le nombre
de demandeurs d’asile est passé de 4,1 millions en 2020 à 5,4 millions en 2022, soit une hausse de plus de 30 %.
De nombreuses personnes sont exclues des voies régulières, comme exposé dans le chapitre 4 du présent Rapport,
et recourent parfois à des voies irrégulières extrêmement dangereuses. Celles-ci suscitent une attention médiatique
importante, et leur utilisation ébranle souvent la confiance dans la gouvernance et nourrit un discours biaisé qui
est instrumentalisé dans le monde entier à des fins politiques à court terme.
Le Rapport présente les principales données et tendances de la migration à l’échelle mondiale et régionale ainsi que
des questions thématiques pertinentes. Afin de prendre en compte la diversité des besoins des différents publics qui
utilisent le Rapport pour éclairer leur travail, notamment des responsables politiques, des médias, des chercheurs,
des enseignants et des étudiants, la présente édition contient également de nouveaux outils numériques visant à
assurer son utilité pour un éventail de personnes aussi large que possible.
Ces innovations s’inscrivent dans la tradition d’excellence du Rapport État de la migration dans le monde, qui a
remporté plusieurs récompenses internationales. Mais au-delà des récompenses obtenues et avant tout, le Rapport
contribue au discours mondial sur la migration. Il s’agit là d’un objectif constant de l’OIM − informer les publics
dans le monde sur les éléments factuels solides qui étayent son action. L’Organisation ne doute pas que les
contenus et les outils contribueront à dissiper les mythes, exposeront des faits et des analyses clés, et fourniront
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 xiii
des connaissances nouvelles sur le paysage complexe de la migration. Elle espère également que le Rapport État
de la migration dans le monde suscitera de nouvelles réflexions sur la manière dont vous pouvez participer à une
action plus large, qui contribue à ce que la migration soit utilement mise à profit en tant que solution pour le
développement humain, la paix et la prospérité dans le monde.
« Le savoir, c’est le pouvoir » : cette formule a été utilisée pour la première fois par des philosophes au 16e siècle.
En cette époque d’informations instantanées, de conspirations sur Internet et d’habiles discours politiques, elle est
plus pertinente que jamais. Avec la présente édition du Rapport État de la migration dans le monde, l’OIM entend
axer les discussions ayant trait à la migration sur des données, des faits et des réalités − afin d’être à même de
brosser un tableau complet du phénomène.
Amy E. Pope
Directrice générale
MARIE MCAULIFFE
LINDA ADHIAMBO OUCHO
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 1
1 VUE D’ENSEMBLE DU RAPPORT :
LA MIGRATION CONTINUE D’ÊTRE UN ÉLÉMENT
DE SOLUTION DANS UN MONDE EN ÉVOLUTION
RAPIDE, MAIS DES DÉFIS MAJEURS SUBSISTENT1
Introduction
Plus de deux années se sont écoulées depuis la publication du Rapport État de la migration dans le monde 2022,
qui fournissait une vue d’ensemble des changements mondiaux entraînant d’importantes répercussions sur les
migrations et les déplacements dans le monde. Tout en prenant acte des changements en cours liés à des évolutions
démographiques ainsi qu’à des transformations économiques et sociales, l’édition 2022 du Rapport décrivait les
grandes mutations géopolitiques, environnementales et technologiques qui influent, parfois puissamment, sur la
migration et la mobilité. Les effets de ces mutations mondiales systémiques n’ont cessé de s’intensifier au cours
des deux dernières années. Par exemple, dans un contexte de durcissement géopolitique, nous avons été témoins
de conflits d’une nature et d’une ampleur qui semblaient inimaginables jusqu’alors. L’invasion à grande échelle de
l’Ukraine par la Fédération de Russie au début de l’année 2022 a marqué un tournant majeur dans le monde,
certains y voyant la fin abrupte de 30 ans de mondialisation et de la vaste coopération internationale qui l’avait
rendue possible2
. Les effets immédiats de cette crise sur l’Ukraine et l’Europe continuent d’être ressentis par des
millions de personnes. Ses effets à l’échelle mondiale en touchent bien davantage, l’onde de choc de la guerre se
propageant dans les domaines de la sécurité alimentaire mondiale, de la sécurité énergétique, du droit international,
du multilatéralisme, des alliances et des stratégies militaires3
.
Plus récemment, et en plus des conflits dévastateurs qui ont sévi ces deux dernières années en de nombreux
endroits du monde (tels que l’Afghanistan, l’Éthiopie, le Soudan, la République arabe syrienne et le Yémen), les
attaques menées par le Hamas le 7 octobre et le conflit à Gaza ont profondément choqué les analystes même les
plus chevronnés, ainsi que des humanitaires expérimentés4
. Les conséquences régionales et mondiales pourraient
se révéler importantes, ce qui illustre à quel point la situation géopolitique évolue rapidement et de manière
dangereuse5
. Au moment de la rédaction de ce texte (novembre 2023), les décès et les déplacements étaient déjà
très nombreux, et la réponse humanitaire éminemment difficile et complexe6
.
Force est également de constater que l’intensification de l’activité humaine néfaste pour l’environnement constatée
dans le précédent Rapport État de la migration dans le monde (édition 2022) s’est poursuivie : le monde reste
pris dans l’étau de la surconsommation et de la surproduction associées à une croissance économique non
durable, à l’épuisement des ressources, à l’effondrement de la biodiversité et au changement climatique en cours
1 Marie McAuliffe, Chef de la Division de la recherche sur la migration et des publications, OIM; Linda Adhiambo Oucho, Directrice
exécutive, African Migration and Development Policy Centre.
2 Maddox, 2023.
3 Coles et al., 2023.
4 Comité permanent interorganisations (IASC), 2023 ; Wright, 2023.
5 Khoury, 2023 ; Wright, 2023.
6 IASC, 2023; Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), 2023.
2 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
760
(et notamment au réchauffement de la planète). Nous sommes plus conscients que jamais des conséquences
extrêmement négatives des activités humaines qui détruisent les écosystèmes de la planète. Nous sommes aussi
tous sensibles aux conséquences potentielles de cette évolution sur la migration et la mobilité humaines, alors
que les records climatiques se succèdent7
. Le détail des scénarios et des effets à prévoir continue d’être remis en
question, analysé et débattu.8
Il est toutefois largement admis qu’il faut s’attendre à des effets considérables, à moins
que l’on adopte des mesures préventives adaptées en ce qui concerne les émissions de carbone et les technologies
vertes, ainsi que des mesures de préparation plus fines telles qu’une action en faveur de la réduction des risques
de catastrophe, appuyée par un financement approprié de l’action climatique9
. Des évolutions positives survenues
récemment dans le cadre de processus multilatéraux relatifs au changement climatique inspirent cependant un certain
optimisme quant à l’avenir de la coopération, optimisme également nourri par de nouveaux cadres multilatéraux
relatifs à la mobilité convenus par les États (tels que le cadre régional sur la mobilité climatique du Pacifique).
Dans l’édition précédente, un chapitre présentait une analyse de l’utilisation des technologies d’intelligence artificielle
(IA) dans les systèmes relatifs à la migration, tout en appelant l’attention sur les effets actuels des évolutions
technologiques dans de larges domaines de la vie sociale, politique et économique dans le monde. Depuis, nous
avons été témoins d’importantes avancées de l’IA. Des outils d’IA générative ont notamment fait irruption sur
la scène mondiale, touchant un large éventail de secteurs et d’activités. Certains acteurs ont recommandé leur
adoption10, tandis que d’autres (et tout particulièrement les créateurs des derniers outils d’IA générative) appelaient
à la prudence face à la propagation des technologies d’IA dans l’ensemble de nos sociétés11.
Au vu de l’utilisation soutenue – mais très inégale – de l’IA dans une partie seulement des systèmes relatifs à la
migration, on peut craindre que l’exploitation de ces technologies dans les systèmes relatifs à la migration et à la
mobilité ne creuse les fractures numériques, tant entre les États qu’au sein des États12. Un prérequis au recours à
l’IA est la capacité numérique des systèmes informatiques, en particulier la saisie numérique de données relatives
aux processus et à l’identité des candidats. Ces actions nécessitent un accès à des infrastructures informatiques et à
l’électricité, ainsi que du personnel qualifié dans le domaine des technologies de l’information et des communications
(TIC), des conditions que de nombreux pays du monde ne réunissent pas, en particulier les pays les moins avancés
(PMA)13. Il s’agit d’un domaine de plus dans lequel les disparités en matière de capacités et de ressources creusent
le fossé entre les États, aggravant la fracture numérique et les désavantages structurels dont souffrent les PMA dans
le cadre de la gestion des migrations. L’asymétrie de pouvoir dans le monde en ce qui concerne l’IA au service de
la migration est un problème persistant, susceptible d’être exacerbé à chaque nouvelle avancée14.
Cependant, les migrants ne pâtiront pas uniquement des inégalités entre les États. Compte tenu de la numérisation
croissante de la gestion des migrations et du recours accru à l’IA, notamment pour les services de visa, les
formalités aux frontières et la gestion de l’identité, les candidats à la migration devront être en mesure d’utiliser
des canaux numériques pour communiquer avec les autorités. Cela constitue un obstacle pour le grand nombre de
personnes dans le monde qui n’ont pas accès aux TIC15. Pour promouvoir l’accès à des migrations sûres, ordonnées
et régulières, il est nécessaire de promouvoir activement l’égalité numérique.
7 On peut citer à titre d’exemple la pire saison de feux incontrôlés (Canada), l’été le plus chaud jamais enregistré (monde) et le mois de
septembre le plus sec jamais enregistré (Australie).
8 Nations Unies, 2023 ; Forum économique mondial, 2022.
9 Birkmann et al., 2022.
10 Carr, 2023 ; Doubleday, 2023.
11 Vincent, 2023.
12 McAuliffe, 2023.
13 Adhikari et Tesfachew, 2022.
14 Beduschi et McAuliffe, 2021.
15 Union internationale des télécommunications (UIT), 2020 ; McAuliffe, 2023.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 3
C’est dans ce contexte que le présent Rapport État de la migration dans le monde s’intéresse aux faits nouveaux
survenus sur la scène migratoire ces deux dernières années, dans le but de fournir une analyse qui tienne compte
des facteurs historiques et contemporains – historiques, dans le sens où il s’agit de reconnaître que les migrations et
les déplacements s’inscrivent sur le long terme dans des contextes sociaux, politiques, économiques et de sécurité
plus vastes.
Que s’est-il passé sur la scène migratoire ?
Beaucoup de choses se sont produites en matière de migration au cours des deux dernières années, depuis la
publication du dernier Rapport État de la migration dans le monde à la fin de 2021.
Les deux dernières années ont été le théâtre d’événements migratoires et de déplacements majeurs, qui ont
occasionné beaucoup de souffrances et de traumatismes, ainsi que des décès. Outre les conflits en Ukraine et à
Gaza, comme évoqué plus haut, des conflits ont entraîné le déplacement de millions de personnes, par exemple
à l’intérieur et/ou au départ de la République arabe syrienne, du Yémen, de la République centrafricaine, de la
République démocratique du Congo, du Soudan, de l’Éthiopie et du Myanmar. En 2022 et 2023, on a également
assisté à des déplacements de grande envergure provoqués par des catastrophes liées au climat et à des événements
météorologiques dans de nombreuses régions du monde, notamment au Pakistan, aux Philippines, en Chine, en
Inde, au Bangladesh, au Brésil et en Colombie16. Parallèlement, en février 2023, le sud-est de la Türkiye et le nord
de la République arabe syrienne ont été frappés par de puissants séismes ayant entraîné la mort de plus de 50 000
personnes17. On estime qu’en mars, 2,7 millions de personnes avaient été déplacées en Türkiye, tandis que beaucoup
se sont retrouvées sans abri en République arabe syrienne18.
Par ailleurs, nous avons été témoins de la manière dont l’intensification de la migration était exploitée à des fins
politiques dans des systèmes démocratiques du monde entier, notamment en Europe, certains résultats d’élections
nationales ayant été influencés par des discours anti-immigration et par la question de l’augmentation du coût de la
vie19. Une montée de l’hostilité à l’égard des immigrants a également été observée dans d’autres régions du monde
en proie à une aggravation de la situation économique, comme en Afrique du Nord et en Afrique australe, en Asie
du Sud-Est et au Moyen-Orient20.
En dépit de ces événements récents, les données à long terme sur la migration internationale ont montré que
la migration n’est pas un phénomène uniforme dans le monde, mais qu’elle dépend de facteurs économiques,
géographiques, démographiques et autres qui produisent des schémas migratoires distincts, comme les « couloirs »
de migration qui se sont formés sur plusieurs années (voir le chapitre 2 du présent Rapport pour de plus amples
informations). Les couloirs les plus importants relient généralement des pays en développement à des pays avancés,
comme les États-Unis, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Allemagne. Ils peuvent aussi être le reflet de
conflits de longue date et des déplacements connexes, comme c’est le cas du couloir reliant la République arabe
syrienne à la Türkiye (deuxième couloir par son importance dans le monde).
16 Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 2023.
17 OIM, 2023.
18 Ibid.
19 Gosling, 2023.
20 Allison, 2023 ; Fahim, 2022 ; Jalli, 2023 ; Moderan, 2023.
4 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
En bref :
données clés sur la migration
(données disponibles les plus récentes)
Migrants
internationauxa
281 millions
de migrants internationaux dans le monde
en 2020, soit 3,6 % de la population mondiale
Femmesa 135 millions
de migrants internationaux de sexe féminin
dans le monde en 2020, soit 3,5 % de la
population féminine mondiale
Hommesa 146 millions
de migrants internationaux de sexe masculin
dans le monde en 2020, soit 3,7 % de la
population masculine mondiale
Enfantsa 28 millions
de migrants internationaux mineurs dans
le monde en 2020, soit 1,4 % de la population
mondiale d’enfants
Travailleurs
migrantsb 169 millions de travailleurs migrants dans le monde en 2019
Migrants portés
disparusc Environ 8 500 personnes décédées ou portées disparues
dans le monde en 2023
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 5
Rapatriements
de fonds
internationauxd
831 milliards de dollars É.-U.
de rapatriements de fonds internationaux
dans le monde en 2022.
Pays à revenu
faible et
intermédiaired
647 milliards
de dollars É.-U.
sous la forme de rapatriements de fonds
internationaux ont été reçus par les pays à
revenu faible et intermédiaire en 2022
Personnes
déplacéese,f
117 millions
de personnes étaient en situation de
déplacement dans le monde à la fin de 2022
(réfugiés, demandeurs d’asile, personnes
déplacées à l’intérieur de leur pays et autres)
Réfugiése 35,3 millions de réfugiés dans le monde en 2022
Demandeurs
d’asilee 5,4 millions de demandeurs d’asile dans le monde en 2022
Autres personnes
ayant besoin
d’une protection
internationalee
5,2 millions
d’autres personnes déplacées dans le monde
en 2022, pour la plupart des Vénézuéliens
(hors réfugiés et demandeurs d’asile)
Personnes
déplacées à
l’intérieur de leur
paysf
71,2 millions
de personnes déplacées à l’intérieur de
leur pays en 2022 : 62,5 millions en raison de
conflits et de violences ; 8,7 millions en raison de
catastrophes
Note : Voir le chapitre 2 pour de plus amples détails et une analyse de ces questions.
Sources : a
Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA), 2021.
b
Organisation internationale du Travail (OIT), 2021.
c
OIM, s. d.
d
Ratha et al., 2023. e
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 2023.
f
IDMC, 2023.
6 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
La migration continue d’être un élément de solution pour de nombreuses
économies, sociétés et familles du monde entier
En dépit de la toxicité de certains discours politiques reposant sur la haine et la division, la migration profite depuis
longtemps à des millions de personnes dans le monde – que ce soit dans les pays d’origine, de transit ou de
destination – en leur offrant des possibilités et en enrichissant leur vie. Pourtant, il se passe rarement une journée
sans que de multiples reportages – dans les médias traditionnels ou sur d’autres supports d’information récents –
traitent d’aspects négatifs de la migration. Si cela peut témoigner de la nature évolutive de la migration dans
certaines parties du monde, il faut avoir conscience que la couverture médiatique reste axée sur les «mauvaises »
nouvelles21. Parallèlement, des acteurs malveillants recourent de plus en plus à la désinformation, ce qui se répercute
de manière négative sur les discours relatifs à la migration dans la sphère publique et politique ainsi que dans les
médias sociaux22. Il est essentiel de « normaliser » le discours sur la migration pour pouvoir tirer profit des avantages
qu’elle offre.
Face à des discussions souvent entachées de biais, il peut être facile de perdre de vue le fait que les migrations
internationales demeurent un phénomène relativement peu courant, les migrants internationaux représentant
seulement 3,6 % (281 millions de personnes) de la population mondiale (voir l’analyse présentée au chapitre 2 du
présent Rapport). Dans leur grande majorité, les migrants ne franchissent pas de frontière pour vivre ailleurs. On
sait également que la plupart des migrations internationales sont sûres, ordonnées et régulières23.
Les analyses et les travaux de recherche à long terme indiquent eux aussi sans équivoque que la migration est un
facteur de développement humain et peut produire des avantages considérables pour les migrants, leur famille et
leur pays d’origine. Les salaires gagnés à l’étranger peuvent être plusieurs fois supérieurs à ceux que les migrants
percevraient en occupant des emplois analogues dans leur pays. Les rapatriements de fonds internationaux ont
augmenté de quelque 128 milliards de dollars É.-U. en 2000 à 831 milliards de dollars É.-U. en 2022, et excèdent
aujourd’hui largement l’aide publique au développement accordée aux pays en développement et les investissements
étrangers directs (voir le chapitre 2 du présent Rapport pour une analyse des rapatriements de fonds).
La migration peut également entraîner une forte hausse des compétences, qui peut revêtir une importance capitale
pour les pays de destination dont la population diminue. Outre le fait qu’elle accroît le revenu national et le niveau
de vie moyen, l’immigration peut avoir un effet positif sur le marché du travail en augmentant l’offre de main
d’œuvre dans des secteurs et dans des professions souffrant d’une pénurie de main-d’œuvre, et en permettant de
remédier aux décalages entre l’offre et la demande d’emplois sur le marché du travail. Ces effets favorables ne sont
pas visibles uniquement dans les secteurs hautement qualifiés, mais peuvent aussi être ressentis dans les professions
peu qualifiées. L’immigration augmente tout à la fois l’offre et la demande de main-d’œuvre, ce qui signifie que
l’arrivée de travailleurs étrangers (y compris peu qualifiés) peut offrir des possibilités d’emploi supplémentaires aux
travailleurs existants.
21 Allen et al., 2017 ; McAuliffe et Ruhs, 2017.
22 Culloty et al., 2021.
23 McAuliffe, 2020 ; Pope, 2024.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 7
Les travaux de recherche montrent également que les migrants sont source de dynamisme dans le monde, et sont
surreprésentés dans le champ des innovations et des brevets, des récompenses dans le domaine des arts et des
sciences, ainsi que dans les start-ups et les entreprises prospères. L’immigration de jeunes travailleurs peut aussi
contribuer à atténuer les pressions sur les régimes de retraite dans les pays à revenu élevé qui connaissent un
vieillissement rapide de leur population. L’immigration peut aussi avoir des effets négatifs sur le marché du travail
(sur les salaires et l’emploi des nationaux, par exemple), mais la plupart des études font apparaître qu’ils sont assez
limités, au moins en moyenne24.
Les voies de migration régulières accroissent la confiance de l’opinion publique dans les systèmes migratoires tout
en protégeant les migrants. Les migrations internationales et la mobilité qui se produisent dans des contextes
économiques, sociaux, politiques et de sécurité mondiaux et régionaux sont de plus en plus le résultat des cadres
politiques migratoires. Où, comment, quand et avec qui les personnes migrent sont autant de paramètres qui
dépendent des options qui s’offrent aux migrants, beaucoup d’entre elles étant déterminées ou influencées par
les politiques à l’échelle nationale ainsi que par l’intégration régionale. Une analyse portant sur 25 ans de données
relatives à la population de migrants internationaux fait clairement apparaître que les voies régulières accessibles aux
migrants de pays en développement se sont considérablement réduites, tandis que celles accessibles aux migrants de
pays développés se sont élargies (voir le chapitre 4 du présent Rapport). Pour un nombre croissant de personnes
dans le monde, la migration irrégulière – y compris via les voies d’asile – est la seule option accessible25.
Bien que les crises humanitaires dues aux déplacements restent exceptionnelles, leur nombre augmente. Les
déplacements forcés ont atteint un niveau inégalé à l’ère actuelle (voir le tableau 1 ci-après). La situation est
exacerbée par le changement climatique et les effets sur l’environnement, dont certains scientifiques prédisent qu’ils
contraindront plus de 216 millions de personnes sur six continents à se déplacer au sein de leur pays d’ici à 205026.
Dans le même temps, les besoins humanitaires croissent plus rapidement que les financements alloués. Tandis
que les besoins humanitaires augmentent et que les pressions budgétaires nationales s’accentuent, de nombreux
pays donateurs sont incités à réduire leurs budgets en faveur du développement, ce qui compromet l’aide au
développement destinée aux pays les moins avancés27. Parallèlement, le risque de nouveaux conflits n’a jamais été
aussi élevé depuis des décennies, alors que le montant des dépenses militaires a atteint un nouveau record de
2 240 milliards de dollars É.-U. en 2022, manifestation du recul continu de la paix dans le monde et de tensions
géopolitiques croissantes28. L’action humanitaire restera, jusqu’à nouvel ordre, d’ampleur considérable, afin de venir
en aide à certaines des populations les plus vulnérables du monde. L’OIM continuera d’être un acteur humanitaire
majeur dans la réponse aux crises, y compris en sa qualité de membre à part entière du Comité permanent
interorganisations des Nations Unies, chargé de l’action humanitaire29.
24 Goldin et al., 2018 ; Ruhs, 2013.
25 McAuliffe et al., 2017 ; McAuliffe et Koser, 2017.
26 Banque mondiale, 2021.
27 Development Initiatives, 2023.
28 Institute for Economiques and Peace (IEP), 2023 ; Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), 2023.
29 IASC, s. d.
8 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
La série de rapports État de la migration dans le monde
Le premier rapport État de la migration dans le monde est paru il y a 24 ans. Au départ, il s’agissait d’une publication
ponctuelle, destinée à faire mieux connaître la migration aux responsables politiques et au grand public. Il avait été
conçu à une époque où les effets de la mondialisation se faisaient sentir dans de nombreuses régions du monde et
de multiples façons. De fait, l’on peut y lire que ce sont en partie les effets de la mondialisation sur les schémas
migratoires qui ont motivé sa rédaction, de sorte qu’il « s’intéresse à la mondialisation croissante de l’économie, qui
a provoqué un afflux sans précédent de nouveaux arrivants dans de nombreux pays […] »30. Il soulignait que, bien
qu’il s’agisse d’un phénomène très ancien, la migration s’accélérait sous l’effet de la mondialisation des processus
économiques et commerciaux, qui permettaient une circulation plus grande de la main-d’œuvre, ainsi que des biens
et des capitaux.
Le tableau 1 récapitule les principales statistiques figurant dans cette première édition (Rapport État de la
migration dans le monde 2000) et les met en regard avec la présente édition. Il montre que certains aspects sont
restés relativement constants – la proportion des migrants dans la population mondiale –, tandis que d’autres
ont connu une évolution spectaculaire. Les rapatriements de fonds internationaux, par exemple, sont passés de
quelque 128 milliards de dollars É.-U. à 831 milliards de dollars É.-U., ce qui souligne l’importance de la migration
internationale en tant que facteur de développement. Il convient également de relever l’augmentation du nombre
de migrants internationaux dans le monde, mais surtout de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays, même si cela ne représente toujours qu’une faible proportion de la population mondiale.
Tableau 1. Faits et chiffres clés tirés des rapports État de la migration dans le monde 2000 et 2024
Rapport de 2000 Rapport de 2024
Nombre estimatif de migrants internationaux 150 millions 281 millions
Proportion estimative de migrants dans la population mondiale 2,8 % 3,6 %
Proportion estimative de femmes parmi les migrants
internationaux 47,5 % 48,0 %
Proportion estimative d’enfants parmi les migrants internationaux 16,0 % 10,1 %
Région ayant la plus forte proportion de migrants internationaux Océanie Océanie
Pays ayant la plus forte proportion de migrants internationaux Émirats arabes unis Émirats arabes unis
Nombre de travailleurs migrants – 169 millions
Rapatriements de fonds internationaux à l’échelle mondiale
(en dollars É.-U.) 128 milliards 831 milliards
Nombre de réfugiés 14 millions 35,4 millions
Nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays 21 millions 71,4 millions
Sources : Voir OIM, 2000, et le présent Rapport pour les sources.
Notes : Les dates des données estimatives mentionnées dans le tableau peuvent différer de la date de publication du rapport (prière
de se reporter aux rapports pour plus de détails sur les dates des estimations); prière de se reporter au chapitre 3 du présent
Rapport pour des données ventilées par région.
30 OIM, 2000.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 9
La contribution du Rapport État de la migration dans le monde 2000 aux politiques migratoires et aux études sur la
migration répondait aux besoins du moment, et son succès a ouvert la voie à la série des rapports sur l’état de la
migration dans le monde. Depuis 2000, l’OIM a publié 12 rapports du genre, qui visent essentiellement à apporter
un éclairage pertinent, solide et fondé sur des éléments factuels, afin de permettre aux décideurs, aux praticiens,
aux chercheurs et au grand public de mieux comprendre la migration. Pour atteindre cet objectif, le contenu a été
repensé en 2016. Il ne s’agit plus de consacrer une édition à une thématique, mais de proposer une étude globale
de référence à un public plus large. Chaque édition comporte désormais deux parties : - Partie I : Données et informations clés sur la migration et les migrants ;
- Partie II : Analyse équilibrée et fondée sur des éléments factuels de questions migratoires complexes et
émergentes.
De nouveaux outils numériques élaborés en collaboration avec des
spécialistes
La série des rapports État de la migration dans le monde comprend désormais un ensemble d’outils numériques
conçus pour une utilisation dans différents contextes. Ils ont été élaborés en collaboration avec les plus grands
spécialistes mondiaux de l’analyse des données migratoires, de la visualisation des données, de l’éducation et du
dialogue entre les scientifiques et les décideurs.
Ces visualisations de données interactives sont nées de la nécessité de présenter les résultats dans divers formats
afin d’en améliorer l’accessibilité et l’utilité. Lancées en mai 2021, et régulièrement actualisées, elles permettent
aux utilisateurs de lire les synthèses « à la une » sur les tendances à long terme, tout en cliquant sur des points
de données pour étudier des périodes, des couloirs ou des pays en particulier. Ce nouveau format interactif est
devenu la pièce maîtresse de la plateforme en ligne du Rapport État de la migration dans le monde, récompensée par
plusieurs prix internationaux pour sa conception et sa visualisation des données31. Il existe d’autres outils destinés
aux personnes qui travaillent dans le domaine des migrations ou souhaitent se renseigner sur cette question, tels
que les boîtes à outils pédagogique et politique, qui témoignent de l’importance croissante de la migration et de
l’utilité du Rapport32. L’OIM collabore avec de nombreux experts pour élaborer et mettre à disposition le Rapport
et les outils connexes dans de nombreuses langues, dans le but d’en accroître l’utilisation à l’échelle locale33.
Rapport État de la migration dans le monde 2024
La présente édition s’inscrit dans le prolongement des trois derniers rapports (éditions 2018, 2020 et 2022), en
fournissant des statistiques actualisées sur la migration à l’échelle régionale et mondiale ainsi que des analyses
descriptives de questions migratoires complexes.
31 Pour obtenir des informations sur les prix internationaux obtenus, veuillez consulter la page Web du Rapport État de la migration dans
le monde.
32 Voir https://worldmigrationreport.iom.int/fr/propos.
33 Voir la liste des partenaires sur le site Web du Rapport État de la migration dans le monde, où figurent de nombreux établissements
universitaires, ainsi que des groupes de réflexion politique de premier plan et des organismes de promotion de l’éducation. Comme
indiqué dans les notes en début de rapport, la présente édition a été établie sans recours à des outils d’IA générative.
10 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
La partie I relative aux «données et informations clés sur la migration» s’articule autour de chapitres distincts
traitant, respectivement, des tendances et schémas migratoires dans le monde ainsi que des aspects régionaux et des
faits nouveaux à l’échelle régionale. Ces deux chapitres ont été rédigés en interne, principalement à partir d’analyses
réalisées par des spécialistes, des praticiens et des fonctionnaires de l’OIM du monde entier sur la base de données
provenant d’un large éventail d’organisations compétentes. Les six chapitres de la partie II ont été rédigés par des
universitaires et des chercheurs spécialistes des questions de migration, y compris des chercheurs de l’OIM. Ils
traitent de nombreuses «questions migratoires complexes et émergentes » : - La diminution des possibilités de mobilité pour les personnes originaires de pays en développement depuis
1995 et la nécessité de disposer d’un plus grand nombre de voies de migration régulières ; - La sécurité humaine dans le contexte migratoire ;
- Les dimensions de genre de la migration ;
- Le changement climatique, l’insécurité alimentaire et la migration ;
- La gouvernance mondiale des migrations ;
- La migration et la mobilité après la pandémie de COVID.
Si le choix de ces thèmes est nécessairement sélectif et subjectif, tous les chapitres de la partie II du présent Rapport
se rapportent directement à certains des débats les plus pressants et les plus importants sur la migration dans le
monde. Beaucoup de ces thèmes sont au cœur des casse-têtes auxquels les responsables politiques se heurtent
lorsqu’ils s’efforcent de répondre de manière efficace, proportionnée et constructive aux questions complexes de
politique publique concernant la migration. Ainsi, ces chapitres visent à éclairer les délibérations et débats politiques
actuels et à venir en identifiant clairement les questions clés, en donnant un aperçu critique des recherches et
analyses pertinentes et en présentant les conséquences pour les travaux de recherche et les décisions politiques
à venir. Ils n’ont pas vocation à être prescriptifs, car il ne s’agit pas de promouvoir des « solutions » politiques
particulières – d’autant que le contexte immédiat est un déterminant majeur des cadres politiques –, mais à fournir
des informations et des éclairages dans des débats pouvant être particulièrement houleux.
Partie I
Le chapitre 2 donne un aperçu des dernières données et tendances mondiales relatives aux migrants internationaux
(populations) et aux migrations internationales (flux). Il analyse aussi certains groupes de migrants – travailleurs
migrants, étudiants internationaux, réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées à l’intérieur de leur pays – et
les rapatriements de fonds internationaux. En outre, il présente l’ensemble des données programmatiques de l’OIM,
en particulier celles sur les migrants portés disparus, l’aide au retour volontaire et à la réintégration, la réinstallation
et le suivi des déplacements. Si, d’une manière générale, ces données n’ont pas de portée mondiale et ne sont pas
représentatives, elles donnent toutefois une idée des changements survenus dans les programmes et opérations
mis en œuvre par l’OIM dans le monde.
Après ce tour d’horizon général, le chapitre 3 s’intéresse aux principaux aspects et faits nouveaux relatifs à la
migration à l’échelle régionale. L’analyse porte sur les six régions du monde définies par les Nations Unies, à
savoir l’Afrique, l’Asie, l’Europe, l’Amérique latine et les Caraïbes, l’Amérique du Nord, et l’Océanie, en donnant
pour chacune d’elles : a) un aperçu et un bref examen des statistiques démographiques clés ; b) une description
succincte des «principales caractéristiques et tendances » de la migration dans la région, fondée sur un large éventail
de données, d’informations et d’analyses provenant, entre autres, d’organisations internationales, de chercheurs et
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 11
d’analystes. Pour rendre compte de la diversité des schémas, tendances et questions migratoires à l’intérieur de ces
six régions, ce chapitre contient aussi une description des «principales caractéristiques et tendances » à l’échelle
infrarégionale.
Partie II
Chapitre 4 – Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données
mondiales? - Ce chapitre, initialement publié dans le Rapport État
de la migration dans le monde 2022, est repris dans la
présente édition en réponse aux nombreuses demandes de
présentation de son analyse, qui souligne l’importance des
voies de migration régulières. - Ce chapitre s’intéresse à deux questions : «Qui sont ceux
qui migrent à l’étranger? » et «Où se rendent-ils? » Il analyse
différentes données statistiques et s’appuie sur certains
travaux de recherche existants consacrés aux déterminants
de la migration et aux prises de décision. Il met en lumière
une inégalité croissante en matière de mobilité, la plupart
des migrations internationales se produisant désormais entre
pays riches, alors que les pays pauvres en sont de plus en
plus exclus. - Une analyse des données sur la population de migrants
internationaux et l’indice de développement humain montre
qu’entre 1995 et 2020, les flux migratoires au départ des pays
peu développés ou à niveau de développement intermédiaire
ont augmenté, mais dans une moindre mesure seulement, corroborant les analyses macroéconomiques
existantes selon lesquelles la migration internationale au départ des pays à faible revenu est traditionnellement
limitée. - Cependant, contrairement à ce qu’on savait précédemment de la migration internationale, cette analyse fait
apparaître un phénomène de «polarisation », l’activité migratoire étant de plus en plus associée aux pays très
développés. Cette évolution soulève la question essentielle des aspirations à migrer des migrants potentiels
des pays en développement du monde entier, qui souhaitent saisir les possibilités offertes par la migration
internationale mais ne le peuvent pas parce que les voies régulières leur sont inaccessibles. - Il est important de noter que, lorsque des zones géographiques de libre circulation sont créées, les États et
les populations en tirent un bénéfice important. Par exemple en Europe, les nations membres de l’espace
Schengen, dans lequel il est possible de circuler sans visa, ont enregistré à long terme une hausse de la
mobilité bien plus importante que les nations n’appartenant pas à l’espace Schengen. Les protocoles de
la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont également entraîné un
accroissement des migrations dans la zone et une baisse des migrations en dehors de ce bloc de pays.
12 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
Chapitre 5 – Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses - Ce chapitre traite des liens entre migration, mobilité et
sécurité humaine dans des contextes contemporains, à une
époque où la mésinformation et la désinformation sur la
migration et les migrants montent en puissance. Il s’appuie
sur des concepts connexes qui ont évolué au cours des
dernières décennies. - Le lien le plus important entre migration et sécurité concerne
la sécurité humaine des migrants eux-mêmes, et non la
sécurité nationale des États. La vulnérabilité des migrants
d’un bout à l’autre du cycle migratoire apparaît à toutes les
étapes, et elle se manifeste sous des formes diverses, avant
le départ, pendant le transit, à l’entrée et durant le séjour
ainsi qu’au retour. Il est toutefois important de noter que
les migrations internationales ne sont pas toutes associées
ou dues à l’insécurité humaine. - Les politiques peuvent améliorer la sécurité humaine
des migrants et des communautés, en tenant compte
de considérations politiques internationales, régionales,
nationales et infranationales, comme exposé dans les six brèves études de cas présentées dans ce chapitre.
Cependant, il n’existe pas d’approche politique universelle pour améliorer la sécurité humaine, car celle-ci
dépend de problèmes spécifiques et de la manière dont ils se manifestent. Il est donc nécessaire que les
autorités à différents niveaux et les acteurs non étatiques s’emploient à élaborer, mettre en œuvre et évaluer
des solutions qui facilitent une approche de la migration et de la mobilité fondée sur la sécurité humaine.
Chapitre 6 – Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes - Ce chapitre fournit une vue d’ensemble des interactions
entre genre et migration dans divers contextes géographiques
du monde. Il couvre la migration familiale, la migration par
mariage et les déplacements, et accorde une attention
particulière à la migration de main-d’œuvre, qui est l’une des
formes de migrations les plus répandues et est extrêmement
genrée. - Le chapitre étudie la manière dont le genre influe sur les
expériences migratoires, y compris les déplacements, d’un
bout à l’autre du cycle migratoire : avant le départ jusqu’à
l’entrée et au séjour dans le pays de destination et, le cas
échéant, jusqu’au retour dans le pays d’origine. Les exemples
présentés illustrent la manière dont le genre peut ouvrir
des perspectives, mais aussi créer des vulnérabilités et des
risques pour les migrants.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 13 - À partir de l’analyse des dimensions de genre existantes d’un bout à l’autre du cycle migratoire, quatre
défis transversaux associés au genre sont identifiés, au regard desquelles des pratiques prometteuses et
des interventions novatrices en provenance de différents pays sont présentées. Ces défis concernent les
stéréotypes, l’accès à l’information, la fracture numérique et les voies de migration régulières. - Le chapitre met en évidence la nécessité urgente d’adopter une approche soucieuse de la dimension de
genre en matière de gouvernance des migrations afin d’autonomiser les migrants, quel que soit leur genre,
et, plus généralement, de promouvoir l’égalité des genres en tant que « condition préalable à l’édification
d’un monde meilleur ».
Chapitre 7 – Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels
et mesures - Le présent chapitre porte sur l’articulation entre changement
climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine. Il fait
ressortir les liens complexes qui unissent ces dimensions
dans plusieurs scénarios, à différents endroits de la planète.
L’analyse est nuancée et dépasse la vision simpliste de la
mobilité humaine comme une conséquence naturelle des
effets du changement climatique et de l’insécurité alimentaire. - Des éléments factuels montrent que le changement
climatique contribue pour une large part à accentuer les
pressions exercées sur les communautés et les systèmes
existants. Cependant, il ne saurait être considéré comme
le seul facteur d’insécurité alimentaire ou de migration,
compte tenu des rapports de force existants, des fragilités
en matière de gouvernance, des structures de la production
alimentaire mondialisée ainsi que d’autres facteurs sociaux. - La migration apparaît comme une stratégie d’adaptation
permettant de réduire les effets négatifs du changement
climatique. Néanmoins, dans certains contextes, elle peut
être inadaptée. Les résultats de la migration comme moyen d’adaptation dépendent de la situation des
personnes ou des ménages qui l’entreprennent, ainsi que de la participation et de l’agentivité des migrants. - Ce chapitre met en évidence la nécessité d’interventions hautement contextuelles qui visent les inégalités et
les rapports de force, y compris sous l’angle du genre, en mettant à profit les savoirs locaux et autochtones,
et en évaluant avec soin les possibles conséquences inadaptées pour les populations vulnérables.
14 Vue d’ensemble du rapport : la migration continue d’être un élément de solution dans un monde en évolution rapide,
mais des défis majeurs subsistent
Chapitre 8 –Vers une gouvernance mondiale des migrations? De la Commission mondiale sur les migrations
internationales de 2005 au Forum d’examen des migrations internationales de 2022 et au-delà - Ce chapitre étudie les incidences de la gouvernance
mondiale des migrations assurée sous la forme d’un
dispositif multipartite piloté par les Nations Unies, en
s’appuyant sur des chapitres de deux précédents rapports
État de la migration dans le monde. Il retrace l’évolution
de la coopération internationale depuis la Commission
mondiale sur les migrations internationales (2005) au
Forum d’examen des migrations internationales de 2022, en
explorant la dimension historique et en examinant l’influence
de recommandations antérieures. - Ce chapitre analyse les résultats du Forum d’examen des
migrations internationales, en rendant compte de tensions
majeures et de questions litigieuses présentes dans les
débats politiques qui ont trait à la gouvernance mondiale des
migrations. En brossant un tableau complet des évolutions
survenues entre 2003 et l’adoption du Pacte mondial pour
des migrations sûres, ordonnées et régulières en 2018, ce
chapitre étudie les conséquences des crises systémiques
et des mutations géopolitiques, en soulignant le rôle joué par le Forum mondial sur la migration et le
développement (FMMD). - Il analyse également les insuffisances subsistantes de l’architecture de gouvernance actuelle, en particulier
dans le contexte des enjeux géopolitiques actuels, et présente des considérations sur la gouvernance des
migrations à l’échelle régionale. Les migrations requièrent une approche associant véritablement l’ensemble
des pouvoirs publics et de la société. Les évolutions de la gouvernance mondiale ne profiteront à tous les
migrants que si l’architecture émergente tient compte de cette réalité.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 15
Chapitre 9 – Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19 - Ce chapitre examine les effets transformateurs de la
pandémie de COVID-19 sur la mobilité et les migrations
dans le monde, actualisant le chapitre du Rapport État de la
migration dans le monde 2022 consacrée à la COVID-19. Les
questions suivantes y sont traitées : Comment les restrictions
de voyage et de circulation ont-elles évolué depuis la dernière
édition du Rapport? Comment les schémas de migration
et de mobilité ont-ils évolué pendant la même période ? Et
quelles sont les principales conséquences à long terme de
ces tendances? - La mobilité et les migrations humaines ont nettement repris
depuis le début de la pandémie de COVID-19. Trois ans
après, une grande partie du monde n’a cependant toujours
pas retrouvé le niveau de mobilité de 2019. Les restrictions
les plus contraignantes ont été levées, mais ont laissé place
à un paysage politique migratoire plus complexe et plus
restrictif. - La pandémie a favorisé ou accéléré des transformations
sociales tant temporaires que structurelles dans l’ensemble des régions, parmi lesquelles on peut citer
l’évolution des modes de consommation dans les pays développés et en développement ; des taux d’inflation
élevés et des ralentissements économiques à l’échelle mondiale ; des changements démographiques ; le
volume élevé des rapatriements de fonds effectués par les travailleurs migrants au bénéfice de leurs familles
et communautés ; l’automatisation ; l’externalisation numérique ; et l’évolution du rôle de la mobilité de la
main-d’œuvre dans l’économie mondiale.
PARTIE I
DONNÉES ET INFORMATIONS CLÉS
SUR LA MIGRATION ET LES MIGRANTS
DONNÉES ET INFORMATIONS CLÉS
SUR LA MIGRATION ET LES MIGRANTS
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 19
2 LA MIGRATION ET LES MIGRANTS
DANS LE MONDE
Introduction
Compte tenu des importantes fluctuations et de la grande diversité des migrations et des déplacements dans
le monde, identifier les tendances mondiales n’est pas une tâche aisée. On sait, grâce au volume croissant
d’informations à notre disposition, que la migration est une question souvent fortement politisée, par conséquent
de plus en plus sujette à la mésinformation et à la désinformation opérées par des groupes d’intérêt poursuivant
des objectifs politiques ou commerciaux1
. Des comptes rendus des migrations exacts et objectifs permettent de
remettre en question les mythes à ce sujet et de porter un regard critique sur les supports de mésinformation et
de désinformation. Dans ce cadre, la description et l’analyse de l’évolution des migrations dans le monde à travers
différents prismes, y compris ceux englobant des aspects économiques, sociaux et relatifs à la sécurité (ainsi que
les cadres politiques et juridiques connexes), doivent reposer sur la connaissance d’indicateurs fondamentaux.
La migration humaine est certes un phénomène qui remonte aux débuts de l’histoire et touche la quasi-totalité
des sociétés du monde, mais elle connaît d’importantes transformations. Un examen de ces mutations sous l’angle
de leur ampleur, de leur direction, de leurs caractéristiques démographiques et de leur fréquence peut éclairer
la manière dont évoluent les migrations et permettre de dégager tant des tendances à long terme résultant
d’événements historiques que des changements plus récents.
Selon les dernières estimations, on recensait 281 millions de migrants internationaux dans le monde en 2020, soit
3,6 % de la population mondiale2
. Premièrement, il est important de noter que cette estimation doit être actualisée
dans le courant de l’année à venir, ce qui fournira de précieuses informations sur les tendances migratoires à long
terme et sur la mesure dans laquelle elles ont été perturbées par la pandémie de COVID-19. Deuxième point
important, ce chiffre, qui correspond à la somme de phénomènes migratoires survenus sur plusieurs décennies,
renvoie à une petite minorité de la population mondiale seulement, ce qui signifie que rester dans son pays de
naissance demeure la norme pour l’immense majorité des personnes. Dans leur grande majorité, les migrants ne
franchissent pas de frontières; ils sont bien plus nombreux à migrer à l’intérieur des pays3
.
L’immense majorité des personnes migrent pour des raisons relatives au travail, à la famille ou aux études − dans
le cadre de processus qui, pour l’essentiel, ne posent pas de problèmes majeurs, ni aux migrants ni aux pays dans
lesquels ils entrent. Ces migrations sont pour la plupart sûres, ordonnées et régulières. En revanche, d’autres
quittent leur foyer et leur pays pour diverses raisons impérieuses et parfois tragiques, telles qu’un conflit, des
1 McAuliffe et al., 2019 ; Culloty et al., 2021.
2 Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA), 2021a. Les prochaines estimations actualisées de la
population de migrants internationaux devraient être publiées par le DESA au dernier trimestre de 2024.
3 Bien qu’il n’existe pas d’estimations actuelles du nombre de migrants internes, les estimations des Nations Unies qui datent de bientôt
20 ans (Programme des Nations Unies pour le développement, 2009) font apparaître un nombre de migrants internes bien supérieur à
celui des migrants internationaux – un fossé qui n’a depuis cessé de se creuser en raison de l’urbanisation croissante.
20 La migration et les migrants dans le monde
760
persécutions ou une catastrophe. Si les personnes qui sont déplacées – réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur
de leur pays – représentent une proportion relativement faible de l’ensemble des migrants dans le monde, elles
comptent souvent parmi les plus vulnérables et ont besoin d’assistance et de soutien.
Le présent chapitre, consacré aux données et tendances migratoires clés à l’échelle mondiale, vise à aider les décideurs,
praticiens et chercheurs s’occupant des questions de migration à se faire une meilleure idée du phénomène migratoire
dans son ensemble, en fournissant des informations sur la migration et les migrants dans le monde. Il s’appuie sur
des sources statistiques actuelles, compilées par le Département des affaires économiques et sociales des Nations
Unies (DESA), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation des
Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation internationale du Travail (OIT), la
Banque mondiale, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Observatoire des situations de
déplacement interne (IDMC), l’Organisation de l’Aviation civile internationale (OACI), l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM) et l’Université d’Oxford4
. Il donne un aperçu des données et tendances mondiales
concernant les migrants internationaux (populations) et les migrations internationales (flux), et analyse également
des groupes de migrants particuliers − travailleurs migrants, étudiants internationaux, réfugiés, demandeurs d’asile,
personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et migrants portés disparus − ainsi que les rapatriements de fonds
internationaux.
Le présent chapitre présente également l’ensemble des données programmatiques de l’OIM, en particulier celles
sur l’aide au retour volontaire et à la réintégration, la réinstallation et le suivi des déplacements. Si, d’une manière
générale, ces données n’ont pas de portée mondiale et ne sont pas représentatives, elles donnent toutefois un
aperçu des changements survenus dans les programmes et opérations pertinents mis en œuvre dans le monde. En
sa qualité d’organisme des Nations Unies chargé des migrations, dont les activités se rapportent à tous les thèmes
examinés dans le présent chapitre, l’OIM peut apporter des éclairages supplémentaires sur la migration et ses
diverses dynamiques, y compris les divers besoins des migrants.
Définir la migration, les migrants et d’autres termes clés
Hormis les définitions générales des termes «migration » et «migrant » données par les dictionnaires,
il existe diverses définitions précises de termes clés de la migration, notamment dans les domaines du
droit, de l’administration, de la recherche et de la statistiquea
. S’il n’existe pas de définition universellement
acceptée de la migration et des migrants, plusieurs définitions élaborées dans différents contextes sont
toutefois largement admises, telles que celles formulées en 1998 par le DESA dans ses Recommandations
en matière de statistiques des migrations internationales (personne résidant pendant 12 mois ou plus dans
un pays qui n’est pas celui de son lieu de naissance)b
.
Les travaux menés par la Division de statistique des Nations Unies et le Groupe d’experts des Nations
Unies en statistiques des migrations se poursuivent aux fins de l’actualisation des recommandations émises
en 1998c
. L’ensemble d’indicateurs fondamentaux et supplémentaires relatifs aux migrations internationales
et à la mobilité internationale temporaire (voir encadré ci après) a été approuvé par la Commission de
statistique des Nations Unies réunie en sa cinquante quatrième session en mars 2023, ouvrant la voie à la
révision des recommandations relatives à la mobilité et aux migrants internationaux aux fins d’une meilleure
4 Conformément à la période sur laquelle porte ce rapport, les statistiques utilisées dans ce chapitre étaient d’actualité au 30 juin 2023,
sauf indication contraire.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 21
prise en compte de différents aspects de la mobilité, dont la migrationd
. Les nouvelles recommandations
devraient être finalisées par la Division de statistique et le Groupe d’experts pour approbation par la
Commission en 2025.
Les définitions techniques, les concepts et les catégories de migrants et de migrations s’appuient nécessairement
sur des facteurs géographiques, juridiques, politiques, méthodologiques, liés au développement, temporels
et autres. Par exemple, il est possible de définir des phénomènes migratoires sous de multiples angles,
notamment le lieu de naissance, la nationalité, le lieu de résidence ou la durée du séjoure
. Ce point est
important pour quantifier et analyser les effets de la migration et des migrants, quelle que soit la définition
adoptée. Nous invitons le lecteur à se reporter aux sources primaires citées dans le chapitre pour des
informations sur les définitions précises et les catégories qui sous-tendent les données. Le lecteur pourra
également se reporter utilement au glossaire de la migration de l’OIM, proposé dans la librairie en ligne
de l’OIM.
a Voir, par exemple, Poulain et Perrin, 2001 ; Banque mondiale, 2023a.
b DESA, 1998.
c Division de statistique des Nations Unies, 2021.
d Commission de statistique des Nations Unies, 2023.
e Voir par exemple de Beer et al., 2010.
Migrants internationaux : chiffres et tendances
Le DESA établit des estimations du nombre de migrants internationaux dans le monde. L’analyse ci après s’appuie
sur ces estimations, qui sont fondées sur les données communiquées par les États5
. Dans leurs Recommandations
en matière de statistiques des migrations internationales, les Nations Unies définissent un «migrant international »
comme toute personne qui change de pays de résidence habituelle, en distinguant les «migrants de courte durée »
(qui se rendent dans un pays autre que celui de leur résidence habituelle pour une période d’au moins trois mois
mais de moins d’un an) et les «migrants de longue durée » (qui se rendent dans un pays autre que celui de leur
résidence habituelle pour une période d’au moins un an). Cependant, tous les pays n’utilisent pas cette définition
dans la pratique6
. Certains appliquent d’autres critères pour identifier les migrants internationaux, en retenant par
exemple des durées minimales de résidence différentes. Les différences en matière de concepts, de définitions et de
méthodes de collecte de données d’un pays à l’autre font qu’il est difficile de comparer pleinement les statistiques
nationales relatives aux migrants internationaux.
Si le nombre estimatif de migrants internationaux a augmenté au cours des 50 dernières années, il est important de
noter que la grande majorité des personnes vivent dans le pays où elles sont nées. Selon les dernières estimations
du nombre de migrants internationaux (datées de la mi-2020), près de 281 millions de personnes vivaient dans
un pays autre que leur pays de naissance, soit 128 millions de plus que 30 ans auparavant, en 1990 (153 millions),
et plus de trois fois plus qu’en 1970 (84 millions). La proportion de migrants internationaux dans la population
mondiale totale a également augmenté, mais de manière marginale (voir le tableau 1).
5 Des territoires et des unités administratives communiquent également des données au DESA. Pour un résumé des sources de données,
méthodes et avertissements du DESA, voir DESA, 2021b.
6 DESA, 1998.
22 La migration et les migrants dans le monde
Estimations de la population de migrants internationaux – pour quand est prévue la publication
du prochain ensemble de données sur la population de migrants?
Les estimations de la population de migrants internationaux des Nations Unies sont établies, sélectionnées et
publiées périodiquement par la Division de la population du DESA au Siège des Nations Unies (New York).
Les dernières estimations ont été publiées en janvier 2021 et reposent sur des données de la mi-2020
– soit relativement au début de la pandémie de COVID-19 et au plus fort des restrictions des voyages
internationaux. Le DESA a annoncé la publication des prochaines estimations pour le dernier trimestre de
- De plus amples informations sur les estimations de la population de migrants internationaux établies
par la Division de la population sont disponibles à l’adresse www.un.org/development/desa/pd/.
Tableau 1. Migrants internationaux depuis 1970
Année Nombre de migrants internationaux Migrants en % de la population mondiale
1970 84 460 125 2,3
1975 90 368 010 2,2
1980 101 983 149 2,3
1985 113 206 691 2,3
1990 152 986 157 2,9
1995 161 289 976 2,8
2000 173 230 585 2,8
2005 191 446 828 2,9
2010 220 983 187 3,2
2015 247 958 644 3,4
2020 280 598 105 3,6
Source : DESA, 2008 et 2021a.
Note : Dans les chiffres relatifs à la population de migrants internationaux du DESA (International Migrant Stock) de
2020, le nombre d’entités (États, territoires et régions administratives) pour lesquelles des données ont été
communiquées s’élevait à 232, contre 135 en 1970.
Les données disponibles sur les migrants internationaux comprennent des estimations sur les liens d’origine et de
destination entre deux pays, ce qui permet de se faire une idée des couloirs de migration bilatérale existant dans
le monde. La taille d’un couloir de migration entre un pays A et un pays B est calculée à partir du nombre de
personnes nées dans le pays A qui résidaient dans le pays B à la date de l’estimation. Les couloirs de migration
représentent la somme des mouvements migratoires au fil du temps et donnent un instantané de la façon dont
les schémas migratoires aboutissent à la formation d’importantes populations nées à l’étranger dans certains pays
de destination.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 23
Comme on le voit à la figure 1, le couloir reliant le Mexique aux États-Unis, emprunté par près de 11 millions
de personnes, est le plus fréquenté au monde. En deuxième position arrive le couloir reliant la République arabe
syrienne à la Türkiye, qui est principalement emprunté par des réfugiés déplacés par la guerre civile qui sévit en
République arabe syrienne. Le couloir entre la Fédération de Russie et l’Ukraine occupe la troisième et la cinquième
place du classement des plus grands couloirs dans le monde, ce qui s’explique par différentes raisons au fil du temps
(telles que les déplacements au départ de l’Ukraine après les invasions du pays par la Fédération de Russie en 2014
et en 2022). La question des réfugiés est analysée plus loin dans le présent chapitre.
Figure 1. Principaux couloirs de migration internationale entre deux pays, 2024
0 4 8 12
Mexique – États-Unis d’Amérique
République arabe syrienne – Türkiye
Inde – Émirats arabes unis
Fédération de Russie – Ukraine
Ukraine – Fédération de Russie
Inde – États-Unis d’Amérique
Afghanistan – Iran (République islamique d’)
Kazakhstan – Fédération de Russie
Inde – Arabie saoudite
Bangladesh – Inde
Fédération de Russie – Kazakhstan
Chine – États-Unis d’Amérique
Pologne – Allemagne
Philippines – États-Unis d’Amérique
Myanmar – Thaïlande
Türkiye – Allemagne
Venezuela (République bolivarienne du) – Colombie
Indonésie – Arabie saoudite
Algérie – France
Afghanistan – Pakistan
Ukraine – Pologne
Migrants (millions)
Source : DESA, 2021a ; HCR, 2023a.
Notes : Les couloirs indiquent le nombre de migrants internationaux (en millions) nés dans le premier pays mentionné
et résidant dans le second. Les couloirs représentent la somme des mouvements migratoires au fil du temps
et donnent un instantané de la façon dont les schémas migratoires aboutissent à la formation d’importantes
populations nées à l’étranger dans certains pays de destination.
Les couloirs principalement empruntés par des personnes déplacées sont de couleur orange. Des révisions
ont été apportées à la lumière des déplacements massifs au départ de l’Ukraine vers les pays voisins (à la
fin d’octobre 2023).
24 La migration et les migrants dans le monde
Pourquoi existe-t-il différentes définitions du terme «migrant international » ?
Comme exposé dans l’encadré ci-dessus, le terme «migrant international » fait l’objet de diverses
définitions qui peuvent procéder de contextes juridiques, politiques, démographiques ou autre. Tandis que
la Commission de statistique des Nations Unies prescrit une définition précise axée sur la naissance à
l’étranger, certains analystes proposent d’autres définitions à des fins d’analyse. La définition retenue pour
le Rapport sur le développement dans le monde 2023, par exemple, est bien plus restrictive que celle de la
Commission de statistique des Nations Unies puis qu’elle exclut des données du DESA sur la population de
migrants internationaux les migrants devenus ressortissants du pays dans lequel ils ont émigré. Au lieu de
281 millions de migrants internationaux, la démarche adoptée dans ledit rapport conduit ainsi à analyser un
sous-ensemble de 184 millions de migrants. Cette approche plus étroite traduit une conception différente
des migrants, qui englobe toutes les catégories administratives (y compris les réfugiés) mais est limitée par
la politique en matière de citoyenneté, alors même que l’acceptation de la double nationalité par les États
a considérablement progressé ces dernières années. Cela soulève plusieurs questions, par exemple :
- Quelles sont les conséquences pour les migrants et les sociétés de l’impossibilité d’accéder à la
citoyenneté, même après des années ou des décennies de résidence, par rapport à ceux bénéficiant
d’approches politiques qui permettent d’acquérir la citoyenneté ? - Cette définition vise-t-elle à nier les importantes contributions des migrants qui sont devenus citoyens
d’autres pays (y compris les personnes possédant une double nationalité), telles que la croissance
spectaculaire des rapatriements de fonds effectués par ces migrants, qui nourrit toujours plus le
développement humain dans le monde ? - Les obstacles conceptuels à la participation civique sont-ils validés et renforcés par une définition
étroite axée sur la citoyenneté, alors même que les résidents non ressortissants ont de plus en plus la
possibilité de participer à la vie civique dans les systèmes démocratiques, en particulier dans le cadre
d’élections municipales (mais également de certaines élections nationales)?
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 25
Actuellement, il y a plus d’hommes que de femmes parmi les migrants internationaux à l’échelle mondiale, et cet
écart s’est creusé au cours des 20 dernières années. En 2000, la répartition hommes/femmes était de 50,6 % contre
49,4 %, soit 88 millions d’hommes migrants et 86 millions de femmes migrantes. En 2020, cette répartition était
de 51,9 % contre 48,1 %, soit 146 millions d’hommes migrants et 135 millions de femmes migrantes. La part des
femmes migrantes a diminué depuis 2000, tandis que la part des hommes migrants a augmenté de 1,3 point de
pourcentage. Voir la figure 2 pour d’autres ventilations par sexe.
Figure 2. Migrants internationaux, par sexe
0
20
40
60
80
100
120
140
160
2000 2005 2010 2015 2020
Millions
Hommes Femmes
49,4 % 50,6 %
51,0 % 49,0 %
51,6 %
48,4 %
51,7 %
48,3 %
51,9 %
48,1 %
Source : DESA, 2021a.
Un examen des migrants internationaux ventilés par sexe dans les 20 principaux pays de destination et d’origine
(figure 3) fait apparaître des tendances claires. On dénombre plus de migrants internationaux femmes qu’hommes
dans les pays de destination d’Europe et d’Amérique du Nord comme aux États-Unis d’Amérique, au Canada, en
France, en Espagne et en Italie, mais aussi en Inde. En revanche, dans la plupart des pays d’Asie qui figurent dans
le classement des 20 principaux pays – en particulier, parmi les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG),
l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït –, les migrants internationaux hommes sont bien plus
nombreux que les femmes, ce qui est lié à la structure des économies (par exemple, la prédominance des secteurs
du bâtiment et de la sécurité) ainsi qu’à des facteurs sociaux et relatifs à la sécurité humaine7
.
7 Shah et al., 2018 ; Ullah et al., 2020.
26 La migration et les migrants dans le monde
Figure 3. Migrants internationaux, par sexe, 20 principaux pays de destination (à gauche)
et d’origine (à droite) (millions)*
Koweït
Pakistan
Jordanie
Malaisie
Thaïlande
Kazakhstan
Inde
Ukraine
Türkiye
Italie
Espagne
Australie
Canada
France
Émirats arabes unis
Royaume-Uni
Fédération de Russie
Arabie saoudite
Allemagne
États-Unis d’Amérique
0 10 20
Immigrants (millions)
Égypte
Myanmar
Allemagne
Roumanie
Territoire palestinien occupé
Kazakhstan
Indonésie
Royaume-Uni
Pologne
Venezuela (République bolivarienne du)
Afghanistan
Philippines
Ukraine
Pakistan
Bangladesh
République arabe syrienne
Chine
Fédération de Russie
Mexique
Inde
0 3 6 9 12
Émigrants (millions)
Sexe
Femmes
Hommes
Koweït
Pakistan
Jordanie
Malaisie
Thaïlande
Kazakhstan
Inde
Ukraine
Türkiye
Italie
Espagne
Australie
Canada
France
Émirats arabes unis
Royaume-Uni
Fédération de Russie
Arabie saoudite
Allemagne
États-Unis d’Amérique
0 10 20
Immigrants (millions)
Égypte
Myanmar
Allemagne
Roumanie
Territoire palestinien occupé
Kazakhstan
Indonésie
Royaume-Uni
Pologne
Venezuela (République bolivarienne du)
Afghanistan
Philippines
Ukraine
Pakistan
Bangladesh
République arabe syrienne
Chine
Fédération de Russie
Mexique
Inde
0 3 6 9 12
Émigrants (millions)
Sexe
Femmes
Hommes
Source : DESA, 2021a.
Note : *
Territoires inclus.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 27
En termes de proportion, la répartition des femmes et des hommes dans la population de migrants internationaux
est plus ou moins égale dans la plupart des 20 principaux pays de destination (figure 4), à l’exception de plusieurs
pays du CCG et de la Malaisie, dans lesquels la proportion d’hommes est bien plus élevée, ainsi qu’en Ukraine, où
les immigrantes sont sensiblement plus nombreuses. Ce schéma se retrouve largement dans les 20 principaux pays
d’origine, avec des écarts légers seulement entre les femmes et les hommes, à l’exception de quelques pays d’origine
tels que l’Inde, la République arabe syrienne, le Bangladesh, le Pakistan, le Myanmar et l’Égypte : la proportion
d’hommes dans la population totale des émigrants en provenance de ces pays est importante, et bien supérieure
à celle des femmes.
Figure 4. Migrants internationaux, par sexe, 20 principaux pays de destination (à gauche)
et d’origine (à droite) – proportion*
Koweït
Pakistan
Jordanie
Malaisie
Thaïlande
Kazakhstan
Inde
Ukraine
Türkiye
Italie
Espagne
Australie
Canada
France
Émirats arabes unis
Royaume-Uni
Fédération de Russie
Arabie saoudite
Allemagne
États-Unis d’Amérique
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
Égypte
Myanmar
Allemagne
Roumanie
Territoire palestinien occupé
Kazakhstan
Indonésie
Royaume-Uni
Pologne
Venezuela (République bolivarienne du)
Afghanistan
Philippines
Ukraine
Pakistan
Bangladesh
République arabe syrienne
Chine
Fédération de Russie
Mexique
Inde
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Sexe
Femmes
Hommes
Koweït
Pakistan
Jordanie
Malaisie
Thaïlande
Kazakhstan
Inde
Ukraine
Türkiye
Italie
Espagne
Australie
Canada
France
Émirats arabes unis
Royaume-Uni
Fédération de Russie
Arabie saoudite
Allemagne
États-Unis d’Amérique
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
Égypte
Myanmar
Allemagne
Roumanie
Territoire palestinien occupé
Kazakhstan
Indonésie
Royaume-Uni
Pologne
Venezuela (République bolivarienne du)
Afghanistan
Philippines
Ukraine
Pakistan
Bangladesh
République arabe syrienne
Chine
Fédération de Russie
Mexique
Inde
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Sexe
Femmes
Hommes
Source : DESA, 2021a.
Notes : Le terme «proportion » désigne la part de migrants femmes ou hommes dans la population totale d’immigrants dans les pays
de destination (à gauche) ou dans la population totale d’émigrants en provenance des pays d’origine (à droite).
*
Territoires inclus.
28 La migration et les migrants dans le monde
Bien que l’ensemble de données sur les travailleurs migrants internationaux géré par l’OIT n’ait pas été actualisé
depuis plusieurs années, il fournit des informations complémentaires sur l’écart croissant entre les genres dans
la population de migrants internationaux8
. Comme exposé à la figure 5, 102,4 millions de travailleurs migrants
internationaux, soit près de 61 % de leur population totale, résidaient dans trois sous régions : l’Amérique du Nord;
les États arabes; et l’Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest9
. Deux régions affichent un déséquilibre marquant dans
la répartition des genres parmi les travailleurs migrants : l’Asie du Sud (5,7 millions d’hommes contre 1,4 million de
femmes) et les États arabes (19,9 millions d’hommes contre 4,2 millions de femmes). La région des États arabes est
l’une des principales destinations des travailleurs migrants internationaux, où ils représentent 41,4 % de l’ensemble
de la population active et peuvent être prépondérants dans des secteurs clés.
Figure 5. Répartition géographique des travailleurs migrants par sexe (millions)
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
États arabes
Asie centrale et Asie de l’Ouest
Asie de l’Est
Europe de l’Est
Amérique latine et Caraïbes
Afrique du Nord
Amérique du Nord
Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest
Asie du Sud-Est et Paci que
Asie du Sud
Afrique subsaharienne
Millions
Hommes Femmes
Source : OIT, 2021.
Note : Cette figure reprend les régions et sous-régions de l’OIT et n’implique ni reconnaissance ni acceptation
officielle de la part de l’OIM. Voir l’appendice A du document de l’OIT, 2021 pour plus d’informations
sur les ventilations régionales. La suite de ce chapitre renvoie aux régions géographiques du DESA.
Migrations internationales et tendances démographiques à long terme
Dans certaines parties du monde, les migrations internationales sont devenues un facteur majeur de
l’évolution démographique. Dans les pays à revenu élevé, entre 2000 et 2020, la contribution des migrations
internationales à la croissance démographique (80,5 millions d’entrées nettes) a dépassé le solde des
naissances et des décès (66,2 millions). Dans les décennies à venir, la migration deviendra le seul moteur de
croissance démographique dans les pays à revenu élevé. En revanche, dans un avenir proche, la croissance
démographique dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur continuera d’être alimentée
par un excédent de naissance par rapport aux décès.
8 La révision en cours (au moment de la rédaction) repose sur des données de 2019 publiées par l’OIT en 2021 (voir OIT, 2021).
9 La catégorie «États arabes » de l’OIT comprend les pays et territoires suivants : Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Iraq,
Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, République arabe syrienne, Yémen et Territoire palestinien occupé (ibid.).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 29
Entre 2010 et 2021, 40 pays ou régions ont respectivement enregistré un flux entrant net supérieur à
200 000 migrants, et supérieur à 1 million de personnes pour 17 d’entre eux. Dans plusieurs des principaux
pays d’accueil, dont la Jordanie, le Liban et la Türkiye, les niveaux élevés d’immigration observés pendant
cette période sont principalement dus aux mouvements de réfugiés, en particulier en provenance de la
République arabe syrienne.
Dans 10 pays, le flux sortant estimé de migrants était supérieur à 1 million de personnes entre 2010
et 2021. Dans nombre de ces pays, les sorties s’inscrivaient dans le cadre de mouvements de main
d’œuvre temporaires, comme au Pakistan (flux net de −16,5 millions), en Inde (−3,5 millions), au Bangladesh
(−2,9 millions), au Népal (−1,6 million) et à Sri Lanka (−1,0 million). Dans d’autres pays, tels que la
République arabe syrienne (−4,6 millions), la République bolivarienne du Venezuela (−4,8 millions) et le
Myanmar (−1,0 million), ce sont l’insécurité et les conflits qui ont alimenté les flux sortants de migrants
pendant cette période.
Source : Extrait abrégé du document des Nations Unies World Population Prospects 2022 (DESA, 2022a).
Flux migratoires internationaux
Alors qu’on dispose de nombreuses données sur les populations de migrants, celles concernant les mouvements
migratoires (flux) à l’échelle mondiale sont beaucoup plus limitées. Les estimations du DESA sur les populations
de migrants dans le monde sont très fournies et couvrent l’ensemble du globe, alors que la base de données sur
les flux migratoires ne porte que sur 45 pays10. Il est extrêmement difficile d’obtenir des données sur les flux
migratoires pour plusieurs raisons. Premièrement, si l’on admet généralement que les flux migratoires internationaux
recouvrent les entrées et les sorties dans et depuis des pays, une attention plus grande est portée à l’enregistrement
des entrées. Par exemple, si l’Australie ou les États-Unis comptabilisent les mouvements transfrontaliers, de
nombreux autres pays ne tiennent compte que des entrées, et non des départs11. En outre, les données sur
les flux migratoires dans certains pays proviennent d’actes administratifs se rapportant au statut d’immigration
(délivrance/renouvellement/retrait d’un permis de séjour, par exemple), qui sont ensuite utilisés pour obtenir une
approximation des flux migratoires. Par ailleurs, il est souvent difficile d’établir une distinction entre les mouvements
migratoires et les voyages à d’autres fins que la migration, tels que les voyages touristiques ou les déplacements
professionnels12. Le suivi des mouvements migratoires nécessite également des ressources considérables, des
infrastructures et des systèmes informatiques/de connaissance, ce qui pose des difficultés particulières pour les
pays en développement, où les capacités de collecte, de gestion, d’analyse et de communication des données sur la
mobilité, la migration et d’autres domaines sont souvent limitées. Enfin, la géographie physique de nombreux pays
complique considérablement la collecte de données sur les flux migratoires. Par exemple, la gestion des entrées et
des frontières est particulièrement difficile dans certaines régions isolées ou aux frontières archipélagiques, où elle
est encore compliquée par des traditions de migration informelle à des fins de travail13.
10 DESA, 2015.
11 Koser, 2010 ; McAuliffe et Koser, 2017.
12 Skeldon, 2018.
13 Gallagher et McAuliffe, 2016.
30 La migration et les migrants dans le monde
Amalgame entre «migration » et «migrant »
Au sens général du terme, la migration s’entend de tout déplacement d’un endroit à un autre. Migrer signifie
se déplacer, que ce soit d’une zone rurale vers une ville, d’un district ou d’une province d’un pays donné
vers un autre district ou une autre province du même pays, ou d’un pays à un autre. Migrer implique une
action.
En revanche, un migrant est une personne désignée comme telle pour une ou plusieurs raisons, selon
le contexte (voir supra, l’encadré intitulé «Définir la migration, les migrants et d’autres termes clés »). Si,
dans de nombreux cas, les «migrants » entreprennent effectivement, sous une forme ou une autre, une
migration, il n’en est pas toujours ainsi.
Il arrive que des personnes n’ayant jamais migré soient qualifiées de migrants – les enfants de personnes
nées à l’étranger, par exemple, sont couramment appelés migrants de la deuxième ou de la troisième
générationa
. Ce phénomène peut même s’étendre à des situations d’apatridie, où des groupes entiers de
personnes ne peuvent accéder à la citoyenneté bien qu’elles soient nées et aient grandi dans un pays. Ces
personnes peuvent même être qualifiées de migrants irréguliers par les autoritésb
.
a Voir, par exemple, Neto, 1995 ; Fertig et Schmidt, 2001.
b Kyaw, 2017.
Il existe actuellement deux grands ensembles de données sur les flux migratoires internationaux, tous deux établis
à partir de statistiques nationales : celui du DESA, intitulé « International Migration Flows », et la Base de données
sur les migrations internationales de l’OCDE. Depuis 2005, le DESA rassemble des données sur les flux de migrants
internationaux à destination et en provenance d’un certain nombre de pays, sur la base de statistiques disponibles
à l’échelle nationale. Au moment de la rédaction du présent Rapport (octobre 2023), la version la plus récente de
l’ensemble de données sur les flux du DESA datait de 2015. Celle-ci comprend des données provenant de 45 pays,
contre 29 pays en 2008 et 15 en 200514.
L’OCDE recueille des données sur les flux migratoires internationaux depuis 2000, ce qui permet d’analyser les
tendances dans un sous-ensemble de grands pays de destination, comme le montre la figure 6 (bien que les données
ne soient pas normalisées, ainsi qu’il est indiqué dans la note sous la figure). D’après les données disponibles les plus
récentes, les entrées permanentes ont chuté en 2020 par rapport à l’année précédente, à la suite des fermetures
de frontières et des restrictions de mouvement liées à la pandémie de COVID-19. En 2019, plus de 8 millions
d’entrées avaient été enregistrées. Ce chiffre a chuté à quelque 5 millions en 2020, mais est depuis reparti à la
hausse pour s’établir à 5,9 millions en 2021 (travailleurs migrants et migrants pour raisons humanitaires inclus).
Selon des estimations récentes de l’OCDE, en 2022, le nombre d’entrées a encore augmenté par rapport à 2021,
principalement dans le contexte de déplacements humanitaires15.
14 Pour des données du DESA sur les flux migratoires ainsi que des informations sur les différents pays considérés, voir DESA, 2015.
15 Dumont, 2023 ; OCDE, 2023.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 31
Figure 6. Entrées de ressortissants étrangers dans les pays de l’OCDE, migration permanente,
2001-2021 (millions)
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Millions
Source : OCDE, s.d.a.
Note : Les données ne sont pas normalisées et diffèrent donc des statistiques sur les entrées permanentes dans un certain nombre de
pays qui sont reproduites dans les Perspectives des migrations internationales de l’OCDE. Les 35 pays généralement inclus dans
les statistiques de l’OCDE sont les suivants : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, Danemark, Espagne, Estonie,
États-Unis d’Amérique, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Lettonie, Luxembourg, Mexique,
Norvège, Nouvelle-Zélande, Pologne, Portugal, République de Corée, Royaume des Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie,
Suède, Suisse, Tchéquie et Türkiye. Pour certaines années, les données concernant certains pays n’ont pas été communiquées :
des données étaient disponibles pour 31 pays en 2000. Il convient de noter que les données concernant la Grèce n’ont pas
été transmises entre 2000 et 2004, et que celles concernant la Türkiye n’ont été communiquées que pour 2010, 2016, 2017 et
- Pour des notes explicatives, veuillez consulter les Perspectives des migrations internationales de l’OCDE.
Collaboration avec le secteur privé aux fins de nouvelles données permettant d’améliorer la
compréhension des flux
Cela fait plusieurs années que le secteur privé offre de nouvelles sources de données utiles dans un
certain nombre de domaines des statistiques relatives à la migration. Par exemple, le programme Data
for Good at Meta, qui établit des ensembles de données respectueux de la vie privée pour faire avancer
les questions sociales, modélise les déplacements dus à des phénomènes météorologiques à la faveur d’un
partenariat avec l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) depuis 2018. Ces outils ont
été utilisés par l’IDMC et d’autres acteurs pour trianguler les sources officielles sur les déplacements après
des phénomènes majeurs tels que le typhon Hagibis, qui est le typhon le plus puissant à avoir touché les
îles principales du Japon en plusieurs décennies.
Plus récemment, des chercheurs de l’Université Harvard, du Centre commun de recherche de la
Commission européenne et de Meta ont publié dans la série Migration Research de l’OIM un article sur
de nouvelles données agrégées provenant de médias sociaux qui permettent d’anticiper les flux migratoires
dus à des conflits dans le contexte de la guerre en Ukraine. Ils ont constaté que l’indice de connectivité
sociale de Facebook, accessible au public, est un bon indicateur des populations des diasporas dans les
27 États membres de l’Union européenne, ce qui constitue en soi un outil de prévision des itinéraires de
déplacement des personnes déracinées par un conflit.
32 La migration et les migrants dans le monde
Indice de connectivité sociale de Facebook (Ukraine vers UE-27, NUTS-3)
Source : Minora et al., 2023.
Meta et ses collaborateurs ont entrepris des recherches supplémentaires sur la prévision des flux migratoires
internationaux à partir d’éléments présentés lors du troisième Forum international sur les statistiques
migratoires. L’OIM et d’autres collaborateurs ont contribué à orienter l’élaboration d’un ensemble de
données mondial, prévu pour 2024, qui permettra d’estimer les flux migratoires internationaux et d’analyser
les tendances entre des couples de pays pendant les années de la pandémie de COVID-19. Ce nouvel
ensemble de données international contribuera de manière déterminante à la compréhension des flux
migratoires internationaux, en particulier dans les pays en développement où l’on dispose rarement
de données sur les flux. Les partenariats comme ceux noués avec Meta ont le potentiel d’améliorer
sensiblement le calcul des statistiques sur la migration dans les années à venir.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 33
Flux migratoires risqués
Certaines routes migratoires posent bien plus de problèmes que d’autres, tant pour les migrants que pour les
autorités. Les voyages des migrants peuvent parfois se solder par une issue dangereuse, voire mortelle, qui est
souvent liée à divers facteurs sociaux, politiques, économiques, environnementaux et stratégiques pouvant avoir un
impact profond sur la façon dont le voyage de migration est entrepris16. Au lendemain des événements tragiques
survenus en octobre 2013, au cours desquels plus de 360 personnes ont trouvé la mort lors du naufrage de deux
bateaux à proximité de Lampedusa (Italie), l’OIM a commencé à recueillir et à rassembler des informations sur
les migrants qui périssent ou sont portés disparus le long des routes de migration du monde entier dans le cadre
de son projet sur les migrants portés disparus17. Les données proviennent de documents officiels des garde-côtes
et des médecins, de reportages publiés par les médias, de rapports d’organisations non gouvernementales et
d’organismes des Nations Unies, et d’entretiens avec des migrants18.
Le nombre de décès enregistrés en 2023 (plus de 8 500) est le plus élevé depuis 2016, et s’inscrit dans le cadre
d’une hausse marquée observée par rapport aux trois années précédentes, en particulier par rapport à 2020, année
lors de laquelle, en raison de la pandémie de COVID-19 et des restrictions à la mobilité connexes, le nombre
total de décès avait diminué (figure 7). Entre 2014 et la fin de 2023, plus de 63 000 décès et disparitions ont
été enregistrés le long des routes migratoires dans le cadre du projet de l’OIM sur les migrants portés disparus.
En glissement annuel, le nombre de décès a augmenté en Méditerranée, en Afrique et en Asie en 2023, avec un
nombre inédit de vies perdues dans ces deux dernières régions19.
Figure 7. Décès de migrants par région, 2014-2023
0
1 000
2 000
3 000
4 000
5 000
6 000
7 000
8 000
9 000
2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023
Afrique Amériques Asie Europe Méditerranée
Note : Les données comprennent les décès enregistrés et les personnes portées disparues. Pour plus
d’informations sur la méthodologie et les régions géographiques, voir la page Web du projet sur les
migrants portés disparus.
16 McAuliffe et al., 2017.
17 Voir https://missingmigrants.iom.int/fr.
18 OIM, 2020a.
19 OIM, s.d., 2023a et 2024.
34 La migration et les migrants dans le monde
Les difficultés rencontrées pour recueillir les données dans le cadre du projet sur les migrants portés disparus sont
de taille. Par exemple, la plupart des décès enregistrés concernent des personnes qui pour éviter d’être repérées
empruntent des itinéraires clandestins, souvent par la mer ou dans des zones reculées, ce qui signifie que les corps
sont rarement retrouvés. Peu de sources officielles recueillent et publient des données sur les décès de migrants.
Il peut être hasardeux de se fier aux témoignages d’autres migrants et aux médias en raison de leurs inexactitudes
et de leurs lacunes. Néanmoins, le projet met en lumière un sujet jusque-là négligé et peu étudié, soulignant ainsi
la nécessité de s’attaquer à cette question tragique toujours d’actualité, notamment dans le cadre de la mise en
œuvre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
Répercussions de la COVID-19 sur la mobilité
La COVID-19 représente la pandémie la plus grave depuis un siècle. La forte contagiosité du virus, couplée à
l’apparition de variants et à la gravité de la maladie, a forcé les décideurs à s’aventurer sur des terrains jusque-là
inexplorés. Si le gros des efforts a porté sur la riposte à la crise sanitaire mondiale (dépistage, traitement, conception
de vaccins et programmes de vaccination, par exemple), certains d’entre eux se sont traduits par des changements
radicaux dans la liberté de circulation des personnes dans le monde entier, ce qui a eu de lourdes répercussions
sur la mobilité humaine à l’échelle mondiale. L’immobilité engendrée par la COVID-19 est devenue un puissant
facteur de perturbation des migrations20.
Les gouvernements du monde entier ont mis en œuvre diverses mesures pour limiter la propagation du virus, parmi
lesquelles un éventail de restrictions, mises en place dès le début de 2020, qui ont évolué au fil du temps. Afin
de tracer les réponses politiques adoptées dans le monde, de nouveaux ensembles de données ont été créés, tels
que le COVID-19 Government Response Tracker de l’Université d’Oxford21. Cet outil a enregistré toutes sortes
de mesures prises par les gouvernements du monde entier, telles que des mesures de confinement, la fermeture
des lieux de travail, la fermeture des écoles, la limitation des rassemblements, la restriction de la circulation sur le
territoire national et les mesures de restriction des voyages internationaux. L’OIM a commencé à répertorier les
restrictions de voyage dans le monde dès le début de la pandémie en s’appuyant sur divers ensembles de données,
dont les résultats sont publiés sur son tableau de bord sur les incidences de la COVID-19 sur la mobilité22.
Dans l’ensemble, l’immense majorité des pays du monde entier ont rapidement mis en place des mesures de
restriction de voyage – internes et internationales – pour cause de COVID-19, surtout entre la fin de mars et le
début d’avril 2020 (voir la figure 8). Si les restrictions à la mobilité internationale étaient plus susceptibles d’être
mises en place au début de la pandémie, on constate néanmoins que les mesures de lutte contre la maladie
étaient plus variées au cours des premières semaines (y compris le dépistage précoce), probablement parce que
les gouvernements avaient besoin d’évaluer la gravité de la crise dans une période d’incertitude inédite. Une fois
que les pays ont pris conscience de la gravité de la COVID-19, on a assisté à une forte hausse des restrictions de
voyage internes et internationales.
20 McAuliffe, 2020.
21 Hale et al., 2023.
22 Voir https://migration.iom.int/fr.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 35
Figure 8. Mesures gouvernementales prises pour réduire la transmission de la COVID-19,
par nombre de pays
0
50
100
150
Janv. 2020
Avr. 2020
Juill. 2020
Oct. 2020
Janv. 2021
Avr. 2021
Juill. 2021
Oct. 2021
Janv. 2022
Avr. 2022
Juill. 2022
Oct. 2022
Janv. 2023
Pays
Contrôles des voyages internationaux
Restrictions aux mouvements internes
Confinements
Restrictions aux rassemblements
Fermeture des lieux de travail
Fermeture des écoles
Source : Hale et al., 2023.
Notes : Au 1er janvier 2023. L’expression « contrôles des voyages internationaux » est utilisée par Oxford et
recouvre le filtrage des arrivées, la mise en quarantaine des arrivants, l’interdiction des arrivées ou la
fermeture complète des frontières. Il est important également de noter que les catégories sont uniquement
liées à la COVID-19 et ne reflètent pas les autres restrictions de voyage qui ont pu être mises en place,
telles que celles liées aux visas, les interdictions d’entrée ciblant certains ressortissants et les restrictions
au départ/à la sortie.
36 La migration et les migrants dans le monde
Les effets des restrictions aux voyages liées à la COVID-19 apparaissent très clairement lorsqu’on examine les
données relatives au transport aérien de passagers. On constate en effet que ces restrictions ont eu un impact
majeur sur les voyages internationaux et nationaux en 2020. Le nombre total de passagers transportés a chuté de
60 %, passant d’environ 4,5 milliards en 2019 à 1,8 milliard en 2020 (figure 9). Il est reparti à la hausse en 2021
lorsque les pays ont assoupli les restrictions à la mobilité, et s’élevait à plus de 3,5 milliards à la fin de 2022.
Figure 9. Passagers transportés par avion dans le monde, 1945-2022
1945
1946
1947
1948
1949
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Nombre total de passagers Passagers nationaux Passagers internationaux
Nombre de passagers transportés
(millions) 5 000
4 500
4 000
3 500
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
Source : OACI, 2023.
Des données, travaux et analyses supplémentaires sont présentés dans le chapitre thématique 9 du présent Rapport,
qui fait le point sur les effets de la pandémie de COVID-19 sur la migration et la mobilité à l’échelle mondiale.
Rapatriements de fonds internationaux
Les rapatriements de fonds sont des transferts financiers ou en nature effectués directement par les migrants à
l’intention de leur famille ou de leur communauté dans leur pays d’origine. La Banque mondiale rassemble des
données mondiales sur les rapatriements de fonds internationaux, malgré les innombrables lacunes en matière de
données, les différences de définition et les difficultés méthodologiques rencontrées pour rassembler des statistiques
exactes23.
23 Sauf indication contraire, les informations de la présente sous-section sont tirées et adaptées des données de la Banque mondiale
concernant la migration et les rapatriements de fonds (Banque mondiale, s.d.a). Les principales sources d’information utilisées sont les
suivantes : les ensembles de données annuels de la Banque mondiale concernant les rapatriements de fonds (ibid.), le document Migration
and Development Brief 38 (Ratha et al., 2023) et le communiqué de presse du 13 juin (Banque mondiale, 2023b). Pour des notes
explicatives et une analyse plus approfondie, et les avertissements, limites et méthodes associés aux chiffres et tendances présentés ici,
prière de se reporter à ces sources ainsi qu’au Recueil de statistiques sur les migrations et les envois de fonds de la Banque mondiale,
notamment à la dernière édition datant de 2016.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 37
Cependant, ces données ne tiennent pas compte des flux non enregistrés qui passent par des voies formelles ou
informelles, si bien que l’ampleur réelle des fonds rapatriés à l’échelle mondiale est probablement supérieure aux
estimations disponibles24. La pandémie a mis en évidence ce problème : en effet, les flux de rapatriements de fonds
internationaux ont enregistré des résultats très positifs en 2020, démentant les prévisions catastrophiques initiales;
ces résultats s’expliquent en partie par un recours accru aux voies formelles à cause des restrictions à la mobilité
liées à la COVID-19, entre autres raisons25. En dépit de ces problèmes, les données disponibles font apparaître
depuis quelques années une tendance à la hausse sur le long terme, les rapatriements de fonds internationaux étant
passés de 128 milliards de dollars É.-U. en 2000 à 831 milliards de dollars É.-U. en 202226.
Les rapatriements de fonds internationaux ont repris après la baisse enregistrée en 2020 due à la pandémie de
COVID-19. À l’échelle mondiale, les migrants ont rapatrié des fonds estimés à 831 milliards de dollars É.-U. en
2022, un chiffre en progression par rapport aux 791 milliards de dollars É.-U. enregistrés en 2021, et nettement
supérieur aux 717 milliards de dollars É.-U. enregistrés en 202027. Comme les années précédentes, les pays à
revenu faible et intermédiaire ont continué de recevoir des flux considérables de rapatriements de fonds, qui ont
augmenté de 8 % entre 2021 et 2022, passant de 599 milliards de dollars É.-U. à 647 milliards de dollars É.-U..
Depuis le milieu des années 1990, les rapatriements de fonds internationaux sont de loin supérieurs à l’aide publique
au développement, définie comme étant l’aide des pouvoirs publics destinée à promouvoir le développement
économique et le bien-être des pays en développement. Depuis peu, ils dépassent également les investissements
étrangers directs (voir la figure 10 ci-après)28.
Figure 10. Flux de rapatriements de fonds internationaux à destination des
pays à revenu faible et intermédiaire (2000-2022)
0
100
200
300
400
500
600
700
800
900
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Milliards de dollars É.-U.
Investissement étranger direct (IED) Aide publique au développement (APD) Rapatriements de fonds
Sources : Banque mondiale, s.d.b (rapatriements de fonds); Banque mondiale, s.d.c (données relatives à l’IED et à l’APD tirées
des indicateurs du développement dans le monde) (pages consultées le 17 juin 2023).
Note : Tous les montants sont exprimés en milliards de dollars É.-U. courants (valeur nominale).
24 Banque mondiale, 2016.
25 Fonds monétaire international (FMI), 2020 ; OIM, 2020b, 2020c, 2020d et 2021.
26 Il convient de noter qu’après les attentats du 11 septembre 2001, des canaux informels, tels que les systèmes hawala, ont dû être
abandonnés pour certains rapatriements de fonds, au profit de canaux formels. Voir El Qorchi et al., 2003.
27 Ratha et al., 2023.
28 Voir par exemple OCDE (s.d.b), qui contient également des données sur l’aide publique au développement. De plus en plus de travaux
étudient les incidences de cette tendance sur le développement et d’un point de vue économique et social.
38 La migration et les migrants dans le monde
En 2022, l’Inde, le Mexique, la Chine, les Philippines et la France ont été (dans l’ordre décroissant) les cinq premiers
pays bénéficiaires de rapatriements de fonds, l’Inde arrivant toutefois loin en tête avec plus de 111 milliards de
dollars É.-U. reçus, ce qui en fait le premier pays à atteindre et dépasser la barre des 100 milliards de dollars É.-U..
Le Mexique se classait deuxième pays bénéficiaire de rapatriements de fonds en 2022, une place qu’il occupait déjà
en 2021 après avoir devancé la Chine, qui se classait traditionnellement deuxième derrière l’Inde. En 2022, deux
pays du G7, la France et l’Allemagne, comptaient toujours parmi les 10 principaux pays bénéficiaires dans le monde,
un classement qu’elles occupent depuis plus d’une décennie (voir le tableau 2). Il convient toutefois de noter que la
majorité des flux entrants ne sont pas des transferts aux ménages, mais les salaires des travailleurs frontaliers qui
travaillent en Suisse, tout en résidant en France ou en Allemagne29.
Les pays à revenu élevé sont presque toujours la principale source de rapatriements de fonds internationaux. Depuis
des décennies, les États-Unis d’Amérique sont invariablement le premier pays d’origine des rapatriements de fonds
dans le monde (79,15 milliards de dollars É.-U. en 2022), devant l’Arabie saoudite (39,35 milliards de dollars É. U.),
la Suisse (31,91 milliards de dollars É.-U.) et l’Allemagne (25,60 milliards de dollars É.-U.). Si les Émirats arabes
unis comptent habituellement parmi les 10 principaux pays d’origine des rapatriements de fonds dans le monde,
leurs données ne figurent pas dans les données publiées par la Banque mondiale en juin 2022. Parallèlement à son
statut de pays bénéficiaire majeur, la Chine (classée par la Banque mondiale parmi les pays à revenu intermédiaire
de la tranche supérieure) a aussi été une source importante de rapatriements de fonds internationaux, avec
18,26 milliards de dollars É.-U. en 2022, malgré la baisse accusée par rapport aux 23 milliards de dollars É.-U.
enregistrés en 2021.
Tableau 2. Dix principaux pays de destination/d’origine des rapatriements de fonds
internationaux (2010-2022) (milliards de dollars É.-U. courants)
Principaux pays de destination des rapatriements de fonds
2010 2015 2020 2022
Inde 53,48 Inde 68,91 Inde 83,15 Inde 111,22
Chine 52,46 Chine 63,94 Chine 59,51 Mexique 61,10
Mexique 22,08 Philippines 29,80 Mexique 42,88 Chine 51,00
Philippines 21,56 Mexique 26,23 Philippines 34,88 Philippines 38,05
France 19,90 France 24,07 Égypte 29,60 France 30,04
Nigéria 19,75 Nigéria 20,63 France 28,82 Pakistan 29,87
Allemagne 12,79 Pakistan 19,31 Pakistan 26,09 Égypte 28,33
Égypte 12,45 Égypte 18,33 Bangladesh 21,75 Bangladesh 21,50
Belgique 10,99 Allemagne 15,57 Allemagne 19,32 Nigéria 20,13
Bangladesh 10,85 Bangladesh 15,30 Nigéria 17,21 Allemagne 19,29
29 Eurostat, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 39
Principaux pays d’origine des rapatriements de fonds
2010 2015 2020 2022
États-Unis 50,53 États-Unis 60,72 États-Unis 66,54 États-Unis 79,15
Arabie saoudite 27,07 Émirats arabes
unis 40,70 Émirats arabes
unis 43,35 Arabie saoudite 39,35
Fédération de
Russie 21,45 Arabie saoudite 38,79 Arabie saoudite 34,60 Suisse 31,91
Suisse 18,51 Suisse 26,03 Suisse 29,64 Allemagne 25,60
Allemagne 14,68 Fédération de
Russie 19,69 Allemagne 22,45 Chine 18,26
Italie 12,88 Allemagne 18,25 Chine 18,30 Koweït 17,74
France 12,03 Koweït 15,20 Koweït 17,36 Luxembourg 15,51
Koweït 11,86 France 12,79 Fédération de
Russie 16,87 Pays-Bas
(Royaume des) 15,41
Luxembourg 10,66 Qatar 12,19 France 14,78 France 14,44
Émirats arabes
unis 10,57 Luxembourg 11,23 Pays-Bas
(Royaume des) 14,31 Qatar 12,29
Source : Banque mondiale, s.d.b.
Notes : Tous les montants sont exprimés en milliards de dollars É.-U. courants (valeur nominale). Les Émirats arabes unis ne sont pas
pris en compte pour l’année 2022, car leurs données sur les rapatriements de fonds n’ont pas été actualisées.
Pour ce qui est de la dépendance aux rapatriements de fonds internationaux, il n’existe pas de consensus sur la
façon de définir la «dépendance excessive » à l’égard des fonds rapatriés de l’étranger. On la mesure généralement
en calculant le rapport entre les rapatriements de fonds et le produit intérieur brut (PIB). En 2022, les cinq
principaux pays de destination des rapatriements de fonds en pourcentage du PIB étaient le Tadjikistan (51 %), les
Tonga (44 %), le Liban (36 %), le Samoa (34 %) et le Kirghizistan (31 %) (voir la figure 11). Une forte dépendance
à l’égard des fonds rapatriés peut nourrir une culture de dépendance dans le pays bénéficiaire, ce qui risque non
seulement de réduire la participation au marché du travail, mais aussi de ralentir la croissance économique30. Une
trop grande dépendance à l’égard des rapatriements de fonds rend également l’économie plus vulnérable aux
variations subites du volume des fonds rapatriés ou aux fluctuations des taux de change31.
30 Amuedo-Dorantes, 2014.
31 Ghosh, 2006.
40 La migration et les migrants dans le monde
Figure 11. Dix principaux pays destinataires de rapatriements de fonds internationaux
en pourcentage du PIB, 2022
0 10 20 30 40 50 60
Népal
Jamaïque
El Salvador
Honduras
Gambie
Kirghizistan
Samoa
Liban
Tonga
Tadjikistan
Source : Ratha et al., 2023.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 41
L’objectif de développement durable (ODD) 10.c engage les pays à faire baisser au-dessous de 3 % les coûts
de transaction des envois de fonds effectués par les migrants32. Cet objectif de 3 % vise le coût moyen dans le
monde de l’envoi de 200 dollars É.-U.. Si le coût des rapatriements de fonds a progressivement baissé au cours
des dernières années dans plusieurs régions (voir la figure 12), il reste élevé et bien supérieur au taux défini dans
l’ODD 10. En 2022, les coûts moyens les plus faibles étaient enregistrés en Asie du Sud (4,6 %), devant l’Asie de
l’Est et le Pacifique ainsi que l’Amérique latine et les Caraïbes (les deux régions affichant un taux d’environ 5,8 %).
L’Afrique subsaharienne affiche systématiquement le coût moyen d’envois de fonds le plus élevé, qui s’élevait à plus
de 8 % en 2022, soit plus du double du taux défini dans l’ODD.
Figure 12. Coût moyen de l’envoi de 200 dollars É.-U. par région du monde, 2015-2022 (%)
0 2 4 6 8 10 12
Asie de l’Est et Pacique
Europe et Asie centrale
(hors Fédération de Russie)
Amérique latine et Caraïbes
Moyen-Orient et Afrique du Nord
Asie du Sud
Afrique subsaharienne
2015 2020 2022
Source : Banque mondiale, s.d.a (page consultée le 2 juillet 2023).
Note : Cette figure reprend les régions géographiques de la Banque mondiale. Sont exclues de l’analyse
la Fédération de Russie et les anciennes républiques soviétiques, car celles-ci utilisent les systèmes
de paiement intégrés de l’ex-URSS. Les prestataires de services d’envoi de fonds de ces pays ne
sont pas comparables à ceux des autres pays, qui supportent des frais élevés lorsqu’ils doivent
faire le lien entre les systèmes de paiement nationaux de deux pays.
32 Nations Unies, s.d.
42 La migration et les migrants dans le monde
Étudiants internationaux
Le nombre d’étudiants en mobilité internationale dans le monde a considérablement augmenté au cours des deux
dernières décennies, comme l’indiquent les données recueillies par l’UNESCO33. Alors qu’en 2001, ils étaient à
peine plus de 2,2 millions, une dizaine d’années plus tard, ils étaient plus de 3,8 millions. Leur nombre n’a cessé de
croître dans les années qui ont suivi pour atteindre plus de 6 millions en 2021 – presque trois fois plus que 20 ans
auparavant. En dépit de la pandémie de COVID-19 et des restrictions à la mobilité connexes, le nombre d’étudiants
en mobilité internationale est resté stable (figure 13). Entre 2020 et 2021 – au plus fort de la pandémie –, leur
nombre a contre toute attente légèrement progressé (de 6,38 millions à 6,39 millions).
Figure 13. Étudiants internationaux dans le monde, 2001-2021
0
1
2
3
4
5
6
7
2001
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2003
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2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Millions
Source : Institut de statistique de l’UNESCO, s.d. (page consultée le 15 septembre 2023).
33 Institut de statistique de l’UNESCO, s.d.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 43
La population d’étudiants en mobilité internationale a toujours été genrée, les étudiants masculins étant
systématiquement plus nombreux que les étudiantes. En 2001, on comptait environ 1 million d’étudiantes en
mobilité internationale (soit 45 % de la population) et 1,2 million d’étudiants masculins (54 %). Bien que cet écart
se soit réduit au cours des 20 dernières années, le nombre d’étudiantes en mobilité internationale demeure inférieur
à celui de leurs homologues masculins (figure 14). En 2021, environ 3 millions d’étudiants en mobilité internationale
étaient des femmes (47 %), et quelque 3,4 millions (52 %) étaient des hommes.
Figure 14. Étudiants en mobilité internationale dans le monde par genre, 2001-2021 (millions)
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
3,5
4,0
2001
2002
2003
2004
2005
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2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Millions
Femmes Hommes
Source : Institut de statistique de l’UNESCO, s.d. (page consultée le 15 septembre 2023).
Les pays d’Asie génèrent le plus grand nombre d’étudiants en mobilité internationale dans le monde. En 2021, plus
d’un million d’étudiants en mobilité internationale étaient originaires de Chine, un nombre largement inégalé dans
le monde et près de deux fois supérieur au nombre d’étudiants originaires d’Inde, qui se classe deuxième (environ
508 000 étudiants). Parmi les autres principaux pays d’origine figurent le Viet Nam, l’Allemagne et l’Ouzbékistan
(environ 100 000 étudiants chacun), quoiqu’à un niveau bien inférieur à celui des deux grands pays d’origine. Les
États-Unis sont le premier pays de destination des étudiants en mobilité internationale (plus de 833 000 étudiants),
devant le Royaume-Uni (près de 601 000 étudiants), l’Australie (environ 378 000 étudiants), l’Allemagne (plus de
376 000 étudiants) et le Canada (près de 318 000 étudiants).
44 La migration et les migrants dans le monde
Programme d’évaluation sanitaire de l’OIM
Le Programme d’évaluation sanitaire dans le contexte migratoire de l’OIM mène des activités sanitaires
précédant la migration au profit de bénéficiaires du monde entier. En 2022, plus de 904 000 évaluations
sanitaires ont été effectuées dans le contexte migratoire, 15 % concernant des réfugiés et 85 % des
immigrants. Il s’agit du chiffre annuel le plus élevé depuis la création du programme, le nombre de dossiers
ayant enregistré une forte hausse après la baisse due à la pandémie de COVID-19.
La Division Migration et santé de l’OIM assure et soutient des programmes de santé préventifs et curatifs
complets qui profitent et sont accessibles de manière équitable aux migrants et aux populations mobiles.
En répondant aux besoins des migrants et à ceux des États Membres de l’OIM, la Division, en étroite
collaboration avec ses partenaires, contribue au bien-être physique, mental et social des migrants, ce qui
permet à ces derniers et aux communautés d’accueil de parvenir à un développement économique et
social.
De plus amples informations sur les activités de l’OIM en matière de migration et santé sont disponibles
à l’adresse www.iom.int/fr/migration-et-sante.
Réfugiés et demandeurs d’asile
À la fin de 2022, on comptait 35,3 millions de réfugiés dans le monde, dont 29,4 millions relevaient du mandat
du HCR34, et 5,9 millions étaient enregistrés par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA)35. Le nombre total de réfugiés est le plus élevé jamais établi
dans les rapports statistiques modernes qui ne prennent pas en compte de données historiques36. L’augmentation
du nombre de réfugiés entre 2021 et 2022 représente la plus forte hausse annuelle jamais enregistrée, en grande
partie due aux réfugiés en provenance d’Ukraine qui ont fui l’invasion massive du pays par la Fédération de Russie37.
Environ 5,4 millions de personnes ont sollicité une protection internationale et attendaient la détermination du
statut de réfugié. Ces personnes sont appelées « demandeurs d’asile ». Rien qu’en 2022, près de 2,9 millions de
demandes d’asile ont été enregistrées dans 162 pays, ce qui représente le nombre de demandes d’asile individuelles
le plus élevé jamais enregistré. En 2022, 2,6 millions de nouvelles demandes d’asile individuelles ont été déposées
en première instance dans le monde, soit une hausse de 83 % par rapport à 2021. Les États-Unis sont restés
le premier pays de destination, avec environ 730 400 demandes, soit trois fois plus que l’année précédente.
L’Allemagne arrivait au deuxième rang, avec 217 800 nouvelles demandes, un chiffre nettement plus élevé que
l’année précédente.
34 Les informations de la présente sous-section sont tirées et adaptées de HCR, 2023a. Veuillez vous reporter à ce document pour des
notes explicatives et une analyse approfondie, et pour les avertissements, limites et méthodes associés aux chiffres et tendances indiqués.
Les précédents rapports Tendances mondiales ainsi que la base de données de statistiques démographiques du HCR (HCR, s.d.) sont
d’autres sources d’information clés.
35 Généralement, les personnes relevant du mandat de l’UNRWA vivent dans leur pays de naissance et ne sont donc pas comptabilisées
dans la population estimative de migrants internationaux (contrairement aux personnes nées dans un pays qui ont été déplacées dans un
autre).
36 Parmi les données historiques non prises en compte figurent, par exemple, les données relatives aux déplacements liés à la partition
de 1947 ou à la Seconde Guerre mondiale. Voir par exemple Gatrell (2013) sur les estimations historiques concernant les personnes
déplacées.
37 HCR, 2023a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 45
À la fin de 2022, environ 41 % des 35,3 millions de réfugiés dans le monde avaient moins de 18 ans38. Environ
51 700 demandes d’asile individuelles ont été déposées par des enfants non accompagnés et séparés de leur famille
en 2022, ce qui représente une hausse considérable (89 %) par rapport à l’année précédente.
Les données et tendances actuelles s’expliquent dans une large mesure par l’émergence, la persistance ou la reprise
de conflits dans des pays clés. Parmi la population totale de réfugiés relevant du mandat du HCR à la fin de 2022,
plus de 87 % venaient des 10 principaux pays d’origine − République arabe syrienne, Ukraine, Afghanistan, Soudan
du Sud, Myanmar, République démocratique du Congo, Soudan, Somalie, République centrafricaine et Érythrée. Un
grand nombre de ces pays figurent parmi les principaux pays sources de réfugiés depuis plusieurs années – l’Ukraine
n’en fait pas partie.
L’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie en 2022 a entraîné l’une des crises liées aux déplacements les
plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale. Quelque 5,7 millions d’Ukrainiens avaient été forcés de fuir
leur pays à la fin de 2022, ce qui fait de l’Ukraine le deuxième pays d’origine de réfugiés dans le monde après
la République arabe syrienne. En raison du conflit prolongé qui sévit dans la République arabe syrienne, celle-ci
demeurait à la fin de 2022 la principale source de réfugiés dans le monde (6,5 millions), bien que leur nombre
soit en baisse par rapport à 2021 (6,8 millions). Parallèlement, l’instabilité et la violence qui font de l’Afghanistan
une importante source de réfugiés depuis plus de 30 ans perdurent : avec environ 5,7 millions de réfugiés en 2022
(contre 2,7 millions en 2021), l’Afghanistan est le troisième pays d’origine de réfugiés dans le monde. Les réfugiés
originaires de la République arabe syrienne, de l’Ukraine, de l’Afghanistan, du Soudan du Sud, du Myanmar et de
la République démocratique du Congo représentaient plus de la moitié de la population mondiale de réfugiés. La
figure 15 montre l’évolution du nombre de réfugiés pour les cinq premiers pays d’origine entre 2005 et 2022. Les
répercussions de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie apparaissent clairement : en 2021, par exemple,
l’Ukraine était le pays d’origine d’un peu plus de 27 000 réfugiés seulement.
Figure 15. Nombre de réfugiés en provenance des cinq principaux pays d’origine, 2005-2022 (millions)
0
1
2
3
4
5
6
7
8
2005
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2010
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2012
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2015
2016
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2020
2021
2022
Millions
République arabe syrienne Ukraine Afghanistan Soudan du Sud Myanmar
Source : HCR, s.d. (page consultée le 17 juin 2023).
Note : Le Soudan du Sud est devenu un pays en 2011.
38 Ibid.
46 La migration et les migrants dans le monde
Comme lors des années précédentes, plus de la moitié des réfugiés résidaient dans 10 pays. En 2022, avec près
de 3,6 millions de réfugiés, pour la plupart des Syriens, la Türkiye était le principal pays d’accueil du monde pour
la septième année consécutive (voir la figure 16). Le Pakistan et la République islamique d’Iran faisaient aussi partie
des 10 principaux pays d’accueil de réfugiés; ce sont eux qui abritent le plus grand nombre de réfugiés originaires
d’Afghanistan, qui est le deuxième pays d’origine. Les sept autres pays figurant parmi les 10 premiers pays d’accueil
sont l’Ouganda, la Fédération de Russie, l’Allemagne, le Soudan, la Pologne, le Bangladesh et l’Éthiopie. La grande
majorité (70 %) des réfugiés et des autres personnes ayant un besoin de protection internationale étaient accueillis
dans des pays voisins de leur pays d’origine. Selon le HCR, les pays les moins avancés accueillaient un nombre
considérable de réfugiés; ainsi, un réfugié sur cinq dans le monde était accueilli en Afrique subsaharienne, tandis que
90 % des réfugiés en Asie et dans le Pacifique étaient accueillis dans seulement trois pays : la République islamique
d’Iran (3,4 millions), le Pakistan (1,7 million) et le Bangladesh (952 400).
Figure 16. Nombre de réfugiés dans les cinq principaux pays d’accueil, 2005-2022 (millions)
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
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4
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2006
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2009
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2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Millions
Türkiye Iran (République islamique d’) Allemagne Pakistan Ouganda
Source : HCR, s.d. (page consultée le 17 juin 2023).
Note : Au 30 juin 2023, l’enregistrement et la reconnaissance formelle des Ukrainiens dans la Fédération de Russie
étaient encore en cours, de sorte que toutes les personnes comptabilisées ne possédaient pas le statut
formel de réfugiés (voir HCR, 2022).
En 2022, plus de 339 000 réfugiés sont retournés dans leur pays d’origine, soit 21 % de moins que l’année
précédente. La plupart des retours (151 300) étaient à destination du Soudan du Sud, principalement au départ
de l’Ouganda (75 500).
Malgré les nombreuses difficultés rencontrées pour mesurer le nombre de personnes bénéficiant d’une intégration
locale, le HCR estime qu’en 2022, 28 pays (contre 23 en 2021) avaient signalé la naturalisation d’au moins un
réfugié, ce qui représente un nombre total de plus de 50 800 réfugiés naturalisés sur l’ensemble de l’année (soit
une diminution par rapport aux 56 700 réfugiés nouvellement naturalisés en 2021, mais une augmentation par
rapport aux 23 000 cas enregistrés en 2016). En 2022, la plupart des naturalisations ont eu lieu en Europe, dont
la majorité (environ 23 300 réfugiés) au Royaume des Pays-Bas. Quelque 18 700 réfugiés se sont vu octroyer
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 47
un permis de séjour de longue durée au Canada. Les réfugiés ayant accédé à la résidence permanente ou à la
nationalité (à l’échelle mondiale) étaient dans une large mesure originaires de la République arabe syrienne (14 400),
de l’Érythrée (4 700) et de la République islamique d’Iran (3 300).
En 2022, plus de 114 000 réfugiés ont été admis aux fins de réinstallation dans le monde, soit deux fois plus qu’en
2021 (57 500), ce qui marque un retour aux niveaux enregistrés avant la pandémie de COVID-19. Le Canada a
accueilli le plus grand nombre de réfugiés aux fins de réinstallation (47 600), devant les États-Unis (29 000). Les
réinstallations dans ces deux pays ont augmenté par rapport à 2021 : les arrivées au Canada ont enregistré une
hausse de 133 % et celles aux États-Unis ont doublé (13 700 en 2021). Les personnes réinstallées au Canada
étaient en premier lieu originaires d’Afghanistan, et celles réinstallées aux États-Unis de République démocratique du
Congo. Les réinstallations en Australie affichaient également une hausse marquée par rapport à l’année précédente,
leur nombre ayant quadruplé pour s’établir à 17 300
Ces 10 dernières années, le nombre de réfugiés ayant besoin d’être réinstallés a augmenté de façon spectaculaire,
puisqu’il a presque doublé. Selon les estimations du HCR, quelque 805 000 réfugiés avaient besoin d’être réinstallés
en 2011; en 2022, ce chiffre est passé à près de 1,5 million39. Le nombre de réfugiés réinstallés a fluctué au fil
des ans. En 2005, près de 81 000 réfugiés ont été réinstallés, contre environ 57 000 en 2021, et plus de 114 000
en 2022. Dans l’ensemble, le nombre de réinstallations n’a pas suivi la forte augmentation des besoins (voir le
tableau 3).
Tableau 3. Nombre de réfugiés ayant besoin d’être réinstallés et nombre de réfugiés réinstallés
dans le monde, depuis 2005
Année
Estimations des besoins totaux
de réinstallation (planification
pluriannuelle comprise),
en nombre de personnes
Arrivées de personnes
admises aux fins de
réinstallation
Proportion
de personnes
réinstallées (%)
2005 – 80 734 –
2006 – 71 660 –
2007 – 75 271 –
2008 – 88 772 –
2009 – 112 455 –
2010 – 98 719 –
2011 805 535 79 727 9,90
2012 781 299 88 918 11,38
2013 859 305 98 359 11,45
2014 690 915 105 148 15,22
2015 958 429 106 997 11,16
2016 1 153 296 172 797 14,98
2017 1 190 519 102 709 8,63
39 HCR 2010 et 2021.
48 La migration et les migrants dans le monde
Année
Estimations des besoins totaux
de réinstallation (planification
pluriannuelle comprise),
en nombre de personnes
Arrivées de personnes
admises aux fins de
réinstallation
Proportion
de personnes
réinstallées (%)
2018 1 195 349 92 348 7,73
2019 1 428 011 107 729 7,54
2020 1 440 408 34 383 2,39
2021 1 445 383 57 436 3,97
2022 1 473 156 114 242 7,75
Source : HCR, s.d. (page consultée le 17 juin 2023).
Note : Le rapport du HCR intitulé Projected Global Resettlement Needs Report est disponible depuis 2011.
Les réinstallations de réfugiés augmentent depuis 2021 et, à la fin de 2022, elles avaient retrouvé les niveaux
enregistrés avant la pandémie de COVID-19. Le nombre de réinstallations avait accusé un recul prononcé en
2020, en partie dû à la pandémie, qui a fortement limité la mobilité internationale dans le monde entier. En 2021,
les États-Unis ont révisé et relevé leur plafond annuel d’admissions de réfugiés, ce qui explique la légère hausse
récente des réinstallations dans ce pays. Cependant, malgré la progression des réinstallations de réfugiés, diverses
crises de réfugiés et de nouvelles situations de déplacement ont entraîné une hausse considérable des besoins en
la matière. En 2022, on comptait 16 nouveaux réfugiés pour chaque réfugié rentré ou réinstallé40. Par ailleurs, on
estime que 2,4 millions de réfugiés auront besoin d’être réinstallés en 2024, soit 20 % de plus qu’en 202341. La figure
17 donne une vue d’ensemble des statistiques relatives aux réinstallations dans les principaux pays de réinstallation
entre 2002 et 2022.
Figure 17. Nombre de réfugiés réinstallés par grand pays de réinstallation, 2002-2022
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Australie Canada États-Unis d’Amérique
Source : HCR, s.d. (page consultée le 17 juin 2023).
40 HCR, 2023a.
41 HCR, 2023b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 49
Rôle de l’OIM en matière de réinstallation
L’OIM joue un rôle essentiel en matière de réinstallation dans le monde entier. Aider les États à réinstaller
des réfugiés et autres arrivants humanitaires est un objectif fondamental, et fait partie de ses activités
courantes les plus importantes. Au-delà des programmes classiques de réinstallation de réfugiés et
d’admission humanitaire, de plus en plus d’États s’intéressent à d’autres formes d’admission ou en mettent
déjà en œuvre, telles que des parrainages privés, des bourses universitaires ou des dispositifs de mobilité
de la main-d’œuvre. Les données de l’OIM relatives au transport à des fins d’aide à la réinstallation portent
sur le nombre total de réfugiés et d’autres personnes relevant de la compétence de l’Organisation qui
voyagent sous ses auspices au départ de divers pays vers des destinations du monde entier au cours d’une
période donnée.
En 2022, plus de 120 700 personnes ont voyagé sous les auspices de l’OIM au titre de programmes de
réinstallation, d’admission humanitaire et de réimplantation, principalement au départ des pays suivants :
Türkiye, Liban, Jordanie, Pakistan et Qatara
. Les femmes représentaient 49 % des bénéficiaires, et les
hommes, 51 %. Au total, l’OIM a aidé 30 États à mener ce type d’activités. Sur le nombre de bénéficiaires
précité, 710 personnes ayant besoin d’une protection internationale ont été réinstallées depuis la Grèce,
l’Italie et Chypre dans huit pays de l’Espace économique européen, tandis que 97 mouvements ont été
assurés via des voies complémentaires au départ de l’Érythrée, de l’Afghanistan et de la République
bolivarienne du Venezuela. Parallèlement, de nouveaux pays de réinstallation, tels que le Brésil, l’Argentine
et l’Uruguay, ont contribué aux efforts d’accueil de réfugiés à des fins de réinstallation, l’OIM et le HCR
– par le biais de l’Initiative pour la réinstallation et des voies complémentaires durables (CRISP) – ayant
fourni dans ces pays un appui en matière de renforcement des capacités de réinstallation et d’expertise
technique. En 2022, les trois principaux pays de réinstallation étaient le Canada (44 772), les États-Unis
(42 365) et l’Australie (7 773).
L’OIM aide ses États Membres à mettre en œuvre divers programmes de réinstallation, de réimplantation et
d’admission humanitaire, dont la plupart sont bien établis, tandis que d’autres sont des réponses spéciales
à des crises de migration forcée particulières.
Étant donné l’importance des besoins et le manque de places disponibles pour la réinstallation, l’OIM
continue de collaborer avec des acteurs afin d’améliorer l’accessibilité à des voies sûres et légales. Dans le
cadre d’accords de coopération, elle fournit aux parties prenantes les informations voulues et communique
des données à des partenaires clés, tels que le HCR, les pays de réinstallation et les organismes spécialisés.
En collaboration étroite avec le HCR, elle s’emploie régulièrement à vérifier et à mieux harmoniser les
données agrégées relatives à la réinstallation, en particulier les chiffres concernant les départs. De plus
amples informations sur les activités de réinstallation de l’OIM se trouvent à l’adresse www.iom.int/fr/
reinstallation.
a OIM, 2023b.
50 La migration et les migrants dans le monde
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays
L’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) rassemble des données sur deux types de déplacement
interne : les nouveaux déplacements pendant une période donnée, et la population totale de personnes déplacées à
l’intérieur de leur pays à un moment donné. Ces informations statistiques sont classées en fonction de deux grandes
causes de déplacement : a) les catastrophes, et b) les conflits et la violence. Cependant, l’IDMC est conscient des
problèmes que pose la distinction entre catastrophes et conflits en tant que causes immédiates de déplacements,
et souligne la nécessité croissante de trouver des moyens de mieux rendre compte des déplacements dans le
contexte de facteurs multiples42.
Au 31 décembre 2022, on estimait à 62,5 millions le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays
à cause d’un conflit ou de la violence dans 65 pays et territoires, ce qui représente un chiffre record depuis que
l’IDMC a commencé son suivi, en 1998. Comme dans le cas des réfugiés (voir la section précédente), ce sont la
persistance et l’émergence de conflits qui expliquent pourquoi le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur
de leur pays en raison d’un conflit ou de la violence a plus que doublé depuis 2012.
La figure 18 montre les 20 pays qui comptaient le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur de
leur pays à cause d’un conflit ou de la violence (population) à la fin de 2022. La plupart d’entre eux se situaient
au Moyen-Orient ou en Afrique subsaharienne. La République arabe syrienne comptait le plus grand nombre
de personnes déplacées par un conflit (près de 6,9 millions) à la fin de 2022, suivie par l’Ukraine (5,9 millions).
La République démocratique du Congo arrivait au troisième rang (près de 5,7 millions), suivie par la Colombie
(environ 4,8 millions) et le Yémen (4,5 millions).
En ce qui concerne leur proportion par rapport à la population nationale, la République arabe syrienne, dont le
conflit dure depuis plus de 10 ans, avait plus de 32 % de sa population déplacée à cause du conflit et de la violence.
La Somalie se classait au deuxième rang (22 %), suivie par le Soudan du Sud, le Yémen et l’Ukraine (plus de 13 %).
Il importe toutefois de souligner que, surtout dans le cas de déplacements prolongés, comme en Colombie, il peut
arriver que des personnes qui sont rentrées dans leur lieu d’origine ou ont regagné leur foyer continuent d’être
comptabilisées comme des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, car, parfois, aucune solution durable
n’a pu être trouvée43. Des organisations telles que l’IDMC se conforment au Cadre conceptuel sur les solutions
durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays du Comité permanent interorganisations,
qui énonce huit critères permettant de déterminer qu’une solution durable a été appliquée et que des personnes
ne doivent donc plus être considérées comme des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays44.
42 L’IDMC souligne les difficultés que pose la collecte de données sur les déplacements dus à des projets de développement, à la violence
criminelle ou à des catastrophes à évolution lente, ainsi que les efforts déployés pour les surmonter. Voir IDMC, 2019, pp. 72-73.
43 Une solution durable est en place « lorsque des personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays n’ont plus besoin d’aide
ni de protection spécifiques liées à leur déplacement et que ces personnes jouissent des droits de l’homme sans discrimination en raison
de leur déplacement. » Voir, par exemple, Brookings Institution et Université de Berne, 2010.
44 Ces critères sont : la sûreté et la sécurité ; un niveau de vie satisfaisant; l’accès aux moyens de subsistance ; la restitution de l’habitation,
des terres et de la propriété ; l’accès aux documents; le regroupement familial ; la participation aux affaires publiques ; et l’accès à des
moyens de recours et à une justice efficaces. Voir, par exemple, Brookings Institution et Université de Berne, 2010 ; IDMC, 2019.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 51
Figure 18. Vingt pays comptant le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays à cause d’un conflit ou de la violence à la fin de 2022 (millions)
7 6 5 4 3 2 1 0
0 % 10 % 20 % 30 % 40 %
République centrafricaine
Inde
Azerbaïdjan
Cameroun
Mozambique
Türkiye
Iraq
Soudan du Sud
Myanmar
Burkina Faso
Soudan
Nigéria
Éthiopie
Somalie
Afghanistan
Yémen
Colombie
République démocratique du Congo
Ukraine
République arabe syrienne
Population de personnes déplacées
à l’intérieur de leur pays (millions)
Pourcentage de la population déplacée
en raison d’un conit (%)
Source : IDMC, s.d. (page consultée le 21 mai 2023); DESA, 2022b.
Notes : Par population de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, on entend le nombre
cumulé de personnes déplacées au fil du temps. La taille de la population utilisée pour
calculer le pourcentage des déplacements de population à cause d’un conflit repose sur
l’ensemble de la population résidente du pays selon les estimations démographiques du
DESA (2022).
En 2022, la population mondiale de personnes déplacées par une catastrophe se situait autour de 8,7 millions
de personnes dans 88 pays et territoires. À la fin de 2022, ces personnes étaient toujours déplacées à cause de
catastrophes survenues au cours de l’année.
52 La migration et les migrants dans le monde
Déplacements en 2022
À la fin de 2022, 60,9 millions de personnes avaient été déplacées à l’intérieur de leur pays, un chiffre sans
précédent, en hausse de 60 % par rapport à 2021. Parmi ces déplacements, 53 % (32,6 millions) ont été provoqués
par une catastrophe et 47 % (28,3 millions) par un conflit ou la violence45.
En 2022, l’Ukraine (plus de 16 millions) et la République démocratique du Congo (4 millions) étaient en tête de la
liste des pays comptant le plus grand nombre de déplacements causés par un conflit ou la violence, avec des chiffres
qui pèsent lourdement sur le bilan mondial. Ces deux pays étaient suivis par l’Éthiopie (2 millions), le Myanmar
(1 million) et la Somalie (621 000). Le Pakistan a enregistré le plus grand nombre absolu de déplacements dus à
une catastrophe en 2022 (environ 8,2 millions)46.
La figure 19 montre que, ces dernières années, le nombre annuel de déplacements dus à une catastrophe était
supérieur à celui des déplacements dus à un conflit ou à la violence. L’IDMC relève toutefois qu’une proportion non
négligeable des déplacements dans le monde dus à une catastrophe est généralement associée à des évacuations
de courte durée, menées de manière relativement sûre et ordonnée.
Figure 19. Déplacements internes dus à un conflit ou à une catastrophe, 2012-2022 (millions)
0
5
10
15
20
25
30
35
2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
Millions
Nouveaux déplacements internes
dus à un conit/la violence
Nouveaux déplacements internes
dus à une catastrophe
Source : IDMC, s.d. (page consultée le 21 mai 2023).
Notes : Le terme «déplacements » désigne le nombre de déplacements qui se sont produits au cours d’une année
donnée, et non le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays cumulé sur une période. Les
chiffres relatifs aux déplacements prennent en compte les personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et ne
correspondent pas au nombre de personnes déplacées pendant une année donnée.
45 Les informations de la présente sous-section sont tirées et adaptées d’IDMC, 2023. Veuillez vous reporter à ce document pour des notes
explicatives et une analyse plus approfondie, et pour les avertissements, limites et méthodes associés aux chiffres et tendances mentionnés.
Les précédents rapports de l’IDMC sur les estimations mondiales, ainsi que sa base de données mondiale sur les déplacements internes
(IDMC, s.d.), sont d’autres sources d’information clés.
46 L’IDMC propose des raisons possibles pour ces changements, y compris la stabilisation des lignes de front des conflits, les cessez-le feu,
les restrictions à la liberté de circulation et de nouvelles méthodes de collecte des données.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 53
Matrice de suivi des déplacements de l’OIM
La Matrice de suivi des déplacements (MSD) de l’OIM recueille et analyse des données afin de diffuser des
informations essentielles et diversifiées sur les déplacements et la mobilité des populations. Les données
ainsi recueillies et analysées permettent aux décideurs et aux intervenants d’apporter aux populations
concernées une assistance mieux adaptée au contexte et fondée sur des éléments factuels. Les données
sont communiquées sous la forme de cartes, d’infographies, de rapports, de supports visuels interactifs en
ligne et d’exportations de données brutes ou personnalisées. Sur la base d’une situation donnée, la MSD
rassemble des informations sur des populations, des lieux, des conditions, des besoins et des vulnérabilités
au moyen d’un ou de plusieurs des outils méthodologiques suivants :
- Suivi de la mobilité et des besoins multisectoriels dans des lieux et domaines précis afin de surveiller
les besoins et de cibler l’aide ; - Suivi des tendances en matière de mouvements (« flux ») et de la situation générale aux points d’origine,
de transit et de destination ; - Enregistrement des personnes et des ménages déplacés à des fins de sélection des bénéficiaires, de
ciblage des vulnérabilités et d’élaboration de programmes; - Réalisation d’enquêtes afin de recueillir des informations précises auprès des populations visées.
La MSD est opérationnelle depuis 2004. En juin 2022, elle avait suivi et identifié près de 45 millions de
personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, 40,4 millions de personnes de retour et 6,2 millions de
migrants dans plus de 120 pays. Ses données constituent l’une des plus grandes sources pour les estimations
annuelles mondiales sur les déplacements internes rassemblées par l’IDMC. Pour plus d’informations sur la
Matrice de suivi des déplacements de l’OIM, voir https://dtm.iom.int/fr.
54 La migration et les migrants dans le monde
Conclusions
S’il est important de comprendre la migration et les déplacements ainsi que la façon dont ils évoluent dans le
monde, c’est en raison de leur importance pour les États, les communautés locales et les individus. Bien que
la migration et les déplacements humains soient des phénomènes qui remontent aux débuts de l’histoire de
l’humanité, leurs manifestations et leurs répercussions ont changé au fil du temps sous l’effet de la mondialisation, et
nous vivons un nombre croissant de transformations mondiales majeures de nature géopolitique, environnementale
et technologique47.
Chaque jour, nous possédons plus de données et d’informations sur la migration et les déplacements dans le
monde ; pourtant, du fait de la nature même de la migration, il peut être difficile, dans un monde interconnecté,
d’en saisir la dynamique sous forme statistique. L’hétérogénéité des définitions, des concepts et des représentations
culturelles ainsi que des événements inattendus posant de nouvelles difficultés imprévues peuvent faire obstacle
à notre compréhension collective de la manière dont la migration évolue. Cela étant, des ensembles de données
entièrement nouveaux sont rapidement apparus pendant la pandémie de COVID-19, dont certains ont été créés
par l’OIM et d’autres organismes des Nations Unies, ainsi que par de grandes sociétés de technologie et des
institutions universitaires.
Nous constatons également que la numérisation croissante de la migration et de la mobilité – dont les données sont
l’élément vital – est de plus en plus souvent exploitée dans le cadre des efforts en cours pour mettre au point de
grands ensembles de données nouvelles permettant d’identifier les mouvements, et de prévoir et de préparer des
solutions. La collecte et l’analyse des données contribuent également à l’action menée pour réduire les inégalités
dans le monde. Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières énonce un engagement à
améliorer la coopération internationale en matière de migration, à recueillir des données sur les migrations et à
entreprendre des recherches et des analyses afin de mieux comprendre les tendances migratoires ainsi que les
schémas et processus en constante évolution, dans le but de faciliter l’élaboration de réponses fondées sur des
éléments factuels. Les données à long terme indiquent clairement que la mise en œuvre du Pacte mondial est une
priorité urgente et trop longtemps différée, les inégalités en matière de mobilité dans le monde s’étant creusées au
cours des 25 dernières années (voir le chapitre 4 du présent Rapport).
Les données mondiales révèlent également que les déplacements causés par les conflits, la violence généralisée et
d’autres facteurs continuent d’atteindre de nouveaux sommets. Les conflits et les violences prolongés, non résolus,
récurrents ou ayant repris ont entraîné une augmentation du nombre de réfugiés dans le monde. Si quelques
pays continuent d’offrir des solutions aux réfugiés, celles-ci sont, de manière générale, largement insuffisantes pour
répondre aux besoins mondiaux, et la proportion de réfugiés réinstallés a diminué au fil du temps. On estime en
outre que les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays sont plus nombreuses que jamais. La triste réalité est
qu’année après année, à chaque publication de données mondiales annuelles agrégées, nous prenons connaissance de
« nouveaux records » des déplacements dans le monde (depuis la mise en place d’une collecte fiable des données).
Le Programme d’action des Nations Unies sur les déplacements internes constitue une plateforme absolument
indispensable pour éclairer cette problématique, qui repose sur une combinaison de facteurs complexes, et y
répondre.
47 McAuliffe et Goossens, 2018 ; McAuliffe et Triandafyllidou, 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 57
3LA MIGRATION ET LES MIGRANTS :
ASPECTS RÉGIONAUX ET FAITS NOUVEAUX
À L’ÉCHELLE RÉGIONALE
Le chapitre qui précède dresse un tableau d’ensemble de la migration dans le monde, en mettant spécialement
l’accent sur les migrants et les flux migratoires internationaux. Y ont également été examinés des groupes particuliers
de migrants, comme les étudiants en formation à l’étranger, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays (les PDI), de même que les rapatriements de fonds à l’international.
Le chapitre 3 met principalement l’accent sur la dimension régionale, de façon à donner du phénomène un tableau
plus détaillé, jetant un éclairage différent mais complémentaire sur les migrants et leurs déplacements dans les
différentes régions du monde1
.
Notre point de départ sera de nature géographique plus que thématique, tant il est vrai que la réalité géographique
est l’un des grands moteurs des flux migratoires, aujourd’hui comme par le passé. En dépit de la mondialisation,
la géographie reste l’un des principaux facteurs à l’origine des mouvements migratoires et des déplacements de
population. Bon nombre de ceux qui franchissent les frontières le font dans les limites de leur propre région pour
gagner des pays peu éloignés, dans lesquels il leur est plus facile de se rendre, ou qui leur sont plus familiers, et
qu’ils pourront sans doute aussi quitter plus facilement pour rentrer chez eux. Pour les personnes déplacées, le
premier critère est celui de la sécurité. C’est pourquoi ces mouvements s’effectuent d’abord à destination de lieux
sûrs à proximité immédiate, peu importe que ces lieux soient à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières nationales.
L’objet du présent chapitre est d’aider les décideurs, les agents du terrain, les chercheurs et les étudiants à se faire
une idée plus précise du phénomène migratoire international en s’appuyant sur la perspective géographique lorsqu’ils
s’efforcent de tracer un tableau d’ensemble de la migration régionale. L’analyse contenue dans ce chapitre cible six
grandes régions telles que définies par l’Organisation des Nations Unies et telles qu’utilisées par le Département
des Affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA), entre autres organisations :
- L’Afrique ;
- L’Asie ;
- L’Europe ;
- L’Amérique latine et les Caraïbes ;
- L’Amérique du Nord ;
- L’Océanie.
Pour chacune de ces régions, l’analyse comprend : a) une vue d’ensemble et une brève discussion des principales
statistiques migratoires basées sur les données compilées et rapportées par le DESA des Nations Unies, le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Observatoire des déplacements internes (IDMC);
et b) des descriptions succinctes des «principales caractéristiques et tendances » de la migration dans la région,
58 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
760
basées sur un large éventail de données, d’informations et d’analyses provenant d’organisations internationales, de
chercheurs et d’analystes.
Pour tenir compte de la diversité des modèles, tendances et problèmes migratoires dans chacune des six régions,
les récits descriptifs des principales caractéristiques et tendances sont présentés au niveau sous-régional. Pour
l’Asie, par exemple, cette approche en cascade permet de présenter des données statistiques sur l’Asie dans son
ensemble, suivies d’informations sommaires sur les sous-régions, notamment l’Asie orientale, l’Asie du Sud, l’Asie
du Sud-Est, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Une ventilation des régions et des sous-régions figure à l’annexe A.
Ces aperçus sous-régionaux fournissent des informations sur les schémas migratoires en provenance, à l’intérieur
et à destination des sous-régions2
. En outre, une attention particulière a été accordée aux caractéristiques propres
à une sous-région, telles que la migration de main-d’œuvre et les envois de fonds internationaux, la migration
irrégulière, la traite des êtres humains et les déplacements de population (internes et internationaux). Les aperçus
sous-régionaux ne prétendent pas être exhaustifs, mais visent à illustrer les principales tendances et les changements
récents en matière de migration.
Il est important de noter que ce chapitre s’appuie sur les chapitres régionaux précédents des rapports État de
la migration dans le monde 2018, 2020 et 2022 en fournissant une mise à jour des statistiques et des questions
d’actualité3
. Les changements significatifs survenus au cours des deux années écoulées depuis la dernière édition
du Rapport ont été reflétés dans ce chapitre (jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023), qui incorpore certaines des
données et informations récentes sur la migration. Les événements récents, notamment ceux liés aux conflits et
aux déplacements dus aux catastrophes dans des pays tels que l’Ukraine, le Soudan, le Pakistan, la Türkiye, Haïti
et le Malawi, sont examinés, de même que certains des principaux développements politiques dans les différentes
sous-régions. Le chapitre s’appuie sur la base de données existante et les sources sont indiquées dans les notes en
fin de texte et dans la section des références. Nous encourageons les lecteurs à se référer aux sources citées dans
ce chapitre pour en savoir plus sur les sujets qui les intéressent. Les chapitres thématiques de ce volume peuvent
également présenter un intérêt, notamment ceux sur la migration et la sécurité humaine, le genre et la migration,
les répercussions de la COVID-19 et les développements récents dans la gouvernance mondiale des migrations.
Afrique4
Les migrations en Afrique concernent un grand nombre de migrants internationaux qui se déplacent à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur de la région. Comme le montre la figure 1, la plupart des migrations internationales ont
lieu à l’intérieur de la région. Les dernières données disponibles sur les populations de migrants internationaux
(2020)5
montrent qu’environ 21 millions d’Africains vivaient dans un autre pays africain, ce qui représente une
augmentation significative par rapport à 2015, où l’on estimait qu’environ 18 millions d’Africains vivaient en dehors
de leur pays d’origine, mais dans la région. Le nombre d’Africains vivant dans différentes régions a également
augmenté au cours de la même période, passant d’environ 17 millions en 2015 à plus de 19,5 millions en 2020.
La figure 1 montre que depuis 2000, les migrations internationales au sein de la région africaine ont augmenté
de manière significative. Depuis 1990, le nombre de migrants africains vivant en dehors de la région a plus que
doublé, cette évolution se faisant surtout sentir en Europe. En 2020, la plupart des migrants nés en Afrique et
vivant en dehors de la région résidaient en Europe (11 millions), en Asie (près de 5 millions) et en Amérique du
Nord (environ 3 millions).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 59
L’un des aspects les plus frappants de la migration internationale en Afrique, comme le montre la figure 1, est le
petit nombre de migrants nés en dehors de la région et qui s’y sont installés depuis lors. Entre 2015 et 2020, le
nombre de migrants nés en dehors de la région est resté pratiquement inchangé (environ 2 millions), la plupart
d’entre eux étant venus d’Asie et d’Europe.
Figure 1. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Afrique, 1990-2020
Migrants à destination de l’Afrique Migrants à l’intérieur de l’Afrique Migrants en provenance de l’Afrique
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
0
5
10
15
20
Année
Population de migrants (millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
Source : DESA, 2021.
Note : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de
migrants internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de l’Afrique »
s’entendent des migrants résidant en Afrique qui sont nés dans une autre région (Europe ou
Asie, par exemple). Les «migrants à l’intérieur de l’Afrique » sont des migrants nés en Afrique
qui résident hors de leur pays de naissance, mais dans la région. Les «migrants en provenance
de l’Afrique » sont des personnes nées en Afrique qui résident hors de la région (par exemple en
Europe ou en Amérique du Nord).
60 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
En Afrique, la proportion de femmes et d’hommes migrants dans les principaux pays de destination est similaire,
avec seulement de légères différences entre les pays. L’exception la plus visible est la Libye, où la proportion
d’hommes est nettement plus élevée que celle des femmes. Cette dynamique est largement similaire dans les dix
premiers pays d’origine en Afrique, à l’exception de l’Égypte – premier pays d’origine de la région – qui compte
une proportion beaucoup plus importante d’émigrants de sexe masculin que de sexe féminin.
Figure 2. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Afrique, selon le sexe
Libye
Soudan du Sud
République démocratique
du Congo
Kenya
Éthiopie
Nigéria
Soudan
Ouganda
Côte d’Ivoire
Afrique du Sud
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
Mali
Burkina Faso
Nigéria
République démocratique
du Congo
Algérie
Somalie
Soudan
Soudan du Sud
Maroc
Égypte
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Sexe
Femmes
Hommes
Source : DESA, 2021.
Note : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de migrants
internationaux au moment de la rédaction. Les proportions s’entendent de la part de femmes ou
d’hommes dans le nombre total d’immigrants dans les pays de destination (à gauche) ou d’émigrants
en provenance des pays d’origine (à droite).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 61
Les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique restent une donnée majeure de la région, comme le
montre la figure 3. La plupart des réfugiés du continent ont été accueillis dans les pays voisins de la région. On
trouve dans cette figure 3 les 10 premiers pays d’Afrique, classés en fonction du nombre total de réfugiés et de
demandeurs d’asile accueillis dans ces pays ou originaires de ces pays. Le Soudan du Sud est resté le pays d’origine
du plus grand nombre de réfugiés en Afrique (environ 2,3 millions) et s’est classé au quatrième rang mondial, après la
République arabe syrienne, l’Ukraine et l’Afghanistan. Les deuxième et troisième principaux effectifs de réfugiés sur
le continent (plus de 900000 et plus de 800 000, respectivement) sont originaires de la République démocratique du
Congo et du Soudan. Un grand nombre de réfugiés proviennent aussi de Somalie (près de 800 000) et de République
centrafricaine (plus de 748 000). Parmi les pays d’accueil, l’Ouganda – avec près de 1,5 million de personnes – a
continué d’accueillir le plus grand nombre de réfugiés en Afrique en 2022. La plupart des réfugiés en Ouganda
étaient originaires du Soudan du Sud et de la République démocratique du Congo. En plus de produire un nombre
important de réfugiés, des pays tels que le Soudan et la République démocratique du Congo en ont également
accueilli un très grand nombre à la fin de 2022 (près de 1,1 million et plus d’un demi-million, respectivement).
L’Éthiopie, avec près de 900 000 réfugiés, a été le troisième pays d’accueil de réfugiés en Afrique en 2022.
Figure 3. Dix premiers pays d’Afrique classés selon le nombre total de réfugiés
et de demandeurs d’asile, 2022
Kenya
Tchad
Cameroun
République centrafricaine
Somalie
Éthiopie
Ouganda
République démocratique du Congo
Soudan
Soudan du Sud
2 1,5 1 0,5 0 0,5 1 1,5
Personnes (millions)
Lieu
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.a.
Note : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres
pays qui résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger »
comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors de
leur pays d’origine. Ce classement est établi à partir de données pour 2022, en combinant les
populations de réfugiés et de demandeurs d’asile qui se trouvent dans ces pays ou en sont
originaires.
62 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Comme les années précédentes, la majorité des déplacements internes en Afrique en 2022 se sont produits en
Afrique subsaharienne, la plupart d’entre eux étant déclenchés par des conflits et des violences. La République
démocratique du Congo (plus de 4 millions) et l’Éthiopie (plus de 2 millions) ont connu les plus grands déplacements
internes sous l’effet de ces deux facteurs. La Somalie, avec 621000 déplacements causés par les conflits, est le
troisième pays de la région à avoir enregistré le plus grand nombre de déplacements. Les plus grands déplacements
dus à des catastrophes ont été enregistrés au Nigéria (environ 2,4 millions), suivi de la Somalie (1,2 million), de
l’Éthiopie (873000) et du Soudan du Sud (596 000).
Figure 4. Vingt premiers pays d’Afrique sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022
Millions Pourcentage de la population
2 0 2 4 5 2,5 0 2,5 5
Mauritanie
Ouganda
Congo
Afrique du Sud
Mali
Cameroun
Tchad
Madagascar
Malawi
Kenya
Niger
République centrafricaine
Mozambique
Soudan
Burkina Faso
Soudan du Sud
Somalie
Nigéria
Éthiopie
République démocratique du Congo
Con it
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Note : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et non la population totale
de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du temps. Le nombre de nouveaux déplacements
inclut des personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et ne correspond pas au nombre de personnes déplacées au
cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus à des catastrophes et
à des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale dans le pays en 2021 établie par le DESA.
Le pourcentage est fourni à titre purement indicatif et comparatif.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 63
Principales caractéristiques et tendances en Afrique6
Afrique du Nord
La dynamique migratoire dans la sous-région reste principalement caractérisée par les déplacements
irréguliers vers, à travers et depuis l’Afrique du Nord, et de nombreux migrants y sont victimes de
violations des droits de l’homme. L’Afrique du Nord est un point de départ pour des milliers de personnes
qui entreprennent d’émigrer, principalement le long des routes de la Méditerranée occidentale et centrale. Dans
toute la sous-région, en particulier dans les pays de transit comme la Libye, des réseaux de trafic et de traite bien
établis se sont développés au fil des ans7
. En Libye, aux points d’embarquement vers l’Europe, les passages à tabac,
la torture et le travail forcé des migrants sont bien documentés8
. Les femmes et les jeunes filles en particulier sont
exposées à un risque accru de violences sexuelles, notamment lorsqu’elles traversent le désert, ainsi que dans les
zones frontalières9
. Des milliers de migrants ont également perdu la vie. La route de la Méditerranée centrale est la
plus meurtrière au monde, avec plus de 20000 migrants morts ou disparus entre 2014 et 202210. En réponse à ces
problèmes incessants sur la route de la Méditerranée centrale, la Commission européenne a proposé en novembre
2022 un plan d’action qui énonce « 20 mesures destinées à réduire les migrations irrégulières et dangereuses, à
apporter des solutions aux défis émergents dans le domaine de la recherche et du sauvetage » et à susciter une
solidarité accrue dans le sens d’une responsabilité équilibrée entre les États membres »11. Si certaines actions du
plan – notamment celles visant à soutenir et à faciliter le partage des responsabilités – ont été saluées par une
série d’acteurs, d’autres, dont certaines ONG, ont critiqué le plan, estimant qu’il était inapplicable et qu’il ne faisait
que recycler de vieilles erreurs12.
Les récentes attaques contre des migrants d’Afrique subsaharienne vivant dans certaines parties de
l’Afrique du Nord mettent en évidence la xénophobie et le racisme qui sévissent dans la sous-région. En
Tunisie, par exemple, la rhétorique politique du début de l’année 2023 accusant les migrants d’Afrique subsaharienne
d’être un vecteur de criminalité et de menacer la composition démographique et l’identité nationale du pays a
conduit à des violences racistes à l’intérieur du pays13. Outre les violences verbales et physiques, certains migrants
ont perdu leur emploi et d’autres ont été expulsés de leur logement14. Cette rhétorique – qui rappelle le discours
politique anti-immigrés dans plusieurs pays d’Europe ces dernières années – a été encouragée par certains médias
et plateformes en ligne en Tunisie15. Plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Burkina Faso et le Mali,
ont organisé des vols de rapatriement pour leurs citoyens qui voulaient absolument partir16. Les discours de
haine et la violence à l’encontre des migrants africains subsahariens ont incité le Comité des Nations Unies pour
l’élimination de la discrimination raciale à publier une déclaration appelant la Tunisie à « combattre toutes les formes
de discrimination raciale et de violence raciste à l’encontre des Africains noirs, en particulier les migrants du sud
du Sahara et les citoyens tunisiens noirs »17. Divers cas d’abus et de violences ont également été documentés en
Libye, un rapport de 2022 du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies soulignant que les migrants y sont
régulièrement victimes de racisme, de xénophobie, de répression pénale et de violations des droits de l’homme18.
Les envois de fonds internationaux restent importants pour l’Afrique du Nord et constituent une source
majeure de devises pour plusieurs pays de la sous-région. Ces envois sont devenus encore plus importants
après le début de la pandémie de COVID-19, car les revenus du tourisme – qui avaient longtemps revêtu une
importance vitale pour des pays tels que l’Égypte – se sont taris en raison des restrictions mises en place en matière
de mobilité. La sous région a une longue tradition d’émigration, ce dont atteste le grand nombre d’émigrants vivant
en Europe et dans les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG). En Arabie saoudite, par exemple, on
64 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
dénombrait ainsi près d’un million d’Égyptiens en 202019. En 2022, on estime que l’Égypte a reçu plus de 28 milliards
de dollars des États-Unis en transferts de fonds internationaux, ce qui en fait le septième plus grand bénéficiaire
après l’Inde, le Mexique, la Chine, les Philippines, la France et le Pakistan20. Pour sa part, le Maroc, qui se classe
parmi les 20 premiers pays destinataires des envois de fonds internationaux, aurait reçu plus de 11 milliards de
dollars en 2022, soit 8 % de son PIB21.
L’Afrique du Nord est vulnérable aux effets du changement climatique, la sous-région étant touchée par
des événements à évolution lente ou rapide, ce qui a entraîné d’importants déplacements de population
au cours des dernières années. La sous-région a connu un réchauffement important au cours des dernières
décennies, tout en voyant ses précipitations diminuer pendant la saison humide, en particulier dans des pays comme
la Libye, l’Algérie et le Maroc22. Alors que les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord («MENA») sont parmi
les plus touchés par le changement climatique, ils sont considérés comme les moins bien préparés23. Le rapport
2021 Groundswell de la Banque mondiale prévoit que sans une action tangible sur le climat et le développement,
le changement climatique pourrait contraindre des millions de personnes en Afrique du Nord à se déplacer à
l’intérieur de leur pays24. Alors que cette région du monde figure déjà parmi celles qui sont le plus touchées par le
stress hydrique, le changement climatique pourrait encore exacerber cette réalité, et les effets sur l’agriculture et
la production alimentaire s’y font déjà sentir. La raréfaction accrue de l’eau pourrait aussi aggraver les conflits et le
climat de violence ambiants. En Libye, les milices locales ont instrumentalisé la pénurie d’eau, en faisant notamment
des infrastructures hydrauliques un levier contre le Gouvernement central et d’autres rivaux25. En outre, le conflit
prolongé en Libye a laissé le pays sans grande capacité d’adaptation. La combinaison des effets du conflit et du
changement climatique a ainsi perturbé la production alimentaire et poussé bon nombre d’habitants à quitter leur
communauté26. Des pays comme l’Algérie et le Maroc ont connu d’importants déplacements déclenchés par les
sécheresses et les feux incontrôlés. Fin 2022, de tels feux avaient provoqué 9 500 déplacements dans certaines
parties du nord du Maroc, et la même année, 2 000 déplacements – également dus à des feux incontrôlés – ont
été enregistrés dans le nord-est de l’Algérie27. Ces feux ont également dévasté d’importantes étendues de terres,
en particulier au Maroc, où ils ont ravagé plus de terres en 2022 que sur l’ensemble des neuf années précédentes28.
Alors que les conflits et la violence continuent de provoquer des déplacements transfrontaliers et
internes, la sous-région accueille parallèlement un grand nombre de réfugiés sur de longues durées.
Les déplacements dans la sous-région sont en grande partie dus aux conflits et à la violence29. Au Soudan, des
combats intenses entre l’armée régulière et la principale force paramilitaire du pays ont éclaté en avril 2023, tuant
des centaines de personnes et forçant des milliers d’autres à fuir pour leur sécurité, la majorité à l’intérieur du pays
mais d’autres au-delà des frontières, notamment vers les pays voisins tels que le Soudan du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie
et le Tchad30. Avant cela, le Soudan avait été le théâtre de violents affrontements entre clans et communautés
pour l’accès à la terre et le contrôle des ressources, en particulier dans l’ouest du Darfour31. Fin 2022, le Soudan
comptait plus de 3,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières et plus de 300 000 personnes
déplacées du fait des conflits et de la violence32. Le Soudan accueille également l’une des principales populations
de réfugiés d’Afrique. Ainsi, en 2022, on y recensait environ 1 million de réfugiés et de demandeurs d’asile33, dont
la plupart venaient du Soudan du Sud, d’Érythrée, de République arabe syrienne ou d’Éthiopie. En Libye, l’accord
de cessez-le-feu conclu par les factions belligérantes en octobre 2020, qui est toujours en vigueur, n’a pas été
pleinement respecté. L’instabilité politique perdure donc dans le pays, même si le nombre des personnes qui se
trouvent dans une situation de déplacement interne en raison du conflit et de la violence a considérablement
diminué34. La Libye comptait en 2022 environ 135000 déplacés internes chassés par le conflit, soit le chiffre le plus
bas depuis 201335.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 65
Afrique australe et de l’Est
La sous-région a enregistré une augmentation significative du nombre de migrants intrarégionaux, en
partie due aux accords de libre circulation. Le nombre de travailleurs migrants résidant dans les pays de la
Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) a atteint près de 3 millions en 2019, contre un peu moins de 1,5 million
en 201036. Au sein de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), ce nombre est passé à plus
de 3 millions, soit le double de ce qu’il était en 201037. Les efforts visant à renforcer l’intégration dans la sous-région
– notamment par le biais du protocole du Marché commun de l’Afrique de l’Est, qui est entré en vigueur en 2010 et
vise à réaliser la libre circulation des personnes, de la main-d’œuvre, des capitaux, des services et des biens – ont été
essentiels pour éliminer les obstacles à l’emploi. Même si le protocole n’est pas pleinement mis en œuvre dans tous
les pays, de nombreux citoyens de la CAE ont le droit d’entrer et de travailler dans la Communauté et ont accès
au traitement gratuit des permis de travail38. Pour renforcer l’intégration et faciliter la mobilité de la main-d’œuvre
dans la sous-région, plusieurs États de la CAE ont également mis en place des cadres de reconnaissance mutuelle
des compétences, qui jouent un rôle important en ce sens qu’ils permettent aux travailleurs migrants d’accéder
à d’autres marchés39. En 2021, les États membres de l’IGAD ont adopté un protocole sur la libre circulation des
personnes, qui est également le premier protocole de libre circulation au niveau mondial à traiter de la circulation
des personnes à travers les frontières en réponse aux effets néfastes du changement climatique40. Simultanément,
et en reconnaissance de l’importance du pastoralisme comme l’une des principales formes de subsistance dans la
région, les États membres de l’IGAD ont adopté un protocole sur la transhumance, dont l’objectif est de faciliter
la mobilité transfrontalière libre, sûre et ordonnée du bétail et des bergers transhumants41. Le Marché commun
de l’Afrique orientale et australe (COMESA) dispose également de protocoles sur la libre circulation, mais leur
mise en œuvre a été lente42. Un nouvel élan a toutefois été donné pour faciliter la libre circulation entre les États
membres du COMESA, avec la création de deux groupes de travail chargés de faire progresser la mise en œuvre
des protocoles43.
Si les protocoles de libre circulation ont permis aux personnes de franchir facilement les frontières,
l’immigration irrégulière – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la sous-région – reste un vrai défi. En
Afrique de l’Est, la migration irrégulière s’effectue fréquemment le long de quatre routes principales : la route du
sud, celle de l’Afrique australe (principalement vers l’Afrique du Sud), la route de la Corne de l’Afrique (mouvements
à l’intérieur de la Corne de l’Afrique), la route du nord, en direction de l’Afrique du Nord et de l’Europe, et la
route de l’est, en direction de la péninsule arabique (surtout à destination de l’Arabie saoudite)44. Souvent facilité
par des passeurs, le périple des migrants le long de ces routes est semé d’embûches. Le long de la route sud vers
l’Afrique du Sud, par exemple, les migrants sont confrontés à toutes sortes de difficultés et de risques, comme de
se voir obligés d’effectuer des paiements inattendus à des intermédiaires. Souvent, ils n’ont pas assez d’argent pour
se procurer des produits de base tels que de la nourriture, et certains sont victimes d’abus physiques, sexuels,
psychologiques et autres45.
Les catastrophes induites par le changement climatique, telles que les sécheresses, les ouragans et les
inondations, ont dévasté les moyens de subsistance en Afrique de l’Est et en Afrique australe, tout en
déplaçant des millions de personnes dans la sous-région. En mars 2023, la sous-région de l’Afrique de l’Est
et de la Corne de l’Afrique subissait une sécheresse record, la pire depuis plus de 40 ans46. L’Éthiopie, le Kenya
et la Somalie ont été les plus touchés, la sécheresse venant s’ajouter dans ces pays à des années d’insécurité et
de conflit, en particulier en Somalie et en Éthiopie. Les conséquences ont été considérables et, dans la sousrégion de l’IGAD, 27 millions de personnes se sont trouvées dans une situation d’insécurité alimentaire grave,
les prévisionnistes annonçant une famine en Somalie en 202347. En mai 2023, la sécheresse avait provoqué le
déplacement de plus de 2 millions de personnes en Éthiopie et en Somalie (réunies), tandis qu’on recensait au
66 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
début de l’année au Kenya, en Éthiopie et en Somalie plus de 866 000 réfugiés et demandeurs d’asile vivant dans des
zones en proie à la sécheresse48. En réponse à l’intensité croissante des effets néfastes du changement climatique
et à l’élargissement de l’échelle géographique de la mobilité induite par le climat, plus de 10 États de la sous-région
de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, soutenus par l’IGAD et la CAE, se sont réunis en septembre
2022 à Kampala, en Ouganda, et ont signé une nouvelle déclaration historique : la Déclaration ministérielle de
Kampala sur les migrations, l’environnement et le changement climatique (KDMECC)49. Cette déclaration énumère
12 engagements formulés par les États signataires et cinq demandes adressées aux parties à la CCNUCC, dans un
cadre de collaboration abordant concrètement la question de la mobilité induite par le climat tout en favorisant
le développement durable des États. Cette déclaration énumère 12 engagements formulés par les États signataires
et cinq demandes adressées aux parties à la CCNUCC, dans un cadre de collaboration abordant concrètement
la question de la mobilité induite par le climat tout en favorisant le développement durable des États. En Afrique
australe, ce sont les catastrophes liées au changement climatique, notamment les cyclones, qui se sont aggravées,
tant en fréquence qu’en intensité50. Le cyclone Freddy, par exemple, a fait des ravages au Malawi, au Mozambique et
à Madagascar au début de l’année 2023 et a été l’un des cyclones tropicaux les plus persistants jamais enregistrés51.
Il a fait plus de 500 victimes et a déplacé plus de 500 000 personnes rien qu’au Malawi52.
Les conflits armés récents et anciens restent des facteurs importants de déplacements dans la sous
région. L’Afrique de l’Est est en butte à des conflits depuis des décennies et reste l’une des régions les plus touchées
par ce fléau dans le monde. La guerre civile qui dure depuis des décennies en Somalie, la multiplication des attaques
des milices Al-Shabab ainsi que les opérations anti-insurrectionnelles menées par le Gouvernement en réponse à ces
attaques ont fait de 2022 l’année la plus meurtrière dans le pays depuis 2018, ce qui n’a pas manqué d’occasionner
des déplacements massifs53. On estime à 3,9 millions le nombre de personnes déplacées qui se trouvaient en
Somalie à la fin de 2022, soit une augmentation de près d’un million par rapport à l’année précédente54. Au
Soudan du Sud, malgré l’accord de paix de 2018, les violences intercommunautaires restent monnaie courante
et ont entraîné des déplacements internes et transfrontaliers considérables, la plupart des déplacements internes
enregistrés en 2022 s’étant produits dans les États de Jonglei, du Haut-Nil et d’Unité55. Ce pays est resté l’un des
principaux pourvoyeurs de réfugiés en Afrique (plus de 2 millions), la plupart résidant aujourd’hui en Ouganda, au
Soudan et en Éthiopie56. Dans le même temps, l’Éthiopie a connu une guerre civile brutale dans le nord du pays,
qui a entraîné d’importantes pertes en vies humaines, la destruction de biens et le déplacement de millions de
personnes. Le conflit armé qui a éclaté au Soudan en avril 2023 (voir la section relative à l’Afrique du Nord) a
entraîné d’importants déplacements internes et transfrontaliers, forçant de nombreux Soudanais à chercher refuge
dans des pays d’Afrique de l’Est tels que le Soudan du Sud et l’Éthiopie. Fin juillet 2023, le Soudan du Sud avait
accueilli à lui seul près de 200 000 nouveaux réfugiés en provenance du Soudan57. Le conflit a également eu pour
conséquence que de nombreux réfugiés qui avaient été accueillis par le Soudan, notamment en provenance de pays
tels que l’Éthiopie, ont fui vers les pays voisins ou sont rentrés chez eux58. Un accord de paix conclu en novembre
2022 a abouti à un cessez-le-feu, rétablissant la sécurité dans les régions les plus touchées d’Afar, d’Amhara et
du Tigré, mais les besoins humanitaires restent considérables59. Le Bureau de l’Envoyé spécial des Nations Unies
dans la Corne de l’Afrique, en collaboration avec l’IGAD et en partenariat avec des agences des Nations Unies, a
élaboré une stratégie régionale de prévention et d’intégration pour la Corne de l’Afrique, qui prévoit la mise en
place d’un mécanisme régional de coordination de la sécurité climatique dont l’objectif principal est de soutenir
l’IGAD et de renforcer les capacités des acteurs régionaux, nationaux et locaux à traiter les liens existants entre
le climat, la paix et la sécurité.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 67
Les États du Golfe restent les principaux pays de destination des travailleurs migrants de la sous-région,
en particulier ceux d’Afrique de l’Est. L’Éthiopie, le Kenya et l’Ouganda sont les principaux pays d’origine des
travailleurs migrants de la sous-région vers les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG), la plupart d’entre
eux travaillant dans l’hôtellerie, la sécurité, la construction et le commerce de détail60. Poussés par les taux élevés
de chômage et de sous-emploi, ainsi que par la perspective de salaires plus élevés, de nombreux jeunes cherchent
des opportunités d’emploi dans le Golfe61. La proximité du Golfe, associée à la difficulté croissante d’entrer dans
des pays de destination autrefois traditionnels, tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, a rendu les États du
CCG attrayants pour les travailleurs migrants. La prolifération des sociétés de recrutement en Afrique de l’Est, ainsi
que plusieurs accords de travail bilatéraux ont également contribué à l’augmentation significative de la migration de
main-d’œuvre vers le Golfe62. Les migrations régulières et irrégulières de main-d’œuvre de l’Afrique de l’Est vers le
Golfe, qui sont prévalentes, ont augmenté au fil du temps, faisant du corridor oriental l’une des voies de migration
maritime les plus fréquentées au monde63. Les migrations de main-d’œuvre à destination du Golfe ont entraîné une
augmentation substantielle des envois de fonds, en particulier vers des pays tels que le Kenya et l’Ouganda. Les
envois de fonds vers le Kenya et l’Ouganda ont grimpé respectivement à plus de 4 milliards de dollars et plus de
1,2 milliard de dollars, en partie sous l’effet de l’augmentation des apports de fonds en provenance des États du
CCG64. L’Arabie saoudite est désormais la troisième source d’envois de fonds à destination du Kenya, juste derrière
le Royaume-Uni et les États-Unis65. Bien que plusieurs États du CCG mettent en œuvre des mesures visant à
réduire les abus à l’encontre des travailleurs migrants – notamment par une réforme du système de la Kafala –
les mauvais traitements et l’exploitation des travailleurs migrants restent très fréquents66. Parmi les abus les plus
répandus, il faut citer les violences physiques et sexuelles, les restrictions de liberté, les pratiques d’emploi abusives
et coercitives et les conditions de travail trompeuses, abusives et peu sûres67.
Afrique centrale et de l’Ouest
Certaines parties de la sous-région restent des foyers de conflit, d’insécurité et d’extrémisme violent,
le Sahel demeurant la région la plus instable. La région du Sahel, qui s’étend de l’océan Atlantique à l’ouest
à la mer Rouge à l’est, est depuis longtemps une zone de flux migratoires importants. La région est confrontée
à des crises permanentes, au nombre desquelles il faut citer la dégradation du climat et de l’environnement, la
désertification, l’instabilité politique et institutionnelle, le manque de services de base, les conflits intercommunautaires
entre éleveurs nomades et agriculteurs, ainsi que la montée rapide d’un extrémisme violent68. Le Sahel est depuis
longtemps en proie à l’insécurité, caractérisée par des conflits armés, des affrontements militaires et des violences
récurrentes causées par des groupes islamistes. Le Sahel central est le plus touché par la violence. De nombreux
civils y ont perdu la vie au cours de la seule année 202269. Le Sahel central a été plongé dans une nouvelle
tourmente en 2021 après les coups d’État militaires au Burkina Faso et au Mali, qui ont entraîné leur suspension
de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union africaine70. En 2022,
on comptait plus de 2,9 millions de réfugiés et de personnes déplacées au Mali, au Burkina Faso et au Niger71.
Les affrontements se sont étendus aux pays voisins tels que le Togo, la Côte d’Ivoire et le Bénin. En outre, les
enfants ont été pris pour cible par des groupes armés non étatiques au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et
des centaines d’entre eux, surtout des filles, ont été enlevés72. En plus de l’insécurité et des conflits persistants,
l’Afrique centrale et de l’Ouest subit l’influence de facteurs en interaction, notamment le changement climatique
et l’insécurité alimentaire. Les précipitations au Sahel, par exemple, ont diminué de plus de 20 % depuis les années
70, faisant de cette partie de l’Afrique l’une des plus exposées à la sécheresse73. Dans le même temps, certaines
parties de la sous-région ont connu des catastrophes soudaines importantes qui ont entraîné le déplacement de
millions de personnes. Le Nigéria, par exemple, a enregistré le plus grand nombre de déplacements internes dus
à des catastrophes en Afrique subsaharienne en 2022 (plus de 2,4 millions)74. Il s’agit également du chiffre le plus
68 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
élevé enregistré au Nigéria en 10 ans75. Ces déplacements sont dus en grande partie aux inondations survenues
entre juin et novembre 202276.
Chaque année, des dizaines de milliers de migrants d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale viennent
alimenter les flux de migration irrégulière en prenant des risques considérables pour tenter d’atteindre
l’Europe. Les mauvais traitements infligés aux migrants sont fréquents au cours de ces déplacements, notamment
le long de plusieurs itinéraires clés depuis l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale en direction de l’Afrique du
Nord, le long du Sahara ou pendant les traversées en mer77. La migration irrégulière en provenance d’Afrique de
l’Ouest et d’Afrique centrale se produit souvent le long de la route méditerranéenne centrale (traversées maritimes
depuis les pays d’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, principalement vers l’Italie), de la route méditerranéenne
occidentale (composée de plusieurs sous-routes reliant le Maroc et l’Algérie à l’Espagne) et de la route atlantique
ouest-africaine (depuis les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest et le Maroc jusqu’aux îles Canaries en Espagne)78. Rien
qu’en 2022, près de 2 800 décès et disparitions ont été enregistrés le long de la route de la Méditerranée centrale,
de la route atlantique ouest-africaine, de la route de la Méditerranée occidentale et d’autres routes d’Afrique de
l’Ouest et d’Afrique centrale79. Compte tenu des limites auxquelles se heurtent les opérations de recherche et de
sauvetage, il est très probable que ces chiffres soient sous-estimés. La route atlantique ouest-africaine est considérée
comme très dangereuse en raison de la longueur du voyage, les migrants étant souvent bloqués en mer pendant
de longues périodes sur des embarcations inadaptées dans des zones de l’océan Atlantique à l’intérieur desquelles il
n’existe pas d’opérations de sauvetage spécialement montées à cet effet80. Plus de 29000 ressortissants d’Afrique de
l’Ouest et d’Afrique centrale sont arrivés en Europe par ces différentes routes en 2022, la plupart (58 %) arrivant
en Italie, 17 % en Espagne, 21 % à Chypre et à Malte et 4 % en Grèce81.
En Afrique centrale et de l’Ouest, la migration intrarégionale reste une caractéristique majeure de la
dynamique migratoire, la plupart des migrants internationaux vivant dans la sous-région. En 2020, on y
dénombrait plus de 11 millions de migrants internationaux, la grande majorité d’entre eux étant originaires de pays
de la sous-région82. Celle-ci compte un demi-milliard d’habitants, dont 40 % ont moins de 15 ans83. Le nombre
de jeunes devrait encore augmenter, ce qui pourrait constituer un dividende démographique ou accentuer la
pression sur une sous-région déjà en butte à des taux de chômage élevés, en particulier chez les jeunes. En outre,
l’Afrique centrale et de l’Ouest souffre de niveaux élevés de pauvreté et d’écarts importants entre les hommes et
les femmes en ce qui concerne par exemple l’accès au marché du travail et le niveau d’éducation84. La migration
intrarégionale en Afrique de l’Ouest – estimée à quelque 70 % des flux migratoires – est en grande partie due à
la mobilité de la main-d’œuvre et inclut des migrations temporaires, saisonnières et permanentes de travailleurs, à
destination, principalement, de pays tels que la Côte d’Ivoire et le Ghana85. Le protocole de libre circulation de la
CEDEAO a joué un rôle clé dans la facilitation de la mobilité de la main-d’œuvre en Afrique de l’Ouest; en fait,
tous les pays de la sous-région sont membres de cette communauté économique régionale, ce qui signifie que
les citoyens des États membres de la CEDEAO ont le droit d’entrer, de résider et de développer des activités
économiques dans un autre État membre86. Cependant, bien que la CEDEAO ait fait des progrès significatifs en
matière de libre circulation, la mise en œuvre complète de son protocole n’a pas encore été réalisée. Le protocole
continue de buter sur toute une série de difficultés, notamment celles liées à la diversité des intérêts nationaux
et à la médiocrité des infrastructures, entre autres87. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale
dispose elle aussi d’un protocole de libre circulation ; cependant, les progrès dans sa mise en œuvre ont été lents
et ne constituent pas une priorité pour les États de l’Afrique centrale, qui continuent pour beaucoup à faire face
à une forte instabilité politique88. Néanmoins, des pays tels que la Guinée équatoriale et le Gabon – qui possèdent
d’importantes industries du bois et du pétrole – attirent un nombre important de travailleurs migrants de la
sous-région89.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 69
La Coupe du monde de football de 2022 a mis en évidence certains des avantages de la migration, de
nombreux joueurs d’origine ouest-africaine, par exemple, s’étant révélés essentiels pour les équipes
nationales en Europe. Les équipes nationales du monde entier comptent des joueurs d’origines diverses, y
compris des joueurs représentant des pays dans lesquels ils ne sont pas nés, et d’autres qui sont des enfants de
migrants. La Coupe du monde 2022 au Qatar a compté le plus grand nombre de joueurs nés à l’étranger dans
l’histoire du tournoi, avec 137 des 830 joueurs (17 %) représentant des pays dans lesquels ils n’étaient pas nés90. Des
pays comme le Maroc et le Qatar comptaient dans leurs équipes le plus grand nombre de joueurs nés à l’étranger91.
Dans les équipes nationales européennes, parmi les joueurs qui n’étaient pas nés à l’étranger, un grand nombre
étaient d’origine africaine92. Par exemple, plusieurs joueurs vedettes de l’équipe de France, dont Kylian Mbappé
et Paul Pogba, ont des liens familiaux avec la sous-région93. Cependant, il est important de souligner que pour la
grande majorité des jeunes de la sous-région qui souhaitent jouer au football en Europe, les possibilités d’émigrer
et de rejoindre avec succès des clubs de football dans des régions telles que l’Europe sont extrêmement limitées.
Pour la plupart, leurs aspirations risquent souvent de leur faire courir des risques et des dangers importants. Les
passeurs et les trafiquants peuvent tirer avantage du rêve que nourrissent ces jeunes de jouer dans les grandes ligues
européennes, attirant ainsi des milliers d’entre eux, dans la sous-région, avec le faux espoir de devenir footballeur
professionnel94. Se faisant souvent passer pour des dénicheurs de talents, ils demandent de grosses sommes d’argent
pour faciliter leur voyage vers l’Europe, mais les abandonnent à leur arrivée ; d’autres migrants aboutissent dans des
filières de travail forcé ou sont victimes d’exploitation sexuelle, entre autres situations d’exploitation95.
Asie96
L’Asie – où vivent environ 4,6 milliards de personnes – est le continent d’origine de plus de 40 % des migrants
internationaux dans le monde (environ 115 millions), comme le montrent les dernières données disponibles sur
les populations de migrants internationaux (2020)97. Plus de la moitié (69 millions) résidaient dans d’autres pays
d’Asie, ce qui représente une augmentation significative par rapport à 2015, où l’on estimait à environ 61 millions le
nombre de migrants se trouvant sur le continent. Comme le montre la partie centrale de la figure 5, les migrations
intrarégionales en Asie ont considérablement augmenté au fil du temps, puisqu’elles n’atteignaient encore que
35 millions en 1990. Les effectifs de migrants nés en Asie ont également augmenté de manière considérable en
Amérique du Nord et en Europe au cours des deux dernières décennies. En 2020, les migrations dans le sens
Asie Amérique du Nord ont concerné 17,5 millions de personnes, soit une légère augmentation par rapport aux
17,3 millions de 2015. Parallèlement, dans la même période, les migrations dans le sens Asie-Europe ont concerné
23 millions de personnes, alors qu’elles n’avaient concerné qu’un peu moins de 20 millions de personnes en 2015.
Les migrations de l’Asie vers l’Amérique du Nord et l’Europe expliquent en grande partie l’augmentation du
nombre de migrants asiatiques en dehors de la région, qui ont atteint un total de plus de 46 millions de migrants
extrarégionaux en 2020.
Le nombre de migrants se trouvant sur le continent asiatique qui ne sont pas nés en Asie est resté à un niveau
relativement bas depuis 1990. Les Européens constituent le groupe le plus important de migrants non asiatiques
dans la région. Les données sur ces effectifs incluent les migrants de la partie européenne de l’ex-Union soviétique
qui vivent actuellement en Asie centrale. Au cours de la même période, on a enregistré une augmentation du
nombre des Africains, l’autre groupe important de migrants en Asie.
70 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Figure 5. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Asie, 1990-2020
Migrants à destination de l’Asie Migrants à l’intérieur de l’Asie Migrants en provenance de l’Asie
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
0
20
40
60
Année
Population de migrants (millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
Source : DESA, 2021.
Note : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de
migrants internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de l’Asie » sont les
migrants qui résident dans la région (Asie) mais sont nés dans l’une des autres régions (Europe ou
Afrique par exemple). Les «migrants à l’intérieur de l’Asie » sont des migrants nés dans la région (Asie)
qui résident hors de leur pays de naissance, mais toujours en Asie. Les «migrants en provenance de
l’Asie » sont des personnes nées en Asie qui résident hors de la région (en Europe ou en Amérique
du Nord, par exemple).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 71
En Asie, la répartition de femmes et d’hommes migrants dans les 10 premiers pays de destination et d’origine est
beaucoup plus variable qu’en Afrique. Parmi les principaux pays de destination, les pays du Golfe – notamment
les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Koweït – comptent une proportion beaucoup plus importante
d’immigrants de sexe masculin que de sexe féminin. La Malaisie est le seul pays ne faisant pas partie du Golfe où la
proportion d’hommes immigrés est nettement plus élevée que celle des femmes. L’Inde, quant à elle, compte une
proportion de femmes immigrées légèrement supérieure à celle des hommes immigrés. Parmi les 10 premiers pays
d’origine en Asie, presque tous – à l’exception de la Chine, des Philippines et du Kazakhstan – ont une proportion
plus élevée de migrants de sexe masculin que de migrants de sexe féminin. L’Inde, le Bangladesh et le Pakistan
figurent parmi les pays où la proportion de migrants masculins est significativement élevée.
Figure 6. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Asie, selon le sexe*
Koweït
Pakistan
Jordanie
Malaysia
Thaïlande
Kazakhstan
Inde
Türkiye
Émirats arabes unis
Arabie saoudite
Territoire palestinien
occupé
Kazakhstan
Indonésie
Afghanistan
Philippines
Pakistan
Bangladesh
République arabe syrienne
Chine
Inde
Sexe
Femmes
Hommes
Immigrants Émigrants
0 % 25 % 50 % 75 % 100 % 0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Source : DESA, 2021.
Note : Les proportions s’entendent de la part de femmes ou d’hommes dans le nombre total d’immigrants
dans les pays de destination (à gauche) ou d’émigrants au départ des pays d’origine (à droite).
*
Territoires inclus.
72 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Les déplacements internationaux à l’intérieur et au départ de l’Asie sont une caractéristique essentielle de la
région, comme le montre la figure 7. La République arabe syrienne est restée la principale source de réfugiés
dans le monde en 2022, avec plus de 6,5 millions de personnes déplacées au niveau international. La prise de
contrôle de l’Afghanistan par les Taliban en août 2021 a entraîné une augmentation significative des déplacements
transfrontières au départ du pays. En 2020 et 2021, ce sont respectivement 2,6 et 2,7 millions de réfugiés qui
sont partis d’Afghanistan ; à la fin de 2022, ce nombre avait plus que doublé pour atteindre près de 5,7 millions de
personnes, soit le deuxième plus grand nombre de réfugiés en Asie. Le Myanmar est à l’origine du troisième plus
grand flux de réfugiés en Asie, la plupart étant accueillis au Bangladesh voisin, où les Rohingyas ont trouvé refuge à
la suite des déplacements massifs de la fin 2017. Comme le montre également la figure 7, la Türkiye est restée le
plus grand pays d’accueil de réfugiés au monde (près de 3,6 millions). Les Syriens constituent la majorité des réfugiés
accueillis dans ce pays. La Türkiye est suivie par la République islamique d’Iran, où le nombre de réfugiés est passé
de près de 800 000 en 2021 à environ 3,4 millions en 2022, en raison de l’augmentation du nombre d’Afghans
déplacés. Le Pakistan, troisième pays d’accueil en Asie, a accueilli 1,7 million de réfugiés.
Figure 7. Dix premiers pays d’Asie classés selon le nombre total de réfugiés
et de demandeurs d’asile, 2022
Jordanie
Iraq
Liban
Bangladesh
Myanmar
Pakistan
Iran (République islamique d’)
Türkiye
Afghanistan
République arabe syrienne
6 4 2 0 2 4
Personnes (millions)
Lieu
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.a.
Note : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres
pays qui résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger »
comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors de
leur pays d’origine. Ce classement est établi à partir de données pour 2022, en combinant les
populations de réfugiés et de demandeurs d’asile qui se trouvent dans ces pays ou en sont
originaires.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 73
Contrairement à l’Afrique, les déplacements internes les plus importants en Asie ont été le résultat de catastrophes,
plutôt que de conflits et de violences. Le Pakistan, qui a connu des inondations graves et massives, a enregistré
en 2022 le plus grand nombre de déplacements dus à des catastrophes dans le monde (plus de 8 millions). Les
Philippines, qui ont surtout été touchées par la tempête tropicale Nalgae, arrivent en deuxième position avec près
de 5,5 millions, suivies par la Chine (plus de 3,6 millions). L’Inde et le Bangladesh ont également connu d’importants
déplacements dus à des catastrophes en 2022 (voir figure 8). Le Myanmar est le pays de la région qui a connu le
plus grand nombre de déplacements internes dus à un conflit en 2022 (plus d’un million). Il s’agit du chiffre le plus
élevé jamais enregistré dans ce pays, qui résulte de l’intensification du conflit entre l’armée et les groupes armés
non étatiques. Après le Kirghizistan, c’est au Myanmar que l’on trouve le plus grand nombre de déplacements liés
à un conflit en pourcentage de la population.
Figure 8. Vingt premiers pays d’Asie sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022
Millions Pourcentage de la population
8 6 4 2 0 5 2,5 0 2,5
Thaïlande
Cambodge
République de Corée
Iran (République islamique d’)
Japon
Iraq
Népal
Malaisie
Kirghizistan
République arabe syrienne
Afghanistan
Indonésie
Viet Nam
Yémen
Myanmar
Bangladesh
Inde
Chine
Philippines
Pakistan
Conit
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Note : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et non la population totale
de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du temps. Le nombre de nouveaux déplacements
inclut des personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et ne correspond pas au nombre de personnes déplacées
au cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus à des catastrophes et
à des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale dans le pays en 2021 établie par le DESA.
Le pourcentage est fourni à titre purement indicatif et comparatif.
74 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Principales caractéristiques et tendances en Asie98
Asie du Sud-Est
L’Asie du Sud-Est est l’une des sous-régions du monde les plus exposées aux catastrophes, avec des
millions de déplacements chaque année. Plusieurs pays de la sous-région sont situés le long de la ceinture de
typhons de la région ou de la ceinture de feu du Pacifique, ce qui rend les personnes qui y vivent extrêmement
vulnérables face aux risques auxquels les exposent les inondations et les tempêtes, les tsunamis et les tremblements
de terre, entre autres99. Entre 2020 et 2021, près de 31 % des déplacements liés à des catastrophes enregistrés
dans la région Asie Pacifique se sont produits en Asie du Sud-Est, les Philippines figurant parmi les pays les
plus touchés100. Fin 2022, on dénombrait plus de 500 000 personnes déplacées à l’intérieur des Philippines à la
suite de catastrophes101. Cette même année, ce sont plus de 5,4 millions de personnes qui ont été déplacées à
l’intérieur du pays en raison de catastrophes, soit le deuxième chiffre le plus élevé au monde après le Pakistan
(plus de 8 millions)102. Une grande partie de ces déplacements procédaient d’évacuations préventives menées par le
Gouvernement en réponse à des catastrophes telles que le typhon Muifa, la tempête tropicale Megi et la tempête
tropicale Nalgae103. Les habitants d’autres pays d’Asie du Sud-Est, comme le Viet Nam et l’Indonésie, sont également
exposés à de multiples aléas, l’ensemble du littoral vietnamien étant par exemple exposé à un risque élevé de
tempêtes et de cyclones. En 2022, on a dénombré respectivement plus de 350000 et plus de 300000 nouveaux
déplacements dus à des catastrophes au Viet Nam et en Indonésie104.
La migration de main-d’œuvre au départ et à l’intérieur de la sous-région est depuis longtemps un
élément clé de la dynamique migratoire en Asie du Sud-Est. Des pays de la sous-région, tels que la Thaïlande,
la Malaisie et Singapour, sont les principales destinations des travailleurs migrants de la sous-région. D’autres pays
en dehors de l’Asie du Sud-Est, notamment les États du CCG comme les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite,
sont également des destinations importantes, en particulier pour les migrants des Philippines105. Compte tenu de
l’importance de leur population émigrée, les Philippines se classent régulièrement parmi les premiers bénéficiaires
des envois de fonds internationaux au niveau mondial. On estime que les migrants philippins ont envoyé plus de 38
milliards de dollars É.-U. en 2022, ce qui les place au quatrième rang mondial et représente 9,4 % du PIB du pays106.
L’augmentation des envois de fonds vers les Philippines est en partie due à la récente levée de l’interdiction faite
aux Philippins de travailler en Arabie saoudite (décrétée en guise de protestation contre les mauvais traitements
de ses travailleurs migrants), ainsi qu’à l’augmentation de la demande de travailleurs philippins dans des secteurs
tels que l’hôtellerie et la santé dans les pays de l’OCDE107. Le Viet Nam – qui compte une importante population
d’émigrés dans la région et dans des pays tels que les États-Unis et le Royaume-Uni – reçoit également d’importants
transferts de fonds; les rentrées ainsi enregistrées dans le pays s’élevaient à environ 13 milliards de dollars É.-U. en
2022, ce qui en fait le deuxième pays destinataire de la sous région108.
La demande de travailleurs migrants dans les pays de destination, le chômage et le sous-emploi dans
les pays d’origine et les réseaux bien organisés de traite des migrants ont causé des flux importants de
migration irrégulière dans toute l’Asie du Sud-Est. Souvent liée à la migration de main-d’œuvre temporaire, la
migration irrégulière reste répandue dans la sous-région109. Des pays comme la Thaïlande et la Malaisie comptent
un grand nombre de travailleurs migrants en situation irrégulière110. Les passeurs exploitent les migrants désespérés
et utilisent les frontières terrestres des archipels et des régions éloignées pour saper les systèmes organisés de
migration de la sous-région, en offrant leurs services aux migrants dont les possibilités d’entrée régulière sont parfois
limitées. L’absence d’un système de protection internationale pleinement opérationnel dans la sous-région signifie
également que les personnes exploitées par les passeurs peuvent avoir besoin de protection ou avoir différentes
raisons de chercher à se déplacer de manière irrégulière111. La traite des personnes est également une réalité
omniprésente en Asie du Sud-Est, de nombreux migrants étant exposés à de multiples violations des droits de
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 75
l’homme112. L’Asie du Sud-Est reste la source du plus grand nombre de victimes de la traite en Asie113. Pour certains
travailleurs migrants, des facteurs tels que « le sexe, l’appartenance ethnique, l’âge et la situation géographique » les
rendent particulièrement vulnérables à la traite, au travail forcé et à d’autres formes d’exploitation114. Au niveau
mondial, les migrants de sexe féminin forment la majeure partie des victimes de la traite aux fins d’exploitation
sexuelle (près des deux tiers), dont environ 27 % de filles115. Les hommes représentent environ 10 % des victimes
de l’exploitation sexuelle dans le monde, la plupart d’entre eux ayant été signalés en Asie du Sud-Est116. Plusieurs
pays d’Asie du Sud-Est, dont le Brunéi Darussalam, le Cambodge, le Viet Nam et le Myanmar, sont classés au
niveau 3 dans le rapport sur la traite des personnes 2022 du Département d’État des États-Unis, ce qui signifie
que leurs gouvernements « ne respectent pas pleinement les normes minimales de la loi de 2000 sur la protection
des victimes de la traite et ne font pas d’efforts significatifs pour y parvenir »117.
De nombreux migrants vulnérables de la sous-région, en particulier les Rohingyas, entreprennent de
plus en plus des voyages risqués en quête de protection et pour fuir les conditions de vie dégradées
dans les camps. On estime que 3500 Rohingyas se sont embarqués pour des traversées en mer en 2022, à la
fois dans le golfe du Bengale et dans la mer d’Andaman, un chiffre nettement en hausse par rapport à l’année
précédente, où ils avaient été moins de 1000 à le faire118. Certaines de ces traversées ont été meurtrières et en
décembre 2022, par exemple, un bateau ayant près de 200 Rohingya à son bord aurait coulé119. Avec près de
350 morts ou disparus en mer, 2022 aura été l’une des années les plus meurtrières depuis 2014120. Un grand
nombre de personnes à bord de ces bateaux étaient des femmes et des enfants121. Nombre de Rohingyas, dont
ceux qui vivent au Bangladesh – lequel accueille la plus grande population de Rohingyas déplacés – aspirent à
partir pour toutes sortes de raisons, notamment la dégradation des conditions de vie dans le camp surpeuplé de
Kutupalong (le plus grand camp de réfugiés au monde), le manque d’opportunités d’emploi et l’augmentation de la
criminalité et de la violence122. Depuis plusieurs décennies, les Rohingyas subissent des persécutions, des violences
et des discriminations. Celles-ci ont culminé en 2017, année qui a vu un nombre record de Birmans de cette
communauté fuir vers le Bangladesh (plus de 700000) en raison des violences qui leur étaient systématiquement
infligées dans la province de Rakhine au Myanmar123. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est prévu de renvoyer
certains Rohingyas du Bangladesh vers le Myanmar dans le cadre d’un projet pilote entre les deux gouvernements124.
Il ressort cependant de plusieurs rapports que de nombreux Rohingyas ne veulent pas retourner dans l’État de
Rakhine dans les conditions actuelles, qu’ils jugent dangereuses et indignes125 ; les agences des Nations Unies et
certaines organisations non gouvernementales se sont également inquiétées du fait que les conditions régnant dans
l’État de Rakhine restaient peu propices à un retour durable des réfugiés rohingya126.
Asie du Sud
La sous-région a connu des catastrophes dévastatrices ces dernières années, dont certaines étaient liées
au changement climatique. L’Asie du Sud est extrêmement vulnérable aux chocs climatiques et a connu ces
dernières années des événements météorologiques extrêmes tels que des vagues de chaleur et des inondations.
Les longues saisons de mousson, une chaleur plus intense et des sécheresses accrues devraient devenir la « nouvelle
norme » dans la sous région à mesure que les températures continueront d’augmenter127. En 2022, des pays comme
l’Inde et le Pakistan ont connu des vagues de chaleur record et, la même année, les inondations de la mousson ont
laissé derrière elles une marée de destructions, en particulier au Pakistan. Dans ce pays, les inondations de 2022
– parmi les plus meurtrières de l’histoire du pays – ont fait près de 1700 morts et plus de 8 millions de déplacés128.
D’autres pays, comme le Bangladesh – en raison de sa situation géographique et de sa topographie de basse
altitude – ont également subi le poids des phénomènes météorologiques extrêmes, avec des milliers de personnes
déplacées chaque année du fait des catastrophes. Les inondations record qui ont frappé le Bangladesh en 2022
– parmi les pires depuis 100 ans – ont fait des dizaines de morts129. Pour la seule année 2022, les catastrophes ont
causé plus de 1,5 million de déplacements au Bangladesh130.
76 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Avec un très grand nombre de travailleurs migrants originaires de la sous-région, l’Asie du Sud reçoit
certains des plus importants flux de transferts de fonds au niveau mondial. Trois pays d’Asie du Sud se
classent parmi les 10 premiers bénéficiaires des envois de fonds internationaux dans le monde, ce qui souligne
l’importance de la migration de main-d’œuvre en provenance de la sous-région. Avec un montant estimé à plus de
111 milliards de dollars É.-U. en 2022, l’Inde est de loin le plus grand bénéficiaire d’envois de fonds internationaux
au monde et le premier pays à avoir jamais atteint ce chiffre131. Elle est également le pays d’origine du plus grand
nombre de migrants internationaux au monde (près de 18 millions), avec d’importantes diasporas vivant dans
des pays tels que les Émirats arabes unis, les États-Unis et l’Arabie saoudite132. Le Pakistan et le Bangladesh, qui
étaient les sixième et huitième principaux bénéficiaires de transferts de fonds internationaux en 2022 (près de
30 milliards et environ 21,5 milliards, respectivement), ont également une part importante de leur population vivant
à l’étranger pour le travail, en particulier dans les États du CCG133. Les transferts de fonds internationaux sont
également importants pour des pays comme le Népal, où ils représentent près de 23 % du PIB national134. Alors
que les transferts de fonds restent une bouée de sauvetage pour de nombreuses personnes dans la sous-région, les
travailleurs migrants de ces pays restent confrontés à une multitude de risques, notamment l’exploitation financière,
l’endettement financier excessif dû aux coûts de la migration, la xénophobie et la maltraitance sur le lieu de travail135.
Des années d’instabilité politique et de conflit en Asie du Sud ont entraîné d’importants déplacements
de population, les pays de la sous-région étant à la fois l’origine et la destination d’un des plus grands
nombres de personnes déplacées au monde. Des millions d’Afghans sont déplacés à l’intérieur du pays ou ont
fui leur pays au fil des ans. Plus de 4 millions d’Afghans étaient des déplacés internes à la fin de l’année 2022136.
La plupart des réfugiés du pays sont accueillis dans les pays voisins, en particulier au Pakistan et en République
islamique d’Iran. Fin 2022, le Pakistan accueillait le quatrième plus grand nombre de réfugiés au monde (plus de
1,7 million), la plupart d’entre eux étant des Afghans137. À la fin de la même année, la République islamique d’Iran
accueillait plus de 3,4 millions de réfugiés, la grande majorité venant également d’Afghanistan138. L’Afghanistan est
actuellement confronté à l’une des plus graves crises humanitaires au monde, 95 % des Afghans n’étant pas en
mesure de se procurer suffisamment de nourriture139. De nombreux habitants fuient également par crainte du
maintien à long terme du régime taliban, redoutant notamment les restrictions imposées aux femmes et aux jeunes
filles, telles que l’interdiction pour les filles de fréquenter l’école secondaire et pour les femmes de travailler140.
Malgré la persistance de ces risques, le Pakistan a annoncé en octobre 2023 que les Afghans sans papiers devaient
quitter le pays avant le 1er novembre 2023, sous peine d’être expulsés141. Cette annonce a incité l’OIM et le HCR
à publier une déclaration appelant le Pakistan à « continuer à protéger tous les Afghans vulnérables qui ont cherché
la sécurité dans le pays et qui pourraient courir un risque imminent s’ils étaient forcés de rentrer »142. Fin octobre
2023, plus de 100000 Afghans avaient quitté le pays, la plupart d’entre eux citant la crainte d’être arrêtés comme
raison de leur départ du Pakistan143. Un autre pays de la sous-région, le Bangladesh, accueille lui aussi un grand
nombre de réfugiés. Fin 2021, le Bangladesh figurait parmi les 10 premiers pays d’accueil de réfugiés dans le monde,
la plupart d’entre eux étant des Rohingyas ayant fui le Myanmar144.
Asie de l’Est
Alors que les populations d’Asie de l’Est continuent de décliner et connaissent d’importantes pénuries
de main-d’œuvre, certains pays se tournent de plus en plus vers les travailleurs migrants. La crise
démographique de la République de Corée s’est aggravée en 2022, son taux de natalité étant tombé à son niveau
le plus bas depuis le début des relevés145. Avec une moyenne de 0,78 enfant par femme, il s’agit également du taux
de natalité le plus bas au monde146. Le Japon a également connu un déclin de sa population au cours des dernières
décennies, les naissances tombant à moins de 800000 en 2022 – également le niveau le plus bas jamais enregistré147.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 77
Ce pays est en outre confronté au vieillissement de sa population et à la diminution de sa main-d’œuvre. Pour la
première fois depuis 1961, la population de la Chine a reculé en 2022, tandis que son taux de natalité a également
continué à baisser148. Ces changements démographiques, y compris le déclin rapide des populations en âge de
travailler, en particulier en République de Corée et au Japon, ont suscité l’inquiétude des décideurs politiques, les
incitant à adopter une série de mesures pour renforcer leur main-d’œuvre – dont celle de recourir davantage à
l’immigration149. Par souci de combler les lacunes dans des secteurs clés tels que l’agriculture, la République de
Corée a annoncé vers la fin de l’année 2022 qu’elle prévoyait de faire venir environ 110 000 travailleurs migrants en
- Le Japon continue également à autoriser lentement l’entrée de travailleurs étrangers dans des secteurs clés,
notamment par le biais d’un programme qu’il a récemment annoncé, ciblant certains types de travailleurs qualifiés,
lequel implique notamment des mémorandums de coopération avec 14 pays asiatiques151.
Certaines parties de l’Asie de l’Est sont des points critiques quant au risque de catastrophes (inondations,
tsunamis et tremblements de terre), et la sous-région a connu de ce fait certains des déplacements de
population les plus importants au cours de la dernière décennie. En 2022, la Chine a enregistré 3,6 millions
de déplacements dus à des catastrophes internes, soit le deuxième chiffre le plus élevé au niveau mondial152. Quant
au Japon, comme son territoire s’étend sur trois plaques tectoniques, il est fréquemment exposé aux éruptions
volcaniques, aux tremblements de terre, aux tsunamis et aux typhons, entre autres catastrophes. Le Japon a
enregistré 51 000 déplacements dus à des catastrophes en 2022, un chiffre en hausse par rapport à celui de
14 000 enregistré en 2021153. Pour certains observateurs, les catastrophes récurrentes du pays ont été exacerbées
par les changements qu’ont subi le climat et l’environnement154. La gestion bien rodée des risques de catastrophe
au Japon a toutefois permis de réduire efficacement l’ampleur des déplacements déclenchés par les catastrophes155.
L’Asie de l’Est compte l’une des plus grandes diasporas au monde et continue de recevoir d’importants
envois de fonds. Avec plus de 10 millions d’émigrants, la Chine reste l’un des plus grands destinataires d’envois
de fonds internationaux au monde156. Les envois de fonds vers le pays ont toutefois diminué au cours des deux
dernières années. Le Mexique a dépassé la Chine en tant que deuxième plus grand destinataire d’envois de fonds
internationaux au monde (après l’Inde) en 2021, et cela s’est poursuivi en 2022, la Chine ayant reçu selon les
estimations 51 milliards de dollars, derrière les plus de 61 milliards de dollars du Mexique157. La contraction des
envois de fonds vers la Chine a été attribuée à de multiples facteurs, notamment les changements démographiques
qui ont entraîné une diminution de la population en âge de travailler et la politique zéro COVID du pays, qui a
empêché les gens de voyager à l’étranger pour travailler158.
La pandémie de COVID-19 a eu un impact majeur sur le nombre d’étudiants internationaux en provenance
et à destination de l’Asie de l’Est, même si plusieurs pays de la sous-région restent déterminés à devenir
des destinations clés pour les étudiants internationaux. Même si la Chine continue d’être le pays d’origine du
plus grand nombre d’étudiants internationaux au monde, les chiffres de cette émigration ont chuté depuis la crise
de la COVID-19159. En 2020-2021, par exemple, les inscriptions d’étudiants chinois aux États-Unis ont diminué
de 15 % (la première baisse en une décennie), tandis que les inscriptions au Royaume-Uni ont chuté de 5 %160.
Cependant, depuis la réouverture du pays, il semble y avoir un regain d’intérêt pour les études à l’étranger, et les
étudiants chinois se concentreraient apparemment sur le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada161. La Chine est
également une destination importante pour les étudiants étrangers, en particulier ceux de la République de Corée,
de la Thaïlande, du Pakistan et de l’Inde162. Le Japon et la République de Corée restent également attachés à attirer
chez eux les étudiants étrangers, et en plus grand nombre163. Dans une récente proposition gouvernementale, le
Japon a annoncé son objectif d’attirer 400 000 étudiants étrangers d’ici 2033, tout en envoyant 500 000 étudiants
japonais étudier à l’étranger164.
78 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Moyen-Orient
Le Moyen-Orient reste l’une des principales régions d’origine des réfugiés et des demandeurs d’asile,
tout en accueillant certaines des plus importantes populations de déplacés internes dans le monde.
Fin 2022, la Türkiye accueillait près de 3,6 millions de réfugiés, un chiffre qu’aucun autre pays dans le monde
n’a atteint165. D’autres pays de la sous-région, comme le Liban et la Jordanie, accueillent également un grand
nombre de réfugiés par rapport à leur population. Fin 2022, une personne sur sept et une personne sur seize
résidant respectivement au Liban et en Jordanie étaient des réfugiés ou d’autres personnes en quête de protection
internationale166. En outre, le Moyen-Orient continue d’être le point de départ de millions de personnes en quête
de protection. En 2002, la République arabe syrienne était ainsi à l’origine d’environ 6,5 millions de réfugiés167.
Bien que le nombre de réfugiés syriens ait diminué au cours des six premiers mois de 2022, pour la première
fois depuis 2011, près d’un réfugié sur cinq dans le monde est syrien168. Malgré cette diminution, on observe une
augmentation de la xénophobie et des attaques racistes à l’encontre des réfugiés syriens, y compris dans des pays
tels que la Türkiye et le Liban169. Une montée du sentiment anti-immigrant, dans le climat de crise économique
croissante qu’ont connu récemment la Türkiye et le Liban, s’est ainsi traduite par des agressions racistes à l’encontre
des migrants syriens170. La désinformation sur les migrants, encouragée par la rhétorique incendiaire des partis
nationalistes d’extrême droite, a joué un rôle important dans les récentes attaques171. Entre-temps, en février 2023,
le sud-est de la Türkiye et le nord de la République arabe syrienne ont subi deux puissants tremblements de terre,
qui ont fait plus de 50 000 morts172. En mars de la même année, on estimait que 2,7 millions de personnes avaient
été déplacées en Türkiye et que de nombreuses personnes s’étaient retrouvées sans abri en République arabe
syrienne173. Le tremblement de terre est l’une des plus grandes catastrophes à avoir touché la région ces derniers
temps; dans le nord-est de la République arabe syrienne, qui était déjà confrontée à une crise humanitaire aiguë
en raison d’années de conflit, le tremblement de terre a exacerbé une situation qui était déjà désastreuse pour de
nombreuses personnes174.
Les conflits récents et prolongés et la violence sont les principaux facteurs de déplacement dans la
sous-région. Dans le territoire palestinien occupé, les hostilités ont entraîné d’importants déplacements et une
crise humanitaire aiguë. En réponse aux groupes armés de Gaza qui ont tué ou blessé des milliers d’Israéliens
(et pris de nombreux otages) lors des attaques du 7 octobre 2023, Israël a déclaré un «état de guerre », ce qui
a entraîné le bombardement intensif de Gaza175. Fin octobre 2023, plus d’un million de personnes à Gaza étaient
déplacées à l’intérieur des frontières tandis que des milliers d’autres avaient perdu la vie à la suite du conflit176.
Entre-temps, la guerre au Yémen, qui en est à sa neuvième année, n’a pas cessé, entraînant l’une des plus grandes
crises humanitaires au monde. On estime que les deux tiers de la population dépendent de l’aide humanitaire,
dont 4,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières177. Malgré la crise humanitaire qu’il traverse, le
Yémen reste un point de transit essentiel, en particulier pour les migrants de la Corne de l’Afrique qui se rendent
dans les pays voisins du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et Oman. La plupart de ces migrants – qui fuient
souvent la pauvreté, la persécution, l’insécurité et les conflits, entre autres – sont originaires d’Éthiopie. Les migrants
passent par Djibouti et la Somalie avant de rejoindre le Yémen par la mer et l’Arabie saoudite par la terre178. Un
grand nombre de ces migrants s’exposent ainsi à des risques extrêmes, à la fois sur leur route et à leur arrivée au
Yémen ; ils sont notamment en butte aux violences et à l’exploitation et sont plongés dans des conditions de vie
d’un dénuement extrême179. La majorité des décès survenus le long des routes terrestres au Moyen-Orient en 2022
ont eu lieu au Yémen, près de 800 personnes (principalement des Éthiopiens) ayant perdu la vie sur la route entre
le Yémen et l’Arabie saoudite180. Il y a également eu des migrations irrégulières dans la direction opposée, avec des
Yéménites qui, ces dernières années, ont fui la guerre vers des pays tels que Djibouti et des retours spontanés de
migrants du Yémen vers la Corne de l’Afrique181. Certains migrants qui parviennent à atteindre des destinations
telles que l’Arabie Saoudite ou Oman se retrouvent renvoyés de force au Yémen. Entre janvier et avril 2023, plus
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 79
de 300 migrants (pour la plupart des Éthiopiens) ont été expulsés d’Oman vers le Yémen182. La République arabe
syrienne comptait en 2022 plus de 6,8 millions de personnes déplacées par les conflits et la violence183. La crise
qui dure depuis 12 ans a fait des ravages et, en mai 2023, plus de 15 millions de Syriens étaient dépendants de
l’aide humanitaire184. D’autres pays de la région, comme l’Iraq, ont également continué à connaître des flambées de
violence, tandis que les violences intercommunautaires ont entraîné le déplacement de nombreuses personnes au
Liban185. D’autre part, avec la détérioration de la situation économique au Liban, un nombre croissant de Libanais
quittent le pays et s’embarquent pour des voyages risqués en mer. Sur les quelque 380 décès enregistrés sur la
route de la Méditerranée orientale en 2022, plus de 170 étaient la conséquence de naufrages survenus après le
départ du Liban186.
Les États du Golfe restent des destinations importantes pour les travailleurs migrants du monde entier,
et la Coupe du monde de football de 2022 a encore souligné l’importance de la main-d’œuvre immigrée
pour la sous-région, tout en mettant en évidence les violations des droits de l’homme qui entachent
le monde du travail. Les migrants continuent de former une part importante de la population totale dans de
nombreux États du CCG. Aux Émirats arabes unis, au Koweït et au Qatar, les migrants représentaient respectivement
88 %, près de 73 % et 77 % de la population nationale. La plupart des migrants – dont beaucoup viennent de pays
comme l’Inde, l’Égypte, le Bangladesh, l’Éthiopie et le Kenya – travaillent dans des secteurs tels que la construction,
l’hôtellerie, la sécurité, les travaux domestiques et le commerce de détail. Plusieurs pays du Golfe figurent parmi les
principales sources de transferts de fonds au niveau mondial. L’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar, par exemple,
ont enregistré des sorties de fonds d’environ 39 milliards de dollars É.-U., d’environ 18 milliards de dollars et de
plus de 12 milliards de dollars É.-U. respectivement, ce qui les place sur ce plan parmi les 20 premiers pays du
monde187. La migration de main-d’œuvre vers le Golfe est fortement différenciée selon le sexe et, en 2019, seuls
4 % environ des travailleuses migrantes du monde entier vivaient dans les États arabes, contre 20 % environ des
travailleurs migrants de sexe masculin188.
Asie centrale
L’Asie centrale continue de recevoir d’importants transferts de fonds internationaux, en dépit
d’événements récents tels que l’invasion massive de l’Ukraine par la Fédération de Russie. Plusieurs
pays d’Asie centrale sont fortement tributaires des envois de fonds en provenance de la Fédération de Russie,
compte tenu des liens historiques entre les pays et du grand nombre de travailleurs originaires de pays tels que le
Tadjikistan et l’Ouzbékistan, qui travaillent en Fédération de Russie, souvent dans des secteurs peu rémunérateurs
qui n’exigent pas un niveau d’éducation élevé189. La Fédération de Russie est une source importante de transferts
de fonds pour ces pays depuis des décennies, représentant plus de la moitié des flux vers des pays tels que le
Tadjikistan et l’Ouzbékistan190. Les transferts de fonds internationaux vers l’Asie centrale, défiant les projections liées
à la contraction anticipée de l’économie russe191, restent robustes, et les flux vers des pays tels que l’Ouzbékistan
et le Tadjikistan ont atteint des niveaux record en 2022. On estime que l’Ouzbékistan a reçu plus de 16,7 milliards
de dollars É.-U. en envois de fonds internationaux en 2022, tandis que ces envois ont représenté plus de 51 % et
31 % du PIB du Tadjikistan et du Kirghizistan, respectivement, au cours de la même année192.
80 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
L’invasion massive de l’Ukraine par la Fédération de Russie et la conscription militaire qui en a découlé en
2022 ont entraîné un afflux historique de Russes en Asie centrale. Afin d’éviter la conscription, des centaines
de milliers d’hommes russes ont fui le pays, dont beaucoup vers des États d’Asie centrale tels que le Kazakhstan,
l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Après l’annonce de la mobilisation partielle en septembre 2022, plus de 200 000
d’entre eux sont entrés au Kazakhstan en l’espace de quelques jours193. La proximité du Kazakhstan, l’absence
d’obligation de visa pour les Russes, l’importante minorité ethnique russe et le fait que le russe soit largement
parlé en font une destination idéale pour ceux qui fuient la Fédération de Russie194. Parmi les autres destinations
clés pour les Russes craignant la conscription, on peut citer l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, entre autres. En 2023,
cependant, le Kazakhstan a révisé ses règles d’entrée, rendant plus difficiles l’entrée et le séjour dans le pays, une
mesure qui aurait été prise en réponse à l’afflux de Russes dans le pays depuis septembre 2022195.
Si la Fédération de Russie reste la principale destination des travailleurs migrants d’Asie centrale, les
schémas de mobilité semblent évoluer, un nombre croissant de migrants de la sous-région se rendant
dans l’Union européenne et en Asie. Entre 2016 et 2019, le nombre de citoyens d’Asie centrale ayant obtenu
un permis d’étudier, de travailler ou de vivre dans l’Union européenne a augmenté de 14 %, tandis que les
migrants originaires de pays tels que l’Ouzbékistan et le Kazakhstan qui se sont rendus en République de Corée
ont augmenté de 92 %, passant de près de 10 800 à près de 20 700196. De plus en plus de ressortissants d’Asie
centrale s’installent en outre dans d’autres régions d’Asie, comme la Türkiye197. Avec l’invasion de l’Ukraine par la
Fédération de Russie et le ralentissement possible de son économie en raison des sanctions économiques, certains
prédisent que la tendance qui se dessine d’un accroissement des flux d’émigration des ressortissants de cette
sous-région à destination de pays autres que la Fédération de Russie ne peut que s’accélérer. L’Ouzbékistan, qui
tente déjà d’intéresser ses travailleurs migrants à d’autres pays de destination et a signé en 2022 un accord de
migration de main-d’œuvre avec Israël, a ouvert des négociations en 2023 avec des pays tels que l’Arabie saoudite
et le Royaume-Uni198.
Dans toute l’Asie centrale, le changement climatique continue de menacer la vie des habitants et leurs
moyens de subsistance et, dans certains cas, a été lié à l’escalade des tensions et des conflits ainsi
qu’aux déplacements de population dans la sous-région. Au cours des dernières décennies, l’Asie centrale s’est
réchauffée plus rapidement que la moyenne mondiale. Les climats de type désertique se sont également propagés
dans certaines parties de la sous-région199. En outre, on a constaté une diminution de la surface des glaciers en Asie
centrale depuis plusieurs décennies et la fonte des manteaux neigeux est partiellement responsable de catastrophes
telles que certains des récentes inondations et glissements de terrain200. Les ruptures et les effondrements de
barrages ont également contribué de manière significative aux inondations et aux déplacements de population qui
en ont résulté dans la sous-région. En outre, les sécheresses se sont aggravées ces dernières années, entraînant
des pénuries d’eau, y compris pour l’irrigation par exemple201. Les problèmes de gestion de l’eau aux frontières
– en particulier entre le Kirghizistan et le Tadjikistan – ont de plus en plus attisé les tensions et conduit à des
affrontements violents202. On a également signalé des affrontements violents entre agriculteurs dans les régions
de Namangan et de Surkhandarya, en Ouzbékistan, à propos des ressources en eau203. Mis à part le changement
climatique, la sous-région a également été témoin de déplacements liés aux conflits. En 2022, le Kirghizistan et le
Tadjikistan ont connu une crise majeure lorsque les tensions se sont aggravées et ont abouti à des affrontements
armés le long de la frontière contestée entre les deux pays204. Les violences ont causé des dizaines de morts et
la destruction de marchés, d’écoles et d’autres structures civiles205. Les affrontements ont également déclenché
166 000 déplacements du côté kirghize, soit plus du triple qu’en 2021206. On estime que 137 000 personnes au
Kirghizistan ont également été évacuées de la région méridionale de Batken207.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 81
Europe208
Les dernières données disponibles sur les populations de migrants internationaux (2020)209 montrent que près
de 87 millions de migrants internationaux vivaient en Europe, contre 75 millions en 2015, une hausse de près de
16 %. Un peu plus de la moitié d’entre eux (44 millions) sont nés en Europe, mais vivent ailleurs dans la région; ils
n’étaient encore que 38 millions en 2015. En 2020, la population de migrants non européens en Europe a atteint
plus de 40 millions de personnes
En 1990, le nombre d’Européens vivant hors d’Europe était à peu près égal à celui des non-Européens vivant
en Europe. Toutefois, contrairement à l’accroissement des flux migratoires à destination de l’Europe, le nombre
d’Européens vivant hors d’Europe a globalement diminué au cours des 30 dernières années, et n’a retrouvé son
niveau de 1990 que ces dernières années. En 2020, environ 19 millions d’Européens résidaient en dehors du
continent, principalement en Asie et en Amérique du Nord (voir figure 9). Comme le montre la figure ci-dessous, le
nombre de migrants européens en Asie et en Océanie a également augmenté progressivement entre 2010 et 2020.
Figure 9. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Europe 1990-2020
Migrants à destination de l’Europe Migrants à l’intérieur de l’Europe Migrants en provenance de l’Europe
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
0
10
20
30
40
Année
Population de migrants (millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de migrants
internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de l’Europe » s’entendent des
migrants résidant en Europe qui sont nés dans une autre région (Afrique ou Asie par exemple). Les
«migrants à l’intérieur de l’Europe » sont des migrants nés dans en Europe qui résident hors de leur
pays de naissance, mais dans la région. Les «migrants en provenance de l’Europe » sont des personnes
nées en Europe qui résident hors de la région (par exemple en Amérique latine et aux Caraïbes ou
en Amérique du Nord).
82 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
En Europe, la répartition des migrants des deux sexes est à peu près égale dans les 10 premiers pays de destination
et d’origine. Contrairement à l’Afrique et à l’Asie, où la plupart des pays ont une proportion d’hommes migrants
légèrement supérieure à celle des femmes, l’Europe compte davantage de pays ayant une proportion de migrants
de sexe féminin légèrement supérieure à celle des migrants de sexe masculin (à la fois dans les principaux pays de
destination et d’origine). Parmi les pays de destination, l’Ukraine présente une proportion de femmes immigrées
nettement supérieure à celle des hommes par rapport aux autres pays européens. La Fédération de Russie et
l’Ukraine ont également la plus forte proportion d’émigrantes parmi les pays d’origine où la proportion d’émigrantes
est supérieure à celle des hommes. L’Italie et le Portugal sont les deux seuls pays d’origine où la proportion de
migrants de sexe masculin est plus importante que celle des migrants de sexe féminin.
Figure 10. Dix premiers pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Europe,
selon le sexe
Belgique
Royaume des Pays-Bas
Suisse
Ukraine
Italie
Espagne
France
Royaume-Uni
Fédération de Russie
Allemagne
Bosnie-Herzégovine
Portugal
France
Italie
Allemagne
Roumanie
Royaume-Uni
Pologne
Ukraine
Fédération de Russie
Sexe
Femmes
Hommes
Immigrants Émigrants
0 % 25 % 50 % 75 % 100 % 0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Source : DESA, 2021.
Note : Les proportions s’entendent de la part de femmes ou d’hommes dans le nombre total d’immigrants
dans les pays de destination (à gauche) ou d’émigrants au départ des pays d’origine (à droite).
L’invasion massive de l’Ukraine par la Fédération de Russie en février 2022 a entraîné l’un des déplacements les
plus importants et les plus rapides en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Des millions d’Ukrainiens ont
été déplacés vers les pays voisins et, à la fin de 2022, l’Ukraine était à l’origine de près de 5,7 millions de réfugiés,
soit la deuxième source la plus importante au monde après la République arabe syrienne (figure 11). Près de
2,6 millions d’Ukrainiens ont été accueillis dans des pays voisins tels que la Pologne, la République de Moldova
et la Tchéquie, et 3 millions d’autres dans d’autres pays européens ou plus éloignés. L’Allemagne accueille le plus
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 83
grand nombre de réfugiés en Europe (environ 2 millions), soit 7 % de l’ensemble des réfugiés dans le monde. La
plupart des réfugiés présents en Allemagne à la fin de l’année 2022 provenaient d’Ukraine et de la République
arabe syrienne. La Fédération de Russie, la Pologne et la France accueillent les deuxième, troisième et quatrième
plus grandes populations de réfugiés dans la région.
Figure 11. Dix premiers pays d’Europe classés selon le nombre total de réfugiés
et de demandeurs d’asile, 2022
Autriche
Italie
Tchéquie
Espagne
Royaume-Uni
France
Pologne
Fédération de Russie
Allemagne
Ukraine
6 4 2 0 2
Personnes (millions)
Lieu
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.
Note : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres
pays qui résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger »
comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors
de leur pays d’origine. Ce classement est établi à partir de données pour 2022, en combinant
les populations de réfugiés et de demandeurs d’asile qui se trouvent dans ces pays ou en sont
originaires.
En 2022, l’Ukraine a enregistré le plus grand nombre de déplacements liés à un conflit interne dans le monde,
suite à l’invasion massive de la Fédération de Russie. Près de 17 millions de déplacements (environ 40 % de la
population du pays) ont été enregistrés en Ukraine à la fin de l’année 2022, le chiffre le plus élevé que le pays
ait jamais enregistré (voir figure 12). Le nombre massif de déplacements liés au conflit en Ukraine en 2022 était
également le plus élevé au monde. Les plus grands déplacements dus à des catastrophes en Europe ont eu lieu en
France (45000) et en Espagne (31000); dans ces deux pays, ces déplacements ont été en grande partie déclenchés
par des incendies de forêt.
84 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Figure 12. Vingt premiers pays d’Europe sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022
Millions Pourcentage de population
0 5 10 15 0 10 20 30 40
Islande
Suisse
Bosnie-Herzégovine
Croatie
Belgique
Kosovo sous administration des Nations Unies
(résolution 1244 du Conseil de sécurité)
Roumanie
Norvège
Albanie
Slovénie
Allemagne
Grèce
Bulgarie
Royaume-Uni
Italie
Portugal
Fédération de Russie
Espagne
France
Ukraine
Conit
Catastrophe
Millions Pourcentage de la population
0,04 0,03 0,02 0,01 0 0,06 0,04 0,02 0
Islande
Suisse
Bosnie-Herzégovine
Croatie
Belgique
Kosovo sous administration des Nations Unies
(résolution 1244 du Conseil de sécurité)
Roumanie
Norvège
Albanie
Slovénie
Allemagne
Grèce
Bulgarie
Royaume-Uni
Italie
Portugal
Fédération de Russie
Espagne
France
Conit
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Notes : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et non
la population totale de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du temps. Le
nombre de nouveaux déplacements inclut des personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et
ne correspond pas au nombre de personnes déplacées au cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus à des
catastrophes et à des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale dans le pays
en 2021 établie par le DESA. Le pourcentage est fourni à titre purement indicatif et comparatif.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 85
Principales caractéristiques et tendances en Europe210
Europe du Sud-Est et de l’Est
L’invasion massive de l’Ukraine par la Fédération de Russie, qui a débuté en février 2022, a entraîné le
plus grand déplacement de population en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Outre les civils qui
ont été blessés ou tués depuis le début de la guerre – plus de 8 000 morts et plus de 14 000 blessés au 9 avril 2023
– des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine, tandis que d’autres ont été contraintes de
fuir le pays en quête de sécurité et de protection211. En avril 2023, plus de 8 millions de réfugiés d’Ukraine avaient
été enregistrés à travers l’Europe, tandis que près de 6 millions de personnes avaient été déplacées à l’intérieur
de l’Ukraine à la fin de l’année 2022212. La plupart des réfugiés ont fui vers les pays voisins tels que la Pologne, la
Tchéquie, la Bulgarie et la Roumanie213. En avril 2023, on comptait plus de 1,5 million de réfugiés ukrainiens en
Pologne214. La grande majorité des réfugiés ukrainiens sont des femmes et des enfants, car les hommes âgés de
18 à 60 ans sont tenus de rester dans le pays et de se battre. Alors que la guerre se poursuit, la situation en
Ukraine reste désastreuse pour beaucoup, notamment pour ceux qui restent sous la menace des combats, tout
en devant faire face à des coupures d’eau, d’électricité et de chauffage et à l’interruption de services essentiels,
comme les soins médicaux215.
En raison principalement de l’absence de perspectives d’emploi décentes et de la recherche d’emplois
mieux rémunérés, de nombreuses personnes ont quitté la sous-région, souvent pour aller travailler en
Europe occidentale et septentrionale. Des pays comme l’Albanie et la République de Moldova sont parmi les
plus durement touchés; on estime par exemple qu’environ 40 % de la main-d’œuvre albanaise travaille à l’étranger216,
ce qui contribue à la fuite des cerveaux et des compétences et exerce une pression sur les industries et l’économie
locale qui perdent constamment des travailleurs dans les secteurs à la fois peu qualifiés et très qualifiés. Les taux
élevés de pauvreté, les écarts de salaires entre l’Albanie et les autres pays de la région, la corruption importante et
le clientélisme, entre autres facteurs, contribuent à la décision des gens de quitter le pays217. Une tendance similaire
peut être observée en République de Moldova, puisqu’environ un quart de sa population « économiquement active »
travaille en dehors du pays218. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, qui a entraîné
une crise du coût de la vie dans le monde entier, y compris dans les pays de la sous-région, a forcé encore plus
de Moldaves à quitter le pays219. D’autres pays comme la Bulgarie et la Serbie ne font pas exception et continuent
de voir partir de nombreux jeunes220. Si beaucoup de ceux qui partent sont des travailleurs migrants réguliers qui
finissent par travailler en Fédération de Russie ou dans des pays d’Europe occidentale et septentrionale, on constate
également une augmentation du nombre de migrants irréguliers en provenance de certains pays de la sous-région.
Des milliers de jeunes Albanais, par exemple, se lancent dans un voyage difficile pour tenter d’atteindre l’Europe
du Nord, en particulier le Royaume-Uni, beaucoup risquant leur vie en traversant la Manche à bord de petites
embarcations ou de canots pneumatiques221.
Alors que de nombreuses régions du monde connaissent une baisse de leur population, les pays de
la sous région sont parmi les plus touchés, ce qui suscite des inquiétudes et des discussions sur les
politiques d’immigration. En raison de taux de fécondité durablement bas et de taux d’émigration élevés, de
nombreux pays doivent faire face à une diminution de leur population, ce qui entraîne des pénuries de maind’œuvre, y compris dans des secteurs clés, avec des conséquences importantes à court et à long terme pour leur
économie. Ces réalités ont également exercé une pression sur les systèmes de retraite de ces pays. Plusieurs des
pays concernés, dont la Pologne, la Serbie, l’Ukraine et la Bulgarie, font partie de ceux dont la population devrait
86 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
diminuer de 20 % ou plus au cours des trois prochaines décennies222. L’immigration est depuis longtemps un moyen
dont se servent les pays – en particulier ceux d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord et d’Australie – pour
réduire les effets économiques et sociaux de la baisse des taux de natalité et du vieillissement de la population.
Bien qu’il soit largement reconnu que l’immigration est importante pour lutter contre les effets négatifs du déclin
démographique dans plusieurs pays d’Europe du Sud-Est et de l’Est, l’approche a surtout consisté à mettre l’accent
sur l’accroissement du taux de natalité (notamment par des incitations financières). L’immigration est souvent
considérée avec méfiance et, dans plusieurs pays, elle est même freinée par des politiques d’immigration restrictives
et par une rhétorique politique visant à décourager les migrants d’entrer ou de s’installer223.
La migration irrégulière en provenance, à destination et à l’intérieur de l’Europe du Sud-Est et de l’Est, y
compris par des personnes de l’intérieur et de l’extérieur de la sous-région, reste un défi majeur. En raison,
souvent, de l’activité des passeurs, la sous-région est une zone de transit importante et se caractérise par des flux
migratoires mixtes, en particulier pour les migrants qui tentent d’atteindre l’Europe occidentale et septentrionale.
Quant à la route des Balkans occidentaux, qui alimente les arrivées irrégulières dans l’Union européenne en
provenance de cette aire géographique, notamment via des pays comme l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la
Serbie, entre autres pays de la sous-région, elle est responsable d’une augmentation des arrivées depuis 2018224.
La Serbie reste la principale plaque tournante du transit, avec près de 121 000 enregistrements en 2022225. Une
fois arrivés dans les Balkans occidentaux, les migrants empruntent le plus souvent les itinéraires qui passent
par la Macédoine du Nord et la Serbie, puis par la frontière hongroise pour tenter d’entrer directement dans
l’Union européenne226. Les trois principales nationalités arrivant dans les Balkans sont les Afghans, les Syriens et les
Pakistanais227. La période de transit des migrants passant par les Balkans occidentaux a été plus courte en 2022,
nombre d’entre eux ayant passé moins de jours dans chaque pays que les années précédentes228. D’autres pays
non balkaniques de la sous-région, comme le Bélarus, ont également été ces dernières années des zones de transit
pour les migrants tentant d’atteindre l’Union européenne, certains observateurs soulignant l’utilisation des migrants
en situation irrégulière comme arme politique et moyen de pression (ce que l’on appelle l’« instrumentalisation »
des migrants)229.
Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud
En mars 2022, à la suite de l’invasion massive de l’Ukraine par la Fédération de Russie et du déplacement
consécutif de millions d’Ukrainiens, l’Union européenne a pris la décision sans précédent d’activer une
directive de protection temporaire (DPT), accordant aux Ukrainiens fuyant la guerre un statut juridique
qui leur permet d’accéder à un large éventail de droits dans les États membres de l’Union européenne.
La directive garantit les mêmes droits et services socio-économiques à ceux qui bénéficient d’un statut juridique
en vertu de la DPT dans tous les États membres de l’Union européenne, tels que l’accès aux soins médicaux, au
logement, au travail, à la libre circulation et à l’éducation230. Dans certains cas, les Ukrainiens déplacés ont opté pour
un État membre où ils pouvaient demander une protection temporaire, sur la base de leurs réseaux existants231.
Les Ukrainiens au bénéfice de la DPT peuvent également se rendre en Ukraine s’ils le souhaitent232. Des inquiétudes
ont toutefois été exprimées quant au manque de clarté de la formulation de certains points de la Directive, qui
entraîne des complications pour certains Ukrainiens, en particulier lorsqu’il s’agit pour eux de conserver leur statut
après de courtes visites en Ukraine et d’accéder à l’assistance disponible233.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 87
Plusieurs pays de la région ont adopté ou proposé de nouvelles lois restrictives en matière d’immigration
et d’asile, tout en mettant en œuvre une série de mesures largement considérées comme portant atteinte
à l’asile et violant le droit international. La loi présentée au Parlement par le Gouvernement britannique en
mars 2023, par exemple, qui devait permettre d’expulser les personnes entrées illégalement dans le pays et de
les emmener dans un pays tiers (tel que le Rwanda) où leur cas serait examiné, a été largement critiquée par la
société civile et les organisations internationales. En réponse, des organisations telles que le HCR ont objecté qu’en
cas d’adoption, une telle loi violerait les engagements pris par le Royaume-Uni en vertu du droit international234.
Le projet de loi sur l’immigration illégale – est-il ainsi expliqué – priverait de protection de nombreuses personnes
qui ont véritablement besoin de sécurité et d’asile, contrevenant ainsi à la Convention sur les réfugiés de 1951,
dont le Royaume-Uni est signataire235. L’OIM s’est également inquiétée du fait que certaines parties du projet de
loi auraient pour effet d’empêcher les survivants de transferts organisés par des passeurs de dénoncer ces derniers
et de recevoir de l’aide, ce qui risquerait d’exacerber la vulnérabilité des victimes, de donner aux trafiquants un
plus grand contrôle sur elles et d’aggraver les risques d’exploitation236. Le Danemark a lui aussi tenté d’appliquer
de sérieuses restrictions à l’immigration. Comme le Royaume-Uni, le Danemark a cherché en 2022 à conclure
un accord avec le Gouvernement rwandais pour externaliser le traitement des demandes d’asile dans le pays237.
Ces projets ont toutefois été suspendus au début de l’année 2023, avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau
gouvernement238. En Italie, un nouveau décret – promulgué au début de l’année 2023 et établissant un code de
conduite ciblant les secours à porter aux navires cherchant à débarquer sur les côtes du pays – a suscité des
inquiétudes, notamment de la part du HCDH, lequel a exprimé la crainte que cela n’empêche « la fourniture d’une
assistance vitale par les organisations humanitaires de recherche et de sauvetage (SAR) en Méditerranée centrale »,
ce qui pourrait entraîner un plus grand nombre de décès239.
La migration irrégulière reste l’un des défis migratoires les plus importants pour les pays de la sous
région et continue d’être caractérisée par des flux migratoires mixtes, souvent avec l’aide de réseaux de
passeurs bien établis. L’année civile 2022 a vu le plus grand nombre d’arrivées irrégulières depuis 2016, avec plus
de 189 000 arrivées en Europe par voie terrestre et maritime240. Si l’on a vu baisser, dans l’ensemble, le nombre de
franchissements irréguliers des frontières au plus fort de la pandémie de COVID-19 en 2020, les arrivées ont de
nouveau augmenté en 2021 et une nouvelle fois en 2022241. Le plus grand nombre d’arrivées irrégulières en 2022
provenait d’Égypte (près de 21 800), de République arabe syrienne (près de 21 000), de Tunisie (plus de 18 000) et
d’Afghanistan (plus de 18 000)242. Les réseaux de passeurs jouent un rôle clé en ce sens qu’ils facilitent les tentatives
des migrants pour atteindre l’Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud, non sans leur soutirer souvent des sommes
importantes, tout en les exposant à une multitude de risques et de mauvais traitements. Ces dernières années,
certains États non membres de l’Union européenne ont également été accusés d’encourager, voire de faciliter
la migration irrégulière vers la sous-région, en utilisant les migrants comme levier ou comme pions à des fins
politiques243. En réponse, la Commission européenne a présenté une proposition visant à contrer les situations dans
lesquelles des acteurs étatiques autorisent l’immigration irrégulière à des fins politiques pour déstabiliser l’Union
européenne, et qui permet aux États membres de «déroger à leurs responsabilités en vertu du droit d’asile de
l’Union européenne dans les situations d’instrumentalisation de la migration »244. La proposition a été critiquée par
les organisations de la société civile, certaines d’entre elles faisant valoir que cela équivalait au démantèlement de
l’asile en Europe en permettant aux États membres d’opter pour ou contre le régime d’asile européen commun
(RAEC)245.
88 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Ces dernières années, plusieurs pays de la sous-région ont adopté des politiques étrangères féministes,
qui peuvent avoir des effets positifs pour les migrants de sexe féminin dans le monde entier. La Suède a
été le premier pays au monde à adopter une politique étrangère féministe en 2014, bien que cette politique ait été
abandonnée fin 2022 lorsqu’un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir246. Plusieurs autres pays, notamment en
Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud, ont depuis adopté des politiques similaires. Il s’agit notamment de la France
(2019), de l’Allemagne (2021), du Luxembourg (2021) et de l’Espagne (2021)247. Ces politiques couvrent une série de
domaines, notamment l’intégration de la dimension du genre dans toutes les instances concernées par la politique
étrangère et dans les actions qu’elles déploient, et l’importance accrue accordée à la fourniture des ressources
appropriées pour garantir l’égalité entre les sexes dans le cadre du développement et de l’aide humanitaire248. Si ces
politiques ont été largement saluées et ont suscité de l’intérêt en tant que moyen d’autonomiser les femmes et les
filles dans le monde, certaines ont également été critiquées parce qu’elles ne ciblent pas directement l’immigration
ou ne répondent pas aux divers besoins des migrants et aux contextes spécifiques auxquels ils ont voulu échapper,
et parce qu’elles accordent peu d’attention à l’immigration en tant que question de politique étrangère249. En dehors
de l’Europe, le Canada dispose sans doute de la politique étrangère féministe la plus sophistiquée, à savoir la
«Politique d’aide internationale féministe », qui, entre autres engagements, «préconise des approches progressistes
en matière de migration et d’aide aux réfugiés »250.
Amérique latine et Caraïbes251
La migration vers l’Amérique du Nord est une caractéristique essentielle de la région de l’Amérique latine et des
Caraïbes. Les dernières données disponibles sur les populations de migrants internationaux (2020)252 montrent que
plus de 25 millions de migrants ont fait le voyage vers le nord et résident en Amérique du Nord (figure 13). Comme
le montre la figure, la population latino-américaine et caribéenne vivant en Amérique du Nord a considérablement
augmenté au fil du temps, puisqu’elle était estimée à 10 millions en 1990. Cinq autres millions de migrants originaires
de la région se trouvaient en Europe en 2020. Si ce chiffre n’a que légèrement augmenté depuis 2015, le nombre
de migrants d’Amérique latine et des Caraïbes vivant en Europe a plus que quadruplé depuis 1990. D’autres régions,
comme l’Asie et l’Océanie, ont accueilli un très petit nombre de migrants d’Amérique latine et des Caraïbes en
2020 (plus de 400 000 et 200 000 migrants, respectivement).
Le nombre total de migrants d’autres régions vivant en Amérique latine et dans les Caraïbes est resté relativement
stable, soit environ 3 millions sur les 30 dernières années. Il s’agit principalement d’Européens (dont le nombre a
légèrement diminué au cours de cette période) et de Nord-Américains, dont le nombre a augmenté. En 2020, le
nombre d’Européens et de Nord-Américains vivant en Amérique latine et dans les Caraïbes s’élevait respectivement
à environ 1,4 million et 1,3 million. Par ailleurs, environ 11 millions de migrants en Amérique latine et dans les
Caraïbes sont originaires d’autres pays de la région.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 89
Figure 13. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Amérique latine
et des Caraïbes, 1990-2020
Migrants à destination de
l’Amérique latine et des Caraïbes
Migrants à l’intérieur de l’Amérique
latine et des Caraïbes
Migrants en provenance de
l’Amérique latine et des Caraïbes
0
10
20
30
Population de migrants (millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
Année
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations
de migrants internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de
l’Amérique latine et des Caraïbes » s’entendent des migrants résidant en Amérique latine
ou dans les Caraïbes qui sont nés dans une autre région (Europe ou Asie par exemple).
Les «migrants à l’intérieur de l’Amérique latine et des Caraïbes » sont des migrants nés
en Amérique latine ou dans les Caraïbes qui résident hors de leur pays de naissance, mais
dans la région. Les «migrants en provenance de l’Amérique latine et des Caraïbes » sont
des personnes nées en Amérique latine ou aux Caraïbes qui résident hors de la région
(par exemple en Europe ou en Amérique du Nord).
90 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
La proportion de migrants des deux sexes en Amérique latine et dans les Caraïbes est à peu près égale dans les
principaux pays de destination. L’exception est la République dominicaine, où la proportion d’immigrants de sexe
masculin est nettement plus élevée que celle des immigrants de sexe féminin. Parmi les principaux pays d’origine,
la plupart ont une proportion de femmes légèrement supérieure à celle des hommes, ce décalage étant surtout
sensible s’agissant de pays tels que la République dominicaine, le Brésil et le Pérou.
Figure 14. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite)
en Amérique latine et dans les Caraïbes, selon le sexe
République dominicaine
Équateur
Brésil
Mexique
Pérou
Venezuela
(République bolivarienne du)
Chili
Colombie
Argentine
Pérou
El Salvador
République dominicaine
Cuba
Haïti
Brésil
Colombie
Venezuela
(République bolivarienne du)
Mexique
Sexe
Femmes
Hommes
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de
migrants internationaux au moment de la rédaction. Les proportions s’entendent de la part de
femmes ou d’hommes dans le nombre total d’immigrants dans les pays de destination (à gauche)
ou d’émigrants au départ des pays d’origine (à droite).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 91
Les Vénézuéliens ont continué à faire partie de la plus grande population déplacée à travers les frontières dans le
monde en 2022 (figure 15)253. À la fin de 2022, il y avait plus de 234 000 réfugiés vénézuéliens enregistrés et plus
d’un million avec des demandes d’asile en cours. D’autres pays de la région, comme le Nicaragua, le Honduras et
Cuba, sont également pourvoyeurs d’un nombre important de demandeurs d’asile. Le Pérou, le Mexique, le Brésil
et le Costa Rica accueillent quelques-unes des principales populations de demandeurs d’asile de la sous-région,
comme le montre la figure 15.
Figure 15. Dix premiers pays d’Amérique latine et des Caraïbes classés selon
le nombre total de réfugiés et de demandeurs d’asile, 2022
Haïti
Cuba
Costa Rica
Honduras
Colombie
Nicaragua
Brésil
Mexique
Pérou
Venezuela
(République bolivarienne du)
1 0,5 0 0,5
Personnes (millions)
Lieu
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.a.
Notes : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres pays qui
résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger » comprend les
réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors de leur pays d’origine. Ce
classement est établi à partir de données pour 2022, en combinant les populations de réfugiés et de
demandeurs d’asile qui se trouvent dans ces pays ou en sont originaires.
92 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Les catastrophes ont provoqué certains des déplacements internes les plus importants en Amérique latine et dans
les Caraïbes en 2022 (figure 16). Le Brésil, avec 708 000 déplacements dus en grande partie à des inondations
provoquées par de fortes pluies, a enregistré le plus grand nombre de déplacements imputables à des catastrophes
dans la région. La Colombie et Cuba ont été à l’origine des deuxième et troisième principaux déplacements dus
à des catastrophes en Amérique latine et dans les Caraïbes (281 000 et 90 000, respectivement). La plupart des
déplacements en Colombie ont été déclenchés par des inondations, tandis que ceux de Cuba étaient principalement
liés à l’ouragan Ian. Les principaux déplacements liés à des conflits dans la région ont concerné la Colombie et Haïti,
qui ont enregistré respectivement 339 000 et 106 000 déplacements.
Figure 16. Principaux pays d’Amérique latine et des Caraïbes sur le plan des
nouveaux déplacements internes (catastrophes et conflits), 2022
Millions Pourcentage de la population
0,6 0,4 0,2 0 0,2 1 0 1
Uruguay
Suriname
Chili
Costa Rica
Bolivie (État plurinational de)
Belize
Équateur
Venezuela (République bolivarienne du)
Nicaragua
Mexique
Pérou
Honduras
République dominicaine
Guatemala
El Salvador
Cuba
Haïti
Colombie
Brésil
Conit
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Notes : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et non la population totale
de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du temps. Le nombre de nouveaux déplacements
inclut des personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et ne correspond pas au nombre de personnes déplacées
au cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus à des catastrophes et à
des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale dans le pays en 2021 établie par le DESA. Le
pourcentage est fourni à titre purement indicatif et comparatif.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 93
Principales caractéristiques et tendances en Amérique latine et dans les Caraïbes254
Amérique du Sud
La migration intrarégionale en Amérique du Sud, y compris pour le travail, reste élevée, tandis que les
récents changements de politique dans certains pays pourraient avoir des implications profondes pour
les migrants à l’intérieur et à l’extérieur de la sous-région. Au cours des dernières années et décennies, les
accords de libre circulation entre les pays de la sous-région ont permis aux migrants de se rendre dans d’autres pays
d’Amérique du Sud, principalement pour y travailler. Il s’agit notamment du Marché commun du Sud (MERCOSUR),
composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et de la République bolivarienne du Venezuela255, en
tant qu’États membres, et de l’État plurinational de Bolivie, du Chili, de la Colombie, de l’Équateur, de la Guyane,
du Pérou et du Suriname, en tant qu’États associés, ainsi que de la Communauté andine, dont les membres à part
entière sont l’État plurinational de Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou256. Le MERCOSUR a joué un rôle clé
dans l’ouverture de voies régulières permettant aux Sud Américains de se rendre dans des pays tels que l’Argentine
et l’Uruguay, tout en jouant un rôle majeur dans la facilitation de la migration et de la résidence régulières
dans ces pays257. L’Argentine comptait le plus grand nombre d’immigrants en Amérique du Sud en 2020 (plus de
2 millions), la plupart venant de pays de la sous-région tels que le Paraguay et l’État plurinational de Bolivie258. La
Colombie elle aussi comptait près de 2 millions de migrants internationaux en 2020 et, comme en Argentine, la
plupart d’entre eux venaient d’Amérique du Sud, en particulier de la République bolivarienne du Venezuela et de
l’Équateur259. Avec plus de 1,6 million de personnes résidant dans le pays, le Chili était le troisième pays d’Amérique
du Sud pour le nombre de migrants internationaux en 2020260. Certains pays d’Amérique du Sud ont connu des
changements majeurs en matière de politique migratoire au cours des deux dernières années, avec des implications
potentiellement importantes pour les migrants. En 2023, à la suite d’un changement de gouvernement, le Brésil
a réintégré le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Cette décision a été saluée par
le Réseau des Nations Unies sur les migrations, qui y voit un renouveau de l’engagement du pays à protéger et à
promouvoir les droits de tous les migrants vivant au Brésil, ainsi que des plus de quatre millions de Brésiliens vivant
à l’étranger261. Le Chili, en revanche, qui a connu une augmentation significative du nombre d’immigrants au cours
des 30 dernières années, a promulgué de nouvelles réformes restrictives en matière d’immigration en 2021. Ces
réformes comprennent de nouvelles exigences qui pourraient rendre plus difficile l’obtention du permis de séjour
par les migrants à l’intérieur du pays, tout en permettant aux autorités de renvoyer les migrants sans papiers qui
entrent dans le pays262. Ce processus a par exemple occasionné des flux de migrants haïtiens avec des enfants nés
au Chili vers d’autres pays de la région et également vers l’Amérique du Nord.
La situation des migrants vénézuéliens (y compris les réfugiés) reste difficile, des millions d’entre eux
continuant à subir les conséquences de leur déplacement. Fin mars 2023, on comptait plus de 7 millions de
réfugiés et de migrants déplacés vénézuéliens dans le monde, la grande majorité d’entre eux – plus de 6 millions –
ayant été accueillis dans des pays d’Amérique latine et des Caraïbes263. En mai 2023, la Colombie était le pays
ayant accueilli le plus grand nombre de Vénézuéliens (plus de 2,5 millions), suivie du Pérou (plus de 1,5 million)
et de l’Équateur (environ un demi-million)264. Le Chili et le Brésil en accueillent également un nombre important,
plus de 400 000 chacun265. Plusieurs pays ont accordé l’asile aux Vénézuéliens et beaucoup ont mis en œuvre
des dispositions pour autoriser leur séjour et leur permettre d’obtenir des papiers et de bénéficier des droits
socio-économiques de base266. Plus de 211 000 Vénézuéliens avaient ainsi obtenu le statut de réfugié en mars
2023; plus d’un million avaient déposé une demande d’asile ; et plus de 4,2 millions avaient reçu un permis de
séjour ou d’autres types d’arrangements autorisant leur séjour267. Fin 2022, 1,6 million de Vénézuéliens avaient un
permis de protection temporaire en Colombie, tandis que 2,5 millions avaient effectué le préenregistrement pour
94 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
obtenir le statut de protection temporaire dans le pays268. À la fin de la même année, le Pérou avait accordé des
permis de séjour humanitaires à 79 600 demandeurs d’asile vénézuéliens et des permis de séjour temporaires à
près de 225 000 Vénézuéliens en situation irrégulière269. De nombreux Vénézuéliens se trouvent cependant toujours
démunis de papiers, ce qui les empêche d’accéder au marché du travail et aux services sociaux, bien que des
pays comme la Colombie, l’Équateur, le Brésil, l’Argentine, le Pérou, l’Uruguay et d’autres aient pris des mesures
pour régulariser des millions d’entre eux270. Malgré les conditions difficiles dans lesquelles beaucoup continuent
de vivre, les Vénézuéliens contribuent dans une mesure significative à leurs pays d’accueil, notamment en tant
qu’entrepreneurs et en créant des emplois pour eux-mêmes et pour les locaux dans des pays comme la Colombie
et l’Argentine271. Beaucoup d’entre eux aident également à combler des déficits de main-d’œuvre importants,
comme dans le secteur des soins de santé au Pérou272.
Les dynamiques migratoires dans certaines parties de la sous-région continuent d’être affectées par
l’instabilité et l’insécurité internes, ce qui entraîne le déplacement de millions de personnes. En Colombie,
alors que des négociations de paix sont en cours, les déplacements dus aux violences internes se poursuivent, en
particulier dans les zones contestées ou contrôlées par les groupes armés. Fin 2022, 339 000 déplacements dus au
conflit et à la violence avaient été enregistrés en Colombie et le pays comptait près de 5 millions de personnes
déplacées par le conflit273. Les combats entre les groupes armés se sont encore intensifiés en 2022, ce qui a
contribué à accentuer les déplacements. La même année, les civils ont été largement pris pour cible, les actes de
violence commis à leur encontre comptant pour plus de 62 % de tous les actes de violence politique organisée dans
le pays et plus de 70 % des décès274. Les femmes et les filles continuent d’être soumises à des niveaux de violence
très élevés dans la sous-région et, en Colombie, beaucoup ont souffert des effets à long terme de la violence fondée
sur le genre, tels que le harcèlement sexuel, la traite d’êtres humains et le viol275. L’insécurité et la flambée de
violence en Équateur, en particulier dans la région côtière, y compris dans la ville la plus peuplée du pays, Guayaquil,
ont forcé de nombreux Équatoriens à fuir le pays276. La vague de violence actuelle est largement alimentée par
les réseaux criminels internationaux et les gangs qui se disputent le contrôle territorial des itinéraires de trafic de
drogue277. La violence – combinée à une situation économique désastreuse qui a plongé de nombreuses personnes
dans la pauvreté – a entraîné une augmentation significative du nombre d’Équatoriens quittant le pays, souvent
via la Colombie et la région du Darién dans l’espoir d’atteindre les États-Unis278. Comme le nombre d’Équatoriens
quittant le pays a augmenté, des milliers ont été expulsés ces dernières années en vertu du Titre 42 du Code des
États-Unis ou expulsés vers l’Équateur279. Entre janvier et avril 2023, plus de 11 000 Équatoriens ont été expulsés
des États-Unis en vertu du Titre 42280.
L’Amérique du Sud est confrontée à des défis considérables liés à la dégradation de l’environnement, aux
catastrophes et au changement climatique – y compris les déplacements de population – qui aggravent
les conditions dans plusieurs pays déjà en proie à des crises liées aux conflits et à la violence. Des rapports
récents, notamment de l’Organisation météorologique mondiale et du GIEC, montrent qu’en plus des effets du
changement climatique tels que l’élévation du niveau des mers – en particulier le long de la côte atlantique de
l’Amérique du Sud – certains pays comme le Pérou ont également vu leurs glaciers reculer, tandis que la sécheresse
persistante a eu un impact néfaste sur le rendement des cultures dans la sous-région281. En effet, les effets du
changement climatique perturbent les moyens de subsistance des populations, les obligeant parfois à quitter leur
lieu d’origine282. Dans un pays comme l’Équateur, les facteurs environnementaux sont susceptibles d’augmenter les
migrations internes et internationales, selon les projections, tandis que le Pérou a engagé l’adoption d’une législation
sur la réimplantation planifiée – en particulier le long des rivières de la forêt tropicale péruvienne – comme solution
et réponse aux effets néfastes du changement climatique283. En outre, les événements météorologiques extrêmes
liés au changement climatique continuent de contribuer aux déplacements, dans une sous-région déjà confrontée
aux conflits et à la violence, ainsi qu’à d’autres facteurs socio-économiques et politiques qui ont poussé des
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 95
millions de personnes à quitter leurs foyers et leur communauté. Au Brésil, les inondations sont en grande partie
responsables des déplacements de plus de 700 000 personnes en 2022284. La pluie et les inondations ont également
causé la majeure partie des 281 000 déplacements dus à des catastrophes en Colombie en 2022285. Au début de
2023, l’état d’urgence a été déclaré au Pérou après que le cyclone Yaku a provoqué des inondations généralisées
dans la région nord du pays, entraînant des morts, des dégâts matériels et des déplacements286. Pendant ce temps,
les incendies de forêt qui ont commencé à sévir au Chili en janvier 2023 ont détruit des milliers de maisons et
provoqué l’évacuation de plus de 7 500 personnes287. Certains pays de la région, conscients des conséquences du
changement climatique sur les migrations et les déplacements, ont réagi en offrant des possibilités de protection
aux personnes qui ont été déplacées par des catastrophes. En mai 2022, l’Argentine a adopté un nouveau type
de visa humanitaire pour les personnes originaires des Caraïbes, d’Amérique centrale et du Mexique qui ont été
déplacées en raison d’événements naturels288.
Le nombre de migrants transitant par la sous-région en direction des États-Unis reste élevé et s’est
parallèlement diversifié. La partie septentrionale de l’Amérique du Sud est une zone de transit essentielle,
où les migrants de la sous-région et au-delà, souvent aidés par des passeurs, passent par l’Amérique centrale
et entreprennent des voyages risqués vers le nord dans l’espoir d’atteindre l’Amérique du Nord. De nombreux
migrants passent de la Colombie au Panama par la région du Darién (qui traverse les deux pays), une forêt tropicale
dense que les migrants mettent des jours à traverser, souvent sans préparation adéquate et sans accès à l’eau, aux
services de santé ou à la nourriture289. L’OIM a recensé 36 décès dans la région du Darién en 2022, mais ce chiffre
ne représente probablement qu’une infime partie du nombre de décès qui y ont lieu, dont beaucoup ne sont pas
signalés, et les dépouilles des migrants ne sont souvent pas retrouvées290. En plus d’être un pays de destination clé,
en particulier pour les migrants de la sous-région, l’Équateur est devenu un point d’entrée clé en Amérique du
Sud pour des migrants de nationalités de plus en plus diverses, qui transitent par le pays en route vers d’autres
destinations, en particulier vers le nord des États-Unis291. En effet, de nombreux migrants tentent d’atteindre les
États-Unis via le couloir migratoire qui relie la région andine au Mexique, en passant par l’Amérique centrale292.
Ces dernières années, les arrivées de migrants extrarégionaux en Amérique du Sud ont considérablement
augmenté, beaucoup d’entre eux espérant atteindre l’Amérique du Nord. Les migrants originaires de
régions telles que l’Afrique et l’Asie sont à l’origine d’une partie de cette augmentation et arrivent souvent dans la
sous-région par des moyens réguliers – avec un visa ou sans, dans certains cas, lorsqu’il n’en faut pas293. En 2022,
environ 10 % des migrants qui ont traversé la région du Darién étaient originaires d’Afrique et d’Asie294. Si la
destination finale souhaitée par beaucoup de ces migrants est celle des États-Unis ou du Canada, certains restent
au bout du compte dans un pays d’Amérique du Sud, soit par choix, soit en raison des circonstances, car le voyage
vers le nord-est souvent difficile et onéreux295. L’intégration et la cohésion sociale de ces migrants posent souvent
des problèmes importants, certains d’entre eux se retrouvant dans des conditions de travail et de vie précaires. Les
barrières linguistiques et culturelles s’ajoutent à ces difficultés, rendant l’intégration de ces migrants plus difficile que
celle d’autres personnes originaires de la région. Bien que plusieurs pays aient mis en œuvre une série de mesures
pour faciliter leur régularisation et leur intégration, de nombreux migrants continuent de lutter pour s’en sortir et
rencontrent notamment des difficultés pour pouvoir bénéficier des droits économiques et sociaux296.
96 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Amérique centrale
L’Amérique centrale reste une zone d’origine et de transit majeure pour les migrants qui tentent
d’atteindre les États-Unis. Après un déclin au plus fort de la pandémie de COVID-19, les migrations irrégulières
à destination et en provenance de la sous-région ont repris en 2022 pour atteindre les niveaux d’avant la pandémie,
les réseaux de passeurs ayant redoublé d’activité297. Depuis le début de l’année 2022, le nombre de migrants
transitant par la sous-région de l’Amérique centrale, notamment par le Panama, le Costa Rica, le Nicaragua, le
Honduras, le Salvador et le Guatemala, a augmenté de manière significative. Plus d’un demi-million de migrants
arrivés à la frontière des États-Unis au cours de l’exercice 2022 provenaient de trois pays du Triangle Nord
(El Salvador, Guatemala et Honduras). Des pays comme le Panama et le Mexique ont également enregistré une
forte progression du nombre de migrants irréguliers sur leur sol, avec respectivement une hausse de 85 et 108 %
en août 2022298. La violence criminelle, l’instabilité politique et la pauvreté restent parmi les principaux moteurs de
la migration irrégulière dans la sous-région, de nombreux migrants étant exposés à des dangers importants tels que
les extorsions et la violence sexuelle, ou au risque de se trouver coupés de leur famille299. Au fil des ans, et à mesure
que les autorités réprimaient les voyages maritimes et aériens en provenance de la sous-région, la région du Darién
– une jungle isolée et dangereuse au Panama qui relie l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale – est devenue
une zone de transit majeure, avec des dizaines de milliers de migrants qui l’empruntent chaque année. En 2022,
beaucoup étaient vénézuéliens (plus de 150 000), équatoriens (environ 29 000) et haïtiens (plus de 22 000)300. Le
nombre d’enfants traversant la région du Darién a également augmenté de manière significative en 2022; entre
janvier et octobre 2022, plus de 32 000 enfants ont emprunté cet itinéraire, plus de la moitié d’entre eux ayant été
enregistrés au Panama avant l’âge de 5 ans301. Dans l’ensemble, plus de 248 000 migrants sont entrés au Panama en
2022 à la frontière avec la région du Darién302. Des chiffres plus récents montrent que cette tendance se poursuit,
de nombreuses personnes continuant à traverser cette région en 2023. Sur les seuls neuf premiers mois de 2023,
plus de 390 000 migrants ont franchi la région du Darién depuis la Colombie jusqu’au Panama, la plupart d’entre
eux venant de la République bolivarienne du Venezuela, de l’Équateur et d’Haïti303.
Dans toute la sous-région, la violence – en particulier celle des gangs – a entraîné une augmentation des
déplacements, forçant des centaines de milliers de personnes à quitter leurs foyers, leur communauté
ou leur pays. Dans certaines parties de l’Amérique centrale, comme le Nicaragua et le Honduras, la détérioration
constante de la sécurité, la criminalité et la violence perpétrées par les gangs et les cartels de la drogue, ainsi que
les graves inégalités, ont poussé de nombreuses personnes à quitter leurs foyers. Fin 2022, on comptait dans le
monde plus de 665 000 réfugiés et demandeurs d’asile originaires du Guatemala, du Salvador et du Honduras304.
Ces trois pays ont également des taux d’homicide parmi les plus élevés au monde, ainsi que des taux de violence
sexuelle et de féminicide parmi les plus élevés305. Cependant, on a observé une baisse significative des meurtres au
Salvador au cours des deux dernières années après que le Gouvernement a sévi contre la violence des gangs306.
Des études récentes ont montré que la violence sexiste est un facteur majeur de l’émigration du Honduras, du
Guatemala, du Salvador et du Mexique, et qu’elle oblige de nombreuses adolescentes à entreprendre des voyages
dangereux en quête de sécurité307. Les organisations criminelles qui opèrent à l’intérieur et à l’extérieur de la
sous-région profitent souvent du désespoir de nombreuses personnes et sont fortement impliquées dans le trafic
de migrants et la traite des êtres humains308. Fin 2022, le Guatemala et le Honduras comptaient chacun plus de
240 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en raison du conflit et de la violence, tandis que le Salvador
en comptait 52 000309.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 97
Les envois de fonds considérables que continuent de faire les Mexicains de la diaspora en faveur de leurs
familles et amis font du Mexique le deuxième plus grand bénéficiaire de transferts de fonds internationaux
au monde (après l’Inde). La Chine a longtemps été le deuxième bénéficiaire des envois de fonds internationaux
dans le monde, mais elle a été dépassée par le Mexique en 2021, le pays d’Amérique centrale ayant reçu, selon
les estimations, plus de 61 milliards de dollars É.-U. en 2022310. Par rapport à 2021, les flux d’envois de fonds vers
le Mexique ont augmenté de 15 %, en partie en raison de l’augmentation des transferts en faveur de migrants en
transit – dont le nombre a augmenté récemment – et de la baisse du chômage pour les Hispaniques aux États-Unis
en 2022311. Les envois de fonds constituent également une source majeure de devises pour d’autres pays d’Amérique
centrale et des Caraïbes, et ont représenté une bouée de sauvetage pendant la pandémie de COVID-19, qui les
a gravement touchés. Bien que relativement faibles en termes de volume par rapport aux flux ayant concerné un
pays comme le Mexique, les envois de fonds représentent une part importante du PIB au Honduras (27 %), au
Salvador (24 %), au Nicaragua (20,5 %) et au Guatemala (19 %)312.
Exposés aux catastrophes liées au changement climatique telles que les inondations et les tempêtes
tropicales, plusieurs pays de la sous-région sont apparus comme étant parmi les plus vulnérables face
aux événements climatiques extrêmes. L’indice INFORM sur le changement climatique 2022 de la Commission
européenne montre que des pays comme le Honduras, le Guatemala, le Panama, le Nicaragua et le Salvador sont
parmi les plus exposés aux chocs climatiques313. Les catastrophes alimentées par le changement climatique, comme
les ouragans Iota et Eta à la fin de 2020, ont également entraîné une insécurité alimentaire dans la sous-région,
plaçant ainsi des millions de personnes au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala dans une situation d’insécurité
préoccupante314. Les catastrophes, toujours fréquentes, ont en outre entraîné d’importants déplacements de
population. Fin 2022, la tempête tropicale Julia a provoqué la mort, la destruction de biens et le déplacement de
dizaines de milliers de personnes dans plusieurs pays, dont le Honduras, le Nicaragua et le Panama315. Parmi les
huit pays ayant souffert de la tempête, c’est le Guatemala qui a connu le plus fort pourcentage (56 %) des 72 000
nouveaux déplacements occasionnés à cette suite316. La tempête tropicale Julia a touché terre alors que plusieurs
régions d’Amérique centrale étaient encore occupées à se remettre des ouragans Iota et Eta, ce qui n’a fait que
compliquer le travail de remise en état317.
Caraïbes
Si les Caraïbes sont traditionnellement connues comme une terre d’émigration – les Caribéens étant
nombreux à partir s’installer hors de la sous-région –, elles connaissent en même temps, et depuis
longtemps, une migration en leur sein. La majeure partie des migrations intrarégionales sont des migrations
de main-d’œuvre, car les Caraïbes, avec leurs salaires plus élevés, attirent souvent des travailleurs migrants des îles
voisines où les salaires sont plus bas et les possibilités d’emploi limitées318. Avec leur industrie touristique florissante
et leurs salaires plus élevés, les Bahamas sont une destination de prédilection pour un grand nombre de migrants
de la sous-région. En 2020, les Bahamas comptaient environ 64 000 migrants internationaux, dont près de 47 % en
provenance d’Haïti319. La Barbade, autre pays à revenu élevé, est également une destination qui attire les migrants de
la sous-région, en particulier ceux du Guyana et de Saint-Vincent-et-les Grenadines, qui ont constitué la principale
population immigrée dans ce pays en 2020320. Cependant, tous les migrants intrarégionaux ne se rendent pas dans
des pays à revenu élevé. En 2020, la République dominicaine comptait sur son sol près de 500 000 Haïtiens321.
Avec un grand nombre de ses travailleurs employés dans la construction et l’agriculture, la migration haïtienne vers
la République dominicaine reflète une tradition déjà ancienne322. Le nombre de personnes quittant le pays pour le
territoire de son voisin caribéen a augmenté ces dernières années avec la détérioration de la situation politique et
l’insécurité régnant en Haïti. En réponse à ce climat d’insécurité et à l’augmentation du nombre d’Haïtiens entrant
98 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
dans le pays, en 2022, la République dominicaine a encore durci ses contrôles à la frontière tout en expulsant
sommairement des dizaines de milliers d’Haïtiens, ce qui a incité les organisations internationales et les organisations
de défense des droits de l’homme à publier des déclarations exhortant le Gouvernement à mettre fin au retour
forcé des migrants323. En 2022, des milliers d’Haïtiens ont été rapatriés en Haïti par voie aérienne ou maritime
depuis des pays tels que les États-Unis et Cuba, et pour le seul mois d’avril 2023, plus de 10 000 Haïtiens ont été
rapatriés, dont plus de 9 700 depuis la seule République dominicaine324.
La violence et l’insécurité générées par les gangs, les persécutions politiques ainsi que la détérioration
des conditions économiques dans certains pays des Caraïbes ont entraîné d’importants déplacements
internes et transfrontaliers. En Haïti, l’escalade de la violence entre gangs, en particulier dans la capitale
Port-au Prince, a provoqué plus de 100 000 déplacements internes en 2022325. La capitale reste gangrénée par les
enlèvements, le racket, un degré très élevé de privation et une insécurité généralisée326. Si la violence et l’insécurité
en Haïti n’ont rien de nouveau, elles se sont aggravées depuis 2021, lorsque le président du pays a été assassiné327.
Les gangs criminels contrôlent de vastes zones de la capitale et les femmes et les filles sont les plus touchées.
La détérioration de la situation politique et économique a entraîné une augmentation des violences sexuelles et
de l’exploitation perpétrées par les gangs à l’encontre des femmes et des filles328. À Cuba, la dégradation de la
situation économique – accélérée par la pandémie de COVID-19 et le durcissement des sanctions économiques
imposées par les Etats Unis – a ruiné l’économie du pays, y compris dans des secteurs clés tels que le tourisme,
laissant de nombreuses personnes dans une situation de grande pauvreté329. De ce fait, des centaines de milliers
de Cubains ont quitté le pays au cours de l’année 2022 : plus de 220 000 tentatives d’entrée de migrants cubains
ont ainsi été signalées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique330. 2022 a été l’année du plus grand exode
de Cubains depuis plus de 30 ans, plus important encore que l’épisode du «Mariel » en 1980, lorsqu’un arrivage de
125 000 Cubains s’était produit sur une période de 6 mois aux États-Unis331. Si de nombreux Cubains sont partis
en raison des conditions économiques, certains ont fui le pays par crainte des persécutions, le Gouvernement ayant
sévi contre ceux qui avaient participé aux manifestations de 2021, les plus grandes manifestations à Cuba depuis
des décennies332. Certains Cubains ont tenté de rejoindre les États-Unis par la mer – souvent sur des embarcations
plus que fragiles – tandis que d’autres ont pris l’avion pour le Nicaragua (qui n’exige pas de visa d’entrée pour
les Cubains en visite) ou, dans une moindre mesure, pour le Panama, et ont ensuite pris des bus pour traverser
l’Amérique centrale333. Il y a eu plus de 300 décès et disparitions de migrants dans les Caraïbes en 2022, le nombre
le plus élevé depuis que l’OIM a commencé à collecter ces données334.
Malgré leur contribution relativement faible aux émissions de gaz à effet de serre, les pays des Caraïbes
sont parmi les plus menacés par les effets du changement climatique. Composées de plusieurs petites îles
et de territoires de faible altitude, les Caraïbes sont extrêmement exposées aux risques naturels335. Les petits
États insulaires ont à faire face à des tempêtes plus fréquentes, à l’élévation du niveau de la mer et à la perte de
biodiversité336. Selon certaines études, les dommages dus au changement climatique dans les Caraïbes pourraient
représenter l’équivalent de 20 % du PIB de la sous-région en 2100, contre 5 % en 2025, si aucune mesure n’est
prise pour en atténuer les effets337. L’ouragan Ian, qui a touché terre à Cuba en septembre 2022, a causé 80 000
déplacements (en grande partie des évacuations préventives). Dans le même temps, l’ouragan Fiona a provoqué
94 000 déplacements, dont la plupart ont concerné la République dominicaine et Porto Rico, qui se sont traduits
par des inondations et des glissements de terrain338. Un rapport récent de l’Organisation météorologique mondiale
affirme que si les éléments déclenchants et les conséquences du dérèglement climatique varient fortement en
fonction du contexte, la migration due au changement climatique devrait augmenter dans les petites îles, y compris
dans les Caraïbes339. En outre, le récent rapport d’évaluation du GIEC indique également qu’une augmentation de la
température de 1 degré Celsius pourrait entraîner une augmentation de 60 % du nombre de personnes susceptibles
de subir un stress hydrique grave dans les petits États insulaires en développement (PEID) des Caraïbes340.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 99
Amérique du Nord341
La migration en Amérique du Nord est essentiellement une migration interne à la région, principalement à destination
des États-Unis. Les dernières données disponibles sur les populations de migrants internationaux (2020)342 montrent
que l’Amérique du Nord compte près de 59 millions de migrants venus de diverses régions (figure 17). Ce nombre a
augmenté d’environ 3 millions depuis 2015, année où l’on dénombrait environ 56 millions de migrants dans la région.
En 2020, la plupart de ces migrants étaient originaires d’Amérique latine et des Caraïbes (environ 26 millions),
suivis de l’Asie (18 millions) et de l’Europe (environ 7 millions). Au cours des 30 dernières années, le nombre de
migrants en Amérique du Nord a plus que doublé, sous l’effet de l’émigration en provenance d’Amérique latine,
des Caraïbes et d’Asie, et de l’attirance exercée par la croissance économique et la stabilité politique en Amérique
du Nord. Le nombre de migrants nord-américains vivant dans la région ou ailleurs était très faible par rapport à la
population née à l’étranger dans la région. Contrairement à des régions comme l’Asie et l’Afrique, où les migrations
intrarégionales sont importantes, on constatait en 2020 que les migrants nés en Amérique du Nord étaient plus
nombreux à vivre en dehors de la région (environ 3 millions) qu’à s’être installés ailleurs dans la région (un peu
plus d’un million).
Figure 17. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Amérique du Nord, 1990-2020
Migrants à destination de
l’Amérique du Nord
Migrants à l’intérieur de
l’Amérique du Nord
Migrants en provenance de
l’Amérique du Nord
0
20
40
Année
Population de migrants (millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de
migrants internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de l’Amérique du
Nord» s’entendent des migrants résidant en Amérique du Nord qui sont nés dans une autre région
(Europe ou Asie par exemple). Les «migrants à l’intérieur de l’Amérique du Nord» sont des migrants
nés dans en Amérique du Nord qui résident hors de leur pays de naissance, mais toujours dans la
région. Les «migrants en provenance de l’Amérique du Nord» sont des personnes nées en Amérique
du Nord qui résident hors de la région (par exemple en Europe ou en Afrique).
100 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
La proportion de femmes et d’hommes immigrés aux États-Unis et au Canada est à peu près la même, les femmes
immigrées étant à peine plus nombreuses. En ce qui concerne la proportion d’émigrants, toutefois, le Canada
compte une part beaucoup plus importante de femmes que d’hommes. Aux États-Unis, la proportion d’émigrants
des deux sexes est à peu près la même.
Figure 18. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite)
en Amérique du Nord, selon le sexe
Canada
États-Unis d’Amérique
Canada
États-Unis d’Amérique Sexe
Femmes
Hommes
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations
de migrants internationaux au moment de la rédaction. Les proportions s’entendent de la
part de femmes ou d’hommes dans le nombre total d’immigrants dans les pays de destination
(à gauche) ou d’émigrants au départ des pays d’origine (à droite).
Les États-Unis ont accueilli le plus grand nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés en Amérique du Nord en
2022 (figure 19). On y dénombrait près de 1,8 million de demandeurs d’asile et plus de 363 000 réfugiés à la fin
de l’année 2022. Les États-Unis ont aussi été le pays ayant reçu le plus grand nombre de nouvelles demandes
d’asile individuelles au niveau mondial la même année (plus de 730 000)343. Le Canada, quant à lui, a accueilli plus
de 113 000 demandeurs d’asile et près de 66 000 réfugiés en 2022.
Figure 19. Nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile à l’intérieur
et en provenance des pays d’Amérique du Nord, 2022
Canada
États-Unis d’Amérique
0 0,5 1 1,5 2
Personnes (millions)
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.a.
Note : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres
pays qui résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger »
comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors de leur
pays d’origine.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 101
Tous les déplacements internes en Amérique du Nord en 2022 ont été déclenchés par des catastrophes (figure 20).
La plupart ont eu lieu aux États-Unis, où 675 000 mouvements ont été enregistrés, dont près de la moitié ont été
provoqués par l’ouragan Ian. Le nombre de déplacements dus à des catastrophes au Canada en 2022 était beaucoup
plus faible que celui enregistré aux États-Unis. Ce nombre sera probablement beaucoup plus élevé en 2023 en
raison des feux de forêt intenses et touchant de vastes étendues qui ont été observés au cours des mois d’été.
Figure 20. Nouveaux déplacements internes en Amérique du Nord (catastrophes et conflits), 2022
Millions Pourcentage de la population
0,6 0,4 0,2 0 0,2 0,15 0,1 0,05 0
Canada
États-Unis d’Amérique
Conit
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Notes : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et
non la population totale de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du
temps. Le nombre de nouveaux déplacements inclut des personnes qui ont été déplacées plus
d’une fois, et ne correspond pas au nombre de personnes déplacées au cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus
à des catastrophes et à des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale
dans le pays en 2021 établie par le DESA. Le pourcentage est fourni à titre purement indicatif
et comparatif.
Principales caractéristiques et tendances en Amérique du Nord344
Alors que les pénuries de main-d’œuvre pèsent sur l’économie du Canada et des États-Unis, les deux
pays ont conçu ou adopté des stratégies visant à attirer des travailleurs migrants pour y remédier dans
les secteurs critiques. Les changements démographiques dus au vieillissement des populations et à la baisse
des taux de fécondité, la pandémie de COVID-19 – qui a mis un frein à la mobilité internationale –, ainsi que les
politiques d’immigration précédemment plus restrictives aux États-Unis sont autant de facteurs ayant conduit à une
pénurie de main-d’œuvre345. En réponse, le Canada, par exemple, a adopté des plans à long terme pour recruter
des migrants afin de répondre à ses besoins en la matière. En novembre 2022, le Gouvernement du Canada a
annoncé qu’il s’efforcerait d’attirer 1,45 million d’immigrants entre 2023 et 2025 pour occuper des emplois dans des
secteurs clés et essentiels, tels que les soins de santé et l’industrie manufacturière346. Aux États-Unis, si l’immigration
a augmenté en 2022 et a contribué à stimuler la reprise de l’emploi dans des secteurs tels que la construction
et l’hôtellerie, le nombre de travailleurs étrangers est resté inférieur aux niveaux d’avant 2017347. Selon certaines
estimations, les emplois non pourvus aux États-Unis s’élèvent à plus de 10 millions, et le manque d’immigrants
pour remédier à ces pénuries – d’après certains observateurs – a eu des répercussions négatives sur l’économie
du pays348. Pour tenter de remédier à ces pénuries dans certains secteurs essentiels, alors même qu’une politique
d’immigration plus ambitieuse se trouve contrecarrée depuis des années, l’actuelle administration américaine a
annoncé son intention de délivrer près de 65 000 visas agricoles temporaires H-2B supplémentaires au cours de
l’exercice budgétaire 2023349.
102 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Les effets du changement climatique s’intensifient dans certaines parties de l’Amérique du Nord,
entraînant des déplacements importants, des pertes de vies humaines et des dégâts matériels. Les chocs
climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les ouragans et les températures anormalement
élevées sont de plus en plus fréquents, ce qui présente des risques importants pour les habitants de la région350. Le
rapport 2022 du GIEC montre que la façade atlantique du Canada et le sud-est des États-Unis seront menacés par
l’élévation du niveau de la mer et par des ouragans et des tempêtes violents, même si le réchauffement climatique
ne dépasse pas 1,5 degré Celsius351. Les récents incendies de forêt aux États-Unis et au Canada témoignent de
l’aggravation des effets du changement climatique. Entre 2020 et 2022, par exemple, l’étendue des terres ravagées
par le feu dans l’ouest des États-Unis dépassera la moyenne de 4 800 km2 de terres calcinées depuis 2016352. Au
Canada, on dénombrait en juin 2023 des dizaines de milliers de personnes déplacées et des millions d’hectares
partis en fumée, après que des incendies de forêt ont fait rage des semaines durant353. Outre les incendies de forêt,
certaines parties de l’Amérique du Nord ont été frappées de plein fouet par les ouragans. L’ouragan Ian, qui a touché
terre à Cuba avant de se diriger vers les États-Unis, a provoqué plus de 300 000 déplacements, majoritairement
en Floride354. Les États-Unis ont pris des mesures préventives pour protéger certaines des communautés les plus
vulnérables face aux effets du changement climatique. En 2022, il a été annoncé que le Gouvernement donnerait
de l’argent à cinq tribus amérindiennes dans les États de l’Alaska et de Washington pour les aider à se réinstaller
loin des côtes et des rivières355.
La migration irrégulière vers les États-Unis reste un défi permanent et une question politique majeure,
avec un nombre croissant d’arrivées en provenance de pays d’origine atypiques. En 2022, on a dénombré
2,4 millions de tentatives de franchissement de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, soit le chiffre le
plus élevé jamais enregistré356. Par « tentative de franchissement », il faut entendre à la fois les arrestations et
les expulsions, et ces statistiques incluent également de nombreux migrants qui ont tenté plusieurs fois d’entrer
illégalement aux États-Unis357. Des années durant, les migrants irréguliers affluaient massivement du Mexique, du
Guatemala, du Salvador et du Honduras, mais en 2022 et pour la première fois, il y a eu davantage de tentatives
de franchissement depuis la République bolivarienne du Venezuela, Cuba et le Nicaragua358. Un grand nombre
d’arrivées ont aussi été observées en provenance d’Haïti, du Brésil et de pays extérieurs à la région tels que l’Inde
et l’Ukraine359. Cette mutation au niveau des pays d’origine a également été attribuée au titre 42 du Code des
États Unis, qui suspend le droit de demander l’asile en vertu du droit américain et international sur la base de
la prévention de la propagation du COVID-19360. En mai 2023, l’actuel Gouvernement des États-Unis a autorisé
l’expiration de la déclaration d’urgence de santé publique relative à la pandémie de COVID-19, mettant ainsi fin à
l’application du titre 42, qui avait été mis en place par le gouvernement précédent361. Les États-Unis appliquent donc
de nouveau le titre 8 qui était d’application avant la pandémie, une loi sur l’immigration vieille de plusieurs décennies,
qui entraîne «des conséquences sévères en cas d’entrée illégale, y compris une interdiction d’entrée pendant au
moins cinq ans et des poursuites pénales potentielles en cas de tentatives répétées »362. Dans le même temps, les
États-Unis ont annoncé en avril 2023 l’élargissement des voies d’accès régulières pour les migrants d’Amérique du
Sud et d’Amérique centrale, dans le but de freiner la migration irrégulière363. Dans le cadre de l’Initiative pour une
mobilité sûre, les personnes qui remplissent les conditions pourraient ainsi bénéficier de voies d’accès spéciales, à
caractère humanitaire ou autres, vers les États-Unis ou d’autres pays participant au programme364. Parmi les voies
d’accès disponibles figurent celles qui régissent la réinstallation des réfugiés, les voies d’accès à l’emploi temporaire
et les processus de regroupement familial365. L’OIM et le HCR (avec d’autres) sont des partenaires des États-Unis
dans ce processus.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 103
Les dirigeants de 21 pays d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et des Caraïbes ont signé en 2022 la
Déclaration de Los Angeles sur la migration et la protection, marquant ainsi une avancée majeure dans
la définition des objectifs de coopération en matière de gestion des migrations dans les deux régions.
Cette déclaration non contraignante a été largement saluée, y compris par des organisations internationales telles
que l’OIM et le HCR. Elle est considérée comme une mesure politique importante qui s’appuie sur les instruments
et principes existants, tels que le Pacte mondial pour les migrations, et les plateformes régionales telles que la
Conférence régionale sur les migrations, entre autres, ayant pour vocation de faciliter la mise en œuvre de cette
déclaration366. La Déclaration de Los Angeles reconnaît également que les migrations ne peuvent être gérées
unilatéralement et qu’il convient d’aborder les défis et les opportunités liés aux migrations dans le cadre d’une
coopération internationale367. Elle définit plusieurs objectifs communs, notamment : stabiliser les mouvements
migratoires et fournir une assistance aux pays d’origine, de transit et de destination, ainsi qu’aux pays de retour;
développer des voies régulières de migration et de protection internationale ; œuvrer à une gestion humaine des
migrations; et promouvoir des réponses mieux coordonnées aux situations d’urgence368.
Le Canada continue de réinstaller plus de réfugiés que tout autre pays dans le monde. Avec 47 600 arrivées
de réinstallation en 2022, soit une augmentation de 133 % par rapport à 2021 (20 400), le Canada a reçu le plus
grand nombre de réfugiés réinstallés au monde369. Beaucoup venaient de l’Afghanistan (21 300), de la République
arabe syrienne (7 600) et de l’Érythrée (6 100)370. En 2022, les États Unis ont réinstallé 29 000 réfugiés, soit
deux fois plus qu’en 2021. La plupart étaient originaires de la République démocratique du Congo (9 000), de la
République arabe syrienne (4 300) et du Myanmar (2 900)371. Les réinstallations de réfugiés aux États-Unis – qui
restent peu nombreuses – sont, pour partie, le fruit des politiques d’immigration restrictives de l’administration
précédente, qui en ont réduit le nombre, tout en limitant la capacité du Gouvernement à accepter des réfugiés372.
104 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Océanie373
Les dernières données disponibles sur les populations de migrants internationaux (2020)374 montrent que près
de 8,3 millions de migrants internationaux non originaires d’Océanie vivaient dans la région. Comme le montre la
figure 21, la population migrante née à l’étranger était principalement composée de personnes originaires d’Asie et
d’Europe. Au cours des 30 dernières années, le nombre de migrants océaniens nés en Asie a augmenté, tandis que
celui des migrants originaires d’Europe est resté stable. Parmi les six régions du monde, l’Océanie était celle qui
comptait le moins de migrants en dehors de sa région en 2020, ce qui s’explique en partie par la taille plus réduite
de sa population par rapport à d’autres régions. Les migrants d’Océanie vivant en dehors de la région résident
principalement en Europe et en Amérique du Nord.
Figure 21. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Océanie, 1990-2020
Migrants à destination de l’Océanie Migrants à l’intérieur de l’Océanie Migrants en provenance de l’Océanie
0
2
4
6
8
Population de migrants (en millions)
Région
Afrique
Asie
Europe
Amérique latine
et Caraïbes
Amérique du Nord
Océanie
Année
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de migrants
internationaux au moment de la rédaction. Les «migrants à destination de l’Océanie » s’entendent des
migrants résidant en Océanie qui sont nés dans une autre région (Europe ou Asie par exemple). Les
«migrants à l’intérieur de l’Océanie » sont des migrants nés en Océanie qui résident hors de leur pays
de naissance, mais dans la région. Les «migrants en provenance de l’Océanie » sont des personnes
nées en Océanie qui résident hors de la région (par exemple en Europe ou en Amérique du Nord).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 105
Les proportions de femmes et d’hommes immigrés en Australie et en Nouvelle-Zélande sont très similaires, avec
seulement de légères différences. La répartition parmi les émigrants est également à peu près la même, celle des
émigrants de sexe féminin n’étant que légèrement supérieure.
Figure 22. Principaux pays de destination (à gauche) et d’origine (à droite) en Océanie, selon le sexe
Nouvelle-Zélande
Australie
Australie
Nouvelle-Zélande Sexe
Femmes
Hommes
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Immigrants
0 % 25 % 50 % 75 % 100 %
Émigrants
Source : DESA, 2021.
Notes : Les chiffres présentés correspondent aux dernières données disponibles sur les populations de
migrants internationaux au moment de la rédaction. Les proportions s’entendent de la part de
femmes ou d’hommes dans le nombre total d’immigrants dans les pays de destination (à gauche) ou
d’émigrants au départ des pays d’origine (à droite).
On a dénombré plus de 156 000 réfugiés et demandeurs d’asile en Océanie. La plupart d’entre eux – plus de
54 000 réfugiés et près de 91 000 demandeurs d’asile – ont été accueillis en Australie. Le plus grand nombre de
réfugiés en Australie provenait de pays tels que la République islamique d’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iraq.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée a accueilli le deuxième plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile en
Océanie (figure 23). La plupart des réfugiés et des demandeurs d’asile d’Océanie (plus de 3 600) étaient originaires
des Fidji.
Figure 23. Nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile à l’intérieur
et en provenance des pays d’Océanie, 2022
Nouvelle-Zélande
Fidji
Papouasie
Nouvelle-Guinée
Australie
0 0,02 0,04 0,06 0,08 0,1 0,12 0,14
Personnes (millions)
Lieu
Dans le pays
À l’étranger
Statut :
Demandeurs d’asile
Réfugiés
Source : HCR, s.d.a.
Note : La catégorie «dans le pays » comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’autres
pays qui résident dans le pays d’accueil (colonne de droite de la figure); la catégorie « à l’étranger »
comprend les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de ce pays qui se trouvent hors de leur
pays d’origine. Ce classement est établi à partir de données pour 2022, en combinant les populations
de réfugiés et de demandeurs d’asile qui se trouvent dans ces pays ou en sont originaires.
106 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
Les déplacements internes les plus importants en Océanie déclenchés par les conflits et la violence ont eu lieu en
Papouasie-Nouvelle-Guinée, où 64 000 mouvements ont été enregistrés en 2022 (figure 24). Ce chiffre est plus de
huit fois supérieur à celui enregistré en 2021 (7 500). La violence qui a déclenché la plupart de ces déplacements
était liée aux élections nationales de la mi-2022 et aux tensions qui en ont découlé. L’Australie a enregistré le plus
grand nombre de déplacements liés à des catastrophes en 2022 (17 000), la plupart d’entre eux étant dus à des
inondations dans les États orientaux de la Nouvelle-Galles du Sud et du Queensland. La Papouasie-Nouvelle-Guinée
a connu le deuxième plus grand nombre de déplacements occasionnés par des catastrophes (près de 10 000). Bien
que les déplacements dus à des catastrophes aient été beaucoup moins nombreux à Tonga que dans des pays
comme l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, c’est à Tonga qu’ils ont été les plus nombreux en pourcentage
de la population (plus de 2 %).
Figure 24. Principaux pays d’Océanie sur le plan des nouveaux déplacements internes
(catastrophes et conflits), 2022*
Millions Pourcentage de la population
0 0,025 0,05 2 1 0
Îles Marshall
Samoa américaines
Nouvelle-Calédonie
Vanuatu
Tonga
Nouvelle-Zélande
Fidji
Australie
Papouasie-Nouvelle-Guinée
Conit
Catastrophe
Source : IDMC, s.d. ; DESA, 2022.
Note : Le terme « nouveaux déplacements » désigne le nombre de déplacements survenus en 2022, et non la population
totale de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays accumulée au fil du temps. Le nombre de nouveaux
déplacements inclut des personnes qui ont été déplacées plus d’une fois, et ne correspond pas au nombre de
personnes déplacées au cours de l’année.
L’effectif de la population qui a servi à calculer le pourcentage de nouveaux déplacements dus à des catastrophes
et à des conflits est fondé sur l’estimation de la population résidente totale dans le pays en 2021 établie par le
DESA. Le pourcentage est fourni à titre purement indicatif et comparatif.
*
Territoires inclus.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 107
Principales caractéristiques et tendances en Océanie375
Après un examen complet du système migratoire australien, un groupe consultatif nommé par le
Gouvernement a recommandé des réformes majeures du système d’immigration au début de 2023, après
avoir déclaré que le système actuel « n’était pas adapté à son objectif »376. Entrepris en septembre 2022 et
présenté au Gouvernement en mars 2023, il s’agit de l’examen le plus important du système régissant l’immigration
en Australie depuis des décennies377. Il a révélé que le programme actuel n’offrait pas de quoi intéresser les migrants
hautement qualifiés, et qu’il ne permettait pas non plus aux entreprises d’accéder efficacement aux travailleurs
étrangers378. Parmi les critiques dont l’examen se fait l’écho figure l’augmentation d’une «migration temporaire
permanente », ayant pour effet non seulement de léser les migrants, mais aussi de saper leur confiance dans le
programme australien379. Les visas temporaires, qui n’ont pas été plafonnés pendant des années et ont augmenté
plus rapidement que le nombre de visas permanents, n’ont pas toujours clairement ouvert la voie au permis de
séjour permanent, abandonnant durablement de nombreux travailleurs migrants à leur condition de résident en
sursis380. L’examen a également identifié l’exploitation des migrants comme un vrai problème, soulignant les aspects
liés à la migration temporaire, tels que le seuil de revenu de l’immigration qualifiée temporaire (TSMIT), qui a été
gelé depuis 2013, comme jouant un rôle dans l’exploitation des migrants381. À la suite de l’examen, le Gouvernement
australien a annoncé en avril 2023 qu’il augmenterait le TSMIT pour le faire passer de 53 900 à 70 000 dollars
australiens (AUD)382. En plus d’appeler à une migration fluide et prévisible, le rapport auquel a donné lieu l’examen
a relevé que la migration – par le biais d’un programme de migration bien conçu – avait un rôle clé à jouer pour
relever des défis tels que le vieillissement de la population et la stagnation de la productivité383.
À l’instar de certains pays d’Amérique du Nord et de certaines régions d’Europe, l’Australie et la NouvelleZélande sont confrontées à une pénurie de main-d’œuvre et ont besoin de l’immigration pour remédier
à la pénurie de travailleurs dans des secteurs clés. Les deux pays ont longtemps compté sur l’immigration
pour combler les lacunes de leur marché du travail. Toutefois, en réponse à la pandémie de COVID-19, l’Australie
a mis en place des restrictions à la mobilité parmi les plus sévères au monde, ce qui a entraîné une forte réduction
du nombre de travailleurs migrants entrant dans le pays. Pour répondre aux besoins actuels en main-d’œuvre,
l’Australie a annoncé en 2022 qu’elle augmenterait le nombre de visas de migration permanente pour l’année de
programme 2022-23, le faisant passer de 160 000 à 195 000384. Cette augmentation devrait permettre de combler
les pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs tels que la santé et la technologie. Le Gouvernement se concentre
également sur la rationalisation du traitement des visas, notamment en y consacrant un financement supplémentaire
de 36,1 millions de dollars australiens385. La Nouvelle-Zélande, quant à elle, a annoncé d’importantes réformes en
matière d’immigration afin d’augmenter son réservoir de main-d’œuvre disponible, notamment en assouplissant
les permis de séjour pour les travailleurs migrants dans les secteurs prioritaires à haut niveau de compétences386.
Par rapport à leur population, les petits États insulaires, y compris en Océanie, sont les plus exposés
au risque de déplacement dû au changement climatique. Huit des pays et territoires insulaires du Pacifique,
dont les Tonga, le Vanuatu, les Fidji, les Îles Salomon, les États fédérés de Micronésie, les Îles Marshall, les Îles Cook
et Nioué, figurent parmi les 15 pays et territoires du monde les plus exposés à ce type de catastrophes387. Les
Tonga, les Îles Salomon et le Vanuatu sont classés parmi les pays les plus vulnérables aux effets du changement
climatique et des catastrophes388. Les catastrophes telles que les cyclones tropicaux, les éruptions volcaniques et
les sécheresses font souvent des ravages et provoquent des déplacements dans la sous-région389. En 2021, deux
cyclones consécutifs – Ana et Bina – ont frappé les Îles Salomon, le Vanuatu et les Îles Fidji, provoquant plus de
14 000 déplacements390. Étant donné que la moitié de leur population vit à moins de 10 km de la côte, les petits
États insulaires du Pacifique sont également menacés par les événements à évolution lente tels que l’élévation du
niveau de la mer et l’érosion côtière, avec des conséquences humaines potentiellement importantes, notamment en
108 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
termes de déplacements391. Face à ce défi, les gouvernements du Pacifique ont déclaré que le changement climatique
revêtait une importance critique pour la sécurité de la région, et des efforts ont également été entrepris pour
mettre à l’avant-plan la recherche de solutions politiques à ce problème, y compris dans ses implications en matière
de mobilité humaine. Actuellement, les gouvernements de la région étudient la forme et le contenu d’un cadre
régional de mobilité climatique à fondement juridique – le premier du genre dans le monde – sous la supervision
du Forum des îles du Pacifique.
L’Océanie, en particulier l’Australie, reste une destination de choix pour les étudiants étrangers, dont
le nombre se redresse après une baisse en 2020 et 2021 due à la pandémie de COVID-19. L’Australie est
depuis longtemps une destination majeure pour les étudiants étrangers, mais lorsque le pays a fermé ses frontières
et imposé des restrictions de voyage pour contenir la propagation de la COVID-19, le nombre d’étudiants entrant
dans le pays a fortement chuté. En 2022, le nombre d’étudiants internationaux dans le pays semblait revenir aux
niveaux antérieurs à la pandémie, avec plus de 619 000 étudiants détenteurs d’un visa, soit une augmentation de
8 % par rapport à 2021392. Et au premier trimestre 2023, plus de 256 000 étudiants internationaux sont arrivés
dans le pays, soit une augmentation de 143 % par rapport à la même période en 2022393. Si la Nouvelle-Zélande
accueille moins d’étudiants étrangers que l’Australie, elle était aussi une destination populaire avant la pandémie de
COVID-19. Avant la pandémie, la Nouvelle-Zélande accueillait environ 120 000 étudiants étrangers, mais ces chiffres
ont chuté de façon spectaculaire pendant les deux années de fermeture des frontières décrétées à cette suite394.
Des signes indiquent toutefois que le nombre d’étudiants étrangers en Nouvelle-Zélande est également en train
de se rétablir; depuis la réouverture des frontières, des milliers d’étudiants ont demandé à entrer dans le pays au
titre de programmes à venir395.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 109
Notes en fin de texte
1 Tout a été mis en œuvre en vue de garantir l’exactitude des
données citées dans le présent chapitre, notamment en les
vérifiant. Cependant, il n’est pas à exclure que des erreurs
aient pu passer inaperçues.
2 Les sous-régions sont, dans une large mesure, déterminées
par les dynamiques migratoires et, de ce fait, peuvent
différer de celles du DESA. Pour plus d’informations, voir
l’appendice A.
3 Les mises à jour ont été effectuées jusqu’à la fin du mois
d’octobre 2023.
4 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Afrique.
5 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
6 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Afrique.
7 Conseil européen et Conseil de l’Union européenne, 2023.
8 HCR, 2020.
9 Ibid.
10 Black et Sigman, 2022.
11 Commission européenne, 2022.
12 Conseil danois pour les réfugiés, 2022; ECRE, 2022a.
13 HCDH, 2023a.
14 Ibid.
15 Moderan, 2023.
16 Parker, 2023.
17 HCDH, 2023a.
18 HCDH, 2022a.
19 DESA, 2021.
20 Banque mondiale, 2023a.
21 Ibid.
22 Fusco, 2022.
23 Belhaj, 2022.
24 Clement et al., 2021.
25 Wehrey et Fawal, 2022.
26 OCHA, 2021.
27 IDMC, 2023a.
28 Ibid.
29 Ibid.
30 OIM, s.d.a ; Fulton et Holmes, 2023 ; Harb et Elhennawy,
2023.
31 Ochab, 2022.
32 IDMC, 2023a.
33 HCR, 2023a.
34 Williams, 2023.
35 IDMC, 2023a ; OIM, s.d.b.
36 Abebe et Mukundi-Wachira, 2023.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Oucho et al., 2023.
40 Brenn et al., 2022.
41 IGAD, 2020.
42 COMESA, 2022.
43 Ibid.
44 OIM, 2022a.
45 Ibid. ; OIM, 2023a.
46 Terry et Rai, 2023.
47 FSNWG, 2022 ; Terry et Rai, 2023.
48 HCR, 2023b ; OIM, 2023b.
49 États membres de l’IGAD, de l’EAC et États de l’Afrique de
l’Est et de la Corne de l’Afrique, 2022.
50 Gbadamosi, 2023.
51 OMM, 2023.
52 OCHA, 2023a.
53 ACLED, 2023.
54 IDMC, 2023a.
55 Ibid.
56 HCR, 2023a.
57 HCR, 2023c.
58 Ibid.
59 ACAPS, s.d.
60 Bisong, 2021 ; DESA, 2021.
61 McAuliffe et Khadria, 2019.
62 Bisong, 2021.
63 OIM, 2022a.
64 Banque mondiale, 2023a.
65 Munda, 2022.
66 GFEMS, 2021 ; Hertog, 2022 ; Aboueldahab, 2021.
67 GFEMS, 2021.
68 Council on Foreign Relations, 2023.
69 Centre mondial pour la responsabilité de protéger, s.d.
70 OIM, 2022b ; Ndiaga et Mcallister, 2022.
71 HCR, 2023a.
72 UNICEF, 2023a.
73 André, 2022.
74 IDMC, 2023a.
75 Ibid.
76 Ibid.
77 ONUDC, 2023a.
78 CEE-ONU, 2022.
79 OIM, 2023c.
80 CEE-ONU, 2022.
81 OIM, 2023c.
82 DESA, 2021.
83 Bentil et al., 2021.
84 Ibid.
110 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
85 OIM, s.d.c. ; Devillard et al., 2015.
86 McAuliffe et Khadria, 2019.
87 Arhin-Sam et al., 2022.
88 OIM, s.d.d.
89 Ibid.
90 Osserman et Zhou, 2022.
91 Smith, R., 2022 ; Osserman et Zhou, 2022.
92 Walt, 2022.
93 Adler, 2022.
94 Nkang, 2019 ; Abderrahmane, 2022.
95 Abderrahmane, 2022 ; Wolter, 2019.
96 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Asie.
97 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
98 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Asie.
99 IDMC et ADB, 2022.
100 Ibid.
101 IDMC, 2023a.
102 Ibid.
103 Ibid.
104 Ibid.
105 McAuliffe et Khadria, 2019 ; McAuliffe et Triandafyllidou,
2021.
106 Banque mondiale, 2023a.
107 Ibid.; on notera que la sous-région dont il est question ici
correspond à celle de l’Asie de l’Est et du Pacifique selon la
Banque mondiale.
108 Ibid.
109 McAuliffe, 2017 ; ASEAN, 2022.
110 ASEAN, 2022.
111 McAuliffe, 2017.
112 OIM, 2023d.
113 OIM, s.d.e.
114 Jesperson et al., 2022.
115 ONUDC, 2023b.
116 Ibid.
117 Département d’État des États-Unis, 2022.
118 Al Jazeera, 2023a.
119 BBC, 2022.
120 HCR, 2023d.
121 Ibid.
122 Kean, 2022.
123 Abdelkader, 2017 ; HCR, s.d.b.
124 HCDH, 2023b ; Al Jazeera, 2023b.
125 Paul, 2023.
126 HCR, 2023e ; Rahman, 2023.
127 Roome, 2022.
128 IDMC, 2023a ; Nations Unies, 2022a.
129 IDMC, 2023a ; Mahmud, 2022.
130 IDMC, 2023a
131 Banque mondiale, 2023a.
132 DESA, 2021.
133 Banque mondiale, 2023a.
134 Ibid.
135 McAuliffe et Khadria, 2019.
136 IDMC, 2023a.
137 HCR, 2023a.
138 Ibid.
139 Nations Unies, 2022b.
140 Goldbaum et Akbary, 2022 ; Nations Unies, 2023a.
141 Goldbaum et Padshah, 2023.
142 OIM, 2023e.
143 HCR et OIM, 2023.
144 HCR, 2023a.
145 Al Jazeera, 2023c.
146 Ibid.
147 Yeung et Maruyama, 2023.
148 Ng, 2023.
149 Yokohama, 2022.
150 Suk et Yang, 2023.
151 Japan News, 2022.
152 IDMC, 2023a.
153 Ibid. ; IDMC, 2022a.
154 Frost, 2023.
155 Ibid.
156 DESA, 2021.
157 Banque mondiale, 2023a.
158 Ibid.
159 ICEF, 2022a.
160 Ibid.
161 ICEF, 2022a.
162 Singh, 2023.
163 Hogan, 2023 ; Nikkei Asia, 2023 ; Yamamoto, 2023.
164 Nikkei Asia, 2023 ; Yamamoto, 2023.
165 HCR, 2023a.
166 Ibid.
167 Ibid.
168 Ibid.; HCR, 2023a.
169 Fahim, 2022; HCDH, 2021.
170 Fahim, 2022.
171 Ibid.
172 OIM, 2023f.
173 Ibid.
174 Nations Unies, 2023b.
175 IASC, 2023 ; OIM, 2023g.
176 IASC, 2023 ; OIM, 2023h.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 111
177 HCR, 2023f.
178 OIM, 2022c.
179 Ibid.
180 OIM, 2023i.
181 NRC, 2022.
182 OIM, 2023j.
183 IDMC, 2023a.
184 OCHA, 2023b.
185 IDMC, 2021.
186 OIM, 2023k.
187 Banque mondiale, 2023a.
188 OIT, 2021.
189 Schenk, 2023.
190 Banque mondiale, 2023a.
191 Ibid.; Bloomberg News, 2022.
192 Banque mondiale, 2023a.
193 Auyezov et Gordeyeva, 2022.
194 Reuters, 2022.
195 Ebel, 2023.
196 Khashimov et al., 2020.
197 ICMPD, 2023.
198 Gouvernement de l’Ouzbékistan, 2022.
199 PNUD, 2022a.
200 BAsD, 2022.
201 Talant, 2022.
202 IDMC, 2022b.
203 Ibid.
204 Davies, 2022.
205 Sultanalieva, 2022.
206 IDMC, 2023a.
207 Davies, 2022.
208 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Europe.
209 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
210 Voir l’Appendice A pour plus de détails sur la composition
de l’Europe.
211 HCDH, 2023c ; EUAA et al., 2022.
212 HCR, 2023g ; IDMC, 2023a.
213 HCR, 2023h.
214 UNHCR, 2023j.
215 OCHA, 2023c.
216 OIT, s.d.
217 OCDE, 2022.
218 Ibid.
219 Ciurcă, 2023.
220 Pickup, 2020 ; Morris, 2022.
221 Smith, H., 2022.
222 DESA, 2022.
223 Neidhardt et Butcher, 2022.
224 OIM, 2023l.
225 Ibid.
226 Ibid.
227 Ibid.
228 OIM, 2022d.
229 Emmott et al., 2021.
230 Commission européenne, s.d.
231 ECRE, 2023.
232 Ibid.
233 Ibid.
234 HCR, 2022a.
235 Ibid.
236 OIM, 2023m.
237 Wienberg, 2022.
238 Ahmed, 2023.
239 HCDH, 2023d.
240 OIM, 2023n.
241 Ibid.
242 OIM, 2023o.
243 Mentzelopoulou, 2022.
244 ECRE, 2022a et 2022b.
245 ECRE, 2022b.
246 George, 2022.
247 Pallapothu, 2021.
248 ONU Femmes, 2022.
249 Pallapothu, 2021.
250 Gouvernement du Canada, 2021.
251 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de
l’Amérique latine et des Caraïbes.
252 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
253 Voir la sous-région de l’Amérique du Sud pour une analyse
détaillée des millions de Vénézuéliens déplacés. Il s’agit de
Vénézuéliens précédemment classés «Vénézuéliens déplacés
à l’étranger » (VDA). Le HCR les classe dans une catégorie
distincte pour refléter le fait que les déplacements se
poursuivent; cette catégorie n’englobe pas les Vénézuéliens
ayant le statut de demandeurs d’asile ou de réfugiés.
254 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de
l’Amérique latine et des Caraïbes.
255 L’ensemble des droits et obligations inhérents à la République
bolivarienne du Venezuela en vertu de son statut d’État
partie au MERCOSUR ont été suspendus, conformément aux
dispositions du deuxième alinéa de l’article 5 du protocole
d’Ushuaia.
256 MERCOSUR, s.d. ; Brumat et Espinoza, 2023.
257 Selee et al., 2023.
258 DESA, 2021.
259 Ibid.
112 La migration et les migrants : aspects régionaux et faits nouveaux à l’échelle régionale
260 Ibid.
261 OIM, 2023p ; Brumat et Pereira, 2023.
262 Doña-Reveco, 2022.
263 R4V, s.d.
264 Ibid.
265 Ibid.
266 HCR, 2023i.
267 Ibid.
268 HCR, s.d.c.
269 Ibid.
270 OIM, 2023q; HCR, 2022b. L’Argentine et l’Uruguay appliquent
l’accord de résidence du MERCOSUR pour régulariser
la population vénézuélienne ; les deux pays facilitent ainsi
l’accès de milliers d’immigrants aux permis de séjour, aux
documents personnels et aux droits sociaux.
271 Banque mondiale, 2023b ; Bahar et al., 2022 ; OIM, 2022e.
272 Barchfield, 2023.
273 IDMC, 2023a.
274 ACLED, 2022.
275 ACAPS, 2023.
276 Goodwin et Escobar, 2023 ; Diaz, 2023.
277 Collyns, 2023 ; International Crisis Group, 2022.
278 Diaz, 2023 ; Goodwin et Escobar, 2023.
279 US Customs and Border Protection, 2023 ; Ecuador Times,
2023.
280 Ecuador Times, 2023.
281 CEPALC, 2022 ; Castellanos et al., 2022.
282 Castellanos et al., 2022.
283 Ibid. ; Bergmann, 2021.
284 IDMC, 2023a.
285 Ibid.
286 Reuters, 2023a.
287 IDMC, 2023b ; UNICEF, 2023b.
288 MPI, 2022.
289 OIM, 2023r et 2023s; IBC, 2023.
290 OIM, 2023t.
291 Álvarez Velasco, 2020 ; Dixon, s.d.
292 Álvarez Velasco, 2022.
293 Yates, 2019.
294 Selee at al., 2023.
295 Ibid.
296 Yates et Bolter, 2021.
297 Roy, 2022.
298 OCHA, 2022a.
299 FICR, s.d. ; OIM et PAM, 2022.
300 OIM, 2023t; Roy, 2022.
301 MMC, 2023.
302 Gouvernement du Panama, 2023.
303 OIM, 2023u.
304 HCR, 2023a.
305 NRC, 2023.
306 Reuters, 2023b.
307 Wilson Center, 2022 ; Plan International, 2023.
308 ICG, 2023.
309 IDMC, 2023a.
310 Banque mondiale, 2023a.
311 Ibid.
312 Ibid.
313 IASC et Commission européenne, 2022.
314 Angelo, 2022 ; OIM et PAM, 2022.
315 Al Jazeera, 2022.
316 IDMC, 2023a.
317 Ibid.
318 Lacarte et al., 2023.
319 DESA, 2021.
320 Ibid.
321 Ibid.
322 Mérancourt et Coletta, 2023.
323 HCDH, 2022b.
324 OIM, 2023v.
325 IDMC, 2023a.
326 OIM, 2022f.
327 IDMC, 2023a.
328 HCDH, 2023e ; Obert, 2022.
329 Augustin et Robles, 2022.
330 Sesin, 2022.
331 Salomon, 2022.
332 Augustin et Robles, 2022.
333 Perlmutter, 2022 et 2023.
334 OIM, 2023w.
335 OMM, 2022.
336 PNUD, 2022b.
337 Ibid.
338 IDMC, 2023a.
339 OMM, 2022.
340 GIEC, 2022b.
341 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de
l’Amérique du Nord.
342 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
343 HCR, 2023a.
344 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de
l’Amérique du Nord.
345 Harnoss et al., 2022.
346 Ainsley et al., 2023.
347 DePillis, 2023.
348 Bhattarai et Gurley, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 113
349 MPI, 2022.
350 US EPA, s.d.
351 GIEC, 2022a.
352 NOAA, s.d.
353 Tumin, 2023 ; Cecco, 2023.
354 IDMC, 2023a.
355 Flavelle, 2022.
356 Ruiz Soto, 2022.
357 Ibid.
358 Ibid.
359 Spagat, 2022.
360 Ibid.
361 Debusmann, 2023 ; Engle, 2023.
362 Goodman, 2023 ; US DHS, 2023.
363 US DHS, 2023.
364 Movilidad Segura, s.d.
365 Ibid.
366 OIM, 2022g.
367 Selee, 2022.
368 Sommet des chefs d’État des Amériques, 2022.
369 HCR, 2023a.
370 Ibid.
371 Ibid.
372 MPI, 2022.
373 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Océanie.
374 Voir le chapitre 2 pour plus d’informations sur la prochaine
parution de la série de données sur les populations de
migrants internationaux du DESA.
375 Voir l’appendice A pour la composition détaillée de l’Océanie.
376 Gouvernement de l’Australie, 2023a.
377 Boucher, 2023.
378 Gouvernement de l’Australie, 2023a.
379 Karp, 2023.
380 Ibid.
381 Gouvernement de l’Australie, 2023a ; Boucher, 2023.
382 Gouvernement de l’Australie, 2023b.
383 Boucher, 2023.
384 Gouvernement de l’Australie, 2022.
385 Ibid.
386 Whyte, 2022.
387 OCHA, 2022b.
388 IDMC et BAsD, 2022.
389 OIM et OIT, 2022.
390 IDMC, 2022b.
391 IDMC et BAsD, 2022.
392 ICEF, 2023.
393 Knott, 2023.
394 ICEF, 2022b.
395 Ibid.
PARTIE II
QUESTIONS MIGRATOIRES COMPLEXES ET ÉMERGENTES
MARIE MCAULIFFE
GUY ABEL
LINDA ADHIAMBO OUCHO
ADAM SAWYER
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 117
4 ACCROISSEMENT DES INÉGALITÉS EN MATIÈRE DE
MIGRATION : QUE NOUS MONTRENT VRAIMENT
LES DONNÉES MONDIALES ?1
Introduction
La migration internationale est étroitement associée à des possibilités d’évolution positive, en particulier sur le plan
économique. Dans les esprits, la migration internationale est depuis longtemps associée à la notion d’amélioration,
qu’il s’agisse de la réussite individuelle, du revenu des ménages, de la résilience communautaire ou des stratégies
d’adaptation2
. Les personnes migrent pour accéder à une vie meilleure. Telle est, depuis longtemps, l’idée maîtresse
des études, analyses et politiques relatives à la migration internationale :
L’homme, comme de nombreux oiseaux, mais contrairement à la plupart des autres
animaux, est une espèce migratrice. La migration est, de fait, aussi ancienne que
l’humanité. […] Un examen attentif d’à peu près toutes les époques historiques révèle,
chez les hommes et les femmes, une propension constante à la mobilité géographique
qui, si elle peut s’expliquer par des motifs divers, est presque toujours motivée par un
certain désir d’amélioration matérielle3
.
Nombreuses sont les histoires relatant le parcours de migrants qui sont arrivés dans un nouveau pays avec peu
de ressources, mais qui ont réussi, par leur travail acharné, à créer une entreprise prospère, à devenir une figure
respectée de la vie publique, à financer l’éducation d’une génération entière de membres de leur famille élargie
restés au pays, ou à atteindre eux-mêmes les plus hauts sommets de la réussite universitaire. De même, certains
détracteurs de la migration internationale reprochent aux migrants, le plus souvent dans des discours négatifs, et
parfois politisés, de se rendre dans d’autres pays pour bénéficier de régimes d’aide sociale ou accéder à certains
emplois. Si ces exemples de discours quelque peu superficiels s’inscrivent dans des cadres et des angles de vue très
différents, le fait est que tous deux véhiculent avec force l’idée que la migration, tremplin vers la réussite, offre aux
personnes qui migrent un avantage positif et concret. En d’autres termes, il est difficile d’envisager que quelqu’un
puisse prendre l’initiative de migrer pour accéder à une situation moins bonne que celle qu’il quitte. L’abaissement
des conditions de vie à l’étranger est généralement associé à la «migration forcée » (aussi appelée «déplacement
forcé »), qui peut être due à différentes raisons, dont la guerre, les persécutions et les catastrophes, entre autres.
Il n’est pas surprenant que le déplacement forcé soit étroitement corrélé à de lourdes pertes imprévues4
.
Au-delà des discours sur la migration, l’émigration internationale est une politique suivie par certains gouvernements
nationaux depuis de nombreuses décennies dans le cadre de vastes programmes économiques5
. L’émigration a
favorisé le développement du commerce international, de la diplomatie et de la paix, et a permis de tisser des liens
1 Marie McAuliffe, Chef de la Division de la recherche sur la migration et des publications de l’OIM; Guy Abel, Professeur à l’Institut
asiatique de recherche démographique de l’Université de Shanghai ; Linda Adhiambo Oucho, Directeur exécutif de l’African Migration
and Development Policy Centre ; et Adam Sawyer, chercheur indépendant. Ce chapitre, qui a été initialement publié dans l’édition 2022
du Rapport État de la migration dans le monde, est repris dans la présente édition en réponse aux nombreuses demandes de présentation
de son analyse.
2 Castles et al., 2014; Massey et al., 2005.
3 Massey et al., 2005:2.
4 Ayeb-Karlsson, 2020; Ibáñez et Vélez, 2008 ; Turton, 2003.
5 Lee, 2016; Premi et Mathur, 1995 ; Xiang, 2016.
118 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
culturels tout en créant une source de revenus étrangers. Dans d’autres pays, l’immigration internationale a été un
important levier politique à des fins de « construction de la nation », à une période où la concurrence internationale
entre États s’est intensifiée et où la recherche de « talents mondiaux » s’est amplifiée6
.
S’agissant des chiffres, le nombre de migrants internationaux est passé d’environ 84 millions dans le monde en 1970
à 281 millions en 2020; toutefois, si l’on tient compte de la croissance démographique mondiale, la proportion
de migrants internationaux n’est passée que de 2,3 à 3,6 % de la population mondiale7
. Cependant, l’évolution
du nombre et de la proportion de migrants internationaux n’a pas été uniforme, comme en témoigne la forte
variation des taux de migration dans le monde. Au fil du temps, des schémas régionaux distincts sont apparus
(voir la figure 1), souvent le long de grands couloirs de migration historiques qui tiennent autant à la proximité
géographique qu’aux disparités géoéconomiques.
Figure 1. Migrants internationaux par région (1990-2019) : Migrants à destination, à l’intérieur et en
provenance de l’Europe, de l’Amérique latine et des Caraïbes
Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de l’Europe Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de
l’Amérique latine et des Caraïbes
Migrants à des�na�on de l’Europe Migrants à l’intérieur de l’Europe Migrants en provenance de l’Europe
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019
0
20
30
40
10
Année Année
Popula�on de migrants (millions)
Migrants à des�na�on de l’Amérique la�ne
et des Caraïbes
Migrants à l’intérieur de l’Amérique la�ne
et des Caraïbes
Migrants en provenance de l’Amérique la�ne
et des Caraïbes
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019
0
10
20
30
Popula�on de migrants (millions)
Région
Afrique Europe Amérique du Nord Asie Amérique la�ne et Caraïbes Océanie
Source : DESA, 2019.
Note : Les «migrants à destination de l’Europe » s’entendent des
migrants résidant en Europe qui sont nés dans une autre
région (Afrique ou Asie, par exemple). Les «migrants à
l’intérieur de l’Europe » s’entendent des migrants nés en
Europe qui résident hors de leur pays de naissance, mais
dans la région. Les «migrants en provenance de l’Europe »
s’entendent des personnes nées en Europe qui résident
hors de la région (en Amérique latine et dans les Caraïbes
ou en Amérique du Nord, par exemple).
Note : Les «migrants à destination de l’Amérique latine et
des Caraïbes » s’entendent des migrants résidant en
Amérique latine et dans les Caraïbes qui sont nés
dans une autre région (Europe ou Asie, par exemple).
Les «migrants à l’intérieur de l’Amérique latine et des
Caraïbes » s’entendent des migrants nés en Amérique
latine et dans les Caraïbes qui résident hors de leur
pays de naissance, mais dans la région. Les «migrants
en provenance de l’Amérique latine et des Caraïbes »
s’entendent des personnes nées en Amérique latine et
dans les Caraïbes qui résident hors de la région (en
Europe ou en Amérique du Nord, par exemple).
6 Alarcón, 2011; Bhuyan et al., 2015; Fargues, 2011; Moran, 2011.
7 DESA, 2021. Voir le chapitre 2 pour une analyse des définitions. Si la migration interne (en particulier l’urbanisation) offre elle aussi de
nombreuses possibilités grâce à la mobilité, le présent chapitre sera toutefois centré sur la migration internationale.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 119
La figure 1 montre qu’au cours des 30 dernières années, des tendances très distinctes se sont dessinées à l’échelle
régionale : par exemple, les personnes originaires d’Amérique latine et des Caraïbes préfèrent nettement migrer
en Amérique du Nord, tandis que la migration à destination de l’Europe en provenance d’autres régions a presque
doublé. Dans ces tableaux régionaux, une variable supplémentaire apparaît au niveau des pays, certains accueillant
au fil du temps une part plus importante de migrants internationaux (par exemple, les Émirats arabes unis, où elle
est passée de 71 % en 1990 à 88 % en 2019), tandis que d’autres sont confrontés à une émigration croissante et
à une baisse de la fécondité qui laissent entrevoir un problème de « dépopulation » (la Lettonie, la Lituanie et la
Bosnie-Herzégovine ont toutes vu leur population diminuer de plus de 10 % depuis 2009)8
.
Le présent chapitre est consacré à deux questions clés : «Qui sont ceux qui migrent à l’étranger? Et où se
rendent-ils? ». Nous avons analysé diverses données statistiques nationales et régionales en nous appuyant sur
certaines des études existantes consacrées aux déterminants de la migration et aux prises de décision. La section
suivante livre une synthèse de certains des principaux débats sur la migration internationale, y compris ceux
abordant la question sous l’angle du développement. Elle propose une analyse de la migration de 1995 à 20209
,
en s’intéressant à ses liens avec le développement humain, avant d’examiner, dans la troisième section, les moyens
d’action des pouvoirs publics. Le chapitre se conclut par un aperçu des principales conséquences pour les politiques
et les programmes ainsi que des défis à venir.
Concepts et contexte
Depuis des décennies, et même depuis les années 1880, de très nombreuses recherches et enquêtes s’intéressent
aux raisons qui sous-tendent la migration, aussi bien interne qu’internationale10. L’examen en cours des facteurs
et paramètres de la migration consiste principalement à tenter d’expliquer les schémas migratoires ainsi que les
structures et processus qui influencent et façonnent les mouvements de population d’un lieu à l’autre. De ce fait,
il existe de nombreuses études et analyses consacrées aux déterminants de la migration internationale qui ont
identifié quantité de facteurs à l’œuvre dans les schémas et processus migratoires, y compris les facteurs d’ordre
économique et commercial, les liens sociaux et culturels, la démographie et les changements démographiques, la
sécurité et la protection, ainsi que la géographie et la proximité11.
Une attention considérable a été portée à l’agentivité et aux facteurs structurels, ainsi qu’à la façon dont les
personnes envisageant de migrer font face aux divers obstacles rencontrés, dont le nombre et la nature dépendent
des capacités humaines dans le contexte du développement12. L’idée persistante dans l’opinion populiste selon laquelle
les migrants dits « économiques » s’emploient activement à migrer et font preuve d’un haut degré d’agentivité est
trop simpliste. Tout en reconnaissant la valeur des données factuelles que les travaux universitaires sur l’économie
politique de la migration ont mises au jour sur le long terme, des recherches et des analyses menées ces dernières
décennies ont, par exemple, fait apparaître de grandes différences dans la faculté des travailleurs migrants à faire des
8 Voir le chapitre 3 du Rapport État de la migration dans le monde 2020 pour une analyse de la question.
9 Le présent chapitre s’appuie sur les données concernant la population de migrants internationaux en 2020 (DESA, 2021) et l’indice de
développement humain en 2019 (PNUD, 2020), qui étaient les données les plus récentes disponibles au moment de la rédaction.
10 Ravenstein, 1885 et 1889.
11 Voir par exemple les textes sur la causalité cumulative (Massey, 1990), l’économie néoclassique (Todaro, 1989), la théorie du
système-monde (Portes et Walton, 1981), la théorie du capital social (Massey et al., 1987), la nouvelle économie de la migration de main
d’œuvre (Stark et Bloom, 1985) et la théorie des réseaux sociaux (Boyd, 1989).
12 Lee, 1966; Sen, 1999.
120 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
choix, en fonction des contraintes et possibilités rencontrées − travail asservi, ou renonciation aux droits sous la
pression de leur environnement13. La mesure dans laquelle les travailleurs migrants peuvent exercer leur agentivité
et choisir différents aspects de leur migration peut être fortement limitée, même si, dans la plupart des cas, il leur
reste certains choix, notamment celui de migrer, celui de leur destination et des modalités de leur voyage, ainsi que
celui de rentrer chez eux et de la date de leur retour14. Néanmoins, la liberté de choix des migrants (potentiels)
en matière de migration internationale peut être extrêmement limitée, selon leur lieu de naissance et les conditions
dans lesquelles ils vivent.
La migration et le hasard de la naissance
Un examen de la qualité de vie globale par pays et de la capacité de migrer sous l’angle de l’accès aux visas fait
apparaître que l’accès aux possibilités de migration procède en quelque sorte du « hasard de la naissance » et en
particulier du passeport que détient le candidat à la migration. Il apparaît, par exemple, que certains groupes
de nationalité ont bien moins de chances d’avoir accès à des visas et à des accords d’exemption de visa15. Le
tableau 1 ci-dessous récapitule les indices mondiaux de développement humain (voir l’appendice A pour plus
d’informations sur l’indice de développement humain), la fragilité et l’accès aux visas d’une sélection de pays16.
L’indice des passeports, un classement mondial des pays selon la liberté de voyager offerte à leurs ressortissants17,
révèle par exemple que la capacité d’une personne à entrer dans un pays avec une relative facilité est déterminée
à bien des égards par sa nationalité. L’accès aux visas donne également une indication générale du statut et des
relations d’un pays au sein de la communauté internationale, ainsi que de son niveau de stabilité, de sécurité et
de prospérité par rapport à d’autres pays. Les données font en outre apparaître deux autres aspects : il existe de
nettes différences, sous l’angle du développement humain, entre les pays figurant dans le haut du classement et les
autres; et les pays en milieu de classement peuvent être simultanément de grands pays d’origine, de transit et de
destination. Les ressortissants de pays dont l’indice de développement humain (IDH) est très élevé peuvent voyager
sans visa dans la plupart des autres pays du monde18. Ces pays sont aussi des pays de destination importants et très
prisés19. Pour les pays situés en bas du classement, toutefois, il semble que les restrictions en place en matière de
visa rendent difficile l’accès aux voies de migration régulière. Il est probable que les voies de migration irrégulière
sont l’option la plus réaliste (sinon la seule) qui s’offre aux migrants originaires de ces pays. Par ailleurs, il importe
de souligner que les pays à faible IDH tendent également à abriter de fortes populations de personnes déplacées
à l’intérieur de leur pays et/ou à être les pays d’origine d’un grand nombre de réfugiés20.
13 Ruhs, 2013.
14 Khalaf et Alkobaisi, 1999; Ullah, 2011.
15 Il est vrai que les procédures de traitement et d’examen des demandes de visas varient en fonction du type de visa demandé ; cependant,
l’indice Henley propose une synthèse utile de l’accès à la migration régulière à l’échelle mondiale, par pays.
16 L’indice de développement humain est un indice composite qui mesure les résultats moyens obtenus dans trois dimensions fondamentales
du développement humain : l’espérance de vie, l’éducation et un niveau de vie décent. L’indice des passeports mesure les limitations
imposées dans le domaine de l’attribution des visas dans 227 pays, territoires et régions et indique la capacité de voyager vers d’autres
destinations internationales avec une relative facilité. Mieux le pays est classé, plus grand sera le nombre de pays dans lesquels ses
ressortissants pourront voyager sans visa. L’indice de fragilité des États, établi par Fund for Peace (FFP), est un classement annuel de
178 pays fondé sur leur niveau de stabilité et les pressions auxquelles ils font face. Il comprend des indicateurs sociaux, économiques,
politiques et militaires.
17 Henley & Partners, 2021.
18 Ibid.
19 Esipova et al., 2018; Keogh, 2013; McAuliffe et Jayasuriya, 2016 ; DESA, 2021.
20 IDMC, 2020 ; HCR, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 121
Tableau 1. Classements d’une sélection de pays selon le développement humain,
la fragilité et le passeport
Pays
(dans l’ordre du classement
de l’IDH)
Indice de développement
humain 2019
Indice des
passeports 2021
Indice de fragilité
des États 2020
Rang Rang Rang
Développement
humain très élevé
Norvège 1 8 177
Allemagne 6 3 166
Australie 8 9 169
Singapour 11 2 162
Canada 16 9 171
États-Unis 17 7 149
France 26 6 160
Italie 29 4 143
Malaisie 62 12 120
Développement
humain élevé
Sri Lanka 72 99 52
Mexique 74 23 98
Thaïlande 79 65 82
Tunisie 95 72 95
Liban 92 100 40
Libye 105 101 20
Indonésie 107 72 96
Égypte 116 90 35
Développement
humain moyen
Kirghizistan 120 79 73
Iraq 123 109 17
Maroc 121 78 80
Inde 131 84 68
Bangladesh 133 100 39
Cambodge 144 88 55
Kenya 143 72 29
Pakistan 154 107 25
Développement
humain faible
Ouganda 159 75 24
Soudan 170 100 8
Haïti 170 92 13
Afghanistan 169 110 9
Éthiopie 173 96 21
Yémen 179 106 1
Érythrée 180 98 18
La première position dans le classement
signifie :
Pays dont le développement
humain est très élevé
Pays dont les
ressortissants détenteurs
d’un passeport peuvent
voyager le plus librement
Pays le plus fragile
La dernière position dans le classement
signifie :
Pays dont le développement
humain est faible
Pays dont les
ressortissants détenteurs
d’un passeport peuvent
voyager le moins
librement
Pays le moins fragile
Sources : PNUD, Indice de développement humain 2019 (Rapport sur le développement humain 2020); Henley & Partners, Passport
Index 2021 (The Henley Passport Index 2021, Q2); The Fund for Peace Fragile States Index 2020.
Note : Ces données étaient les plus récentes disponibles au moment de la rédaction.
122 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Néanmoins, nous savons aussi que la nationalité ne peut expliquer à elle seule l’évolution des schémas migratoires,
car les politiques en matière de visa et de mobilité ne sont qu’un facteur (aussi important soit-il) permettant de
savoir qui migre et où au fil du temps. Dans le contexte des discussions plus vastes sur les moteurs de la migration
et de l’apparition de schémas migratoires perceptibles ces dernières années et décennies, des modèles d’explication
de la migration, tels que celui présenté dans la figure 2, visent à tenir compte à la fois des aspects structurels et
de l’agentivité des migrants.
Figure 2. Modèle des mécanismes qui concourent à la migration
Désir de
changement
Aspirations
de vie
Infrastructure
migratoire
Désir de
migrer
Autres
réponses
Résultats de
la migration
Échec des
tentatives
de migration
Immobilité
involontaire
Conditions
Perspectives
Source : Carling, 2017.
L’intérêt de ce modèle est qu’il reconnaît qu’un désir de changement ne se traduit pas forcément par un désir de
migrer, et qu’un désir de migrer n’aboutit pas nécessairement à une migration – l’existence d’une infrastructure
migratoire21 (ou son absence) est un facteur qui a un impact décisif sur les résultats de la migration. Par infrastructure
migratoire, on entend les divers éléments humains et non humains qui permettent et façonnent la migration (par
exemple, les « agents » chargés de la migration qui opèrent sur une base commerciale, y compris les passeurs; les
régimes réglementaires et les cadres politiques; les technologies, telles que les TIC et les transports; et les réseaux
sociaux transnationaux22).
Dans le cadre de cette infrastructure migratoire, la possibilité ou non d’accéder à un visa peut revêtir la plus
haute importance, car il s’agit du seul élément qui n’a pas radicalement changé au fil du temps, à la différence
des « agents », des TIC, des transports et des réseaux connectés, qui ont enregistré une croissance significative23.
Au contraire, une analyse récente a démontré que l’accès aux visas a entraîné une dichotomie de la mobilité, les
ressortissants des pays riches pouvant accéder bien plus facilement à des régimes de mobilité réglementés que ceux
des pays pauvres24. Ce point est important car, lorsqu’ils le peuvent, les migrants choisissent d’emprunter des voies
21 Xiang et Lindquist, 2014.
22 Carling, 2017.
23 Lahav, 1999; McAuliffe., 2017a ; Triandafyllidou et McAuliffe, 2018.
24 Mau et al., 2015.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 123
régulières associées à un visa25. Les différences entre un voyage avec visa et un voyage sans visa sont saisissantes.
Du point de vue des migrants, l’expérience revêtira diverses formes, qui auront des conséquences pour eux-mêmes
et pour leur famille, y compris pour les proches restés au pays. Premièrement, un visa signifie qu’on est autorisé
à entrer dans un pays, et confère donc une forme de légitimité quand on arrive et qu’on voyage à l’intérieur du
pays. Avec un visa valide, on a plus de chances d’être protégé contre l’exploitation. À l’opposé, voyager sans visa
augmente le risque d’être arrêté et expulsé par les autorités, ou exploité et maltraité par ceux qui proposent des
services de migration illicites, tels que les passeurs ou les trafiquants, et de devoir agir en grande partie en dehors
des systèmes réglementés26. Deuxièmement, il est incontestablement beaucoup plus facile, sur le plan logistique,
de voyager avec un visa, car les possibilités offertes sont bien plus vastes. Dans certains cas, un visa peut décider
de la faisabilité ou non d’un voyage. Troisièmement, les visas confèrent un plus grand degré de certitude et de
confiance quant au voyage, qui aura beaucoup plus de chances de se dérouler comme prévu, y compris en ce qui
concerne son coût27.
Il n’est donc pas surprenant que, le plus souvent, les migrants préfèrent nettement voyager avec un visa. C’est
pourquoi l’accès aux visas est très présent dans l’esprit des candidats à la migration au moment où ils prennent leur
décision, en particulier lorsque ceux-ci recherchent depuis leur pays d’origine des options qui leur permettraient de
migrer28. Une étude récente sur la recherche d’emploi en ligne et les intentions de migrer, par exemple, a conclu
que la disponibilité de visas est un critère décisif dans la manière dont la recherche d’emploi en ligne est effectuée29.
De même, il est apparu que tout changement dans les conditions d’obtention de visas influait sur l’image que se
font les candidats à la migration des possibilités offertes par la migration, ainsi que sur leur migration éventuelle30.
Pendant des années, les intentions des migrants (potentiels) dans le cadre des processus décisionnels individuels et
collectifs en matière de migration étaient un important acte de recherche et d’analyse, et continuent d’intéresser
tout particulièrement les chercheurs et les décideurs politiques31. Comme le montre la figure 2 ci-dessus, l’intention
de migrer ne se traduit pas toujours par une migration effective. Une grande partie des chercheurs considèrent
que la réflexion autour d’une possibilité de migrer comprend différentes étapes (par exemple, « le désir », « l’étude/
la planification », « la préparation » et « le versement d’un acompte ou le règlement intégral »). En règle générale, ils
constatent qu’à mesure que le processus avance dans le temps, le nombre de personnes capables de persévérer
dans leur désir de migrer et de concrétiser leur projet diminue, au point que celles qui parviennent à l’étape
finale (« règlement ») sont généralement très peu nombreuses, tant en nombre qu’en proportion32. De ce fait, les
intentions de migrer – même si elles sont soigneusement précisées et nuancées – n’apportent qu’un éclairage partiel
sur la migration33.
25 Jayasuriya et al., 2016; Koser et Kuschminder, 2015 ; Maroufof, 2017 ; McAuliffe et al., 2017. Bien que la migration « régulière » ne
nécessite pas toujours un visa, nous nous intéressons ici aux visas car ces derniers sont souvent demandés, surtout pour les migrants
provenant de pays en développement. En outre, le terme « visa » est bien mieux compris que le terme « régulier » par les migrants et le
grand public.
26 McAuliffe, 2017a.
27 McAuliffe et al., 2017.
28 Jayasuriya, 2014 ; Manik, 2014.
29 Sinclair et Mamertino, 2016.
30 Czaika et de Haas, 2016 ; Gaibazzi, 2014 ; Jayasuriya et al., 2016 ; Manik, 2014 ; McAuliffe et Jayasuriya, 2016.
31 Clemens et Mendola, 2020 ; Lee, 1966 ; McAuliffe, 2017b ; Neumayer, 2010 ; Van Hear et al., 2012.
32 McAuliffe et Jayasuriya, 2016.
33 Tjaden et al. (2018) ont examiné les liens qui existent entre les intentions de migrer et les flux migratoires; toutefois, leur étude se limite
à une zone géographique étroite et bien précise.
124 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Migration et développement : transitions de la mobilité et « bosse migratoire »
Une analyse macroéconomique de la migration fait également apparaître les limitations et les obstacles considérables
auxquels se heurtent ceux qui veulent accéder à des régimes de visa à des fins de migration internationale (en
particulier dans les pays à faible niveau de développement humain). Par exemple, l’un des axes de recherche sur
les liens entre la «maturité » de la migration et le développement humain montre que les pays à faible revenu ont
de faibles taux d’émigration, ce qui peut s’expliquer, entre autres facteurs (tels que la démographie), par le fait
qu’un faible niveau de revenu empêche d’accumuler les fonds nécessaires pour entreprendre une migration34. Les
considérations liées aux ressources participent au concept d’« immobilité involontaire », selon lequel des personnes
souhaitant migrer à l’étranger ne peuvent le faire pour un certain nombre de raisons, dont le coût35.
Par ailleurs, une analyse des liens entre le revenu d’un pays et la migration internationale montre que l’émigration
augmente à mesure qu’augmentent les niveaux de revenu et qu’à un certain point, des revenus plus élevés propices
à une augmentation de l’émigration peuvent devenir un facteur de stabilisation et réduire l’émigration. En d’autres
termes, lorsque le PIB par habitant augmente, l’émigration augmente aussi dans un premier temps, puis diminue. Ce
phénomène, illustré à la figure 336, a été qualifié par certains auteurs de « transition vers la mobilité »37.
Figure 3. Transition vers la mobilité
2000
1990
1980
1970
1960
0,15
0,1
0,05
0
500 5 000 50 000
PIB/habitant (dollars É.-U. PPA de 2005), échelle logarithmique
Proportion d’émigrants/population
Source : Adapté de Clemens, 2014:7-8.
Note : Clemens a constaté qu’un développement économique globalement plus élevé (revenus plus élevés) est associé à une émigration
réduite. Pour un examen approfondi de l’analyse des données, voir Clemens (2014).
34 Clemens, 2014 ; Dao et al., 2018; Zelinsky, 1971.
35 Carling, 2002.
36 Clemens, 2014.
37 Akerman, 1976 ; Clemens, 2014 ; Dao et al., 2018; de Haas, 2010 ; Gould, 1979.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 125
Comme le montre la figure 3, Clemens estime que les taux d’émigration commencent à diminuer lorsqu’un pays
franchit un seuil de PIB par habitant établi entre 7 000 et 8 000 dollars É.-U. ; au moment où cette analyse a été
faite (sur la base des données du PIB pour 2005), des pays tels que l’Équateur, l’Égypte, les Fidji et la Macédoine du
Nord étaient concernés38. En outre, à mesure qu’augmentent les niveaux de revenu, l’émigration diminue, comme
l’illustre la « bosse migratoire »39.
Les corrélations entre le développement économique et la migration internationale – ou les « transitions vers la
mobilité » – ont suscité un vif intérêt parmi les chercheurs et les responsables politiques du monde entier car elles
remettent en question la notion communément admise selon laquelle l’aide publique au développement a pour
effet de « stabiliser » les populations et de freiner l’émigration au départ des pays à faible revenu en améliorant
les débouchés sur place40. Des analystes ont constaté que le développement économique des pays à faible revenu
est positivement corrélé à l’émigration : « la croissance économique s’est traditionnellement accompagnée d’une
hausse de l’émigration dans la quasi-totalité des pays en développement »41. Toutefois, des analyses plus récentes
ont constaté que si l’on examine des périodes plus courtes, la corrélation entre le revenu d’un pays et l’émigration
est moins nette, et ont conclu que la croissance économique des pays pauvres coïncide avec une émigration
plus faible42. Cette conclusion a toutefois été vivement contestée au motif que la modélisation était entachée
d’erreurs techniques (voir l’appendice B pour plus d’informations)43. Il convient de souligner qu’une grande partie des
recherches et des analyses portant sur la transition vers la mobilité se concentrent sur l’émigration au départ des
pays à faible revenu, certainement en raison de la préoccupation que partagent les mileux politiques et universitaires
à l’égard de la migration (irrégulière) à destination des pays à IDH très élevé44.
Comme le montre la figure 3, lorsque les niveaux de revenu d’un pays augmentent, l’émigration recule, ce qui donne
un schéma en forme de «bosse ». Cependant, des chercheurs ont estimé qu’il s’agissait non pas d’une «bosse »,
mais d’un «plateau », contestant l’idée selon laquelle les taux d’émigration diminuent à mesure que les pays se
développent et que les revenus augmentent45. D’autres ont remis en question les périodes retenues pour théoriser
la dynamique migratoire qui sous-tend la «bosse » ou la « transition vers la mobilité »46. Étant donné que la quantité
et la qualité globales des données relatives aux migrants, au développement humain (y compris les indicateurs
économiques), à la mobilité et aux politiques migratoires s’améliorent avec le temps, il est possible qu’un tableau
différent se dessine. Selon une approche, il apparaît que la migration à destination et en provenance des pays
riches est une caractéristique essentielle des schémas migratoires récents, tandis que la migration en provenance
des pays en développement demeure bien plus limitée. C’est ce que soulignent certaines analyses récentes, pour
lesquelles il convient de faire attention aux intervalles de confiance très larges, tels que présentés dans la figure 4,
qui signifient que nous ne pouvons pas être certains que l’émigration diminue lorsque les revenus augmentent;
cependant, la prévalence de l’émigration n’est pas linéaire (ce qui signifie qu’il n’y a pas de relation positive directe
entre l’émigration et le niveau de revenu des pays).
38 Voir, par exemple, le tableau de bord interactif de la Banque mondiale sur le PIB par habitant (PPA).
39 Zelinsky, 1971. Voir les explications de Haas (2010) sur la différence entre « transition vers la mobilité » et «bosse migratoire », deux
notions qui ont été confondues ou assimilées au fil du temps.
40 Clemens, 2020 ; de Haas, 2010 et 2020.
41 Clemens et Postel, 2018.
42 Benček et Schneiderheinze, 2020.
43 Vermeulen, 2020.
44 Voir, par exemple, Carling et al., 2020 ; Czaika et Hobolth, 2016; de Haas, 2020; et Tjaden et al., 2018, qui ne traitent pas de l’émigration
des pays très développés.
45 Martin et Taylor, 1996.
46 Voir, par exemple, de Haas, 2010 ; et Clemens, 2020.
126 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Figure 4. Prévalence de l’émigration, 1960-2019
a) Tous pays d’origine en développement,
tous pays de destination
0
0,.02
0,04
0,06
0,08
0,10
0,12
0,14
Proportion d’émigrants
1 000 10 000 60 000
PIB par habitant (dollars É.-U. PPA de 2011)
b) Tous pays d’origine en développement,
uniquement pays de destination riches
0
0,02
0,04
0,06
0,08
0,10
0,12
0,14
1 000 10 000 60 000
PIB par habitant (dollars É.-U. PPA de 2011)
c) Grands pays d’origine, uniquement
pays de destination riches
0
0,02
0,04
0,06
0,08
0,10
0,12
0,14
1 000 10 000 60 000
PIB par habitant (dollars É.-U. PPA de 2011)
Régression non paramétrique Intervalle de con
ance de 95 % Régression linéaire Proportion d’émigrants Proportion d’émigrants
Source : Clemens, 2020.
Qui sont ceux qui migrent à l’étranger et où se rendent-ils? Les migrations
internationales dans le monde de 1995 à 2020
En tentant de répondre à cette question, il convient de garder à l’esprit qu’il est difficile de brosser un tableau
mondial dans le cadre du présent rapport. Depuis des années, il est largement admis que les statistiques permettant
d’étayer notre compréhension collective des schémas et tendances de la migration internationale ne sont pas aussi
précises que celles disponibles dans d’autres domaines. Cependant, les statistiques sur la migration ont connu un
regain d’intérêt et font l’objet de nouvelles initiatives d’envergure, dont plusieurs ont été lancées ou menées ces
dernières années47.
Si les statistiques sur les flux migratoires sont limitées à des zones géographiques étroites et précises (voir le
chapitre 2)48, les données sur la population de migrants internationaux nés à l’étranger permettent, quant à elles, de
dresser un tableau mondial des schémas et des tendances de la migration internationale49. L’analyse des tendances
à long terme de la population de migrants permet de mieux comprendre où les personnes migrent, et au départ
de quels pays50. Il est communément admis que les estimations statistiques produites par le Département des
affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA) sont la principale source de données sur les migrants
internationaux dans le monde, répartie en bases de données distinctes portant sur diverses catégories de migrants
47 Voir, par exemple, le Forum international sur les statistiques migratoires (coprésidé par l’OIM, l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) et le DESA), le Centre mondial d’analyse des données sur la migration et le Groupe d’experts des
Nations Unies sur l’amélioration des statistiques des migrations.
48 Des estimations des flux migratoires sont publiées par le DESA pour 47 pays (voir DESA, 2021) et par l’OCDE chaque année pour ses
plus de 30 États Membres.
49 Voir DESA, 2021.
50 Abel et Sander, 2014 ; OIM, 2017 et 2019.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 127
(par exemple, les travailleurs migrants, les migrants portés disparus, les personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays, les réfugiés et les demandeurs d’asile)51.
Étant donné que ce chapitre pose un regard nouveau sur la migration internationale sous l’angle des possibilités
offertes aux migrants (ou de l’absence de telles possibilités), il n’aborde pas la question des déplacements forcés car
ils procèdent d’une absence de choix et sont associés à des pertes connexes. Les données sur les déplacements
internationaux (réfugiés et demandeurs d’asile) ont donc été soustraites de celles sur les migrants internationaux
recueillies par le DESA afin d’estimer la population totale de migrants internationaux sans y inclure les personnes
déplacées de force52. Pour une description détaillée de la méthodologie employée, voir l’appendice C.
Aux fins de la présente analyse, nous avons également eu recours aux données sur l’IDH, qui offrent une perspective
complémentaire à celle établie par l’analyse macroéconomique fondée sur les données relatives au revenu des pays.
Ces éclairages macroéconomiques de la migration mondiale sont fondés sur des analyses de données relatives
à la migration au regard d’indicateurs économiques, tels que le produit intérieur brut ou le revenu moyen des
ménages. Ces recherches ont, certes, été fructueuses, mais une part importante de la littérature porte à croire
que la migration est motivée non seulement par des considérations de revenu, mais aussi par toute une série
d’autres facteurs53. De même que le développement n’est pas seulement économique, la possibilité d’améliorer son
bienêtre au-delà des aspects économiques a un impact sur les tendances migratoires dans le monde entier. C’est
pourquoi notre analyse s’appuie sur le vaste ensemble d’indicateurs représentés dans l’IDH (voir l’appendice A
pour plus d’informations sur l’IDH). Plus précisément, notre analyse s’appuie sur les données relatives à l’IDH et à
la population de migrants recueillies entre 1995 et 2020. En prenant 1995 pour point de départ de notre analyse,
nous pouvons non seulement inclure davantage de pays qui ne disposaient pas de données communicables lorsque
l’IDH a été publié pour la première fois, mais aussi tenir compte des changements géopolitiques survenus en
Europe de l’Est après la dissolution de l’Union soviétique. Au moment de la rédaction de ces lignes, les données
disponibles les plus récentes sur la population de migrants dataient de 2020. Cependant, la pandémie de COVID-19
a probablement eu des répercussions non négligeables sur les migrants et la migration, et pourrait avoir des effets
importants sur les schémas migratoires à l’avenir (voir le chapitre 5 pour une analyse plus approfondie de cette
question).
Qui sont les personnes qui ont migré ?
Comme indiqué plus haut, si le nombre de migrants internationaux a fortement augmenté dans le monde
ces 25 dernières années, passant d’environ 161 millions en 1995 à 281 millions en 2020, la proportion de migrants
internationaux n’a, quant à elle, que légèrement augmenté, passant de 2,8 à 3,6 % de la population mondiale au
cours de cette période. Le tableau 2 montre les différences entre 1995 et 2020, ventilées par région des Nations
Unies54. Alors que le nombre absolu d’immigrants a augmenté de plusieurs dizaines de millions dans toutes les
régions, la part de migrants internationaux dans la population de chaque région ne s’est que légèrement accrue en
Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes, tandis que l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Océanie
ont toutes vu leur proportion de migrants internationaux augmenter d’au moins quatre points de pourcentage.
51 Voir le chapitre 2 du présent rapport pour une analyse de cette question et des informations sur les sources de données.
52 Il convient de souligner que ces données peuvent ne pas tenir compte des personnes déplacées de force, pour cause de catastrophe ou
autre, qui ne font pas partie des catégories « réfugiés » ou « demandeurs d’asile » ; cependant, aucun ensemble de données existant ne
rend compte à part entière de ce type de déplacement.
53 Voir la partie consacrée à cette question plus haut dans ce chapitre.
54 Une ventilation par région des Nations Unies figure à l’appendice A du chapitre 3 du présent rapport.
128 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Tableau 2. Immigrants par région des Nations Unies, 1995 et 2020
Région Année Population
d’immigrants (millions)
Part d’immigrants
dans la population
totale (%)
Afrique
1995 10,1 1,4
2020 15,8 1,2
Asie
1995 39,2 1,1
2020 71,1 1,5
Europe
1995 50,8 7,0
2020 81,7 10,9
Amérique latine et Caraïbes
1995 6,2 1,3
2020 13,3 2,0
Amérique du Nord
1995 30,7 10,4
2020 53,3 14,5
Océanie
1995 4,9 16,8
2020 9,0 21,2
Source : DESA, 2021.
Le tableau 3 donne un aperçu des populations d’émigrants (pays d’origine) et d’immigrants (pays de destination) par
pays. Pour chaque catégorie, les 20 premiers pays sont classés par ordre décroissant. Les pays d’Europe et d’Asie
sont à la fois des pays d’origine et de destination de dizaines de millions de migrants.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 129
Tableau 3. Vingt principaux pays d’origine et de destination, en nombre (millions) et en proportion
de la population totale
Origine Destination
1995 2020 1995 2020
Pays Émigrants (%) Pays Émigrants (%) Pays Immigrants (%) Pays Immigrants (%)
Fédération
de Russie 11,38 7,1 Inde 17,79 1,3 États-Unis
d’Amérique 24,60 9,3 États-Unis
d’Amérique 43,43 13,1
Inde 7,15 0,7 Mexique 11,07 7,9 Fédération
de Russie 11,91 8,0 Allemagne 14,22 17,0
Mexique 6,95 7,0 Fédération
de Russie 10,65 6,8 Allemagne 7,28 9,0 Arabie
saoudite 13,00 37,3
Ukraine 5,60 9,9 Chine 9,80 0,7 Inde 6,69 0,7 Fédération
de Russie 11,58 7,9
Bangladesh 5,37 4,5 Bangladesh 7,34 4,3 France 5,96 10,3 Royaume-Uni 8,92 13,1
Chine 4,70 0,4 Pakistan 6,14 2,7 Ukraine 5,77 11,3 Émirats
arabes unis 8,43 85,3
Royaume-Uni 3,61 5,9 Ukraine 6,05 12,2 Arabie
saoudite 4,94 26,5 France 8,09 12,4
Pakistan 3,33 2,6 Philippines 6,01 5,2 Canada 4,69 16,1 Canada 7,81 20,7
Kazakhstan 3,30 17,2 Pologne 4,82 11,3 Australie 4,11 22,9 Australie 7,41 29,1
Italie 3,20 5,3 Royaume-Uni 4,62 6,4 Royaume-Uni 3,99 6,9 Espagne 6,63 14,2
Allemagne 3,04 3,6 Indonésie 4,58 1,6 Kazakhstan 2,89 18,3 Italie 6,13 10,1
Turquie 2,73 4,5
Venezuela
(République
bolivarienne
du)
4,49 13,6 Pakistan 2,46 2,0 Ukraine 4,57 10,4
Philippines 2,43 3,4 Kazakhstan 4,20 18,3
Chine, RAS
de Hong
Kong
2,09 34,4 Inde 4,48 0,3
Indonésie 1,93 1,0 Roumanie 3,98 17,1 Côte d’Ivoire 2,02 14,2 Thaïlande 3,53 5,1
Portugal 1,91 15,9 Allemagne 3,85 4,4 Émirats
arabes unis 1,78 73,6 Kazakhstan 3,39 18,1
Maroc 1,88 6,5 Égypte 3,57 3,4 Italie 1,70 3,0 Malaisie 3,08 9,5
Pologne 1,76 4,4 Turquie 3,28 3,7 Israël 1,55 29,5 Koweït 2,98 69,8
Bélarus 1,74 14,7 Maroc 3,25 8,1 Jordanie 1,53 33,4
Chine, RAS
de Hong
Kong
2,85 38,1
République
de Corée 1,68 3,6 Italie 3,25 5,1 Argentine 1,51 4,3 Jordanie 2,69 26,4
Afghanistan 1,67 8,5 Viet Nam 3,07 3,1 Ouzbékistan 1,43 6,3 Japon 2,49 2,0
IDH:
Faible Moyen Élevé Très élevé
Sources : PNUD, 2020 ; DESA, 2021.
Note : L’IDH de l’Ouzbékistan n’a pas été établi avant 2000. À cette période, l’Ouzbékistan était classé parmi les pays à IDH
moyen. Selon la définition du DESA, les « émigrants » s’entendent des migrants nés à l’étranger, de sorte que les changements
politiques majeurs (par exemple, la partition de 1947 ou la dissolution de l’Union soviétique) puissent être pris en compte
dans les données (voir le chapitre 2 pour des explications plus détaillées sur les définitions). Certaines catégories de migrants
internationaux sont exclues (voir les explications sur la méthodologie à l’appendice C).
130 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Entre 1995 et 2020, seuls quelques pays ont été sortis de la liste de vingt principaux pays d’origine des migrants
(le Portugal, le Bélarus, la République de Corée et l’Afghanistan y figuraient en 1995, mais ils ont été remplacés
en 2020 par la République bolivarienne du Venezuela, la Roumanie, l’Égypte et le Viet Nam). Nous pouvons
néanmoins constater qu’il y a beaucoup moins de pays d’origine présentant un IDH moyen en 2020, et aucun pays
à IDH faible ; toutefois, ce phénomène s’explique en partie par les progrès accomplis par les pays en matière de
développement et leur changement de catégorie (ce point est abordé plus en détail ci-après). La prédominance
des pays à IDH élevé et très élevé parmi les pays d’origine est nettement affirmée en 2020, puisqu’ils représentent
16 des 20 principaux pays d’origine.
Entre 1995 et 2020, la liste des principaux pays de destination a bien plus changé que celle des 20 principaux
pays d’origine, puisque cinq pays en ont été sortis en 2020 (le Pakistan, la Côte d’Ivoire, l’Argentine, Israël et
l’Ouzbékistan), et ont été remplacés par l’Espagne, la Thaïlande, la Malaisie, le Koweït et le Japon. À l’exception de
la Fédération de Russie, du Kazakhstan, de l’Inde, de la Jordanie et de l’Ukraine, tous les pays de destination figurant
sur les listes des 20 principaux pays en 1995 et 2020 ont enregistré une hausse du nombre et de la proportion
d’immigrants au cours de cette période. Par ailleurs, le tableau 3 met en relief la forte augmentation du nombre
d’immigrants dans de nombreux pays de destination, surtout aux États-Unis d’Amérique, en Arabie saoudite,
en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Émirats arabes unis. Il apparaît ainsi que s’il peut être utile d’examiner la
question des migrants internationaux à l’échelle mondiale et régionale, il existe des couloirs à long terme entre
pays qui concentrent une part importante de la migration internationale, ce qui risque de masquer la mesure dans
laquelle celle-ci reste très inégale à l’échelle mondiale55.
Tendances migratoires à travers le prisme du développement humain
Les données actuelles indiquent que la majorité des migrants internationaux (79,6 %, soit 190 millions) résident
dans des pays à IDH très élevé. Nous pouvons observer, par exemple, que les 10 principaux pays de destination
du tableau 3 sont tous des pays à IDH très élevé, de même que la majorité des autres pays de cette partie du
tableau (le reste étant des pays à IDH élevé). Cela confirme les tendances à long terme et l’état des connaissances
actuelles, qui montrent que la migration internationale est devenue, au fil du temps, un moyen pour les ménages,
les familles et les communautés de saisir des chances, parmi lesquelles l’augmentation non négligeable des revenus
des ménages grâce aux rapatriements de fonds internationaux56.
Les données dont nous disposons actuellement font également ressortir que la majorité des 20 principaux pays
d’origine sont des pays à IDH très élevé (8) ou élevé (8). En 2020, les quatre pays d’origine restants étaient des
pays à IDH moyen.
C’est ce que montre la figure 5 ci-après, où il apparaît clairement que les migrants internationaux sont concentrés
dans les pays à IDH très élevé et élevé – principalement les immigrants, mais aussi, dans une mesure non négligeable,
les émigrants. En d’autres termes, les flux migratoires sont bien plus importants dans les pays les plus développés
du monde, le nombre et la proportion de migrants étant plus faibles dans les pays à IDH moyen ou faible. Il est
intéressant de constater que, contrairement à ce qu’il ressortait de l’analyse de la transition vers la mobilité examinée
plus haut (voir la figure 3), les pays à IDH très élevé concentrent ensemble une part importante d’émigrants par
rapport à la population totale (4,6 %), un taux supérieur à ceux enregistrés dans les catégories des pays à IDH élevé,
moyen et faible. En outre, en termes numériques, les pays à IDH très élevé ont produit 76 millions de migrants,
ce qui les place en deuxième position derrière les pays à IDH élevé (86 millions).
55 Les couloirs de migration sont examinés en détail et présentés graphiquement au chapitre 3 du Rapport État de la migration dans le
monde 2020 (OIM, 2019).
56 Clemens et Pritchett, 2008 ; de Haas, 2005 ; Ratha, 2013.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 131
Figure 5. Immigrants et émigrants par catégorie de pays
selon l’indice de développement humain, 2020
Faible
0 %
2 %
4 %
6 %
8 %
10 %
12 %
Moyen
Émigrants Immigrants
Indice de développement humain
Pourcentage de la population
Élevé Très élevé
Sources : DESA, 2021; PNUD, 2020.
Note : Certaines catégories de migrants internationaux sont exclues (voir les explications sur la méthodologie à l’appendice C).
La figure 5 montre que bien plus d’émigrants encore sont nés dans des pays riches semblent s’être installés dans
d’autres pays riches. Certaines analyses antérieures semblent toutefois indiquer des schémas bien différents de celui
présenté dans la figure 6 ci-dessous, qui s’appuie sur des données de l’IDH pour 200557.
Figure 6. Association entre le classement selon l’indice de développement humain
et les populations d’immigrants/émigrants, 2005
Émigrants Immigrants
Très faible Faible Moyen Élevé Très élevé
0
2
4
6
8
10
12
14
16
Indice de développement humain
Pourcentage de la population
Source : de Haas, 2010:4, reproduit en de Haas, 2020.
Note : Les catégories sont celles établies par l’auteur (et non les quatre catégories de l’IDH définies par le PNUD).
57 de Haas, 2010 et 2020.
132 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
La figure 6 représente l’association entre l’IDH et la proportion de migrants internationaux, bien qu’une cinquième
catégorie d’IDH (« très faible » − qui ne fait pas partie des quatre catégories du PNUD) ait été créée par l’auteur
sur la base du classement selon l’IDH, et que des « valeurs moyennes de migration » aient été appliquées plutôt que
des données agrégées sur la population de migrants et la population générale par catégorie58. La figure 5 montre
qu’en pourcentage de la population, les émigrants sont moins nombreux dans les pays à IDH élevé et très élevé
que dans les pays à IDH moyen, ce qui est conforme à la théorie de la « transition vers la mobilité » (figure 3), mais
diverge des données empiriques actuelles présentées dans la figure 6 ci-dessus.
Il ressort des deux figures que l’émigration est plus faible au départ des pays à faible IDH; cependant, les deux analyses
bivariées font apparaître des taux d’émigration différents au départ des pays plus riches. Afin d’examiner ces
différences entre les données relatives à l’émigration pour les catégories de pays à IDH élevé représentées dans les
figures 5 et 6, nous nous sommes d’abord intéressés aux changements survenus depuis 1995. Dans l’ensemble, il
apparaît que deux processus de changement importants bien distincts sont à l’œuvre :
- Des changements significatifs dans le classement de l’IDH; et
- Une intensification de la migration vers et depuis les pays très développés.
Nous allons à présent examiner successivement ces deux phénomènes.
Évolution de l’indice de développement humain depuis 1995 : une ascension irrésistible
Mis au point par l’économiste Mahbub ul Haq, l’IDH a été utilisé pour la première fois par le PNUD en 1990 dans
son Rapport sur le développement humain, devenant la pièce maîtresse de ses efforts visant à mieux tenir compte
des aspects humains dans l’analyse du développement, auparavant dominée par les indicateurs économiques59. Au
départ, l’IDH couvrait 130 pays. Ce nombre est passé à 163 en 1995, avant d’atteindre progressivement un total
de 189 pays (voir le tableau 4). Tous les pays qui ont été reclassés au fil du temps sont passés dans une catégorie
supérieure selon la méthodologie de l’IDH, à l’exception de la République arabe syrienne (passée de moyen à faible
en 2015)60. En 2019, 66 pays (ou 34 %) étaient classés dans la catégorie des pays à IDH très élevé, et 53 autres
(ou 27 %) dans la catégorie des pays à IDH élevé61.
58 de Haas, 2010.
59 Stanton, 2007.
60 Pour des explications sur la méthodologie employée, voir Stanton, 2007 et PNUD, 2020.
61 Voir Wolff et al., 2011, pour une critique de la méthodologie employée par le PNUD aux fins du calcul de l’IDH, et PNUD, 2011, pour
la réponse du PNUD à cette critique.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 133
Tableau 4. Nombre de pays dans les classements de l’IDH, 1995-2019
Classement 1995 2000 2005 2010 2015 2019
Très élevé 23 31 43 48 62 66
Élevé 27 36 45 57 54 53
Moyen 59 62 54 46 46 37
Faible 54 60 59 52 41 33
Pas de données 49 23 11 9 9 6
Source : PNUD, 2020.
Ainsi, dans une certaine mesure, nous voyons que le reclassement des pays permet d’expliquer différents schémas
migratoires à différents moments dans le temps. Cependant, en conservant le classement de l’IDH de 1995
(c’est-à-dire en n’ajustant pas les résultats obtenus pour les reclassements effectués au fil du temps), nous voyons
aussi que des dynamiques migratoires sous-jacentes bien précises se produisent indépendamment des reclassements.
La figure 7 ci-après illustre le phénomène du tremplin au fil du temps, même quand le classement de 2019 est
appliqué chaque année (représenté par les lignes pointillées noires). On constate ce qui suit : - Une forte augmentation de la «migration à destination de » par catégorie d’IDH (graphiques de la série de
gauche), d’où il ressort que très peu de personnes migrent vers un pays à IDH faible, davantage migrent vers
un pays à IDH moyen, plus encore vers un pays à IDH élevé, et le plus grand nombre vers un pays à IDH très
élevé (et ce même si on applique les catégories d’IDH de 2019). - La figure 7 fait ressortir un schéma saillant : la «migration en provenance de » pays d’une certaine catégorie
d’IDH à destination d’un pays d’une autre catégorie (graphiques de droite) suit également ce principe ascendant.
Cependant, les reclassements ont de toute évidence eu un impact sur ce schéma au fil du temps, ce qui s’est
traduit par un accent plus net mis sur les pays à IDH très élevé. - Les données sur la «migration à l’intérieur » (graphiques du milieu) sont particulièrement intéressantes, car elles
font apparaître de nettes différences en fonction de la catégorie d’IDH : les plus hauts niveaux de migration
vers un pays de la même catégorie d’IDH sont observés entre pays à IDH faible et entre pays à IDH très
élevé. Nous pouvons aussi constater les effets du reclassement, en particulier pour les pays à IDH très élevé.
Cependant, l’émigration en provenance et à destination des pays à IDH très élevé est une caractéristique nette
et distincte des tendances migratoires actuelles.
134 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Figure 7. Migrants à destination, à l’intérieur et en provenance de chacune des quatre catégories
d’IDH (faible, moyen, élevé et très élevé), 1995-2020
– Total fondé sur les classements de l’IDH pour 2020
Sources : PNUD, 2020; DESA, 2021.
Note : Les graphiques intitulés «Migration à destination de » illustrent la migration à destination de cette catégorie d’IDH, en provenance
d’autres catégories d’IDH; les graphiques intitulés «Migration en provenance de » illustrent la migration en provenance de cette
catégorie d’IDH, à destination des autres catégories d’IDH. Les données indiquées dans les bandes de couleur aux intervalles
de cinq ans font apparaître la catégorie d’IDH à ce moment donné ; les lignes pointillées noires reprennent le classement de
l’IDH 2020 pour toutes les données (c’est-à-dire de 1995 à 2020). Certaines catégories de migrants internationaux sont exclues
(voir l’appendice C pour des explications sur la méthodologie employée).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 135
Ces données permettent de tirer deux conclusions importantes :
- Il apparaît clairement que la migration en provenance de pays à développement humain élevé et très élevé à
destination d’autres pays de ces catégories est marquée, et qu’elle a fortement augmenté depuis 1995 (même
si l’on tient compte du reclassement des pays). - La question se pose de savoir si le degré de déplacement pertinent pour le modèle de la «bosse » migratoire
demeure aussi pertinent aujourd’hui qu’il ne l’était auparavant – en effet, l’analyse des données bivariées montre
des corrélations qui mériteraient un examen plus approfondi.
L’action des pouvoirs publics et la façon dont les politiques de visa et de mobilité des pays ont évolué au fil du
temps revêtent une importance particulière. Comme indiqué plus haut (et modélisé dans la figure 2), ces politiques
peuvent transformer une option de migration, qui n’était jusqu’alors qu’un « rêve impossible », en une possibilité
concrète. Par ailleurs, des études récentes mettent en relief une inégalité croissante en matière de mobilité62. Pour
approfondir cette question, nous avons examiné des accords de mobilité régionaux (par exemple, l’accord de
Schengen et le protocole de la CEDEAO relatif à la libre circulation).
Pourquoi la compréhension des schémas migratoires est-elle importante
pour l’élaboration des politiques?
Les politiques de migration sont principalement élaborées et mises en œuvre à l’échelle nationale. En outre,
elles sont souvent influencées par les relations géopolitiques entre les pays au niveau bilatéral (c’est-à-dire entre
deux entités) et peuvent donner lieu à des accords d’exemption de visa entre deux (ou plusieurs) pays. Parmi les
centaines d’accords bilatéraux existants, on peut citer l’Accord relatif à la circulation des personnes conclu entre
l’Australie et la Nouvelle-Zélande63, l’Accord sur la suppression mutuelle des obligations de visa conclu entre la
Fédération de Russie et la République de Corée64, ou encore l’Accord entre la Communauté européenne et la
Barbade sur l’exemption de visa pour les séjours de courte durée65,66.
Les politiques permettent aux pays de créer des systèmes en réponse à des changements survenant sur leur
territoire (par exemple, des pénuries de compétences) et hors de leur territoire (par exemple, les relations
bilatérales), ainsi que de définir qui est admis à entrer. D’où l’importance de disposer de données pour identifier
les tendances et les flux en provenance, à destination et à l’intérieur d’une région, afin d’éclairer les processus
politiques. Les pays ont les moyens, les connaissances et l’expertise nécessaires sont en mesure de recueillir des
données, de les analyser et de les présenter à des fins d’interventions des pouvoirs publics, notamment en ce qui
concerne la migration régulière. En revanche, les données sur la migration irrégulière qui se produit en dehors ou
en violation des systèmes réglementés sont fondées sur les estimations et les prévisions d’ensembles de données
à petite échelle, qui peuvent servir à éclairer l’élaboration de politiques. Cependant, pour que les États puissent
mettre en place des processus politiques en matière de migration, tels que des accords bilatéraux sur les visas ou
sur la migration de main-d’œuvre, ils ont besoin de procédures systématiques pour examiner les données et les
62 Mau et al., 2015 ; Triandafyllidou et al., 2019.
63 Commission australienne de la productivité et Commission néo-zélandaise de la productivité, 2012.
64 Gouvernement de la Fédération de Russie et Gouvernement de la République de Corée, 2020.
65 Communauté européenne et Barbade, 2009.
66 Union européenne, 2021.
136 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
tendances pertinentes dans les pays d’origine et de destination à la lumière d’un cadre analytique complet67. Dans
une large mesure, l’accent est nécessairement mis sur la dynamique, les tendances et les données migratoires à
l’échelle des pays, car ces informations facilitent la conduite de négociations et la conclusion d’accords bilatéraux.
Il est important de souligner que les politiques de visa ont vocation à contrôler la mobilité, en permettant à chaque
pays d’exercer un contrôle extraterritorial sur les candidats à l’entrée sur son territoire (par exemple, les voyageurs
d’affaires, les touristes, les étudiants et les travailleurs migrants)68. Étant donné la quantité et la complexité des
politiques nationales relatives à l’entrée et au séjour des non-ressortissants, la plupart des analyses entreprises dans
le monde sont menées à l’échelle des pays (c’est-à-dire qu’elles se concentrent sur un seul pays). Pour sa part, le
projet DEMIG69 a analysé l’évolution des politiques migratoires depuis les années 1850 dans le but d’évaluer leur
impact sur les modèles et les tendances de la migration internationale. Il est apparu que les politiques de visa avaient
évolué entre 1995 et 2019 et que les politiques de contrôle aux frontières, des entrées et des sorties étaient
devenues plus restrictives avec le temps70. D’autres analyses ont montré que les pays de destination rédigent des
accords qui offrent un accès gratuit aux visas à leurs alliés, tout en imposant des restrictions aux pays plus pauvres
ou à ceux qu’ils jugent inamicaux71. De ce fait, plus de possibilités de migration sont offertes aux ressortissants
des pays à IDH élevé qu’à ceux des pays en développement, qui se heurtent à davantage de restrictions. À long
terme, cette situation risque de créer une inégalité systémique entre pays et de creuser davantage les inégalités
en matière de mobilité entre les pays et les régions tout en intensifiant la « pression » migratoire, ce qui pourrait
accroître fortement la traite d’êtres humains et le trafic illicite de migrants.
La stricte application des lois et des réglementations peut dissuader certains migrants de choisir une destination
plutôt qu’une autre72. Ainsi, les pays dont le régime réglementaire est faible peuvent, à cause d’une application
des lois inefficace et de ressources insuffisantes, créer involontairement un environnement propice à la migration
irrégulière. Pour que les migrants empruntent des voies de migration régulières, il est important de leur garantir un
environnement sûr afin de réduire les risques auxquels sont exposés ceux qui, autrement, n’auraient guère d’autre
choix que de recourir à des voies de migration irrégulières. La libre circulation des personnes, des biens et des
services et la création d’un environnement de travail fondé sur une compréhension mutuelle entre États Membres
peuvent réduire certains risques associés à la migration à l’intérieur des blocs régionaux.
Accords régionaux facilitant la mobilité
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’espace Schengen montrent comment
des accords de mobilité conclus selon des approches multilatérales, qui s’appuient sur des accords bilatéraux,
peuvent créer des possibilités de mobilité et soutenir le développement et la promotion de l’égalité, tout en
réduisant les pressions (notamment celles liées à la traite et au trafic illicite). Ces deux espaces ont toutefois évolué
différemment au fil du temps, en particulier pour ce qui est des modalités de mise en œuvre de la libre circulation.
Dans l’Union européenne, l’accord de Schengen a été mis en place progressivement depuis 1985, le processus de
suppression des contrôles aux frontières intérieures entre les États Membres s’étant accompagné d’un renforcement
67 de Haas, 2011.
68 Mau et al., 2015.
69 L’étude intitulée «Determinants of International Migration: A Theoretical and Empirical Assessment of Policy, Origin and Destination
Effects » (DEMIG) a été menée dans 45 pays d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine, d’Asie, d’Europe centrale et
orientale, d’Afrique et du Moyen-Orient, ainsi qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. Voir Commission européenne, 2016 et de Haas
et al., 2016.
70 de Haas et al., 2019.
71 Czaika et Neumayer, 2017.
72 Helbling et Leblang, 2018.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 137
des frontières extérieures de l’espace Schengen. Si certains événements (par exemple, les mouvements massifs
de population à l’intérieur et à destination de l’espace Schengen en 2015-2016 ou la pandémie de COVID-19)
ont exercé une pression considérable sur l’un ou l’autre aspect des politiques de l’Union européenne relatives
aux frontières, aux conditions d’entrée et à l’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés, l’accord de Schengen est
toutefois resté intact, offrant des possibilités de mobilité à 400 millions d’Européens73.
Figure 8. États membres de l’espace Schengen
Source : Projet ArchaeoGLOBE, 2018.
Note : Cette carte n’est donnée qu’à titre d’illustration. Les frontières et les noms, ainsi que les désignations qui y figurent, n’impliquent
ni reconnaissance ni acceptation officielle de la part de l’Organisation internationale pour les migrations.
La figure 9 rend compte de l’importance de l’accord de Schengen sur la mobilité. Alors que les pays parties à cet
accord ne représentent que 39 % des pays classés comme ayant un IDH très élevé en 2020 à l’échelle mondiale
(26 sur 66) et qu’une fraction seulement de la population totale des pays à IDH très élevé, la migration à destination
des pays à IDH très élevé a, en proportion, bien plus augmenté dans les pays de l’espace Schengen que dans les
pays situés hors de l’espace Schengen entre 1995 et 2020.
73 Commission européenne, 2020.
138 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Figure 9. Migration entre pays à IDH très élevé
Population de migrants (millions)
Year
Hors espace Schengen Pays d’origine ou de destination situé dans l’espace Schengen
60
1995 2000 2005 2010 2015 2020
40
20
0
Couloir de Schengen
Sources : PNUD, 2020 ; DESA, 2021.
Note : Les données indiquées dans les bandes de couleur aux intervalles de cinq ans indiquent si le couloir de migration
i) ne comprenait aucun pays de l’espace Schengen ; ii) comprenait un pays d’origine ou de destination de l’espace
Schengen ; ou iii) comprenait des pays d’origine et de destination de l’espace Schengen. Un pays est considéré
comme faisant partie de l’espace Schengen dès lors que les politiques de l’espace Schengen s’y appliquent (voir la
page d’information consacrée au visa Schengen, 2020). Tous les pays de l’espace Schengen sont des pays à IDH très
élevé.
Dans la CEDEAO, le processus de mise en œuvre de la libre circulation dans la région est en cours depuis 1979.
Durant les premières années, les restrictions imposées à la libre circulation des biens, des services, des personnes
et de la main-d’œuvre étaient limitées. Cependant, lorsque les pays de la région ont commencé à se développer
et que des conflits ont éclaté dans certains États membres, les mouvements transfrontaliers ont subi davantage
de restrictions, les pays adoptant des lois nationales contraires à l’idée de libre circulation. Le conflit au Libéria
né de la concurrence pour les ressources et l’augmentation de la migration irrégulière entre États membres ont
affaibli certaines des stratégies de mise en œuvre adoptées, la sécurité étant privilégiée au détriment des avantages
commerciaux74. En outre, la CEDEAO ne disposait pas d’un mécanisme efficace et bien établi permettant de
surveiller la traite des personnes et le trafic d’armes et de drogues, entre autres. Cependant, l’approche suivie pour
réduire la migration irrégulière au départ des États d’Afrique de l’Ouest n’a pas consisté à restreindre la mobilité,
mais à faire mieux connaître les risques de la migration irrégulière et à améliorer les possibilités offertes par la
mobilité dans la région, en particulier pour les jeunes.
74 Opanike et Aduloju, 2015.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 139
Figure 10. États membres de la CEDEAO
Sources : ArchaeoGLOBE Project, 2018.
Note : Cette carte n’est fournie qu’à titre d’illustration. Le trace des frontières et les noms indiqués sur cette carte n’impliquent
aucune approbation ou acceptation officielle de la part de l’Organisation internationale pour les migrations.
La figure 11 montre que la quasi-totalité des flux migratoires concernant des pays de la CEDEAO interviennent
entre les États membres de l’organisation économique régionale. Si l’ampleur de la migration y est plus faible que
dans l’espace Schengen, et si la majorité des pays de la CEDEAO sont classés comme ayant un IDH faible, il n’en
demeure pas moins que les mêmes dynamiques s’y manifestent dans des proportions analogues. En 2020, sur
les 10 millions de migrants internationaux en provenance ou à destination de pays de la CEDEAO, plus de 6 millions
se déplaçaient à l’intérieur de la communauté économique régionale. Quand des personnes peuvent migrer pour
accéder à un plus de possibilités, elles sont nombreuses à le faire.
140 Accroissement des inégalités en matière de migration : que nous montrent vraiment les données mondiales ?
Figure 11. Migration entre pays à faible IDH
Population de migrants (en millions)
Année
Hors CEDEAO Pays d’origine ou de destination situé dans la CEDEAO
7,5
1995 2000 2005 2010 2015 2020
5,0
2,5
0
Couloir de la CEDEAO
Sources : PNUD, 2020; DESA, 2021.
Note : Les données indiquées dans les bandes de couleur aux intervalles de cinq ans indiquent si le couloir de migration
i) comprenait un pays d’origine ou de destination dans la CEDEAO (bleu); ou ii) comprenait un pays de la CEDEAO
qui était à la fois un pays d’origine et de destination (rouge). À une exception près, le nombre de membres de la
CEDEAO est resté inchangé pendant toute la période examinée ici (CEDEAO, 2021). La CEDEAO comprend le
Ghana (pays à IDH moyen); les pays hors CEDEAO n’incluent pas l’Inde et le Pakistan.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 141
Conclusions
Le discours sur la migration a longtemps été indissociable de la notion de «possibilités nouvelles », selon laquelle les
personnes qui migrent à l’étranger le font pour accéder à une vie meilleure. La migration est étroitement associée à
la réussite et au progrès social et économique des individus, des familles, des communautés et des nations. Si cette
description a pu correspondre à une réalité de longue date dont les débuts remontent bien avant l’ère moderne, on
peut être fondé à conclure aujourd’hui que la migration internationale n’offre plus les mêmes possibilités que par le
passé. Les données actuelles portent à croire que les voies de migration internationale, loin de servir de tremplin
vers de nouvelles possibilités à des millions de personnes dans les pays en développement, n’ont fait que se rétrécir.
Notre analyse des données sur la population mondiale de migrants internationaux et sur l’IDH fait apparaître
qu’entre 1995 et 2020, la migration au départ de pays à IDH faible et moyen a certes augmenté, mais seulement
légèrement. La combinaison des aspirations à la migration et l’existence (ou l’inexistence) d’une infrastructure
migratoire ne s’est pas traduite par une forte augmentation de la migration internationale au départ des pays
à IDH faible ou moyen, même si l’on tient compte du changement de catégorie d’IDH de certains pays avec le
temps. Cette observation concorde avec les analyses macroéconomiques existantes, qui montrent que la migration
internationale au départ des pays à faible revenu est restée généralement très limitée.
Par ailleurs, le présent chapitre montre que, contrairement à ce que l’on croyait savoir jusqu’à présent sur la
migration au départ des pays à revenu élevé – à savoir, que les taux de migration internationale diminuent dès que
le niveau de revenu d’un pays dépasse un certain seuil –, l’ampleur et la proportion de la migration au départ de
pays à IDH élevé et très élevé ont fortement augmenté. En effet, une analyse bivariée de la population de migrants
au cours du dernier quart de siècle fait apparaître un phénomène de «polarisation », l’activité migratoire étant de
plus en plus associée aux pays très développés. Cette corrélation soulève la question essentielle de l’accès aux visas
et des politiques migratoires connexes, notamment dans le contexte des aspirations à migrer (figure 2) des migrants
potentiels du monde entier qui souhaitent saisir les possibilités offertes par la migration internationale mais ne le
peuvent pas. Une nouvelle étude a révélé que les ressortissants de pays riches ont bien plus de chances d’accéder
à des régimes de mobilité réglementés que ceux des pays pauvres75.
La nécessité de réexaminer la migration en tant que tremplin vers de nouvelles possibilités aura des conséquences
pour les objectifs de développement durable (ODD) fixés par le Programme de développement durable à
l’horizon 2030, ainsi que pour le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières76. À l’heure où
se multiplient à travers le monde des politiques de migration restrictives, notamment en ce qui concerne la gestion
des frontières, les conditions d’entrée et les limitations de la durée de séjour, il apparaît que des risques systémiques
pèsent sur la pleine réalisation des ODD et sur les progrès en matière de développement humain (comme le signale
le Rapport sur le développement humain 2019). La pandémie de COVID-19 est venue compliquer cette situation
car elle bloque temporairement la migration et la mobilité à travers le monde et oblige tous les pays à réévaluer
leurs politiques migratoires et frontalières dans la perspective du nouveau monde qui émergera après la pandémie.
75 Mau et al., 2015. Ce constat est cohérent avec les prévisions émises par Zelinsky (1971) dans sa théorie de la transition vers la mobilité.
76 Le Pacte mondial pour les migrations oriente les pays d’origine, de transit et de destination en leur proposant des stratégies qui créeront
un environnement favorable à des migrations sûres, ordonnées et régulières.
MARIE MCAULIFFE
PABLO ROJAS COPPARI
M.J. ABBASI-SHAVAZI
OTTILIA ANNA MAUNGANIDZE
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 143
5 MIGRATION ET SÉCURITÉ HUMAINE :
ANALYSER LES MYTHES ET EXAMINER
LES NOUVELLES RÉALITÉS ET RÉPONSES1
Introduction
Les récents événements en Ukraine ont jeté une lumière crue sur les articulations entre la sécurité nationale, la
sécurité énergétique, la sécurité alimentaire et les effets catastrophiques sur la sécurité humaine non seulement
des Ukrainiens, mais également de nombreuses autres sociétés de la planète. Dans un monde caractérisé par une
interdépendance croissante, un conflit ou des violences dans un pays ou une région donnée sont plus susceptibles
que jamais d’avoir des répercussions dans d’autres parties du monde. Alors que les chaînes d’approvisionnement de
produits vivriers n’ont jamais été aussi mondialisées2
, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de
Russie en 2022 a eu des conséquences dévastatrices sur la sécurité alimentaire et humaine dans de nombreuses
régions du monde en développement3
.
Comme exposé dans les chapitres 2 et 3 du présent Rapport, l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud
sont toujours le théâtre de déplacements de population massifs dus à des conflits et à des violences ainsi qu’à
d’autres raisons telles que des catastrophes (liées au climat) et des crises politiques et économiques4
. Les cadres
relatifs aux droits humains établis il y a plusieurs décennies fournissent des normes solides et opérantes aux fins
de la protection de la sécurité humaine, notamment des migrants, la migration et la mobilité étant ancrées dans
les principaux cadres et traités relatifs aux droits humains depuis plusieurs dizaines d’années5
. La protection des
migrants a également progressé à la faveur de grands processus mondiaux tels que les objectifs de développement
durable et, plus récemment, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Cependant, les
transformations actuelles dans le monde liées à des bouleversements géopolitiques, à des progrès technologiques
et à la dégradation de l’environnement font reculer la sécurité humaine et modifient les dynamiques en matière
de migration et de sécurité6
. Ces transformations se produisent également alors que le monde est frappé par des
crises multiples, certains observateurs avançant que nous sommes entrés dans une ère de « permacrise »7
. Bien que
certains groupes d’intérêt propagent le mythe selon lequel les migrations internationales mettent en péril la sécurité
nationale de pays ou de communautés, les éléments factuels montrent que les principaux liens qui existent entre
migration et sécurité portent sur la sécurité humaine, et non sur la sécurité nationale8
. De fait, la sécurité humaine
1 Marie McAuliffe, Chef de la Division de la recherche sur la migration et des publications, OIM ; Pablo Rojas Coppari, Chargé principal de
recherche, OIM ; M.J. Abbasi-Shavazi, professeur, Université de Téhéran ; Ottilia Anna Maunganidze, Institut d’études de sécurité.
2 Khoury et al., 2016.
3 Ben Hassen et El Bilali, 2022.
4 Lesdits chapitres comprennent des données et des analyses sur les déplacements en Ukraine et ailleurs dans le monde.
5 Voir le chapitre consacré à la gouvernance mondiale des migrations du Rapport État de la migration dans le monde 2018 (Martin et
Weerasinghe, 2017).
6 McAuliffe et Triandafyllidou, 2021.
7 Spicer, 2022 ; Turnbull, 2022.
8 Voir le chapitre consacré à l’extrémisme violent du Rapport État de la migration dans le monde 2018 (Koser et Cunningham, 2017).
144 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
760
est menacée d’un bout à l’autre du cycle migratoire et de la période précédant le départ au retour en passant par
le transit, l’entrée et le séjour et dans un large éventail de contextes de migration et de mobilité, indépendamment
des catégories administratives9
.
Le présent chapitre vise à réexaminer le couple migration et sécurité humaine à une époque caractérisée par
une mésinformation et une désinformation sur la migration et les migrants qui sont de plus en plus importantes
et opérantes10. Face à des discussions sur la migration et les migrants délibérément entachées de biais, on peut
perdre de vue le fait que les récentes entreprises humaines visant à consolider la paix et la prospérité qui reposent
sur les migrations ont été dans l’ensemble fructueuses. Il est également aisé de perdre de vue le fait que les
migrations internationales demeurent un phénomène relativement peu courant, les migrants internationaux
représentant seulement 3,6 % de la population mondiale (voir le chapitre 2 du présent Rapport pour de plus
amples informations)11. Par ailleurs, les migrations internationales se déroulent pour la plupart dans des conditions
sûres, ordonnées et régulières ; et la migration peut également renforcer la sécurité humaine, parfois de manière
considérable. Il convient toutefois de ne pas ignorer un autre fait important : certains processus migratoires nuisent
à la sécurité humaine des migrants, raison pour laquelle la communauté internationale est résolue à mettre en
œuvre le Pacte mondial sur les migrations.
La section à venir décrit des concepts clés relatifs à la migration et à la sécurité humaine, et fournit un résumé
succinct de la sécurisation croissante des migrations. Nous nous pencherons ensuite sur les liens entre la migration,
la mobilité et la sécurité humaine, avant d’étudier la manière dont la sécurité humaine des migrants est compromise
d’un bout à l’autre du cycle migratoire lors des processus avant le départ, de transit, d’entrée, de séjour et de retour.
Le chapitre se poursuivra par l’examen de politiques qui facilitent une approche fondée sur la sécurité humaine,
avant d’exposer les conséquences sur les politiques et la pratique.
Concepts et contexte
Les définitions procèdent souvent d’éclairages spécifiques qui peuvent être appliqués à un ensemble de circonstances,
à un ou des groupes de personnes ou à des événements. Elles contribuent à expliquer le monde qui nous entoure
et sont essentielles aux travaux d’analyse, aux cadres politiques et aux réponses pratiques, en particulier face à des
changements et à des problèmes émergents. S’il existe des définitions précises de termes propres à la migration qui
sont de nature technique et s’appliquent à différents contextes, notamment ceux du droit, de l’administration, de
la recherche et des statistiques12, aux fins du présent chapitre, un migrant désigne « toute personne qui quitte son
lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une
autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale »13.
Cette définition est particulièrement utile dans le cadre de l’analyse de la sécurité humaine, car elle englobe toutes
les formes de migration, y compris les plus contraintes (telles que la traite d’êtres humains et le déplacement de
réfugiés), qui entraînent souvent une grave insécurité pour les personnes concernées.
9 Par exemple la migration de main-d’œuvre, le regroupement familial, les déplacements liés aux catastrophes ou à un conflit ainsi que les
étudiants internationaux.
10 Voir le chapitre consacré à la désinformation sur la migration du Rapport État de la migration dans le monde 2022 (Culloty et al., 2021).
11 Département des affaires économiques et sociales (DESA) des Nations Unies, 2021.
12 McAuliffe et Ruhs, 2017.
13 OIM, 2019a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 145
Ces dernières décennies, le concept de sécurité dans les relations internationales était défini à l’aune de la sécurité
nationale ou de la sécurité des États, et renvoyait en premier lieu à l’indépendance politique et à l’intégrité territoriale
des États-nations14. Les menaces pesant sur la sécurité des États et de leurs populations étaient principalement
de nature militaire externe, en particulier jusqu’en 1990, comme exposé à la figure 1, qui présente des données
relatives aux tendances mondiales du nombre de décès dus à des conflits impliquant des États15. Ces derniers temps,
et en particulier depuis l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, les questions de la sécurité énergétique et
de la sécurité alimentaire dans le monde sont de plus en plus intégrées dans les discussions portant sur la sécurité
nationale. La sécurité climatique constitue également une préoccupation majeure de plus en plus abordée comme
une question de sécurité nationale et internationale16.
Figure 1. Décès dans le cadre de conflits impliquant des États (monde), 1946-2020
1946
1948
1950
1952
1954
1956
1958
1960
1962
1964
1966
1968
1970
1972
1974
1976
1978
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
2018
2020
0
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
600 000
700 000
Source : Our World in Data (OWID), 2021.
Avec la fin de la guerre froide, le cadre permettant de réexaminer les concepts de sécurité à l’ère du multilatéralisme
s’est élargi de deux manières principales. Premièrement, des « menaces nouvelles » pour la sécurité nationale sont
apparues en dehors du champ militaire (voir la sous-section ci-après). Deuxièmement, le concept de « sécurité
humaine » a permis de dépasser les priorités traditionnelles de « paix et de sécurité » pour tendre vers le
développement humain. Les Nations Unies se sont penchées sur « les nouvelles dimensions de la sécurité humaine »,
ce qui a permis d’appréhender et de penser le développement humain dans le cadre de dialogues élargis sur la
sécurité mondiale et nationale17. Cela a ouvert la voie à la Commission sur la sécurité humaine (voir l’encadré
ci-après), puis à la Commission mondiale sur les migrations internationales (voir le chapitre 8 du présent Rapport).
14 Baldwin, 1997.
15 Cela est également vrai pour la période avant 1945, en particulier dans le contexte de la Première Guerre mondiale.
16 Little, 2022 ; Nations Unies, 2021 ; Vivekananda et al., 2020.
17 Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), 1994 et 2022a.
146 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
La Commission des Nations Unies sur la sécurité humaine en 2003 : quel est le chemin
parcouru ?
La Commission sur la sécurité humaine a été créée en janvier 2001 en réponse à l’appel lancé par le
Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan en faveur d’un monde libéré du besoin et de la peur.
La Commission, composée de 12 dirigeants internationaux et coprésidée par Sadako Ogata (ex Haut
Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés) et Amartya Sen (lauréat du prix Nobel d’économie en
1998), s’est appuyée sur le travail fondateur accompli par Mahbub ul Haq dans le Rapport mondial sur le
développement humain 1994a
. La Commission a plaidé en faveur d’un cadre international sur la migration
prévoyant des normes, processus et mécanismes institutionnels à même d’assurer ordre et prévisibilitéb
. Ce
cadre devait impérativement rechercher l’équilibre entre la souveraineté et la sécurité des États, d’une part,
et la sécurité humaine des populations, de l’autre, la Commission arguant que le concept de sécurité centrée
sur les États qui datait du 17e
siècle n’était plus adapté au 21e
siècle. Parmi les principales conclusions
concernant l’action à mener en matière de migration figurait la nécessité :
- De créer une commission de haut niveau pilotée par les Nations Unies chargée d’étudier les options, les
domaines de consensus et les voies à suivre concernant la sécurité humaine dans le contexte migratoire ; - De déployer des efforts concertés en vue de déterminer et de mettre en œuvre des solutions aux
déplacements transfrontaliers, tant sur le plan humanitaire que sur celui du développement ; - De mieux reconnaître et comprendre les risques de sécurité qui apparaissent lors de mouvements de
population forcés de grande ampleur ; - D’apporter des améliorations substantielles à la protection des personnes déplacées à l’intérieur de
leur pays.
Quels progrès ont donc été accomplis depuis les travaux de la Commission de mai 2003? Une analyse
récapitulative des évolutions au regard des conclusions de la Commission concernant l’action à mener en
matière de migration est présentée à l’appendice A.
a PNUD, 1994.
b Commission sur la sécurité humaine, 2003, p. 52 ; Ministère des affaires étrangères du Japon, 2003.
Le présent chapitre et l’examen qui y est effectué des articulations entre la migration humaine et la sécurité humaine
et des vulnérabilités qui peuvent en résulter s’appuient sur la définition de la sécurité humaine qui a été convenue
lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2012 :
Le droit des êtres humains de vivre libres et dans la dignité, à l’abri de la pauvreté et
du désespoir. Toutes les personnes, en particulier les plus vulnérables, ont le droit de
vivre à l’abri de la peur et du besoin et doivent avoir la possibilité de jouir de tous leurs
droits et de développer pleinement leurs potentialités dans des conditions d’égalité18.
18 Nations Unies, 2012.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 147
Au vu de cette définition, le premier lien, et le plus évident, entre la migration humaine et la sécurité humaine
est le fait qu’une sécurité humaine insuffisante peut entraîner des migrations et des déplacements, tandis que
certaines formes de migration peuvent elles-mêmes être une cause d’insécurité humaine (supplémentaire). De fait,
la sécurité/l’insécurité humaine est un enjeu crucial lorsque l’on examine les expériences des migrants d’un bout à
l’autre du cycle migratoire : la question est étudiée dans la section suivante.
Sécurisation des migrations : résumé succinct
Les risques de sécurité associés à la migration sont connus depuis longtemps par les dirigeants, les sociétés ayant
cherché à se protéger de menaces tout en recherchant une prospérité accrue par des échanges commerciaux,
financiers et culturels reposant sur les migrations19. Aujourd’hui, il est manifeste que la migration touche directement
à certains des éléments qui définissent un État, à savoir une population permanente et un territoire déterminé20.
Par conséquent, la réglementation de la migration (entrée et séjour) est considérée comme une prérogative des
États souverains, que la coopération internationale sur la gouvernance des migrations vient compléter21. C’est
après la Seconde Guerre mondiale, alors que les capacités et l’appétence des États pour une réglementation plus
importante et plus complète augmentaient y compris dans des domaines auparavant non réglementés tels que les
télécommunications, les médias et la radiodiffusion, la protection et la conservation de l’environnement et la santé
publique, pour ne citer que quelques exemples que le concept de migration « régulière » et « irrégulière » du point
de vue des États a émergé22. La première analyse approfondie portait sur la migration irrégulière de main-d’œuvre23
due aux changements politiques et géopolitiques qui ont suivi la crise pétrolière du début des années 1970 et
la contraction subséquente d’économies nationales en Europe et ailleurs24. À l’origine, le concept de migration
irrégulière avait toutefois été forgé sous un angle totalement différent (voir l’encadré ci-après).
Une manière très différente de penser la migration irrégulière
L’une des toutes premières conceptions de la migration irrégulière diverge radicalement de la vision actuelle
du phénomène. Les premiers chercheurs à s’en emparer, tels que Gould, définissent alors la migration
irrégulière en l’opposant à la migration permanente : le caractère irrégulier porte sur le fait que la migration
n’est pas uniquement permanente, en cela que des mouvements futurs sont probables mais que ni le
moment ni la direction de ces mouvements ne sont actuellement connus, et que ces deux éléments
échappent au contrôle des personnes qui y participenta
. L’irrégularité selon Gould concerne le moment et
la prévisibilité, et non les normes réglementairesb
.
a Gould, 1974, p. 417.
b Gould et Prothero, 1975.
19 Watson, 2009.
20 Conformément à l’article premier de la Convention de Montevideo de 1933 concernant les droits et les devoirs des États.
21 Ferris et Martin, 2019 ; McAuliffe et Goossens, 2018.
22 McAuliffe et Goossens, 2018.
23 Brennan, 1984.
24 Massey et al., 1998.
148 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Il est important de noter que la notion de sécurité et d’insécurité humaines dans le cadre de la migration est
apparue à l’ère actuelle des États-nations, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte, les
réfugiés étaient au centre des préoccupations, tel qu’énoncé dans la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés. Composantes majeures du droit international des droits humains avec le droit international coutumier
relatif au principe de non-refoulement et la Déclaration universelle des droits de l’homme25, la Convention relative
au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 témoignent de la reconnaissance par la communauté internationale
de la nécessité, dans le cadre du système multilatéral des États, de protéger la sécurité humaine des menaces
causées par les déplacements. Cela étant, il est largement admis que l’importance accordée à la garantie de la
sécurité humaine dans le cadre des migrations et des déplacements a diminué, notamment depuis les années 199026.
La protection des migrants (notamment réfugiés) demeure donc un enjeu crucial, qui revêt une dimension à la fois
humanitaire et de développement, comme exposé dans la section suivante.
C’est à cette époque, au milieu des années 1990, qu’une école de pensée académique l’École de Copenhague a
défini le concept de « sécurisation » comme la détermination de dangers et de menaces d’une nature particulière,
dans le cadre d’un « acte de langage » qui a déplacé la sécurité du domaine militaire vers d’autres domaines, tels que
la migration internationale27. La sécurisation a été décrite comme un processus faisant usage d’un discours axé sur
les menaces pour évoquer une question afin de justifier l’adoption de mesures extraordinaires28. La fin de la guerre
froide, en particulier, et avec elle la disparition d’une menace externe puissante pour la sécurité de l’Occident, ont
permis l’émergence de menaces, ou de menaces supposées, impliquant des acteurs non étatiques. Cela a eu des
répercussions sur diverses questions mondiales et internationales, en particulier sur des phénomènes que les États
ont eu de plus en plus de mal à réglementer et associés à des acteurs échappant largement à leur contrôle tels
que le terrorisme, la traite d’êtres humains, le trafic illicite de migrants et la migration irrégulière. De plus en plus,
la migration est devenue pour les États un enjeu non seulement de gestion socio-économique, mais également
de sécurité nationale. Par ailleurs, les événements du 11 septembre ont entre autres eu pour effet de renforcer
la tendance à une sécurisation des migrations, ce qui s’est traduit de manière directe par une restriction accrue
des migrations, des investissements importants dans les systèmes de renseignement frontalier et des réponses
institutionnelles d’envergure, dans l’ensemble du monde occidental et aux États-Unis en particulier29.
Ces évolutions sont par ailleurs étroitement liées à des changements observés dans les systèmes politiques et
la couverture médiatique. Il est largement admis que la « toxicité » du débat sur la migration s’est intensifiée ces
dernières années, les discussions étant de plus en plus menées dans une logique de peur et de division30. Partout
dans le monde, on utilise la déstabilisation et la désinformation à des fins stratégiques, pour conquérir le pouvoir,
ce qui a une incidence défavorable sur le débat public ou politique ainsi que sur les contenus relayés par les médias
sociaux pour ce qui touche aux migrations, aux déplacements et aux migrants (réfugiés y compris), mais aussi sur
les valeurs sociétales et les systèmes démocratiques31. Un rapport récent des Nations Unies sur la sécurité humaine
met en évidence l’émergence d’un paradoxe qui prend de l’ampleur : alors que les populations dans le monde vivent,
en moyenne, en meilleure santé, dans une plus grande richesse, dans de meilleures conditions et plus longtemps
que jamais auparavant, leur sentiment de sécurité est moindre. On estime que six personnes sur sept à travers le
25 Parmi les grands instruments figurent également le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la
torture.
26 Goodwin-Gill, 2005 ; Youdina et Magnoni, 2016.
27 Waever, 1995 ; Stritzel, 2014.
28 Ullah et al., 2020 ; Waever, 1995.
29 Faist, 2004 ; Koser, 2005.
30 Fisher, 2017 ; Kaufmann, 2017 ; Tagliapietra, 2021.
31 Morgan, 2018 ; McAuliffe et al., 2019.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 149
monde se sentaient déjà en insécurité dans les années qui ont précédé la pandémie de COVID-19, celle-ci ayant
renforcé ce sentiment à l’échelle mondiale32.
Les médias et la désinformation sur la migration
« Mauvais acteurs » est une expression générique désignant ceux qui créent et diffusent intentionnellement
de la désinformation. Il peut s’agir d’États, de sociétés, de mouvements sociaux ou d’individus, et leurs
motivations embrassent toute une gamme d’intérêts politiques, idéologiques et financiers. Les publics
ciblés et les niveaux de coordination varient eux aussi considérablement. Les propagateurs sont les
magnats des médias, les politiques, les célébrités et les influenceurs en ligne qui aident à populariser la
désinformation − intentionnellement ou non − en la répandant au sein de leurs vastes réseaux. Enfin,
les médias hyperpartisans sont des organismes idéologiques qui, souvent, amplifient la désinformation.
Aux États-Unis d’Amérique par exemple, les médias hyperpartisans donnent régulièrement du crédit à
des histoires fausses, favorisant ainsi des visées de désinformation sur des sujets allant de l’économie aux
relations internationales. Les campagnes de désinformation contre les migrants sont étroitement alignées
sur des acteurs médiatiques et politiques de droite, y compris la résurgence des idéologies xénophobes,
nationalistes et d’extrême droite.
Jusqu’à présent, une grande partie des discussions populaires sur la désinformation étaient centrées sur le
contenu. Cependant, en ne s’intéressant qu’au seul contenu, on risque de masquer le fonctionnement des
campagnes coordonnées de désinformation, dans le cadre desquelles les membres d’un réseau de mauvais
acteurs coopèrent de manière à manipuler l’opinion publique.
Source : Extrait de Culloty et al., 2021.
Comprendre les articulations entre la migration, la mobilité et la sécurité
humaine
Pour se faire une idée de l’ampleur et de la nature de l’insécurité humaine dans le contexte de la migration et de la
mobilité, il est utile d’examiner des données clés, et notamment des indices mondiaux. L’insécurité humaine associée
à des catastrophes (telles que des inondations, des typhons ou des feux incontrôlés), par exemple, touche des pays
du monde entier indépendamment du niveau de développement, les pays tant développés qu’en développement étant
exposés à des risques importants et croissants33. Les conséquences des crises dues aux catastrophes, cependant,
sont généralement plus marquées dans les pays en développement, qui n’ont pas les ressources nécessaires pour
investir à la fois dans des programmes de réduction des risques et dans les interventions en cas de catastrophe
(et après une catastrophe)34. Par ailleurs, il est largement reconnu que le monde se trouve actuellement aux prises
avec une série de crises interdépendantes qui pèsent lourdement sur les pays les moins développés, entraînant
d’importantes conséquences négatives pour des millions de personnes dans le monde35.
32 PNUD, 2022a.
33 Voir Majidi et al., 2019, sur les migrants pris au piège dans des pays en crise.
34 Initiative Migrants dans les pays en crise (MICIC), 2016 ; Majidi et al., 2019.
35 Nations Unies, 2022a.
150 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Le tableau 1 met en corrélation des données pour une sélection de pays qui concernent l’indice de développement
humain (IDH), l’indicateur de liberté humaine (ILH), l’indice mondial de la paix (GPI), l’indice des États fragiles,
les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (conflits et violences), les nouveaux déplacements internes
(catastrophes) ainsi que les réfugiés et les demandeurs d’asile. Le tableau 1 fait apparaître plusieurs aspects essentiels.
Premièrement, les pays en tête de l’indicateur de liberté humaine sont généralement aussi en tête de l’indice de
développement humain, qui est une mesure composite des résultats obtenus par les pays dans plusieurs dimensions,
dont la santé, l’éducation et le niveau de vie. Il convient toutefois de noter que certains pays présentant un indice
de développement humain très élevé sont mal classés sur le plan de la liberté humaine.
Deuxièmement, le tableau montre que les pays en tête de l’indice mondial de la paix sont généralement aussi en tête
de l’indice de développement humain. Bien qu’il existe des exceptions des pays comme le Bhoutan, le Cambodge,
le Ghana et le Sénégal arrivant relativement en tête du classement pour l’indice mondial de la paix par rapport à
leur classement pour l’indice de développement humain, la tendance générale indique qu’un développement humain
élevé va de pair avec un niveau de paix élevé.
Troisièmement, les pays qui se trouvent en queue de classement de l’indice des États fragiles (ce qui indique une
bonne stabilité) semblent avoir des niveaux de développement humain élevés, alors que ceux qui sont très fragiles
sont, dans presque la totalité des cas, associés à un indice de développement humain faible. Toutefois, il apparaît
aussi que les pays stables (pour lesquels l’indice des États fragiles est bas) n’ont pas tous un niveau de développement
humain élevé. En d’autres termes, la stabilité coexiste parfois avec un indice de développement humain faible, ce qui
pourrait laisser penser que la stabilité est un facteur nécessaire mais non suffisant au développement.
Quatrièmement, les pays en tête de l’indice mondial de la paix génèrent moins de réfugiés et de demandeurs d’asile
et comptent moins de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en raison d’un conflit, voire aucune. En 2021,
le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile originaires de pays comme Singapour, le Chili ou la République
de Corée contrastait fortement avec le nombre de ceux venant de pays dont le niveau de paix est moins élevé
(Myanmar, Éthiopie, Yémen ou Soudan du Sud). Cette réalité est particulièrement criante dans des pays comme la
République arabe syrienne où, en raison du conflit prolongé, plus de la moitié de la population se trouve toujours
déplacée36. Le contraste saisissant qui existe entre le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile dans les pays
en paix à revenu élevé et leur nombre dans les pays plus fragiles et moins développés se retrouve dans le nombre
de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en raison d’un conflit. Assez logiquement, les pays moins sûrs
comptent beaucoup plus de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en raison d’un conflit : dans une même
année, l’Éthiopie, l’Afghanistan et la Somalie réunis en ont enregistré des millions, alors que des pays plus stables,
comme le Costa Rica, la Malaisie et le Bhoutan, n’en ont enregistré aucune.
Cinquièmement, les données relatives aux nouveaux déplacements internes dus à des catastrophes font apparaître
un schéma très différent, dans lequel les déplacements dus aux catastrophes sont davantage liés à des critères
géographiques qu’à des critères de développement en lien avec le développement, la liberté humaine, les droits
humains, la paix ou la fragilité. On observe que de nouveaux déplacements sont survenus dans des pays présents
d’un bout à l’autre du classement de l’indice de développement humain. Les effets croissants des déplacements
dus à des catastrophes liées au changement climatique entraînent au fil du temps une augmentation du nombre
de pays touchés, bien au-delà du nombre de pays concernés par des déplacements internes dus à un conflit ou à
des violences. Une étude plus poussée des déplacements internes est disponible au chapitre 2 du présent Rapport.
36 Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 2022a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 151
Tableau 1. Développement, liberté, paix, fragilité des États et déplacement (sélection de pays)
Pays
(classés par IDH)
Indice de
développement
humain (IDH)
2021
Rang
Indicateur
de liberté
humaine
(ILH)
2022
Rang
Indice
mondial de la
paix (GPI)
2022
Rang
Indice des
États fragiles
2022
Rang
Réfugiés et
demandeurs
d’asile (pays
d’origine)
2021
Personnes
déplacées à
l’intérieur
de leur pays
(conflits/
violences)
2022
Nouveaux
déplacements
internes
(catastrophes)
2022
Suisse 1 1 11 174 21 * 66
Australie 5 11 27 168 33 * 17000
Allemagne 9 18 16 167 309 * 630
Singapour 12 44 9 165 134 * *
Canada 15 13 12 172 186 * 15000
Royaume-Uni 18 20 34 150 370 * 1900
République de
Corée 19 30 43 159 1013 * 30000
Émirats arabes
unis 26 127 60 152 378 * *
France 28 42 65 162 318 * 45000
Arabie saoudite 35 159 119 95 3727 * *
Portugal 38 24 6 164 469 * 4500
Chili 42 32 55 144 10049 * 1500
Roumanie 53 38 31 133 5868 * 160
Costa Rica 58 35 38 149 1229 * 1600
Malaisie 62 82 18 122 22039 * 156000
Maurice 63 50 28 154 549 * 140
Thaïlande 66 104 103 86 3391 41000 22000
Barbade 70 46 * 141 355 * *
Macédoine
du Nord 78 47 36 111 5826 110 *
Pérou 84 56 101 87 12573 73000 24000
Mexique 86 98 137 84 134346 386000 11000
Tunisie 97 113 85 93 6233 * 2000
Libye 104 155 151 21 24812 135000 *
Afrique du Sud 109 77 118 79 4207 * 62000
Indonésie 114 85 47 100 14954 72000 308000
Kirghizistan 118 87 91 66 5818 4000 1700
Bhoutan 127 86 19 96 7189 * *
Bangladesh 129 139 96 38 88133 427000 1524000
Ghana 133 66 40 108 23424 * 2700
Cambodge 146 116 62 50 12920 * 28000
Myanmar 149 135 139 10 1154392 1 498000 13000
152 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Pays
(classés par IDH)
Indice de
développement
humain (IDH)
2021
Rang
Indicateur
de liberté
humaine
(ILH)
2022
Rang
Indice
mondial de la
paix (GPI)
2022
Rang
Indice des
États fragiles
2022
Rang
Réfugiés et
demandeurs
d’asile (pays
d’origine)
2021
Personnes
déplacées à
l’intérieur
de leur pays
(conflits/
violences)
2022
Nouveaux
déplacements
internes
(catastrophes)
2022
République arabe
syrienne 150 165 161 3 6983867 6865000 21000
PapouasieNouvelle-Guinée 156 75 94 55 1143 91000 9600
Côte d’Ivoire 159 105 108 31 72560 302000 2500
Nigéria 163 124 143 16 466770 3646000 2437000
Ouganda 166 118 121 25 19708 4800 34000
Sénégal 170 87 70 78 32597 8400 12000
Éthiopie 175 148 149 13 288338 3852000 873000
Afghanistan 180 * 163 8 2694434 4394000 220000
Yémen 183 164 162 1 73055 4523000 171000
Mali 186 119 150 14 207687 380000 24000
Soudan du Sud 191 * 159 3 2367800 1475000 596000
Somalie * 158 156 2 836241 3864000 1152000
Première
position dans le
classement :
Développement
humain très
élevé
Niveau de
liberté très
élevé
Niveau de
paix très
élevé
Pays le plus
fragile
Rang élevé :
Faible
développement
humain
Niveau de
liberté très
faible
Niveau de
paix très
faible
Pays le
moins fragile
Sources : Indice de développement humain 2021 : PNUD, 2022b ; indicateur de liberté humaine 2022 : Vásquez et al., 2022 ; indice mondial
de la paix 2022 : Institute for Economics and Peace, 2022 ; indice des États fragiles 2022 : Fund for Peace, 2022 ; réfugiés et
demandeurs d’asile : HCR, s.d. ; personnes déplacées à l’intérieur de leur pays : Observatoire des situations de déplacement
interne (IDMC), 2023 ; nouveaux déplacements internes : IDMC, 2023.
Note : * La présence d’un astérisque indique que le classement n’est pas disponible pour le pays en question.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 153
Si les déplacements internes et transfrontaliers sont clairement associés à une insécurité croissante, les migrations
internationales, en dehors des déplacements, et en particulier dans le cadre d’un développement humain englobant
des dimensions économiques, sociales et politiques, entraînent également des retombées importantes sur la sécurité
humaine. Les données sur les tendances à long terme font apparaître une inégalité croissante en matière de mobilité,
la plupart des migrations internationales se produisant actuellement entre pays riches, les pays pauvres en étant
exclus (voir le chapitre 4 du présent Rapport).
La sécurité humaine d’un bout à l’autre du cycle migratoire
La présente section présente une analyse de la sécurité humaine du point de vue des migrants plutôt que de celui
des États, ce qui permet de mettre en lumière une dimension importante fondée sur les droits, en complément du
discours dominant sur la migration et la sécurité (nationale) centré sur les États37. Elle s’appuie sur des recherches
et des analyses approfondies menées conjointement avec (et par) des migrants du monde entier et fournit des
exemples de la manière dont la sécurité et l’insécurité humaines se manifestent sur le spectre de l’agentivité des
migrants des déplacements transfrontaliers et de la traite d’êtres humains à la migration de main-d’œuvre et
d’étudiants internationaux. Comme on a pu le voir pendant la pandémie de COVID-19, des individus de toutes
conditions ont souffert de l’immobilité due à la pandémie. Cependant, ceux disposant de ressources ont souvent
été mieux à même de faire face aux vulnérabilités croissantes qui en ont résulté.
Dans la présente section, la sécurité et l’insécurité humaines sont décrites d’un bout à l’autre du cycle migratoire,
avec des exemples relatifs aux différentes étapes : avant le départ, transit, entrée, séjour et retour. Il est important
de noter que les migrations internationales ne sont pas toutes associées ou dues à l’insécurité humaine. De
nombreuses personnes décident de migrer pour rechercher des possibilités enrichissantes, dans le but de s’immerger
dans de nouveaux lieux et cultures, voire par goût de l’aventure. Cela étant, ce type de migration est réservé à ceux
qui en ont à la fois l’ambition et les moyens38, tandis que de nombreux individus désireux de migrer ne peuvent
concrétiser cette ambition par manque de capacités, ce qui les mène à une « immobilité involontaire »39.
37 Voir la discussion sur la sécurisation des migrations dans la section précédente.
38 Carling et Schewel, 2018.
39 Carling, 2002.
154 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Figure 2. La sécurité humaine d’un bout à l’autre du cycle migratoire
Retour - Une aide efficace au
retour et à la réintégration
contribue à accroître la
sécurité humaine - Les retours forcés peuvent
présenter de graves risques
pour la sécurité humaine
(tels que le refoulement)
Stay - Les séjours réguliers renforcent
la sécurité humaine, tandis que
les séjours irréguliers ou sans
papiers augmentent les risques
d’exploitation, de mauvais
traitement et d’accès lacunaire
aux services (tels que les soins de
santé et les services bancaires) - L’aide à l’intégration des migrants
(par exemple, formation,
éducation, soins de santé,
logement et génération de
revenus) renforce la sécurité
humaine - Le soutien des communautés
et des diasporas sur le lieu de
destination renforce la sécurité
humaine
Avant le départ - Une insécurité humaine extrême*
sur le lieu d’origine contraint des
personnes à partir - Une sécurité humaine dégradée ou faible*
sur le lieu d’origine accroît
l’attrait des options de migration - Une sécurité humaine élevée*
sur le lieu d’origine réduit les risques de
déplacement et de migration irrégulière dans des conditions dangereuses
et désordonnées - Des programmes avant le départ à l’intention des personnes réinstallées
et le recrutement éthique des travailleurs migrants contribuent à assurer
la sécurité humaine d’un bout à l’autre du processus migratoire
Transit - L’accès à des documents
d’identité et de voyage (tels que
des passeports) et à des visas
accroît la sécurité humaine ; les
voyages irréguliers amenuisent
la protection et aggravent
l’insécurité pendant le transit - L’accès à des infrastructures et
des services sûrs pendant le
transit (par exemple, transport,
logement, santé et nourriture)
influe sur la sécurité humaine - L’exploitation par des agents
frontaliers et de l’immigration
corrompus, des passeurs et
des trafiquants constitue un
problème majeur de sécurité
humaine pendant le transit
Entrée - Des procédures d’entrée et aux frontières bien
gérées favorisent la sécurité humaine - La porosité et la corruption des pratiques aux
frontières aggravent les situations d’exploitation
et de mauvais traitement - Les fermetures de frontières dans le contexte
de déplacements et de crises augmentent
considérablement l’insécurité humaine, présentant
parfois des risques graves pour la vie humaine - Les opérations d’interception et de renvoi
accroissent les risques pour la sécurité humaine
Notes : Cette figure fournit des exemples de la manière dont la sécurité et l’insécurité humaines entrent en ligne de compte aux
différentes étapes de la migration. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité. - L’ « insécurité humaine extrême » recouvre entre autres les conflits, les situations de persécution et les catastrophes (telles
que des inondations et des feux incontrôlés) ; la « sécurité humaine dégradée ou faible » recouvre entre autres la pauvreté,
les violations des droits humains, les ralentissements économiques importants et les flambées d’inflation ou de chômage ; voir
la définition de la sécurité humaine fournie plus haut dans le présent chapitre.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 155
Avant le départ
Avant même de quitter leur communauté d’origine, l’insécurité humaine peut occuper une large place dans les esprits
de nombre de migrants. C’est notamment le cas des personnes touchées par des conflits ou des catastrophes,
qui cherchent à se mettre en sécurité en migrant vers un lieu plus sûr dans leur pays ou dans un pays voisin.
Les personnes déplacées étant souvent celles qui connaissent la plus grande insécurité dans la phase précédant
le départ, il existe de longue date un ensemble de traités internationaux et de programmes d’aide humanitaire
bien conçus et largement reconnus (quoique sous-financés)40. Les limites de la portée et de l’influence de la
communauté internationale font également consensus, en particulier pour ce qui est des personnes demeurant dans
un pays (y compris les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays) qui sont exposées à une insécurité extrême,
notamment sous la forme de graves violations des droits humains41.
Même pour celles qui ne se trouvent pas dans une situation aussi critique, la décision de migrer à l’étranger peut
intégrer des considérations relatives à certains aspects de la sécurité humaine. L’accès à des documents de voyage
et à des visas – déterminant pour le parcours migratoire – joue un rôle important lors de la prise de décision,
en particulier lorsque les personnes recherchent depuis leur pays d’origine des options qui leur permettraient de
migrer. Des travaux récents consacrés aux intentions de migration ont, par exemple, permis de constater que
l’accès aux visas détermine la façon dont sont effectuées les recherches d’emploi en ligne42. De même, il a été
observé que l’évolution des conditions d’octroi de visas a une incidence sur la manière dont les migrants potentiels
envisagent leur migration, et sur leur décision finale de partir ou non43. On a pu le voir, par exemple, dans les
changements qui se sont produits après que les restrictions en matière de visa ont été levées pour certains groupes
de population, notamment certaines nationalités44. Les exemples sont légion, mais on citera ici les changements
constatés lors de la libéralisation du régime des visas dans un certain nombre de pays ou régions de destination
clés, comme aux États-Unis dans les années 1960, ou en Europe du fait de l’extension progressive des accords de
Schengen à un nombre croissant de pays45. Il est important de noter que des services peuvent être fournis après
que les personnes ont pris la décision de migrer et avant qu’elles n’entament leur voyage. Des informations et des
formations avant le départ, par exemple, à l’intention des personnes qui s’apprêtent à migrer, peuvent contribuer
à renforcer la sécurité et le bien-être des intéressés pendant le processus migratoire ainsi que leur intégration
immédiatement après l’arrivée46.
Analphabétisme, insécurité et déplacement des Afghans
L’Afghanistan est un pays pauvre affichant un faible taux d’alphabétisme, en particulier chez les femmes, et
dans lequel sévissent des conflits civils de longue durée. La combinaison de ces éléments explique la nature
multidimensionnelle de l’insécurité à l’origine du déplacement de nombreux Afghans depuis des décenniesa
.
40 Nations Unies, 2022b.
41 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), 2022.
42 Sinclair et Mamertino, 2016.
43 Voir par exemple Jayasuriya, 2016, sur la migration de main-d’œuvre sri-lankaise ayant des besoins en matière de protection internationale
vers des pays du Golfe à travers les voies de migration de main-d’œuvre accessibles.
44 Czaika et de Haas, 2014.
45 Ortega et Peri, 2013.
46 OIM, 2018.
156 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Alors qu’en 1979, 18 % seulement des personnes âgées de 15 ans et plus savaient lire et écrire, elles
étaient 31 % en 2011 et 37 % en 2021b
. En dépit des progrès lents mais prometteurs observés au cours
des deux décennies passées, un écart important subsiste entre les genres : en 2018, environ 55 % des
hommes, contre 30 % des femmes, savaient lire et écrire.c
Plusieurs raisons expliquent ce déficit. Outre
la guerre civile prolongée, l’Afghanistan connaît une pauvreté généraliséed
et ne dispose pas de ressources
solides pour investir dans la planification du développement et de l’éducation. Le taux de croissance
démographique élevé se traduit par une population jeune et, en conséquence, un grand nombre d’enfants
d’âge scolaire, alors que les besoins d’éducation ne sont pour une large part pas satisfaits. En effet, malgré
les progrès observés entre 2001 et 2021e
, le niveau d’instruction, en particulier chez les femmes, s’est
dégradé sous le régime des Taliban. En août 2021, l’éducation des garçons et des filles a été suspendue
au-delà de la sixième année d’instructionf
.
Les femmes et les filles sont visées par d’importantes restrictions qui limitent leur participation à l’éducation,
au monde professionnel ainsi qu’à la vie sociale et politique. Dans cette situation, les femmes n’ont pas
d’autre espoir que de fuir cette société. La prise de pouvoir inattendue des Taliban a suscité la peur et
des inquiétudes concernant le secteur de l’enseignement supérieur, ce qui a entraîné le départ du pays
de nombreux professeurs et assistants universitaires et d’étudiants. Les lois imposées par les Taliban,
notamment sur la ségrégation hommes-femmes, ont fait baisser le nombre d’étudiantes et augmenter
les frais des universités privées, dont beaucoup ont fermé. En outre, de nombreux étudiants sont dans
l’impossibilité de poursuivre leurs études en raison de l’insécurité économique. La crainte de persécutions
règne dans les groupes ethniques, en particulier parmi les Hazaras : de fait, le 30 septembre 2022, un
attentat-suicide à la bombe a tué près de 50 étudiantes venues passer un examen blanc dans un centre
d’enseignement du quartier de Dasht-e-Barchi à Kaboul, qui abrite des membres de la communauté hazarag
.
La conjonction de l’analphabétisme, d’un accès insuffisant à des infrastructures de développement, de
la pauvreté et de l’insécurité en Afghanistan entraîne depuis plusieurs décennies le déplacement et la
migration forcée d’une grande partie de la population tant à l’intérieur des frontières que vers la République
islamique d’Iran et le Pakistanh
. Les déplacements ont en retour perturbé le développement de l’éducation.
Malgré l’amélioration de l’éducation des migrants et réfugiés afghans dans les pays d’accueil tels que la
République islamique d’Irani
, il a été difficile d’inscrire dans le système d’enseignement public les nombreux
Afghans avec ou sans papiers qui sont arrivés depuis août 2021.
La privation d’éducation pèse lourdement sur la sécurité humaine, et l’analphabétisme est considéré comme
un élément d’insécuritéj
. Les déplacements sont une cause et une conséquence de l’analphabétisme. Les
Afghans subissent l’analphabétisme, la pauvreté et l’insécurité associés aux déplacements depuis trente ans.
L’accès à l’éducation et son amélioration, en particulier pour les femmes, sont donc un moyen de briser
ce cercle vicieux.
Source: Hosseini-Chavoshi et Abbasi-Shavazi, 2023.
a Schmeidl, 2019 ; Iqbal et McAuliffe, 2022.
b Organisation des Nations Unies pour l’éducation,
la science et la culture (UNESCO), 2022.
c Samim, 2020.
d PNUD, 2021.
e Batha, 2022 ; Farr, 2022.
f Qazizai et Hadid, 2022.
g Putz, 2022 ; Agence France-Presse (AFP), 2022.
h Abbasi-Shavazi et al., 2005.
i Hugo et al., 2012.
j Commission sur la sécurité humaine, 2003.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 157
Transit
Lorsque cela est possible, les migrants choisissent de transiter par des pays à l’aide de visas et de documents
d’identité47. Les différences entre un voyage avec visa et un voyage sans visa, lorsqu’il est requis, sont manifestes.
Du point de vue des migrants, l’expérience revêtira des formes très diverses, qui auront des conséquences sur
leur sécurité humaine, celle de leur famille, ainsi que celle des proches restés au pays. Premièrement, un visa
autorise l’entrée dans un pays, et permet d’arriver et de voyager légalement à l’intérieur de celui-ci. Un visa valide
offre de meilleures chances d’échapper à l’exploitation. À l’opposé, voyager sans visa augmente le risque d’être
arrêté et expulsé par les autorités, ou exploité et maltraité par ceux qui proposent des services de migration
illicites, tels que les passeurs ou les trafiquants, qui agissent en grande partie en dehors des systèmes réglementés.
Deuxièmement, avec un visa, le transit a plus de chance de se dérouler de manière sûre et planifiée et présente
davantage d’options sur le plan par exemple de la durée du voyage, du mode de transport et des compagnons de
voyage (le cas échéant).
Bien que la plupart des parcours migratoires ne présentent pas de difficultés, certains peuvent conduire à de
mauvais traitements, voire à la mort48. Il n’est donc pas surprenant d’observer une forte préférence pour le voyage
avec visa. Cependant, dans de nombreuses régions du monde, les voyages informels sont monnaie courante et il
n’est pas toujours possible d’accéder à des régimes de visa ; de même, pour certains ressortissants, il est très difficile
d’obtenir des documents de voyage tels que des passeports, qui constituent souvent une condition à l’obtention
d’un visa. Par ailleurs, dans un contexte de catastrophe ou de conflit critique, les personnes sont forcées de partir
sans attendre et se retrouvent souvent dans des situations dangereuses, contraintes d’entreprendre des voyages
périlleux et exposées à une vulnérabilité extrême pendant le transit. Ces types de mouvements peuvent rapidement
constituer des préoccupations humanitaires majeures, dans le contexte desquelles des organisations humanitaires
locales, nationales et internationales portent assistance aux populations déplacées.
Les migrants peuvent également se retrouver bloqués pendant le transit (ou dans le pays de destination), ce qui
entraîne de lourdes répercussions sur leur sécurité49. Ainsi, pendant la pandémie de COVID-19, des milliers de
migrants se sont retrouvés bloqués dans des pays sans régime étendu de protection sociale, au risque de mourir
de faim et de se retrouver sans abri50. Dans le monde entier, des organismes caritatifs, des organisations non
gouvernementales (dont des groupes de migrants), des organismes des Nations Unies et des communautés locales
sont venus en aide aux migrants bloqués afin de satisfaire leurs besoins urgents, tout particulièrement pendant la
première phase aiguë de la pandémie, alors que des restrictions de voyages et des mesures de confinement strictes
étaient parfois introduites sans guère d’avertissement51.
47 Bien qu’un visa ne soit pas nécessairement requis pour migrer « régulièrement », la présente analyse parle de « visas » car ceux-ci sont
souvent exigés, tout particulièrement pour les migrants originaires de pays en développement. En outre, le terme « visa » est plus
largement compris par les migrants et le public en général que «migration régulière ».
48 Voir le chapitre 2 relatif au projet de l’OIM sur les migrants portés disparus, qui recense le nombre de migrants portés disparus et morts
pendant le transit.
49 Gois et Campbell, 2013.
50 McAuliffe et al., 2021a ; McAuliffe, 2020.
51 Kolet et al., 2021 ; McAuliffe, à paraître.
158 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Entrée
L’entrée dans un pays implique généralement de franchir une frontière internationale et, dans la plupart des cas,
de se présenter aux autorités qui déterminent si les conditions d’entrée sont remplies52. Les frontières peuvent
être des lieux accueillants pour les migrants, mais également des lieux où ils font l’objet d’un examen poussé, ou
sont exposés à des risques d’exploitation et de mauvais traitements. Pour de nombreux migrants, l’entrée dans
un pays et le franchissement de points de contrôle frontalier peuvent constituer une expérience particulièrement
intimidante et source de stress, notamment pour ceux qui possèdent un passeport « faible » ou sont dépourvus
de documents (tels que les personnes déplacées apatrides)53. Pour d’autres, les « mesures de renvoi » dans des
environnements terrestres et maritimes peuvent entraîner une grave insécurité, lorsque des migrants (dont des
réfugiés et des demandeurs d’asile) se voient non seulement refuser l’entrée, mais sont également renvoyés de
l’autre côté de la frontière immédiatement après l’entrée, ce qui les met dans des situations de vulnérabilité extrême
(potentiellement mortelles, en particulier en mer)54.
Les frontières jouant un rôle déterminant dans la théorie et la pratique de la souveraineté des États, l’entrée des
non-nationaux fait souvent l’objet d’une forte réglementation, des cadres normatifs étant nécessaires pour concilier
l’intérêt des États et la protection des droits des migrants55. Certains auteurs estiment que l’approche dominante
appliquée par de nombreux États axée sur la gestion des frontières en vue de lutter contre le crime organisé et
d’autres formes de criminalité a eu pour effet de faire passer les mécanismes de protection des droits humains
au second plan dans les zones frontalières, en dépit du fait que les initiatives internationales de lutte contre la
traite d’êtres humains prennent forcément en compte les processus d’entrée et aux frontières physiques56. De
fait, des processus d’arrivée ordonnés et des processus d’entrée et aux frontières bien gérés peuvent efficacement
appuyer la sécurité humaine en garantissant des procédures sûres, transparentes et claires exemptes de pratiques
de corruption57. Par exemple, les personnes qui cherchent à entrer dans un pays peuvent être vulnérables en raison
de la situation qu’elles ont fuie (dans le cadre de laquelle elles ont pu être persécutées), de leur mode de voyage
(migrants irréguliers, migrants objet de trafic illicite, victimes de la traite, etc.) ou des conditions qu’elles trouvent
à l’arrivée (xénophobie, discriminations, etc.)58 : des frontières bien gérées permettent de repérer et d’aider plus
facilement les migrants dans ce type de situations vectrices de vulnérabilité.
Les fermetures de frontières dans le contexte de déplacements ou de crises augmentent considérablement
l’insécurité humaine, présentant parfois des risques graves pour la vie humaine. Pendant la phase aiguë de la
pandémie de COVID-19, par exemple, les fermetures totales de frontières ont exposé les migrants à des risques
extrêmes de grave insécurité humaine, parmi lesquels on peut citer le refoulement, l’impossibilité d’accéder à des
procédures d’asile et, dans certains cas, un risque accru d’infection par le virus59. Le refus d’entrée sur le territoire,
par exemple au moyen d’interceptions et d’opérations de renvoi dans le contexte d’arrivées par mer, s’accompagne
de risques extrêmes pour la sécurité humaine et de risques de perte de vies à l’entrée60. D’autre part, l’intensité
52 Les accords passés entre États, tels que l’Accord de Schengen en Europe ou le Protocole sur la libre circulation en Afrique de l’Ouest,
constituent une exception notable.
53 Voir McAuliffe et al., 2021a, sur la puissance des passeports.
54 Doty, 2011 ; Gonzalez Morales, 2021.
55 Chetail, 2020.
56 Taran, 2000.
57 HCDH, 2021.
58 Bauloz et al., 2021 ; OIM, 2019b ; HCDH, 2021.
59 Chetail, 2020 ; McAuliffe, 2020.
60 OIM, 2022a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 159
des négociations entre les acteurs internationaux lors des crises liées à des déplacements, en particulier lorsqu’elles
sont associées à un conflit ou des violences, met en évidence l’importance cruciale que revêtent les frontières pour
la sécurité humaine61. Dans ces situations extrêmes, l’ouverture des frontières peut sauver des centaines, voire des
milliers de vies.
Hear My Voice : l’insécurité des enfants migrants
En juin 2019, l’avocate Warren Binford s’est rendue dans les locaux du service des douanes et de la
protection des frontières des États-Unis à Clint (Texas). Elle effectuait une visite de routine destinée à
vérifier le respect par les autorités de l’accord Flores (Flores Settlement Agreement), qui définit la durée
maximale et les conditions de la détention d’enfants migrants dans les centres de détention. En l’espace
de quelques jours, elle s’est entretenue avec des dizaines d’enfants et a réuni des récits si choquants des
enfants souffrant de la faim et du froid, malades, dormant à même le béton sous des couvertures de survie
qu’ils ont fait les gros titres à l’international.
Après cette visite, Warren Binford a créé une structure à but non lucratif visant à renforcer la protection
juridique des enfants détenus. Son site Web permet de consulter les témoignages sous serment de dizaines
d’enfants et d’adolescents. L’avocate s’est toutefois heurtée à un obstacle : d’après elle, les récits des enfants
étaient trop éprouvants pour le public. « Les gens étaient tellement déprimés. Ils m’appelaient et me
disaient “Je n’y arrive pas. Je pleure toutes les larmes de mon corps. C’est trop.” Je me suis alors demandé
comment permettre au public d’accéder aux informations transmises par les enfants dans leurs propres
mots. »
Sa solution : un livre illustré. Hear My Voice / Escucha Mi Voz, publié en anglais et en espagnol, contient des
extraits de ces témoignages, accompagnés de visuels réalisés par des illustrateurs latino-américains primés.
« L’ensemble que forment les illustrations réalisées par ces artistes absolument fabuleux permet d’accéder
plus facilement à la vie de ces enfants, de découvrir qui ils sont et pourquoi ils sont venus aux États-Unis »,
explique Warren Binford. Un dessin représente un point de passage frontalier, deux enfants perchés sur les
épaules d’une femme qui traverse le Rio Grande. « Un matin, nous avons passé une clôture en fil de fer
barbelé avec un grand panneau sur lequel était inscrit “Bienvenue aux États-Unis” », raconte le narrateur
enfant. « Ma petite sœur et moi venons du Honduras », lit-on sur une page représentant des enfants qui
dorment dans une cage grillagée, que l’artiste a dessinés avec des têtes d’oiseau.
Warren Binford espère que Hear My Voice / Escucha Mi Voz sera lu et discuté en famille. « Le livre pour
enfants permet d’adoucir un peu le récit des enfants, explique-t-elle. Et cette mosaïque créée à partir de
différentes déclarations brosse un portrait collectif de ces enfants. »
Source : Extrait de Kamenetz, 2021.
61 De Lauri, 2022.
160 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Séjour
Les séjours « réguliers » accroissent la sécurité humaine, car lorsqu’un migrant est autorisé à résider dans un pays
– que ce soit pour y étudier, y travailler, y vivre avec sa famille ou pour des motifs de protection, cette légalité lui
offre une protection concrète au quotidien. Il est par exemple plus difficile pour des employeurs et des propriétaires
peu scrupuleux, des fonctionnaires corrompus et d’autres individus d’exploiter des personnes dont le statut au
regard de l’immigration est régulier, qui ont des papiers62. Les migrants réguliers sont en mesure de mener une vie
plus ouverte et plus libre dans les communautés que les migrants irréguliers sans papiers, et ils sont mieux à même
d’accéder à des services publics et sociaux tels que l’éducation, la santé et les transports63.
Dans les pays de destination, les migrants peuvent faire face à des discriminations dans des environnements très
divers, dont le lieu de travail, l’école et l’université, les lieux où sont dispensés des soins de santé et les contextes
sociaux. Les discriminations ont pour effet de dégrader la santé mentale et physique des migrants et, dans certains
cas, peuvent entraîner de graves conséquences64. L’augmentation de la mésinformation et de la désinformation sur
la migration et les migrants a attisé les sentiments discriminatoires et la xénophobie, ce qui s’est traduit par des
discours haineux ainsi que des violences physiques envers des minorités ethniques dans certaines communautés65.
Des politiques efficaces de lutte contre les discriminations constituent une mesure préventive importante en vue
d’appuyer la sécurité humaine et la cohésion sociale dans les sociétés, y compris dans les populations migrantes66.
Améliorer la sécurité humaine des migrants pendant leur séjour revient à améliorer la sécurité humaine générale
de la population. Pendant la pandémie de COVID-19, par exemple, l’accès à des programmes de régularisation et à
des services de santé publique (tels que des services de vaccination et de traitement) ainsi que l’aide fournie par les
groupes communautaires et des diasporas se sont avérés essentiels pour atteindre des objectifs globaux de santé
publique et faire en sorte que nul ne soit laissé pour compte67.
Genre, migration et sécurité humaine : Afrique centrale et de l’Ouest
Un grand nombre de femmes et de filles migrent en Afrique centrale et de l’Ouest, beaucoup d’entre
elles faisant l’expérience de risques fondés sur le genre. Les femmes de la région migrent pour des raisons
variées, entre autres pour rechercher des possibilités économiques, retrouver leur famille ou poursuivre
leur éducationa
. En Afrique de l’Ouest, près de la moitié des travailleurs migrants dans et de la région sont
des femmesb
.
Les facteurs économiques demeurent le principal moteur de migration. Si les migrantes participent à
des activités d’emploi formelles comme informelles, la majorité d’entre elles continuent de travailler dans
l’économie informelle, notamment dans des domaines tels que le commerce et le travail domestiqueb
. Les
migrantes de et dans la sous-région font face à plusieurs risques et problèmes de sécurité, tant pendant la
62 Crépeau, 2018.
63 Bauloz et al., 2019.
64 Szaflarski et Bauldry, 2019 ; Vearey et al., 2019.
65 Culloty et al., 2021 ; Urquhart, 2021.
66 Bauloz et al., 2019.
67 Armocida et al., 2020 ; OIM, 2020b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 161
migration qu’après leur arrivée dans le pays de destination. L’exploitation et les violences sexuelles pendant
le voyage de migration, des conditions d’emploi précaires dans les pays de destination et des salaires bas
figurent parmi les difficultés que beaucoup d’entre elles rencontrentc
.
a Bisong, 2019 ; OIM, 2020a.
b Organisation internationale du Travail (OIT), 2020.
c Tyszler, 2019.
Retour
Le retour de migrants dans leur pays d’origine et leur réintégration dans la communauté font partie du cycle
migratoire et peuvent être particulièrement délicats sur le plan de la sécurité humaine. Les migrants qui reviennent
ont parfois vécu à l’étranger pendant de nombreuses années, voire des décennies, et ils peuvent rencontrer des
difficultés de nature financière, sociale et juridique à l’heure de se réintégrer dans la communauté locale68. Ils
peuvent rentrer après avoir travaillé pendant plusieurs années dans un autre pays, après avoir achevé des études
supérieures ou une mission temporaire, ou après avoir été déboutés d’une demande d’immigration ou d’asile. La
migration de retour recouvre donc un large éventail de situations et n’est pas nécessairement volontaire69. Sous
l’angle de la sécurité humaine, le retour, même volontaire, peut aboutir à des situations extrêmement difficiles et
à des risques de déplacement interne, bien que ces risques soient encore plus élevés lorsque les migrants sont
contraints de rentrer dans leur pays d’origine70.
Les conditions dans lesquelles se déroule le retour tant avant qu’après celui-ci sont déterminantes du point de
vue de la sécurité humaine, et les droits des migrants peuvent être mis en péril de nombreuses manières. Parmi
les principales menaces figure le retour forcé des migrants en violation du principe de non-refoulement71, qui
présente des risques considérables en matière de sécurité humaine pour les migrants de retour, le non-refoulement
constituant par conséquent un principe clé du droit international des droits humains.
Politiques facilitant une approche fondée sur la sécurité humaine
Dans la continuité de l’analyse de la sécurité et de l’insécurité humaines aux différentes étapes du cycle migratoire
présentée ci-dessus, la présente section examine la manière dont les politiques peuvent améliorer la sécurité
humaine des migrants et des communautés, compte tenu de considérations politiques internationales, régionales,
nationales et infranationales. Il est important de prendre conscience que les politiques qui favorisent ou améliorent
considérablement la sécurité humaine (ou réduisent l’insécurité humaine) ne visent pas toujours la réglementation
de l’émigration et de l’immigration de manière directe.
68 Arowolo, 2000 ; Battistella, 2018.
69 Mbiyozo, 2019.
70 Da Rosa Jorge, 2021 ; Kleist, 2020.
71 Le principe de non-refoulement désigne l’interdiction pour les États d’extrader, d’expulser ou de refouler de toute autre manière une
personne vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être
soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’être victime d’une disparition forcée ou de
subir un autre préjudice irréparable. Pour de plus amples informations, voir OIM, 2019a.
162 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Avant de se pencher sur les politiques sous l’angle du niveau de gouvernance, il faut également bien comprendre
que les réponses et les priorités en matière de sécurité humaine et de migration procèdent souvent de dynamiques
et de politiques d’émigration, d’immigration et de déplacement historiques et contemporaines propres à des pays et
des régions. Il n’existe pas d’approche politique universelle pour améliorer la sécurité humaine, car celle-ci dépend
de la nature des problèmes existants et de la manière dont ils se manifestent. Bien que le présent chapitre ne puisse
couvrir l’étendue des effets dans le monde, les brèves études de cas présentées à l’appendice B donnent une idée
de la diversité des problèmes de sécurité humaine et des incidences dans les différents pays. Chaque étude couvre
un pays par région des Nations Unies et traite d’un enjeu de sécurité humaine précis : - Burkina Faso (Afrique) : déplacements internes dus à un conflit ou à des violences.
- Canada (Amérique du Nord) : montrer la voie en matière d’égalité des genres dans le contexte migratoire.
- Colombie (Amérique latine et Caraïbes) : programmes de régularisation.
- Philippines (Asie) : initiatives visant à lutter contre la traite d’êtres humains.
- Nouvelle-Zélande (Océanie) : le multiculturalisme et l’intégration pour lutter contre la violence extrémiste.
- Suisse (Europe) : inclusion des migrants irréguliers.
Il ressort de ces études que les incidences et les conséquences de la sécurité humaine dans le contexte migratoire
varient d’un pays à l’autre. Au Burkina Faso, par exemple, en raison du conflit résultant de l’instabilité politique
et de la montée de l’extrémisme violent, plus de 1,5 million de personnes avaient été déplacées à la fin de
202172, une gageure pour les acteurs nationaux et internationaux qui peinent à fournir une aide alimentaire et
des abris. En Nouvelle-Zélande, deux attaques terroristes associées à l’idéologie suprémaciste blanche ont incité le
Gouvernement à revoir ses politiques de lutte contre le terrorisme et à améliorer ses activités de formation sur le
multiculturalisme et la diversité. En Suisse, la municipalité de Zurich, incapable de s’assurer le soutien de l’ensemble
du canton aux fins de l’introduction d’un programme de régularisation, a instauré une « City Card », qui assure un
accès effectif à des services essentiels tels que des soins de santés aux migrants sans papiers qui vivent dans la ville
et aux alentours. Aux Philippines, des efforts soutenus visant à lutter contre la traite d’êtres humains ont permis
au pays de se classer dans la catégorie 1 du rapport des États-Unis sur la traite des personnes pour la septième
année consécutive, et de recueillir des éloges pour son approche en matière de réadaptation et de réintégration des
victimes. En Colombie, la pandémie de COVID-19 a aggravé les tensions politiques, de même que la précarité parmi
les populations déplacées, en constante augmentation, ce qui a amené les autorités à procéder à des régularisations
massives qui ont considérablement amélioré la sécurité humaine de millions de ressortissants vénézuéliens dans
des situations de vulnérabilité. Enfin, au Canada, de nouveaux programmes, mécanismes et ressources ont été
élaborés en vue de lutter contre les inégalités fondées sur le genre dans la gestion des migrations et d’améliorer
les résultats en matière d’intégration pour les migrantes ainsi que pour les migrants appartenant à des groupes de
genre minoritaires. De plus amples informations sont disponibles à l’appendice B.
72 IDMC, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 163
Politiques aux différents niveaux de gouvernance
La gouvernance des migrations est un processus complexe et multidimensionnel, articulé autour de la souveraineté
des États, qui est au cœur de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques migratoires73. En d’autres
termes, la plupart des politiques migratoires opèrent à l’échelle nationale74. Cela étant, il existe des instruments
normatifs internationaux, qui ont été mis au point en vue de déterminer ou d’orienter la manière dont les États
assurent la gouvernance des migrations et de la mobilité. Les instruments internationaux tels que les traités visent à
définir les obligations concrètes des États parties. Certains concernent spécifiquement la migration, tel le Protocole
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, tandis que d’autres, comme les traités internationaux
fondamentaux relatifs aux droits humains, s’appliquent de manière égale à tous les individus et garantissent ainsi
un ensemble minimum de droits à tous, y compris aux migrants. L’appendice C dresse une liste récapitulative des
traités multilatéraux mondiaux en lien avec la migration et les migrants. Il existe également des textes internationaux
négociés par les États, de nature non contraignante (comme le Pacte mondial sur les migrations), et des mécanismes
consultatifs étatiques (comme le Forum mondial sur la migration et le développement), qui visent à éclairer et à
orienter l’élaboration de politiques à l’échelle nationale. Ces processus multilatéraux et leurs résultats sont détaillés
dans le chapitre 8 du présent Rapport.
Le cadre de gouvernance international en matière de migration engage les États à respecter les droits humains
des migrants, par exemple en s’abstenant de procéder à des détentions arbitraires de migrants et en appliquant
le principe de non-refoulement. Des composantes du cadre imposent également aux États de protéger les droits
humains des migrants contre des violations par des tiers, par exemple en les appelant à réglementer les activités des
agences de recrutement de manière à garantir des pratiques de recrutement éthique, ou en prescrivant l’adoption
de législations visant à lutter contre les discriminations. Ce niveau international est donc essentiel pour la prise en
considération de la sécurité humaine des migrants, en cela qu’il intègre les normes convenues et met en avant les
normes qui peuvent être transposées (voire améliorées) à d’autres niveaux de gouvernance, notamment par les
autorités régionales, nationales et infranationales.
À l’échelle régionale, la gouvernance des migrations recouvre également des cadres juridiques et des politiques,
que viennent compléter des structures institutionnelles, des mécanismes de consultation et d’autres processus. Les
approches régionales déterminent la manière dont la mobilité s’effectue à l’intérieur des régions (géographiques
ou politiques) et s’attaquent à des questions en lien avec la sécurité humaine (et notamment les droits) au moyen
d’instruments contraignants et non contraignants. Dans certaines régions, des accords relatifs à la migration ont été
conclus et mis en œuvre par des structures et des groupements régionaux. On peut citer à titre d’exemples l’accès
aux marchés du travail nationaux sans permis ou visa de travail pour tous les ressortissants des pays de la CEDEAO
(voir l’encadré ci-après), ou le droit de résider dans la région du MERCOSUR pour les ressortissants de ses États
membres. Dans le cas de l’Union européenne, l’élaboration de politiques à l’échelle régionale a permis d’harmoniser
les conditions d’entrée et de créer des catégories de résidents, d’instaurer des normes minimales relatives aux droits
en matière d’emploi, et d’exiger l’adoption de législations visant à lutter contre les discriminations.
73 Caponio et Jones-Correa, 2018.
74 McAuliffe et Goossens, 2018.
164 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Protocoles sur la libre circulation en Afrique de l’Ouest
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975, compte
actuellement 15 États membres. Le processus de mise en œuvre de la libre circulation dans la région a
débuté en 1979, avec la signature du premier protocole sur la libre circulation, le droit de résidence et
d’établissement, qui a entraîné l’abolition des visas d’entrée pour les personnes migrant entre des pays de la
CEDEAO. Il a été suivi par la mise en œuvre de la « deuxième phase » en 1986, dans le cadre de laquelle
un droit de résidence dans l’ensemble de la Communauté a été instauré, ainsi que le droit de travailler.
Au fil des ans, la mise en œuvre des protocoles a rencontré plusieurs obstacles tels que des conflits
régionaux, la sécurisation des frontières et la pression croissante en faveur d’une dissuasion des candidats à
la migration irrégulière au départ de la région. Malgré cela, la stratégie globale n’a pas consisté à freiner la
mobilité régionale, mais à effectuer un travail de sensibilisation aux dangers liés à la migration irrégulière et
à mettre en avant la migration au sein de la région comme autre solution possible. Les effets des protocoles
ressortent clairement des recherches menées sur les tendances en matière de migration internationale
entre 1995 et 2020, qui montrent que la libre circulation au sein de la CEDEAO a durablement influencé
l’activité migratoire dans la régiona
. En 2020, plus de 60 % des 10 millions de migrants internationaux en
provenance ou à destination de pays de la CEDEAO avaient migré à l’intérieur de la régiona
.
a McAuliffe et al., 2021b.
À l’échelle nationale, un large éventail de politiques influent sur la sécurité humaine des migrants. Par exemple, les
politiques de visa déterminent qui peut entrer sur des territoires et y transiter, dans quelles conditions et pour
quels motifs. La législation relative à l’immigration crée différentes catégories de migrants, associées à des conditions
de résidence et des droits précis. La capacité des migrants à entrer, transiter et séjourner dans des pays par des
voies régulières est un facteur clé de sécurité humaine, l’accès aux droits – tels que les soins de santé, le logement,
un travail décent et la protection sociale – étant souvent subordonné au statut au regard de l’immigration. Les
migrants irréguliers, ou ceux dont le statut est temporaire ou précaire, peinent à accéder à ces droits ou ne peuvent
y prétendre, et ils risquent davantage d’être exploités sur le marché du travail en raison de leur statut. Ils sont
également exposés à des formes supplémentaires d’insécurité, telles que la détention, et peuvent être forcés de
retourner dans leur pays d’origine. Des formes supplémentaires d’aide aux migrants sont donc nécessaires, selon
leur situation.
Évolution des politiques en Afrique du Sud vers des approches centrées sur les communautés
En Afrique du Sud, dans le cadre des postes frontière intégrés planifiés qui seront administrés par le nouvel
organe de gestion des frontières, la gestion des migrations sera structurée en trois grands volets :
- Gestion des migrants réguliers : exemption de visa, visas valides ou visas au point d’entrée.
- Gestion des migrants irréguliers : demandeurs d’asile, réfugiés, apatrides, trafic illicite de migrants ; traite
d’êtres humains, criminalité transfrontalière, etc.. - Gestion des communautés frontalières.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 165
Cette approche, qui permettra à l’Afrique du Sud de mieux gérer ses frontières et ses points d’entrée en
procédant à un « tri », repose sur les enseignements tirés au sein de la région et sur le reste du continent
dans le domaine de la gestion des communautés frontalières. Elle prévoit que les personnes qui vivent dans
la « zone de maintien de l’ordre frontalier » (communément appelée « zone frontalière » et définie comme
la zone située dans un rayon de 10 kilomètres à partir des points d’entrée terrestres et maritimes) soient
autorisées à franchir la frontière à des points de passage locaux informels pour des motifs personnels
et professionnels, sans obligation de visa ni cachets d’entrée et de sortie. Les gardes-frontière des zones
frontalières détermineront quelles sont les personnes qui appartiennent à la communauté frontalière. Ces
dernières ne seront pas soumises aux conditions d’entrée habituelles.
Cette approche centrée sur les communautés permettra aux membres des communautés frontalières de
vaquer à des activités transfrontalières – telles que la visite de parents des deux côtés de la frontière, l’achat
et la vente de biens, et l’accès à des services – sans entrave.
Sources : République sud-africaine, 2020 et 2022.
Les pays influent également sur l’expérience de leurs ressortissants qui migrent à l’étranger. Les pays d’origine d’un
grand nombre de travailleurs migrants peuvent signer des accords bilatéraux sur la main-d’œuvre avec les pays de
destination afin de contribuer à préserver le bien-être de leurs ressortissants à l’étranger. Dans certains cas, comme
aux Philippines, il est interdit de migrer vers des pays dans lesquels la sécurité humaine ne peut être garantie.
D’autres politiques peuvent prévoir la fourniture d’une aide sociale et d’une assistance consulaire, ou la facilitation
du retour et de la réintégration dans des conditions sûres.
Programmes de l’Administration philippine de la protection des travailleurs d’outre-mer
L’Administration de la protection des travailleurs d’outre-mer (Overseas Workers Welfare Administration
− OWWA) est l’organisme gouvernemental chef de file chargé de la protection et du bien-être des
travailleurs philippins à l’étranger. La structure, qui œuvre au service de ses membres, offre des services
aux travailleurs philippins à l’étranger à toutes les étapes du cycle migratoire. Depuis 1983, elle organise
des séminaires d’orientation avant le départ adaptés à la destination des travailleurs, qui fournissent des
informations utiles en vue de leur adaptation au nouvel environnement de travail et à la culture du pays de
destination. Elle propose également des formations spécifiques à certains groupes de travailleurs migrants,
tels que les travailleurs domestiques et les gens de mer.
L’Administration de la protection des travailleurs d’outre-mer gère également un programme d’aide sociale
destiné aux travailleurs philippins à l’étranger exposés à des risques économiques ou à des formes d’insécurité
dans les pays de destination. Les services fournis vont de l’aide juridique aux conseils psychosociaux, et
comprennent également des visites à l’hôpital ou dans un établissement pénitentiaire. Enfin, l’Administration
propose un programme de réintégration dans le cadre duquel les migrants philippins de retour reçoivent
de l’aide aux fins de leurs besoins immédiats et à long terme (logement, formation aux compétences
financières, conseils en matière d’emploi, etc.).
Source : République des Philippines, s.d.a.
166 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Bien que les politiques migratoires soient souvent élaborées à l’échelle nationale, elles sont fréquemment mises
en œuvre de manière décentralisée. Dans certains systèmes, c’est au niveau infranational que les modalités des
politiques migratoires sont définies et mises en œuvre. Le plus souvent, ce sont les autorités locales (en particulier
celles des villes ou des municipalités) qui sont chargées de fournir des services aux migrants, essentiels pour la
sécurité et le bien-être des communautés migrantes. Dans certains cas, l’interprétation et la mise en œuvre des
politiques nationales sont laissées à l’appréciation de ces autorités locales. Certaines peuvent s’opposer ouvertement
à des politiques nationales restrictives, par exemple sur la détention des migrants ou l’exclusion des migrants
irréguliers des services de soins de santé. C’est le cas des « villes sanctuaires » aux États-Unis et ailleurs, qui
s’emploient à protéger les droits des migrants, quel que soit leur statut au regard de l’immigration, notamment en
leur fournissant un accès aux soins de santé, à des abris ainsi qu’à des services d’intégration et d’éducation. D’autres
municipalités ont mis en place des programmes spéciaux en vue de protéger les migrants contre d’éventuels
préjudices lorsqu’ils signalent des actes criminels. Comme décrit dans l’encadré ci-après, ce qui a commencé comme
une politique locale à Amsterdam s’est peu à peu transformé en stratégie nationale, ce qui témoigne de la capacité
des approches locales à façonner les politiques nationales.
« Free in, free out » : la « protection pare-feu » néerlandaise pour les migrants irréguliers
victimes d’actes criminels
« Free in, free out » (entrer libre, sortir libre)a
est une politique interne de la police nationale des Pays-Bas
visant à assurer la sécurité des migrants victimes qui dénoncent un acte criminel. Il s’agit à l’origine d’une
politique locale de la municipalité d’Amsterdam, mise en œuvre face à l’obstacle considérable que représente
l’application des lois en matière d’immigration pour une mobilisation efficace des victimes d’actes criminels
qui se trouvent être des migrants, et aux répercussions sur le bien-être de la communauté.
Conformément à cette politique, les migrants doivent pouvoir approcher sans peur les responsables de
l’application des lois pour signaler des actes criminels, sans être interrogés sur leur statut au regard de
l’immigration ni craindre des répercussions quelconques dans le cas où leur statut irrégulier serait révélé.
Après le succès remporté dans la capitale, la politique a été adoptée à Utrecht et à Eindhoven, puis à
l’échelle nationale dans le cadre de la transposition de la directive de l’Union européenne sur les droits
des victimes.
a Timmerman et al., 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 167
Mesurer la mise en œuvre des polices
Adapter les politiques migratoires aux différents stades du cycle migratoire relève de la gageure, car la plupart
des politiques ont des conséquences pour les migrants à plusieurs stades. C’est par exemple le cas des politiques
nationales et régionales visant à lutter contre le trafic illicite de migrants. Si leur objectif premier consiste à
préserver la souveraineté territoriale des États et à promouvoir la migration régulière, l’usage disproportionné de
la force et la militarisation des frontières peuvent, par exemple, conduire à des pratiques de renvoi sur terre et
en mer, les migrants étant de fait privés du droit de chercher l’asile, en violation de l’interdiction des expulsions
collectives et à l’encontre du principe de non-refoulement75. Parallèlement, les mêmes politiques peuvent, de manière
directe ou indirecte, criminaliser la fourniture d’une aide humanitaire aux migrants irréguliers, ce qui exacerbe leurs
vulnérabilités sur les lieux de transit et de destination76. Dans certains cas, ces politiques et pratiques ne permettent
pas de réduire le trafic illicite de migrants, mais contraignent les passeurs et les migrants objets de ce trafic à
prendre des risques accrus pour franchir les frontières internationales, ce qui se traduit par une précarité et une
vulnérabilité aggravées.
Plusieurs tentatives ont été faites de mesurer l’exhaustivité de différents volets des structures politiques et de la
gouvernance en matière de migration. Par exemple, l’Index des politiques d’intégration des migrants (MIPEX), créé
en 2007 et déployé dans 56 pays répartis sur six continents, identifie et évalue les politiques d’intégration dans
huit domaines : mobilité sur le marché du travail, éducation, participation à la vie politique, accès à la nationalité,
soins de santé, regroupement familial, résidence permanente et lutte contre les discriminations77. Les indicateurs
de gouvernance des migrations (IGM) constituent l’une des tentatives les plus exhaustives de mesurer et de
comparer la gouvernance en la matière78. Il s’agit d’un cadre permettant d’évaluer les politiques à de nombreux
stades du cycle migratoire. Il a été élaboré en 2016 par l’OIM en collaboration avec Economist Impact pour aider
les États à dresser le bilan de leurs politiques, structures et pratiques en matière de migration, et à identifier les
lacunes et les domaines qu’il convient de renforcer. Il comprend plus de 90 indicateurs, qui s’appuient sur les six
principes et objectifs du Cadre de gouvernance des migrations de l’OIM, reposent sur la cible 10.7 des objectifs
de développement durable et sont alignés sur les 23 objectifs du Pacte mondial sur les migrations79. Lors de la
rédaction du présent Rapport, 92 pays et 52 autorités infranationales avaient procédé à une évaluation80, tandis
que d’autres s’y attelaient. Les évaluations réalisées fournissent une mesure de référence à partir de laquelle les
gouvernements peuvent s’employer à améliorer leurs politiques migratoires. Parallèlement, 18 pays ont procédé à
des évaluations de suivi, contribuant à créer une base de données longitudinale qui permet de mesurer les progrès
accomplis dans différents domaines de la gouvernance des migrations.
Les IGM présentent toutefois des limites en ce qu’ils sont axés sur l’existence de structures de gouvernance des
migrations, et ne prévoient qu’une évaluation succincte de la mise en œuvre des politiques et aucune évaluation de
leurs effets. D’autres outils sont donc nécessaires pour dépasser le simple recensement des cadres, et comprendre
comment les pays gèrent les migrations dans la pratique. L’élaboration d’indicateurs relatifs au Pacte mondial sur
les migrations pourrait être un moyen de mesurer la mise en œuvre des politiques.
75 Gonzalez Morales, 2021.
76 Carrera et al., 2018.
77 MIPEX, 2020 ; Solano et Huddleston, 2020.
78 OIM, 2019c.
79 OIM, 2022b.
80 Ibid.
168 Migration et sécurité humaine : analyser les mythes et examiner les nouvelles réalités et réponses
Le 7 juin 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration du Forum d’examen des migrations
internationales sur les progrès réalisés. Au paragraphe 70 de la Déclaration, le Secrétaire général est invité à
proposer, pour examen par les États Membres, un ensemble d’indicateurs visant à mesurer les progrès liés à la mise
en œuvre du Pacte mondial sur les migrations à l’échelle nationale. Dans son plan de travail 2022-202481, le Réseau
des Nations Unies sur les migrations est chargé par son Comité exécutif d’élaborer ces indicateurs en s’appuyant
sur le cadre mondial d’indicateurs relatifs aux cibles des ODD et du Programme 2030, ainsi que sur d’autres cadres
pertinents. À cet effet, le Réseau a été doté d’un nouvel axe de travail, copiloté par l’OIM et le Département des
affaires économiques et sociales des Nations Unies, qui doit élaborer les indicateurs et mener des consultations
avec les États Membres et les parties prenantes pertinentes d’ici à la fin de 2023.
Conclusions
La vitesse inédite des changements récemment survenus dans les sphères géopolitique, environnementale et
technologique a amené certains analystes et commentateurs à inventer ou utiliser des formules telles que « l’âge des
accélérations », la « quatrième révolution industrielle » et « l’ère du changement »82. La pandémie de COVID-19 a
amplifié le sentiment d’incertitude caractéristique des périodes de mutation, sentiment exacerbé par des événements
« impensables » qui se déroulent pourtant sous nos yeux, tels que la guerre et des déplacements massifs en Europe.
Le spectre imminent des effets dévastateurs du changement climatique sur toute la planète nourrit également le
fort sentiment d’insécurité que ressentent les populations du monde entier83.
Sur cette toile de fond complexe, le présent chapitre examine la migration et la sécurité humaine dans des contextes
contemporains en s’appuyant sur des concepts connexes qui ont évolué au cours des dernières décennies. Reposant
sur les droits humains et la protection, la sécurité humaine des migrants (y compris des personnes déplacées) est
un aspect fondamental de la migration et de la mobilité : pour nombre des personnes qui travaillent dans le domaine
des politiques, de la recherche et des pratiques migratoires, il s’agit même de l’aspect fondamental premier. Cela
s’explique en partie en dehors du cadre normatif, dans le champ pratique de la paix et de la sécurité (et de leur
absence) ainsi que des disparités de développement humain qui aboutissent à des inégalités systémiques à l’échelle
mondiale.
La question de la sécurité humaine est importante parce que, comme exposé dans la présente analyse, le lien
continue d’être fait entre migration et sécurité dans des discours désinformés axés sur les menaces qui visent à
présenter les migrants internationaux comme un péril pour les pays et les communautés. La rhétorique qui inscrit la
migration dans une logique de sécurité nationale ou étatique a émergé il a plusieurs dizaines d’années dans le cadre
d’argumentations visant à justifier des réponses extrêmes (parfois militarisées) à la migration. Plus récemment, des
idées liées à ce discours de désinformation ont été relayées sur des plateformes numériques, souvent alimentées
par des groupes de la droite alternative (alt-right) actifs au niveau transnational (voir l’encadré ci-après). En réalité
et il s’agit là d’un point crucial et de plus en plus vrai, le lien le plus important entre la migration et la sécurité
concerne la sécurité humaine des migrants eux-mêmes. La vulnérabilité des migrants d’un bout à l’autre du cycle
migratoire apparaît à toutes les étapes et se manifeste sous des formes diverses avant le départ, pendant le transit,
l’entrée et le séjour ainsi qu’au retour.
81 Réseau des Nations Unies sur les migrations, 2023.
82 Friedman, 2016 ; Schwab, 2017 ; Mauldin, 2018.
83 PNUD, 2022a et 2022b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 169
Cela ne signifie pas que toutes les migrations nuisent à la sécurité humaine, loin de là. Comme exposé dans
le présent chapitre, la migration et la mobilité peuvent améliorer la vie des personnes et sauver des vies dans
les situations les plus désespérées. Cependant, il demeure de nombreuses situations dans lesquelles les migrants
peuvent être extrêmement vulnérables et voir leur sécurité diminuée ou dégradée pendant la migration. Dans ce
contexte, les autorités à différents niveaux (international, régional, national et local) doivent s’employer à élaborer,
mettre en œuvre et évaluer des politiques qui facilitent une approche de la migration et de la mobilité fondée sur
la sécurité humaine.
La question de la sécurité humaine est au cœur des cadres mondiaux tels que les ODD et le Pacte mondial
sur les migrations. Il apparaît toutefois clairement que, si les acteurs réglementaires et politiques jouent un rôle
central, indispensable pour faciliter la sécurité humaine, ils ont également besoin du soutien, de la collaboration et
de l’éclairage d’acteurs non étatiques, et notamment de la société civile, du secteur privé, des organisations non
gouvernementales et du milieu universitaire pour mener une action constructive visant à améliorer la sécurité
humaine des migrants et des communautés dans le monde entier. Ce sont les efforts conjugués des différents
secteurs qui offrent les meilleures chances de répondre aux besoins liés à l’insécurité humaine dépassant le cadre
humanitaire.
CÉLINE BAULOZ
MARGARET WALTON-ROBERTS
ROSE JAJI
TAEHOON LEE
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 171
6 GENRE ET MIGRATION : TENDANCES, LACUNES
ET MESURES URGENTES1
Introduction
Voici les témoignages de deux migrants. Saurez-vous deviner le genre de
chacun ?
« J’ai travaillé en Arabie saoudite pendant
cinq ans. […] Je suis rentré(e) au Bangladesh
en 2019. À mon retour, j’ai commencé
à travailler dans une petite usine locale.
[…] Je fréquente également le bureau
gouvernemental pour l’emploi, car j’aimerais
repartir à l’étranger. Travailler à l’étranger
nous permet d’épargner pour l’avenir ».
Témoignage n° 1 : migrant(e) originaire d’Asie du Sud.
Extrait de GAATW, 2021.
« Nous étions un groupe de garçons et
de filles voyageant ensemble. Nous avons
passé 40 jours dans le désert. […] Beaucoup
d’entre nous ont été enlevés avant d’arriver
en Libye. Je suis resté(e) bloqué(e) sept
mois en Libye. C’était terrible. J’ai été
témoin du viol de l’un(e) de nos ami(e)s.
C’était une très, très mauvaise expérience.
[…] Les rebelles nous ont enlevés parce
qu’ils veulent gagner de l’argent aux dépens
des Africains. »
Témoignage n° 2 : migrant(e) originaire d’Afrique de l’Ouest.
Extrait de WRC, 2019.
Toute supposition sur le genre des deux migrants dont les témoignages sont reproduits ci-dessus reposerait sur des
biais de genre qui ont été façonnés, au fil des siècles, par des normes et des stéréotypes de genre que la majorité
de la population a intériorisés – plus ou moins inconsciemment. On estime que seulement 10,3 % de la population
mondiale n’a pas de biais lié aux normes sociales relatives au genre2
. Ces biais, quoique plus visibles dans les sociétés
adhérant à des normes sociales patriarcales et conservatrices, demeurent répandus dans le monde entier. Selon
1 Céline Bauloz, Chargée de recherche principale, OIM ; Margaret Walton-Roberts, Professeur, Université Wilfrid Laurier et Balsillie
School of International Affairs ; Rose Jaji, Chercheuse principale, Institut allemand pour le développement et la durabilité et Université
du Zimbabwe ; Taehoon Lee, Économiste auxiliaire, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
2 PNUD, 2022.
172 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
760
une vision stéréotypée des genres, les hommes sont généralement considérés comme des soutiens de famille, des
expéditeurs de fonds et des décideurs au sein de leur famille. Les femmes, quant à elles, sont associées aux soins,
au travail non rémunéré et à la vulnérabilité. En raison de ces normes et de ces biais de genre, on attribuerait
probablement le premier témoignage à un homme et le deuxième à une femme, compte tenu notamment du rôle
de « soutien de famille » qui est décrit dans le premier. Pourtant, le premier témoignage est celui d’une femme,
tandis que le second est celui d’un jeune homme.
Les normes et les biais de genre ont des conséquences sur de nombreux aspects de la vie quotidienne. Ils revêtent
toutefois une importance particulière pour les migrants, dont ils influencent l’expérience migratoire, si bien que
la migration a été décrite comme un phénomène genré3
. Outre une série d’autres facteurs qui se recoupent, tels
que l’âge, la race, l’appartenance ethnique, la nationalité, le handicap, la santé et le statut socio-économiques, le
genre a une incidence sur les différentes possibilités qui s’offrent aux migrants et sur les divers obstacles et risques
auxquels ils peuvent être confrontés dans ce contexte4
. Parce qu’elles établissent des rôles différents et des attentes
distinctes pour les migrants en fonction de leur genre, les normes sociales des pays d’origine, des pays de transit
et des pays de destination peuvent influer sur certains aspects de la migration, par exemple la question de savoir
quel membre d’un ménage peut rester ou migrer, les motivations des migrants et les options de migration, les pays
de destination les plus prisés, le type et les moyens de migration, le but et l’objectif de la migration, le secteur
d’emploi ou les disciplines étudiées, le statut accordé par la législation du pays, y compris sur le plan des droits
et des prestations et bien d’autres aspects encore. Ces dimensions de genre de la migration ont à leur tour des
conséquences sur les sociétés des pays d’origine, des pays de transit et des pays de destination. De même, dans les
situations de déplacement, les questions de genre jouent un rôle fondamental dans les trajectoires, les situations
vécues et la protection des personnes, voire dans leur décision même de fuir un pays, lorsque cette décision est
liée à des actes de discrimination et de violence fondés sur le genre, contre lesquels certains pays peuvent accorder
une protection internationale, y compris le statut de réfugié.
Les problèmes, les obstacles et les risques liés au genre qui touchent les migrants masquent souvent des inégalités
de genre systémiques et structurelles plus générales qui doivent être mieux comprises et qui appellent des mesures
plus efficaces, pour que chaque personne, quel que soit son genre, ait les mêmes chances de migrer et de vivre sa
migration dans des conditions sûres, ordonnées et régulières. Parmi ces inégalités, celles qui concernent le pouvoir
de décision et la segmentation de l’économie mondiale en fonction du genre sont particulièrement importantes pour
expliquer les différents schémas migratoires selon le genre. L’égalité des genres a progressé dans le monde entier,
mais le Programme des Nations Unies pour le développement signale que cette tendance ralentit, voire s’inverse
dans certains pays depuis la pandémie de COVID-19, ce qui a un impact négatif sur le développement humain5
.
La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression du genre et les caractéristiques
sexuelles se poursuit, tandis que l’on observe, depuis une dizaine d’années, une tendance à la polarisation entre
les pays où le degré d’acceptation est élevé et ceux où ils est faible6
. Les termes clés sont définis à l’appendice A.
Le principe juridique de la non-discrimination, y compris la non-discrimination fondée sur le genre7
, sous-tend les
évolutions politiques et juridiques en matière d’égalité des genres depuis plusieurs décennies. On peut notamment
citer, au niveau mondial, l’adoption des instruments suivants : la Convention sur l’élimination de toutes les formes
3 Piper, 2008.
4 Boyd et Grieco, 2003 ; Lutz et Amelina, 2021.
5 PNUD, 2020 et 2022. Voir également ONU Femmes et DESA, 2022.
6 Flores, 2021.
7 Assemblée générale des Nations Unies, 1948 ; Nations Unies, 1966a et 1966b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 173
de discrimination à l’égard des femmes (1979) ; la Déclaration et le Programme d’action de Beijing (1995) ; les
Principes de Jogjakarta (2006) et leurs dix principes additionnels en matière d’orientation sexuelle, d’identité de
genre, d’expression de genre et de caractéristiques sexuelles (2016) ; le Programme de développement durable
(2015), en particulier l’objectif de développement durable no
58
. Dans le domaine de la migration, les initiatives
mondiales ont reconnu la nécessité d’adopter une approche de la migration qui tienne compte des questions de
genre, en particulier celles qui intéressent les femmes et les filles9
. Les exemples les plus récents sont le Pacte
mondial sur les réfugiés et le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui marquent un
engagement en faveur de l’égalité des genres et de la prise en compte des questions de genre10.
Dans ce contexte, le présent chapitre a pour objet de décrire et d’analyser la façon dont les questions de genre se
recoupent avec celle de la migration internationale, ainsi que d’examiner ce qui peut être fait pour faire progresser
l’égalité des genres dans le domaine de la migration. Compte tenu de l’ampleur du sujet, ce chapitre ne saurait être
exhaustif. Il vise à donner un aperçu de certaines dimensions de genre importantes de la migration, l’objectif étant
de mieux comprendre les interactions multiformes entre genre et migration. Un accent particulier est mis sur la
migration de main-d’œuvre, car il s’agit de l’un des principaux types de migration (on estime que près de 70 % des
migrants internationaux en âge de travailler sont des travailleurs migrants)11, dont les tendances sont très genrées, ce
qui s’explique par la ségrégation qui existe entre les genres dans l’économie mondiale. Le chapitre aborde également
d’autres « types » de migration fortement différenciés selon le genre, tels que la migration familiale, notamment
la migration par mariage12. Il examine en outre les facteurs de déplacement et les conséquences sur les réfugiés
en fonction du genre, ainsi que, plus généralement, les interactions entre le genre et l’irrégularité du statut. Étant
entendu que ce sujet dépend du contexte, des exemples sont donnés pour différentes zones géographiques à
travers le monde.
La première section présente le contexte historique, notamment la « féminisation des migrations ». La deuxième
section explore les effets divers et multiples du genre sur les expériences vécues par les migrants tout au long du
cycle migratoire, depuis leur départ du pays d’origine jusqu’à leur entrée et leur séjour dans le pays de transit ou
de destination et, le cas échéant, leur retour au pays d’origine. La troisième section traite ensuite de la nécessité
urgente d’adopter une approche de la gouvernance des migrations qui répond aux besoins en matière de genre
et identifie quatre défis transversaux à relever, en mettant en relief des exemples de pratiques et d’interventions
prometteuses. Enfin, le chapitre s’achève par une réflexion sur la complexité des liens multiformes entre la migration
et les questions de genre, ainsi que sur l’importance d’assurer une gouvernance des migrations répondant aux
besoins en matière de genre pour promouvoir l’égalité des genres de façon plus globale.
8 Nations Unies, 1979 et 1995 ; CIJ, 2007 et 2017 ; Assemblée générale des Nations Unies, 2015.
9 Bauloz, 2017.
10 Assemblée générale des Nations Unies, 2018a et 2018b ; voir également Assemblée générale des Nations Unies, 2016.
11 OIT, 2021a.
12 Faute de place, ce chapitre n’aborde pas la question de la mobilité internationale des étudiants, bien que le genre soit également pris en
compte dans ce type de mobilité. Pour des informations sur les questions de genre dans le contexte de la mobilité internationale des
étudiants, voir, par exemple, Raghuram et Sondhi, 2021.
174 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Contexte actuel : De la féminisation des migrations à l’accroissement de
l’écart mondial entre les genres dans le domaine de la migration
La migration, comme tout autre aspect de la vie d’une personne, demeure structurée par des normes de genre
qui attribuent à chaque personne certains rôles et certaines attentes en fonction de son sexe physiologique à la
naissance. De ce fait, la migration avait tendance à être décrite comme un phénomène dominé par les hommes,
tandis que les femmes et les filles étaient considérées comme des migrantes rattachées (« tied movers ») qui
suivaient leur mari ou leur père migrant, ou qui le rejoignaient ultérieurement, dans le cadre du regroupement
familial. Les chercheurs spécialistes de la migration se sont intéressés de plus près à la migration et aux rôles
attribués à chaque sexe lorsque les théories féministes sur la construction sociale du genre ont été formulées dans
les années 1980 et 1990. Ces avancées théoriques ont marqué un tournant dans la compréhension des interactions
entre les questions de genre et la migration au niveau des personnes, des ménages et de la société, ainsi que des
incidences qu’ont les identités de genre, les rôles liés au genre et les rapports de genre sur l’agentivité des migrants,
leur prise de décision, leurs schémas migratoires et les expériences qu’ils vivent tout au long du cycle migratoire13.
Dans les années 1980, les travaux de recherche sur la migration internationale des femmes ont fait apparaître que
de plus en plus de femmes migraient de manière indépendante, notamment en tant que travailleuses migrantes,
d’où le concept de féminisation des migrations14. Par la suite, cette notion a été systématiquement reprise dans la
recherche sur la migration et le genre, et rarement remise en question depuis les années 199015. Pourtant, il ressort
d’un examen plus approfondi des tendances et des schémas migratoires qu’il convient de la nuancer. Les ensembles
de données mondiales ne fournissent pas d’informations sur les migrants issus de la diversité de genre, la collecte
de données ventilées par genre demeurant peu courante, mais les données mondiales ventilées par sexe restent
utiles pour mieux comprendre les tendances démographiques d’un point de vue binaire.
S’il est vrai qu’historiquement, le nombre de femmes migrantes internationales s’est mis à augmenter constamment
à partir de 199016. les données montrent que l’écart entre les genres s’est creusé dans le monde au cours des deux
dernières décennies17. Comme le soulignait la précédente édition du Rapport État de la migration dans le monde (voir
la figure 1 ci-dessous), la part des femmes dans les migrants internationaux diminue depuis 2000, étant passée de
49,4 % à 48,1 %. L’écart par rapport à la proportion d’hommes est passé de 1,2 point de pourcentage en 2000
à 3,8 points de pourcentage en 2020.
13 Boyd, 2021.
14 Donato et Gabaccia, 2015.
15 Boyd, 2021.
16 Donato et Gabaccia, 2016.
17 OIM, 2021b, pp. 27-28.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 175
Figure 1. Répartition des migrants internationaux par sexe, 2000-2020
0
20
40
60
80
100
120
140
160
2000 2005 2010 2015 2020
Millions
Hommes Femmes
49,4 % 50,6 %
51,0 % 49,0 %
51,6 %
48,4 %
51,7 %
48,3 %
51,9 %
48,1 %
Source : OIM, 2021b, d’après DESA, 2021.
Ainsi, si le nombre de femmes migrantes a augmenté au fil des ans, les migrations ne se sont pas féminisées pour
autant. Elle se sont au contraire masculinisées, au vu de la part des femmes et des hommes dans la population
mondiale de migrants internationaux.
Ces tendances et schémas à l’échelle mondiale cachent toutefois de fortes variations selon les régions d’origine et de
destination. Comme le montrent les figures 2 et 3, même si les femmes ont représenté une part prépondérante des
migrants dans certaines régions du monde, les migrations ne se sont pas nettement féminisées au cours des trois
dernières décennies, sauf, dans une certaine mesure, l’émigration au départ de l’Amérique latine et des Caraïbes
et l’immigration à destination de l’Amérique du Nord. En revanche, dans certaines régions, elle se sont nettement
masculinisées ; c’est le cas, notamment, de l’émigration en provenance de l’Asie du Sud et de l’immigration à
destination du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
176 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Figure 2. Part des femmes et des hommes dans la population de migrants internationaux,
par région d’origine, 1990-2020
Asie de l’Est
et Pacique Asie du Sud Amérique latine
et Caraïbes Amérique du Nord
Monde Afrique
subsaharienne
Moyen-Orient et
Afrique du Nord
Europe et
Asie centrale
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
40 %
45 %
50 %
55 %
60 %
40 %
45 %
50 %
55 %
60 %
Année
Part des émigrants
Sexe
Femmes
Hommes
Source : Abel, 2022, d’après DESA, 2021.
Note : Catégorisation des régions telle qu’établie par l’auteur.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 177
Figure 3. Part des femmes et des hommes dans la population de migrants internationaux,
par région de destination, 1990-2020
Asie de l’Est
et Pacique Asie du Sud Amérique latine
et Caraïbes Amérique du Nord
Monde Afrique
subsaharienne
Moyen-Orient et
Afrique du Nord
Europe et
Asie
1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020
40 %
50 %
60 %
40 %
50 %
60 %
Année
Part des immigrants
Sexe
Femmes
Hommes
Source : Abel, 2022, d’après DESA, 2021.
Note : Catégorisation des régions établie par l’auteur.
Les couloirs de migration de main-d’œuvre sont le principal facteur qui explique aussi bien l’écart entre les genres
à l’échelle mondiale que les variations importantes qui existent entre les schémas genrés des migrations d’une
région à l’autre. Premièrement, la migration de main-d’œuvre est la principale forme de migration et présente un
écart encore plus important entre les genres que l’ensemble de la population de migrants internationaux. Selon
les dernières données disponibles, les travailleurs migrants représentaient la majorité des migrants dans le monde
en 2019, soit 62 % de la population de migrants internationaux18. Sur les 169 millions de travailleurs migrants que
comptait alors le monde, 99 millions étaient des hommes (58,5 %) et 70 millions des femmes (41,5 %), ce qui
correspond à un écart de 29 millions de personnes à l’échelle mondiale19.
18 OIT, 2021a ; OIM, 2021b.
19 Ibid.
178 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Deuxièmement, les couloirs de migration de main-d’œuvre déterminent la répartition géographique des travailleurs
migrants et, par conséquent, des migrants internationaux dans les différentes régions du monde. Comme le montre
la figure 4 ci-dessous, et comme pour la proportion d’hommes et de femmes migrants internationaux par région
de destination (figure 3), la démographie des travailleurs migrants est fortement déséquilibrée dans les États arabes,
en Afrique du Nord et, dans une moindre mesure, en Afrique subsaharienne, les hommes y étant beaucoup plus
nombreux.
Figure 4. Répartition géographique des travailleurs migrants par sexe, 2019
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
États arabes
Asie centrale et Asie de l’Ouest
Asie de l’Est
Europe de l’Est
Amérique latine et Caraïbes
Afrique du Nord
Amérique du Nord
Europe septentrionale, méridionale et occidentale
Asie du Sud-Est et Paci que
Asie du Sud
Afrique subsaharienne
Millions
Hommes Femmes
Source : OIM, 2021b, d’après OIT, 2021a.
Note : Cette figure reprend les régions et sous-régions de l’OIT et n’implique ni reconnaissance ni acceptation officielle de la part
de l’OIM. Voir l’appendice A du document de l’OIT, 2021a pour plus d’informations sur la ventilation par région.
La représentation disproportionnée des hommes travailleurs parmi les migrants dans les États arabes est à mettre en
lien avec le fait que, comme l’illustre la figure 5, 18 des 20 principaux couloirs de migration à dominante masculine
en 2020 avaient pour destination le Moyen-Orient (l’Asie du Sud étant la principale région d’origine). En revanche,
les 20 principaux couloirs de migration à dominante féminine en 2020, qui sont présentés dans la figure 6, étaient
plus diversifiés, bien que la majorité d’entre eux aient pour origine l’Asie du Sud ou l’Asie du Sud-Est.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 179
Figure 5. Les 20 principaux couloirs de migration à dominante masculine, 2020
Philippines – Émirats arabes unis
Bangladesh – Italie
Bangladesh – Arabie saoudite
Inde – Émirats arabes unis
Inde – Bahreïn
Pakistan – Émirats arabes unis
Népal – Arabie saoudite
Philippines – Qatar
Égypte – Qatar
Myanmar – Bangladesh
Népal – Qatar
Bangladesh – Koweït
Inde – Qatar
Pakistan – Qatar
Bangladesh – Émirats arabes unis
Bangladesh – Bahreïn
Inde – Oman
Pakistan – Oman
Bangladesh – Qatar
Bangladesh – Oman
70 % 75 % 80 % 85 % 90 %
Part des hommes migrants
Couloir de migration
Région d’origine
Asie de l’Est et Pacique
Moyen-Orient et Afrique du Nord
Asie du Sud
Hommes migrants
(en milliers)
500
1 000
1 500
2 000
2 500
Source : Abel, 2022 d’après DESA, 2021.
Notes : Classés selon la proportion d’hommes migrants, la population d’hommes migrants dans chaque couloir de migration étant
supérieure à 100 000.
Catégorisation des régions établie par l’auteur.
180 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Figure 6. Les 20 principaux couloirs de migration à dominante féminine, 2020
Venezuela (République bolivarienne du) –
États-Unis d’Amérique
Brésil – États-Unis d’Amérique
Philippines – États-Unis d’Amérique
Ukraine – Allemagne
Indonésie – Émirats arabes unis
Thaïlande – États-Unis d’Amérique
Indonésie – Singapour
Allemagne – Türkiye
Népal – Inde
République de Moldova – Italie
Canada – États-Unis d’Amérique
Bulgarie – Türkiye
Chine – Bangladesh
Indonésie – Bangladesh
Malaisie – Bangladesh
Inde – Népal
Ukraine – Italie
Iraq – Türkiye
Indonésie – RAS de Hong Kong, Chine
Philippines – RAS de Hong Kong, Chine
60 % 70 % 80 % 90 %
Part des femmes migrantes
Couloir de migration
Femmes migrantes
(en milliers)
250
500
750
1 000
1 250
Région d’origine
Asie de l’Est et Pacique
Europe et Asie centrale
Amérique latine et Caraïbes
Moyen-Orient et Afrique du Nord
Amérique du Nord
Asie du Sud
Source : Abel, 2022 d’après DESA, 2021.
Notes : Classés selon la proportion de femmes migrantes, la population de femmes migrantes dans chaque couloir de migration étant
supérieure à 100 000.
Catégorisation des régions telle qu’établie par l’auteur.
Les schémas migratoires régionaux et les couloirs de migration d’un pays à l’autre témoignent de la demande
économique régionale dans des secteurs professionnels qui peuvent être marqués par une ségrégation entre les
genres. Les pays du Golfe font partie des principales destinations des hommes travailleurs migrants : ainsi, en 2019,
près de 83 % de la population totale de travailleurs migrants dans la région des États arabes étaient des hommes20,
qui travaillaient principalement dans le secteur industriel en tant qu’ouvriers du bâtiment, en raison d’une demande
en constante augmentation depuis le choc pétrolier de 1973. S’agissant des travailleuses migrantes, les principales
destinations où elles se rendent et les principaux couloirs de migration qu’elles empruntent s’expliquent par la
forte prévalence des femmes migrantes dans le secteur des services, en particulier dans le travail domestique et
20 Le terme « États arabes » est employé par l’OIT dans sa ventilation régionale.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 181
les soins de santé. La figure 7 illustre cette ségrégation entre les genres et son renforcement entre 2013 et 2019 :
la proportion des hommes migrants qui travaillent dans le secteur de l’industrie est de plus en plus forte (étant
passée de 19,8 % à 35,6 %), de même que la proportion des femmes migrantes qui travaillent dans le secteur des
services (qui est passée d’un peu moins de 74 % à près de 80 %)21.
Figure 7. Répartition des travailleurs migrants internationaux par grande catégorie d’activité
économique et par sexe, à l’échelle mondiale, 2013 et 2019
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
Hommes Femmes Hommes Femmes
2013 2019
Millions
Agriculture Industrie Services
Source : OIT, 2015 et 2021a.
Ces schémas montrent qu’il convient de nuancer le lieu commun selon lequel la migration se féminiserait. Non
seulement le fossé migratoire se creuse entre les femmes et les hommes migrants internationaux, mais les schémas
de ségrégation professionnelle entre les genres restent très présents dans le monde entier, et il est probable qu’ils
s’accentueront, si l’on en croit les tendances historiques mondiales de la ségrégation professionnelle entre les genres
par secteur d’activité22.
Les données donnent un aperçu utile des tendances et des schémas migratoires, mais elles ne rendent pas compte
des vulnérabilités et des inégalités liées au genre qui touchent les migrants et leurs familles et qui perdurent
en raison de la ségrégation professionnelle entre les genres dans l’économie mondiale ainsi que des couloirs de
migration de main-d’œuvre différenciés selon le genre qui en résultent. Les dynamiques et les rôles liés au genre
ont des conséquences bien plus profondes, qui vont au-delà des chiffres, des conceptions binaires du genre et de
toute forme particulière de migration.
21 OIT, 2021a.
22 OIT, 2022.
182 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Au-delà des chiffres : Les dimensions de genre à chaque étape du cycle
migratoire
La présente section examine l’influence du genre sur les expériences migratoires, y compris les déplacements, à
chaque étape du cycle migratoire, c’est-à-dire pendant la période précédant le départ, à l’entrée dans le pays de
destination et pendant le séjour dans ce pays, puis, le cas échéant, au retour dans le pays d’origine, selon une
typologie déjà employée dans les éditions précédentes du Rapport État de la migration dans le monde23. Bien que
la migration et les déplacements ne suivent pas forcément une logique linéaire, la conceptualisation des dimensions
de genre à différentes étapes du cycle migratoire offre un cadre d’analyse utile. Tout en reconnaissant l’importance
d’autres facteurs, notamment l’âge, la présente section aborde ces dimensions de genre (qui sont résumées dans
la figure 8 ci-dessous) à travers le prisme des inégalités de genre et fait ainsi ressortir comment elles peuvent être
à l’origine d’une variété de possibilités, de vulnérabilités et de risques pour les migrants. Il s’agit de donner des
exemples des innombrables interactions entre le genre et la migration, étant donné qu’il serait impossible de rendre
compte de manière exhaustive de l’ensemble de ces possibilités, vulnérabilités et risques.
23 Voir, par exemple, McAuliffe et al., 2021 ; et Beduschi et McAuliffe, 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 183
Figure 8. Les dimensions de genre à chaque étape du cycle migratoire
Retour
- Incidences du genre sur le sentiment de satisfaction
à l’égard de la vie dans le pays de destination et par
conséquent sur la décision de retourner dans le pays
d’origine - Influence des normes de genre sur l’attachement à
la famille dans le pays d’origine - Schémas genrés de « retour à des fins d’innovation »,
de « retour réussi » et de « retour à la suite d’un
échec » - Transfert des normes de genre du pays de destination
(si ces normes sont différentes de celles du pays
d’origine) - Réadaptation aux normes de genre du pays d’origine
après le retour (si ces normes
sont différentes de celles du
pays de destination) - Discrimination et stigmatisation
fondées sur le genre dans la
communauté d’origine
Séjour - Conditions de travail précaires
- Limitation des droits sexuels,
reproductifs et maternels des
travailleuses domestiques - Accidents du travail chez les
travailleurs migrants du secteur
de la construction - Obstacles genrés à l’intégration
sur le marché du travail - Schémas genrés concernant le travail
informel - Schémas genrés concernant les
rapatriements de fonds - Effets du genre sur l’accès et les résultats
dans les domaines de l’éducation, du
logement et de la santé - Pratiques transnationales de soins
différenciées selon le genre - Discrimination et stigmatisation fondées
sur la masculinité, l’hypersexualisation et
l’identité transgenre - Violence fondée sur le genre
- Risques d’atteinte, d’exploitation et de traite
d’êtres humains différenciés selon le genre
Avant le départ - Influence des normes et des rôles liés au genre sur
les aspirations et décisions en matière de migration - Facteurs de migration et de déplacement différenciés
selon le genre - Types de migration différenciés selon le genre
(famille, mariage, travail ou déplacement) - Incidences du genre sur l’accès à l’information et les
types d’informations consultées (réseaux sociaux,
couverture médiatique et programmes
de sensibilisation et de préorientation) - Mesures d’interdiction et de limitation de l’émigration
touchant principalement les femmes employées dans
le secteur du travail domestique - Facilitation de la migration de maind’œuvre dans des secteurs d’activité
genrés - Obstacles liés au genre dans les
procédures de demande de visa en
personne et en ligne - Risques liés au genre le long des
itinéraires de migration irrégulière
(par exemple la traite d’êtres humains)
Entrée - Biais de genre dans la gestion
numérique des frontières - Voies de migration de maind’œuvre genrées et structurées
sur la base des compétences - Mobilité professionnelle descendante des
travailleurs de la santé vers les secteurs
des services à la personne ou du travail
domestique - Statut migratoire des membres de la famille
parrainés dépendant du statut de leur
parrain - Conditions restrictives en matière
de regroupement familial ayant des
conséquences sur les femmes et les
migrants issus de la diversité de genre - Risques de persécution ou de préjudice
grave et effets des biais de genre sur la
détermination du statut de réfugié - Vulnérabilités liées au genre dans le
contexte de la détention d’immigrants, y
compris violence fondée sur le genre
184 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Avant le départ
Comme nous l’avons vu dans la présente sous-section, le genre a de multiples incidences sur la phase migratoire
précédant le départ, que ce soit sur les aspirations de la personne ou du ménage et sur sa décision de migrer, sur
les facteurs de migration et de déplacement, ou encore sur la capacité d’accès à l’information et sur les types de
canaux d’information utilisés. Les politiques et la législation des pays d’origine en matière de migration peuvent être
fortement genrées. Cela peut être le cas, notamment, des mesures d’interdiction et de restriction de l’émigration,
de même que des accords bilatéraux et des mesures visant à faciliter la migration de main-d’œuvre, lesquels peuvent
contribuer de manière décisive à alimenter la migration irrégulière d’une façon qui soit différenciée selon le genre,
notamment sur le plan des risques liés au genre dans la traite d’êtres humains.
Les aspirations initiales d’une personne et sa décision ultérieure de rester ou d’émigrer sont influencées par les
normes de genre de son pays d’origine. Les figures traditionnelles de l’homme soutien de famille et de la femme
pourvoyeuse de soins ont tendance à persister dans le monde entier à un degré plus ou moins élevé, et se
conjuguent au cycle de vie des personnes, à savoir leur âge, leur statut matrimonial et le fait d’avoir ou non des
enfants. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, la migration des (jeunes) hommes est vue comme une responsabilité
intergénérationnelle et une expression du statut d’homme adulte qui offre des possibilités de mobilité économique
et sociale au retour, y compris sur le plan du mariage24. En Afghanistan et au Pakistan, certains groupes ethniques
considèrent la migration, y compris par des voies irrégulières et peu sûres, comme un rite de passage à l’âge
adulte25. La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan en août 2021 et les restrictions que ces derniers ont
adoptées depuis, en particulier à l’égard des femmes et des filles, ont toutefois quelque peu fait évoluer les schémas
migratoires, jusqu’alors essentiellement masculins, le nombre de femmes et de filles déplacées dans des conditions
souvent peu sûres ayant augmenté26. Dans certaines familles, les femmes (en particulier les jeunes femmes) peuvent
subir des pressions qui les incitent à rester pour s’occuper de membres de la famille, ou à partir dans le cadre d’une
migration familiale ou par mariage, ces formes de migration étant considérées comme acceptables par la société27.
Le fait de migrer de façon indépendante peut être considéré comme honteuse pour leurs familles, étant associé
dans certains cas à un mode de vie et à des comportements très libres et à une sexualité ouverte28.
Toutefois, certaines sociétés qui ne sont pourtant pas considérées comme matriarcales ont depuis longtemps
une culture de la migration féminisée ; c’est le cas de Cabo Verde et de Java-Ouest (Indonésie)29. Même dans
les sociétés ayant une approche traditionnelle des rôles liés au genre, la migration des femmes est devenue une
stratégie à laquelle les ménages ont recours pour répondre aux besoins économiques dans le contexte de la
demande croissante de main-d’œuvre migrante, par exemple dans le secteur des services à la personne. Outre le
cas bien connu des Philippines depuis les années 198030, les femmes péruviennes émigrent en Argentine de manière
indépendante pour travailler dans le secteur des services, car elles ont plus de chances d’obtenir un emploi que leur
mari31. La migration saisonnière ou circulaire est également une stratégie utilisée par certaines femmes migrantes
pour concilier leur besoin de revenus et leurs obligations de mère et d’épouse, comme le rapportent les femmes
migrantes originaires de Hongrie, par exemple32.
24 Pour le Burkina Faso, le Cameroun et le Sénégal, voir : Beqo, 2019 ; Bylander, 2015 ; Hoang, 2011 ; Prothmann, 2017 ; Mondain et Diagne,
2013.
25 Monsutti, 2007 ; McAuliffe, 2017 ; Hahn-Schaur, 2021 ; Ahmad, 2008.
26 HCR, 2023 ; McAuliffe et Iqbal, 2022.
27 ONU Femmes, 2015 ; Bouchoucha, 2012 ; Cooke, 2008 ; Cerrutti et Massey, 2001.
28 Walton-Roberts, 2012 ; Boyd, 2006 ; Dannecker, 2005.
29 Åkesson et al., 2012 ; Iqbal et Gusman, 2015.
30 ONU Femmes, 2015.
31 Rosas, 2013 ; Pedone et al., 2012.
32 Eröss et al., 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 185
Dimensions de genre dans le contexte de la migration, de l’environnement et du changement
climatique
Le genre est un facteur qui influe de façon déterminante sur les besoins et les priorités des migrants
climatiques et qui aura un rôle essentiel à jouer dans la conception de politiques inclusives visant à
s’attaquer non seulement aux inégalités et à la discrimination, mais aussi à la vulnérabilité au changement
climatique. Les femmes sont touchées de façon disproportionnée par le changement climatique : elles sont
en moyenne plus pauvres, moins éduquées et en moins bonne santé, et n’ont qu’un accès direct restreint
aux ressources naturelles ou à la propriété de celles-ci. Le processus (mouvements réels) et les résultats
(migration rurale rurale ou rurale urbaine, émigration) de la migration due au climat sont également
susceptibles d’être fortement différenciés selon le genre (Chindarkar, 2012). Bien que le lien entre le genre
et la migration due au climat soit encore à l’étude, le genre continue d’occuper une place fondamentale
dans le processus de prise de décision en matière de migration, car les rôles assignés aux hommes et aux
femmes au sein de la famille, de la communauté et de la société sont un élément déterminant de leur
vulnérabilité au changement climatique.
En effet, compte tenu de leur accès inégal aux ressources et à l’information, les femmes et les hommes
présentent des vulnérabilités différentes face au changement climatique. Ce processus genré prend des
formes différentes dans différentes sociétés, en fonction des normes culturelles locales qui façonnent les
rôles liés au genre, l’âge, la classe sociale et l’appartenance ethnique. La masculinisation de la migration est
une réponse aux inégalités sociales aggravées par le changement climatique, celles-ci étant fortement liées
aux moyens de subsistance, à l’exposition aux risques et à la faible capacité d’adaptation des personnes et
des groupes. La perte des moyens de subsistance déclenche en effet des projets de migration : les hommes
ont tendance à migrer lorsque l’activité agricole devient incertaine et que le revenu du ménage décroît
constamment (Miletto et al., 2017).
Source : Braham, 2018.
Pour certains, la migration est également un moyen d’échapper aux normes de genre traditionnelles ainsi qu’aux
pressions exercées par la société. Par exemple, la migration par mariage permet aux femmes de s’affranchir
des normes sociales dominantes en ce qui concerne l’âge du mariage ou la possibilité de se remarier après un
divorce33. Pour les migrants aux orientations sexuelles, aux identités de genre, aux expressions du genre et aux
caractéristiques sexuelles diverses en Asie du Sud-Est, la discrimination au sein des familles et des sociétés peut
être un moteur de migration, parallèlement à leur aspiration à une meilleure situation économique34. Poussée à
l’extrême, la discrimination fondée sur le genre peut prendre la forme de mauvais traitements, de violences ou
d’actes de persécution, et contraindre les personnes à fuir leur pays d’origine, ce qui leur permet parfois d’obtenir
une protection internationale ailleurs (voir la sous-section suivante).
Les décisions en matière de migration dépendent aussi fortement de l’accès à l’information et du type d’information
auquel les personnes peuvent accéder, ce qui peut grandement varier en fonction du genre de la personne. On peut
recenser quatre sources d’information principales : les réseaux sociaux ; les contenus médiatiques ; les interventions
33 Chen, 2021.
34 OIT et ONU Femmes, 2022.
186 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
de sensibilisation ; les programmes de préorientation. Leur rôle varie fortement selon le contexte, mais il est
possible de dégager certaines tendances genrées de portée générale ainsi que leurs conséquences. Un exemple
particulier est celui des réseaux sociaux, notamment des diasporas : bien que ces réseaux jouent un rôle important
pour chaque migrant, quel que soit son genre, les types de réseau auxquels les femmes migrantes ont recours
varient ; ainsi, certaines femmes ont tendance à privilégier les réseaux familiaux pour obtenir des informations
fiables, tandis que d’autres se tournent vers des réseaux de femmes pour recevoir des informations pertinentes
pour les femmes ou pour bénéficier d’un soutien de la part de migrantes de retour35. Les contenus médiatiques et
les interventions de sensibilisation sont souvent axées sur les dangers et les risques associés à la migration, ce qui
peut décourager les femmes et les filles de migrer, mais moins les hommes et les garçons36. Enfin, à l’exception de
certains pays d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est, les programmes de préorientation ont tendance à être conçus
selon un modèle unique, qui risque donc d’être moins efficace pour remédier aux vulnérabilités liées au genre dans
le domaine de la migration37.
Les politiques et la législation des pays d’origine en matière de migration peuvent entraver la migration des personnes
du fait de leur genre. Des mesures qui interdisent l’émigration vers certains pays (principalement les pays du Golfe)
ou la limitent en la subordonnant à l’obtention d’une autorisation préalable ont été adoptées par des pays d’origine,
en particulier en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, à savoir notamment le Bangladesh, le Cambodge, l’Inde,
l’Indonésie, le Népal, les Philippines, le Sri Lanka et le Myanmar38. Bien que présentées comme des mesures de
protection pour leurs ressortissants, ces interdictions et restrictions ont principalement ciblé les femmes, en limitant
la migration de main-d’œuvre dans des secteurs bien précis (principalement le travail domestique). Ces restrictions
peuvent être fondées sur l’âge de la femme ou celui de ses enfants ou encore rendre nécessaire l’approbation
expresse d’un tuteur masculin.
Parallèlement, de plus en plus de pays d’origine et de destination adoptent des accords bilatéraux sur la main-d’œuvre
et des mémorandums d’accord pour faciliter la migration de main-d’œuvre et réglementer la migration régulière
de main-d’œuvre, en particulier dans les professions peu qualifiées telles que l’agriculture, la construction et le
travail domestique. Souvent présentés comme des solutions « triplement gagnantes » pour les pays d’origine,
les pays de destination et les migrants eux-mêmes, ces accords tendent cependant à renforcer la ségrégation du
travail entre les genres à l’échelle mondiale en facilitant la migration de main-d’œuvre à destination des pays qui
ont besoin de travailleurs dans des professions à forte dominante féminine ou masculine, en plus de créer des
vulnérabilités genrées, faute d’une approche de la protection tenant compte des questions de genre (voir la soussection sur le séjour, ci-dessous)39. Bien que l’on ne sache pas très bien dans quelle mesure ces accords influent sur
les flux migratoires et la population de migrants, il convient de noter que la majorité des 20 principaux couloirs
de migration à dominante masculine et féminine (figures 5 et 6) concernent des pays ayant conclu des accords
bilatéraux sur la main-d’œuvre ou des mémorandums d’accord40.
35 Sha, 2021 ; Direction générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne et al., 2017 ; Dannecker, 2005.
36 Hennebry et al., 2016 ; Hahn-Schaur, 2021 ; Direction générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne
et al., 2017.
37 Asis et Mendoza, 2012 ; ElDidi et al., 2021 ; Watanabe, 2019.
38 Des mesures d’interdiction totale de l’émigration vers les pays du Golfe ont également été imposées par le Kenya en 2012, puis par
l’Éthiopie, à ses travailleurs domestiques, en 2013 (ces mesures ont depuis été annulées). Shivakoti et al., 2021 ; Weeraratne, 2023 ;
Joseph et al., 2022 ; Henderson, 2022 ; Kavurmaci, 2022 ; Lynn-Ee Ho et Ting, 2022 ; Walton-Roberts et al., 2022.
39 Lim, 2016 ; Hennebry et al., 2022.
40 Chilton et Posner, 2017.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 187
Pour faciliter la migration de main-d’œuvre, certains pays aident aussi leurs ressortissants à se préparer à la
migration dans certains secteurs d’activité. Souvent présentées comme un modèle en matière de migration de maind’œuvre, les Philippines ont mis en place tout un dispositif de soutien au recrutement de Philippins à l’étranger qui
permet d’assurer la protection de ces migrants dans leurs pays de destination. Ce système a vu le jour dans les
années 1970 avec le lancement d’un programme d’emploi à l’étranger, en particulier dans les pays du Moyen-Orient
qui connaissaient des pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction pendant le boom pétrolier41.
Les problèmes de protection au travail rencontrés par les travailleurs philippins à l’étranger ont incité les Philippines
à compléter leur politique de facilitation de la migration de main-d’œuvre en mettant en place, à partir du milieu
des années 1970, une politique axée sur la protection de ses ressortissants, qui a abouti en 2022 à la création
du Département des travailleurs migrants42. Le Département propose une variété de services électroniques avant
la migration et tient une liste des agences de recrutement agréées afin de mieux protéger les travailleurs contre
l’exploitation et les agences aux pratiques frauduleuses43.
Pourtant, dans la plupart des pays, les procédures de demande de visa restent contraignantes et difficilement
accessibles, voire dangereuses. Par exemple, les femmes syriennes qui demandent le regroupement familial avec
leur époux ayant obtenu le statut de réfugié en Allemagne peuvent risquer leur vie en rassemblant les documents
nécessaires et en se rendant dans les ambassades allemandes des pays voisins, la représentation diplomatique en
République arabe syrienne étant fermée44. Le développement des procédures de demande en ligne peut résoudre
certains de ces problèmes, mais crée également des difficultés pour les personnes originaires de pays moins
bien connectés et où les femmes ont tendance à ne pas avoir accès aux technologies de l’information et de la
communication (TIC), dans une mesure disproportionnée par rapport aux hommes45.
Conjugués aux voies de migration régulières restrictives, les obstacles à la migration liés au genre peuvent alimenter
la migration irrégulière et accroître ainsi le risque pour les migrants d’être victimes de mauvais traitements,
d’exploitation et de la traite d’êtres humains. Les itinéraires de migration irrégulière comportent de nombreux
risques, allant des passeurs violents aux trafiquants d’êtres humains qui exploitent les vulnérabilités des migrants46.
Les femmes et les filles, qui représentaient 60 % de l’ensemble des victimes identifiées de la traite dans le monde
en 2020, présentent des vulnérabilités bien connues liées à leur genre, notamment en ce qui concerne la traite à
des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi le travail forcé, les femmes et les personnes aux identités de genre et aux
expressions du genre diverses étant plus susceptibles que les hommes d’être soumises à des violences physiques et
extrêmes de la part des trafiquants47. La proportion plus faible d’hommes et de garçons identifiés parmi les victimes
de la traite ne doit cependant pas occulter certaines de leurs vulnérabilités propres, notamment leur vulnérabilité
au travail forcé, à l’exploitation sexuelle, aux activités criminelles forcées et aux formes mixtes d’exploitation. Bien
que le nombre d’hommes victimes recensées ait augmenté en 2020, nombre d’hommes ne s’identifient pas comme
victimes ou ont honte de s’identifier comme tels, en particulier en cas d’exploitation sexuelle48. Des problèmes
d’identification similaires peuvent se poser chez les personnes transgenres et non binaires qui sont principalement
victimes de la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle49.
41 Asis, 2017.
42 Mones, 2022.
43 République des Philippines, s.d. ; ONUDC, 2015.
44 Damir-Geilsdorf et Sabra, 2018.
45 UIT, 2022 ; McAuliffe, 2023.
46 Bauloz et al., 2021.
47 ONUDC, 2022 ; CEDAW, 2020.
48 ONUDC, 2022 ; WRC et UNICEF, 2021.
49 CTDC, s.d.
188 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Entrée
Les questions de genre influent sur les expériences vécues par les migrants et sur la capacité de ces personnes à
entrer dans un pays de transit ou de destination, que ce soit sur le plan du franchissement physique des frontières
ou des cadres normatifs et politiques régissant l’entrée.
Manifestations physiques de la souveraineté nationale, les frontières peuvent devenir des lieux de discrimination et
de violence50. Les biais de genre se retrouvent également dans les technologies numériques utilisées pour le contrôle
d’identité et de sécurité aux postes frontière, telles que la reconnaissance faciale, qui tend à commettre plus
d’erreurs lorsqu’il s’agit de personnes dont la peau est relativement foncée ou de femmes51. De même, il s’est avéré
que la reconnaissance des émotions par des outils utilisant l’intelligence artificielle, qui vise à évaluer la crédibilité des
migrants, est associée à des biais raciaux et liés au genre. En effet, ces outils interprètent incorrectement certains
microgestes faits par des migrants ayant subi des traumatismes ou par des migrants aux identités de genre diverses,
qui peuvent avoir pris l’habitude de dissimuler leur identité de genre ou éprouver de la gêne à la révéler52.
Les politiques et la législation en matière de migration déterminent également les possibilités d’entrée régulière
des migrants selon des critères liés au genre. Les normes et les stéréotypes de genre sont à l’œuvre dans les trois
principales voies de migration régulières, à savoir la migration de main-d’œuvre, la migration familiale et la protection
internationale53.
Les politiques de migration de main-d’œuvre ne sont pas neutres du point de vue du genre : elles perpétuent les
inégalités de genre dans les pays d’origine, intègrent les préjugés sociétaux liés au genre et influent sur les possibilités
offertes aux travailleurs migrants et les résultats qu’ils obtiennent en fonction de leur identité de genre54. Les
permis de migration de main-d’œuvre permanents et temporaires tendent à être accordés en fonction de niveaux
de compétences qui demeurent souvent très différents selon le genre. Par exemple, les femmes qui travaillent dans
des professions traditionnellement féminisées, comme dans les domaines de la santé (par exemple, les infirmières)
ou de l’éducation (par exemple, les enseignantes), ont moins de chances d’obtenir un permis de travail que les
hommes qui exercent des professions qualifiées à dominante masculine, en particulier dans les cas où les politiques
migratoires définissent les niveaux de compétences en fonction du salaire du demandeur, qui est souvent moins
élevé pour les femmes que pour les hommes55. La migration de main-d’œuvre hautement qualifiée, qui est souvent
associée à des permis de séjour permanents ou à relativement long terme, répond avant tout au recrutement de
talents à l’échelle mondiale dans des domaines d’activité où les hommes sont souvent surreprésentés, tels que les
sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques56. Les professions qualifiées à dominante féminine, telles
que celles de la santé et de l’éducation, sont souvent des professions réglementées pour lesquelles les qualifications
internationales des migrants peuvent ne pas être reconnues. Par voie de conséquence, les femmes peuvent avoir
recours à des filières de migration moins qualifiées, mais plus facilement accessibles, notamment dans le cadre des
accords bilatéraux sur la main-d’œuvre et des programmes de migration de main-d’œuvre temporaire (en particulier
50 Freedman et al., 2023.
51 Beduschi et McAuliffe, 2021.
52 Hall et Clapton, 2021.
53 Une quatrième voie, la mobilité internationale des étudiants, n’est pas examinée dans ce chapitre.
54 Briddick, 2021; Kofman, 2013.
55 Pour l’Union européenne et le Royaume-Uni, par exemple, voir : Union européenne, 2021 ; de Lange et Vankova, 2022 ; Kofman, 2013.
56 Aux États-Unis, par exemple, au cours de l’exercice 2021, un peu plus de 72 % des bénéficiaires du visa temporaire H-1B destiné aux
professions spécialisées, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, étaient
des hommes (Département de la sécurité intérieure des États-Unis, 2022).
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 189
dans le domaine des services à la personne), ce qui contribue ensuite à leur mobilité professionnelle descendante
et les rend plus vulnérables dans des secteurs où elles sont moins bien protégées, tels que le secteur des services
à la personne, où les États n’investissent généralement pas suffisamment dans les prestations sociales57. Lorsqu’elles
émigrent pour occuper un emploi de travailleuse domestique, les femmes sont également confrontées à des
restrictions de leurs droits sexuels et reproductifs ; par exemple, lorsque les agences de recrutement de certains
pays leur demandent de passer un test de grossesse avant et après leur arrivée58.
La migration familiale est traditionnellement très féminisée en raison des normes de genre qui persistent dans
les pays d’origine, la femme suivant souvent son mari dans sa migration. Les politiques de migration familiale
renforcent ces inégalités entre les genres en liant les membres de la famille à la première personne ayant migré,
qui les parraine59. En outre, dans le cas du regroupement familial, il peut être difficile de satisfaire aux conditions
d’entrée restrictives, compte tenu des inégalités entre les hommes et les femmes dans le pays d’origine, qui ont
souvent un impact disproportionné sur les femmes, qui doivent être parrainées60. C’est le cas, par exemple, des
tests linguistiques préalables à l’entrée, car les compétences linguistiques nécessaires sont étroitement liées au niveau
d’éducation et à la capacité financière d’accéder aux cours de langue, qui varient selon le genre. Dans un certain
nombre de pays où la conception binaire traditionnelle s’applique encore à la question du sexe des époux et des
partenaires, les migrants aux identités de genre diverses sont confrontés à des difficultés au cours du processus de
regroupement familial61. Même dans les pays qui reconnaissent les partenariats entre personnes de même sexe, la
nécessité de présenter un certificat de mariage ou une preuve d’union civile peut faire obstacle au regroupement
familial des migrants, en particulier pour ceux qui viennent de pays où le mariage entre personnes de même sexe
n’est pas légal, et où ces relations peuvent même constituer des infractions pénales62.
La recherche d’une protection internationale peut donner lieu à des expériences très différentes selon le genre.
Premièrement, les risques liés au genre dans le pays d’origine peuvent justifier l’octroi d’une protection internationale
dans le pays de destination, telle que l’attribution du statut de réfugié63. Ces risques liés au genre ont tendance à
être reconnus pour les femmes et les filles, ainsi que pour les personnes dont les identités de genre sont diverses,
en cas de violence sexuelle (viol, prostitution forcée, grossesse et avortement forcés, mariage forcé ou précoce,
etc.), de violence physique (crimes d’honneur, mutilations génitales, châtiments corporels imposés au titre de lois
discriminatoires et de conventions sociales, etc.) ou d’autres violations graves des droits humains (par exemple la
détention arbitraire) ou d’une accumulation de divers actes de discrimination64. Deuxièmement, le genre est pris
en compte dans le processus de détermination du statut de réfugié, qui est centré sur l’examen des données
factuelles et l’évaluation de la crédibilité du demandeur. Dans les cas de persécution liés au genre, le fait d’avoir
été la cible d’un préjudice ou d’actes de discrimination fondés sur le genre, ainsi que la nature sensible et intime
des identités de genre et des expressions du genre, lesquelles sont parfois tenues secrètes, peuvent saper la
cohérence et la concordance des déclarations faites par les demandeurs65. Dans d’autres cas, il a été observé
que les stéréotypes de genre, selon lesquels les femmes et les filles sont considérées comme vulnérables, ont
des répercussions négatives sur les hommes demandeurs d’asile, ces derniers étant plus facilement vus comme de
57 Boucher, 2021 ; Dodson, 2021 ; Walton-Roberts, 2020 ; Spitzer, 2022 ; Piper, 2022 ; Hennebry et al., 2022.
58 Mehzer et al., 2021.
59 Pajnik et Bajt, 2012.
60 Bauloz et al., 2019.
61 Freier et Fernández Rodríguez, 2021 ; Tryfonidou et Wintemute, 2021 ; Nusbaum, 2015.
62 Malekmian, 2022, sur le regroupement familial des réfugiés en Irlande.
63 Nations Unies, 1951 et 1967. Voir HCR, 2002 et 2012 ; CEDAW, 2014.
64 Voir par exemple OIM, 2021b ; HCR, 2002 et 2012.
65 AUEA, 2018. Voir également Manganini, 2020.
190 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
« faux » réfugiés66. Ces stéréotypes peuvent également influer sur les conclusions des évaluations de la vulnérabilité
aux fins de la réinstallation des réfugiés, sur l’accès des personnes vulnérables aux mécanismes d’orientation vers
les services appropriés (tels que ceux destinés aux victimes potentielles de la traite) ainsi que sur la fourniture de
services en cas de situation de crise humanitaire67.
« J’ai eu l’impression de renaître » : une personne non binaire obtient pour la première fois
le statut de réfugié au Royaume-Uni
Le statut de réfugié a été accordé pour la première fois à une personne non binaire par un tribunal
britannique, à la suite d’une décision historique. C’est la décision qu’a rendue une cour d’appel (Upper
Tribunal) dans l’affaire concernant Arthur Britney Joestar, originaire d’El Salvador, après avoir conclu que
cette personne serait persécutée en raison de son identité si elle retournait dans son pays d’origine. […]
D’après l’arrêt de ce tribunal britannique, Joestar risquerait d’être la cible de menaces spécifiques, y compris
de violences physiques et sexuelles, en cas de retour dans son pays d’origine.
Joestar (29 ans), qui vit à présent à Liverpool, a rejoint le Royaume-Uni en octobre 2017 pour fuir les
mauvais traitements qui lui été infligés quotidiennement dans son pays d’origine. « Lorsque je marchais
dans la rue, les gens me jetaient des ordures depuis leurs fenêtres – une fois, quelqu’un m’a jeté un sac en
plastique rempli d’urine », a confié Joestar. « À El Salvador, les personnes non binaires courent un grand
danger – j’ai vu les corps de personnes qui avaient été tuées. Tout aurait pu m’arriver. J’aurais pu être
victime de torture, de viol, d’une fusillade ou d’un meurtre ».
Lors d’un incident dans la capitale, San Salvador, la police a interpellé Joestar. « L’un des policiers a
commencé à me poser des questions sur mes cheveux. Il disait que ma façon d’être n’était pas normale,
qu’ils voulaient m’apprendre à être un homme. Ils m’ont ensuite donné un coup sur la poitrine et m’ont
fait chuter au sol. Je ne sais pas ce qui était le pire : l’attaque ou le fait que personne ne me soit venu en
aide. J’avais de nombreuses contusions, mes bras saignaient et je pleurais. Mais personne ne s’en souciait.
C’était vraiment terrifiant », a confié Joestar.
Joestar s’était précédemment vu refuser l’asile au Royaume-Uni. Le premier recours, formé en novembre
2018, avait été rejeté par le tribunal de première instance, qui avait estimé que les brutalités policières
« ne constituaient rien de plus qu’un acte de discrimination » et qu’elles ne s’étaient produites qu’une seule
fois. En février 2020, le second recours, fondé sur l’identité non binaire de Joestar, a été rejeté dans un
premier temps, avant que la cour d’appel ne donne raison à Joestar.
« La juge a su traiter ce dossier : elle a su me comprendre, jusque dans les moindres petits détails. […] Elle
a vu la situation dans sa globalité, a estimé Joestar. À la fin, elle s’est tournée vers moi et m’a adressé la
parole en espagnol pour me dire qu’elle m’accordait le droit de séjourner dans ce pays et le droit d’être
qui je veux être. J’ai fondu en larmes. J’ai eu l’impression de renaître. »
[…]
66 Griffiths, 2015.
67 Turner, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 191
M. Joestar espère que cette affaire permettra d’aider d’autres personnes. « Toutes les injustices que j’ai
subies en valent peut-être la peine, si elles peuvent montrer aux gens qu’il y a quelque chose de positif à
tirer de toutes ces souffrances. J’espère simplement que les gens seront bientôt capables de voir que nous
existons, et que nous pourrons enfin dire que nous ne sommes pas invisibles. »
Extrait abrégé de Kelly, 2020.
Enfin, le genre joue un rôle important dans les expériences et les vulnérabilités des migrants en situation irrégulière,
y compris les demandeurs d’asile déboutés et les personnes placées en détention dans l’attente de leur expulsion.
Au-delà du traumatisme psychologique que peut causer le placement d’un migrant en détention, quel que soit son
genre, les femmes et les migrants issus de la diversité de genre sont exposés au risque de violence sexuelle et
fondée sur le genre68. C’est particulièrement le cas des migrants transgenres, qui seraient 15 fois plus susceptibles
d’être agressés sexuellement que les autres personnes placées en détention69. Les femmes migrantes transgenres
sont particulièrement exposées, car elles sont détenues avec des hommes.
Séjour
Les expériences vécues par les migrants pendant leur séjour dans leur pays de destination sont diverses et dépendent
d’une variété de facteurs, notamment les facteurs de migration initiaux, le statut migratoire et les processus
d’inclusion qui en découlent, qui peuvent tous être fortement liés au genre. La présente sous-section examine
certains des principaux résultats de l’inclusion des migrants sur le plan du marché du travail, des rapatriements de
fonds, de l’éducation, de la formation, du logement, de la santé et de la cohésion sociale. Cela étant, ces résultats
restent étroitement liés aux prestations et aux droits accordés aux migrants en fonction de la durée de leur droit
de séjour dans le pays de destination. Les inégalités de genre ont donc tendance à se perpétuer, voire à s’exacerber,
pendant le séjour des migrants, car les femmes doivent surmonter davantage d’obstacles pour obtenir des permis de
séjour à long terme et permanents – ce qui est souvent une condition préalable à l’obtention de la citoyenneté – à
cause des biais de genre intégrés dans les politiques et les législations régissant l’entrée sur le territoire.
Les résultats en matière d’emploi, facteur clé de l’inclusion des migrants, sont intrinsèquement liés à l’approche
suivie par les politiques migratoires, qui consiste à accorder les permis de travail sur la base des compétences.
Outre que leurs professions sont fortement genrées, beaucoup de travailleurs peu qualifiés ont un statut migratoire
précaire – souvent temporaire – et travaillent dans des conditions qui renforcent les vulnérabilités liées au genre et
en créent de nouvelles. C’est le cas, typiquement, des hommes migrants travaillant dans le secteur agricole et des
femmes migrantes travaillant dans les secteurs des services à la personne et du travail domestique. Bien que leur
rôle de « travailleurs essentiels » ait largement été salué pendant la pandémie de COVID-19, ces personnes vivent
dans des conditions qui les rendent extrêmement vulnérables : en effet, elles vivent en étroite proximité avec leur
employeur (logement dans l’exploitation agricole pour les travailleurs agricoles et au domicile de l’employeur pour
les travailleurs domestiques), dépendent de leur employeur pour l’accès aux biens et aux services, et bénéficient
68 Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 2019.
69 IDC, 2016; OIM, 2021b.
192 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
d’un niveau de protection au travail inférieur à celui des travailleurs occupant d’autres professions70. Dans bien
des cas, la migration des travailleuses domestiques d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est vers les pays du Golfe est
réglementée par des accords bilatéraux sur la main-d’œuvre qui ne garantissent pas leurs droits à une protection
au travail dans le pays de destination et qui ne tiennent pas compte des vulnérabilités propres aux femmes71. Cela
contribue à la situation très précaire des personnes ayant migré dans le cadre du système de la kafala, qui les lie
à leur employeur, les exclut de la protection conférée par le droit du travail et peut entraîner de graves mauvais
traitements et violations de leurs droits72. Au Liban, par exemple, les droits sexuels, reproductifs et maternels des
migrantes ne sont pas protégés, en particulier si des travailleuses tombent enceintes et que les employeurs mettent
fin à leur contrat, ce qui peut conduire à leur expulsion ou les placer en situation irrégulière73.
Du point de vue des migrants, les expériences vécues sur le plan de l’emploi varient fortement en fonction du
genre. Le taux d’activité plus faible des migrantes par rapport à celui des hommes migrants (estimés à l’échelle
mondiale à 59,8 % et à 77,5 %, respectivement, en 2019)74 est partiellement attribué à la division du travail dans
les ménages de migrants, les femmes ayant tendance à se retrouver dans une situation d’« inactivité involontaire »
si elles sont mariées ou qu’elles doivent s’occuper de leurs enfants75. Ce phénomène est également étroitement lié
aux normes de genre et à la situation de dépendance que créent les politiques de migration familiale, dans les cas où
les migrantes sont rattachées à leur mari travailleur migrant, ce qui, dans certains pays tels que l’Afrique du Sud, ne
leur donne pas le droit de travailler76. La recherche met également en évidence les incidences que les inégalités de
genre existant dans le pays d’origine en matière d’emploi et de niveau de salaire ont sur les mères migrantes dans
leur pays de destination : ainsi, la situation des femmes migrantes d’Afrique du Nord est plus précaire en France
que celle des femmes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne et d’Europe77.
Les obstacles à l’emploi liés au genre peuvent pousser les personnes migrantes à recourir au travail informel, comme
le montre la part prépondérante des femmes qui travaillent dans le secteur informel, y compris les migrantes : on
estime que cette proportion atteint 89,7 % en Afrique et 64,1 % en Asie-Pacifique (en pourcentage du nombre
total de femmes employées)78. Elles travaillent comme marchandes ambulantes, ramasseuses de déchets ou encore
travailleuses à domicile, par exemple dans la fabrication de vêtements ou le travail domestique79. Une étude sur
l’Amérique latine et les Caraïbes a ainsi révélé que dans 7 des 15 pays examinés, 9 employées de maison sur
10 étaient employées de manière informelle80. Les migrantes travaillant dans l’économie informelle vivent dans une
plus grande précarité, étant exclues des services de protection sociale, et sont plus susceptibles d’être victimes de
mauvais traitements, de violence, d’exploitation et de la traite d’êtres humains81.
70 Spitzer, 2022.
71 Rajan et Joseph, 2020.
72 Almasri, 2022.
73 Mehzer et al., 2021.
74 OIT, 2021a.
75 OCDE et Commission européenne, 2018 ; Donato et al., 2014.
76 Reis, 2020 ; Ncube et al., 2020.
77 Achouche, 2022.
78 OIT, 2018, p. 25.
79 WIEGO, s.d.
80 WIEGO, 2022.
81 Jaji, 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 193
Bien que les femmes migrantes semblent globalement désavantagées par rapport aux hommes sur le plan de
l’intégration sur le marché du travail, les données indiquent qu’elles rapatrient une plus grande proportion de
leurs salaires que les hommes82. Même si leurs revenus sont généralement plus faibles que ceux des hommes, elles
envoient à peu près les mêmes sommes que les hommes, voire plus83. Par rapport aux hommes, elles semblent
également rapatrier plus de fonds au moyen de transferts d’espèces en personne, ce qui s’explique par leur
surreprésentation dans l’économie informelle, où elles sont moins en mesure d’accéder à divers services financiers,
de même qu’aux services numériques et aux compétences nécessaires pour les utiliser. Ce déséquilibre entre les
hommes et les femmes est apparu clairement lors de la pandémie de COVID-19, l’essor des services numériques
ayant créé davantage de difficultés pour les femmes migrantes souhaitant rapatrier des fonds84.
Au-delà du marché du travail et de l’inclusion financière, des schémas genrés peuvent être observés dans les
domaines de l’éducation et de la formation, du logement et de la santé. Si l’éducation et la formation permettent
aux migrantes de s’autonomiser, les responsabilités familiales et professionnelles et les barrières linguistiques
compromettent leur accès à l’éducation et à l’apprentissage des adultes85. Dans le contexte particulier des camps
de réfugiés, les familles peuvent donner la priorité à l’éducation des garçons plutôt qu’à celle des filles, à cause
des normes sociales86. Lorsqu’un déplacement offre de nouvelles possibilités d’éducation aux filles réfugiées, l’accès
physique à l’école peut être dangereux en raison du harcèlement et de la discrimination. Les migrantes dont la
situation socio-économique est précaire, notamment parce que leurs revenus sont plus faibles, ont un accès plus
limité au logement que les hommes migrants ou moins de chances d’obtenir un logement adéquat et sûr87. Comme
le montrent des recherches menées en France, la perte de revenus peut amener les migrantes à se retrouver sans
abri, ce qui les rend plus susceptibles de devenir victimes de réseaux de prostitution ou de décider d’elles-mêmes
de travailler dans l’industrie du sexe afin de retrouver leur autonomie financière88.
Tous ces aspects ont des conséquences sur la santé mentale et physique des migrants dans les pays de destination.
Si la migration peut, dans l’ensemble, améliorer les résultats des migrants en matière de santé, les femmes migrantes
sont généralement en moins bonne santé que les hommes et ont des besoins différents dans ce domaine89. Les
causes sont liées aux inégalités entre les genres, notamment sur le plan de l’accès aux services de santé, qui ont
des conséquences graves pour les personnes en situation irrégulière, en particulier pour les personnes ayant besoin
de soins de santé sexuelle et maternelle90.
La santé mentale des migrants peut aussi dépendre fortement du genre. Dans le cas des familles séparées, les liens
avec les enfants et les autres membres de la famille dans le pays d’origine jouent un rôle important, en particulier
pour les femmes, et ont été facilités par les technologies numériques91. Comme l’ont montré des recherches sur
les femmes migrantes d’Amérique latine et centrale vivant aux États-Unis, les technologies numériques permettent
aux mères de continuer à s’occuper de leurs enfants à distance, malgré des sentiments de détresse émotionnelle92.
82 ONU Femmes, 2020.
83 Ibid. ; Platt et al., 2017.
84 ONU Femmes, 2020 ; Lim et Datta, à paraître.
85 Women in Diaspora Communities as Champions of Learning to Live Together, 2019.
86 North, 2019.
87 Chapman et Gonzalez, 2023.
88 Infomigrants, 2023.
89 Lindsjö et al., 2021.
90 Trapolini et Giudici, 2021.
91 Bauloz, 2021.
92 Hondagneu-Sotelo et Avila, 2016 ; Pineros-Leano et al., 2021 ; Cook Heffron et al., 2022.
194 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
En effet, les responsabilités en matière de soins ne sont pas fondamentalement redistribuées au sein d’un ménage
lorsque la mère est absente, même si le père peut venir remplir temporairement le rôle de pourvoyeur de soins
dans le pays d’origine, comme on peut le voir en Indonésie et aux Philippines93. Si les liens transnationaux peuvent
constituer une source importante de réconfort et de soutien pour les migrants, cela n’est pas toujours le cas pour
les migrants transgenres ou non binaires, en particulier les réfugiés, qui peuvent avoir coupé les liens avec leur
famille restée au pays et être encore plus exclus socialement dans leur pays de destination en raison de leur genre,
en l’absence d’un soutien approprié de la part des services sociaux et des services de santé94.
La discrimination et la stigmatisation fondées sur le genre dans les pays de destination s’ajoutent souvent aux
stéréotypes raciaux et culturels, que la montée des discours anti-immigration alimente dans certains de ces pays95.
Par exemple, les hommes migrants originaires de pays musulmans ont été présentés comme des menaces en
raison de leur masculinité toxique supposée dans diverses régions, notamment en Europe à la suite d’incidents
de harcèlement sexuel en Allemagne en 201596. Les stéréotypes sur l’hypersexualité visent certaines femmes
migrantes dans les pays de destination, par exemple les Vénézuéliennes au Pérou et les Brésiliennes au Portugal,
de sorte qu’elles sont stigmatisées et vues comme des prostituées et qu’elles risquent davantage d’être victimes de
harcèlement sexuel et de violence fondée sur le genre97.
Violence fondée sur le genre dans les camps de personnes déplacées
Bien qu’ils ne représentent pas la majorité des réfugiés dans le monde, quelque 6,6 millions de réfugiés
vivraient dans des camps, selon les estimations, dont 4,6 millions dans des camps formels et 2 millions dans
des camps informels, souvent dans des situations de déplacement prolongéa
.
Si la pauvreté et le dénuement sont des facteurs majeurs de la violence fondée sur le genre, la vie dans
des campements aggrave les vulnérabilités liées au genre et accroît le risque de violence entre partenaires
intimes. L’insécurité et la proximité accroissent également le risque de violence fondée sur le genre, en
particulier de viol, lorsque les femmes et les filles circulent à l’intérieur et à l’extérieur des campements,
pour ramasser du bois pour la cuisine et aller puiser de l’eau aux points d’eau, par exempleb
. Dans le
camp d’al-Hol, en République arabe syrienne, des cas de viol et de torture visant des femmes et des filles
ont été signalés, et des faits d’esclavage ont été commis par l’État islamiquec
. Dans d’autres contextes, les
rapports sexuels monnayés servent parfois de mécanisme d’adaptation qui permet de s’assurer des moyens
de subsistanced
.
Une étude sur la population rohingya vivant dans un camp au Bangladesh met en évidence les liens entre la
crise de la masculinité que les hommes rohingya peuvent vivre dans le camp et l’augmentation de la violence
fondée sur le genree
. Les constructions stéréotypées de la masculinité fondées sur l’identité, la richesse, le
pouvoir, l’éducation et le statut de soutien de famille contrastent fortement avec ce que vivent les hommes
rohingya dans le camp de réfugiés, ce qui peut faire naître en eux de profonds sentiments d’insatisfaction
et accroître la violence fondée sur le genre, en particulier au sein des ménages.
93 Lam et Yeoh, 2018.
94 Hermaszewska et al., 2022.
95 Voir par exemple la déclaration de l’OIM sur la situation des migrants en Tunisie (OIM, 2023b).
96 Herz, 2019 ; Wyss, 2022.
97 Esposito, 2020 ; Pérez et Freier, 2023.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 195
La violence fondée sur le genre ne se limite toutefois pas aux femmes et aux filles, puisque les hommes et
les garçons en sont également victimes, comme cela a été rapporté dans le contexte du camp de réfugiés
de Kakuma, par exemplef
. Les viols et autres violences sexuelles peuvent servir de tactique de torture
et d’humiliation pendant les conflits armés, parfois jusque dans les camps, et s’accompagnent souvent
d’une stigmatisation et d’une discrimination dans les communautés de destination, les victimes de violences
sexuelles étant encore majoritairement considérées comme étant des femmes et des fillesg
.
a HCR, s.d.
b Johnstone et Perera, 2020.
c Kube et Lee, 2022.
d World Vision Canada, s.d.
e Safa et al., 2023.
f ONU Femmes, 2022.
g Refugee Law Project, 2013.
Retour
Comme toute autre étape du cycle migratoire, le retour dans le pays d’origine est déterminé par des dimensions
de genre qui jouent sur les diverses raisons pour lesquelles les migrants, quel que soit leur genre, rentrent (ou non)
dans leur pays, ainsi que sur les expériences vécues par les migrants et leur situation après leur retour. Comme
c’est le cas à d’autres étapes du cycle migratoire, les dimensions de genre associées au statut migratoire et au type
de permis dans les pays de destination jouent un rôle dans la décision de rentrer dans le pays d’origine et dans les
expériences vécues au retour, y compris sur le plan de la réintégration.
Dans les ménages de migrants composés de personnes de genres différents, la décision de rentrer dépend également
des dynamiques et des rôles liés au genre. Dans les contextes socioculturels où la division du travail au sein de la
famille et du ménage dépend du genre, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de rentrer dans leur
pays lorsque des membres de leur famille dans le pays d’origine ont besoin de soins98. La migration de retour peut
également résulter d’un faible sentiment de satisfaction à l’égard de la vie dans le pays de destination, laquelle est
évaluée par les hommes et par les femmes selon des critères différents99. Par exemple, les disparités de revenus,
qui tendent à favoriser les hommes, peuvent faire varier le degré de satisfaction selon le genre, de même que le
désir de retourner au pays. Il a également été démontré que l’attachement à la famille jouait un rôle plus important
chez certaines femmes que chez les hommes, ce qui les incite à rentrer dans leur pays100.
Du fait des différences de revenus entre les genres, il semble également que les hommes soient plus susceptibles
de retourner dans leur pays « à des fins d’innovation »101, après avoir acquis des compétences pertinentes et un
capital suffisant pour investir dans leur pays d’origine. Le retour des hommes à des fins d’innovation est facilité
par les politiques d’investissement et les mesures d’incitation adoptées par le pays d’origine en vue d’encourager
la diaspora à investir. C’est par exemple le cas du Ghana, où les capitaux des migrants sont mobilisés et intégrés
98 ONU Femmes, 2018.
99 Schiele, 2021.
100 OIM, 2020.
101 Cerase, 1974.
196 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
dans les politiques de développement nationales102. Le Ghana encourage l’investissement et le retour, comme en
témoigne la proclamation par ce pays de l’année 2019 comme « année du retour », un programme qui s’adressait
aussi bien à la diaspora ghanéenne qu’à la diaspora africaine dans son ensemble. Une politique similaire est mise
en œuvre par le Sénégal, qui présente les hommes d’affaires sénégalais de retour comme des rapatriés idéaux103.
Le développement étant envisagé sous un angle économique au Ghana et au Sénégal, de même que dans de
nombreux autres pays africains, les migrants qui parviennent à tirer profit des incitations politiques mises en place
pour promouvoir le retour à des fins de développement sont principalement des hommes. Comme l’illustre le cas
des migrants roumains rentrés d’Italie, ce sont aussi majoritairement les hommes qui sont en mesure de rapatrier
des sommes d’argent importantes et d’utiliser les compétences et les réseaux qu’ils ont acquis dans le pays de
destination ainsi que ceux qu’ils y ont créés pour faciliter leur réintégration104.
Étant donné que les migrants qui rentrent dans leur pays d’origine sont souvent confrontés à un taux de chômage
relativement élevé, les femmes qui retournent dans leur pays d’origine sans avoir élargi ou perfectionné leurs
compétences risquent d’avoir des difficultés à se réintégrer sur le marché du travail105. Les hommes migrants
tendent à rentrer dans leur pays d’origine avec de plus grandes compétences, qui contribuent à ce que leur retour
soit « réussi ». Ces tendances mettent en relief l’importance du type d’emploi occupé par les migrants dans leur
pays de destination. Cet emploi dépend souvent fortement du genre et conditionne la réussite du retour et de la
réintégration dans leur pays d’origine.
Les femmes sont plus susceptibles de vivre un « retour à la suite d’un échec », c’est-à-dire de rentrer au pays sans
avoir atteint leurs « objectifs migratoires »106. Dans le cas des femmes migrantes, cela s’explique souvent par leur
rôle de genre au sein de la famille et du ménage, et cette situation est exacerbée par l’insécurité de l’emploi et la
précarité économique que connaissent beaucoup d’entre elles, en particulier celles qui exercent des professions
peu qualifiées. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la dimension de genre qui existe dans la migration
de retour. Les femmes migrantes ont été affectées de façon disproportionnée par la pandémie, car la plupart
d’entre elles travaillent dans le secteur des services (79,9 % contre 56,4 % pour les hommes)107, le plus touché
par les restrictions de voyage et les confinements. La perte de revenus a entraîné des problèmes de précarité
et d’insécurité économiques, y compris la perte d’un logement sûr, rendant ainsi dans certains cas les femmes
migrantes plus exposées aux risques de violence sexuelle et de violence fondée sur le genre108. Après avoir perdu
leur emploi dans le secteur informel en Thaïlande, par exemple, les migrantes qui sont retournées en République
démocratique populaire lao pendant la pandémie de COVID-19 ont vu s’aggraver la discrimination et les inégalités
du point de vue des soins non rémunérés, ainsi que la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre109. L’impact
socio-économique de la pandémie peut avoir incité des femmes migrantes à retourner dans leur pays d’origine, mais
la faiblesse de leurs revenus – voire l’absence de revenus – semble avoir compliqué leur retour, comme le montre
une enquête menée auprès de travailleurs philippins à l’étranger110.
102 Kleist, 2013.
103 Sinatti, 2019.
104 Vlase, 2013.
105 Kurniati et al., 2017.
106 Cerase, 1974 ; Jaji, 2021.
107 OIT, 2021a.
108 Jaji, 2021.
109 Cámbara, 2022.
110 OIM, 2021c.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 197
Le cas des migrantes éthiopiennes qui travaillaient principalement comme travailleuses domestiques et sont rentrées
des pays du Golfe après avoir échappé à l’exploitation ou après avoir été expulsées en raison de leur situation
irrégulière, offre un exemple parlant des difficultés de réintégration associées à un retour d’échec111. Le parcours
de réintégration de ces femmes est semé d’obstacles, comme elles doivent aussi bien gérer les traumatismes liés à
leur séjour dans le pays de destination que faire face à la stigmatisation que leur fait subir leur communauté parce
qu’elles n’ont pas atteint leurs objectifs migratoires112. Ces difficultés ont à leur tour compromis leur inclusion sur
le marché du travail dans un contexte socio-économique déjà difficile.
La catégorisation d’un retour comme réussite ou comme échec dépend toutefois fortement du contexte. Des
retours qui pourraient être qualifiés d’échecs ne sont pas forcément considérés comme tels suivant les normes de
genre en vigueur et peuvent même constituer une stratégie auxquels recourent certains hommes migrants pour
retrouver leur masculinité et le statut social associé à leur genre dans leur pays d’origine. Cela a été le cas, par
exemple, pour certains hommes migrants africains mariés au Royaume-Uni : leurs épouses avaient des revenus
plus importants qu’eux, et leur statut de soutien de famille était menacé. Ces hommes ont décidé de rentrer dans
leur pays d’origine, où ils jouissent d’un statut social élevé en raison de leur genre, indépendamment des revenus
gagnés à l’étranger113. Des retours motivés par une reconquête de la masculinité ont également été observés chez
des hommes sud-coréens qui sont revenus dans leur pays d’origine en réponse à ce qu’ils percevaient comme une
marginalisation de leur masculinité aux États-Unis114.
La migration de retour peut également déboucher sur la négociation de normes de genre différentes entre les pays
de destination et les pays d’origine. Certains hommes migrants dans les pays du Golfe ont intériorisé des normes
de genre plus traditionnelles et patriarcales et ont continué de les appliquer dans leur foyer à leur retour115. Les
migrantes qui retournent dans leur pays d’origine peuvent également éprouver des difficultés à se réadapter aux
normes sociales de leur communauté d’origine116. Cela est particulièrement manifeste dans les cas où leur activité
professionnelle et leur mode de vie dans le pays de destination conduiraient à leur stigmatisation et à leur exclusion
socio-économique si la communauté d’origine en prenait connaissance. Ces informations peuvent être divulguées
par l’intermédiaire de réseaux sociaux transnationaux faisant circuler les informations entre les pays de destination
et les pays d’origine. Par exemple, aussi bien les femmes que les hommes de retour peuvent être stigmatisés s’ils
ont travaillé dans l’industrie du sexe, même s’ils ont été victimes de la traite d’êtres humains117, ou s’ils ont vécu
librement leurs identités de genre diverses dans le pays de destination118. L’intersection du genre et de la sexualité
ont ainsi des conséquences sur la réintégration.
Sur le plan de la réintégration sur le marché du travail et de l’inclusion sociale, les difficultés liées au genre ont à
leur tour des répercussions négatives sur la santé des migrants de retour, qui s’ajoutent aux problèmes de santé
qu’ils et elles ont à leur retour dans leur pays d’origine, en particulier les femmes119. Ces problèmes de santé
peuvent fortement dépendre du genre, étant liés aux situations vécues dans le pays de destination, aux mesures
d’expulsion ou aux décisions de retourner dans le pays d’origine, ainsi qu’à la stigmatisation subie après le retour.
111 Adugna, 2022.
112 Ibid.; Nisrane et al., 2020.
113 Pasura et Christou, 2018.
114 Suh, 2017.
115 Joseph et al., 2022 ; Samari, 2021 ; Tuccio et Whaba, 2018.
116 Liu, 2020.
117 Ong et al., 2019.
118 Alcalde, 2019.
119 Pôle de gestion des connaissances Union européenne-OIM et Samuel Hall, 2023.
198 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Les problèmes de santé liés au genre sont aggravés par les obstacles genrés à l’accès aux soins de santé, notamment
le manque d’information et la discrimination associée au travail du sexe à l’étranger, y compris pour les victimes
de la traite d’êtres humains.
Promouvoir une gouvernance des migrations qui répond aux besoins en
matière de genre : la nécessité d’agir de toute urgence
Diverses stratégies ont été adoptées pour lutter contre l’inégalité entre les genres, et, plus récemment, des appels
ont été lancés en faveur de l’adoption d’une approche répondant aux besoins en matière de genre, notamment
dans le Pacte mondial sur les migrations. Pour suivre une approche de la gouvernance des migrations qui répond
aux besoins en matière de genre, il faut adopter et mettre en œuvre des politiques et programmes transformateurs
qui s’attaquent non seulement à la discrimination fondée sur le genre dont sont victimes les migrants, mais aussi
aux inégalités structurelles sous-jacentes entre les genres. Comme l’illustre la figure 9, une telle approche est à
l’opposé des approches reposant sur des biais de genre, qui opèrent activement une discrimination sur la base du
genre, et va plus loin qu’une approche axée sur certains genres, qui ne s’attaque pas aux problèmes d’inégalité
systémique plus profonds.
Figure 9. Continuum des approches relatives aux questions de genre - Répond aux besoins propres à chaque migrant
- S’attaque aux causes structurelles de la discrimination fondée sur
le genre dans le contexte de la migration - Transforme les systèmes, les normes, les politiques et les structures
Approche
répondant aux
besoins en matière
de genre - Centrée sur les femmes migrantes et/ou les migrants issus de la
diversité de genre - S’attaque à certaines inégalités entre les genres, mais pas aux
inégalités structurelles
Approche axée sur
certains genres - Reconnaît les inégalités entre les genres, mais ne s’y attaque pas
Approche tenant
compte des
questions de genre - Semble impartiale, mais renforce les inégalités entre les genres
- Aboutit à des résultats inégaux entre les femmes, les hommes
et les personnes issues de la diversité de genre
Approche
indifférente au
genre - Contribue activement à la discrimination ou à l’exclusion
- Produit des effets négatifs sur les femmes, les hommes
et les personnes issues de la diversité de genre
Approche reposant
sur des biais de
genre
Source : Adapté de Plateforme genre + migration, s.d.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 199
Pour garantir une gouvernance qui répond aux besoins en matière de genre, il est nécessaire de concevoir et de
mettre en œuvre des politiques migratoires fondées sur des faits. Alors que les données statistiques jouent un rôle
central s’agissant d’éclairer les politiques migratoires, on constate à l’heure actuelle un manque de données sur le
genre, qui empêche de mieux comprendre les dimensions de genre de la migration ainsi que les inégalités entre les
genres tout au long du cycle migratoire120. Des appels ont été lancés en faveur de la collecte de données ventilées
par genre, qui rendraient compte des genres auxquels s’identifient les personnes, le Canada étant le premier pays
à avoir inclus une question obligatoire sur le genre dans son recensement de la population en 2021, suivi par la
Nouvelle-Zélande en 2023121. Investir davantage dans les données ventilées par sexe demeure toutefois essentiel,
compte tenu des normes sociales qui peuvent empêcher certains pays de passer à une ventilation par genre et
des difficultés que peuvent rencontrer les individus qui s’identifient comme étant de genres divers. Aujourd’hui,
les données migratoires ne sont pas toutes ventilées par sexe, s’agissant entre autres des données bilatérales sur
l’asile, les réfugiés et les rapatriements de fonds, ce qui compromet la possibilité d’analyser les questions de genre
en profondeur de façon à éclairer les politiques, les opérations et les programmes en matière de migration122. Une
analyse de ce type exige également de conjuguer données quantitatives et données qualitatives, notamment des
témoignages de migrants issus de la diversité de genre, pour comprendre de façon plus complète les besoins, les
priorités et les vulnérabilités liés au genre sur lesquels il convient d’agir pour améliorer l’égalité entre les genres123.
Néanmoins, l’examen de certaines dimensions de genre clés à chaque étape du cycle migratoire fait ressortir
combien la migration s’accompagne d’obstacles, de défis et de vulnérabilités liés au genre pour les hommes, pour
les femmes et pour les personnes issues de la diversité de genre, souvent en raison d’inégalités systémiques plus
générales entre les genres. Le présent chapitre n’a pas pour objet de présenter une cartographie exhaustive des
politiques et des interventions migratoires répondant aux besoins en matière de genre, mais on présente dans
la figure 10 ci-dessous quatre défis clés qui se retrouvent à chaque étape du cycle migratoire, en s’appuyant sur
les sections précédentes. Tous ont trait aux normes de genre qui sous-tendent plus globalement les inégalités
structurelles entre les genres et appellent l’adoption et la mise en œuvre de politiques et d’interventions en faveur
de l’égalité des genres, y compris dans les domaines de l’éducation et de la sensibilisation124. Pour chacun de ces
défis, un exemple de pratique prometteuse ou d’intervention innovante a été choisi dans un large éventail de zones
géographiques. Ces exemples mettent en évidence l’importance d’une approche multipartite ainsi que des initiatives
et des pratiques locales, qui associent souvent des migrants de tous genres ou sont conçues de façon à répondre
aux besoins en matière de genre et qui peuvent être utilisées aux niveaux local, national, régional et mondial de la
gouvernance des migrations.
120 Abel, 2022.
121 Nations Unies, 2020 ; OIM, 2021d ; Hennebry et al., 2021 ; Gouvernement du Canada, 2022 ; Gouvernement de la Nouvelle-Zélande,
122 Abel, 2022.
123 CARE, 2023.
124 PNUD, 2020.
200 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Figure 10. Défis transversaux relatifs au genre à chaque étape du cycle migratoire
Avant le départ Entrée Séjour Retour
Stéréotypes
Les décisions et les
possibilités en matière
de migration (au
niveau des personnes,
des ménages et des
structures) sont
influencées par
les stéréotypes de
l’homme soutien de
famille et de la femme
pourvoyeuse de soins
Les voies d’accès à la
migration familiale,
à la migration de
main-d’œuvre et
à la protection
internationale sont
fondées sur des
stéréotypes de genre
Les marchés du
travail sont genrés
et l’inclusion sociale
repose sur des
stéréotypes tels
que les conceptions
de la masculinité
stigmatisantes et
l’hypersexualisation
Les stéréotypes
influent sur la façon
dont les migrants de
retour sont perçus
comme des personnes
ayant réussi ou
échoué, d’où des
conséquences pour
l’accès à la santé et les
résultats en matière
de santé
Accès à
l’information
Informations sur
l’émigration, les voies
régulières et les droits
dans les pays de
destination
Informations sur
l’émigration, y compris
les procédures de
demande en ligne
Informations sur
les services de
recrutement et
d’inclusion
Information et
soutien en faveur
de la réintégration,
notamment en ce qui
concerne le marché du
travail et la santé
Fracture
numérique
Services d’information
en ligne sur la
migration
Procédures de
demande en ligne
Plateformes de
recrutement en ligne,
argent numérique
(par exemple pour
les rapatriements
de fonds), relations
sociales et autres
Services de
réintégration en ligne
Voies de
migration
régulières
Les voies régulières
limitées exacerbent
les vulnérabilités liées
au genre ; les risques
liés à la migration
irrégulière dépendent
fortement du genre
Les conditions
restrictives entravent
la migration fondée
sur les compétences
et contribuent à la
séparation des familles
Les droits et les
prestations sont
souvent limités
selon des critères
liés au genre (par
exemple par des
accords bilatéraux
sur la main-d’œuvre),
ce qui accentue les
vulnérabilités dans
les professions à
dominante masculine
ou féminine et
alimente le travail
informel
Les schémas genrés
qui déterminent si le
retour est une réussite
ou un échec
ont des conséquences
sur les résultats en
matière de santé
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 201
Défi transversal n° 1. S’attaquer aux stéréotypes de genre à l’égard des migrants
Les stéréotypes de genre traditionnels, selon lesquels l’homme est un soutien de famille et la femme une pourvoyeuse
de soins, ont des incidences importantes sur les migrants. Conjugués aux discours anti-immigration de plus en
plus répandus, ils alimentent les représentations voulant que les femmes migrantes soient intrinsèquement des
personnes vulnérables et des victimes, tandis que les hommes migrants représenteraient une menace pour la
sécurité et seraient de faux réfugiés125. Il ne s’agit pas de minimiser les situations vulnérables dans lesquelles les
femmes peuvent se trouver, mais ces stéréotypes ont un impact disproportionné sur les hommes migrants qui
se trouvent dans des situations vulnérables, nient l’agentivité des femmes migrantes, contribuent à invisibiliser les
migrants issus de la diversité de genre et inhibent le pouvoir d’action des migrants, qui apportent pourtant une
contribution considérable aux sociétés des pays d’origine et de destination126.
Les stéréotypes de genre à l’égard des migrants sont relayés par diverses parties prenantes, des responsables
politiques aux acteurs humanitaires en passant par les médias. La collaboration avec les médias peut toutefois
s’avérer essentielle pour façonner des perceptions équilibrées et positives. En 2021, dans le cadre du programme
conjoint OIT-ONU Femmes intitulé « Safe and Fair », l’OIT s’est associée à l’Alliance des journalistes indonésiens
de Jakarta pour organiser des programmes de collaboration avec les médias visant à promouvoir des conditions de
migration sûres et équitables pour toutes les migrantes indonésiennes127. Un glossaire sur la migration adapté aux
médias, axé en particulier sur les travailleuses migrantes, a également été établi pour les journalistes de l’Association
des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN)128. Outre une liste de termes clés et de définitions fondées sur les droits,
ce glossaire propose une liste de termes inclusifs et de termes à éviter, qui contribuent à perpétuer les stéréotypes
de genre à l’égard des migrants (tableau 1).
Tableau 1. La terminologie inclusive en bref
Éviter Préférer
Étrangère, migrante économique, travailleuse
étrangère
Travailleuse migrante
Aide, bonne, servante, domestique Travailleuse domestique
Pays d’accueil, pays destinataire Pays de destination, État de destination
Migrante illégale Migrante en situation irrégulière, migrante
dépourvue de documents
Importation/exportation de main-d’œuvre Migration de main-d’œuvre
Protection des femmes Protection des droits des femmes
Pays de départ, pays d’appartenance Pays d’origine, État d’origine
Esclave Personne en situation de travail forcé
Travail non qualifié Profession élémentaire
Victime Rescapée
Source : Adapté de OIT, 2020.
125 Ward, 2019 ; Gereke et al., 2020 ; Delgado Moran, 2020 ; Holloway et al., 2022.
126 McAuliffe et al., 2019.
127 OIT, 2021b.
128 OIT, 2020.
202 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Défi transversal n° 2. Améliorer l’accès des migrants à l’information en assurant l’égalité des genres
Tout au long du processus de migration, l’accès à l’information peut fortement dépendre du genre de la personne
migrante. Si les exemples cités dans le présent chapitre se concentrent sur les informations destinées aux candidats
à la migration dans les pays d’origine, ce constat s’applique également aux migrants dans les pays de transit et de
destination, ainsi qu’à ceux qui retournent dans leur pays d’origine. L’accès à l’information est encore plus difficile
pour les migrants transgenres et les autres migrants issus de la variété de genre, qui doivent souvent recourir à
des sources informelles129. L’accès à des informations précises, notamment sur les droits des migrants, est essentiel
pour réduire les vulnérabilités liées au genre tout au long du cycle migratoire.
Parmi les diverses interventions susceptibles d’aider à diffuser des informations sur la migration pour répondre aux
besoins en matière de genre, on peut citer la création, dans les pays d’origine et de destination, de centres de
ressources pour migrants, qui doivent servir de guichet unique d’information. Dans les pays d’origine, ces centres
regroupent divers services sous un même toit – allant de l’orientation avant le départ et à la sensibilisation de la
communauté en passant par des conseils personnalisés en ligne, par téléphone ou en personne et même dans
certains cas un soutien destiné aux migrants de retour – ce qui permet de réduire la probabilité d’une migration
irrégulière pleine de dangers, de mieux faire connaître les voies de migration régulières et de fournir efficacement
des informations sur l’assistance pendant la migration130. Tout en soutenant chaque migrant indépendamment de son
genre, certains de ces centres, tels que ceux du Bangladesh, fournissent un appui adapté sur mesure et soucieux
des questions de genre aux femmes avant leur migration et à leur retour131. En Indonésie, un bureau de services
intégrés à guichet unique, qui vise à répondre aux besoins en matière de genre, a été lancé en 2021, devenant ainsi
le premier projet pilote de ce type dans la région de l’ASEAN132. Fondé sur un partenariat multipartite entre le
Gouvernement, les syndicats de travailleurs migrants et les centres d’aide aux femmes en difficulté, il fournit aux
candidats à la migration des services qui répondent à leurs besoins en matière de genre.
Défi transversal n° 3. Combler la fracture numérique entre les femmes et les hommes migrants
La société numérique d’aujourd’hui, dont l’avènement a été accéléré par la pandémie de COVID-19, est à l’origine
d’inégalités de genre considérables : les femmes et les filles représentent la majorité des quelque 2,7 milliards
de personnes non connectées dans le monde, et il existe un écart important dans l’utilisation d’Internet par les
femmes entre les pays les moins avancés et les pays développés133. Pour les migrants, l’accessibilité et l’utilisation
des solutions numériques ainsi que les connaissances et les compétences numériques dépendent souvent de la
connectivité dans leur pays d’origine et des rôles liés au genre, car les outils numériques peuvent être associés aux
hommes dans la division du travail au sein du ménage134.
Un certain nombre d’initiatives ont été adoptées pour réduire la fracture numérique entre les hommes et les femmes
dans le monde entier, notamment par le renforcement des compétences numériques de base et le lancement
de programmes d’éducation destinés aux femmes, y compris les migrantes et les réfugiées, dans les domaines
des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques135. Chef de file des nouvelles évolutions
technologiques et de la numérisation, le secteur privé joue un rôle important dans la promotion de l’inclusion
129 Ibid.
130 Dennison, 2022 ; ICMPD, s.d.
131 Raus et Roma, 2020.
132 OIT, 2021c.
133 UIT, 2022.
134 McAuliffe, 2023 ; Saïd, 2021.
135 Voir, par exemple, Poya, 2021 ; AFS Intercultural Programs, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 203
numérique des hommes et des femmes. Dans le secteur financier, certaines entreprises de technologie financière
s’orientent vers des modèles de rapatriements de fonds numériques centrés sur les migrants et tenant compte des
questions de genre pour assurer des services abordables et accessibles qui favorisent la résilience financière136. Parmi
d’autres initiatives similaires, on peut citer celle de la société Ping Money (une société de technologie financière
agréée au Royaume-Uni et financée par des migrants gambiens, qui offre des services de rapatriement de fonds
numériques aux migrants de Gambie), qui a collaboré avec le Fonds d’équipement des Nations Unies pour formaliser
les canaux de rapatriement de fonds, notamment en donnant aux migrants au Royaume-Uni la possibilité de régler
directement les factures d’eau et d’électricité de leurs familles en Gambie et en lançant un porte-monnaie mobile
pour les familles destinataires137. Une étude de marché approfondie a révélé des différences entre les hommes et
les femmes dans les ménages gambiens, les femmes connaissant moins bien l’argent mobile. Compte tenu de cette
dynamique de genre – qui fait que les informations tendent à parvenir aux femmes plus efficacement lorsqu’elles
sont relayées par des hommes de leur famille – la société Ping Money a lancé une campagne destinée à se faire
connaître en devenant sponsor de football, le sport le plus populaire en Gambie138. Cela a permis non seulement
d’augmenter le nombre d’hommes dans sa clientèle, mais aussi celui des femmes, qui ont été encouragées à utiliser
les services d’argent mobile par leurs parents de sexe masculin.
Défi transversal n° 4. Améliorer les voies de migration régulières pour répondre aux besoins en matière de genre
Les voies de migration régulières existantes posent diverses difficultés tout au long du cycle migratoire, ce qui a
d’importantes conséquences en fonction du genre de la personne migrante.
Pour améliorer les voies de migration régulières de façon à répondre aux besoins en matière de genre, il conviendrait
de diversifier les types de voies et d’en améliorer la qualité, notamment en ce qui concerne les droits des migrants.
S’agissant de la diversification, les programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière dans les pays
de destination ne sont pas considérés comme des voies de migration régulières, dans bien des cas, alors même
qu’ils leur sont intrinsèquement complémentaires, puisqu’ils en comblent les lacunes et les défauts lorsque ces failles
engendrent des situations d’irrégularité139. Des programmes de régularisation ont depuis longtemps été adoptés par
les États sous différentes formes ; certains d’entre eux ciblent les migrants en situation irrégulière qui travaillent dans
des secteurs bien précis (tels que le travail domestique ou l’industrie de la pêche) tandis que d’autres s’adressent à
une population plus large pour des raisons humanitaires ou dans une optique d’intégration140. Bien qu’ils ne ciblent
pas tel ou tel genre, ces programmes réduisent efficacement les vulnérabilités associées à l’irrégularité, y compris
celles liées au genre141. Un exemple récent est la création par la Colombie en 2021 d’un statut de protection
temporaire ayant pour objectif de régulariser la situation des Vénézuéliens en situation irrégulière dans le pays, plus
de 1,8 million de permis ayant été délivrés jusqu’ici à ce titre142.
136 Ogba et al., 2021. Voir également Singh, 2021 ; GSMA, 2018.
137 Hossain et al., s.d.
138 Ogba et al., 2021.
139 Triandafyllidou et al., 2019.
140 OSCE, 2021.
141 Rojas Coppari et Poirier, à paraître.
142 Gouvernement de la Colombie, s.d.
204 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Bien qu’il soit possible d’améliorer la qualité des voies de migration familiale en révisant les conditions d’entrée et
en garantissant les droits, il est aujourd’hui essentiel de repenser les accords bilatéraux sur la main-d’œuvre en
adoptant une approche fondée sur les droits et axée sur les besoins en matière de genre, notamment pour mettre
en œuvre le Pacte mondial sur les migrations d’une façon qui réponde à ces besoins143. Les accords bilatéraux sur
la main-d’œuvre contribuent beaucoup à perpétuer la ségrégation professionnelle entre les genres dans le monde,
et ils ne s’accompagnent pas des mesures de protection nécessaires pour garantir les droits des migrants, ce qui
aggrave les vulnérabilités liées au genre, y compris la vulnérabilité à l’exploitation. Comme le souligne le document
intitulé « Guidance on bilateral labour migration agreements » établi par le Réseau des Nations Unies sur les
migrations, selon une approche répondant aux besoins en matière de genre, ces accords seraient fondés sur les
droits et protégeraient expressément les migrants conformément aux instruments internationaux du droit du
travail et des droits humains, plutôt que de renvoyer vaguement aux lois nationales, comme c’est souvent le cas144.
Par exemple, l’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la République du Honduras
énumère explicitement les principes et les droits reconnus au niveau international en matière de travail qui doivent
être intégrés par chaque partie dans les lois et les pratiques du travail, plutôt que de supposer qu’ils y sont déjà
intégrés145. Bien qu’elle ne fasse pas référence au genre, une telle approche fondée sur les droits est un premier pas
vers la mise en place d’accords bilatéraux sur la main-d’œuvre répondant aux besoins en matière de genre si elle
repose, comme il se doit, sur le principe de non-discrimination, y compris en matière de genre, et qu’elle s’étend à
tout instrument international concernant le genre, tel que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes (1979)146.
143 Assemblée générale des Nations Unies, 2018a, objectif 5, paragraphe 21 a), à interpréter à la lumière du principe directeur de la prise
en compte de la problématique femmes-hommes ; ONU Femmes, 2021.
144 Réseau des Nations Unies sur les migrations, 2022. Voir également Lim, 2016.
145 Gouvernement du Canada, 2013.
146 Lim, 2016 ; Nations Unies, 1979.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 205
Le nouveau laboratoire de recherche stratégique sur le genre et la migration (GenMig) de l’OIM a pour objectif de
rassembler les parties prenantes du monde entier afin de relever ces défis et bien d’autres encore (voir l’encadré
ci-dessous).
LE LABORATOIRE DE RECHERCHE STRATÉGIQUE SUR LE GENRE
ET LA MIGRATION
Une initiative multipartite qui tire parti de la recherche sur l’impact pour favoriser
les politiques, opérations, programmes et pratiques migratoires qui répondent aux besoins
en matière de genre
Destinée à être très collaborative, l’initiative GenMig vise à soutenir les politiques, les opérations, les
programmes et les pratiques qui répondent aux besoins en matière de genre grâce aux connaissances
et aux recherches sur l’impact. Elle s’appuie sur les connaissances et de l’expertise de l’OIM et de ses
partenaires pour favoriser les mesures visant à remédier aux vulnérabilités liées au genre et renforcer les
moyens d’action des migrants, quel que soit leur genre, conformément au Programme de développement
durable et au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
En tant qu’incubateur d’innovation, le laboratoire GenMig rassemble un réseau mondial de partenaires
issus d’instituts de recherche, de gouvernements, d’organismes des Nations Unies, d’organisations
intergouvernementales, d’organisations non gouvernementales et du secteur privé qui œuvrent en faveur
de l’égalité des genres. On trouvera de plus amples informations sur le laboratoire, notamment sur les
modalités pour rejoindre le réseau de partenaires, à l’adresse www.iom.int/gender-and-migration-researchpolicy-action-lab.
206 Genre et migration : tendances, lacunes et mesures urgentes
Conclusion
Le présent chapitre a expliqué les interactions entre la migration et les questions de genre, bien qu’il soit difficile
de donner une vue d’ensemble des dimensions de genre de la migration. Premièrement, le terme « genre » n’est
pas neutre aujourd’hui, du fait des préjugés fondés sur le genre que l’on retrouve dans l’écrasante majorité de
la population mondiale, notamment les mouvements réactionnaires et hostiles aux questions de genre, qui se
sont multipliés au cours de la dernière décennie147. Aborder la notion de genre selon une approche fondée sur
les droits permet de procéder à une analyse plus neutre, qui met en évidence la discrimination et place l’accent
sur la protection des droits, sans promouvoir les droits d’un genre plus que ceux des autres. De ce point de
vue, et comme le montre ce chapitre, une approche répondant aux besoins en matière de genre ne concerne
pas seulement les droits des femmes, mais plus largement la recherche de l’égalité des genres, même si dans les
faits, on observe encore aujourd’hui une discrimination disproportionnée à l’égard des femmes et des personnes
aux identités de genre diverses, y compris tout au long du cycle migratoire. Cette discrimination ne peut être
dissociée des pratiques plus générales de sous-investissement de l’État dans la protection sociale et les services à la
personne, qui font que les femmes et d’autres groupes minoritaires sont recrutés dans ces secteurs pour compenser
l’insuffisance des prestations sociales148. Cette situation se produit dans des contextes où les femmes et d’autres
groupes minoritaires rencontrent des obstacles structurels et systémiques qui entravent leur accès aux voies qui
leur permettraient de jouir pleinement de leurs droits et d’obtenir la citoyenneté.
Deuxièmement, la migration étant un phénomène intrinsèquement genré, ses liens avec le genre sont divers, voire
infinis. En adoptant le point de vue d’un migrant, il est cependant possible de mieux comprendre les expériences
genrées vécues tout au long du cycle migratoire, lesquelles sont façonnées par diverses possibilités et différents
obstacles liés aux normes de genre en vigueur. Loin d’étayer une vision déterministe du rôle du genre dans la
migration, les points de vue exprimés par les migrants mettent en évidence l’agentivité dont ils font preuve pour
composer avec les normes et les rôles liés au genre et faire face à la discrimination dans leurs pays d’origine, leurs
pays de transit et leurs pays de destination.
Troisièmement, il est impossible de comprendre les interactions entre la migration et le genre sans prendre en
compte d’autres facteurs qui se recoupent et qui influencent les décisions des migrants, leurs trajectoires et les
situations qu’ils vivent en matière de migration, car ni les groupes de migrants ni les groupes de genre ne sont
homogènes. Entre autres facteurs, l’âge et le cycle de vie jouent un rôle important, de même que des facteurs
structurels tels que les politiques migratoires qui reposent sur des normes et biais de genre. Les voies de migration
régulière sont peu nombreuses et restrictives, ce qui finit par exacerber les vulnérabilités existantes liées à la
division du travail dans les ménages et dans les secteurs d’activité à forte dominante masculine ou féminine, d’où
des problèmes distincts sur le plan de l’irrégularité et de l’informalité.
Aujourd’hui, l’importance de la lutte contre les inégalités entre les genres dans le domaine de la migration ne saurait
être sous-estimée. De même que la pandémie de COVID-19 a fait ressortir l’interdépendance de nos destins
individuels, les inégalités de genre dans le contexte de la migration mettent en relief les inégalités systémiques plus
générales entre les genres et font obstacle à la réalisation du développement humain pour tous. Par conséquent,
il est nécessaire d’adopter une approche de la gouvernance des migrations qui réponde aux besoins en matière
de genre pour renforcer les moyens d’action des migrants, quel que soit leur genre, et pour promouvoir plus
généralement l’égalité des genres, « condition préalable à l’édification d’un monde meilleur »149.
147 Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, 2020.
148 Gammage et Stevanovic, 2019.
149 Nations Unies, 2021.
PABLO ESCRIBANO
DIEGO PONS GANDDINI
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 209
7 CHANGEMENT CLIMATIQUE, INSÉCURITÉ
ALIMENTAIRE ET MOBILITÉ HUMAINE :
INTERACTIONS, ÉLÉMENTS FACTUELS ET MESURES1
Introduction
Le changement climatique est dans une large mesure considéré comme une « menace existentielle pour l’humanité »,
pour reprendre les mots du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres2
. Ses effets se ressentent de
plus en plus, bien que de manière inégale, dans des communautés et des pays du monde entier3
. Les liens entre
mobilité humaine, environnement et changement climatique ont été traités dans plusieurs des éditions du Rapport
État de la migration dans le monde de ces dernières années, en phase avec le développement de la littérature
scientifique sur le sujet4
, en particulier sur la migration comme stratégie d’adaptation5
et sur les liens entre le
changement climatique à évolution lente et la migration6
. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC) fait l’observation suivante à ce propos :
Depuis le cinquième Rapport d’évaluation (2014), des éléments de plus en plus nombreux
indiquent que les aléas climatiques, associés à une variabilité et à des phénomènes
extrêmes, constituent des facteurs directs de déplacement et de migration involontaires,
et des facteurs indirects du fait de la dégradation des moyens de subsistance sensibles
au climat7
.
Des phénomènes environnementaux extrêmes – imputables au changement climatique ou non – ont contribué à
la progression de l’insécurité alimentaire dans le monde. L’insécurité alimentaire peut avoir plusieurs causes, dont
une pénurie de denrées alimentaires, la faiblesse du pouvoir d’achat, des problèmes de distribution ou une mauvaise
utilisation des aliments au niveau du ménage8
. Le nombre de personnes considérées comme se trouvant dans une
situation d’insécurité alimentaire aiguë et ayant besoin d’une aide urgente a augmenté pour s’établir à plus de 257
millions dans le monde en 2022, soit une hausse de 146 % par rapport à 20169
. Compte tenu de cette évolution et
de l’aggravation des effets du changement climatique, il est urgent d’étudier les liens entre le changement climatique,
l’insécurité alimentaire et la mobilité humaine dans le monde.
1 Pablo Escribano, Spécialiste régional de la migration, de l’environnement et du changement climatique, OIM ; Diego Pons, Professeur
assistant, Université d’État du Colorado.
2 ONU Info, 2018.
3 Pörtner et al., 2022.
4 Avec des travaux pionniers tels que Afifi et al., 2013 ; Black et al., 2011 ; Black, 2001 ; Dun et Gemenne, 2008 ; Myers, 1993.
5 Oakes et al., 2019.
6 Traore Chazalnoel et Randall, 2021.
7 Pörtner et al., 2022, p. 52.
8 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et al., 2013.
9 Réseau d’information sur la sécurité alimentaire et Réseau mondial contre les crises alimentaires, 2023. Comme indiqué dans cette
source, il faut interpréter ces chiffres en tenant compte de la croissance de la population totale analysée. Phases 1 à 5 du Cadre intégré
de classification de la sécurité alimentaire/Cadre harmonisé : phase 1 : aucune/minimale ; phase 2 : sous pression; phase 3 : crise ; phase 4 :
urgence ; phase 5 : catastrophe/famine.
210 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
760
Qu’entend-on par « changement climatique » et « insécurité alimentaire » ?
Le GIEC définit le changement climatique comme une « variation de l’état du climat qu’on peut déceler
(au moyen de tests statistiques, etc.) par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilité de
ses propriétés et qui persiste pendant une longue période, généralement pendant des décennies ou
plus. Les changements climatiques peuvent être dus à des processus internes naturels ou à des forçages
externes, notamment les modulations des cycles solaires, les éruptions volcaniques ou des changements
anthropiques persistants dans la composition de l’atmosphère ou dans l’utilisation des terres. On notera
que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, dans son article premier,
définit les changements climatiques comme des “changements de climat qui sont attribués directement ou
indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent
s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables”. La Convention
établit ainsi une distinction entre les changements climatiques attribuables aux activités humaines qui
altèrent la composition de l’atmosphère et la variabilité du climat imputable à des causes naturelles. »
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit l’« insécurité alimentaire »
comme la situation dans laquelle se trouvent les individus ne disposant pas d’un accès garanti à des aliments
sains et nutritifs en quantité suffisante pour permettre une croissance et un développement normaux et
une vie active et saine. Elle peut être due à une pénurie de denrées alimentaires, à la faiblesse du pouvoir
d’achat, à des problèmes de distribution ou à une mauvaise utilisation des aliments au niveau du ménage.
L’insécurité alimentaire fait partie des causes principales d’un état nutritionnel altéré, au même titre que
les problèmes de santé, les mauvaises conditions d’assainissement et les pratiques inadaptées en matière
de soins et d’alimentation. Elle peut être chronique, saisonnière ou transitoire.
Sources : FAO et al., 2013 ; GIEC, 2022.
La mesure des effets du changement climatique sur l’insécurité alimentaire est une tâche complexe. Si les phénomènes
climatiques extrêmes, qui peuvent être source d’insécurité alimentaire, sont de plus en plus fréquents du fait du
changement climatique, les liens de causalité pouvant être établis entre l’insécurité alimentaire et le changement
climatique anthropique restent limités en raison d’un manque de données à long terme et de la complexité
des systèmes alimentaires10. La mondialisation inégale de l’approvisionnement alimentaire – notamment en ce qui
concerne la production, l’approvisionnement et le transport d’espèces cultivées – et la spécialisation de l’industrie
alimentaire ne permettent guère d’établir des liens directs11. Les facteurs non climatiques qui ont une incidence sur
la sécurité alimentaire mondiale, tels que l’épidémie mondiale de COVID 1912, et les conflits, tels que la guerre en
cours en Ukraine, doivent également être pris en compte13.
Le terme de mobilité humaine, que nous utilisons ici au sens large, désigne un phénomène multicausal, qui procède
souvent d’un vaste ensemble de facteurs interagissant les uns avec les autres14. Il désigne y compris les formes
de mouvement forcées et volontaires qui peuvent se produire dans le contexte du changement climatique et
10 Bezner Kerr et al., 2022.
11 Campi et al., 2021.
12 Grosso, 2022.
13 Montesclaros et Sembiring, 2022.
14 Government Office for Science du Royaume-Uni, 2010 ; McAuliffe et Ruhs, 2017.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 211
des changements environnementaux. Cette terminologie est conforme à la contribution actuelle de l’OIM15, qui
a élaboré des définitions pratiques détaillées de termes clés se rapportant au couple migration et changement
climatique (voir l’appendice A). Ces définitions ne sont pas normatives et ne font pas non plus l’objet d’un consensus
international, mais visent à proposer un cadre conceptuel à des fins pratiques. Elles sont particulièrement utiles
lorsqu’on étudie la mobilité humaine sous l’angle des effets climatiques soudains et à évolution lente, car celle-ci
peut prendre de multiples formes et être liée à de nombreux facteurs interdépendants.
Dans le contexte de l’urgence climatique actuelle et de l’insécurité alimentaire croissante, le présent chapitre
explore les corrélations entre changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine en faisant la
lumière sur les liens complexes qui existent entre ces trois phénomènes dans différents scénarios. La première
section examine les différentes manières dont le changement climatique et la sécurité alimentaire influent sur la
mobilité humaine, dans quelles circonstances et par quelles voies. La section suivante étudie la mesure dans laquelle
la migration et la mobilité humaine sont un élément de solution face aux effets du changement climatique et aux
scénarios envisageables pour ce qui a trait à la sécurité alimentaire. La dernière section présente des approches
permettant d’élaborer des politiques et des pratiques à même de gérer des risques croissants, en particulier ceux
qui touchent les communautés les plus vulnérables. Le chapitre est ponctué d’encadrés donnant la parole aux
migrants afin de mettre en avant les répercussions humaines à l’échelle locale.
Du changement climatique à l’insécurité alimentaire : facteurs aggravants
et directs de mobilité humaine
Les effets du changement climatique sur l’insécurité alimentaire et la mobilité humaine sont variables et complexes,
comme illustré à la figure 1. Les processus extrêmes liés au changement climatique, notamment la dégradation de
l’environnement et les phénomènes soudains et à évolution lente16, sont susceptibles de perturber les systèmes
alimentaires à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Parallèlement, l’insécurité alimentaire mondiale
a explosé au cours des dix dernières années, en raison du changement climatique, mais aussi de la recrudescence
des conflits (qui ont également gagné en intensité) et des ralentissements économiques. Les effets de la pandémie
de COVID-19 ont encore aggravé la situation17. Les effets directs des phénomènes climatiques sur la sécurité
alimentaire sont particulièrement manifestes dans le cas des catastrophes soudaines (telles que des ouragans ou
des inondations), qui souvent détruisent des infrastructures locales ou abîment les paysages agricoles.
Les phénomènes climatiques à évolution lente habituellement associés au changement climatique anthropique
(tels que la sécheresse, l’élévation du niveau de la mer ou la dégradation des terres), bien que moins visibles,
participent eux aussi à l’insécurité alimentaire en altérant les moyens de subsistance et en réduisant le bien-être
des populations, généralement pendant une période prolongée18. Les effets directs et indirects des phénomènes
climatiques soudains et à évolution lente sont souvent aggravés par les vulnérabilités sociales, comme dans le cas de
l’insécurité alimentaire. Les phénomènes climatiques extrêmes et insidieux liés au changement climatique peuvent
être des facteurs tant directs qu’indirects de migration et, partant, influer sur la mobilité humaine de manière non
linéaire19.
15 Voir par exemple OIM, 2021a et 2022.
16 Voir les termes clés listés à l’appendice A.
17 FAO et al., 2021.
18 Pörtner et al., 2022.
19 Ibid.
212 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
Figure 1. Liens entre changements environnementaux, écosystèmes et mobilité humaine
PHÉNOMÈNES
ET PROCESSUS
ENVIRONNEMENTAUX
MAJEURS
SÉCURITÉ
ALIMENTAIRE
SÉCURITÉ
HYDRIQUE
SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE
SÉCURITÉ
ÉNERGÉTIQUE
SÉCURITÉ
ENVIRONNEMENTALE
GLOBALE
SÉCURITÉ
PERSONNELLE
/POLITIQUE
FACTEURS
DE MOBILITÉ
SERVICES
ÉCOSYSTÉMIQUES
TOUCHÉS1
INONDATIONS,
GLISSEMENTS DE TERRAIN
TEMPÉRATURES EXTRÊMES,
VAGUES DE CHALEUR, TEMPÊTES
SÉCHERESSES, FEUX DE FÔRET
ACCIDENTS INDUSTRIELS,
POLLUTION
ÉLÉVATION DU NIVEAU DE LA MER,
ÉROSION DU LITTORAL, SALINISATION
CHANGEMENTS DES TEMPÉRATURES ET
DES RÉGIMES DE PRÉCIPITATIONS
FONTE DE GLACIERS, DÉFORESTATION,
DÉGRADATION DES SOLS,
SURPÊCHE, ACIDIFICATION DES OCÉANS
ALÉAS HYDROLOGIQUES
SÉISMES, TSUNAMIS,
ÉRUPTIONS VOLCANIQUES
ALÉAS GÉOPHYSIQUES
ALÉAS MÉTÉOROLOGIQUES
ALÉAS CLIMATOLOGIQUES
ALÉAS TECHNOLOGIQUES
ET GUERRES
PROCESSUS CÔTIERS
CHANGEMENTS MÉTÉOROLOGIQUES
CHANGEMENT DE L’ÉCOSYSTÈME
SERVICES
D’APPROVISIONNEMENT
Produits
alimentaires, eau
douce, matières
premières
SERVICES DE
RÉGULATION
Régulation
climatique,
purification de
l’eau, régulation
des maladies
SERVICES
CULTURELS
Services d’agrément,
spirituels,
touristiques
1
Les services écosystémiques sont les contributions directes et indirectes des écosystèmes au bien-être des personnes. Ces services sont classés dans quatre catégories : services
d’approvisionnement, services de régulation, services culturels et services d’appui. Les services d’appui, qui sont des services globaux, ne sont pas représentés dans ce diagramme.
La largeur des flèches ne correspond pas à une valeur exacte (il s’agit d’un diagramme conceptuel).
Élévation du niveau de la mer et intrusion d’eau salée > ressources d’eau douce aectées
Pertes de terres agricoles > baisse du rendement des cultures
Destruction de la mangrove par un cyclone > la protection contre les futurs aléas est menacée
EXEMPLES :
1
1
2
2
3
4 Perte des récoltes > famine et malnutrition
5 Épidémies > risques pour la santé publique (et troubles sociaux potentiels)
6 Effets sur le tourisme > pertes d’emplois
3
De quelle manière
cela agit-il sur
le bien-être ?
… et, partant, sur les
facteurs de migration ?
Comment mettent-ils en péril
les services écosystémiques ?
6
4
5
BARRAGES, ROUTES, EXTRACTION MINIÈRE
PROJETS D’INFRASTRUCTURE
ET DE DÉVELOPPEMENT
Source : Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (2005) © OIM (Mokhnacheva, Ionesco), Gemenne, Zoï Environment Network, 2015
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 213
Lorsque l’on cherche à déterminer tant les effets du changement climatique sur la mobilité humaine que ses causes,
l’actuelle variabilité naturelle du climat constitue un défi majeur. La variabilité du climat – y compris lorsqu’elle opère
à l’échelle interannuelle et décennale – peut dissimuler ou renforcer les effets actuels des changements d’origine
humaine au sein du système climatique. En outre, si certains effets du changement climatique ont été associés à
la fois à l’insécurité alimentaire et à la mobilité humaine, il reste difficile d’isoler les facteurs climatiques d’autres
dynamiques (telles que les processus environnementaux non climatiques ou les facteurs sociaux, économiques et
politiques).
Le cadre du GIEC définit le risque climatique comme l’interaction entre les aléas climatiques, l’exposition au
climat et la vulnérabilité climatique. Si l’on suit cette définition, lors de l’évaluation des systèmes alimentaires
exposés, l’analyse des risques climatiques doit prendre en compte les vulnérabilités des populations exposées
(ainsi que leur sensibilisation aux aléas et leur capacité d’adaptation). Parmi ces facteurs de vulnérabilité figurent le
niveau de revenu, l’accès aux terres et la sécurité d’occupation des terres, la fragilité des systèmes de production
alimentaire, l’accès à de l’eau à des fins d’irrigation, l’accès à des informations, et les pertes et préjudices résultant
de phénomènes climatiques soudains ou à évolution lente20. Les systèmes alimentaires exposés aux aléas climatiques
dans des contextes de vulnérabilité risquent donc d’être confrontés à plusieurs facteurs de stress climatique, les
effets les plus importants étant la baisse du rendement des cultures et de la productivité du bétail, ainsi que des
ralentissements dans les secteurs de la pêche et de l’agroforesterie dans des régions déjà vulnérables à l’insécurité
alimentaire21.
Des études menées dans différents pays font apparaître une relation entre la variabilité des précipitations et l’insécurité
alimentaire, relation qui contribuerait à encourager les migrations dans les zones vulnérables22. Cependant, selon des
recherches portant sur des régions d’Afrique, les effets conjoints qu’ont sur la mobilité humaine le réchauffement
climatique, d’une part, et les facteurs sociaux, économiques et politiques, de l’autre, ne sont pas automatiques mais
variables23. L’éventail des effets des aléas climatiques sur la mobilité humaine est étudié plus avant dans les sections
suivantes, dans lesquelles des études de cas portant sur des situations de vulnérabilité accrue font apparaître
plusieurs scénarios de mobilité due au climat. Parmi ces scénarios, le GIEC indique que les suivants doivent être
envisagés : la migration à des fins d’adaptation (en tant que choix relatif à l’échelle des individus et des ménages),
la migration et les déplacements involontaires, la réimplantation planifiée et l’immobilité24.
Aléas climatiques soudains
Les catastrophes soudaines bouleversent la vie des populations, souvent sans signes précurseurs, mettant des
communautés entières dans l’impossibilité de satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux, ou alors difficilement.
De nombreux exemples illustrent la manière dont les inondations, les ouragans, les feux incontrôlés et d’autres
événements climatiques soudains génèrent de l’insécurité alimentaire. Des inondations, par exemple, ont mis en
péril la sécurité alimentaire dans plusieurs régions d’Afrique entre 2009 et 202025. Dans certains pays d’Asie du Sud
(tels que le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan), les inondations extrêmes sont de plus en plus fréquentes, et devraient
également gagner en ampleur. Elles entraînent d’importants dommages dans les plantations de riz, qui pénalisent
principalement les minorités vulnérables de la population26.
20 Bezner Kerr et al., 2022.
21 Fanzo et al., 2018.
22 Warner et Afifi, 2014.
23 Schraven et al., 2020.
24 Cissé et al., 2022.
25 Reed et al., 2022.
26 Mirza, 2011.
214 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
En 2022, le Pakistan a subi les pires inondations de son histoire, selon les mots du Premier ministre du pays.
Celles-ci ont ravagé des milliers d’hectares de terres agricoles, pesant lourdement sur la production agricole
nationale et provoquant près d’un quart des déplacements liés aux catastrophes de l’année dans le monde27. Au
Nigéria, selon une étude, les inondations ont porté la proportion des ménages en situation d’insécurité alimentaire à
92,8 %. Des communautés entières ont été gagnées par l’insécurité alimentaire, ce qui a encore retardé la réalisation
des objectifs de développement28. Une étude menée en Afghanistan a abouti à des résultats similaires, indiquant que
l’exposition accrue aux inondations entraînait une baisse de la consommation de calories et de micronutriments,
ainsi que d’autres effets connexes sur les revenus des ménages même après les inondations29.
Voix de migrants
« Aujourd’hui, nous sommes en difficulté. Il y a plusieurs années, les choses allaient mieux. Nous savions
quand la pluie arrivait et s’arrêtait, alors que maintenant personne ne sait… Ces dix à vingt dernières années,
les précipitations étaient très satisfaisantes par rapport à la situation actuelle. On pouvait cultiver de petites
parcelles de terrain et en tirer une récolte abondante. Aujourd’hui, les précipitations sont extrêmement
imprévisibles ; on travaille plutôt de grandes parcelles, mais qui produisent très peu… En raison d’une forte
sécheresse, ma famille et moi-même avons déménagé plus loin, à proximité de la rivière. Mais nous avons
rencontré des difficultés liées à des combats dans cette zone, que nous avons fini par quitter pour cette
raison. » (Femme originaire du Soudan, camp de Fugnido, Éthiopie)
Source : Tamer et al., 2012.
Les ouragans ont également été associés à une augmentation de l’insécurité alimentaire en Haïti, les incidences
lourdes étant corrélées à un niveau de faim modéré à élevé dans les ménages30. Aux États-Unis, l’ouragan Harvey
a eu des répercussions sur le plan de l’insécurité alimentaire, différents groupes ayant été touchés de manière
différente : en particulier, il a plus durement frappé les personnes déplacées31. Des sondages menés au Ghana ont
également mis en évidence les conséquences des feux incontrôlés en matière d’insécurité alimentaire, à la fois sous
la forme d’une insécurité alimentaire transitoire pendant la période de soudure après des feux incontrôlés ayant
détruit des récoltes, et à long terme sous la forme d’effets néfastes sur la productivité des sols32. Dans des pays du
Sahel tels que le Mali, le Sénégal et le Burkina Faso, la variabilité et l’arrêt précoce des précipitations sont associés
à des menaces pour la sécurité alimentaire et à des pénuries alimentaires33.
27 Cabot, 2022 ; Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 2023.
28 Akukwe et al., 2020.
29 Oskorouchi et Sousa‐Poza, 2021.
30 Kianersi et al., 2021.
31 Fitzpatrick et al., 2020.
32 Kpienbaareh et Luginaah, 2019.
33 Schraven et al., 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 215
Aléas climatiques à évolution lente
Comme pour ce qui est des effets des aléas soudains, les effets des aléas à évolution lente tels que la sécheresse ou
l’élévation du niveau de la mer (généralement associés à l’influence à long terme du réchauffement de la planète) ne
peuvent être bien compris qu’à la faveur d’une approche intégrée visant à mettre en lumière les liens qui unissent
ces phénomènes, à différents niveaux, avec la sécurité alimentaire et la mobilité humaine34. Des éléments de plus en
plus nombreux tendent à montrer que la sécheresse est la principale raison du déficit de la production céréalière
mondiale35 et demeure un important facteur de mobilité humaine en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en
Amérique du Sud36. La vulnérabilité associée à la sécheresse dans ces régions variera en fonction des contextes
sociaux, géographiques et temporels des populations touchées. Une étude menée au Moyen Orient indique que
les sécheresses influent sur la production agricole et la sécurité alimentaire, mais que la sécurité alimentaire dans
cette région dépend également de la santé des cheptels, de l’accroissement de la population et de la disponibilité
des produits agricoles37. Les processus climatiques à évolution lente ont été associés à la mobilité internationale,
mais aussi, et surtout, à la mobilité interne, des études de cas ayant permis de mettre en évidence le départ de
populations de zones touchées par différents aléas à évolution lente38. Cela vaut notamment pour les Amériques :
[L]a migration rurale-urbaine dans le nord du Brésil et la migration internationale depuis
le Guatemala, le Honduras et El Salvador vers l’Amérique du Nord sont en partie
dues à des sécheresses prolongées, qui ont accru les pressions liées aux disponibilités
alimentaires dans ces régions très appauvries39.
L’identification des effets du changement climatique sur la fréquence des sécheresses et l’insécurité alimentaire
nécessite de bien comprendre que les zones rurales et urbaines peuvent subir les aléas de manière différente et
présenter des mécanismes d’adaptation différents40. Pour démêler les liens complexes entre la sécurité alimentaire,
la sécheresse et la migration, il est important de prendre en compte la fréquence accrue des vagues de chaleur
extrême que l’on prévoit dans les zones urbaines, qui mettent en péril l’habitabilité dans les régions tropicales et
semi-arides du monde41.
Voix de migrants
« C’est vraiment triste à voir. Dans le contexte actuel de sécheresse, il est extrêmement difficile de cultiver
nos denrées traditionnelles telles que le fruit à pain. On peut observer la progression de la mer sur les
terres : il sera bientôt impossible d’y faire pousser quoi que ce soit. Je suis fermement convaincue que
“vouloir, c’est pouvoir”. Nous ne voulons pas perdre notre terre et entendons la protéger par tous les
moyens à notre disposition. » (Nika, maire de l’atoll périphérique de Likiep, Îles Marshall).
Source : OIM, 2022.
34 He et al., 2019.
35 Gottfriedsen et al., 2021.
36 Pörtner et al., 2022.
37 Hameed et al., 2020.
38 Pörtner et al., 2022.
39 Castellanos et al., 2022.
40 Sam et al., 2019.
41 Dodman et al., 2022.
216 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
Outre la sécheresse, l’élévation du niveau de la mer et les effets connexes sont susceptibles de peser lourdement sur
la production et la sécurité alimentaires dans les zones côtières, comme au Bangladesh, où des efforts d’adaptation
spécifiques sont nécessaires pour limiter les catastrophes42. Sur le littoral camerounais, l’élévation du niveau de la
mer nuit à la productivité des cultures et aux récoltes, qui pâtissent de l’érosion côtière, de l’inondation des basses
terres littorales et de l’intrusion d’eau salée43. Les petits États insulaires en développement sont particulièrement
exposés à l’élévation du niveau de la mer. Selon une étude menée à Kiribati, par exemple, l’élévation du niveau
de la mer, la salinisation des aquifères, l’érosion côtière, la modification de la biodiversité ainsi que la fréquence
des grandes marées et des sécheresses augmentent, ce qui dégrade le bien-être et la sécurité alimentaire des
populations locales44.
Si l’insécurité alimentaire partiellement due aux catastrophes constitue un enjeu mondial, le problème ne présente
pas partout la même intensité, car de nombreuses autres variables entrent en jeu45. L’insécurité alimentaire menace
particulièrement les petits exploitants agricoles des pays en développement des différentes régions du monde, qui
ont une capacité d’adaptation limitée et dépendent d’une agriculture de subsistance46. Dans ces cas, l’insécurité
alimentaire s’inscrit dans des dynamiques de vulnérabilité plus larges qui recouvrent des risques climatiques
distincts. La vulnérabilité des personnes en situation d’insécurité alimentaire n’est pas répartie de manière égale :
des facteurs tels que le genre et l’âge influent sur le vécu des personnes. Les enfants sont plus susceptibles de
souffrir de malnutrition, par exemple, et en raison des disparités de genre traditionnelles, les femmes et les filles
sont plus susceptibles de disposer de capacités d’adaptation au changement climatique moins importantes47. Les
caractéristiques de la mobilité humaine dépendent par ailleurs des différents effets de risques divers. Les ménages
vulnérables au climat peuvent être touchés à la fois par des événements soudains tels que des inondations et par
des évolutions lentes telles que l’élévation du niveau de la mer, ce qui complique les hypothèses sur les risques48.
Multicausalité de la mobilité humaine
Les multiples facteurs à l’origine du changement climatique, de l’insécurité alimentaire et de la mobilité humaine,
ainsi que les liens entre ces phénomènes, sont très complexes. Les données disponibles font apparaître une
relation, partielle tout du moins, entre le niveau de sécurité alimentaire et la décision de migrer, qui est fortement
déterminée par le genre et le niveau de revenu49. Dans certaines situations d’insécurité alimentaire, les catastrophes
climatiques sont directement corrélées avec la décision de migrer. Cependant, l’insécurité alimentaire proprement
dite peut procéder d’autres facteurs tels que les inégalités sociales au sein des communautés touchées, lesquelles
déterminent le niveau de vulnérabilité et de sensibilité au climat des personnes50. Dans la région centrale du
Myanmar, par exemple, où le climat est sec, les risques d’insécurité alimentaire et d’inondation sont fonction du
revenu, des systèmes de production alimentaire, des transports et de l’accès à de l’eau à des fins d’irrigation, en
plus des pertes et préjudices résultant d’inondations et de sécheresses51. Au Chili, des études menées dans la région
42 Awal et Khan, 2020.
43 Abia et al., 2021.
44 Cauchi et al., 2019.
45 Cissé et al., 2022.
46 Nkomoki et al., 2019.
47 Bezner Kerr et al., 2022 ; Bleeker et al., 2021.
48 Rosalia et Hakim, 2021.
49 Smith et Floro, 2020 ; Smith et Wesselbaum, 2022.
50 Samim et al., 2021 ; Warner et Afifi, 2014.
51 Boori et al., 2017.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 217
semi-aride de Monte Patria ont montré qu’un accès inégal aux ressources, un pouvoir de négociation politique
restreint et la perception de ne pas pouvoir gagner suffisamment dans l’agriculture influent davantage sur la décision
de migrer que les considérations relatives au changement climatique. En particulier, les ménages et les travailleurs
empruntent des voies de migration de main d’œuvre préexistantes pour quitter la municipalité en vue de poursuivre
des études supérieures ou de travailler dans le secteur du bâtiment ou dans l’industrie minière52.
La juxtaposition des effets du climat, des déplacements et des dynamiques de conflit dans le bassin du lac Tchad
est un phénomène bien documenté. Dans cette région, l’accès limité aux ressources, aggravé par les effets du
changement climatique, pèse lourdement sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, ce qui crée
des conditions propices aux conflits et incite à la mobilité53. Cependant, les dynamiques relatives au changement
climatique, à la migration et aux conflits dépendent très largement du contexte : au Ghana, par exemple, des
conditions environnementales et indépendantes du climat exacerbent les conflits potentiels dus au climat, provoquant
des migrations et des conflits entre cultivateurs et éleveurs54. Et en Colombie, au Myanmar et en République-Unie
de Tanzanie, la migration semble dépendre de vulnérabilités structurelles dans les régions présentant un faible niveau
de résilience, tandis que la sécurité alimentaire apparaît comme le produit de changements environnementaux
(sécheresses et inondations) et comme un facteur déclencheur de conflits violents et de migrations dans les
populations vulnérables55.
Voix de migrants
« Nous venons du département d’Izabal, au Guatemala. Nous sommes originaires d’une communauté
rurale. Je travaille dans l’agriculture. Je plante du maïs. Il y avait aussi une plantation d’okra à un moment.
Nous exploitons principalement nos terres. Nous vivons de céréales de base et de récoltes, et vendons
nos produits pour acheter ce dont nous avons besoin pour nos enfants. Nous vivons au jour le jour. En
cas de catastrophe, nous sommes vulnérables. Avec les tempêtes, et ces ouragans [Eta et Iota en novembre
2020], on a été très durement frappés, ce qui nous a rendus encore plus vulnérables que nous ne l’étions
déjà. Dans la situation actuelle, nous ne savons pas où aller. »
Source : OIM, s.d.
Au Guatemala, dans la zone couverte par le « couloir de la sécheresse », la culture du café, le fait de dépendre
d’emplois requérant de faibles niveaux de qualification et les niveaux de pauvreté sont associés à l’insécurité
alimentaire. Parallèlement, les effets des sécheresses consécutives, une mauvaise santé et des revenus ne permettant
pas d’acheter des médicaments exacerbent la vulnérabilité56. Au Guatemala, la majorité des ménages pauvres et très
pauvres de la zone couverte par le « couloir de la sécheresse » achètent les denrées alimentaires avec les revenus
qu’ils génèrent en travaillant dans des plantations de café ou dans l’industrie de la canne à sucre (plus de 80 %),
tandis que certains les cultivent (moins de 5 %) et d’autres les prélèvent dans la nature (1 % à 10 %)57, ce qui illustre
52 Wiegel, 2023.
53 Ehiane et Moyo, 2022.
54 Issifu et al., 2022
55 Morales-Muñoz et al., 2020.
56 Beveridge et al., 2019.
57 Voir FEWS NET, 2016.
218 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
le caractère complexe et non linéaire du lien entre climat, sécurité alimentaire et migration, et fait apparaître des
points d’entrée pour des mesures d’adaptation visant à éviter l’insécurité alimentaire (voir la figure à l’appendice B)58.
Selon une étude récente menée au Guatemala, le climat (par exemple, l’exposition à la sécheresse) ne constitue
toutefois pas la principale variable directement associée à la décision de migrer59. De même, au Honduras, le revenu
modeste des petits producteurs de café sert souvent à acheter de la nourriture. Dans ces zones, les Honduriens
pâtissent de la baisse des prix du café, comme lorsque les prix internationaux du café ont chuté à un niveau
historiquement bas en septembre 2018, ce qui s’est répercuté sur les migrations internationales à destination des
États Unis60. Dans les scénarios prévoyant des émissions importantes, les effets du changement climatique sur la
sécurité alimentaire sont jugés préoccupants en Afrique australe (en lien avec la moindre disponibilité des aliments
d’origine végétale sauvage)61.
Estimer les effets futurs
Il est encore difficile d’estimer les schémas futurs de la migration liée au changement climatique, en partie
parce que nombre des modèles de migration climatique ne prennent pas en compte les phénomènes
climatiques soudains et à évolution lente, à l’exception de celui qui est utilisé dans le rapport Groundswell,
qui inclut la pénurie d’eau, la baisse du rendement des cultures et l’élévation du niveau de la mer parmi les
facteurs susceptibles d’influer sur la migrationa
. Un récapitulatif utile est fourni dans le document de l’OIM
établi aux fins de la vingt-huitième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques (COP 28)b
. Avec la hausse des températures moyennes de la planète
due aux gaz à effet de serre émis par les pays industrialisés, des points de basculement déclencheurs de
mobilité pourraient apparaître chez les ménages à faible revenuc
. Certains modèles de projection actuels
sur l’évolution des migrations ne prennent pas en compte ces « points de basculement », à savoir des
phénomènes physiques qui influent sur les conditions climatiques, tels que le phénomène El Niño/oscillation
australe (ENSO), à l’origine d’une grande part de la variabilité du climat dans plusieurs régions du monde.
Les modèles relatifs aux migrations à venir sont généralement axés sur les effets potentiels des tendances
à long terme des disponibilités en eau sur les cultures et leur rendement et se basent principalement sur
des variables de température et de précipitations. Ces modèles ne permettent que de manière limitée de
prévoir l’effet des catastrophes soudaines susceptibles d’influer sur la sécurité alimentaire et la mobilité
humaine, comme dans le cas récent d’Eta et d’Iota en Amérique centraled
.
a Clement et al., 2021.
b OIM, 2023.
c Cissé et al., 2022.
d Shultz et al., 2021.
L’immobilité et les pièges de la pauvreté
Si le changement climatique est clairement associé à l’insécurité alimentaire et à un accroissement de la mobilité,
comme exposé dans la section précédente, les aléas climatiques et l’insécurité alimentaire ne mènent pas
inévitablement à une mobilité accrue des populations touchées. Dans différents scénarios, les aléas climatiques
58 Pons, 2021.
59 Depsky et Pons, forthcoming.
60 Reichman, 2022.
61 Wessels et al., 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 219
peuvent au contraire conduire à une immobilité accrue, avec des incidences socio-économiques spécifiques. Ainsi,
une étude portant sur une région du Guatemala montre qu’il n’y a pas de corrélation entre la migration à
destination des États-Unis et une grave insécurité alimentaire des ménages. En revanche, une corrélation significative
apparaît lorsque le niveau d’insécurité alimentaire est modéré, ce qui porte à croire que les familles les plus
précaires ne disposent pas des ressources nécessaires pour migrer62. Dans de nombreux contextes, l’immobilité
résulte de plusieurs facteurs, dont la disponibilité de ressources, les dynamiques genrées et l’attachement à un lieu,
avec, à une extrémité du spectre, des personnes qui sont dans l’impossibilité financière ou physique de fuir des
aléas (immobilité involontaire) et, à l’autre extrémité, des personnes qui choisissent de ne pas partir (immobilité
volontaire) en raison d’un fort attachement à un lieu, à une culture et à des personnes63.
Pour ce qui est des mouvements internationaux, les projections indiquent que le changement climatique est
susceptible d’entraîner une baisse de l’émigration des populations dont les revenus sont les plus faibles de plus
de 10 % en 2100, voire de 35 % dans les scénarios les plus pessimistes prévoyant des dégâts catastrophiques64.
En Zambie, la vulnérabilité au changement climatique constitue pour certains groupes un frein à la migration, les
districts pauvres se caractérisant par une « immobilité climatique »65. En raison d’une pauvreté persistante, certaines
familles ne sont pas en mesure d’assumer le coût financier d’une migration et restent par conséquent prises au
piège dans des régions sensibles aux problèmes climatiques. Au Bangladesh, les habitants de villages touchés par
de tels problèmes, désireux de quitter leur lieu de résidence actuel, en sont parfois empêchés par des obstacles
financiers, un accès lacunaire à l’information, des réseaux sociaux insuffisants et l’absence de membres du ménage
en âge de travailler66. Dans ces circonstances, une mobilité climatique bien planifiée et assistée, notamment sous la
forme de réimplantations, pourrait permettre d’accroître le bien-être et les résultats positifs.
Voix de migrants
« Les violentes tempêtes venues du Nord ont détruit ma maison. Elle a été emportée par les flots. Il ne
me reste que du sable, aujourd’hui ma maison est faite de sable et de tôles que j’ai fabriquées, mais nous
n’avons nulle part où aller. Nous sommes pauvres, nous sommes des gens pauvres. » (Ricarda Flores,
Tabasco, Mexique)
Source : Ortuño, 2022.
Les réalités complexes de la mobilité évoquées plus haut sont importantes : elles nuancent la vision simpliste de
la mobilité humaine comme une conséquence naturelle des effets du changement climatique et de l’insécurité
alimentaire. Comme résumé par le GIEC, les conditions et les phénomènes climatiques peuvent, selon le cas,
intensifier les mouvements migratoires, les limiter ou modifier leur direction67. De la même manière, il serait
malavisé de présumer que les efforts d’adaptation à des fins de sécurité alimentaire dans une région particulière
ou en réponse à un phénomène particulier entraîneront automatiquement une baisse de la mobilité. Les politiques
62 Castellanos et al., 2022.
63 Cissé et al., 2022, s’appuyant sur le concept d’« immobilité involontaire » de Carling (2002).
64 Benveniste et al., 2022.
65 Nawrotzki et DeWaard, 2018.
66 Siddiqui et al., 2017.
67 Cissé et al., 2022.
220 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
d’adaptation au climat et en faveur de la sécurité alimentaire peuvent fournir des solutions et des ressources aux
membres des ménages exposés, qui peuvent choisir d’entreprendre des formes de migration plus sûres et plus
régulières. Des travaux de recherche ont montré que, dans le nord de la Thaïlande, et en fonction des circonstances
locales et des trajectoires migratoires, les interventions d’adaptation au climat pourtant efficaces n’empêchent
pas les migrations68. Par ailleurs, les populations qui connaissent la plus forte insécurité alimentaire ne disposent
généralement pas des capacités et des ressources nécessaires pour migrer. Des données montrent que la migration
est principalement nourrie par des vulnérabilités structurelles et des modes de développement non durables69. En
conséquence, et comme exposé dans les sections ci-après, les approches politiques ne devraient pas viser à prévenir
la migration, mais à lutter contre les facteurs négatifs et à faire de la migration un choix possible qui permette
de réaliser les objectifs mondiaux de développement, au lieu d’appréhender la migration comme la seule manière
d’éviter le pire.
Insécurité alimentaire et changement climatique : dans quelle mesure la
migration peut-elle être un élément de solution ?
Autrefois, l’effort d’adaptation destiné à faire face aux aléas climatiques soudains ou à évolution lente était plutôt
considéré comme un processus d’ajustement local visant à limiter la vulnérabilité à la variabilité du climat et
au changement climatique70. Plus récemment, des études de cas empiriques ont montré que certains individus,
ménages et communautés touchés utilisent la migration comme outil d’adaptation autonome et spontané lorsque
le changement climatique a des effets néfastes sur l’habitabilité, les moyens de subsistance dépendants du climat ou
la sécurité alimentaire71. En prévision ou dans le contexte de déplacements, certains gouvernements ont également
mis en place des programmes de réimplantation planifiée, avec des résultats variables, comme dans les Caraïbes72.
La relation entre migration et adaptation au changement climatique ne se présente pas toujours sous la même
forme, et les situations observées sont également diverses et complexes :
Avec un appui adéquat et lorsque les niveaux d’agentivité et de ressource sont élevés,
la migration entreprise à des fins d’adaptation au changement climatique peut réduire
l’exposition et la vulnérabilité socioéconomique (degré de confiance moyen). Cependant,
la migration devient un risque lorsque des aléas climatiques poussent une personne, un
ménage ou une communauté à se déplacer de manière involontaire ou avec un faible
niveau d’agentivité (degré de confiance élevé). L’incapacité de migrer (autrement dit,
l’immobilité involontaire) dans un contexte d’aléas climatiques constitue également un
risque potentiel pour les populations exposées (degré de confiance moyen)73.
L’effet de la migration comme stratégie d’adaptation dépend de la situation des personnes ou des ménages qui
l’entreprennent, ainsi que de la participation et de l’agentivité des migrants, quelles que soient les raisons pour
lesquelles ils migrent74. Des études ont montré que plus les personnes ou les ménages se portent bien sur le
plan socio-économique, plus la migration est bénéfique pour les communautés d’origine et d’accueil et pour les
68 Rockenbauch et al., 2019.
69 Gautam, 2017 ; Mazenda et al., 2022.
70 Nicholls et al., 2017.
71 Gemenne et Blocher, 2017 ; Wiederkehr et al., 2018 ; Porst et Sakdapolrak, 2018.
72 OIM, 2021b.
73 Pörtner et al., 2022.
74 McInerney et al., 2022 ; Dodman et al., 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 221
ménages75. Cependant, les déplacements associés à une agentivité limitée – lorsque l’adaptation locale n’est plus
efficace ou lorsque l’action gouvernementale est insuffisante et que les effets du climat dépassent la capacité
d’adaptation des communautés vulnérables – peuvent ne pas être bénéfiques et déboucher sur la perte de moyens
de subsistance ou un amoindrissement du bien-être général76. Des éléments factuels indiquent également que dans
ces cas, les déplacements sont généralement associés à des pertes imprévues et considérables77.
Migration à des fins d’adaptation : que disent les éléments factuels?
La migration apparaît comme une option d’adaptation parmi d’autres stratégies lorsque les ménages sont confrontés
aux effets d’aléas climatiques78. Les communautés qui rencontrent des difficultés socio-économiques sur leur lieu
d’origine peuvent continuer de chercher du travail ailleurs pour trouver un moyen de subsistance, d’autant plus
lorsqu’elles sont aux prises avec une pauvreté structurelle, un accès limité aux terres et à la propriété foncière, et
des conditions climatiques néfastes qui nuisent à leurs cultures79. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la
migration à des fins d’adaptation est plus susceptible de se produire depuis des environnements ruraux vers des
environnements urbains80. Les migrations internationales à long terme depuis des pays à revenu faible vers des pays
à revenu élevé montrent que les ménages et les personnes migrent en vue de saisir des possibilités financières et
d’augmenter les revenus de leur famille dans le pays d’origine par des rapatriements de fonds81. Sous l’angle de la
sécurité alimentaire, des communautés de migrants du monde entier fournissent aux communautés d’origine des
revenus leur permettant d’acheter de la nourriture grâce aux transferts de fonds82. Des éléments factuels indiquent
qu’en Asie du Sud, ces formes de mobilité ont amélioré la résilience climatique dans les communautés d’origine83.
Les rapatriements de fonds aident les ménages à s’adapter et facilitent l’adaptation de l’agriculture, ce qui renforce la
sécurité alimentaire84. Dans le nord de la Thaïlande, il a été établi que les réseaux de migration internes avaient une
incidence sur les innovations visant une adaptation au changement climatique mises en place dans les exploitations
agricoles de petite taille85. Au Népal, les ménages bénéficiaires de rapatriements de fonds sont plus enclins à investir
une partie de leurs économies dans la préparation en cas d’inondation dès lors que les femmes restées sur place
ont accès à des interventions de renforcement des capacités qui visent à consolider les mesures d’adaptation
autonomes, telles que l’épargne de précaution ou la préparation en cas d’inondation86.
Les familles qui bénéficient de rapatriements de fonds sont mieux à même de s’adapter aux crises touchant
l’alimentation et les moyens de subsistance que les autres87. En Inde, des études ont mis en évidence une forte
influence des effets du climat sur la migration interne depuis le Rajasthan, l’Uttar Pradesh et le Madhya Pradesh, la
plupart des fonds rapatriés servant à financer la consommation des biens nécessaires au quotidien, et notamment de
75 McInerney et al., 2022 ; Cissé et al., 2022.
76 Castellanos et al., 2022.
77 Ayeb-Karlsson et al., 2022 ; Turton, 2003.
78 Traore Chazalnoel et Randall, 2021.
79 Gautam, 2017.
80 Cissé et al., 2022.
81 McAuliffe et Triandafyllidou, 2021.
82 Crush et Caesar, 2017.
83 Cissé et al., 2022.
84 Tacoli, 2009.
85 Rockenbauch et al., 2019.
86 Banerjee et al., 2019.
87 Ezra, 2001.
222 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
denrées alimentaires88. Au Burkina Faso, même dans les régions où la variabilité des précipitations a des incidences
négatives sur la sécurité alimentaire, il est avéré que les rapatriements de fonds améliorent la sécurité alimentaire89.
Au Bangladesh, des données montrent que les ménages s’adaptent aux facteurs de stress climatique en combinant
des mesures d’adaptation à l’échelle locale et la migration d’un ou plusieurs de leurs membres90.
La migration à des fins d’adaptation ne doit pas se substituer à l’investissement dans le renforcement de la capacité
d’adaptation sur place. Cependant, si elle s’accompagne d’un soutien adapté et si elle est intégrée dans les stratégies
directrices, cette migration peut assurément aider les communautés des zones exposées à renforcer leur capacité
d’adaptation, et ainsi appuyer les objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Ce type d’approche se
heurte à de nombreuses difficultés. Par exemple, le succès de la migration comme technique d’adaptation dépend
largement de la façon dont les migrants sont perçus par la communauté d’accueil et de la mesure dans laquelle les
responsables de l’action publique cherchent à orienter cette perception. Les projections qui tablent sur un nombre
considérable de migrants, en hausse dans les scénarios climatiques futurs, peuvent donner lieu à une interprétation
erronée de l’ampleur des migrations, ce qui alimente la xénophobie et suscite d’éventuelles craintes pour la sécurité,
alors même que les données tendant à démontrer que les migrants menacent la sécurité à l’échelle des États ou
à l’échelle internationale restent rares91.
Les travaux de recherche visant à faire apparaître les liens entre migration et changements environnementaux, d’une
part, et évaluations climatiques, de l’autre, ont mis l’accent surtout sur la situation dans les pays d’origine, plutôt
que sur celle dans les pays de destination92. Des travaux portant sur la migration depuis le Zimbabwe vers des
villes d’Afrique du Sud montrent que les migrants présentent un niveau de malnutrition élevé à leur arrivée, associé
aux difficultés d’accès à un revenu régulier et à l’hostilité des communautés d’accueil, ce qui se traduit souvent
par un accès limité à un revenu régulier93. Ces scénarios soulèvent des questions cruciales pour les recherches
futures sur la manière dont des villes affichant une croissance rapide pourront nourrir leurs populations, y compris
celles touchées par des aléas climatiques94. Il est par ailleurs nécessaire de comprendre comment les politiques
actuelles qui promeuvent la migration saisonnière (par exemple, les mouvements de travailleurs agricoles migrants)
assurent la sécurité alimentaire des migrants après leur arrivée95. Cela touche toutefois à la question plus générale
de la mesure dans laquelle les accords sur la migration de main-d’œuvre saisonnière concernant des communautés
d’origine touchées par le changement climatique (telles que les petits États insulaires en développement) peuvent
être véritablement considérés comme une solution d’adaptation aux aléas climatiques96.
En l’absence de mesures d’adaptation et d’aménagement urbain adaptées, les infrastructures des centres urbains qui
accueillent des migrants climatiques seront confrontées à des risques plus nombreux et plus intenses, notamment
un risque de défaillance en cas de catastrophe soudaine. Cela s’explique par une exposition aux phénomènes
climatiques plus importante dans ces zones urbaines, mais aussi par la faible capacité d’adaptation sur place (par
exemple en raison de l’extension d’établissements informels dans des zones urbaines à risque)97. Les migrants
88 Bharadwaj et al., 2021.
89 Tapsoba et al., 2019.
90 Siddiqui et al., 2017.
91 Cissé et al., 2022.
92 Findlay, 2011.
93 Crush et Tawodzera, 2017.
94 Crush, 2013 ; Mususa et Marr, 2022.
95 Weiler et al., 2017.
96 Kitara et Farbotko, 2023.
97 Cissé et al., 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 223
qui arrivent dans des villes côtières peuvent être vulnérables à l’élévation du niveau de la mer98. Plusieurs grands
centres urbains sont déjà exposés à des pénuries d’eau, une situation appelée à empirer en l’absence de mesures
d’adaptation si la demande d’eau augmente avec l’arrivée de nouveaux migrants et l’intensification des effets du
changement climatique99.
La recherche sur les liens entre migrations et adaptation a aussi abordé récemment une autre question importante,
à savoir l’évaluation de la sécurité alimentaire transitoire. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour
rassembler des données sur la situation des migrants en matière de sécurité alimentaire pendant leur voyage100.
Des travaux antérieurs ont montré que les aléas climatiques fragilisent les personnes ayant entrepris un voyage de
migration qui souffrent d’insécurité alimentaire, comme les migrants qui transitent par le Mexique pour se rendre
aux États-Unis101.
Bien que la mobilité combinée à des rapatriements de fonds constitue un mode d’adaptation mis en œuvre par
certains pour réduire les vulnérabilités, des données montrent également que, dans certains contextes, ce type
de migration est mal adapté. Des études ont mis en évidence, par exemple, les effets que peuvent avoir les
rapatriements de fonds sur l’utilisation des terres, parmi lesquels on peut citer la déforestation et la dégradation
des forêts, qui causent des dommages supplémentaires à l’environnement102. Ainsi, dans trois sites du nord-est
du Cambodge, il a été établi que la migration avait créé une pénurie de main-d’œuvre et des problèmes en
matière de bien-être, sans pour autant améliorer systématiquement la sécurité alimentaire, et que cette stratégie
était vraisemblablement inadaptée face au changement climatique, à partir du moment où elle avait aggravé la
vulnérabilité103. D’autres études menées en Inde montrent que la modification des structures sociales due à la
migration et la prédominance de rôles genrés traditionnels ont dans les faits dégradé la situation des ménages
dirigés par une femme sous l’angle de la sécurité alimentaire, réduisant à néant les progrès réalisés sur le plan de
l’autonomie des femmes104. Au vu de la diversité des vécus et des situations migratoires en matière d’adaptation au
climat et de sécurité alimentaire, il faut des politiques bien conçues pour remédier à la situation des plus vulnérables,
prévenir les mouvements forcés et mettre à profit les effets positifs de la mobilité aux fins de l’adaptation au climat
et de la sécurité alimentaire à l’échelle locale.
Prévention et préparation : les éléments factuels à l’appui des politiques
Les décideurs doivent se montrer réactifs et veiller à ce que les politiques tiennent compte des corrélations
complexes entre mobilité, climat et sécurité alimentaire. Les décideurs qui suivent les travaux de recherche et les
éléments factuels émergents – en particulier lorsque ces travaux remettent en question, confirment ou infirment
des hypothèses sous-jacentes – seront en mesure de mieux comprendre la manière dont les risques climatiques
peuvent créer de l’insécurité alimentaire, et dont cela peut se traduire ou non par différents résultats tels que
les déplacements et l’immobilité involontaire. Il est également possible de mieux comprendre et mettre à profit
les effets positifs potentiels de la mobilité sur la sécurité alimentaire en étudiant l’effet variable de ces éléments
98 C40 Cities et McKinsey Sustainability, 2021.
99 He et al., 2021.
100 Aragón Gama et al., 2020.
101 Orjuela-Grimm et al., 2022.
102 Mack et al., 2023.
103 Jacobson et al., 2019.
104 Choithani, 2019.
224 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
sur différents groupes, y compris les migrants eux-mêmes, leur ménage et leur communauté de destination. La
méconnaissance de ces nuances peut conduire à négliger les causes profondes de l’insécurité alimentaire et, partant,
aboutir à des politiques ne produisant que des résultats médiocres, voire contre-productifs105. Des analyses fines
sont nécessaires pour éviter les simplifications excessives, comme celles qui imputent l’insécurité alimentaire au
seul changement climatique106.
Si les risques climatiques et la volatilité des revenus existent partout, ils sont particulièrement lourds de conséquences
pour les populations pauvres des pays en développement : le risque est plus coûteux pour les ménages qui
disposent d’à peine plus que le strict minimum pour subsister, car un faible choc négatif peut rapidement les
prendre au piège de la malnutrition et du sous-développement107. Pour des interventions efficaces en faveur de la
sécurité alimentaire et de l’adaptation au climat, il faut tenir compte dûment et de façon inclusive des vulnérabilités
locales et identifier et traiter les chocs susceptibles de toucher des populations spécifiques, de manière continue
ou simultanée, sur le plan local108.
Cadres politiques actuels relatifs au changement climatique et à la mobilité humaine
De nombreux cadres politiques visent à prendre en compte les réalités complexes derrière le changement climatique
et la mobilité humaine109. Principal cadre international ayant trait à la gouvernance des migrations internationales,
le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières comprend des recommandations spécifiques
concernant les catastrophes, la dégradation de l’environnement et le changement climatique110. Le Pacte mondial
érige la sécurité alimentaire en domaine d’action pour les États, dans le but de « lutter contre les facteurs négatifs
et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine », tout en recommandant
d’adopter des politiques et mécanismes adaptés assurant des voies de migration sûres sous la forme de « l’admission
et [du] séjour pour une durée appropriée, par compassion, pour des motifs humanitaires ou compte tenu d’autres
considérations, de migrants contraints de quitter leur pays d’origine en raison d’une catastrophe naturelle soudaine
ou d’autres situations précaires » et de « solutions […] en faveur des migrants contraints de quitter leur pays
d’origine en raison d’une catastrophe naturelle larvée, des effets néfastes des changements climatiques ou de la
dégradation de l’environnement »111.
Concernant la gouvernance du changement climatique, la vingt-septième session de la Conférence des Parties à la
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 27), qui s’est tenue à Charm el-Cheikh
(Égypte), a entre autres permis de convenir de l’établissement de dispositions institutionnelles visant à créer un
fonds de compensation des pertes et préjudices dans le cadre du Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh. Ces
dispositions sont éclairées par les lacunes du paysage actuel en matière de financement, notamment concernant
« les déplacements, les réinstallations, les migrations, l’insuffisance des informations et des données climatiques »112.
Ce système fournit potentiellement un moyen de commencer à gérer les effets du changement climatique sur les
ménages les plus vulnérables, et de remédier aux pertes et préjudices subis non seulement en raison du changement
105 Zavaleta et al., 2018.
106 Sandstrom et Juhola, 2017 ; Jacobson et al., 2019.
107 Demont, 2020.
108 Hoffmann, 2022.
109 Voir tableau 1.1 du rapport Groundswell pour une description des cadres les plus pertinents (Clement et al., 2021).
110 Assemblée générale des Nations Unies, 2018.
111 Ibid.
112 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 225
climatique, mais aussi de la mobilité ou de l’immobilité subséquente. Si l’action en matière de mobilité humaine au
titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est menée par l’Équipe spéciale
chargée de la question des déplacements de population relevant du Mécanisme international de Varsovie relatif aux
pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques, des efforts supplémentaires sont nécessaires
pour assurer la prise en compte systématique de la mobilité dans les plans d’adaptation. À cette fin, différents pays
ont commencé à intégrer des aspects de la mobilité dans leurs plans d’adaptation, ce qui est de bon augure.113
Les considérations relatives à la mobilité humaine sont également de plus en plus intégrées dans l’action aux fins
de la réduction des risques de catastrophe menée au titre du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de
catastrophe. La mobilité humaine y est appréhendée tant en termes d’évacuation que de réimplantation planifiée,
mais les vulnérabilités des populations migrantes sont également prises en compte, et la nécessité d’intégrer les
contributions des migrants dans la réduction des risques de catastrophe est mise en avant.
Ces approches s’appuient sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui établit l’importance de
prendre en compte la situation des migrants et des communautés vulnérables. Bien qu’aucun objectif distinct ne vise
expressément le couple climat et migration, ce sujet touche plusieurs objectifs, notamment ceux qui ont trait à la
sécurité alimentaire et à la faim, aux communautés résilientes, aux politiques migratoires et aux enjeux climatiques.
Les approches du couple climat et migration fondées sur les droits humains ont beaucoup progressé ces dernières
années, notamment grâce au rôle catalyseur joué par l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà
des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques de l’Initiative Nansen, à l’inclusion des
catastrophes dans les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (et
plus récemment dans le Programme d’action sur les déplacements internes), ainsi qu’à diverses approches régionales
relatives à la question des droits et de la mobilité climatique114.
Pour porter leurs fruits, les politiques relatives au lien entre le climat, la sécurité alimentaire et la migration doivent
prendre en compte la disponibilité des moyens d’action, et déterminer les conditions dans lesquelles la migration
peut constituer une stratégie d’adaptation viable115. Les communautés pauvres et appauvries manquent parfois
des ressources nécessaires pour s’adapter alors même qu’elles disposent d’informations et en ont l’intention. Les
cadres politiques – et leur mise en œuvre – doivent donc reconnaître les facteurs favorables et les environnements
institutionnels qui facilitent l’adoption des politiques (et réduisent les obstacles à leur mise en œuvre), tels que
la gouvernance et les capacités institutionnelles, en mettant à profit l’expertise de divers domaines de l’action
publique116. Toutes les politiques axées sur la gouvernance locale, nationale et internationale peuvent influer sur les
résultats de la mobilité liée au climat117. En outre, les politiques visant à promouvoir la sécurité alimentaire dans
les pays vulnérables au climat ne doivent pas se cantonner aux aspects purement techniques et économiques de
l’agriculture, mais également prendre en compte ses dimensions socioculturelles118, notamment en s’employant à
intégrer les connaissances traditionnelles et des points de vue divers en matière de genre119.
113 SLYCAN Trust, 2022.
114 Bellinkx et al., 2022.
115 Gemenne et Blocher, 2017 ; Bosetti et al., 2021.
116 Traore Chazalnoel et Randall, 2021.
117 Cissé et al., 2022.
118 Mosso et al., 2022.
119 File et Derbile, 2020.
226 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
Élaborer des politiques inclusives
Les approches relatives aux liens entre les aléas climatiques et la sécurité alimentaire qui intègrent les enseignements
livrés par les savoirs autochtones et prennent en compte le contexte local peuvent contribuer à créer des politiques
inclusives120. Ainsi, des études menées dans la province d’Aceh (Indonésie) ont mis en lumière l’utilisation de
bâtisses traditionnelles en bois flotté opérationnelles tant dans des conditions normales qu’en cas d’inondation,
comme un moyen d’assurer la continuité des activités domestiques et communales et la réponse aux besoins
d’approvisionnement alimentaire des communautés, que la pénurie de matières premières et les réimplantations à
l’écart de la rivière risquent de faire disparaître121. De manière similaire, dans le domaine de l’inclusion financière,
il est avéré que des interventions localisées et contextualisées sont mieux à même de réduire la probabilité de
pénurie alimentaire122. Il y a encore beaucoup à apprendre des savoirs locaux et autochtones, non seulement aux
fins d’une meilleure inclusivité, mais également d’une efficacité au regard des principes de développement durable.
L’analyse critique d’interventions d’adaptation a montré que celles-ci avaient des effets parfois hétérogènes sur la
vulnérabilité, dont des conséquences négatives involontaires :
- Les interventions peuvent renforcer la vulnérabilité à travers l’accaparement des processus par les élites, en
s’appuyant sur des personnalités bien placées puissantes et en négligeant les points de vue des populations
touchées, ce qui peut exacerber les conflits et les tensions ; - Les interventions peuvent redistribuer les vulnérabilités, par exemple en déplaçant le risque dans les zones
côtières, en entravant l’accès aux ressources de différents groupes et en modifiant les rapports de force ; - Les interventions peuvent créer de nouvelles sources de vulnérabilité lorsque la réponse à un risque à court
terme entraîne de nouveaux problèmes à long terme, par exemple lors d’opérations de réimplantation mal
planifiées123.
Des études ont montré par ailleurs que les politiques sont plus efficaces lorsqu’elles prévoient un développement
des capacités tenant compte des dimensions de genre124. Les politiques qui visent à améliorer le niveau d’instruction
des agriculteurs, à autonomiser les femmes, à promouvoir les échanges de connaissances intergénérationnels et à
fournir une aide alimentaire d’urgence pendant la période de soudure ou après des phénomènes météorologiques
extrêmes ont fait leurs preuves en matière d’amélioration de l’adaptation locale125. Des études de cas menées au
Mali, au Bangladesh, dans des zones de basses terres en Asie et en Amérique centrale mettent en évidence, avec des
nuances locales, la valeur ajoutée qu’apportent les interventions contextualisées et la prise en compte systématique
des dimensions de genre dans les populations touchées. Ces approches ne tiennent toutefois pas systématiquement
compte des composantes de la mobilité126.
120 He et al., 2019.
121 Bakhtiar et al., 2021.
122 Karki Nepal et Neupane, 2022.
123 Eriksen et al., 2021.
124 Bezner Kerr et al., 2022.
125 Alpízar et al., 2020.
126 Pour le Mali, voir Traore et al., 2022 ; pour le Bangladesh, voir Kashem et al., 2014 ; pour les zones de basses terres en Asie, voir Ismail
et al., 2013 ; pour l’Amérique centrale, voir Alpízar et al., 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 227
Les informations ne suffisent pas. Il faut aussi financer les solutions.
Les données et l’information sont déterminantes pour la résilience climatique et continuent de constituer un axe
important des priorités de la lutte contre l’insécurité alimentaire dans les contextes d’agriculture de subsistance.
Cependant, des études ont montré que l’application des résultats de la recherche en vue du développement agricole
en Afrique restait relativement limitée, ce qui plaide pour l’élaboration de produits d’information davantage axés
sur les réalités locales, associés à une assistance pratique127. La disponibilité d’informations (telles que des prévisions
climatiques et des pratiques agricoles exemplaires) ne suffit donc pas : ces informations doivent répondre aux
besoins locaux et être financées par des fonds alloués à des acteurs locaux pour que ces derniers puissent mettre
en œuvre des solutions fondées sur des éléments factuels. Des études de cas menées en Amérique centrale
montrent que les régions dans lesquelles les moyens de subsistance des communautés dépendent de cultures
vivrières sensibles au climat disposent généralement de moindres ressources pour promouvoir l’innovation et
l’action à des fins d’adaptations128 ; par conséquent, dans ces cas, même lorsque des informations rendant compte
de la réalité locale sont disponibles, l’adaptation et l’innovation restent hors d’atteinte ou n’interviennent qu’avec
retard, dans le meilleur des cas.
L’élaboration de dispositifs d’alerte rapide a reçu un solide appui politique ces dernières années, et différents modèles
ont été mis au point en vue d’une application dans les zones vulnérables, telles que le nord aride du Kenya, avec
la prise en compte des risques de famine et des contextes locaux129. Les dispositifs d’alerte rapide des sécheresses
mesurent les principaux facteurs de sécheresse et en rendent compte, la priorité étant accordée aux indicateurs
de sécheresse météorologiques et obtenus par télédétection130. Il semble encore possible d’améliorer l’utilité de ces
dispositifs en axant les indices sur les contextes locaux, les approches de développement et le bien-être humain.
Pour que les stratégies visant à promouvoir la sécurité alimentaire fondées sur l’innovation et les nouvelles
technologies agricoles portent des fruits, il faut qu’elles tiennent compte des capacités existantes et du risque de
renforcer les asymétries de pouvoir, du fait que les ressources disponibles pour gérer les risques climatiques ne
sont pas réparties équitablement131. En Afrique subsaharienne, des efforts accrus sont nécessaires pour répondre
aux impératifs technologiques de l’adaptation, alors qu’on manque encore de données sur l’utilisation actuelle
et potentielle de la numérisation aux fins de pratiques agricoles durables sur le continent, en particulier dans
un contexte d’urbanisation croissante132. Les organisations chefs de file en matière de développement recourent
également à d’autres approches de la sécurité alimentaire pour gérer les risques climatiques associés à la production
alimentaire à des fins d’adaptation locale, parmi lesquelles on peut citer les financements fondés sur les prévisions,
les programmes de microassurance et les mesures préventives133. La viabilité financière, la mise en œuvre et
l’adoption de ces types de programmes par les parties prenantes dans le contexte du changement climatique sont
encore à l’étude, eu égard aux incertitudes que présentent les scénarios climatiques et à la multiplication des aléas
climatiques dans le monde, car ces programmes touchent au partage des risques financiers134.
127 Ziervogel et Zermoglio, 2009.
128 Bouroncle et al., 2017.
129 Mude et al., 2009.
130 Belesova et al., 2019.
131 Bouroncle et al., 2017 ; Pons, 2021.
132 Balogun et al., 2022.
133 Programme alimentaire mondial (PAM), 2019.
134 Elerts, 2019.
228 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
Prendre en compte les asymétries de pouvoir, la distribution foncière et la mobilité humaine
Le modèle de production alimentaire prédominant de l’industrie alimentaire mondialisée vise au premier chef à
accroître la sécurité alimentaire, de l’échelle individuelle à l’échelle nationale et internationale. Les réalités complexes
qui entourent le lien entre le climat, la sécurité alimentaire et la migration nous poussent toutefois à remettre ce
modèle en question. Des éléments factuels portent à croire qu’avec ce modèle, d’importantes populations de pays
en développement ont été aliénées de leurs moyens de production – y compris de l’accès aux terres – et des
politiques contribuant à la dégradation de l’environnement ont été promues135.
Le modèle prédominant a renforcé les asymétries de pouvoir systémiques, telles que le rôle subalterne assigné aux
petits exploitants agricoles. Sous l’angle des dynamiques de la production alimentaire et de la mobilité humaine, les
inégalités d’accès aux terres, les capacités d’adaptation limitées des petits exploitants et les dynamiques d’exclusion
et de discrimination peuvent devenir de puissants facteurs de déplacement136. Des études menées en Asie du
Sud-Est, par exemple, ont montré que l’essor des « mégaplantations » et les rapports de force qui y sont associés
ont entraîné des déplacements humains et non humains dans des environnements divers137. Des processus similaires
ont été observés au Guatemala, où des études ont fait apparaître que dans les provinces de Petén et de Quiché,
au nord du pays, l’expansion du palmier à huile s’est faite à 36 % et à 63 % sur des terres auparavant occupées
par la culture de céréales de base, tandis que 16 % et 22 % de cette expansion s’est faite aux dépens de jachères,
et 17 % et 12 % aux dépens de la forêt tropicale, rien qu’en 2010 et 2019138. Dans ce cas de figure, l’expansion
de l’industrie du palmier à huile a donc porté un coup aux systèmes alimentaires locaux dans les domaines de
l’agriculture de subsistance et a provoqué le déplacement de populations locales. Et dans le nord du Ghana, des
études ont montré que les incertitudes en matière de propriété foncière nuisaient à la sécurité alimentaire, une
situation associée au recours à la migration comme mécanisme d’adaptation139.
Il existe des pratiques prometteuses aux fins de la lutte contre l’insécurité alimentaire à l’échelle locale et de
la prévention des déplacements. On peut citer notamment la promotion de la sécurité d’occupation de terres
agricoles adaptées, les associations qui renforcent la capacité d’action des exploitants agricoles, des mesures prenant
en compte les dimensions de genre ou encore les politiques visant à accroître la diversité alimentaire grâce
à des initiatives de diversification des cultures et d’agroforesterie. En Zambie, par exemple, les mesures visant
à promouvoir l’élevage, notamment par des formations spécifiques, les politiques visant à accroître la sécurité
d’occupation des terres et les associations visant à renforcer la capacité d’action des exploitants ont le potentiel
d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages140. Il est jugé absolument fondamental de garantir
l’occupation de terres par les populations autochtones pour prévenir la dégradation de l’environnement et améliorer
la situation des communautés vulnérables en matière de sécurité alimentaire141.
135 Al-Sayed, 2019.
136 Carte et al., 2019.
137 Kenney-Lazar et Ishikawa, 2019.
138 Hervas, 2021.
139 Nara et al., 2020.
140 Nkomoki et al., 2019.
141 Coalition internationale pour l’accès à la terre, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Réseau
mondial des instruments fonciers (réseau GLTN), 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 229
Politiques centrées sur le bien-être humain
Les réponses politiques tournées vers l’avenir peuvent également être conçues de sorte à prendre en compte
l’accroissement probable de la mobilité humaine dans les années à venir, en raison du rythme des changements
environnementaux et de la fréquence des crises alimentaires et hydriques connexes142, ainsi que la vulnérabilité
potentielle des populations immobiles. La préparation des futurs migrants et des communautés peut permettre
de réduire les vulnérabilités des migrants, d’améliorer la situation des communautés d’origine et de destination et
d’assurer la réalisation des droits humains, en particulier au vu des éventuelles lacunes en matière de protection
auxquelles les migrants seront exposés en l’absence de politiques adaptées. De nombreuses déclarations et
résolutions d’organes chargés des droits humains du monde entier insistent sur ce point, avec un exemple récent
soulignant le rôle important que jouent les acteurs étatiques :
Face aux travailleurs migrants et à d’autres personnes qui se déplacent pour des raisons
directement ou indirectement liées au changement climatique, les États doivent garantir
la régularité des procédures menant à la reconnaissance de leur statut migratoire,
et en tout état de cause garantir leurs droits humains, tels que le principe de nonrefoulement applicable jusqu’à la détermination de leur statut143.
Des politiques sont également nécessaires pour protéger les communautés de migrants et promouvoir la réalisation
de leurs droits humains, à la fois pendant le transit et à destination. Alors que les migrations internes rurales
urbaines se superposent aux migrations internationales dans les centres urbains, le développement de logements
sûrs continuera de figurer parmi les priorités des nouvelles politiques144. Les politiques en la matière doivent prendre
en compte l’accès des communautés de migrants récemment arrivés à une assistance publique. Des éléments
factuels indiquent que les non-ressortissants et les enfants de non-ressortissants risquent davantage d’être exposés
à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire et requièrent une attention particulière145. De plus en plus de travaux
s’intéressent aux effets de la mobilité et des aléas environnementaux sur la santé mentale, notamment à travers
le prisme des dynamiques de genre prédominantes. Ces questions ont revêtu de l’importance après le passage de
l’ouragan Katrina aux États-Unis, ainsi que dans le cadre des processus migratoires ruraux urbains en Jamaïque146,
par exemple.
Les politiques centrées sur l’humain devraient également accorder une attention accrue au bien-être des migrants
saisonniers et temporaires dans le secteur agricole. Différentes analyses du bien-être des travailleurs agricoles
migrants, en particulier dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ont mis en lumière le grand nombre de
situations de vulnérabilité et de violation des droits humains147. Pour une approche globale du couple sécurité
alimentaire et mobilité humaine dans le contexte du changement climatique, les autorités et les employeurs doivent
améliorer les conditions des migrants dans le secteur agricole. Ces travailleurs migrants – comme on a pu le
voir pendant la pandémie de COVID-19 – peuvent compter à la fois parmi ceux qui contribuent le plus au
fonctionnement de base des sociétés dans le monde et parmi les plus marginalisés et les plus exploités148.
142 Carney et Krause, 2020.
143 Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et Rapporteuse spéciale sur les droits économiques, sociaux, culturels et
environnementaux de l’Organisation des États américains, 2021.
144 Villes du C40 et McKinsey Sustainability, 2021.
145 Carney et Krause, 2020.
146 Bleeker et al., 2021.
147 Caxaj et al., 2022.
148 McAuliffe et al., 2021.
230 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures
Voix de migrants
« J’éprouve une grande honte à l’idée de manquer de nourriture. On se demande toujours comment
trouver ce dont on aura besoin le lendemain. Par exemple, si j’achète un poulet, je le coupe toujours en
deux : une moitié pour un jour, et une moitié pour le lendemain. Alors oui, on a peur de manquer de
nourriture. » (Migrante arrivée aux États-Unis).
Source : Carney et Krause, 2020.
Tous ces exemples montrent que, comme exposé plus haut, l’effet de la mobilité climatique dépend très largement
des circonstances dans lesquelles celle-ci se produit149. Il est extrêmement dangereux, même dans le but de justifier
et promouvoir l’action climatique, de simplifier le discours sur le changement climatique et la migration. Une telle
démarche risque d’occulter les forces multiples qui poussent les jeunes migrants du Sahel à émigrer, dans tel ou
tel cas particulier, et détourne l’attention des réponses possibles150. De la même manière, une analyse des médias
britanniques fait apparaître une simplification excessive de la mobilité liée au changement climatique, sortie de son
contexte, qui est susceptible d’amplifier les discours xénophobes et de compromettre l’intégration et la cohésion
sociale151. Pour mobiliser des ressources aux fins d’interventions en faveur de l’adaptation au climat et de la sécurité
alimentaire, il convient de prévenir les discours susceptibles d’encourager les éventuelles réactions négatives à l’égard
des migrants.
149 Oakes et al., 2019.
150 Ribot et al., 2020.
151 Sakellari, 2019.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 231
Conclusions
Des travaux de recherche récents sur les liens entre climat, sécurité alimentaire et migration mettent en évidence
la complexité des relations entre ces trois phénomènes. Dans de nombreux cas, l’insécurité alimentaire renforcée
par l’aggravation des extrêmes climatiques figure effectivement parmi les facteurs qui encouragent les migrations,
mais la relation entre une chose et l’autre reste complexe. L’insécurité alimentaire procède de facteurs multiples,
parmi lesquels le changement climatique joue un rôle important en accroissant les pressions exercées sur les
communautés et les systèmes existants. Cependant, de nombreux exemples montrent que les extrêmes climatiques
ne sauraient être considérés comme les seuls facteurs d’insécurité alimentaire ou de migration, compte tenu des
rapports de force existants, des fragilités en matière de gouvernance, des structures de la production alimentaire
mondialisée ainsi que d’autres facteurs sociaux. En outre, différentes stratégies d’adaptation peuvent souvent être
mises en œuvre avant que les ménages ne choisissent de migrer. La migration peut également prendre plusieurs
formes selon le contexte dans lequel elle se produit, avec un effet variable sur l’adaptation et la sécurité alimentaire.
Dans certains cas, les rapatriements de fonds améliorent la situation sous l’angle de l’adaptation au climat et de la
sécurité alimentaire ; dans d’autres, des dynamiques locales empêchent cette amélioration, dans un contexte général
dans lequel la migration interne tend à aggraver les choses, alors que les voies de migration internationale restent
rares et difficiles d’accès pour les populations les plus vulnérables.
Cette complexité détermine les domaines dans lesquels il faut élaborer des politiques, pour prévenir les catastrophes
et promouvoir la résilience en renforçant l’efficacité des interventions axées sur la sécurité alimentaire, en luttant
contre les facteurs négatifs de migration et en tenant compte de la situation des migrants pendant le transit et
à destination. Les travaux de recherche et les éléments factuels mettent en évidence la nécessité d’interventions
hautement contextuelles qui visent les inégalités et les rapports de force connexes, y compris sous l’angle du
genre, mettent à profit les savoirs locaux et autochtones, et évaluent avec soin les éventuels effets néfastes sur les
populations vulnérables. L’élaboration de politiques relatives à la migration climatique évolue rapidement à la faveur
de cadres internationaux de recherche et d’orientation innovants, tels que le Pacte mondial sur les migrations
ainsi que le volet pertes et préjudices et le volet adaptation de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques. Ce faisant, il est primordial de prêter attention aux obligations et pratiques relatives aux
droits humains pour combler les lacunes de protection des plus vulnérables. Dans ce contexte, les simplifications
excessives – par exemple les discours qui ignorent l’agentivité des migrants et tendent à alimenter les craintes que
peuvent inspirer les migrations pour justifier les interventions en faveur de l’action climatique et de la sécurité
alimentaire – risquent de promouvoir les propos xénophobes.
Compte tenu de ce qui précède, et de l’interdépendance entre changement climatique, sécurité alimentaire
et mobilité humaine, il est possible d’identifier, sans prétendre à l’exhaustivité, les domaines d’intervention qui
pourraient faire avancer une action innovante axée sur la situation des plus vulnérables : - Il est impératif d’analyser les causes multiples des chocs en tenant compte des liens complexes qui existent
entre le changement climatique, la sécurité alimentaire (et l’insécurité alimentaire) et la mobilité humaine dans
son ensemble. Lors de cette analyse, il faut porter une attention suffisante aux réalités locales, aux dynamiques
de genre, aux asymétries de pouvoir et aux conditions dans lesquelles le changement climatique aggrave les
difficultés existantes. Les politiques qui ignorent les réalités locales, sociales et économiques risquent de donner
lieu à des stratégies d’adaptation au climat qui reproduisent les vulnérabilités au lieu de les réduire ;
232 Changement climatique, insécurité alimentaire et mobilité humaine : interactions, éléments factuels et mesures - Il convient également d’analyser les effets de la migration dans les communautés tant d’accueil que d’origine,
ainsi que pour les communautés et les personnes qui restent sur place. Cette analyse doit prendre en compte
les mouvements actuels et attendus des zones rurales vers les zones urbaines (à l’intérieur et au-delà des
frontières politiques) et le niveau de préparation qui existe dans les communautés d’accueil sous la forme de
cadres juridiques et de plans d’adaptation au changement climatique. Pour établir des priorités d’action sur la
base de cette analyse, on pourra s’appuyer sur les récents travaux de recherche menés dans différentes zones
géographiques et déterminer des conditions favorables susceptibles de produire des effets positifs sous l’angle
de la migration – sur le plan de l’adaptation au climat et de la sécurité alimentaire – en fonction des situations
locales ; - Les éléments factuels et les informations ne sont toutefois pas suffisants. En effet, le financement de l’action
pour le climat joue un rôle déterminant pour passer des connaissances aux actes et contribuer concrètement
à la réduction des risques de catastrophe et à d’autres stratégies de prévention et d’adaptation. Des ressources
sur le terrain sont nécessaires pour permettre aux populations de faire face avec efficacité aux futurs effets du
changement climatique, qu’elles choisissent de rester ou de partir ; - Enfin, les solutions innovantes doivent reposer sur une analyse des vulnérabilités au plan local et accorder la
priorité au bien-être des personnes, en appréhendant la migration comme un mécanisme viable de gestion
des risques climatiques. Le rôle de l’industrie alimentaire dans la mise en œuvre de politiques visant à réduire
la faim dans le monde peut être réexaminé sous l’angle des nombreuses pratiques qui nuisent au bien-être
des communautés, réduisent la sécurité alimentaire et constituent des facteurs directs de déplacement. Les
politiques axées sur l’innovation et les technologies aux fins de la gestion des risques climatiques doivent être
évaluées de manière à identifier la manière dont elles limitent les petits exploitants agricoles et leur capacité
à innover, lorsque les moyens d’action sont restreints. Ce processus ne doit toutefois pas viser à intégrer ces
considérations dans des politiques datées : il faut plutôt repartir de zéro et lancer un processus approfondi et
inclusif auprès des communautés touchées.
ANDREA MILAN
AMANDA BISONG
PADDY SIYANGA KNUDSEN
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 235
8VERS UNE GOUVERNANCE MONDIALE DES
MIGRATIONS ? DE LA COMMISSION MONDIALE
SUR LES MIGRATIONS INTERNATIONALES DE
2005 AU FORUM D’EXAMEN DES MIGRATIONS
INTERNATIONALES DE 2022 ET AU-DELÀ1
Introduction
Reposant sur des fondements jetés au début des années 2000 et ancré dans le Programme de développement
durable à l’horizon 2030, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, adopté en 2018,
a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la gouvernance mondiale des migrations2
. Comme le Secrétaire
général des Nations Unies le faisait observer deux ans après l’adoption du Pacte mondial, « la mise en œuvre de
celui-ci n’est pas uniforme et prend un sens différent selon les États »3
; de fait, la reconnaissance des différences de
capacités et de priorités constitue l’une des grandes forces de cet instrument. L’édition 2022 du Forum d’examen
des migrations internationales a également représenté une étape importante : pour la première fois, les États
Membres des Nations Unies et les parties prenantes ont mené une discussion sur les progrès accomplis en vue de
la réalisation des objectifs du Pacte mondial sur les migrations, qui a abouti à l’adoption unanime d’une Déclaration
sur les progrès réalisés4
.
Le présent chapitre s’appuie sur des chapitres de deux précédents rapports État de la migration dans le monde
retraçant l’histoire de la gouvernance des migrations comme la dernière grande question multilatérale que les Nations
Unies ont intégrée dans leur action. Dans le Rapport État de la migration dans le monde 2018, un chapitre consacré
à la gouvernance mondiale des migrations offrait une définition de la gouvernance des migrations et exposait des
aspects clés de l’architecture pertinente pour la gouvernance mondiale des migrations. Il décrivait également les
principaux dialogues et initiatives du début du siècle qui ont joué un rôle déterminant dans l’adoption, en 2016, de
la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants et pour les négociations intergouvernementales qui
ont suivi. Le Rapport État de la migration dans le monde 2020 proposait une analyse, sous l’angle des processus et
du fond, de l’élaboration et de l’adoption du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ainsi
que du Pacte mondial sur les réfugiés, qui mettait en évidence la complémentarité, la cohérence et les lacunes des
deux pactes. Il exposait également les incidences sur la gouvernance mondiale des migrations5
de ces instruments et
de la création du Réseau des Nations Unies sur les migrations. Ces chapitres, avec le premier chapitre du Rapport
État de la migration dans le monde 2022, qui décrivait les principales mutations technologiques, géopolitiques et
1 Andrea Milan, Administrateur de données, Centre mondial d’analyse des données sur la migration de l’OIM ; Amanda Bisong, Spécialiste
des politiques, Centre for Africa-Europe relations ; Paddy Siyanga Knudsen, Chercheuse indépendante.
2 Guild, 2021 ; Klein Solomon et Sheldon, 2019 ; Newland et al., 2019.
3 Nations Unies, 2020.
4 Nations Unies, 2022a.
5 Martin et Weerasinghe, 2017 ; Newland et al., 2019.
236 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
760
environnementales influant sur la gouvernance des migrations, en particulier depuis le début de la pandémie, offrent
une vue d’ensemble de l’évolution de la migration jusqu’en 20216
.
Le présent chapitre s’inscrit dans le prolongement du chapitre du Rapport État de la migration dans le monde
2020 consacré à la gouvernance mondiale des migrations, qui s’achevait sur les incidences de cette nouvelle
architecture sur l’évolution de la coopération internationale en matière de migration. Il revient sur le Forum
d’examen des migrations internationales de 2022 et adopte un angle historique en exposant la mesure dans laquelle
les recommandations du rapport publié en 2005 par la Commission mondiale sur les migrations internationales
– le rapport le plus important des Nations Unies sur les migrations internationales jusqu’à la Déclaration de New
York pour les réfugiés et les migrants – se retrouvent dans la coopération internationale contemporaine en matière
de gouvernance des migrations. Ce chapitre met également en lumière les insuffisances subsistantes de l’architecture
actuelle dans la prise en compte des complexités et des réalités de la migration dans le climat géopolitique actuel,
et présente des considérations sur la gouvernance des migrations à l’échelle régionale uniquement, sans s’intéresser
à l’échelle nationale et locale7
.
Après une mise en contexte, la troisième partie du présent chapitre s’intéresse à l’évolution de la coopération
internationale en matière de migration au cours des quinze années qui se sont écoulées entre le lancement de la
Commission mondiale sur les migrations internationales (2003) et l’adoption du Pacte mondial sur les migrations
par les États Membres (2018), et met en lumière les principaux processus et manifestations, ainsi que le rôle
central joué par le Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD) et les conséquences des crises
systémiques et des mutations géopolitiques. La quatrième section pose un regard critique sur les résultats du Forum
d’examen des migrations internationales. La section suivante étudie plus avant certaines des questions litigieuses et
des principales tensions présentes dans les débats politiques sur la gouvernance mondiale des migrations qui sont
apparues lors du Forum. Le chapitre s’achève par une réflexion sur les attentes, les défis et les possibilités entre la
première édition du Forum d’examen des migrations internationales et l’année 2030.
Gouvernance des migrations à l’échelle mondiale : un dispositif multipartite
La gouvernance mondiale des migrations, qui prenait auparavant la forme d’une coopération internationale en
matière de migration, a évolué vers le dispositif multipartite actuel placé sous la houlette des Nations Unies8
. Les
États Membres ont, tout au long des négociations menées aux fins du Pacte mondial sur les migrations, réaffirmé
que la gouvernance des migrations était un élément fondamental de la souveraineté nationale, et ont insisté sur le
rôle de la coopération internationale en matière de migration dans le cadre du Pacte mondial sur les migrations9
.
6 McAuliffe et Triandafyllidou, 2021.
7 Pour une vue d’ensemble des tendances récentes en matière de gouvernance nationale des migrations dans le monde en lien avec le Pacte
mondial sur les migrations, veuillez consulter OIM, 2022. Grâce à l’initiative relative aux indicateurs de gouvernance des migrations, l’OIM
a évalué la gouvernance des migrations dans des douzaines de pays et d’autorités locales dans le monde entier, voir OIM, s.d.a.
8 Thouez, 2019.
9 Le Pacte mondial sur les migrations débute en ces termes : «Nous, chefs d’État et de gouvernement et hauts représentants, réunis au
Maroc les 10 et 11 décembre 2018, réaffirmant la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants et déterminés à apporter
une contribution importante au renforcement de la coopération relative aux migrations internationales sous tous leurs aspects, avons
adopté le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ».
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 237
Définir la gouvernance des migrations
Selon la Commission mondiale sur les migrations internationales, «dans le domaine des migrations
internationales, la gouvernance prend différentes formes, telles que les politiques et programmes migratoires
nationaux, les pourparlers et accords entre États, les forums et les processus consultatifs multilatéraux, les
activités des organisations internationales, ainsi que les lois et les normes »a
. Plus récemment, s’appuyant
également sur des définitions ultérieuresb
, processus qui déterminent et régulent la façon dont les États
abordent la migration sous toutes ses formes, en prenant en compte les droits et les responsabilités et en
promouvant la coopération internationale »c
.
a Commission mondiale sur les migrations, 2005 : 65.
b Telles que celle proposée dans Betts, 2011.
c OIM, 2019.
Contrairement à d’autres domaines de la mondialisation tels que le commerce, la mobilité humaine n’est régie
par aucun dispositif unique à l’échelle mondiale10. Des discussions internationales ayant trait à la gouvernance des
migrations ont lieu parallèlement dans différentes enceintes mondiales et régionales, tandis que la gouvernance
mondiale des migrations a été décrite comme instable, ajustable, fluctuante, fragmentaire et faible dans le meilleur
des cas, voire non existante dans certains secteurs11. Néanmoins, la Déclaration de New York pour les réfugiés et
les migrants adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2016, puis l’élaboration du Pacte mondial sur
les migrations en 2018 et l’approbation à l’unanimité de la Déclaration sur les progrès réalisés du Forum d’examen
des migrations internationales quatre ans plus tard ont marqué des étapes importantes sur la voie d’une gouvernance
mondiale des migrations12. Ces jalons procèdent des avancées accomplies par les États et d’autres acteurs vers
une approche plus intégrée de la gouvernance des migrations, et reposent sur des années de collaboration en
dehors des processus officiels des Nations Unies, en particulier dans le cadre du Forum mondial sur la migration
et le développement. La souplesse et la nature juridique non contraignante du dispositif de gouvernance mondiale
des migrations résultent du souhait des États de convenir d’un cadre mondial de coopération internationale sur
la migration n’entraînant pas d’engagements juridiquement contraignants, qui auraient pu engendrer des difficultés
d’ordre politique à l’échelle nationale. La souplesse de la gouvernance mondiale des migrations reflète également
l’importance cruciale des consultations et dialogues régionaux qui ont contribué de manière essentielle à la création,
après la Seconde Guerre mondiale, des institutions mondiales aujourd’hui chargées des migrations, et qui depuis
continuent de jouer un rôle central13.
10 Sykes, 2013.
11 Kainz et Betts, 2021 ; Sahin-Mencutek et al., 2022.
12 Duncan, 2019 ; McAdam, 2019.
13 Lavenex et Piper, 2022 ; Martin et Weerasinghe, 2017.
238 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Au cours des deux dernières décennies, le nombre et l’éventail des acteurs qui contribuent à façonner la gouvernance
mondiale des migrations se sont accrus, comme en témoigne la participation d’un nombre important d’acteurs non
étatiques au Forum d’examen des migrations internationales14. Ces parties prenantes étaient déjà présentes, actives
et visibles dans le processus qui a abouti à l’adoption du Pacte mondial sur les migrations et du Pacte mondial sur
les réfugiés, plaidant en faveur des droits et de la protection, et notamment des droits humains des migrants15.
Les groupes de migrants et les organisations dirigées par des migrants ont contribué de manière essentielle à faire
entendre la voix des migrants dans les dialogues mondiaux, en s’employant à faire reconnaître l’importance d’une
gouvernance inclusive16. Parallèlement, le secteur privé a promu des solutions pratiques innovantes aux difficultés
rencontrées par les migrants à la faveur de groupes tels que Tent Partnership for Refugees, Concordia, le Partenariat
mondial sur les compétences et l’Interface des entreprises du FMMD. Les activités menées par le secteur privé
à l’échelle mondiale ont ouvert la voie à des évolutions politiques mises en œuvre conformément aux objectifs
clés du Pacte mondial sur les migrations. Ces acteurs ont contribué à l’établissement de l’architecture multipartite
actuelle de gouvernance des migrations au niveau mondial, renforçant le besoin de transparence et la nécessité
d’adopter une approche axée sur les droits et des mesures politiques innovantes en collaboration avec les États et
les organismes internationaux17.
Au sein des États, les gouvernements locaux et régionaux exercent une influence croissante sur la définition des
priorités mondiales en matière de migration, en collaborant pour construire les discours qui les étayent18. Les villes
sont devenues des acteurs majeurs des discussions mondiales sur la migration, ce qui s’explique par le fait que leur
coopération et leurs activités influent directement sur la vie des migrants installés en zone urbaine19. Par exemple,
le Conseil des maires pour les migrations a joué un rôle central dans les débats relatifs à la gouvernance climatique,
à l’accueil et à l’intégration. Parallèlement à la gouvernance mondiale, nationale et locale des migrations, on assiste
dans plusieurs États à l’émergence d’une transgouvernance à différentes échelles, dans le cadre de laquelle les
acteurs interviennent à plusieurs niveaux de gouvernance pour défendre leurs intérêts ou veiller à ce que ceux-ci
soient protégés20.
14 Parmi ces acteurs non étatiques figurent des organisations non gouvernementales, des établissements universitaires, des institutions
scientifiques et intellectuelles, le secteur privé, des syndicats, des organisations d’inspiration religieuse, des organisations de migrants et
de jeunes, des communautés de la diaspora et d’autres parties prenantes concernées. Voir OIM, s.d.b.
15 Rother, 2022.
16 Piper, 2015.
17 Appleby, 2020.
18 Stürner-Siovitz, 2022.
19 Schweiger, 2023.
20 Thouez, 2019. Cela se traduit également par le nombre croissant de pays qui participent aux évaluations réalisées sur la base des
indicateurs de gouvernance des migrations (IGM) à plusieurs niveaux de gouvernance. Voir OIM, s.d.a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 239
De la Commission mondiale sur les migrations internationales au
Pacte mondial sur les migrations
La Commission mondiale sur les migrations internationales : préparatifs et résultats
S’appuyant sur une coopération internationale qui remonte à la fin de la Première Guerre mondiale, le Programme
d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement adopté au Caire en 1994 comprenait
un chapitre relatif aux migrations internationales. Entre autres choses, ce chapitre prônait l’intensification de la
coopération et du dialogue entre les pays21. Pour y donner suite, trois enquêtes ont été soumises par les Nations
Unies à leurs États Membres en 1995, 1997 et 1999 dans le but de recueillir leurs points de vue quant à la
convocation d’une éventuelle conférence internationale sur les migrations internationales. Toutefois, un certain
nombre de gouvernements avaient formulé de sérieuses réserves à cet égard22.
Dans les années 2000 et au début des années 2010, plusieurs dialogues et initiatives ont contribué de manière
déterminante à donner une impulsion et à instaurer un climat de confiance aux fins d’une action plus ambitieuse à
l’échelle mondiale, parmi lesquels on peut citer le Groupe mondial sur la migration, un mécanisme interorganisations
clé des Nations Unies23. Le début du siècle a marqué un tournant dans l’attitude des États à l’égard de la coopération
internationale en matière de migration, ce qui a entraîné une accélération remarquable des avancées : la première
Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des migrants a été nommée par le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies en 1999 ; l’Initiative de Berne et le forum régulier de l’OIM intitulé Dialogue international sur la
migration ont été lancés en 2001 ; dans son rapport de 2002 sur le renforcement des Nations Unies, le Secrétaire
général Kofi Annan a inscrit la migration parmi les priorités des Nations Unies24 ; et en mai 2003, la Commission
des Nations Unies sur la sécurité humaine estimait dans son rapport final qu’une commission de haut niveau à large
assise devait étudier les possibilités et les consensus envisageables, y compris des dispositifs institutionnels alternatifs,
dans le domaine de la gouvernance mondiale des migrations25. Ces changements sont intervenus à un moment où
des économistes et des institutions financières internationales ont mis en lumière les effets positifs des migrations
et des rapatriements de fonds sur le développement, auparavant sous-estimés26.
En décembre 2003, conjointement avec un certain nombre de gouvernements, le Secrétaire général a lancé la
Commission mondiale sur les migrations internationales. Bien que la Commission ait mené ses activités en toute
indépendance et que ses membres et coprésidents aient agi à titre individuel, la participation des États Membres
a largement contribué à sa réussite et à son impact, notamment à travers les processus consultatifs régionaux sur
la migration (PCR)27.
21 Betts et Kainz, 2017 ; Lebon-McGregor, 2020.
22 Nations Unies, 2001.
23 Martin et Weerasinghe, 2017.
24 Nations Unies, 2002.
25 Commission sur la sécurité humaine, 2003 : 45.
26 Par exemple, De Haan, 1999 ; Ratha, 2003.
27 Lavenex et Piper, 2022.
240 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
La Commission mondiale sur les migrations internationales était composée de 19 membres issus de toutes les
régions et réunissant un large éventail de points de vue et de compétences spécialisées en matière de migration.
Son triple mandat poursuivait trois objectifs28. Premièrement, en sa qualité de tout premier groupe mondial chargé
des migrations internationales, elle devait élever celles-ci au rang de priorité mondiale. Deuxièmement, elle était
chargée d’analyser les lacunes des approches politiques de l’époque en matière de migration. Troisièmement, elle
devait présenter des recommandations sur les moyens de renforcer la gouvernance nationale, régionale et mondiale
des migrations internationales, en traduisant la réalité complexe des migrations internationales et les considérations
politiques connexes en principes d’action conformes à des objectifs communs et à une vision partagée par tous
les États Membres des Nations Unies.
La Commission a adopté une vaste approche consultative pour mener à bien ses tâches, organisant 5 consultations
régionales et faisant établir 8 rapports régionaux, 13 rapports thématiques et 56 articles29. Le rapport final de la
Commission, intitulé « Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives d’action », expose six
principes d’action, assortis d’un ensemble de recommandations. Chaque principe fait l’objet d’un chapitre spécifique
décrivant son importance et les recommandations clés (voir tableau 1). Le chapitre relatif à la gouvernance met
en relief le fait qu’une bonne gouvernance des migrations à l’échelle nationale constitue la base d’une coopération
bilatérale et multilatérale plus efficace entre les États, et identifie quatre grands défis liés à la gouvernance des
migrations à l’échelle nationale : la cohérence des politiques, la coordination interministérielle, les capacités et les
ressources, et la coopération avec d’autres États. Comme exposé dans les sections suivantes, ces défis clés sont
toujours d’actualité pour de nombreux États dans le monde.
28 OIM, s.d.b.
29 Ibid.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 241
Tableau 1. Recommandations clés de la Commission mondiale sur les migrations internationales
et objectifs du Pacte mondial sur les migrations
Principes d’action
définis par la
Commission
Résumé des recommandations Objectifs correspondants du
Pacte mondial sur les migrations
Migrer par choix
- Prendre en compte l’accroissement des
migrations dans la formulation des politiques
migratoires. - Adopter des approches souples et réalistes
en ce qui concerne les voies de migration
internationale, y compris les voies de
migration temporaire et de migration de
main-d’œuvre. - Créer des emplois offrant des conditions de
travail décentes et des moyens de subsistance
durables.
Renforcer l’impact
sur l’économie et
le développement - Favoriser la formation de capital humain et
coopérer en vue d’offrir au vivier mondial
de personnel qualifié des rémunérations, des
conditions de travail et des perspectives de
carrière appropriées. - Encourager le transfert et l’investissement
de fonds au moyen de systèmes officiels
favorisant la croissance et la compétitivité. - Mettre à profit les effets de la migration de
retour et de la migration circulaire sur le
développement.
Aborder la
question de
la migration
irrégulière - Amorcer un débat objectif sur les
conséquences négatives de la migration
irrégulière et sa prévention. - S’attaquer aux conditions qui favorisent la
migration irrégulière et prendre des mesures
pour résoudre la situation des migrants en
situation irrégulière. - Intensifier les efforts visant à lutter contre le
trafic illicite de migrants et la traite d’êtres
humains.
242 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Principes d’action
définis par la
Commission
Résumé des recommandations Objectifs correspondants du
Pacte mondial sur les migrations
Renforcer la
cohésion sociale
par l’intégration - Respecter pleinement les droits des
migrants; veiller au respect des normes
de travail élémentaires; protéger les
migrants contre l’exploitation et les mauvais
traitements. - Promouvoir la pleine intégration des
migrants dans la société, en portant une
attention particulière à l’autonomisation,
ainsi qu’à la protection des droits des
femmes et des enfants migrants. - Envisager les migrations internationales de
manière objective et responsable.
Protéger les
droits des
migrants - Veiller à ce que la responsabilité incombant
aux États de protéger les personnes qui
se trouvent sur leur territoire soit mise en
pratique, de manière à réduire les pressions
qui incitent à la migration, à protéger les
migrants en transit et à garantir les droits
humains dans les pays de destination. - Veiller à ce que tous les migrants soient en
mesure de bénéficier d’un travail décent et
soient protégés contre l’exploitation et les
abus. - Renforcer le cadre normatif des migrations
internationales et veiller à ce que ses
dispositions soient appliquées de manière
non discriminatoire.
Renforcer la
gouvernance :
cohérence,
capacité et
coopération - Établir des politiques migratoires
nationales cohérentes, basées sur des
objectifs convenus, qui respectent le droit
international, y compris relatif aux droits
humains. - Coopérer avec d’autres États et avec des
organisations régionales et internationales
afin de formuler des politiques migratoires
nationales, notamment à la faveur d’accords
bilatéraux et grâce à l’apport de ressources
et d’expertise. - Faire en sorte que les processus consultatifs
régionaux sur la migration couvrent le
monde entier, fassent intervenir la société
civile et le secteur privé et ne soient pas
focalisés seulement sur le contrôle des
migrations.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 243
La gouvernance des migrations après la Commission mondiale sur les migrations internationales
Une quinzaine d’années ont passé entre le lancement de la Commission mondiale sur les migrations internationales
en 2003 et l’adoption du Pacte mondial sur les migrations en 2018, et presque deux décennies entre le lancement de
la Commission et celui du Forum d’examen des migrations internationales en 2022. Durant cette période, plusieurs
processus mondiaux ont contribué à la gouvernance mondiale des migrations contemporaine. La figure 1 présente
une chronologie de manifestations et de cadres clés. Il convient toutefois de noter que les cadres internationaux
n’ont pas tous recueilli un soutien universel, et que la figure ne présente pas certains grands processus tels que les
dialogues internationaux sur la migration, les PCR et les sessions du Conseil de l’OIM qui ont ouvert la voie aux
manifestations listées et les ont nourries30. Au sein comme en dehors du système des Nations Unies, ces processus
clés ont contribué de manière déterminante à la définition des priorités mondiales en matière de migration31.
Les migrations et leur gouvernance ont donc également été façonnées par un certain nombre de mutations
environnementales, géopolitiques et technologiques (« quatrième révolution industrielle »)32.
Figure 1. Manifestations et processus internationaux clés 2003-2022
Dialogue de haut
niveau 2013 : Dialogue
de haut niveau
des Nations Unies
sur les migrations
internationales et le
développement
Commission
mondiale sur
les migrations
internationales
Accord de Paris/
Équipe spéciale
chargée de la question
des déplacements de
population relevant
du Mécanisme
international de
Varsovie
Réunion plénière
de haut niveau
des Nations Unies
sur la gestion
des déplacements
massifs de réfugiés
et de migrants
Pacte mondial sur
les réfugiés
2003 2006 2013 2015 2016 2018 2022
Dialogue de haut niveau
2006 : Dialogue de haut niveau
des Nations Unies sur les
migrations internationales et
le développement Groupe
mondial sur
la migration
Réseau des
Nations Unies
sur les migrations
Examens régionaux
du Pacte mondial
sur les migrations
Forum mondial
sur la migration et
le développement
(FMDD)
Programme de
développement
durable
Conférence
intergouvernementale
chargée d’adopter le
Pacte mondial sur les
migrations
Premier Forum
d’examen des
migrations
internationales
30 Klein Solomon, 2005.
31 Voir par exemple la contribution du FMMD sous Forum mondial sur la migration et le développement, s.d.a.
32 Pour une réflexion sur les effets de ces mutations sur la migration et la gouvernance des migrations, voir McAuliffe et Triandafyllidou,
2021.
244 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Impact de la Commission mondiale sur les migrations internationales
Les travaux menés par la Commission ont jeté les fondements d’autres processus mis en place après la publication
du rapport de la Commission en décembre 2005. Du triple mandat de la Commission aux recommandations
formulées dans son rapport, ses vastes incidences sur la gouvernance des migrations sont visibles dans les processus
du Pacte mondial sur les migrations et du Forum d’examen des migrations internationales. Néanmoins, les États
étaient et restent réticents à déléguer un pouvoir officiel de réglementation en matière de migration à une autorité
mondiale supranationale, et certaines voix ont fait observer que les discussions sur la gouvernance internationale
des migrations étaient par conséquent souvent axées sur l’architecture institutionnelle de coopération et/ou des
principes sous-jacents communs33. D’autres ont identifié quatre grandes limites à la gouvernance nationale des
migrations – une coopération intergouvernementale minimale, une coordination insuffisante en matière d’élaboration
des politiques, un déficit de capacités permettant de maximiser les avantages des migrations (en particulier dans les
États à faible revenu), et un manque de cohérence des politiques à l’échelle internationale – et ont plaidé en faveur
de la mise en œuvre des recommandations formulées par la Commission mondiale sur les migrations internationales
plutôt que de systèmes de gouvernance nationaux34.
La Commission mondiale sur les migrations internationales et ses résultats
Le rapport de la Commission intitulé « Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives
d’action », publié en 2005, mettait en exergue les principaux axes de réflexion dégagés par la Commission
dans le domaine de la migration et du développement : la migration, la croissance économique et le marché
du travail, la migration irrégulière, les migrants dans la société, la protection des migrants ainsi que la
gouvernance des migrations. Certaines propositions étaient également formulées en regard de conclusions
clés, exprimant une position claire et sont axées sur les politiques migratoires.
La Commission avait abouti à la principale conclusion que les politiques migratoires devaient être fondées
sur des objectifs partagés et sur une vision commune. Elle proposait donc un cadre mondial global et
cohérent reposant sur 6 principes d’action et 33 recommandations connexes.
Dans son rapport, la Commission concluait que la communauté internationale n’avait pas réussi à réaliser
le plein potentiel qu’offrent les migrations internationales et n’avait pas été à la hauteur des possibilités et
défis que présente la migration. Elle préconisait de renforcer la cohérence, la coopération et les capacités
pour une gouvernance des migrations plus efficace à l’échelle nationale, régionale, et mondialea
.
Le sixième principe d’action défini dans le rapport de la Commission, «Créer la cohérence : la gouvernance
des migrations internationales », demeure aujourd’hui d’actualité. Il reposait sur trois piliers : capacités
accrues au niveau national, collaboration renforcée entre les États au niveau régional, et une coopération
plus solide entre les États et les acteurs internationaux au niveau mondial. Les six recommandations
regroupées sous ce principe tiennent compte des liens qui existent entre les migrations internationales et
le développement dans les grands domaines stratégiques que sont le commerce, l’aide, la sécurité de l’État,
la sécurité humaine et les droits humains.
a Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, 2005 : 2-3.
33 Newland, 2005 : 6.
34 Süssmuth et Morehouse, 2012.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 245
Le rapport de la Commission mondiale sur les migrations internationales préconisait de traiter les problèmes de
sécurité humaine associés aux migrations internationales de façon plus approfondie, en particulier à la lumière
d’autres questions stratégiques clés telles que la sécurité de l’État, l’aide, le commerce et les droits humains.
L’attention particulière portée à la sécurité humaine a permis de mettre à profit la dynamique politique à l’échelle
mondiale pour relever les défis migratoires et offrir une protection aux migrants vulnérables.
Le rapport a également jeté de solides fondements pour une coopération mondiale auxquels les États – et la
communauté internationale en général – ont répondu de différentes manières : certains ont promu les principes
défendus dans le rapport et collaboré avec des groupes dans le but de relever les défis migratoires; tandis que
d’autres n’ont pas donné suite aux recommandations formulées par la Commission, ou s’en sont écartés lorsqu’elles
touchaient à des questions litigieuses (telles que l’approche axée sur les droits des migrants). Il est communément
admis que la Commission mondiale sur les migrations internationales a orienté le programme de travail du premier
Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement tenu par l’Assemblée générale des
Nations Unies, influant sur les conclusions de la présidence et, partant, déterminant les priorités de l’action menée
par la suite dans le domaine de la gouvernance mondiale. La Commission a également stimulé le débat sur la
gouvernance mondiale des migrations entre les États, bien que cela n’ait pas abouti à un cadre multilatéral cohérent
officiel de gouvernance des migrations35.
Le Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD) et son
importance
Créé sur proposition du Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan dans le cadre du Dialogue de haut niveau
de 2006, le Forum mondial sur la migration et le développement est un processus informel et non contraignant
piloté par les États qui permet d’orienter le débat mondial sur la migration et le développement. Le FMMD, conçu
comme un espace de dialogue constructif sur les migrations internationales entre les États, constitue également
une enceinte associant l’ensemble des pouvoirs publics et de la société qui permet aux gouvernements d’échanger
avec un large éventail d’acteurs, notamment la société civile, le secteur privé, les jeunes, les migrants et la diaspora,
le système des Nations Unies, les milieux universitaires et les municipalités. Il a pour objectif principal d’éclairer
et d’influencer les politiques et les pratiques dans le cadre d’un dialogue informel – y compris sur des questions
délicates – tout en dégageant des consensus parmi les acteurs et en recherchant des solutions innovantes. Ses
trois principaux mécanismes de collaboration avec les parties prenantes (à savoir l’Interface des entreprises, le
Mécanisme de la société civile et le Mécanisme des maires) ont revêtu une importance déterminante en vue de
faire en sorte que ces points de vue éclairent les négociations relatives au Pacte mondial sur les migrations et les
discussions relatives à sa mise en œuvre. Au fil des ans, le Forum a permis de renforcer la coopération internationale
multipartite en facilitant l’instauration d’un climat de confiance entre les États et les acteurs non étatiques.
35 Ibid.
246 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Gouvernance des migrations et Programme 2030 : Aperçu
Avec l’adoption en 2015 du Programme de développement durable à l’horizon 2030, la migration a été
reconnue pour la première fois dans un document international d’envergure sur le développement comme
un puissant facteur de développement durable pour les migrants et les communautés. La migration y est
présentée comme une question transversale qui concerne les 17 objectifs de développement durable
(ODD), une cible spécifique (10.7) de l’ODD 10 consistant à « faciliter la migration et la mobilité de façon
ordonnée, sûre, régulière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques migratoires
planifiées et bien gérées ». Par ailleurs, d’autres cibles et indicateurs des ODD montrent l’importance
d’aspects particuliers de la migration, qui sont pris en considération dans leur champ d’application et leur
mise en œuvre.
Le FMMD a revêtu une importance déterminante en vue de faire en sorte que la migration soit prise en
compte dans le Programme 2030, notamment grâce à un groupe de travail ad hoc sur le Programme 2030
(qui est ensuite devenu le Groupe de travail du FMMD sur le développement durable et les migrations
internationales, chargé tant du Programme 2030 que du Pacte mondial sur les migrations). Sa participation
à la mise en œuvre du Programme 2030 est manifeste dans les rapports annuels qu’il présente depuis 2017
au Forum politique de haut niveau pour le développement durable, ses contributions prenant la forme
d’analyses et de recommandations relatives à la mise en œuvre des ODD et des cibles connexes.
L’importance particulière accordée à la migration dans les ODD a rappelé aux gouvernements la nécessité
de renforcer l’inclusion et d’intégrer la migration dans le développement, mais également d’identifier
les lacunes et les défis dans les données, politiques, réponses et mesures concrètes face aux enjeux
du développement. Au fil des ans, l’accent mis sur la migration a nécessité de renforcer les capacités
d’orientation à l’échelle nationale et infranationale en matière de prise en compte systématique de la
migration dans la planification au niveau local et national, un domaine où les liens entre la migration et
le développement dans le contexte des ODD devaient être mieux compris à des fins de mise en œuvre.
Cela a également supposé de s’intéresser à la migration au-delà des politiques connexes et dans tous les
secteurs de gouvernance.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un forum officiel des Nations Unies, le FMMD a joué un rôle déterminant dans les
préparatifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030, en définissant une position communiquée
au Secrétaire général des Nations Unies. Il a également joué un rôle essentiel en amont du Pacte mondial sur les
migrations, en organisant une série de dialogues et d’ateliers thématiques. À cette fin, le Forum a mené des activités
visant à formuler des idées et à dégager des consensus à l’appui de l’établissement du Pacte, notamment par des
ateliers, des tables rondes et, surtout, un recueil thématique des textes issus du FMMD entre 2007 et 2017.
De fait, comme exposé dans le préambule du Pacte mondial sur les migrations, les contributions du FMMD ont
ouvert la voie à son élaboration36. La comparaison entre le recueil thématique 2007-2017 du FMMD (la contribution
du Forum au processus du Pacte mondial sur les migrations) et le texte définitif du Pacte mondial sur les migrations
montre que plus de 50 options stratégiques et mesures concrètes proposées par le FMMD ont été reprises dans les
objectifs du Pacte mondial sur les migrations. Une analyse détaillée fait apparaître une similitude fréquente entre les
36 Nations Unies, 2018a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 247
termes utilisés dans le Pacte mondial sur les migrations et ceux utilisés dans les réflexions thématiques du FMMD,
en particulier pour ce qui est des mesures concrètes (telles que les filières de migration régulière et la lutte contre
la traite d’êtres humains)37. Par ailleurs, le Pacte mondial sur les migrations invite explicitement le FMMD à organiser
chaque année un débat informel sur la mise en œuvre du Pacte38.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières :
Examen rapproché
Le discours relatif à la gouvernance mondiale des migrations a beaucoup évolué, malgré certaines résistances à une
compréhension pleinement contextualisée de la migration. Le Pacte mondial sur les migrations constitue une avancée
majeure vers une approche de la gouvernance des migrations multilatérale et mobilisant l’ensemble de la société,
qui inscrit l’élaboration de politiques et les analyses migratoires dans un contexte plus large. Pour la première fois,
les États Membres disposent d’un cadre commun leur permettant de discuter des progrès accomplis en matière
de gouvernance des migrations. Le Pacte encourage le déploiement d’efforts concertés et coordonnés en faveur
d’une approche mobilisant l’ensemble des pouvoirs publics et de la société, en soulignant la dimension mondiale
de la question migratoire. Avant 2018, des chercheurs avaient décrit la nécessité de disposer d’un processus de
coopération internationale plus structuré en matière de gouvernance des migrations, procédant de délibérations
stratégiques sur l’amélioration des politiques et pratiques existantes plutôt que d’une approche institutionnelle
descendante au niveau mondial39. Les consultations et processus qui ont mené à l’adoption du Pacte mondial sur
les migrations en 2018 constituaient un processus structuré de ce type.
Le Réseau des Nations Unies sur les migrations
En vue d’appuyer la mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations, le Secrétaire général des Nations
Unies a créé en 2018 un réseau sur les migrations pour apporter aux États Membres un soutien effectif,
rapide et coordonné à l’échelle du système (Pacte mondial sur les migrations, paragraphe 45). Le Pacte
définit les objectifs du Réseau, qui accorde la priorité aux droits et au bien-être des migrants et de leurs
communautés de destination, d’origine et de transit. Le Réseau est guidé par des principes d’action parmi
lesquels figurent l’inclusivité, l’orientation vers les résultats et la responsabilité ; et prescrit une approche
fondée sur les droits humains, tenant compte de la problématique femmes-hommes et adaptée aux besoins
de l’enfant. Le Réseau remplace la Coalition mondiale sur la migration instituée en 2006.
Le Réseau, dont l’OIM assure la coordination et le secrétariat, est composé d’un comité exécutif, de
membres (les entités du système des Nations Unies, soit actuellement 39 organisations) et d’axes de travail.
Ces derniers offrent des conseils techniques au Réseau sur des questions particulières et facilitent l’action
commune à l’échelle régionale et nationale. Le plan de travail en vigueur (2022-2024) prévoit 14 axes de
travail, dont 5 nouveaux introduits en 2022 à la suite des recommandations issues de la Déclaration
sur les progrès réalisés du Forum d’examen des migrations internationales. Les axes de travail et le Fonds
37 FMMD, s.d.b.
38 Ibid.
39 Süssmuth et Morehouse, 2012.
248 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
d’affectation spéciale pluripartenaire pour la migration accueillent également des membres de la société
civile et des milieux universitaires, des organisations de la diaspora, des représentants du secteur privé et
des syndicats.
Le Réseau des Nations Unies sur les migrations appuie également les mécanismes de coordination des
migrations des Nations Unies à l’échelle nationale et régionale, les plans nationaux de mise en œuvre du
Pacte mondial sur les migrations, les plans de développement nationaux et les plans sectoriels. Enfin, il suit
les engagements pris par les États en ce qui concerne la mise en œuvre du Pacte au moyen du tableau
des annonces de contributions.
Cependant, la mise en œuvre universelle du Pacte mondial sur les migrations rencontre des difficultés. Premièrement,
il est non contraignant, et tous les États Membres n’ont pas voté en faveur de son adoption. Un certain nombre de
pays qui occupent une place centrale dans le paysage migratoire restent peu désireux de le mettre en œuvre, tandis
que d’autres pays n’ayant pas voté en faveur de son adoption à l’Assemblée générale participent désormais à son
processus de suivi. Deuxièmement, ce dispositif piloté par les pays confie à juste titre la conduite du processus de
mise en œuvre aux États, qui concrétisent le Pacte mondial sur les migrations à l’aide de plans nationaux de mise
en œuvre. Les États ont été encouragés à mener des processus inclusifs et participatifs fondés sur des approches
mobilisant l’ensemble des pouvoirs publics et de la société, mais cette approche dépend du processus national des
différents pays, et varie d’un État à l’autre. À l’échelle régionale, la mise en œuvre du Pacte devrait être appuyée
par des mécanismes régionaux formels, les communautés économiques régionales et les PCR. Grâce aux examens
régionaux quadriennaux visant à éclairer le Forum d’examen des migrations internationales, tant les États que les
forums régionaux alimentent le processus mondial en mettant à disposition leurs rapports sur la mise en œuvre
du Pacte mondial sur les migrations, conformément aux lignes directrices fournies par le Réseau des Nations Unies
sur les migrations40.
Depuis la Commission mondiale sur les migrations internationales, l’architecture mondiale de la gouvernance
des migrations a évolué, en grande partie en raison de l’institutionnalisation de la coopération internationale par
des voies officielles des Nations Unies. L’existence du Pacte mondial sur les migrations, malgré ses limites, est
incontestablement essentielle en vue de l’adoption d’une approche mondiale des défis migratoires. Sa mise en œuvre
et les structures institutionnelles connexes s’inspirent de divers processus et forums qui trouvent leur origine dans
les recommandations issues du Dialogue de haut niveau, du Forum mondial sur la migration et le développement
et de la Commission mondiale sur les migrations internationales. Une importance particulière a, d’un bout à l’autre,
été accordée à la mise en commun de pratiques et à l’apprentissage entre pairs, avec l’émergence d’efforts visant
à appuyer l’élaboration de cadres pilotés par les États.
40 Pour de plus amples informations sur les examens régionaux du Pacte mondial sur les migrations, voir Réseau des Nations Unies sur les
migrations, s.d.a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 249
Si l’architecture actuelle présente des défis, elle offre également des possibilités, au sein de la structure du Pacte
mondial sur les migrations, pour soutenir l’élan créé en faveur d’une réponse mondiale aux défis migratoires. Ces
défis (et possibilités) ont principalement trait à la recherche de financements spécifiques pour les plans nationaux
de mise en œuvre du Pacte mondial et de solutions de financement mixtes41, à la participation d’organismes non
gouvernementaux et d’acteurs non étatiques à la définition et à la mise en œuvre des priorités dans le cadre de
discussions nationales, régionales et mondiales42, et à l’établissement de processus solides de suivi et d’examen
revêtant la forme d’examens régionaux et du Forum d’examen des migrations internationales.
Où en sommes-nous aujourd’hui? Les préparatifs et les enseignements tirés
du Forum d’examen des migrations internationales
En tant que premier accord des Nations Unies négocié au niveau intergouvernemental sur la gestion des migrations
internationales, le Pacte mondial sur les migrations définit les grandes lignes de la coopération internationale en
matière de migration. En 2021, la première série d’examens régionaux préparatoires quadriennaux réalisés en
amont du Forum d’examen des migrations internationales ont porté sur cinq régions : l’Afrique, les États arabes,
l’Asie, l’Europe et les Amériques. Ces examens régionaux ont été organisés, avec l’appui du Réseau des Nations
Unies sur les migrations, par les commissions régionales des Nations Unies dans le cas de l’Asie, du Moyen Orient
et de l’Afrique du Nord (MENA), de l’Europe, et de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC); pour ce qui est de
l’Afrique, le Maroc a organisé la réunion des États membres de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
Les examens, qui ont réuni des représentants des gouvernements et d’autres parties prenantes, se sont intéressés
aux progrès accomplis à l’échelle nationale, infrarégionale et continentale dans la mise en œuvre du Pacte mondial
sur les migrations. Menés alors que certaines parties du monde étaient encore soumises à des restrictions dues
à la pandémie de COVID-19, les examens régionaux et les tables rondes du Forum d’examen des migrations
internationales ont été organisés en mode hybride ou en ligne. Bien que cela ait permis à un public élargi de prendre
part à ces réunions importantes, les procédures standard des Nations Unies qui ont été appliquées ne sont pas
toujours garantes d’un débat ouvert et constructif, étant donné qu’elles s’articulent autour de déclarations lues par
les représentants des États Membres. Par ailleurs, le contexte de la pandémie a fait ressortir des priorités nouvelles
et des défis émergents en matière de gouvernance des migrations.
41 Pour de plus amples informations sur le financement commun du Pacte mondial sur les migrations, voir Réseau des Nations Unies sur
les migrations, s.d.b.
42 Pour de plus amples informations sur les chapitres régionaux et nationaux, voir Réseau des Nations Unies sur les migrations, s.d.c.
250 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Contributions des parties prenantes en amont du Forum d’examen des migrations
internationales
Entre 2020 et 2021, 86 États Membres, mécanismes régionaux et autres acteurs ont présenté des rapports
volontaires sur l’état d’avancement de leur mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations. Une analyse
de ces 86 rapports a mis en évidence la difficulté de suivre la mise en œuvre d’un accord non contraignant
ne disposant pas d’un mécanisme d’examen officiel et systématiquea
. Elle a également souligné l’importance
des données et des éléments factuels pour les processus politiques, ainsi que l’importance centrale de
questions telles que le retour, la traite, le travail décent et les migrants vulnérables. En dépit des limites
que présentent les rapports établis à titre volontaire, l’analyse de ces derniers permet d’évaluer les priorités
globales des activités de suivi et d’information menées par les États Membres, ainsi que les objectifs qui
ont suscité une moindre attention (par exemple, les migrants portés disparus, les discriminations et les
rapatriements de fonds). L’analyse met par ailleurs en relief la nécessité de disposer d’un processus et d’un
cadre de suivi plus clairs.
En novembre 2021, le Forum mondial sur la migration et le développement a réuni les parties prenantes
dans le cadre d’un forum hybride auquel ont participé 180 délégués de 81 États membres du Forum,
trois mécanismes du Forum, des groupes de jeunes et 25 organisations, donnant suite à l’appel qui lui est
adressé dans le Pacte mondial sur les migrations à rendre compte des conclusions, pratiques exemplaires et
approches innovantes au Forum d’examen des migrations internationalesb
. Ce forum a jeté les fondements
du rapport du FMMD relatif au Pacte mondial sur les migrations (publié en mai 2022).
a Lebon-McGregor, 2022.
b Forum mondial sur la migration et le développement, s.d.a.
En janvier 2022, le Secrétaire général des Nations Unies a publié un rapport relatif à la mise en œuvre du Pacte
mondial sur les migrations visant à éclairer le Forum d’examen des migrations internationales, tel que requis
par l’Assemblée générale des Nations Unies43. En plus des contributions des États Membres, des consultations
des parties prenantes et des discussions avec des groupes au sein du système des Nations Unies, le rapport du
Secrétaire général s’appuie sur les conclusions des examens régionaux du Pacte mondial sur les migrations.
Le processus inclusif mené en amont du Forum d’examen des migrations internationales a également fait intervenir
de nombreuses parties prenantes qui ont fourni des contributions, émis des observations et réagi à différentes
versions de la Déclaration sur les progrès réalisés44. Les acteurs non étatiques ont appelé à un examen critique des
progrès accomplis, des difficultés rencontrées et des lacunes à combler dans la mise en œuvre du Pacte mondial sur
les migrations, évoquant la nécessité tant d’un dialogue plus dynamique et plus poussé avec l’ensemble des parties
prenantes que d’un cadre de suivi solide pour assurer un examen plus efficace de l’intégralité du Pacte mondial sur
les migrations. Cela semblait particulièrement important au vu des limites que présente l’établissement volontaire
de rapports sans cadre convenu et sans moyens d’assurer une vérification indépendante45.
43 Nations Unies, 2021a.
44 Comité d’action de la société civile, s.d..
45 Rajah et al., 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 251
Par ailleurs, des analyses conduites par des chercheurs et d’autres parties prenantes, dont des représentants de
la société civile et le FMMD, ont fourni des contributions à la Déclaration sur les progrès réalisés et exposé les
enseignements à tirer du processus du Forum d’examen des migrations internationales, parmi lesquels on peut citer
la nécessité de faire mieux entendre la voix des migrants.
Figure 2. Annonces de contribution faites dans le cadre du Forum d’examen des migrations
internationales par type
93
90
80
56
28
Axées sur une dimension politique/juridique
autour d’un objectif précis du Pacte mondial
sur les migrations
Axées sur les processus (par exemple,
organisation de processus pleinement
consultatifs aux fins d’établissement de
rapports nationaux pour le Forum)
Structurées en vue de la mise en œuvre d’un
ou de plusieurs des dix principes directeurs
Matérielles (par exemple, fourniture d’une
assistance technique ou d’une contribution
en nature)
Financières (par exemple, contribution au
fonds d’affectation spéciale pluripartenaire
pour la migration)
Source: United Nations Network on Migration, s.d.d.
L’initiative d’annonces de contributions a été conçue pour donner une impulsion à l’examen et à la mise en œuvre
du Pacte mondial sur les migrations dans le cadre du Forum d’examen des migrations internationales46. Les annonces
de contributions sont des engagements mesurables pris par des États Membres et d’autres parties prenantes, telles
que des autorités locales et des organisations de la société civile, pour faire avancer la mise en œuvre d’un ou de
plusieurs principes directeurs, objectifs ou actions du Pacte mondial. En janvier 2023, 233 annonces de contributions
avaient été reçues et publiées sur le tableau de bord en ligne47. L’objectif 7 du Pacte mondial sur les migrations,
qui porte sur la réduction des vulnérabilités, affichait le plus grand nombre d’annonces de contributions à l’appui
de sa réalisation (133 annonces).
Le premier Forum d’examen des migrations internationales a abouti à l’adoption unanime d’une déclaration
intergouvernementale sur les progrès réalisés qui fait état des progrès accomplis, des défis à relever et des lacunes
à combler dans la mise en œuvre du Pacte mondial, et comprend un ensemble de mesures recommandées48.
46 Voir Réseau des Nations Unies sur les migrations, s.d.d.
47 Ibid.
48 Nations Unies, 2022a.
252 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
Dans le cadre du Forum d’examen des migrations internationales, en mai 2022, le Président de la soixanteseizième session de l’Assemblée générale des Nations Unies a organisé une audition multipartite informelle avec
250 représentants d’acteurs non étatiques de toutes les régions49, dans le but d’évaluer les progrès accomplis, les
lacunes à combler et les défis à relever dans la mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations, et de consolider
les engagements et les recommandations visant à faire avancer la mise en œuvre du Pacte. Le Forum a également
donné lieu à des propositions de recommandation de mesures concrètes, et a mis l’accent sur l’approche inclusive
« rien sur nous sans nous », qui place la voix des migrants au cœur de la gouvernance des migrations.
Le Forum d’examen des migrations internationales a, entre autres, mis en évidence la reconnaissance croissante
de l’importance que revêtent les processus consultatifs régionaux (PCR), dans la ligne de précédentes discussions
menées dans le contexte du FMMD. Dans le cadre du FMMD et d’autres enceintes, des discussions multipartites
ont été organisées dans le but de préciser et de promouvoir le rôle des PCR dans la réalisation des objectifs
du Pacte mondial sur les migrations, en rapprochant les parties prenantes du Pacte des PCR. Dans son rapport
de 2022, le Secrétaire général voit dans le Forum d’examen des migrations internationales l’occasion d’exploiter
le pouvoir du multilatéralisme pour fournir des orientations concrètes sur la promotion de sociétés inclusives,
le renforcement de voies diversifiées, des possibilités de régularisation et de réintégration durable, ainsi que la
réduction des vulnérabilités. Toutes ces questions relèvent du domaine de compétence des PCR et de leur fonction
d’appui aux efforts visant à assurer la participation et l’adoption de mesures au niveau national et infranational.
Principales tensions dans le cadre des discussions d’orientation sur la
gouvernance mondiale des migrations
Le Pacte mondial sur les migrations et la Déclaration des progrès réalisés du Forum d’examen des migrations
internationales témoignent à la fois du chemin parcouru et d’un compromis entre les États. Les indicateurs de
gouvernance des migrations préexistants ont apporté des améliorations aux fins d’une mesure plus systématique
de la gouvernance mondiale des migrations50 : même sans cadre convenu pour l’établissement des rapports, 15
pays ont mentionné des informations recueillies grâce à l’initiative de l’OIM relative aux indicateurs de gouvernance
des migrations dans leurs examens du Pacte mondial sur les migrations51. Néanmoins, la gouvernance mondiale des
migrations est souvent caractérisée par l’échec d’accords, des exclusions et des dérogations pour des situations
et des États particuliers, la non-application de conventions et de normes internationales, et la suspension de
certaines fonctions52. Des tensions demeurent entre les États et d’autres acteurs en ce qui concerne les priorités
et les mesures à prendre pour faire avancer la gouvernance mondiale53. La fluidité des concepts et des catégories
administratives qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité et aux besoins des migrants pose problème
lorsqu’il s’agit de concevoir des solutions. La difficulté de convenir, à l’échelle mondiale, de mesures concrètes
pour mettre en œuvre le Pacte mondial sur les migrations en tenant compte de la dimension de genre – malgré
49 Rajah et al., 2022.
50 Par exemple, avec l’indicateur 10.7.2 des ODD sur le « nombre de pays dotés de politiques migratoires qui facilitent la migration et l
mobilité de façon ordonnée, sûre, régulière et responsable » ainsi que l’initiative relative aux indicateurs de gouvernance des mig
(IGM). Voir également Mosler Vidal et Laczko, 2022 ; OIM, 2022.
51 OIM, s.d.a.
52 van Riemsdijk et al., 2021; Pécoud, 2021b.
53 Ricorda, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 253
l’existence de pratiques exemplaires et de documents d’orientation54 – s’explique également par les différentes
priorités des États Membres.
Du point de vue de la société civile, dans le but de réduire les obstacles à la participation de cette dernière aux
processus du Forum d’examen des migrations internationales, le document d’évaluation du Forum rédigé par le
Comité d’action identifie 11 engagements et points d’action nécessitant des mesures plus ouvertes et plus inclusives
de la part des États Membres, des organisations internationales et d’autres parties prenantes55.
D’autres tensions portent sur la distinction qui est opérée entre les pays de destination, d’origine et de transit et
sur la différence de traitement dont ils font l’objet dans le cadre des discussions d’orientation56. De fait, toutes les
régions du monde comprennent des États qui sont à la fois des pays de destination, d’origine et de transit pour les
migrants, et doivent relever les défis et exploiter les possibilités associés à tous les flux migratoires, quelle qu’en
soit la direction.
Dans le contexte géopolitique actuel, il est difficile de parvenir à un compromis ou de réexaminer certaines des
catégories administratives de populations de migrants en vigueur. Cela vaut particulièrement pour ce qui concerne
la protection des migrants ou des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (voir l’encadré ci-après). Plutôt
que de réexaminer ou d’actualiser les régimes existants tels que le régime de protection internationale, les États
cherchent les moyens de créer de nouvelles approches pour gérer les défis émergents – c’est le cas dans le
domaine des déplacements liés au climat, des mouvements migratoires massifs dus à des déplacements, voire des
déplacements liés à des conflits57.
Certaines des tensions émergentes à l’échelle régionale et nationale perturbent la coopération à l’échelle mondiale.
Les réponses régionales ou les priorités des États en position hégémonique (autrement dit, des pays dominants
sur le plan politique et économique au sein des régions) s’étendent souvent à la scène mondiale et, dans les faits,
orientent la gouvernance mondiale des migrations ou la coopération entre les États en matière de migration. Les
réponses régionales ont joué un rôle central dans les réactions des États aux déplacements et aux mouvements
massifs, mais les innovations observées dans certaines régions n’ont pas été transposées à l’échelle mondiale. Par
exemple, en réponse à la crise vénézuélienne, des pays d’Amérique du Sud et des Caraïbes ont adopté des mesures
visant à protéger les droits des migrants et des réfugiés, permettant notamment de régulariser leur séjour et leur
accès au marché du travail. Pourtant, les efforts déployés en vue d’inclure la régularisation du séjour ou de l’accès
aux marchés du travail dans les accords mondiaux n’ont pas abouti. Si la coopération au niveau régional est motivée
par la gestion des crises et les intérêts communs à résoudre les difficultés régionales, au niveau mondial, l’intégration
de telles approches dans des accords mondiaux se heurte à une réticence persistante.
D’après les chiffres mondiaux annuels publiés par l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC)
et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ deux tiers des personnes déplacées
dans le monde le sont à l’intérieur de leur pays. Malgré les appels à tenir compte de ces personnes dans les deux
pactes58, le Pacte mondial sur les migrations ne mentionne pas les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays, tandis que le Pacte mondial sur les réfugiés ne comporte que quelques mentions mineures de la question
54 Voir Plateforme genre + migration, s.d. ; OIM, 2023.
55 Comité d’action de la société civile, 2023.
56 Triandafyllidou, 2022.
57 Martin et Weerasinghe, 2017.
58 Concernant les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et le Pacte mondial sur les migrations, voir Jimenez-Damary, 2018.
Concernant les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et le Pacte mondial sur les réfugiés, voir Rushing et Clarey, 2017.
254 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
des déplacements internes, créant un « vide préoccupant »59 à ce sujet. Dans ce contexte, le Bureau du Conseiller
spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les solutions à apporter à la question des déplacements
internes a été créé en 2022 en vue de mobiliser des moyens d’action dans le domaine des déplacements prolongés,
et de faire évoluer la manière dont le système des Nations Unies et d’autres acteurs interviennent sur ce sujet
(voir l’encadré ci-après).
Avancées vers la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays
Fin 2021, 59,1 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur de leur pays – dont 53,2 millions en
raison de conflits et de violences et 5,9 millions à la suite de catastrophes – à travers le monde, dans
141 pays et territoiresaa
. Les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays sont des personnes qui sont
contraintes de migrer ou de quitter leur foyer pour éviter les effets d’un conflit armé ou de violences, de
violations des droits humains ou de catastrophes naturelles ou d’origine humaine, et qui n’ont pas franchi
les frontières internationalement reconnues d’un Étatb
. Ces personnes se trouvent souvent prises dans des
situations de « déplacement prolongé ».
Les Nations Unies ont pris plusieurs mesures en vue d’améliorer le sort et de résoudre la situation
des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Conscient du nombre croissant de personnes
déplacées à l’intérieur de frontières nationales et de la nécessité d’agir sans délai, le Secrétaire général a
nommé en 1992 un représentant sur les personnes déplacées dans leur propre pays chargé d’évaluer les
protections juridiques existantes et le mécanisme institutionnel compétent pour cette population. Des
discussions suivies sur la situation des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ont abouti, en 1998, à
un ensemble de principes directeurs relatifs à la question des déplacements internes, puis à leur adoption
dans les instruments juridiques nationaux et régionaux.
Les tensions relatives à la réponse aux déplacements internes proviennent en partie de gouvernements qui
sous-estiment les conséquences de l’inaction. Même lorsque l’importance d’agir est reconnue et qu’une
volonté politique est présente parmi les États, le manque de capacités et les contraintes opérationnelles
entravent souvent les progrès. En outre, la responsabilité des États envers leurs citoyens déplacés est
souvent reléguée à l’arrière-plan en raison de priorités nationales concurrentes, ainsi que de la responsabilité
et de la transparence limitées des acteurs étatiques qui ne répondent pas aux déplacements internes, voire
dans certains cas, en sont à l’originec
. Par conséquent, il n’existe pas encore de solutions concrètes au
problème que pose la fourniture d’une protection et d’une assistance aux personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre paysd
.
La Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants (2016) mentionnait « la nécessité de réfléchir
à des stratégies efficaces visant à assurer une protection et une assistance adéquates aux personnes
déplacées et à prévenir et à réduire ces déplacements ». Mais la question n’a été développée ni dans le
Pacte mondial sur les migrations ni dans le Pacte mondial sur les réfugiés, abstraction faite de l’évocation
des déplacements dans le cadre de l’engagement des États à réduire les facteurs de migration (objectif 2 du
Pacte mondial sur les migrations). Dans le Pacte mondial sur les réfugiés, le sujet est mentionné uniquement
en lien avec la mise en œuvre du cadre d’action global pour les réfugiés.
59 Aleinikoff, 2018 : 617.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 255
Entre autres signes encourageants indiquant qu’une attention politique croissante, au niveau mondial, est
portée au sort des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, on peut citer la création, en 2019, du
Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies chargé de la question des déplacements
internes en vue de trouver des solutions concrètes aux déplacements internes, suivie du lancement du
Programme d’action du Secrétaire général sur les déplacements internes. Dans son rapport, le Groupe
formule dix recommandations innovantes et concrètes visant à prévenir les déplacements internes, à
y répondre et à parvenir à des solutions. Les recommandations soulignent la nécessité de partager la
responsabilité entre les États et l’ensemble des acteurs, y compris le secteur privé et les organisations de la
société civile, à l’appui de solutions visant à mettre fin aux déplacementse
. La prise en compte de la nature
complexe des déplacements requiert que les acteurs internationaux évoluent d’un modèle humanitaire
vers une approche fondée sur le lien entre l’action humanitaire, le développement et la paix qui renforce
l’ensemble des services et des systèmes publics, en ciblant les personnes déplacées et leurs communautés
de destination. Par ailleurs, les recommandations mettent l’accent sur la nécessité d’associer les personnes
déplacées au dialogue et à l’élaboration conjointe de solutions visant à mettre fin aux déplacements.
La solidarité internationale à l’échelle mondiale est essentielle pour répondre aux difficultés auxquelles les
personnes déplacées sont confrontées.
En 2022, à la suite du rapport du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies chargé
de la question des déplacements internes, le Secrétaire général a lancé un Programme d’action sur les
déplacements internes poursuivant trois objectifs : « aider les personnes déplacées à trouver une solution
durable à leur déplacement; mieux prévenir l’apparition de nouvelles crises liées aux déplacements; [et]
veiller à ce que les personnes déplacées bénéficient d’une protection et d’une assistance véritables »f
.
a Observatoire des situations de déplacement interne, 2022.
b Nations Unies, 1998.
c Desai et al., 2021.
d Nations Unies, 2021b; Observatoire des situations de déplacement interne, 2022.
e Nations Unies, 2021b.
f Nations Unies, 2022b.
La gouvernance de la migration de main-d’œuvre est un autre domaine qui est source de controverse et de division.
Alors que la plupart des États reconnaissent le besoin de main-d’œuvre migrante compte tenu des pénuries de
main-d’œuvre, ils manquent à prendre des mesures permettant de protéger les travailleurs migrants ou de fournir
les voies nécessaires pour faciliter leur recrutement, leur entrée et leur séjour dans les pays qui ont besoin de leurs
compétences, en particulier dans les secteurs requérant peu de qualifications. À travers le monde, les travailleurs
migrants de tous niveaux de qualification rencontrent des obstacles et des difficultés dus à des réglementations
insuffisantes ou inexistantes et au manque de coopération entre les États; un petit nombre d’accords bilatéraux sur
la main-d’œuvre conclus entre des pays prévoient des dispositifs de protection des travailleurs préconisés par des
militants, des chercheurs et des organisations non gouvernementales60. Les travailleurs migrants du secteur informel
sont exposés à l’exploitation de la part des employeurs et des recruteurs, en particulier les femmes et les filles,
qui font face à des discriminations multiples et croisées. Plusieurs objectifs du Pacte mondial sur les migrations
60 Chilton et Woda, 2022.
256 Vers une gouvernance mondiale des migrations?
(objectifs 2, 5, 6, 16, 18 et 21) engagent les États à promouvoir la gouvernance mondiale de la mobilité de la
main-d’œuvre, mais l’insuffisance des mesures prises par certains États continue de faire obstacle au bien-être et
aux droits humains des travailleurs migrants.
Alors que les migrations internationales continuent de jouer un rôle important dans la définition des programmes
politiques et la situation géopolitique des États et des régions, des options binaires simplistes sont bien souvent au
cœur de débats politiques clivants, sans que soient envisagées des solutions souples pour toutes les parties, migrants
inclus. Il est donc nécessaire de revoir les approches actuelles de la gouvernance des migrations, notamment à
l’échelle mondiale, de manière à résoudre ces tensions61.
Marche à suivre : attentes, défis et possibilités pour les éditions à venir du
Forum d’examen des migrations internationales
Le paragraphe 102 du Pacte mondial sur les réfugiés prévoyait que des indicateurs permettant de mesurer sa réussite
soient élaborés avant la tenue en 2019 du premier Forum mondial sur les réfugiés, alors que le Pacte mondial sur
les migrations, dont les signataires « [s’engagent] collectivement à améliorer la coopération en matière de migration
internationale » (paragraphe 8), ne contient que huit paragraphes relatifs à la mise en œuvre (paragraphes 40 à 47),
sans préciser les modalités de suivi de sa mise en œuvre ou de sa réussite. C’est par conséquent le Forum d’examen
des migrations internationales de 2022 qui a dû se saisir de la question du suivi de la mise en œuvre du Pacte
mondial sur les migrations.
Le Forum d’examen des migrations internationales a rappelé à la communauté internationale que le Pacte mondial sur
les migrations définit les grandes lignes d’une coopération internationale largement renforcée dans les années 2020
– en particulier par rapport à ce qui existait avant les années 2010 – reposant sur une vision, des responsabilités
et des ambitions partagées par la vaste majorité des États Membres des Nations Unies. Pour ce qui est de l’avenir,
trois aspects de la Déclaration sur les progrès réalisés du Forum peuvent jeter les bases d’un renforcement de la
coopération internationale en matière de migration en vue de la prochaine édition du Forum, en 2026, et de sa
troisième édition, prévue en 2030, une année cruciale pour les Nations Unies et la communauté internationale.
Premièrement, au paragraphe 70 de la Déclaration sur les progrès réalisés, il est demandé « au Secrétaire général,
dans son prochain rapport biennal, de proposer, pour examen par les États Membres, un ensemble limité
d’indicateurs, en s’inspirant du cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs et aux cibles du Programme 2030,
tel qu’il figure dans la résolution 71/313 de l’Assemblée générale du 6 juillet 2017, et d’autres cadres pertinents,
afin d’aider les États Membres, à leur demande, à réaliser des examens inclusifs des progrès liés à la mise en
œuvre du Pacte mondial ». Cette requête ouvre la possibilité d’une approche plus claire et plus systématique de
l’établissement de rapports sur la mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations à compter de la prochaine
édition du Forum d’examen des migrations internationales. Le Réseau des Nations Unies sur les migrations a déjà
mis en place un nouvel axe de travail ad hoc, chargé de la tâche ardue d’élaborer un ensemble limité d’indicateurs
pour un cadre mondial comprenant 10 principes directeurs et 23 objectifs, en s’appuyant éventuellement sur la
méthodologie utilisée pour suivre les progrès accomplis au regard de l’indicateur 10.7.2 des ODD. Aucune base
de référence n’ayant été définie, les États Membres pourraient s’employer, dans le cadre du Forum d’examen des
migrations internationales de 2026, à faire en sorte que la communauté internationale crée une base de référence
61 Pécoud, 2021a et 2021b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 257
au regard de laquelle les progrès seront évalués à partir de 2030, une année qui marquera également la fin de l’ère
des ODD. L’élaboration d’indicateurs demeure un élément crucial, étudié de près par la communauté internationale
et en particulier par la société civile, pour aider les États Membres à assurer la bonne mise en œuvre du Pacte
mondial sur les migrations.
Deuxièmement, la dernière partie du paragraphe susmentionné invite le Secrétaire général à « inclure une stratégie
globale pour améliorer les données ventilées sur les migrations aux niveaux local, national, régional et mondial ».
Une telle stratégie peut requérir plusieurs années de travail dans ce domaine, en particulier de la part de l’OIM et
du Groupe d’experts des Nations Unies en statistiques des migrations62.
Troisièmement, au paragraphe 76, les États Membres demandent également « au Secrétaire général, avec le soutien
du Réseau et d’autres acteurs concernés, d’inclure dans son prochain rapport biennal des recommandations
concrètes sur le renforcement de la coopération en ce qui concerne les migrants disparus et la fourniture d’une
assistance humanitaire aux migrants en détresse, notamment en collaborant avec les acteurs humanitaires, dans le
but de prévenir les pertes humaines pendant le transit ». Le Réseau des Nations Unies sur les migrations a déjà
créé un axe de travail chargé d’élaborer ces recommandations de manière participative.
Dans les années à venir, il appartiendra à la communauté internationale d’œuvrer à un cadre de coopération
et d’action internationales des Nations Unies pour l’après-2030. Les avancées progressives réalisées vers une
gouvernance mondiale des migrations depuis le tournant du siècle et leur accélération depuis 2015 permettront
à la question de la mobilité humaine d’occuper une place plus centrale dans le cadre des Nations Unies pour
l’après-2030. Dans les années 2020 et au-delà, le Pacte mondial sur les migrations devrait constituer un cadre
porteur au moyen duquel les pays pourront collaborer en matière de gouvernance des migrations, résoudre
certaines des tensions décrites dans le présent chapitre et relever les défis mondiaux.
La réalité des migrations requiert une approche de la gouvernance mobilisant véritablement l’ensemble des pouvoirs
publics et de la société. Les évolutions de la gouvernance mondiale des migrations ne profiteront à tous les migrants
que si l’architecture émergente tient compte de cette réalité.
62 Voir Nations Unies, 2018b ; Mosler-Vidal, 2021.
ALAN GAMLEN
MARIE MCAULIFFE
S. IRUDAYA RAJAN
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 259
9 UN REBOND APRÈS LA PANDÉMIE ? MIGRATION ET
MOBILITÉ DANS LE MONDE APRÈS LA COVID-191
Introduction
On ne saurait exagérer l’impact de la COVID-19 sur les populations humaines. La pandémie a été responsable
de 12 % de la mortalité dans le monde pendant la période 2020/20212
. L’augmentation de la mortalité en 2020
a été la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale, et depuis l’éclatement de l’Union
soviétique en Europe orientale3
. Les vaccins contre la COVID-19 ont permis d’éviter quelque 19,8 millions de
décès supplémentaires4
. Malgré cela, la COVID-19 a modifié l’espérance de vie globale dans de nombreux pays :
l’espérance de vie à la naissance a diminué de 2,2 ans chez les hommes aux États-Unis d’Amérique et de 1,7 an
en Lituanie, et des baisses comparables ont été enregistrées dans 11 pays pour les hommes et 8 pays pour les
femmes5
. Même si le pic de la pandémie est déjà passé dans la plupart des endroits, des vagues successives de
nouveaux variants continuent de perturber la vie quotidienne (voir la figure 1 et l’appendice A).
Le présent chapitre, qui porte sur les effets transformateurs de la pandémie de COVID-19 sur la migration et la
mobilité dans le monde, fait le point de l’évolution de la situation depuis la parution de la précédente édition du
Rapport État de la migration dans le monde6
et, en particulier, de son chapitre consacré à la pandémie. Les questions
suivantes y sont posées : comment les mesures de restriction des voyages et de la circulation ont-elles évolué
depuis le dernier rapport? Comment les schémas de migration et de mobilité ont-ils évolué au cours de cette
même période ? À long terme, quelles sont les principales conséquences de ces tendances? Le présent chapitre
révèle que la migration et la mobilité humaines ont nettement rebondi après avoir atteint leur point le plus bas
pendant la pandémie, à la mi-2020. Néanmoins, leurs niveaux demeurent inférieurs à ceux enregistrés en 2019
dans la majeure partie du monde. Cette contraction prolongée, conjuguée à une variation plus forte des niveaux
globaux de la migration et de la mobilité au cours de la pandémie de COVID-19, a eu des effets transformateurs.
1 Alan Gamlen, Professeur à l’Université nationale australienne ; Marie McAuliffe, Chef de la Division de la recherche sur la migration et
des publications de l’OIM; S. Irudaya Rajan, Président de l’International Institute of Migration and Development.
2 IIDD, 2022. En outre, au cours de la période 2020/2021, quelque 15 millions de décès excédentaires ont été signalés dans le monde
(ibid.). D’après une estimation réalisée à l’aide d’un modèle d’apprentissage automatique portant sur 223 pays et régions, la surmortalité
serait de deux à quatre fois supérieure au nombre déclaré de décès confirmés dus à la COVID-19 (The Economist, s.d.).
3 Aburto et al., 2022.
4 Watson et al., 2022.
5 Aburto et al., 2022.
6 Voir McAuliffe et al., 2021a, pour une analyse des 12 premiers mois de la pandémie de COVID-19.
260 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
760
Figure 1. Les vastes répercussions de la COVID-19 : quelques exemples
Deux ans après :
la COVID-19 accroît les inégalités
mondiales dans toutes les dimensions
socio-économiques
Santé
Au-delà des aspects liés à l’infection
par le virus, les conséquences de
la COVID-19 ont profondément
nui à la santé des populations.
Les problèmes de santé
mentale et le sentiment
d’insécurité ont augmenté,
la fécondité a chuté et les systèmes
de santé ont été durement
touchés, ce qui a compliqué la
riposte de certains pays à d’autres
urgences sanitaires, telles que
l’Ebola et la variole simienne.
Société
Les Nations Unies ont estimé que
la montée de la violence
domestique au cours de la
pandémie de COVID-19, qui
s’explique par les conditions
d’immobilité, constituait une
«pandémie de l’ombre».
Selon les informations disponibles,
les jeunes femmes, les femmes
ayant des enfants, les femmes
sans emploi et les femmes vivant
dans les zones rurales sont les
plus vulnérables aux mauvais
traitements.
Environnement
On estime que les articles en
plastique à usage unique utilisés
pendant la pandémie ont été
à l’origine de huit millions
de tonnes de déchets. Les
communautés marginalisées sont
particulièrement exposées aux
problèmes liés aux déchets et à
l’assainissement.
Économie
Selon la Banque mondiale, entre 75 et
95 millions de personnes supplémentaires
vivraient dans des conditions d’extrême
pauvreté par rapport aux prévisions faites avant
la pandémie. Les pays à faible revenu et les pays
à revenu intermédiaire de la tranche inférieure
peinent à se remettre du recul mondial de
l’emploi et du temps de travail.
Éducation
Les données recueillies par l’UNESCO dans le
cadre du suivi mondial des mesures de fermeture
des écoles confirment l’existence d’un lien
entre ces mesures et les pertes d’apprentissage.
À cause de ces pertes, jusqu’à 70 % des
enfants de 10 ans vivant dans les pays à
revenu faible ou intermédiaire ne savent pas lire,
selon l’UNICEF. C’est 53 % de plus qu’avant la
pandémie, ce qui s’explique par la longue durée
de fermeture des écoles dans ces pays.
Source : Pour de plus amples informations, voir l’appendice A.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 261
Le labyrinthe des restrictions de voyage
L’une des premières et des principales mesures que les États ont prises face à la COVID-19 a été de restreindre
les voyages, aussi bien à l’intérieur des pays qu’au niveau international. Les mesures de restriction des voyages
internationaux ont été appliquées très rapidement et à grande échelle et sont restées en place bien au-delà de la
phase aiguë de la pandémie dans de nombreux endroits, dans une mesure bien plus grande que d’autres restrictions
liées à la COVID-19 (figure 2)7
. Alors qu’au 1er janvier 2020, presque aucun État n’appliquait des mesures de
restriction des voyages internationaux, presque tous les États y avaient recours au 1er avril 2020. Les mesures
de fermeture des frontières ont été maintenues à ce niveau pendant près de trois ans, jusqu’en janvier 2023. En
comparaison, d’autres mesures de lutte contre la pandémie – notamment les restrictions à la mobilité interne, la
fermeture d’écoles et de lieux de travail, les ordres de confinement et la limitation des rassemblements – ont non
seulement été moins répandues, mais elles ont aussi duré moins longtemps.
Figure 2. Nombre de pays ayant pris différents types de mesures pour réduire au minimum
la transmission de la COVID-19, de janvier 2020 à janvier 2023
0
50
100
150
Janvier 2020
Avril 2020
Juillet 2020
Octobre 2020
Janvier 2021
Avril 2021
Juillet 2021
Octobre 2021
Janvier 2022
Avril 2022
Juillet 2022
Octobre 2022
Janvier 2023
Date
Pays
Type de mesure
Mesures de restriction des voyages internationaux
Restrictions de la circulation sur le territoire national
Obligation de connement
Limitation des rassemblements
Fermeture de lieux de travail
Fermeture d’écoles
Source : Hale et al., 2023.
Note : Données au 1er janvier 2023. L’expression « international travel controls » (mesures de restriction
des voyages internationaux) est utilisée par l’Université d’Oxford et désigne notamment les
mesures de dépistage à l’arrivée, la mise en quarantaine des arrivants, l’interdiction des arrivées ou
la fermeture totale des frontières. Il importe également de noter que ces catégories concernent
uniquement la COVID-19 et ne tiennent pas compte des autres restrictions de voyage qui
pouvaient déjà être en place, telles que les restrictions relatives aux visas, les interdictions d’entrée
ciblant certains citoyens et les mesures de restriction concernant le départ ou la sortie.
7 L’ensemble de données «COVID-19 Government Response Tracker » de l’Université d’Oxford recense les mesures adoptées entre
janvier 2020 et fin décembre 2022.
262 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
Les mesures de riposte à la COVID-19 ont considérablement varié d’une région à l’autre, en particulier les
restrictions de voyage (voir l’appendice B). C’est en Asie que les restrictions de tout type sont longtemps restées
les plus répandues (pendant les deux premières années de la pandémie), tandis qu’en Afrique, tous les types de
restriction ont reculé progressivement, exception faite des mesures de restriction des voyages internationaux.
Les tendances en Europe diffèrent nettement de celles observées ailleurs. En effet, les mesures de restriction des
voyages internationaux et des voyages intérieurs ont été assouplies pendant les vacances d’été à la mi-2020 et à la
mi-2021, et une forte baisse des restrictions de tout type a été enregistrée à partir de mai 2022. Dans l’ensemble,
néanmoins, la situation est similaire dans toutes les régions du monde : plus de trois ans après le début de la
pandémie, les restrictions de la mobilité liées à la COVID-19 sont bien plus nombreuses qu’en décembre 2019, et
dans certaines régions du monde, les voyages internationaux continuent de faire l’objet de mesures de restriction
strictes. Par exemple, au 1er janvier 2023, plus de 30 États africains continuaient d’appliquer des mesures de
restriction des voyages internationaux qui n’existaient pas avant la pandémie.
L’imposition de mesures de restriction des voyages internationaux au début de la phase aiguë de la pandémie a mis
en évidence la gestion de plus en plus « sécuritaire » des migrations par les États, qui se fait parfois au détriment des
droits humains et du principe de proportionnalité des mesures adoptées face aux situations d’urgence nationales8
.
D’après les prévisions de certains analystes, les États pourraient se servir de la pandémie comme prétexte pour
saper les droits humains en imposant et en maintenant des mesures extraordinaires allant bien au-delà de ce qui
est nécessaire face à l’urgence de santé publique que constitue la pandémie :
L’état d’urgence peut parfois servir de prétexte à des mesures excessives, telles
que la détention arbitraire, la censure ou d’autres mesures autoritaires. […] Il est
de plus en plus à craindre que certains gouvernements ne se servent des pouvoirs
spéciaux adoptés au titre de la situation d’urgence pour saper les principes
démocratiques, faire taire les voix dissidentes et violer les principes de nécessité
et de proportionnalité. L’extension des pouvoirs exécutifs et des mesures de
répression, qui risque de se poursuivre après la fin de l’état d’urgence dans les
pays concernés, est particulièrement problématique9
.
La situation actuelle confirme ces craintes. Plus de deux ans et demi après que la pandémie mondiale a été déclarée
et plus de 20 mois après la distribution des premiers vaccins, plusieurs pays continuaient d’imposer des mesures de
restriction des voyages internationaux et de la circulation, en dépit d’une nette réduction des risques pour la santé
publique. Des politiques « zéro COVID» continuaient d’être appliquées dans certains endroits, ce qui témoigne,
selon certains commentateurs, de la priorité accordée à la restriction des mouvements de la population par rapport
au redressement économique et social10.
8 Chetail, 2020 ; McAuliffe, 2020 ; Ponta, 2020.
9 Ponta, 2020.
10 Syailendrawati et al., 2022 ; Lu, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 263
Migrants en détresse pendant la crise de la COVID-19
L’impact sur les migrants qui se sont trouvés en détresse à cause des restrictions de voyage et qui n’ont pas pu
rentrer chez eux ou s’installer ailleurs a été profond dans certains groupes, en particulier les personnes qui se
trouvaient déjà dans des situations d’exploitation ou de vulnérabilité avant la pandémie de COVID-19. À la mi
juillet 2020, on estimait à 2,75 millions le nombre de migrants internationaux en détresse dans le monde, dont la
majorité se trouvaient dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (et plus particulièrement dans les
pays du Golfe)11.
Parmi les effets immédiats, on peut citer les pertes d’emploi dues aux confinements et à d’autres mesures prises face
à la pandémie (notamment dans les pays dépourvus de systèmes de protection sociale adéquats); le fait de basculer
dans une situation irrégulière et de risquer la détention ou la déportation ; les conséquences sanitaires majeures,
telles que l’augmentation du risque d’être infecté par le virus responsable de la COVID-19 et de contracter cette
maladie ; de graves perturbations familiales. Bien souvent, les conséquences de ces effets dépendaient manifestement
du genre de la personne, ce qui s’explique par exemple par les différences structurelles qui sous-tendent les
marchés du travail et l’inégalité des rapports de force entre les genres, qui est liée à des questions temporelles et
géographiques. Par exemple, les travailleurs domestiques migrants ont été particulièrement touchés. Or, les femmes
constituent encore la majorité de cette main-d’œuvre, qui emprunte certains couloirs de migration depuis plusieurs
décennies12. Dans l’encadré ci-dessous, une travailleuse domestique migrante raconte la situation qu’elle a vécue
lorsqu’elle s’est trouvée en détresse pendant l’épidémie de COVID-19.
L’une des conclusions les plus importantes et les plus récurrentes des recherches sur les migrations dans le monde
est que la charge globale que représentent les soins à assurer par les migrants varie considérablement en fonction
de leur genre, de même que l’impact sur la santé mentale et physique qui en découle13. Peu de travaux ont
considéré les migrants en détresse comme une cohorte distincte, mais la pression supplémentaire associée au fait
d’être en détresse – et souvent sans soutien – a incité des groupes de femmes, à lancer des interventions axées sur
les questions de genre dans différents endroits du monde. En Inde, par exemple, des groupes de femmes ont réagi
spontanément en créant des cuisines communautaires bénévoles qui fournissaient des repas gratuits aux migrants
en détresse et dont certaines sont restées en service pendant près de cinq mois14.
Les effets genrés indirects, mais néanmoins profonds, des mesures de lutte contre la COVID-19 sur la sécurité
et le bien-être risquent de continuer de se faire sentir dans les générations à venir. Dans certaines municipalités
indiennes, par exemple, les autorités chargées de la protection de l’enfance ont signalé que la pandémie avait fait
augmenter le nombre de mariages d’enfants (chez les filles), ce qui s’explique par la perturbation de l’éducation,
les chocs économiques subis par les ménages, la dépendance accrue à l’égard des paiements effectués au titre du
mariage, la perturbation des services et des programmes assurés par les autorités locales et l’augmentation de la
mortalité des personnes ayant la charge d’un enfant15.
11 OIM, 2020.
12 Voir, par exemple, BAD et ONU Femmes, 2022 ; Almasri, 2022 ; Power, 2020.
13 BAD et ONU Femmes, 2022.
14 Kolet et al., 2021.
15 Thangaperumal et al., 2022.
264 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
Le récit d’une migrante prise au piège pendant la pandémie de COVID-19
En janvier [2020], juste avant que la Thaïlande ne signale son premier cas d’infection au nouveau coronavirus,
Htoo Gay War a quitté son emploi de travailleuse domestique, car la personne qui l’employait refusait de
lui accorder un jour de congé par semaine. Trois mois plus tard, cette jeune femme enceinte de 30 ans,
originaire du Myanmar, n’avait pas réussi à trouver un nouvel emploi, car la Thaïlande avait déclaré l’état
d’urgence et fait fermer les centres commerciaux, les établissements scolaires et les bars afin d’enrayer la
propagation du virus, qui avait infecté quelque 3 000 personnes.
« Je veux rentrer chez moi pour être auprès de mes parents. Au moins, ils pourront prendre soin de moi
pendant que je suis au chômage et que je n’ai pas d’argent », a-t-elle expliqué alors qu’elle se trouvait dans
la province centrale de Pathum Thani.
«Mais je ne peux plus rentrer, car les frontières sont fermées », a-t-elle poursuivi, avant d’ajouter que le
salaire de son mari, qui s’élevait à 8 000 bahts (247 dollars É.-U.) par mois, permettait tout juste à sa
famille de subsister.
La Thaïlande compte quelque 2,8 millions de travailleurs migrants enregistrés, pour la plupart originaires du
Myanmar, du Cambodge et de la République démocratique populaire lao, selon les statistiques publiques
officielles. Pourtant, les Nations Unies estiment que 2 millions de personnes supplémentaires travailleraient
de manière informelle dans l’ensemble du pays.
Selon le Migrant Working Group, un réseau d’organisations non gouvernementales défendant les droits des
migrants, au moins un demi-million de travailleurs migrants en Thaïlande se sont retrouvés au chômage en
raison de la crise du coronavirus.
Source : Extrait abrégé de Wongsamuth, 2020.
La reprise de la circulation
Toutes les formes de mobilité ont été fortement peturbées par les restrictions évoquées plus haut, qu’il s’agisse
des vols intérieurs ou internationaux ou encore de la fréquentation des lieux de travail et des commerces au sein
des communautés locales. Toutes ont connu un rebond marqué depuis, mais à des rythmes très différents selon
les pays et les formes de mobilité. En décembre 2022, toutes les formes de transport aérien avaient enregistré une
nette reprise, mais restaient bien en deçà des niveaux de 201916. Le nombre de passagers des vols internationaux
demeurait inférieur de 1 à 49 % aux chiffres enregistrés avant la pandémie, tandis que celui des passagers des
vols intérieurs restait inférieur de 9 à 42 % dans toutes les régions du monde, à l’exception de l’Amérique du
Nord, où il avait augmenté de 6 % par rapport à 2019. La mobilité au sein des communautés locales – c’est-àdire la fréquentation des stations de transport en commun, des lieux de travail, des pharmacies, des magasins
d’alimentation, des commerces et des lieux de loisirs – a rebondi plus vigoureusement que le transport aérien,
mais varie nettement d’un pays à l’autre. En général, la mobilité au sein des communautés a repris beaucoup plus
rapidement dans les pays moins développés, et de façon plus modérée dans les pays plus développés.
16 OACI, 2022. Le cas échéant, il est fait référence aux régions géographiques telles que définies par l’OACI. Voir les notes sous les
figures 4 et 5.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 265
Transport aérien
Le nombre de passagers aériens a augmenté rapidement depuis le début de l’année 2020, lorsque le monde
était paralysé par les mesures de confinement. Toutefois, de nombreuses compagnies aériennes peinaient encore
à se relever à la fin de 2022. Le nombre de passagers sur les vols internationaux restait inférieur aux chiffres
enregistrés en 2019 dans toutes les régions du monde. Cet écart était de 10 % en Afrique et de 25 % en Europe.
L’une des raisons à cela est que les personnes qui souhaiteraient voyager ou migrer demeurent confrontées à
des environnements réglementaires plus complexes et plus risqués qu’en 2019 : par exemple, le traitement des
demandes de visa a pris du retard, une fermeture soudaine des frontières est possible, les capacités de transport
aérien sont réduites et les prix sont extrêmement élevés. Il est souvent plus judicieux de reporter les projets de
voyage. En Asie et dans le Pacifique, ces facteurs sont aggravés par la grande distance qui sépare les frontières
internationales, dans une région caractérisée par de vastes territoires nationaux et des archipels très dispersés. Dans
cette région, le nombre de passagers sur les vols internationaux demeure inférieur de 49 % à celui enregistré en
2019, ce qui représente une baisse bien plus importante que dans toute autre région du monde.
Figure 3. Nombre de passagers sur les vols internationaux par rapport à 2019, par région
–100 %
–80 %
–60 %
–40 %
–20 %
0 %
20 %
Janvier 20
Février 20
Mars 20
Avril 20
Mai 20
Juin 20
Juillet 20
Août 20
Septembre 20
Octobre 20
Novembre 20
Décembre 20
Janvier 21
Février 21
Mars 21
Avril 21
Mai 21
Juin 21
Juillet 21
Août 21
Septembre 21
Octobre 21
Novembre 21
Décembre 21
Janvier 22
Février 22
Mars 22
Avril 22
Mai 22
Juin 22
Juillet 22
Août 22
Septembre 22
Octobre 22
Novembre 22
Décembre 22
Afrique Asie-Pacique Europe Amérique latine et Caraïbes Moyen-Orient Amérique du Nord
Source : OACI, 202217.
Note : L’utilisation dans cette figure des régions géographiques définies par l’OACI n’implique ni reconnaissance
ni acceptation officielle de la part de l’OIM. Pour plus d’informations, voir OACI (2022).
17 OACI, 2022 : « La ventilation régionale se fonde sur les six (6) régions statistiques de l’OACI (Doc. 9060). Les mêmes indicateurs
d’impact clés sont présentés sur quatre (4) trajectoires associées à deux (2) scénarios et comparés avec le scénario de référence, les
niveaux enregistrés en 2019 et en 2020-2021 (vols internationaux et intérieurs), ainsi que par mois, par trimestre et par an. Pour éviter
les doubles comptages, le nombre de passagers « internationaux » au départ de chaque pays et de chaque territoire est agrégé dans
chaque région ; les recettes brutes d’exploitation découlant du transport de passagers de toutes les compagnies aériennes desservant des
routes « internationales » au départ de chaque pays et de chaque territoire sont agrégées au niveau régional ». OACI, 2022, diapositive
n° 45 : « Les chiffres et les estimations figurant dans le présent document sont établies sur la base des données opérationnelles et des
calendriers les plus récents communiqués par les compagnies aériennes. Ils sont toutefois susceptibles d’évoluer considérablement et
seront mis à jour en fonction de l’évolution de la situation et à mesure que de nouvelles informations seront disponibles ».
266 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
La reprise du nombre de passagers sur les vols intérieurs est plus inégale. Dans certains cas, la mobilité internationale
a été remplacée par la mobilité intérieure. Le nombre de passagers sur les vols intérieurs est reparti à la hausse
pour atteindre un niveau supérieur de 6 % à celui enregistré en 2019 en Amérique du Nord, mais il reste bien
plus faible qu’avant la pandémie en Amérique latine et dans les Caraïbes (-9 %), en Afrique (-15 %) et en Europe
(-23 %). Le nombre de passagers sur les vols intérieurs est inférieur d’un quart au niveau enregistré en 2019 au
Moyen-Orient, où des problèmes politiques et de sécurité complexes dissuadent les personnes de se déplacer entre
les villes et les régions de plusieurs grands pays. Le nombre de passagers sur les vols intérieurs demeure inférieur
de 42 % au niveau enregistré en 2019 en Asie et dans le Pacifique, où les voyages intérieurs supposent souvent
des déplacements entre des îles ou des villes éloignées et isolées.
Figure 4. Nombre de passagers sur les vols intérieurs par rapport à 2019, par région
–100 %
–80 %
–60 %
–40 %
–20 %
0 %
20 %
Janvier 20
Février 20
Mars 20
Avril 20
Mai 20
Juin 20
Juillet 20
Août 20
Septembre 20
Octobre 20
Novembre 20
Décembre 20
Janvier 21
Février 21
Mars 21
Avril 21
Mai 21
Juin 21
Juillet 21
Août 21
Septembre 21
Octobre 21
Novembre 21
Décembre 21
Janvier 22
Février 22
Mars 22
Avril 22
Mai 22
Juin 22
Juillet 22
Août 22
Septembre 22
Octobre 22
Novembre 22
Décembre 22
Afrique Asie-Pacique Europe Amérique latine et Caraïbes Moyen-Orient Amérique du Nord
Source : OACI, 2022.
Note : L’utilisation dans cette figure des régions géographiques définies par l’OACI n’implique ni reconnaissance
ni acceptation officielle de la part de l’OIM. Pour plus d’informations, voir OACI (2022).
Il importe de noter que dans certaines parties du monde, les transports terrestres et maritimes occupent une place
plus importante que les transports aériens dans la mobilité nationale et internationale. Contrairement au transport
aérien, nous ne disposons pas de données globales sur ce secteur qui permettraient d’établir des comparaisons.
Des études montrent cependant que l’immobilité due à la pandémie de COVID-19 a eu de lourdes conséquences
sur les stratégies de subsistance. L’encadré ci-dessous, par exemple, met en évidence les principales constatations
concernant les effets de la COVID-19 sur les commerçants transfrontaliers en Afrique de l’Est et les mesures clés
prises face à ces effets.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 267
Effets de la COVID-19 sur le commerce transfrontalier dans la Communauté d’Afrique de l’Est
Les petites et moyennes entreprises dirigées par des femmes représentent environ 74 % des opérateurs
commerciaux. On estime que les échanges représentent environ 145,4 millions de dollars É.-U. au Rwanda
et à 606,6 millions de dollars É.-U. en Ouganda, pour citer certains États partenaires. On estime également
que le commerce transfrontalier assurerait la subsistance d’environ 60 % des résidents de la Communauté
d’Afrique de l’Est, d’où son importance. En raison de la pandémie de COVID-19, les restrictions à la
circulation transfrontière des marchandises et des personnes aux frontières se sont multipliées, ce qui a
eu pour effet de menacer les moyens de subsistance des commerçants et de leurs familles, ainsi que de
réduire les recettes des États partenaires.
[…] Le commerce transfrontalier constitue une importante source de revenus pour les communautés
transfrontalières et les groupes vulnérables, notamment les femmes et les petits exploitants agricoles.
Bon nombre de ces communautés parviennent tout juste à subsister et ont besoin de faire du commerce
chaque semaine au-delà de la frontière pour pouvoir acheter les produits essentiels à leur survie. La
majorité du commerce transfrontalier informel concerne des produits agricoles périssables, tels que la
tomate, le poivron, le manioc, le poisson et les œufs. Les commerçants reçoivent un préavis très court
– de seulement quelques jours, dans la plupart des cas – pour se préparer à la fermeture des frontières.
Par conséquent, leurs denrées s’avarient et ils subissent de lourdes pertes.
[…]
Renforcer les communautés frontalières communes en tenant compte des procédures visant à faciliter
la circulation des personnes, des biens et des services entre les frontières […] permettra de veiller à
ce que les moyens de subsistance des communautés locales ne soient pas perturbés. […] La CAE doit
coopérer pour coordonner et harmoniser les exigences et les réglementations frontalières en matière
de lutte contre la COVID-19 afin de réduire les délais, sans compromettre la sécurité du commerce.
Le plan d’intervention régional joue un rôle crucial dans la coordination des mesures prises par les États
partenaires face à la pandémie. Il facilite le fonctionnement libre et rapide des échanges transfrontaliers.
[…] Les institutions financières devraient assouplir les conditions d’accès des femmes au financement. […] Les
autorités nationales devraient mettre en place un fonds pour le redressement après la pandémie ainsi que
des programmes ciblant tout particulièrement les femmes ayant une activité commerciale transfrontalière.
Cette mesure contribuera à améliorer la situation financière des femmes dont les entreprises ont été
touchées par la pandémie.
Source : Extrait abrégé et traduit de EALA, 2021.
Mobilité au sein des communautés
Début 2020, la plupart des êtres humains ont été contraints de mettre un terme à toute forme de mobilité, y
compris la «mobilité au sein des communautés », qui désigne la fréquentation (mesurée en nombre de visites) des
stations de transport en commun, des lieux de travail, des magasins d’alimentation, des pharmacies, des commerces
et des lieux de loisirs18. Depuis, la mobilité au sein des communautés a repris, à des rythmes différents selon
18 À l’aide des données que Google a recueillies sur ces catégories de visites, nous avons analysé les tendances de la mobilité au sein des
communautés dans six grands pays faisant partie de chacune des régions telles que définies par les Nations Unies, classés ici selon leur
indice de développement humain (IDH). Nigéria : Afrique, 211 millions d’habitants, IDH = 0,535. Papouasie-Nouvelle-Guinée : Océanie,
9,8 millions d’habitants, IDH = 0,558. Inde : Asie, 1,4 milliard d’habitants, IDH = 0,633. Brésil : Amérique latine, 214 millions d’habitants,
IDH = 0,754. Italie : Europe, 59 millions d’habitants, IDH = 0,895. Canada : Amérique du Nord, 38 millions d’habitants, IDH = 0,936).
Les données démographiques sont tirées de DESA, 2022. Les données de l’IDH proviennent de PNUD, 2022.
268 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
les endroits. Dans l’ensemble, en décembre 2022, la reprise était manifestement plus rapide dans les pays moins
développés que dans les pays plus développés, ce qui peut sembler contre-intuitif.
La mobilité au sein des communautés a rebondi avec une vigueur remarquable dans une grande partie du monde en
développement. Au Nigéria, le nombre moyen de visites de tout type a chuté de 48 % en avril 2020, puis a rebondi
pour dépasser de 59 % le niveau antérieur à la pandémie pendant la première quinzaine d’octobre 2022. Bien que
sa géographie soit différente, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a connu des tendances similaires : ce nombre a d’abord
chuté de 19 % en avril 2020, avant de remonter pour atteindre, pendant la première quinzaine d’octobre 2022,
environ le double du niveau enregistré avant la pandémie. En Inde, il a chuté de deux tiers en avril 2020, avant de
repartir la hausse et de dépasser d’un tiers les chiffres enregistrés avant la pandémie pendant la première quinzaine
d’octobre 2022. Cette reprise vigoureuse pourrait s’expliquer par le fait que de nombreux pays en développement
dépendent fortement des industries primaires, qui nécessitent le déplacement d’objets physiques; par conséquent,
la résorption des retards dus à la pandémie peut se traduire par des pics de mobilité temporaires. Selon une thèse
plus hypothétique, mais intéressante, la forte reprise de la mobilité au sein des communautés pourrait s’expliquer
par une certaine transformation structurelle, qui serait peut-être liée à des mouvements de population massifs
depuis les zones urbaines vers les zones rurales, lesquels pourraient entraîner des changements à plus long terme
dans les relations entre les villes et leur arrière-pays.
Figure 5. Évolution de la mobilité au sein des communautés depuis la période précédant la pandémie
dans certains pays
–100 %
–50 %
0 %
50 %
100 %
15 février 2020 15 août 2020 15 février 2021 15 août 2021 15 février 2022 15 août 2022
Papouasie-Nouvelle-Guinée Nigéria Inde Brésil Italie Canada
Source : Google, 2022.
Note : Ce graphique montre l’écart moyen, en pourcentage (par rapport à la période précédant la pandémie),
du nombre de visites effectuées dans les pharmacies, les magasins d’alimentation, les commerces, les
lieux de loisirs, les lieux de travail et les stations de transport en commun. Chaque courbe correspond
à des moyennes mobiles sur 28 jours. Pour de plus amples informations au sujet des données sur la
mobilité recueillies par Google, voir Google, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 269
La reprise de la mobilité au sein des communautés a été beaucoup plus modérée dans les pays plus développés.
En Italie, au début du mois d’octobre 2022, la plupart des formes de mobilité au sein des communautés restaient
inférieures en moyenne de 1 à 8 % par rapport aux niveaux de référence antérieurs à la pandémie, exception
faite de la fréquentation des magasins d’alimentation et des pharmacies, qui avait augmenté pour atteindre une
moyenne bimensuelle supérieure de 19 % aux niveaux antérieurs à la pandémie. Au Canada, la fréquentation
des commerces et des lieux de loisirs, des magasins d’alimentation et des pharmacies a repris, mais ne s’établit
que légèrement au dessus des niveaux antérieurs à la pandémie. Il est intéressant de noter que la fréquentation
des stations de transport en commun demeurait inférieure de 21 % à son niveau d’avant la pandémie pendant la
première quinzaine d’octobre 2022. Sur cette même période, la fréquentation des lieux de travail restait inférieure
de 17 % en moyenne aux niveaux antérieurs à la pandémie. Ces deux derniers chiffres, en particulier, témoignent
probablement d’une évolution structurelle vers le télétravail dans les pays développés (voir la question de la contreurbanisation examinée dans la section suivante).
Le Brésil est un cas intéressant, car il présente à la fois des caractéristiques de pays en développement et des
caractéristiques de pays développé. Dans ce cas précis, la mobilité « essentielle » a connu une reprise vigoureuse :
par rapport aux niveaux de référence enregistrés avant la pandémie, la fréquentation des lieux de travail avait
augmenté de 58 % en moyenne à la première quinzaine d’octobre 2022. La fréquentation des pharmacies et
des magasins d’alimentation avait augmenté de 26 % en moyenne, au même moment, ce qui se rapprochait des
tendances observées dans les pays moins développés. Toutefois, la mobilité «non essentielle » venait tout juste de
retrouver un niveau équivalent à celui de 2019, une tendance également observée dans les pays plus développés.
Au début du mois d’octobre 2022, la fréquentation des stations de transport en commun avait augmenté en
moyenne de 4 % par rapport aux niveaux de référence enregistrés avant la pandémie, tandis que la fréquentation
des commerces et des lieux de loisirs avait augmenté de tout juste 7 %.
Outre certaines perturbations temporaires, la pandémie a induit des changements structurels dans la façon dont
les personnes circulent au sein de leurs communautés. Dans les six pays examinés, les visites « essentielles » dans
les magasins d’alimentation et les pharmacies ont enregistré la reprise la plus forte. En revanche, pour d’autres
formes de mobilité au sein des communautés, des différences marquées existent entre les pays développés et les
pays en développement. Dans les pays moins développés, le relèvement après la pandémie est plus susceptible de
passer par la mobilité, alors que dans les pays plus développés, la mobilité au sein des communautés a diminué,
en partie parce que le télétravail y est rendu possible par les types d’activités professionnelles exercées et par les
infrastructures de technologies de l’information et de la communication (TIC).
Transformations à la suite de la pandémie
L’étau dans lequel la COVID-19 enfermait nos vies s’est desserré et un retour à la « normalité » a été observé
dans le fonctionnement quotidien de la plupart des institutions socio-économiques et culturelles, qui a repris
comme avant. Toutefois, la pandémie a entraîné des transformations sociales visibles (aussi bien temporaires que
structurelles), dont l’effet domino peut être observé dans toutes les régions. Par exemple, les décisions prises par
différents pays développés et sociétés pharmaceutiques pour préserver leurs intérêts ont eu des répercussions en
chaîne importantes sur les pays en développement, qui ont débouché sur une pénurie de vaccins et une distribution
inégale des produits et des services de soins de santé, de façon à faire baisser la qualité des soins de santé en général
270 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
et à entraver le relèvement des pays touchés19. La pandémie a également fait évoluer durablement les modes de
consommation dans les pays développés et les pays en développement. Aux États-Unis, par exemple, les commerces
et les services, tels que les magasins d’alimentation et les pharmacies, étaient réticents à utiliser les plateformes
de commerce électronique. L’adoption de ces plateformes a cependant nettement progressé pendant la pandémie,
ce qui a eu pour effet de modifier les schémas de consommation et d’élargir ainsi l’utilisation des plateformes aux
achats quotidiens de produits alimentaires. D’après les estimations, les ventes de produits alimentaires en ligne ont
représenté quelque 150 milliards de dollars É.-U. en 202020.
Un autre phénomène important qui a été observé après la pandémie a été une inflation élevée conjuguée à
un ralentissement économique mondial. Au deuxième trimestre 2022, la croissance du PIB mondial s’est mise à
stagner autour de 3 %, et il était prévu qu’elle continue de ralentir pour s’établir à 2,25 % en 202321. Le facteur
clé du ralentissement de la croissance mondiale est le durcissement continu des politiques monétaires dans les
principales économies en réponse à l’inflation élevée22. Les incidences de la guerre entre la Fédération de Russie
et l’Ukraine ont exercé une pression supplémentaire sur les prix, en particulier ceux de l’énergie et des denrées
alimentaires. Ces changements ont été influencés ou aggravés par la baisse de la migration. Dans les régions
qui sont traditionnellement des régions d’origine de migrants, ils ont entraîné une hausse du chômage et de
l’inflation23, ainsi qu’une intensification du contrôle étatique24. (Pour un exemple d’observations faites au niveau d’un
pays, voir l’encadré ci-dessous sur la recherche liée à la COVID-19 en Inde.) Dans les pays de destination plus
développés, la baisse de la migration s’est traduite par des taux de chômage historiquement bas, qui ont entraîné
de graves pénuries de compétences et de main-d’œuvre, ainsi qu’une pression inflationniste supplémentaire due
à l’augmentation des salaires. L’impact des transformations intervenues à la suite de la pandémie dépendra de la
longévité de ces effets et de la trajectoire de reprise des différentes régions. Seul l’avenir nous dira comment ces
transformations influeront sur les schémas de migration et de mobilité.
Ambiguïté de la situation après la pandémie en Inde : arguments en faveur d’une approche
adaptée à chaque région et de nouvelles méthodes d’analyse
La pandémie a eu de lourdes conséquences pour les travailleurs indiens migrants, qu’ils aient migré à
l’intérieur du pays ou à l’étranger. Cela est particulièrement vrai pour les migrants peu qualifiés titulaires de
contrats à court terme, les migrants travaillant dans l’économie informelle et les travailleurs dépourvus de
documentsa
. Les incidences précises de la pandémie ont varié en fonction du type d’emploi et du revenu
des travailleurs.
19 Cati, 2022.
20 Walton, 2020.
21 OECD, 2022.
22 Ibid.
23 Condon et al., 2022.
24 Barriga et al., 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 271
Comptant environ 18 millions d’Indiens qui vivent à l’étranger, la diaspora indienne est la plus nombreuse
au mondeb
. L’Inde est également le premier pays destinataire de rapatriements de fonds au monde, un
montant total de 87 milliards de dollars É.-U. y ayant été rapatrié en 2021c
. La perte d’emploi, le vol de
salaire et l’absence de sécurité sociale pendant la pandémie ont plongé de nombreux migrants indiens
dans des situations de profond endettement et d’insécuritéd
. Alors qu’un vent de panique soufflait sur le
monde, les migrants de retour ont dû engager d’immenses dépenses pour leurs billets d’avion, leurs tests
de dépistage de la COVID-19 et leurs séjours en quarantainee
. Selon le Ministère des affaires extérieures,
plus de 1 385 670 ressortissants indiens ont été rapatriés par le Gouvernement dans les six mois qui ont
suivi la déclaration d’un confinement nationalf
. Bien d’autres migrants internationaux sont rentrés dans leur
pays sans l’aide de l’État.
L’ampleur et la rapidité des migrations internes ont également chuté considérablement pendant et après
la pandémie, ce qui a entraîné une crise de la mobilitég
. La pandémie a eu un effet retentissant sur les
schémas de migration interne de la main-d’œuvre et a transformé le travail dans les zones rurales comme
dans les zones urbaines. La mobilité de la main-d’œuvre ouvrière à destination des villes a diminué de près
de 10 %, ce qui a considérablement réduit l’offre de main-d’œuvre dans des secteurs importantsh
. Selon les
estimations officielles, la migration interne de retour s’établit à 51,6 % chez les hommes et à 11 % chez les
femmesi
. Bien que les femmes soient plus nombreuses que les hommes à migrer à l’intérieur du pays, un
pourcentage disproportionné d’entre elles sont considérées comme des personnes à charge (ce qui exclut
l’obtention d’un emploi après la migration). Cela pourrait expliquer l’écart observé entre les hommes et les
femmes. On ne dispose pas de données suffisantes pour évaluer correctement les effets de la pandémie
sur la migration en Inde. On observe un grave problème d’omission de données sur les minorités de genre,
en particulier la communauté transgenre.
Certains plaident pour que l’Inde adapte son approche de la migration de retour à chaque région, étant
donné que la pandémie a touché différemment les différents États indiensj
. Au vu des effets immédiats
et prolongés de la pandémie, il est nécessaire d’analyser les conditions structurelles, la complexité, les
incertitudes et les particularités régionales pour nous aider à repenser le développement et la migration.
Afin de comprendre les transformations intervenues à la suite de la pandémie et d’élaborer des mesures
politiques efficaces, il faut mener une étude approfondie des retombées démographiques des tendances
associées à la pandémie en matière de migration, de mortalité et de fécondité, à l’aide d’une approche
inclusive.
a Srivastava, 2021.
b DESA, 2021.
c Banque mondiale, 2021b.
d Kumar et Akhil, 2021.
e Gouvernement de l’Inde, 2020.
f Rajan et al., 2020.
g Banque mondiale, 2020.
h Bhattacharyya et Menon, 2021.
i Mishra, 2022.
j Dreze, 2020.
272 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
Ralentissement de la croissance et rapatriements de fonds : un lourd fardeau pour certains?
D’après les prévisions de la Banque mondiale, les rapatriements de fonds devaient diminuer de 20 % à l’échelle
mondiale en avril 2020 sous l’effet de la COVID-19, puis de 14 % en octobre 2020, par rapport aux niveaux
antérieurs à la pandémie25. Or, ils n’ont finalement diminué que de 2,4 % au niveau mondial, les sommes envoyées
aux pays à revenu faible ou intermédiaire en 2020 ayant représenté au total 540 milliards de dollars É.-U.26, soit
1,6 % de moins seulement qu’en 201927. En 2021, les rapatriements de fonds ont augmenté de 7,3 % pour atteindre
589 milliards de dollars É.-U.28.
Correction faite des effets de l’activité économique et des mesures liées à la pandémie, il apparaît que les
rapatriements de fonds ont augmenté avec les taux d’infection par la COVID-19 dans les pays d’origine des
migrants29. En bref, les migrants semblent rapatrier davantage de fonds pour soutenir leurs familles lorsque les cas
de COVID-19 augmentent. Ainsi, les rapatriements de fonds ont servi de stabilisateur automatique pour les pays
d’origine (en termes de production et de consommation). Ce phénomène va à l’encontre de la prévision de la
Banque mondiale selon laquelle la pandémie devait faire baisser les rapatriements de fonds. Il va néanmoins dans
le sens des observations à long terme de la Banque selon lesquelles les rapatriements de fonds sont anticycliques :
lorsque d’autres indicateurs économiques sont en baisse, les migrants rapatrient davantage de fonds pour aider
leurs familles et leurs communautés en difficulté dans leurs pays d’origine. En outre, des études ont constaté une
relation à long terme entre les rapatriements de fonds et le PIB réel, une augmentation de 10 % des rapatriements
de fonds ayant été associée à une augmentation permanente de 0,66 % du PIB30.
Selon certains analystes, l’augmentation des rapatriements de fonds pourrait également être le signe d’une évolution
des modalités d’envoi, les canaux formels ayant été favorisés par les restrictions liées à la pandémie31. Les données
suggèrent qu’avant la pandémie, une proportion importante des rapatriements de fonds était remise aux familles
par des canaux informels (tels que les réseaux hawala, hundi ou fei-chien, ou les transferts en main propre).32
Toutefois, les mesures de confinement, la progression de la numérisation et la réduction des frais d’envoi ont incité
les migrants à faire évoluer leurs comportements de façon à recourir davantage aux canaux formels pour effectuer
leurs transferts, comme en témoigne l’encadré ci-dessous33. Une étude examinant les données sur les arrivées
d’avions a conclu qu’une baisse du nombre d’arrivées était associée à une augmentation des rapatriements de fonds
formels, correction faite des autres facteurs34. En s’appuyant sur des données provenant du Mexique, une autre
étude a révélé que les rapatriements de fonds et le nombre d’ouvertures de comptes bancaires ont enregistré des
hausses particulièrement marquées dans les municipalités qui dépendaient fortement des canaux informels avant
la pandémie35.
25 Banque mondiale, 2020.
26 Les rapatriements de fonds ont augmenté de 6,5 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes, de 5,2 % pour l’Asie du Sud et de 2,3 % pour
le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
27 Banque mondiale, 2021a.
28 Banque mondiale, 2021b.
29 Kpodar et al., 2021.
30 Francois et al., 2022.
31 Kpodar et al., 2021.
32 El Qorchi et al., 2003.
33 Fernandes et al., 2022.
34 Quayyum et al., 2021.
35 Dinarte et al., 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 273
Les sociétés africaines de transfert de fonds prospèrent grâce à la pandémie, qui stimule les
rapatriements de fonds en ligne
Après avoir fui l’implosion économique de son pays natal, le Zimbabwe, Brighton Takawira a pu subvenir
aux besoins de sa mère restée dans le pays grâce aux modestes revenus de la petite activité de parfumerie
qu’il avait créée en Afrique du Sud.
C’est alors que la pandémie a frappé. Les frontières ont été fermées. Les autocars qu’il avait utilisés
jusqu’alors pour rapatrier des fonds en espèces ont cessé de circuler. La pandémie a donné aux sociétés de
transfert de fonds un avantage sur leur principal concurrent en Afrique, à savoir les vastes réseaux informels
de commerçants, de chauffeurs d’autocar et de voyageurs auxquels de nombreux migrants confient la tâche
de rapatrier de l’argent dans leur pays d’origine.
« Il fallait que j’envoie quelque chose, ne serait-ce que quelques dollars » a expliqué M. Takawira, même si
cela l’obligeait parfois à se priver de pain. Il a donc essayé de recourir à une société de rapatriements de
fonds en ligne, comme le lui avait recommandé un ami.
M. Takawira fait partie des nombreux migrants africains que la pandémie a incités à utiliser des services de
transfert numérique, souvent pour la première fois.
Cette évolution alimente l’essor des sociétés de transfert de fonds actives en Afrique, alors que la Banque
mondiale prévoyait que les rapatriements de fonds à destination des pays les plus pauvres accuseraient
une chute historique de 20 % pour s’établir à 445 milliards de dollars É.-U. cette année, sous l’effet du
ralentissement économique mondial dû à la pandémie.
«Nous avons constaté une augmentation des transferts, car les membres de la diaspora voulaient aider
leurs familles » a indiqué Patrick Roussel, responsable des services financiers de téléphonie mobile pour le
Moyen-Orient et l’Afrique au sein de l’entreprise française de télécommunications Orange – un acteur de
premier plan dans les pays africains francophones. «Nous avons constaté un afflux de nouveaux clients
venant principalement du marché informel » a fait savoir Andy Jury, directeur général de Mukuru, l’entreprise
à laquelle M. Takawira fait désormais appel.
Comme M. Takawira, beaucoup ont dû puiser dans leurs économies ou consentir d’autres sacrifices à cette
fin, selon des analystes et des responsables d’entreprises.
Selon M. Jury et d’autres responsables du secteur, cette évolution devrait être durable, car les services de
transfert de fonds numériques sont généralement moins coûteux, plus rapides et plus sûrs que les réseaux
informels, que les États peinent à réglementer. Mukuru, dont l’activité est principalement centrée sur les
rapatriements de fonds en Afrique et qui permet aux clients d’envoyer de l’argent liquide et des denrées
alimentaires, a vu sa croissance s’accélérer d’environ 75 % par rapport à l’année précédente.
Selon les chiffres officiels de la Banque mondiale, les rapatriements de fonds à destination de l’Afrique
subsaharienne se sont élevés à 48 milliards de dollars des États-Unis l’année dernière. Les experts estiment
toutefois que ce chiffre ne reflète qu’une partie de la réalité. En effet, une grande partie de l’argent que
les Africains rapatrient par l’intermédiaire de réseaux informels ne figure pas dans les données officielles.
Lorsque ces réseaux ont été paralysés par les confinements, les entreprises formelles de transfert de
fonds – en particulier les plateformes numériques – sont soudain devenues les seules options disponibles
sur le marché.
Source : Extrait abrégé de Bavier et Dzirutwe, 2020.
274 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
La résilience et la reprise des rapatriements de fonds ne sont pas des tendances qui ont été observées partout.
Par exemple, les rapatriements de fonds ont baissé de 7,9 % en Asie de l’Est et dans le Pacifique, de 9,7 % en
Europe et en Asie centrale, et de 12,5 % en Afrique subsaharienne36,37. Plusieurs économies d’Asie du Sud ont subi
des chocs liés aux rapatriements de fonds internationaux lorsque les prix du pétrole se sont effondrés au cours de
la phase initiale de la pandémie, ce qui avait provoqué une forte contraction économique dans la région du Golfe,
où résident de nombreux migrants sud-asiatiques38. Cette évolution a entraîné une chute soudaine des recettes
en devises, qui a coïncidé avec une augmentation du chômage structurel, et a pesé sur le bien-être de millions
de familles à faible revenu39. Toutefois, les rapatriements de fonds internationaux à destination des principaux
pays d’Asie du Sud (Inde, Pakistan et Bangladesh) ont augmenté en 2021, le Pakistan ayant enregistré la plus forte
croissance par rapport à 2020 (19,6 %, contre 8,0 % pour l’Inde et 2,2 % pour le Bangladesh). Une étude portant
sur huit pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) a constaté une baisse de revenu dans 73 %
des ménages observés en 202140. La Thaïlande a connu une contraction économique de 6,5 %, qui a fait grimper
le taux de pauvreté à 8,8 %41.
Il est reconnu depuis longtemps que les migrants apportent à leurs pays d’origine et à leurs proches à l’étranger
des contributions transnationales qui vont bien au-delà des rapatriements de fonds42. La pandémie a mis en lumière
le rôle de plus en plus important que les contributions des groupes de la diaspora (temps, argent, expertise et
relations) peuvent jouer dans l’atténuation des souffrances humaines43. Ces contributions n’ont cessé de croître
ces dernières années, ayant été facilitées par la capacité croissante des membres de communautés très dispersées
à maintenir un sentiment d’appartenance à un groupe grâce aux outils numériques des réseaux sociaux, lesquels
sont devenus de plus en plus omniprésents. L’une des principales raisons pour lesquelles une attention croissante
est accordée à « l’action humanitaire de la diaspora » depuis 2020 est que cette tendance s’est accélérée, l’essor du
télétravail ayant fortement stimulé les entreprises technologiques, qui ont fourni des outils permettant de collaborer
exclusivement en ligne pendant les périodes de confinement44. En outre, les mesures de confinement ont fortement
limité la capacité des organisations humanitaires classiques à accéder aux zones de crise et à y apporter leur aide45.
Dans de nombreuses régions du monde, les personnes dans le besoin ont donc dû compter presque exclusivement
sur les contributions envoyées par des amis et des membres de leur famille vivant dans des conditions plus stables.
De ce fait, les personnes vivant dans certaines zones de crise se sont senties abandonnées par les principales
organisations humanitaires internationales, et la solidarité s’est développée avec les membres de la famille immédiate
et de la communauté, où qu’ils soient, de même que la dépendance à leur égard. Il en résulte également que
des groupes de migrants, notamment les organisations de réfugiés, ont eu besoin d’accroître leur autonomie, car
les interventions humanitaires internationales ont été profondément perturbées par la pandémie de COVID-19,
comme le fait ressortir l’encadré ci-dessous.
36 Les rapatriements de fonds à destination de l’Afrique subsaharienne ont été ralentis de façon significative par la baisse de 28 % des
rapatriements de fonds à destination du Nigéria. Si l’on exclut le Nigéria du calcul, ils ont augmenté de 2,3 % (Banque mondiale, 2021b).
37 Banque mondiale, 2021a.
38 Arezki et al., 2020.
39 Withers et al., 2022.
40 Morgan et Trinh, 2021.
41 Banque mondiale, 2021c.
42 Newland et Patrick, 2004 ; McAuliffe et al., 2019.
43 Horst et al., 2015.
44 Bursztynsky, 2020.
45 The Lancet, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 275
Témoignages de première ligne : les organisations de réfugiés dans l’ombre de la COVID-19
Je m’appelle Mary Tal et je suis une avocate qui a grandi au Cameroun, pays d’Afrique de l’Ouest. J’ai
travaillé pour l’organisation Human Rights Defense Group avant de devenir moi-même une réfugiée et
d’être contrainte de fuir mon pays en 1998. Lorsque j’ai obtenu l’asile au Cap, en Afrique du Sud, j’ai
trouvé ma vocation : œuvrer au service des autres femmes réfugiées, ce qui nous a amenées à fonder
l’association Whole World Women Association (WWWA) en 2007. La WWWA s’emploie à renforcer les
moyens d’action des femmes et des enfants réfugiés de l’ensemble du continent africain en leur offrant une
formation au leadership et à l’intégration sociale, une sensibilisation au VIH/sida, une assistance juridique et
une protection de leurs droits en tant que réfugiés.
Lorsque la pandémie de COVID-19 a atteint l’Afrique du Sud en mars 2020, notre travail a changé du
tout au tout, d’une façon à laquelle notre association n’était pas préparée. Pour ne citer que certains
des problèmes que nous avons rencontrés, le financement des services essentiels que nous assurons
habituellement s’est raréfié ; les personnes au service desquelles nous œuvrons ont souffert de fatigue
mentale et émotionnelle ; et des informations erronées sur la COVID-19 ont circulé. Une autre épreuve qui
m’a brisé le cœur a été d’apprendre que certaines mères célibataires avec lesquelles nous avions travaillé
avaient succombé au virus, laissant derrière elles des orphelins. D’autres mères célibataires ont perdu leur
emploi, seule source de revenus pour leurs enfants. Pour surmonter ces difficultés, la WWWA fournit des
denrées alimentaires, des masques et du matériel sanitaire aux milliers de femmes réfugiées auxquelles nous
prêtons assistance. Notre association s’est également engagée à soutenir, pour une durée de six mois, les
enfants de nos clientes qui sont décédées. Nous aidons leurs familles à payer les frais liés aux funérailles
et tâchons de trouver un moyen de mettre ces enfants en contact avec des membres de leur famille, dont
beaucoup vivent à l’étranger. Nous ne pouvons pas accomplir ce travail seules. De meilleures politiques sont
nécessaires pour soutenir les personnes les plus vulnérables pendant la pandémie. Nos voix doivent être
entendues par les décideurs : il faut humaniser les politiques et mieux aider les organisations de réfugiés
à soutenir leurs communautés.
Source : Extrait abrégé de The Elders, 2020.
Dans les pays confrontés à des problèmes politiques et climatiques, tels que le Soudan, la COVID-19 a accru la
vulnérabilité socio-économique des migrants internes46. Des recherches sur les travailleurs migrants saisonniers
dans le Soudan oriental ont montré que l’impossibilité de rapatrier des fonds était une contrainte majeure pour
ces personnes depuis le début de la pandémie47, et que l’inflation pesait constamment et considérablement sur
les moyens de subsistance48. La plupart des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ont connu une forte
inflation49, et le prix des aliments de base a augmenté de plus de 20 % dans des pays tels que Djibouti, la
46 Le Soudan oriental est confronté à des difficultés politiques depuis la Révolution soudanaise de 2018, à une instabilité politique récurrente
liée aux conflits dans le Tigré et à l’afflux soudain de réfugiés qui en a résulté, ainsi qu’à des défis climatiques, tels que les précipitations
élevées récurrentes (Amin, 2020).
47 Jourdain et al., 2022.
48 UNDP, 2020.
49 Messkoub, 2022.
276 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
République islamique d’Iran, le Liban, la République arabe syrienne et le Yémen50. Les années à venir seront
probablement marquées par une incertitude, des transformations et des contre-transformations constantes51. Il est
donc important de suivre de près le processus de relèvement et d’élaborer des politiques sur la migration, la
diaspora et les rapatriements de fonds qui soient globales et qui résistent aux chocs.
Si l’on compare la perturbation causée par la pandémie et celle causée par la crise financière mondiale, les
rapatriements de fonds vers les pays en développement ont beaucoup mieux résisté à la pandémie. Toutefois, la
récession dans les principaux pays de destination a été plus profonde pendant la pandémie que pendant la crise
financière mondiale. Une étude a montré qu’une augmentation de 1 % du nombre de cas de COVID-19 par
million d’habitants donnait lieu, en moyenne, à une augmentation des rapatriements de fonds de 0,03 point de
pourcentage52. Les particularités régionales et les mesures de redressement mettent en évidence l’influence que les
changements induits par la pandémie dans les schémas de migration et de mobilité de la main-d’œuvre ont eue sur
l’économie après la pandémie. Couplées aux rapatriements de fonds, les mesures de politique intérieure, telles que
celles régissant les transferts d’argent en espèces, protègent les économies contre les crises. En Amérique latine,
les dépenses publiques ont augmenté de 2,9 % entre 2019 et 202053. Dans cette région, les transferts en espèces
ont largement fait office de politique économique à la suite de la pandémie de COVID-1954. L’emploi dans la région
n’a pas tout à fait retrouvé son niveau d’avant la pandémie, mais l’écart est désormais minime55. Parallèlement, le
tourisme international a commencé à reprendre dans les Caraïbes56. Selon les estimations du Fonds monétaire
international (FMI) de juillet 2022, la croissance en Amérique latine et dans les Caraïbes était de 3 %, un taux
nettement plus faible qu’en 2021 mais robuste par rapport aux résultats enregistrés dans le monde57.
D’autre part, les pays de l’Union européenne et les pays de l’OCDE qui ne sont pas membres de l’Union
européenne sont à l’origine de 55 % des rapatriements de fonds dans le monde58. En particulier, les États-Unis, la
Suisse, l’Allemagne, la France et le Luxembourg figurent parmi les dix principaux pays d’origine des rapatriements
de fonds59. Dans les pays de destination des migrants, les pressions inflationnistes ont augmenté, ce qui s’explique
principalement par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, les obstacles à la production et
l’augmentation de la demande60. Selon le FMI, la reprise rapide de l’activité économique dans de nombreuses régions
a fait augmenter l’inflation de base par rapport aux niveaux antérieurs à la crise61. Les pressions inflationnistes ont
été les plus fortes dans les pays où la demande (en particulier de biens de consommation) s’est redressée le plus
rapidement62.
50 Banque mondiale, 2021d.
51 Forum économique mondial, 2022a.
52 Quayyum et al., 2021.
53 CEPALC, 2021.
54 Les quatre pays de la région dont les dépenses consacrées aux transferts en pourcentage du PIB étaient les plus élevées en 2020 étaient
le Mexique (8,6 %), le Chili (11,5 %), l’Argentine (12,9 %) et l’Uruguay (15,1 %) (Solorza, 2021).
55 Maurizio, 2022.
56 Ibid.
57 Adler et al., 2022.
58 REM et OCDE, 2020.
59 Ibid.
60 Banque mondiale, 2022.
61 Adrian et Gopinath, 2021.
62 Ibid.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 277
Automatisation, externalisation numérique et évolution du rôle de la mobilité de la main-d’œuvre dans
l’économie mondiale
Les effets de long terme de la pandémie – qui sont catastrophiques pour le secteur mondial du transport aérien
et qui changent durablement les schémas de mobilité au sein des communautés (comme indiqué plus haut) – sont
en train de remodeler le rôle de la mobilité dans les économies du monde entier. En particulier, la baisse de la
mobilité renforce la numérisation et l’automatisation, et vice versa63.
La transformation numérique qui est en cours a des effets majeurs sur les migrants et les processus de migration.
Depuis la pandémie, les migrants s’appuient de plus en plus sur des solutions numériques pour obtenir des
informations et rapatrier des fonds, tandis que les États utilisent de plus en plus de nouveaux systèmes numériques
pour assurer la gestion des migrations64. L’adaptation des services à la prestation en ligne a été un objectif clé
pendant la crise sanitaire, s’agissant en particulier de répondre aux besoins des populations migrantes et d’autres
groupes vulnérables. Par exemple, 14 des 27 pays de l’Union européenne ont adopté ou systématiquement mis en
place la prestation de services de santé en ligne, notamment sous la forme de vidéos et de tutoriels dans différentes
langues, ainsi que de consultations en ligne65. Ces technologies d’intégration peuvent aider les populations migrantes,
mais leur conception, leur élaboration et leur mise en œuvre doivent être centrées sur les droits humains, et ces
droits ne doivent pas être restreints par les limites de la faisabilité technique66.
Réciproquement, la progression de la transformation numérique résulte en partie de l’évolution de la migration et de
la mobilité qui résulte de la pandémie. Par exemple, l’une des principales conséquences des mesures de restriction
de la circulation a été la réduction considérable de l’offre de main-d’œuvre dans les grands centres économiques :
au niveau international, moins d’immigrants vont dans les principaux pays de destination, tandis qu’au niveau des
pays, moins de migrants internes et pendulaires se rendent dans les zones urbaines densément peuplées. À cause
de ces baisses de la migration et de la mobilité, le marché du travail est extrêmement tendu dans les villes des
pays développés. En théorie, une réduction de la main-d’œuvre immigrée devrait conduire à une hausse des salaires
dans les régions de destination. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux économistes du travail aient affirmé
que la pandémie serait suivie d’un âge d’or pour les travailleurs, fait d’offres d’emploi abondantes, de salaires en
hausse, de «démissions silencieuses » (baisse des efforts consentis par les employés) et d’une « grande démission »67.
En théorie, une hausse des salaires devrait à son tour stimuler l’innovation, à mesure que les entreprises réduisent leur
dépendance à l’égard de la main-d’œuvre (immigrée) plus coûteuse en investissant dans des technologies permettant
d’économiser de la main-d’œuvre. Il s’agit là aussi d’une caractéristique majeure de l’économie après la pandémie.
D’une part, on a ainsi assisté à une automatisation des tâches dans les secteurs de l’agriculture, de la fabrication
et des services non exportables tels que le commerce de détail, l’hôtellerie, la restauration et les soins de santé
qui étaient devenus, au cours des décennies avant la pandémie, très dépendants de la main-d’œuvre migrante68. Par
exemple, malgré un ralentissement général dans le secteur des start-up technologiques, les entreprises d’agriculture
technologique (AgTech) telles que FarmWise, basée aux États-Unis, attirent de plus en plus de capital-risque pour
63 McAuliffe et al., 2021b.
64 McAuliffe, 2021 ; Réseau des Nations Unies sur les migrations, 2020.
65 Commission européenne, 2022.
66 McAuliffe et al., 2021a.
67 Williams, 2021.
68 Adrian et Gopinath, 2021.
278 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
développer leurs robots de désherbage autonomes, sur la base de projections démographiques selon lesquelles la
main-d’œuvre agricole était vieillissante et les travailleurs immigrés, de plus en plus difficiles à recruter69.
D’autre part, l’automatisation est à l’origine d’un processus d’« externalisation numérique » dans les secteurs à
main-d’œuvre hautement qualifiée de l’économie des services et du savoir. À l’heure où les entreprises s’efforcent
de faire des économies pour amortir les répercussions économiques de la pandémie, l’une des décisions les plus
simples à prendre a été de réduire les dépenses liées aux voyages d’affaires et aux bureaux en centre-ville, tout
en investissant davantage dans la transformation numérique dans l’espoir d’accroître la productivité. Dans le cadre
de l’externalisation numérique qui en résulte, les entreprises adoptent des plateformes de travail en ligne pour
permettre l’exécution de tâches à distance, notamment dans des domaines tels que les services juridiques et
financiers, l’analyse de données, la conception de logiciels, la traduction, la transcription, l’annotation d’images et la
modération de contenus70.
Au niveau des pays, le développement de l’externalisation numérique contribue à une forte augmentation du
télétravail, et donc à une baisse de la mobilité pendulaire. D’après une étude économétrique fréquemment citée, le
télétravail n’est pas près de disparaître : la pandémie, outre qu’elle a fait sortir les entreprises de l’inertie qui les liait
à des modèles de travail en présentiel qui n’étaient pas nécessaires, a réduit la stigmatisation du travail à domicile,
favorisé une vague de technologies de télétravail innovantes, fait comprendre aux employés que le télétravail pouvait
être plus satisfaisant et démontré aux employeurs que ce mode de fonctionnement pouvait être moins coûteux71.
Pendant la période 2020/2021, il y a de très bonnes raisons de penser qu’un phénomène de contre-urbanisation
– c’est-à-dire une migration interne consistant à quitter les villes – était en train de se produire, en particulier dans
les pays à revenu élevé. Aux États-Unis, on estime que 37 % des emplois peuvent être exercés à domicile72, et le
nombre moyen de personnes quittant les quartiers urbains a doublé en 2020, pendant la pandémie73. Ce revirement
après des décennies d’urbanisation incessante allait de pair avec la diminution de la mobilité intra-urbaine et
interurbaine, car les restrictions à la mobilité accélèrent l’adoption du télétravail.
Parmi ces tendances, le « travail à domicile » est en train d’évoluer vers le « travail depuis n’importe où », d’où des
conséquences importantes pour le rôle de la mobilité de la main-d’œuvre dans l’économie mondiale. Au niveau
international, l’essor des plateformes numériques de travail en ligne a accéléré la tendance qui consiste, pour
les entreprises des pays plus développés, à sous-traiter des tâches à des travailleurs vivant dans des pays moins
développés. Avant même que la pandémie ne survienne, la majeure partie de la demande de main-d’œuvre sur ces
plateformes provenait de pays tels que l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et
le Royaume-Uni, tandis que le travail était en grande partie effectué dans des pays tels que l’Inde, les Philippines
ou l’Ukraine74. Avant la pandémie de COVID-19, les communautés de « nomades numériques » – essentiellement
composées de professionnels utilisant des médias numériques – plaidaient en faveur d’un mode de travail alternatif
reposant sur les technologies de l’information et des communications. La pandémie a alors permis aux personnes
sédentaires de goûter à la vie de nomade numérique, tandis que les nomades numériques ont été amenés à réfléchir
69 Heater, 2022.
70 OIT, 2021a.
71 Barrero et al., 2021.
72 Dingel et Neiman, 2020. Il s’agit essentiellement des activités financières, de la gestion d’entreprise et des services professionnels et
scientifiques.
73 Whitaker, 2021.
74 OIT, 2021a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 279
à l’impact négatif du virus sur la « liberté de voyager » qui leur est chère et à réévaluer la viabilité de leur mode
de vie75.
Ces tendances ne sont ni uniformes ni universelles; par exemple, les tendances en matière de migration rurale
urbaine et de télétravail varient considérablement d’un endroit à l’autre depuis la pandémie. En 2020, l’Espagne
a enregistré des pertes migratoires nettes de 6 % dans les zones à forte densité ainsi qu’une baisse de 15,4 %
de la migration vers les villes; en revanche, les régions à faible densité de population ont enregistré des gains
migratoires nets et les tendances observées y sont de nouveau semblables à celles d’avant la pandémie76. De même,
au Royaume-Uni77, la mise en œuvre de la stratégie gouvernementale de sortie de l’Union européenne en juillet
2021 a entraîné une intensification visible de la mobilité dans les zones urbaines, qui s’est rapprochée des niveaux
enregistrés avant la pandémie78. En 2020, en Australie, 11 200 personnes ont quitté les capitales des États du pays
au profit de régions rurales moins peuplées; l’utilisation des transports publics a baissé de 52 %, et la demande
d’espaces commerciaux dans les villes s’est contractée de 24 %79. Cependant, le télétravail ne peut pas être adopté
par les économies à forte intensité de main-d’œuvre et fortement axées sur le tourisme80. En réaction à la chute
spectaculaire du tourisme qui s’est produite à la suite de la restriction de la circulation pendant la pandémie, des
pays dépendant du tourisme, tels qu’Aruba, les Maldives, la Thaïlande, Antigua-et-Barbuda, le Cambodge et le Costa
Rica, ont mis en place des politiques et des fonds spéciaux pour stimuler le tourisme national et international81.
Ces pays ne sont pas les seuls concernés. Le tourisme international a rebondi de 4 % en 2021, mais il reste bien
en deçà des niveaux antérieurs à la pandémie82.
Soins de santé et effets démographiques : un tableau diversifié
Les mesures de riposte à la pandémie visant à réguler la circulation des migrants ont suscité beaucoup de critiques
car elles ont créé des obstacles à l’accès aux services sociaux et aux soins de santé dans les pays de destination83.
Au plus fort de la pandémie, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays n’ont pas pu suivre les
directives de santé publique ; conjuguées aux conditions de vie déjà précaires de ces personnes, cette situation s’est
traduite par des taux d’infection nettement plus élevés84. La montée du racisme et de la xénophobie a suscité des
débats sur le statut des migrants et les différences qui en découlent dans la prestation de services85. Cependant, la
complexité des mesures pluridimensionnelles et l’absence de données enregistrées au niveau mondial font qu’il est
impossible de mesurer l’impact global de la pandémie sur les migrants.
75 Ehn et al., 2022.
76 González-Leonardo et al., 2022.
77 La mobilité a diminué de 44 %, la baisse la plus forte ayant été enregistrée dans les villes, où elle a dépassé 50 % en 2020 (Rowe et al.,
2023).
78 González-Leonardo et al., 2022.
79 Byrne, 2021.
80 Selon les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme, la pandémie a perturbé le tourisme en réduisant les voyages internationaux
de 73 % en 2020 (OMT, s.d.).
81 Babii et Nadeem, 2021.
82 OMT, s.d.
83 Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 2018.
84 Ag Ahmed et al., 2021.
85 OMS, 2021.
280 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
Cela étant, de nombreux pays ont déployé des efforts considérables pour répondre aux besoins particuliers des
migrants pendant la pandémie (voir l’encadré ci-dessous sur les mesures de régularisation prises pendant la pandémie
de COVID-19). La prestation de soins de santé de base ou d’urgence a été garantie pour les travailleurs migrants,
indépendamment de leur statut, en Argentine, en République de Corée, en Thaïlande et dans 20 États membres
de l’Union européenne, entre autres86. Les migrants dépourvus de documents ont bénéficié d’un accès gratuit aux
services de santé d’urgence liés à la COVID-19 dans plusieurs pays et municipalités du monde, notamment dans
les pays suivants : Belgique, Croatie, Chypre, Estonie, Grèce, France, Finlande, Israël, Italie, Lituanie, Luxembourg,
Malte, Mexique, Espagne, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Suède et Suisse87. Certains pays ont fourni aux populations
migrantes du matériel et des informations de santé publique ciblés. Les migrants en Norvège ont estimé avoir
reçu suffisamment d’informations sur la pandémie par le biais des canaux officiels, ce qui a été corrélé à un degré
élevé de confiance à l’égard des pouvoirs publics et des sources officielles88. L’Arabie saoudite et Bahreïn ont fait
en sorte que les sociétés de recrutement prennent en charge l’assurance maladie des migrants avant leur départ
et ont publié des circulaires administratives établissant des lignes directrices pour les employeurs et les employés89.
La COVID-19 et les mesures de régularisation
La pandémie de COVID-19 a conduit certains pays à prendre des mesures exceptionnelles pour répondre
aux besoins accrus des migrants irréguliers. Début 2020, le Portugal a agi rapidement en régularisant
temporairement le statut de tous les migrants. Par la suite, l’Italie a procédé à une régularisation ciblée
des travailleurs migrants dans des secteurs clés de l’économie. En février 2021, la Colombie a annoncé
qu’elle allait régulariser plus de 1,7 million de Vénézuéliens présents sur son territoire. […] D’autres pays ont
adopté des mesures de régularisation en réponse à la COVID-19 : c’est le cas, notamment, de la République
dominicaine, de la Malaisie et de la Thaïlande.
Source : OIM, 2021.
86 FRA, 2011.
87 Ibid. Il convient de noter que ces exemples ne sont pas exhaustifs : d’autres pays peuvent également avoir fourni des services gratuits.
Plusieurs pays ont également offert la possibilité aux migrants dépourvus de documents de rester sans être sanctionnés ; d’autres ont
lancé des programmes de régularisation, qui ont permis un accès aux services de santé.
88 Madar et al., 2022.
89 CESAO, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 281
Les effets de la COVID-19 sur la santé en général ont des conséquences démographiques qui pourraient
considérablement faire évoluer les migrations. La pandémie a perturbé les programmes de vaccination des enfants
dans plusieurs régions du monde, ce qui a eu pour effet d’accroître le déficit de vaccination de 8 millions de
personnes supplémentaires et de retarder 60 campagnes de vaccination de masse revêtant une importance vitale
dans 50 pays, au détriment de 228 millions de personnes90. Quelque 10,5 millions d’enfants ont perdu l’une ou
plusieurs des personnes qui s’occupaient d’eux91. Les effets de la pandémie sur la santé se sont fait sentir plus
lourdement dans le monde en développement, d’une façon qui influera sur la démographie et les migrations de
demain.
Les grandes puissances économiques ont été touchées à la fois par une surmortalité et par une variation de la
fécondité92. La France a enregistré son taux de natalité le plus faible depuis la Seconde Guerre mondiale93. Les
autorités chinoises ont constaté une baisse de 15 % du nombre de naissances en 202094 : ce nombre est passé
de 14,65 millions en 2019 à 12 millions en 2020, puis à 10,62 millions en 202195. L’effondrement de la population
résultant de cette baisse de la fécondité sera sans doute à l’origine de crises économiques et de crises de la dette
dans l’avenir. Les États s’emploieront bientôt à rembourser les dettes qu’ils ont contractées pour fournir une aide
sociale et financière pendant la pandémie. Cependant, du fait de la baisse de la natalité, ils compteront moins de
contribuables pour supporter ce fardeau. Cela entravera la croissance et obligera de nombreux pays à favoriser
la fécondité, à recruter plus de travailleurs migrants dans des secteurs cruciaux et à investir davantage dans
l’automatisation d’emplois clés, et ce simultanément.
90 OMS, 2022a.
91 Cha, 2022.
92 Bosley et Jamrisko, 2021.
93 Horobin, 2021.
94 Bloomberg, 2021.
95 Yang et al., 2022.
282 Un rebond après la pandémie ? Migration et mobilité dans le monde après la COVID-19
Conclusion
La migration et la mobilité humaines ont connu un rebond remarquable depuis les premiers jours de la pandémie
de COVID-19, qui avait subitement mis à l’arrêt la majeure partie de l’humanité. Cependant, cette forte reprise
cache un profond changement : près de trois ans après que le début de la pandémie, une grande partie du monde
demeure moins mobile qu’avant, ce qui aura des conséquences importantes, à moyen et à long terme, pour les
populations, les sociétés et les économies du monde entier.
La phase d’urgence pandémique est passée, mais la « longue traîne » des infections et des interventions de santé
publique continue de perturber la migration et la mobilité. Les restrictions les plus strictes ont certes été levées,
mais elles ont laissé derrière elles une situation plus complexe et plus contraignante sur le plan des politiques
migratoires, qui associent de nouveaux profils de risque à différentes catégories de migrants, au grand regret de
ceux qui souhaiteraient revenir dans le monde hypermobile de 2019.
Dans ce contexte, la migration et la mobilité ont repris, sans pour autant atteindre les niveaux enregistrés avant la
pandémie. Le nombre de passagers sur les vols internationaux demeure toujours inférieur au niveau de référence de
2019, en particulier en Europe, en Asie et dans le Pacifique, où la baisse s’établit entre 25 % et 49 %. La situation du
transport aérien intérieur est plus mitigée : bien que ce secteur n’ait pas été aussi durement touché que le transport
aérien international et qu’il s’est rétabli plus rapidement, les restrictions imposées sur les vols intérieurs pendant la
pandémie ont été vécues de façon très différente selon les régions du monde. Il est extrêmement intéressant que
la mobilité au sein des communautés ait rebondi vigoureusement dans les pays à plus faible revenu et beaucoup
moins dans les pays à revenu plus élevé.
En faisant évoluer la migration et la mobilité, la pandémie a catalysé ou accéléré certaines transformations sociales
majeures de long terme. Par exemple, dans les pays d’origine des migrants, elle a mis en évidence l’importance des
rapatriements de fonds que les travailleurs migrants font parvenir à leurs familles et de leurs communautés dans
leurs pays d’origine. Les rapatriements de fonds ont beaucoup moins diminué au plus fort de la pandémie que ne
le prévoyaient les experts les plus optimistes, et ils ont également rebondi bien plus rapidement, ce qui suggère
une fois de plus que ces flux ont non seulement un volume élevé, mais aussi une importance disproportionnée du
fait qu’ils sont anticycliques : lorsque d’autres indicateurs économiques étaient en baisse pendant la pandémie, les
rapatriements de fonds sont restés stables et ont augmenté peu après.
Dans les pays de destination, la migration et la mobilité restent plus limitées qu’avant la pandémie, ce qui a également
des effets profondément transformateurs. Par exemple, les employeurs sont incités à s’adapter à des marchés du
travail moins flexibles que ceux auxquels ils s’étaient habitués au cours des décennies précédentes. Contraintes de
réduire leur dépendance à l’égard des sources de main-d’œuvre éloignées, les entreprises investissent davantage
dans l’« externalisation numérique » (qui consiste à recourir à une main-d’œuvre humaine à distance, pour un coût
moindre) et l’automatisation (qui réduit, voire supprime le besoin de main-d’œuvre humaine pour certaines tâches).
Il peut sembler contre-intuitif de prévoir une baisse de la demande de main-d’œuvre migrante alors que le chômage
se maintient à des niveaux historiquement faibles et que les employeurs des pays développés font pression sur les
gouvernements pour qu’ils fassent augmenter l’immigration. Cependant, si le marché du travail est actuellement
tendu dans les pays riches, cela ne résulte pas d’une augmentation de la demande de travailleurs migrants, mais bien
d’une baisse spectaculaire de l’offre. Cette situation contraint les entreprises à prendre des décisions qui bloqueront
la demande, laquelle restera beaucoup plus élevée qu’au plus fort de la pandémie à la mi-2020, mais sans doute
nettement plus faible qu’avant la pandémie.
284 Appendices
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 285
Appendices
Chapitre 3
Appendice A. Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies : régions et
sous-régions
Ce tableau reprend les régions et sous-régions géographiques du DESA et n’implique ni reconnaissance ni acceptation
officielle de la part de l’OIM.
Afrique
Afrique de l’Esta Afrique moyenneb Afrique du Nord Afrique australec Afrique de l’Ouestd
Burundi Angola Algérie Afrique du Sud Bénin
Comores Cameroun Égypte Botswana Burkina Faso
Djibouti Congo Libye Eswatini Cabo Verde
Érythrée Gabon Maroc Lesotho Côte d’Ivoire
Éthiopie Guinée équatoriale Soudan Namibie Gambie
Kenya République
centrafricaine Tunisie Ghana
Madagascar
République
démocratique du
Congo
Guinée
Malawi Sao Tomé-etPrincipe Guinée-Bissau
Maurice Tchad Libéria
Mayotte Mali
Mozambique Mauritanie
Ouganda Niger
République-Unie
de Tanzanie Nigéria
Réunion Sainte-Hélène
Rwanda Sénégal
Seychelles Sierra Leone
Somalie Togo
Soudan du Sud
Zambie
Zimbabwe
a L’Afrique de l’Est a été fusionnée avec la sous-région Afrique australe dans ce chapitre, bien que les pays, territoires et zones y figurant
restent les mêmes. b Cette sous-région a été renommée «Afrique centrale » dans ce chapitre et fusionnée avec l’Afrique de l’Ouest. c Cette sous-région a été fusionnée avec l’Afrique de l’Est. d Cette sous-région a été fusionnée avec l’Afrique centrale (Afrique moyenne, pour le DESA) dans ce chapitre.
286 Appendices
760
Asie
Asie centrale Asie de l’Est Asie du Sud-Est Asie du Sud Asie de l’Oueste
Kazakhstan Chine Brunéi Darussalam Afghanistan Arabie saoudite
Kirghizistan
Chine, Région
administrative
spéciale de Hong
Kong
Cambodge Bangladesh Arménie
Ouzbékistan
Chine, Région
administrative
spéciale de Macao
Indonésie Bhoutan Azerbaïdjan
Tadjikistan Japon Malaisie Inde Bahreïn
Turkménistan Mongolie Myanmar Iran (République
islamique d’) Chypre
République de
Corée Philippines Maldives Émirats arabes unis
République
populaire
démocratique de
Corée
République
démocratique
populaire lao
Népal Géorgie
Singapour Pakistan Iraq
Thaïlande Sri Lanka Israël
Timor-Leste Jordanie
Viet Nam Koweït
Liban
Oman
Qatar
République arabe
syrienne
Türkiye
Yémen
e Cette sous-région a été renommée « Moyen-Orient ».
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 287
Europef
Europe de l’Estg Europe du Nord Europe du Sud Europe de l’Ouest
Bélarus Danemark Albanie Allemagne
Bulgarie Estonie Andorre Autriche
Fédération de Russie Finlande Bosnie-Herzégovine Belgique
Hongrie Îles Anglo-Normandes Croatie France
Pologne Île de Man Espagne Liechtenstein
République de Moldova Îles Féroé Gibraltar Luxembourg
Roumanie Irlande Grèce Monaco
Slovaquie Islande Italie Royaume des Pays-Bas
Tchéquie Lettonie Macédoine du Nord Suisse
Ukraine Lituanie Malte
Norvège Monténégro
Royaume-Uni de Grande
Bretagne et d’Irlande du
Nord
Portugal
Suède Saint-Marin
Saint-Siège
Serbie
Slovénie
f Dans le chapitre 3, certains pays de cette sous-région, en particulier les pays membres de l’Union européenne, ont pu être inclus à
la fois dans l’analyse de l’Europe du Sud-Est et de l’Est et dans celle de la sous-région Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud. g L’Europe du Nord, l’Europe de l’Ouest et l’Europe du Sud sont fusionnées dans ce chapitre, à l’exclusion des pays suivants d’Europe
du Sud : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie, qui ont été inclus dans la section du
chapitre consacrée à la sous-région Europe du Sud-Est et de l’Est.
288 Appendices
Amérique latine et Caraïbes
Caraïbes Amérique centraleh Amérique du Sud
Anguilla Belize Argentine
Antigua-et-Barbuda Costa Rica Bolivie (État plurinational de)
Aruba El Salvador Brésil
Bahamas Guatemala Chili
Barbade Honduras Colombie
Bonaire, Saint-Eustache et Saba Mexique Équateur
Cuba Nicaragua Guyana
Curaçao Panama Guyane française
Dominique Îles Falkland (Malvinas)
Grenade Paraguay
Guadeloupe Pérou
Haïti Suriname
Îles Caïmanes Uruguay
Îles Turques et Caïques Venezuela
(République bolivarienne du)
Îles Vierges américaines
Îles Vierges britanniques
Jamaïque
Martinique
Montserrat
Porto Rico
République dominicaine
Sainte-Lucie
Saint-Kitts-et-Nevis
Saint-Vincent-et-les Grenadines
Sint Maarten (partie néerlandaise)
Trinité-et-Tobago
h La sous-région « Amérique centrale » a été fusionnée avec le Mexique et les Caraïbes dans ce chapitre.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 289
Amérique du Nord
Bermudes
Canada
Groenland
Saint-Pierre-et-Miquelon
États-Unis d’Amérique
Océanie
Australie et
Nouvelle-Zélande Mélanésie Micronésie Polynésie
Australie Fidji Guam Îles Cook
Nouvelle-Zélande Îles Salomon Îles Mariannes
septentrionales Îles Wallis-et-Futuna
Nouvelle-Calédonie Îles Marshall Nioué
Papouasie-NouvelleGuinée Kiribati Polynésie française
Vanuatu Micronésie
(États fédérés de) Samoa
Nauru Samoa américaines
Palaos Tokélaou
Tonga
Tuvalu
Légende :
Région
Sous-régionii
Pays, territoire ou zoneii,iii
Note : Pour des notes explicatives ou relatives à la méthodologie, voir DESA, 2020.
i Les noms des sous-régions utilisés dans ce chapitre ainsi que les pays, territoires ou zones inclus dans ces sous-régions
peuvent différer de ceux utilisés par la Division de statistique du DESA.
ii Les noms de pays ou de zones sont présentés sous la forme courte utilisée dans les opérations quotidiennes des Nations
Unies et ne correspondent pas nécessairement aux noms officiels employés dans les documents officiels. Ces noms sont tirés
de la base de données terminologique des Nations Unies (UNTERM), consultable à l’adresse https://unterm.un.org/UNTERM/
portal/welcome. Les appellations employées sur ce site et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part
du Secrétariat des Nations Unies [ou de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)] aucune prise de position
quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou
limites (DESA, s.d.).
iii Les entités mentionnées dans ce tableau comprennent des pays ainsi que des territoires, des zones et des régions
administratives spéciales. Ce tableau est également utilisé dans le chapitre 2. Il n’entend pas être exhaustif.
290 Appendices
Chapitre 4
Appendice A. Possibilités, migration et indice de développement humain
L’indice de développement humain (IDH), qui est publié chaque année par le PNUD dans son Rapport sur le
développement humain, part du principe qu’en général, les personnes ne sont pas seulement motivées par le désir
d’accroître leurs revenus, mais qu’il s’agit aussi, pour elles, de se donner la « [capacité d’]exercer leurs libertés et
[de] concrétiser leurs aspirations »1
. Fondé sur les travaux d’Amartya Sen et mis au point par Mahbub ul Haq, l’IDH
«met les personnes au cœur de la réflexion» en associant trois flux de données représentant chacun certaines des
possibilités de base susceptibles de favoriser le développement des capacités humaines2
. Premièrement, l’éducation
d’un pays ou d’une entité infranationale est mesurée, principalement sur la base du nombre d’années de scolarisation
des enfants. Deuxièmement, la santé est mesurée par l’espérance de vie d’un enfant à la naissance. Troisièmement,
l’IDH utilise un indicateur économique, représenté par le revenu moyen mesuré dans la monnaie locale (parité de
pouvoir d’achat ou PPA). En intégrant ces trois catégories dans un seul indice, l’IDH cherche à donner une idée
plus nuancée des caractéristiques qui contribuent au bien-être individuel et collectif dans une société.
Les limites de l’IDH sont bien connues. En réduisant l’indice à la santé et à l’éducation, puis en quantifiant ces
catégories sur la base d’une série limitée de variables, on risque de tomber dans le piège d’une simplification
excessive. Le système de classification – les seuils numériques permettant de classer le niveau de développement
d’un pays – peut être perçu comme arbitraire. Surtout, l’IDH peut être politisé, car certains pays font des efforts
concertés pour obtenir de meilleures notes pour un ou plusieurs indicateurs3
. Cependant, les indices économiques
sont sujets aux pires manipulations, comme l’a montré récemment la suspension et la révision du rapport Doing
Business de la Banque mondiale, qui présentait chaque année un indice des réglementations commerciales et des
facteurs économiques, mais qui a été critiqué en raison d’irrégularités méthodologiques et pour avoir négligé le
rôle des systèmes de protection sociale dans le développement humain4
.
En utilisant l’IDH dans le présent chapitre, les auteurs sont conscients de ce qui suit. Premièrement, l’introduction de
diverses variables ne se traduit pas forcément par une représentation plus précise du développement. La simplicité
de l’IDH est l’un de ses avantages. Deuxièmement, s’agissant des systèmes de classification, s’ils peuvent parfois
être considérés comme arbitraires, il n’en demeure pas moins qu’ils permettent à l’esprit humain de conceptualiser
des schémas de développement5
. Enfin, si la politisation de l’IDH est inévitable, cet indice continue néanmoins de
servir de référence pour les journalistes, les universitaires et les responsables politiques, car il propose une mesure
précise permettant de se faire une idée des possibilités offertes aux populations du monde entier6
.
Le Rapport mondial sur le développement humain 2009 s’était penché sur le thème de la migration, faisant
remarquer qu’une amélioration des politiques en matière de mobilité humaine peut favoriser le développement
humain7
. Du point de vue de l’IDH, la décision de migrer n’est pas seulement motivée par l’obtention de revenus
plus importants, ni forcément envisagée comme un investissement en vue de gains potentiels futurs. Bien plutôt,
la migration est une stratégie adoptée pour accéder à certains biens essentiels – tels que la santé et l’éducation –
qui permettent d’élargir l’éventail des possibilités pour soi-même et ses enfants. Malgré sa tentative de quantifier
les migrations internes à l’échelle mondiale, un exercice difficile étant donné la diversité des définitions et la rareté
des données fiables sur les événements migratoires, le Rapport mondial sur le développement humain 2009 a
néanmoins montré que les migrations peuvent être analysées dans le contexte d’un ensemble plus large de variables,
ce qui permet d’obtenir des données solides sur la migration susceptibles d’éclairer l’action des pouvoirs publics.
1 PNUD, 2019.
2 Ibid. ; Sen, 1985; Stanton, 2007.
3 Wolff et al., 2011.
4 Davis et Kruse, 2007 ; Banque mondiale, 2020.
5 Davis et al., 2012.
6 Stanton, 2007.
7 PNUD, 2009.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 291
Appendice B. Comment j’ai été mêlée à une querelle scientifique sur les chiffres de la migration
et ce que j’en ai appris
Par Maite Vermeulen
Note : Ceci est un extrait abrégé de l’article original publié sur le site d’information The Correspondent, dont la
parution a cessé depuis. Le texte intégral demeure disponible à l’adresse https://thecorrespondent.com/747/how-iended-up-in-a-scientific-spat-about-migration-figures-and-what-i-learned-from-it/98789433039-1dadd2ed.
Il faut que je vous raconte comment une étude qui tordait le cou à une théorie influente sur la migration a
elle-même été discréditée. Sans doute avez-vous dû relire cette phrase, ce que je peux comprendre […]. Cette
expérience a été riche d’enseignements pour moi. J’ai appris comment fonctionne la science et comment nous,
journalistes, devons nous en accommoder. J’ai aussi appris ce qu’est réellement l’expertise, et pourquoi elle est si
limitée. Enfin, j’ai compris ce que signifie les notions de certitude, de doute et d’avoir raison. Alors attachez vos
ceintures et préparez-vous à découvrir pourquoi j’ai reconnu – à tort – que je m’étais trompée.
Au commencement de cette histoire : la bosse migratoire
Tout a commencé il y a quelques mois lorsque j’ai lu une nouvelle étude sur la bosse migratoire. Ce sujet a
immédiatement attiré mon attention, car « la bosse migratoire » est une théorie bien connue et très influente sur
les rapports entre la migration et le niveau de développement. Pour faire simple, cette théorie affirme que lorsqu’un
pays pauvre devient plus riche, l’émigration de sa population augmente au lieu de diminuer. Cela peut sembler
contre-intuitif : on pourrait croire que, lorsqu’un pays devient plus riche, les raisons de le quitter diminuent puisque
les conditions de vie s’y améliorent, n’est-ce pas? Pourtant, la bosse migratoire montre que tel est le cas uniquement
au-delà d’un certain niveau de revenu, situé aux alentours de 7 000 à 10 000 dollars É.-U. par personne et par an.
De nombreux pays pauvres sont encore loin d’avoir atteint ce seuil. Par conséquent, le développement économique
de ces pays devrait entraîner une augmentation de la migration, et non une diminution. Ce phénomène s’explique
comme suit : la migration coûtant cher, lorsque des personnes auparavant très pauvres ont un peu d’argent, la
probabilité qu’elles migrent augmente. Si vous consultez un graphique comparant le revenu et l’émigration, vous
verrez une courbe plus ou moins en forme de colline montrant que les taux d’émigration sont les plus faibles dans
les pays pauvres et les plus élevés dans les pays à revenu intermédiaire, et qu’ils chutent dans les pays riches : c’est
la «bosse » migratoire.
Je fais souvent référence à la bosse migratoire dans mes articles, surtout pour critiquer la politique migratoire
européenne. En effet, l’Union européenne consacre de plus en plus de fonds à l’aide au développement dans le
but de réduire la migration. Or, la bosse migratoire montre que cette stratégie repose sur une idée erronée : si
l’augmentation de l’aide conduit à un développement accru dans les pays pauvres, ce financement entraînera une
hausse de la migration nette, et non une diminution. C’est alors que cette nouvelle étude, publiée dans le cadre du
projet de recherche MEDAM, est arrivée sur mon bureau. Ses auteurs étaient formels : leur analyse des données
sur la migration faisait apparaître que la bosse migratoire simplifiait de façon excessive la situation. En fait, leurs
modèles avaient abouti à des résultats opposés. D’après leurs calculs, l’enrichissement d’un pays pauvre conduisait
à une baisse de l’émigration à destination des pays riches. Les chercheurs expliquaient cette différence de résultat
par la méthodologie qu’ils avaient employée : en effet, au lieu de comparer l’émigration dans les pays pauvres et
les pays riches, ils avaient comparé l’évolution des pays par rapport à eux-mêmes au fil du temps. Pourquoi? Parce
292 Appendices
qu’une comparaison entre pays pauvres et pays riches ne rend pas compte des différences entre ces pays : des
différences qui peuvent avoir une incidence sur les revenus ainsi que sur la migration.
J’ai demandé à des collègues et à des experts de la migration connaissant mieux l’économétrie que moi de jeter
un coup d’œil à ce nouvel article ; j’ai parlé aux auteurs puis ai décidé de rédiger une mise à jour. L’étude semblait
convaincante et je voulais prendre mes responsabilités puisqu’une théorie que j’avais souvent citée dans mes articles
ne tenait pas la route. Je croyais que ma saga de la bosse touchait à sa fin. C’est alors que j’ai été identifiée dans
un fil Twitter par Michael Clemens, éminent économiste du développement au Center for Global Development.
D’après son tweet, la nouvelle étude était fondée sur une erreur statistique.
Les calculs de Michael Clemens
Dans un message privé, Michael Clemens m’a assuré que ce n’était pas mon article qui posait problème, mais l’étude
proprement dite. La discussion fut parfaitement cordiale, bien entendu. Je n’étais plus sûre de rien. Aurais-je pu le
voir venir? Aurais-je dû agir différemment? Quels enseignements pouvais-je tirer de cette expérience ?
J’ai de nouveau examiné l’article en détail, et je me suis penchée sur les critiques de Michael Clemens. J’ai regardé ses
graphiques, ses tableaux, ses formules. Seulement, il y avait un petit problème : je n’y comprenais strictement rien et
pour cause, les critiques formulées par Michael Clemens portaient sur les méthodes statistiques des chercheurs. Or,
si vous n’avez pas de diplôme en économétrie, l’analyse est presque impossible à suivre. D’ailleurs, il en va de même
pour les personnes qui ont étudié les statistiques à un niveau avancé. Après avoir passé trois heures à analyser les
deux documents, ma collègue Sanne Blauw – titulaire d’un doctorat en économétrie – m’a appelée pour me dire :
« Je pense que je comprends plus ou moins ce que Clemens reproche à cette étude. »
J’ai sollicité l’aide d’autres experts : des professeurs et des doctorants capables de m’expliquer les statistiques, qui
avaient déjà travaillé avec des séries chronologiques et des données de panel transversales, et qui en savaient plus
sur les régressions fallacieuses et les variables non stationnaires. J’ai eu de longs entretiens téléphoniques avec
Michael Clemens et Claas Schneiderheinze, l’un des chercheurs qui avaient participé à la rédaction de l’article publié
dans le cadre du projet MEDAM. Je ne peux pas dire que je maîtrise parfaitement tous ces calculs à présent, mais
voici ce que comprends désormais.
Ce que j’ai appris
Que cet article repose ou non sur une erreur statistique (cette question sera probablement tranchée dans les
revues universitaires au cours des prochains mois), toute cette agitation m’amène à m’interroger sur ma relation
avec la science en tant que journaliste : en quoi elle consiste et qu’elle devrait être. Chaque personne − y compris
les journalistes − évolue dans un cadre limité qui détermine sa capacité à comprendre quelque chose. J’ai étudié à
l’université, mais je n’ai pas suivi de cours de statistiques à un niveau avancé. Je ne maîtrise pas non plus des sujets
tels que le cycle de l’azote, la grammaire japonaise ou les mathématiques qui sous-tendent les modèles de climat.
À vrai dire, ce que nous ne savons pas est bien plus vaste que ce que nous savons.
Parfois, cela est sans importance. Je n’ai pas besoin de comprendre Newton pour dire quelque chose de cohérent
sur la réduction de la pauvreté. En revanche, cela a souvent de l’importance, même si nous n’en sommes pas
conscients. En tant que journalistes, quand nos connaissances et nos compétences sont insuffisantes, nous nous
en remettons à des experts pour combler nos lacunes. Mais, là encore, ce que savent les experts n’est rien en
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 293
comparaison de ce qu’ils ne savent pas. Surtout quand il est question de statistiques. De nombreux biologistes,
médecins, psychologues, économistes ou sociologues font appel à des collègues spécialistes pour gérer leurs
analyses statistiques. Ceux-ci conçoivent des modèles si compliqués que seul un tout petit nombre peut réellement
les comprendre ou formuler des commentaires critiques. Les calculs mathématiques qui sous-tendent les modèles
sont si éloignés de notre réalité que les résultats semblent apparaître comme par magie, tel un lapin sortant d’un
chapeau haut de forme : nous n’avons aucune idée de la manière dont cela fonctionne, mais le résultat s’impose
comme une évidence.
Qui sait comment fonctionne la magie statistique ? Nous pouvons établir un parallèle révélateur avec les modèles
épidémiologiques utilisés pour prédire l’évolution de la pandémie de coronavirus : Qui sait exactement comment
ces modèles fonctionnent?
C’est ainsi qu’un journaliste – ou un responsable politique – peut se retrouver dans une situation délicate quand
deux experts soutiennent des affirmations contradictoires. Peut-on placer deux variables non stationnaires d’un côté
d’une régression de données de panel sans perdre la tendance à long terme ? Bien sûr que oui ; non, absolument
pas! Comment donc un journaliste pourrait-il dire qui a raison ? La seule solution semble être d’accumuler les
connaissances, en demandant à tous les grands cerveaux que l’on peut trouver de donner leur son de cloche.
Idéalement, c’est ainsi que la science devrait fonctionner.
Quand cela arrive, il apparaît souvent que la question n’est pas de savoir ce qui est vrai ou faux, mais de savoir à
quelle question nous voulons répondre. L’article du MEDAM répond à une question intéressante – mais pas à la
question de savoir si la théorie de la bosse migratoire dit vrai ou non. Peut-être les auteurs sont-ils, à leur insu,
tombés dans un piège que la science a elle-même créé : les études controversées qui réfutent une théorie influente
sont considérées comme plus prestigieuses que celles qui confirment les hypothèses dominantes. Rappelez-vous :
il s’agit d’une étude sur laquelle j’avais décidé (en ma qualité de journaliste) d’attirer l’attention. Je ne me serais
probablement pas intéressée à elle d’aussi près si son modèle avait confirmé une nouvelle fois la fameuse bosse
migratoire.
Ainsi, la meilleure chose que nous puissions faire est de conserver un regard critique : douter sans cesse, remettre
en question et admettre que notre savoir – et celui des experts – est limité. Si j’avais creusé davantage le sujet,
peut-être aurais-je pu soulever quelques questions sur l’ensemble de données utilisées dans l’article MEDAM. Mais
là encore, il n’existe pas de données qui ne soient pas controversées quand on s’attaque à un sujet aussi complexe
que les chiffres de la migration. Quant au principe selon lequel deux variables non stationnaires ne peuvent être
régressées si l’on veut contrôler une troisième variable cointégrée : jamais je n’aurais pu imaginer poser ce genre
de questions au sujet de cet article. Ni même d’innombrables scientifiques, car l’article MEDAM a été lu et salué
par une multitude d’autres grands cerveaux.
À vrai dire, j’en suis venue à penser que les journalistes, les scientifiques et les responsables politiques sont tous
animés d’un même sentiment : nous aimerions que le monde soit plus simple qu’il ne l’est réellement. Nous voulons
être capables de l’enfermer dans un joli modèle bien construit, puis emballer le tout dans un article à l’avenant. Mais
la réalité est si capricieuse et complexe qu’aucun modèle ne saurait en rendre compte.
Une vision plus nuancée des choses permet aussi de mieux comprendre le monde – mais comment le résumer
dans un titre concis? Il est plus facile de dire : j’avais raison, après tout.
294 Appendices
Appendice C
Afin de déterminer le nombre estimatif de migrants qui vivent sur un territoire donné en raison de facteurs qui
ne sont pas liés à la migration forcée, nous avons, aux fins du présent chapitre, utilisé la base de données sur la
migration forcée établie par le HCR, ainsi que les données publiées par le DESA sur la population de migrants
internationaux8
. Étant donné que ces organismes des Nations Unies recueillent des données et font des estimations
en utilisant des méthodes, des sources et des calendriers différents, il est utile de donner quelques précisions sur
les calculs évoqués dans ce chapitre.
Pour chaque pays et chaque année, la population de migrants déplacés de force – composée de la population de
personnes juridiquement reconnues comme des réfugiés par le HCR et de l’estimation du nombre de demandeurs
d’asile établie par le HCR – est soustraite de la population totale de migrants. Lorsque le nombre de personnes
déplacées de force d’un pays (tel qu’estimé par le HCR) est supérieur à la population totale de migrants d’un pays
d’origine ou de destination, le nombre de migrants non déplacés de force est ramené à zéro pour éviter d’aboutir
à une valeur négative qui n’aurait pas de sens.
Pour calculer la proportion de migrants dans la population générale, différents calculs doivent être faits selon qu’il
s’agit d’émigration (mouvement de personnes au départ d’un pays d’origine) ou d’immigration (mouvement de
personnes vers un pays de destination). Dans les deux cas, nous avons utilisé les données les plus récentes sur la
population de migrants et la population générale, publiées par le DESA en 2020.
S’agissant de l’immigration, le calcul de la population de migrants aux fins de la classification de l’IDH suit l’équation
suivante :
Proportionimmigrants = somme des populations de migrants vivant dans les pays de destination
somme des populations totales
Dans le cas de l’émigration, les populations de la diaspora doivent être incluses dans le dénominateur de la formule
pour garantir une proportionnalité correcte. Par conséquent, l’équation pour chaque classification de l’IDH est la
suivante :
Proportionémigrants = somme des populations de migrants des pays d’origine
somme des populations de migrants des pays d’origine + somme des populations totales
Étant donné la difficulté à recueillir des données précises, anonymes et cohérentes sur les flux migratoires, la mesure
de la population de migrants est devenue un moyen habituel, quoique indirect, d’estimer les flux migratoires9
.
Comme dans le cas des études précédentes fondées sur des données bilatérales relatives à la population de
migrants, nous nous heurtons aux mêmes limites, dont la principale tient à l’hypothèse selon laquelle les migrants
quittent leur pays de naissance ou de citoyenneté, ce qui n’est pas toujours le cas10. En mesurant les populations
de migrants à des intervalles distincts dans le temps, on peut se faire une idée générale des mouvements de
personnes entre les lieux, au moins sous la forme d’instantanés dans le temps. Comme l’a fait remarquer Clemens,
mesurer la population de migrants de cette façon ne permet pas de tenir compte des décès de migrants, l’un des
autres piliers de l’évolution démographique. Pour désigner les calculs effectués dans ce chapitre, il serait plus exact
de parler d’« incidence » de la migration. Afin d’éviter tout jargon technique dans un document destiné à un large
public, nous avons choisi de ne pas inclure ces explications dans le texte principal, mais de faire état des distinctions
conceptuelles ici.
8 PNUD, 2019; DESA, 2021; HCR, 2020.
9 Clemens, 2020.
10 Abel, 2016.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 295
Chapitre 5
Appendice A. La Commission des Nations Unies sur la sécurité humaine
La Commission sur la sécurité humaine a été créée en janvier 2001 à la suite de l’appel du Secrétaire général des
Nations Unies Kofi Annan en faveur d’un monde libéré du besoin et de la peur. La Commission, composée de
12 dirigeants internationaux et coprésidée par Sadako Ogata (ex-Haut-Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés) et Amartya Sen (lauréat du prix Nobel d’économie en 1998), s’est appuyée sur le travail fondateur accompli
par Mahbub ul Haq dans le Rapport mondial sur le développement humain 199411. La Commission a plaidé en
faveur d’un cadre international sur la migration prévoyant des normes, processus et mécanismes institutionnels à
même d’assurer ordre et prévisibilité12.
Le tableau suivant récapitule les évolutions majeures au regard des principales recommandations politiques en
matière de migration formulées dans le rapport publié en 2003 par la Commission.
Recommandations formulées
dans le rapport de 2003 Évolutions majeures Action en cours
Nécessité de créer une
commission de haut niveau pilotée
par les Nations Unies chargée
d’étudier les options, les domaines
de consensus et les voies à suivre
concernant la sécurité humaine
dans le contexte migratoire.
- Création de la Commission
mondiale sur les migrations
internationales en décembre
2003 et publication de son
rapport à la fin de 2005 - En décembre 2003, déclaration
de l’Assemblée générale des
Nations Unies aux fins du
premier Dialogue de haut niveau
sur les migrations internationales
et le développement - Dialogues de haut niveau des
Nations Unies en 2006 et en
2013 - Création du Groupe mondial
des Nations Unies sur la
migration en 2006 - Le Réseau des Nations Unies
sur les migrations pilote
actuellement la mise en œuvre
du Pacte mondial pour des
migrations sûres, ordonnées et
régulières de 2018
11 PNUD, 1994.
12 Commission sur la sécurité humaine, 2003, p. 52.
296 Appendices
Recommandations formulées
dans le rapport de 2003 Évolutions majeures Action en cours
Déterminer et mettre en œuvre
des solutions aux déplacements
transfrontaliers, tant sur le plan
humanitaire que sur celui du
développement. - Prise en compte de la
migration dans les objectifs de
développement durable (ODD) - En 2016, déclaration des
Nations Unies en vue de
l’adoption du Pacte mondial sur
les réfugiés et du Pacte mondial
sur les migrations - Mise en œuvre du Pacte
mondial sur les réfugiés - Mise en œuvre du Pacte
mondial sur les migrations
Nécessité de reconnaître et
mieux comprendre les risques de
sécurité qui apparaissent lors de
mouvements de population forcés
de grande ampleur. - Évolutions majeures résultant
des mouvements de grande
ampleur survenus en 2015 et
en 2016 en provenance de
la Türkiye vers et à travers
l’Europe, dont la Déclaration des
Nations Unies pour les réfugiés
et les migrants en 2016 - Ongoing, with a stronger focus
on displacement related to
climate change
Apporter des améliorations
substantielles à la protection des
personnes déplacées à l’intérieur
de leur pays. - Création en 2019 du Groupe
de haut niveau chargé de la
question des déplacements
internes par le Secrétaire
général des Nations Unies - Finalisation en 2021 du rapport
du Groupe de haut niveau sur
les déplacements internes - Mise en œuvre du Programme
d’action du Secrétaire général
des Nations Unies sur les
déplacements internes finalisé
en 2022 - Nomination mi-2022 d’un
Conseiller spécial du Secrétaire
général des Nations Unies
pour les solutions à apporter à
la question des déplacements
internes, chargé de piloter le
Programme d’action sur les
déplacements internes
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 297
Appendice B. Études de cas nationales par région des Nations Unies
Étude de cas nationale (Amérique latine) : Colombie. Programmes de régularisation
Statistiques clés
Population totale (2021)a 51,52 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Élevé
PIB (2021)c 314,46 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 6 104 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 1,905
Pourcentage de la population 3,70 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 3,02
Pourcentage de la population 5,94 %
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 30 424
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 4 807 000
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
Depuis 2015, plus de six millions de personnes ont fui la crise socio-économique, politique et humanitaire qui sévit
en République bolivarienne du Venezuela13. Le 8 février 2021, le Gouvernement colombien, bénéficiant d’une aide
du Gouvernement des États-Unis sous la forme de fonds et d’équipements, a annoncé le lancement d’un vaste
programme de régularisation14. On estime qu’au moins 56 % des Vénézuéliens qui vivaient en Colombie à la fin de
2020 (au nombre de 1,7 million) n’avaient pas un statut régulier15. Les demandeurs réunissant les conditions requises
se sont vu octroyer un permis de protection temporaire, qui leur assure un statut de protection temporaire
pendant 10 ans ainsi que l’accès à des services de base tels que l’éducation, le logement et des soins de santé.
Non seulement un statut régulier à long terme a été accordé à titre temporaire aux Vénézuéliens qui se trouvaient
en situation irrégulière en Colombie à la fin de janvier 202116, mais le statut de protection temporaire a été étendu
aux Vénézuéliens qui entreraient sur le territoire colombien munis d’un passeport à un point de contrôle frontalier
13 Réseau des Nations Unies sur les migrations, 2022.
14 Ambassade des États-Unis à Bogota, 2021.
15 Conseil danois pour les réfugiés, 2021.
16 Torrado, 2021.
298 Appendices
officiellement reconnu pendant les deux années suivantes, jusqu’en janvier 202317. Depuis la rupture des relations
diplomatiques entre la Colombie et la République bolivarienne du Venezuela en février 201918 et le contrôle par
des groupes armés de zones situées le long de la frontière entre les deux pays19, les canaux officiels permettant de
recenser les violations des droits des personnes déplacées sont rares.
La protection temporaire accordée aux migrants vénézuéliens est une politique d’un genre nouveau mise en œuvre
par le Gouvernement colombien, qui offre une solution à de nombreux Vénézuéliens qui fuient la crise dans leur
pays d’origine20. Bien que la mesure soit qualifiée d’apolitique et d’humanitaire par le cabinet de la présidence
colombienne21, elle apporte une réponse au nombre croissant de migrants vénézuéliens irréguliers et au faible taux
d’acceptation (0,04 %) seulement des demandes d’asile avant 202122.
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
Si le statut de protection temporaire pour les ressortissants vénézuéliens en Colombie a produit des résultats
intéressants tels que la réduction du risque de traite23 ainsi que l’accès à des emplois formels24, plusieurs problèmes
persistent. Bien qu’ils aient la possibilité de quitter le marché du travail informel pour le secteur formel, les
Vénézuéliens rencontrent encore des difficultés à obtenir des contrats de travail formels en raison de la xénophobie
et des discriminations. En particulier, le taux de chômage des Vénézuéliennes en Colombie s’élevait à près de 35 %
en 2021, soit 6 points de plus qu’en 201925, à un niveau supérieur à celui des Colombiennes, en raison à la fois du
ralentissement économique dû à la pandémie de COVID-1926 et de la demande d’emplois disproportionnée par
rapport à l’offre27. D’autres obstacles résultent directement des processus d’intégration. De nombreuses personnes
indiquent ainsi avoir du mal à accéder à l’éducation, à des services de santé, voire à des logements adaptés dans
certaines régions du pays28.
Selon certaines voix critiques, en traitant tous les déplacements vénézuéliens en Colombie comme une question
de gestion des migrations, le statut de protection temporaire désavantage les personnes fuyant la République
bolivarienne du Venezuela qui auraient été susceptibles de remplir les conditions d’octroi d’une protection
internationale conforme aux cadres juridiques existants (tels que la Déclaration de Carthagène). Cela pourrait
poser des problèmes liés à l’écart entre les droits octroyés aux réfugiés et ceux accordés aux Vénézuéliens au titre
du statut de protection temporaire, et influencer la manière dont d’autres gouvernements répondent aux besoins
humanitaires dans la région29.
17 Présidence de la Colombie, 2021.
18 Mixed Migration Centre (MMC), 2022a.
19 Human Rights Watch (HRW), 2020.
20 Selee et Bolter, 2021.
21 Présidence de la Colombie, 2021.
22 Castro, 2021.
23 Département d’État des États-Unis, 2021.
24 Castro, 2021.
25 Woldemikael et al., 2022.
26 Reuters, 2022.
27 Bahar et al., 2018.
28 Ble et Villamil, 2022.
29 Freier et Jara, 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 299
Enfin, si les Vénézuéliens recourent au trafic illicite pour sortir du pays et fuir les violences et les persécutions,
c’est parce qu’il peut être dangereux de se présenter aux points de passage frontaliers officiels30. L’impossibilité de
faire enregistrer sa présence à un point de passage frontalier officiel, qui est une condition de l’octroi du statut
de protection temporaire pour les nouveaux arrivants, pourrait conduire à la création d’un nouveau groupe de
migrants irréguliers.
Bonnes pratiques
La mise en place du statut de protection temporaire par la Colombie, d’une ampleur et d’une vitesse inédites, a
été saluée31. Il s’agit également d’une étape importante vers la protection des droits humains et la fourniture de
solutions durables pour les migrants32. En novembre 2022, plus de 1,6 million de permis de protection temporaire
avaient été approuvés33. Les titulaires d’un permis peuvent officiellement accéder au système de santé du pays.
Ils peuvent également accéder à des services financiers, et par exemple ouvrir un compte bancaire, acquérir un
logement ou obtenir un prêt34, ce qui, bien que cela ait été autorisé peu avant l’émission des permis, était refusé
par nombre de banques et de fournisseurs de services financiers, qui exigeaient des documents d’identité officiels
et des antécédents de crédit35.
La bonne régularisation des Vénézuéliens en Colombie peut, à de nombreux égards, être attribuée aux efforts
concertés pilotés par le Gouvernement, sous la houlette du cabinet de la présidence et avec l’aide du Gouvernement
des États-Unis, en vue de fournir un statut à une importante population de migrants irréguliers sans papiers à
l’intérieur de ses frontières36. Le régime de protection temporaire de la Colombie représente l’initiative la plus vaste
de ce genre à offrir une protection à des personnes déplacées d’une nationalité donnée, et a été salué comme un
exemple éloquent de réponse efficace aux déplacements37.
30 MMC, 2022b.
31 Réseau des Nations Unies sur les migrations, 2022.
32 Conseil danois pour les réfugiés, 2021.
33 Gouvernement de la Colombie, 2023.
34 Présidence de la Colombie, 2022.
35 Woldemikael et al., 2022.
36 Selee et Chavez-González, 2022.
37 Selee et Bolter, 2021.
300 Appendices
Étude de cas nationale (Amérique du Nord) : Canada. Égalité des genres dans le contexte migratoire
Statistiques clés
Population totale (2021)a 38,16 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Très élevé
PIB (2021)c 1 988,34 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 51 988 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 8,05
Pourcentage de la population 21,30 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 1,29
Pourcentage de la population 3,41 %
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 193 336
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 280
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), l’organisme canadien chargé des migrations, promeut depuis
longtemps l’égalité des genres dans le cadre de mécanismes de gestion et de gouvernance des migrations, qui, à
leur tour, influent directement sur la vie des migrants. Notamment par le biais de cadres et de processus soucieux
des questions de genre qui visent à apporter un soutien direct aux populations migrantes de genre féminin et
variant, tels que le Cadre des résultats relatifs aux genres (CRRG)38 et l’analyse comparative entre les sexes plus
(ACS Plus)39, des approches sont mises en œuvre dans le but de mieux comprendre en quoi certaines populations
sont particulièrement vulnérables et dans une large mesure laissées pour compte dans l’ensemble des processus
migratoires, notamment dans des pays de destination tels que le Canada.
Ces structures ont donné lieu à des projets pilotes tels que l’Initiative pilote pour les nouvelles arrivantes
racisées40, le Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et le Programme pilote des aides familiaux
à domicile41, qui visent non seulement à encourager l’emploi des femmes par la création de nouvelles possibilités,
mais reconnaissent également le rôle central que jouent les femmes en matière de procréation et de soins à la
personne. Parmi d’autres initiatives visant à garantir et appuyer l’égalité des genres figurent le Projet pilote de
parrainage de réfugiés LGBTQ2 et le Programme d’aide aux femmes en péril42, qui favorisent la création de voies
38 Gouvernement du Canada, s.d.a.
39 Gouvernement du Canada, s.d.b.
40 Gouvernement du Canada, 2022.
41 Gouvernement du Canada, s.d.c.
42 Programme de formation sur le parrainage privé des réfugiés (PFPR), 2019 ; Gouvernement du Canada, 2014.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 301
migratoires pour les personnes vulnérables fuyant la violence et des persécutions. Après l’arrivée au Canada, des
programmes d’installation, par l’intermédiaire de l’IRCC, donnent accès à de nombreux mécanismes de soutien aux
populations vulnérables qui s’intègrent dans un nouveau pays, notamment en matière de garde d’enfants, d’aide au
transport, de soutien à l’emploi et à l’apprentissage de la langue réservé aux femmes, de signalement de violences
domestiques et d’autres aspects relatifs à la prévention de la violence genrée43.
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
D’après le Cadre des résultats relatifs aux genres, le travail non rémunéré, l’emploi à temps partiel et les bas
salaires concernent les femmes de manière disproportionnée44. Il pourrait être nécessaire d’intégrer des données
démographiques supplémentaires dans ces ensembles de données afin de déterminer les facteurs intersectionnels
qui aboutissent à de mauvais résultats, ainsi que les améliorations possibles.
D’après les données de janvier 2021, le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre a augmenté de 1 point de
pourcentage pour atteindre 18,4 %45, de nombreuses personnes concernées étant des migrants temporaires. Les
restrictions d’emploi et les confinements liés à la pandémie de COVID-19 ont plus durement touché les femmes,
les jeunes, les communautés racisées et les migrants, ce qui a suscité des appels à accorder une attention accrue
à l’efficacité des services d’installation, actuellement mis en difficulté par la pandémie46. Cela a également relancé
le débat sur la nécessité de faciliter la transition d’un statut de résidence temporaire à un statut plus permanent
pour certains groupes de migrants, ce qui, outre une meilleure intégration sur le marché du travail, garantit une
meilleure protection des travailleurs.
Bonnes pratiques
De nombreux programmes, mécanismes et ressources ont été mis à profit pour faire avancer l’égalité des genres
dans le cadre de la gestion des migrations. Les efforts ont porté sur la création de possibilités concrètes, notamment
en matière d’accès à l’emploi et de protection, pour les personnes les plus désavantagées par les inégalités de genre
lors de leur installation au Canada, telles que les personnes LGBTQIA+. Parmi ces initiatives figure le lancement
de programmes pédagogiques destinés à former le personnel interne sur l’importance de l’inclusivité et du respect
et sur les différences entre identité de genre, expression du genre et orientation sexuelle, tels que le cours de
formation en ligne sur la diversité de genre et l’inclusion en matière de genre47. Par ailleurs, l’engagement pris
en faveur du langage inclusif sur les plateformes de communication officielles a été honoré, notamment avec
l’introduction d’une désignation non genrée, ou d’un « X » en lieu et place de l’alternative binaire sur les documents
officiels48. Pour de nombreux migrants, ces outils fournissent une protection utile contre les violences et les
préjudices résultant des inégalités de genre.
43 Gouvernement du Canada, 2022.
44 Gouvernement du Canada, s.d.a.
45 Statistique Canada, 2021.
46 Yalnizyan, 2021.
47 Université d’Alberta, s.d.
48 Gouvernement du Canada, 2019.
302 Appendices
Étude de cas nationale (Europe) : Suisse. Inclusion des migrants irréguliers
Statistiques clés
Population totale (2021)a 8,69 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Très élevé
PIB (2021)c 801,64 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 91 992 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 2,49
Pourcentage de la population 28,8 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 0,71
Pourcentage de la population 8,26 %
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 125 938
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 4
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
Certaines villes dans le monde ont décidé de considérer les individus sans papiers comme faisant partie intégrante
de la marche de la ville. Cette approche ne débouche pas sur des régularisations en général, mais elle permet
aux migrants concernés d’avoir accès à certains services et de prouver plus facilement qu’ils résident dans la ville.
La ville de Zurich a créé un programme de carte d’identité municipale, Züri City Card (ZCC)49, dont le coût
total sera de 3,2 millions de francs suisses50. L’opposition de communes rurales du canton de Zurich a empêché
le gouvernement cantonal de mettre en œuvre un programme de régularisation similaire à l’opération Papyrus
lancée à Genève en 201751. Au lieu de cela, la ville de Zurich, où le nombre de migrants sans papiers est estimé
à plus de 10 000, donnera aux titulaires de la Züri City Card la possibilité d’accéder à des services publics sans
craindre d’être dénoncés aux services d’immigration52. Concrètement, la carte d’identité atteste l’identité et le lieu
de résidence, et partant une forme d’appartenance locale, ainsi que le droit d’accéder à des services essentiels tels
que les soins de santé53.
49 Verein Züri City Card, s.d.
50 Swissinfo.ch (SWI), 2022.
51 République et canton de Genève, s.d.
52 Stadt Zürich Präsidialdepartement, s.d.a. ; Cachin, 2021.
53 Stadt Zürich Präsidialdepartement, s.d.b.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 303
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
L’initiative prise par la ville de Zurich en vue d’aider et de protéger les migrants sans papiers est inspirée des « villes
sanctuaires » des États-Unis, qui créent des espaces urbains dans lesquels les migrants irréguliers peuvent accéder
à des services sans crainte d’être dénoncés aux services d’immigration54. Il est important de noter que la Züri City
Card a été pensée par des acteurs locaux qui ont ensuite créé une association (Verein Züri City Card) et soumis
le projet au gouvernement de la ville de Zurich. L’association Züri City Card a dans un premier temps hésité à
coopérer avec le gouvernement du canton, car la ville et le canton abordent les questions ayant trait à la migration
irrégulière de manière très différente55. En conséquence, les principaux problèmes rencontrés lors du processus de
mise en œuvre de l’initiative concernaient les relations entre les responsables municipaux, les acteurs de la société,
le canton et la Confédération, la gouvernance multiniveau n’existant pas dans la ville de Zurich56.
Tandis que la ville de Zurich a tenté d’assurer la coordination entre l’association Züri City Card et les autorités
cantonales et fédérales, des organisations locales de la société civile telles que Sans-Papiers Anlaufstelle Zürich
(SPAZ)57 ont pour une large part contribué à faciliter l’accès des migrants sans papiers à des services : demande
d’aides sociales, recherche de logements à louer, accès à des soins de santé, etc.58. La phase pilote de la Züri City
Card devant durer quatre à cinq années, après l’issue positive de la votation connexe en mai 2022, la bonne mise
en œuvre de l’initiative à long terme est cruciale pour que le gouvernement municipal puisse veiller à ce que ce
moyen d’identification donne acte du rôle que les migrants sans papiers jouent dans la communauté.
Bonnes pratiques
Si l’initiative n’a pas pu recueillir le soutien de l’ensemble du canton de Zurich, ce projet proposé par la ville a
abouti grâce à l’action ciblée menée à l’échelle municipale par l’association Züri City Card, qui a permis à la carte
d’identité de figurer dans le programme politique local de la ville59. Il convient de noter que de nombreux migrants
arrivés en Suisse sans statut régulier, ou ayant perdu ce statut une fois arrivés dans le pays, n’ont pas le droit de
demander la résidence, en dépit de leur poids économique en Suisse : selon l’association Sans-Papiers Anlaufstelle
Zürich, l’économie suisse pourrait « s’écrouler » sans le travail abattu par les migrants sans papiers60.
Grâce à cette initiative, plus de 10 000 migrants sans papiers vivant dans la ville de Zurich pourront, dans le
cadre du programme pilote, jouir d’un sentiment de sécurité renforcé lors de l’accès à des services essentiels et
de la recherche de soutien social61. Alors que les voies de migration régulières restent difficiles d’accès pour de
nombreuses personnes, en particulier celles qui travaillent dans les secteurs à bas salaires62, l’aide apportée dans
les contextes locaux est plus importante que jamais. Dans le sillage de la Züri City Card, des discussions ont été
entamées sur la création d’un document similaire à Berne, la capitale du pays, ainsi qu’à Bâle.
54 Vitiello, 2022.
55 Kaufmann et Strebel, 2020.
56 Stadt Zürich Präsidialdepartement, s.d.b.
57 Stadt Zürich Präsidialdepartement, s.d.a.
58 Ibid.
59 Kaufmann et Strebel, 2020, p. 14.
60 Sans-Papiers Anlaufstelle Zürich (SPAZ), s.d.
61 Stadt Zürich Präsidialdepartement, s.d.a ; Cachin, 2021.
62 Ibid.
304 Appendices
Étude de cas nationale (Afrique) : Burkina Faso. Déplacements internes dus à un conflit ou à des
violences
Statistiques clés
Population totale (2021)a 22,10 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Faible
PIB (2021)c 19,74 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 893 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 0,72
Pourcentage de la population 3,5 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 1,60
Pourcentage de la population 7,43 %
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 34 423
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 1 882 000
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
Depuis 2015, la détérioration de la situation en matière de sécurité dans le centre du Sahel, due à la juxtaposition
d’attaques de civils perpétrées par des groupes armés associés à l’État islamique et à Al-Qaïda et par d’autres
groupes armés non étatiques de plus petite taille, a entraîné des déplacements massifs63. Au Burkina Faso, ces
violences se produisent principalement dans le nord du pays, aux frontières avec le Niger et le Mali, et ont créé
de graves problèmes sur le plan humanitaire.
Le nombre de nouveaux déplacements liés à un conflit a augmenté et en 2021, 682 000 nouveaux déplacements
internes dus à un conflit ou à des violences ont porté le nombre total de personnes déplacées à l’intérieur de leur
pays à près de 1,6 million64. En janvier 2022, un coup d’État militaire a ensuite entraîné de nouveaux déplacements,
dont le nombre est estimé à plus de 160 000 selon le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation
(CONASUR), le mécanisme national chargé d’en rendre compte65. Les effets sur les déplacements d’un second coup
d’État survenu le 30 septembre 2022 ne sont pas encore établis66.
63 IDMC, 2022.
64 Ibid.
65 Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), 2022 ; CONASUR, 2022 et 2021.
66 Al Jazeera, 2022.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 305
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
À ce jour, le défi le plus important et le plus urgent consiste à trouver un endroit adapté pour héberger plus de
1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ainsi que les 3,5 millions de Burkinabé dans le pays
qui ont besoin d’aide humanitaire67. Selon le Groupe de la Banque africaine de développement, deux camps de
personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ont été ouverts dans le nord-est du pays et hébergent des personnes
originaires de Barga et de Titao, à hauteur de 6 000 et 10 000 personnes respectivement. Au vu de la nécessité
impérieuse d’accroître les capacités d’hébergement pour les personnes qui fuient un conflit et de la baisse rapide
des ressources, la situation semble plus dramatique que jamais68.
Tant le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) que Médecins Sans Frontières (MSF)
manquent cruellement de ressources pour assurer la bonne mise en œuvre de leurs plans d’aide humanitaire pour
2022, le HCR disposant de 20 % des fonds nécessaires69, et MSF de 15 % seulement70. En conséquence, l’aide
alimentaire, médicale et en matière d’abris a été fortement réduite, et les civils n’ont pas accès à l’aide humanitaire
dont ils ont besoin.
Actuellement, 60 % du pays est sous le contrôle du Gouvernement71 ; une situation qui, conjuguée aux deux
coups d’État survenus en 2022, a entraîné des niveaux d’instabilité élevés dans le pays – ce qui risque par ricochet
d’accroître l’extrémisme violent et d’aggraver les besoins humanitaires. À la suite du coup d’État de septembre 2022,
le Secrétaire général des Nations Unies a appelé tous les acteurs à entamer un dialogue constructif72.
Bonnes pratiques
Début 2021, le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) a lancé le Projet d’aide humanitaire
d’urgence aux personnes déplacées internes, qui prévoit un appui financier de 500 000 dollars des États-Unis aux
fins de la construction d’abris supplémentaires et de la distribution de nourriture et d’autres produits de première
nécessité à 40 000 personnes73. Bien qu’il s’agisse d’un pas dans la bonne direction, le pays aura incontestablement
besoin d’une aide internationale accrue pour soutenir ses citoyens ayant besoin d’aide humanitaire, soit un Burkinabé
sur cinq74. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près de
trois quarts des ménages déplacés dans le pays le sont depuis plus de 12 mois, et 34 % d’entre eux depuis plus
de 24 mois75.
Des améliorations en matière de coordination ont permis de renforcer la capacité à répondre à la situation
humanitaire à de nombreux égards, grâce à une attention accrue portée à la méthodologie, et notamment à
l’analyse géographique et aux besoins des communautés (nourriture, abris, éducation et santé, par exemple) dans
une région donnée. Par ailleurs, ce travail de coordination associe de manière directe des structures nationales afin
de déterminer l’adéquation des ressources et les points faibles auxquels il convient de remédier76. Des exemples
de coordination humanitaire fructueuse ont également été observés, comme dans le cas de l’Agence des États-Unis
pour le développement international (USAID), d’ONG locales et du Programme alimentaire mondial, qui ont
collaboré pour lutter contre la malnutrition en apportant une aide alimentaire d’urgence77.
67 IDMC, 2022 ; Groupe de la BAD, 2022.
68 Groupe de la BAD, 2022.
69 HCR, 2022b.
70 MSF, 2022.
71 Booty, 2022.
72 Lamarche, 2020.
73 Groupe de la BAD, 2020.
74 Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 2023.
75 OIM, 2022c.
76 Ibid.
77 USAID, s.d.
306 Appendices
Étude de cas nationale (Asie) : Philippines. Initiatives visant à lutter contre la traite d’êtres humains
Statistiques clés
Population totale (2021)a 113,88 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Moyen
PIB (2021)c 394,09 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 3 461 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 0,23
Pourcentage de la population 0,20 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 6,09
Pourcentage de la population 5,43%
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 1 387
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 635 000
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
En juillet 2022, les Philippines se sont classées pour la septième année consécutive dans la catégorie 1 du rapport
du Département d’État des États-Unis sur la traite des personnes78, ce qui témoigne d’un haut niveau de conformité
avec les normes minimales visant à mettre fin à la traite d’êtres humains définies dans la loi américaine de 2000 sur
la protection des victimes de la traite79. Les Philippines ont lancé des initiatives efficaces de lutte contre la traite
en vue de réduire les activités de traite aux fins d’exploitation sexuelle ou de travail dans le pays. Une législation
nationale de lutte contre la traite a été adoptée en 200380, avec une loi portant lutte contre la traite des personnes
et la création, à ce titre, du Conseil interinstitutions contre la traite. Le cadre législatif prévoit des sanctions sévères
à l’encontre des auteurs de toutes les formes de traite et reconnaît formellement la vulnérabilité des victimes de
la traite81.
En 2022, les Philippines ont recensé 1 802 victimes de la traite, dont près de 70 % étaient des femmes (1 251)
et 31 % étaient des hommes (551)82. D’après le rapport sur la traite des personnes pour 2022, les activités de
traite, ces cinq dernières années, ont en premier lieu ciblé non seulement les plus vulnérables sur le sol philippin,
mais également les ressortissants philippins à l’étranger83. Les femmes et les enfants sont souvent recrutés dans des
78 République des Philippines, 2022.
79 Congrès des États-Unis, 2000.
80 Gutierrez, 2012.
81 République des Philippines, 2003.
82 Département d’État des États-Unis, 2022.
83 Ibid.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 307
réseaux de traite en tant que travailleurs du sexe, travailleurs domestiques et sous d’autres formes de travail forcé,
tandis que les hommes et les garçons sont généralement recrutés à des fins de travail forcé dans les secteurs de
l’agriculture, de la pêche et du bâtiment.
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
Parmi les défis concrets que rencontrent les autorités et les praticiens dans le cadre de la lutte contre la traite
figurent l’incrimination effective des trafiquants et des activités de traite, ainsi que l’allocation de ressources
suffisantes tant aux autorités gouvernementales qu’aux organisations en première ligne de l’action menée par la
société civile contre la traite.
Il est recommandé dans le rapport de 2022 sur la traite des personnes d’accroître de manière globale les
ressources destinées à l’application de la loi, et de développer les infrastructures et les capacités judiciaires afin
que les trafiquants puissent être poursuivis et condamnés sans retard pour leurs agissements. Les obstacles à la
condamnation des trafiquants ont été associés à la lenteur des tribunaux, à l’absence de formation adaptée des
fonctionnaires de justice et au nombre limité de magistrats pour traiter les affaires. Il est également recommandé
de porter une attention accrue à la collaboration interinstitutions et interorganisations afin de fournir un appui,
notamment financier, aux programmes spécialisés et aux activités de réintégration menés par les ONG, parmi
lesquels on peut citer des services de formation et de placement professionnels pour les victimes adultes ainsi qu’un
soutien psychologique et physique à toutes les victimes84.
Bonnes pratiques
Bien que la défense et le soutien des victimes aient toujours été au cœur des activités de réadaptation et de
réintégration, le rapport de 2022 sur la traite des personnes constate la progression des Philippines à cet égard par
rapport aux années précédentes. Premièrement, les victimes qui ont témoigné lors de procès et vécu une nouvelle
expérience traumatique ont bénéficié d’une aide et d’un soutien spécialisés d’un bout à l’autre de la procédure de
justice pénale. Il a été procédé au placement sous un programme de protection des témoins de onze victimes de la
traite en 2020 et d’une victime en 2021 afin d’assurer leur sécurité physique et de prendre en compte les risques
encourus. Deuxièmement, les services de police et les procureurs ont continué, dans un souci de bienveillance
envers les victimes de la traite, de privilégier les témoignages enregistrés par rapport aux témoignages livrés en
direct dans les salles d’audience. Enfin, d’autres formes de moyens de preuve, tels que le traçage numérique et
les états financiers, sont désormais exploitées dans les procédures judiciaires, qui auparavant dépendaient très
largement du témoignage des victimes.
Approuvé par loi en décembre 2021 et institué en février 2022, le Ministère des travailleurs migrants est une
nouvelle entité gouvernementale née de la fusion de sept structures existantes, principalement chargée de l’emploi
et de la réintégration des travailleurs philippins85. Le Ministère, qui sera pleinement opérationnel en 2023, permettra
de maximiser les possibilités d’emploi pour les citoyens philippins à leur retour de l’étranger et de stimuler le
développement du pays après un déclin de deux ans dû à la pandémie de COVID-1986. Cela pourrait à l’avenir
faciliter la mise en œuvre des recommandations formulées dans le rapport sur la traite des personnes qui concernent
l’aide à la réintégration sur le marché du travail destinée aux victimes de la traite d’êtres humains.
84 République des Philippines, s.d.b.
85 République des Philippines, s.d.c.
86 Depasupil, 2022.
308 Appendices
Étude de cas nationale (Océanie) : Nouvelle-Zélande. Le multiculturalisme et l’intégration pour lutter
contre la violence extrémiste
Statistiques clés
Population totale (2021)a 5,13 millions
Catégorie de l’indice de développement humainb Très élevé
PIB (2021)c 249,89 milliards
de dollars É.-U.
PIB par habitant (2021)c 48 781 dollars É.-U.
Immigrants (2020)d
Millions 1,38
Pourcentage de la population 28,7 %
Émigrants à l’étranger (2020)d
Millions 0,81
Pourcentage de la population 15,93 %
Réfugiés et demandeurs d’asile accueillis (2021)e 2 505
Personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (fin 2022)f 150
Sources : a) DESA, 2022 ; b) PNUD, 2020 ; c) Banque mondiale, s.d. ; d) DESA, 2021 ; e) HCR, s.d. ;
f) IDMC, 2023.
Principaux effets sur les populations
La Nouvelle-Zélande est un pays qui affiche une grande diversité et dont un quart de la population, selon le
recensement de 2013, est d’origine ethnique non européenne87. Des politiques et des stratégies en faveur de de
la diversité et de l’inclusion créent les conditions qui permettent de célébrer les différences et l’inclusion de tous
les citoyens, par exemple à travers l’intégration du multiculturalisme dans les programmes scolaires et l’inclusion
de principes de représentation ethnique et de prise en compte des aspects ethniques dans la mission des médias
publics88. Malgré cela, il est avéré que des groupes ethniques minoritaires, tels que les Asiatiques, subissent des
discriminations éprouvantes au quotidien.
Le 15 mars 2019, deux mosquées de la ville de Christchurch, dans le sud du pays, ont été visées par de violentes
attaques terroristes lors desquelles 51 personnes ont été tuées89. Depuis, c’est un pays en deuil qui tente de mettre
à jour les raisons d’une telle violence, et de trouver les moyens de la combattre, certains estimant que les efforts
de lutte contre le terrorisme déployés dans le pays, axés sur le terrorisme islamiste, ont ignoré les signes d’une
montée de l’idéologie suprémaciste blanche.
87 Stats New Zealand, 2015.
88 Queen’s University, 2020.
89 BBC News, 2020.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 309
Principaux défis pour les autorités et les praticiens
L’intégration de mesures préventives visant à lutter contre l’extrémisme violent dans le pays apparaît clairement dans
la pratique nationale de l’intégration des migrants. Les services d’immigration néo-zélandais suivent un programme
d’installation axé sur cinq principaux résultats, dont chaque étape est jugée essentielle pour une intégration
complète : emploi, éducation et formation, langue anglaise, inclusion, et santé et bien-être90. Parmi les principaux
défis actuels auxquels sont confrontés les autorités et les praticiens figure celui de préserver les caractéristiques
démographiques multiculturelles du pays tout en aidant les populations de toutes origines ethniques à vivre un
même niveau d’intégration. Selon une enquête menée en 2021 sur les perceptions locales des migrants et de
l’immigration, la part de Néo-Zélandais qui jugent que la Nouvelle-Zélande est un pays accueillant pour les migrants
a baissé : elle était de 82 % en 2011, contre 66 % en 2021. Les principales raisons avancées pour expliquer ce déclin
étaient le racisme et les discriminations91.
Pour réduire l’extrémisme dans les différentes communautés de Néo-Zélandais, la Première ministre a chargé les
autorités et les fonctionnaires gouvernementaux de s’attaquer à ce problème sous tous les angles. Afin de lutter
contre la propagation de l’extrémisme violent en ligne, le Gouvernement (avec le Gouvernement de la France) a
lancé l’Appel de Christchurch pour supprimer les contenus terroristes et extrémistes violents en ligne, en s’appuyant
sur le secteur du numérique par l’intermédiaire du Forum mondial de l’Internet contre le terrorisme (GIFCT)92.
Bonnes pratiques
À la suite des événements de Christchurch, le Comité néo-zélandais de coordination de la lutte contre le terrorisme
a élaboré une stratégie nationale visant à combattre le terrorisme et l’extrémisme violent au moyen d’un cadre dans
un premier temps axé sur la réduction, puis dans un second temps sur la préparation, la réponse et le relèvement93.
Les volets relatifs à la préparation, à la réponse et au relèvement obéissent à une approche centrée sur les victimes,
qui met en avant l’importance des partenariats pour la préparation tant de la réponse que du relèvement94. Les
principaux messages portés par cette stratégie nationale sont le renforcement de l’inclusion sociale, de la sécurité
et de l’égalité de participation95.
En juin 2022, la Première ministre a lancé le Centre d’excellence en recherche pour la prévention et la lutte
contre l’extrémisme violent, ou He Whenua Taurikura en maori (« un pays en paix »)96, qui finance des recherches
indépendantes, axées sur la Nouvelle-Zélande, sur les causes et les effets de l’extrémisme violent et du terrorisme
afin qu’une approche solide en matière de prévention puisse être adoptée dans la nation insulaire. Et pour lutter
contre la progression du racisme, le pays a lancé un plan d’action national contre le racisme qui incorpore l’histoire
multiculturelle du pays, la voie empruntée en matière de diversité et la marche à suivre pour que le pays se place
en première ligne de la lutte contre le racisme sous toutes ses formes dans le monde97. Des ateliers axés sur les
communautés locales, les entreprises, les institutions et les individus ont été organisés dans l’ensemble du pays en
vue de mieux faire connaître les définitions et pratiques associées aux préjugés et comportements xénophobes,
ainsi que les mécanismes d’appui nationaux et internationaux qui offrent à tous une protection contre différentes
formes de préjudice, de discrimination et de violence98.
90 New Zealand Immigration, s.d.
91 Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, 2021.
92 Forum mondial de l’Internet contre le terrorisme (GIFCT), s.d.
93 Comité des fonctionnaires pour la coordination de la sécurité intérieure et extérieure (ODESC), 2020.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, 2022.
97 Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, s.d.
98 Belong Aotearoa, s.d.
310 Appendices
Appendice C. Traités multilatéraux mondiaux et États parties
Domaine
thématique Traité Date
d’adoption
Date
d’entrée
en vigueur
Nombre
d’États
parties
Droits humains
Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide 1948 1951 153
Pacte international relatif aux droits civils et politiques 1966 1976 173
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels 1966 1976 171
Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale 1966 1969 182
Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes 1979 1981 189
Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants 1984 1987 173
Convention relative aux droits de l’enfant 1989 1990 196
Convention internationale sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille 1990 2003 58
Convention relative aux droits des personnes handicapées 2006 2008 186
Convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées 2006 2010 71
Droit
des
réfugiés
Convention relative au statut des réfugiés 1951 1954 146
Protocole relatif au statut des réfugiés 1967 1967 147
Traite et trafic illicite
Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée 2000 2003 191
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée visant à
prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en
particulier des femmes et des enfants (Protocole de
Palerme)
2000 2003 181
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée contre le trafic
illicite de migrants par terre, air et mer (Protocole contre le
trafic illicite de migrants)
2000 2004 151
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 311
Domaine
thématique Traité Date
d’adoption
Date
d’entrée
en vigueur
Nombre
d’États
parties
Migration de main
d’œuvre et commerce
des servicesa
Convention (nº 97) sur les travailleurs migrants (révisée) 1949 1952 53
Convention (nº 143) sur les migrations dans des conditions
abusives et sur la promotion de l’égalité de chances et de
traitement des travailleurs migrants
1975 1978 29
Convention (nº 189) concernant le travail décent pour les
travailleuses et travailleurs domestiques 2011 2013 36
Convention relative à l’aviation civile internationale
(Convention de Chicago) 1944 1947 193
Formes de
déplacement
Convention internationale pour la sauvegarde de la vie
humaine en mer, telle que modifiée (SOLAS) 1974 1980 168
Convention internationale sur la recherche et le sauvetage
maritimes, telle que modifiée (Convention SAR) 1979 1985 114
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer 1982 1994 169
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques (CCNUCC) 1992 1994 198
Changement
climatique
Accord de Paris 2015 2016 195
Notes : Les conventions sont classées par domaine thématique principal. Certaines conventions concernent plusieurs thèmes, auxquels
cas elles ne sont mentionnées qu’une seule fois. Sauf indication contraire, les informations relatives à l’adoption, à l’entrée en
vigueur et aux États parties ont été consultées en septembre 2022.
a
Les huit conventions fondamentales de l’OIT mentionnées dans le corps du chapitre peuvent être consultées sous OIT, s.d.
312 Appendices
Chapitre 6
Appendice A. Termes clés et définitions
égalité des genres Égalité des droits, des responsabilités et des chances pour toutes les personnes, quel que
soit leur genre. L’égalité ne suppose pas que toutes les personnes sont identiques, mais
plutôt que leurs droits, leurs responsabilités et leurs chances ne dépendent pas du sexe qui
leur a été assigné à la naissance, de leurs caractéristiques sexuelles physiques, des normes
de genre imposées par la société, de leur identité de genre ou de leur expression du genre.
L’égalité des genres suppose également que les intérêts, les besoins et les priorités de toutes
les personnes sont pris en considération.
Source : OIM, 2023a.
genre Les rôles, les comportements, les activités et les caractéristiques qu’une société donnée
construit et juge appropriés pour les personnes sur la base du sexe qui leur a été attribué
à la naissance.
Source : OIM, 2023a.
non binaire Adjectif décrivant les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au schéma
binaire homme-femme. Le terme « non binaire » est un terme générique qui englobe une
grande variété d’expériences vécues en matière de genre, notamment par les personnes
ayant une identité de genre spécifique autre que celle d’homme ou de femme, les personnes
qui s’identifient à deux genres ou plus (personnes bigenres ou pangenres/polygenres) et les
personnes qui ne s’identifient à aucun genre (personnes agenres).
Source : OIM, 2021a.
normes de genre Les [normes de genre] sont des idées sur comment les femmes et les hommes devraient être
et agir. Nous assumons et apprenons ces « règles » tôt dans la vie. Ces normes établissent
un cycle de vie de socialisation et de création de stéréotypes de genre. Autrement dit,
les [normes de genre] sont des normes et des attentes auxquelles s’ajuste généralement
l’identité de genre, dans le cadre propre à une société, à une culture et à une communauté
donnée à ce moment précis.
Source : ONU Femmes, s.d.
rôle lié au genre Ensemble de normes sociétales dictant les types de comportements généralement considérés
comme acceptables, appropriés ou souhaitables pour une personne en fonction de son sexe
réel, de son sexe perçu ou de son genre.
Source : OIM, 2021a.
transgenre Terme utilisé par certaines personnes dont l’identité de genre diffère de ce qui est
généralement associé au sexe qui leur a été assigné à la naissance. Les termes « trans »,
« transgenre » et « non binaire » sont des termes génériques qui décrivent le fait qu’une
personne, en son for intérieur, se sent d’un genre qui diffère de celui qui lui a été assigné à la
naissance et de celui que lui a attribué la société, qu’elle s’identifie comme homme, femme,
« transgenre » ou simplement « trans », d’un autre genre ou sans genre.
Source : OIM, 2021a.
Les définitions d’autres termes pertinents figurent dans OIM, 2021a et 2023a.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 313
Chapitre 7
Appendice A. Définitions clés
Adaptation Ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques
effectifs ou prévus ou à leurs effets, afin d’en limiter les inconvénients ou d’en exploiter
les avantages.
Atténuation Dans le contexte du changement climatique, efforts visant à réduire ou à prévenir les
émissions de gaz à effet de serre. L’atténuation peut consister à exploiter de nouvelles
technologies et des énergies renouvelables, à améliorer le rendement énergétique
des équipements les plus anciens, ou à faire évoluer les pratiques de gestion ou le
comportement des consommateurs.
Migration climatique Sous-catégorie de la migration environnementale. Elle désigne un type particulier
de migration environnementale, dans lequel la modification de l’environnement est
due au changement climatique. La migration, dans ce contexte, peut être associée
à une vulnérabilité accrue des personnes touchées, surtout si elle est forcée.
Cependant, la migration peut aussi être une forme d’adaptation aux facteurs de stress
environnementaux, et contribuer au renforcement de la résilience des personnes et
des communautés touchées.
Migration
environnementale
Mouvement de personnes ou de groupes de personnes qui, essentiellement pour
des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant
négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur
lieu de résidence habituelle ou le quittent de leur propre initiative, temporairement
ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur ou hors de leur pays
d’origine ou de résidence habituelle.
Phénomènes à évolution
lente
Les effets du changement climatique se manifestent sous la forme de phénomènes
à évolution lente et de phénomènes météorologiques extrêmes, qui peuvent se
traduire par des pertes et préjudices. Les phénomènes qui se manifestent lentement,
initialement décrits dans l’Accord de Cancún (COP16), désignent les risques et effets
associés à la hausse des températures, la désertification, la diminution de la diversité
biologique, la dégradation des terres et des forêts, le retrait des glaciers et les effets
connexes, l’acidification des océans, l’élévation du niveau des mers et la salinisation.
Populations prises au
piège
Populations non migrantes qui se trouvent dans des régions menacées où elles risquent
d’être « prises au piège » ou de devoir rester, ce qui augmentera leur vulnérabilité aux
chocs environnementaux et à l’appauvrissement.
Réimplantation planifiée Dans le contexte des catastrophes ou de la dégradation de l’environnement, y compris
lorsque ces phénomènes sont dus aux effets du changement climatique, processus
planifié lors duquel des personnes ou des groupes de personnes quittent ou sont
aidées à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence temporaire, sont installées dans
un nouvel endroit et reçoivent les moyens d’y reconstruire leur vie.
Note : Les sources des différentes définitions sont accessibles via les liens hypertextes associés à chaque terme.
314 Appendices
Appendice B. Voies vers la sécurité alimentaire pour les agriculteurs pauvres et extrêmement
pauvres au Guatemala
Baisse du rendement des
cultures due à des nuisibles et
à des infestations/
recrutement en baisse dû à la
modification du climat propice
Baisse des revenus familiaux
due à la baisse des besoins en
main‑d’œuvre non qualifiée
Hausse potentielle de l’insécurité alimentaire
Moins de ressources naturelles
disponibles/accessibles Moins de nourriture disponible
Nuisibles et infestations,
risque de feux incontrôlés,
phénologies modifiées,
productivité limitée
Mauvaises récoltes dues à des
facteurs tels que la sécheresse
ou des inondations
Peut
acheter en
partie sa
nourriture
Peut en
partie
accéder
à de la
nourriture
Peut
produire en
partie sa
nourriture
Sources d’approvisionnement en nourriture
(ménages pauvres et extrêmement pauvres)
Facteur déterminant touché
par la variabilité du climat et le
changement climatique ?
Facteur déterminant touché
par la variabilité du climat et le
changement climatique ?
Facteur déterminant touché
par la variabilité du climat et le
changement climatique ?
Facteur déterminant : demande
de main-d’œuvre non qualifiée
(travailleurs journaliers dans
le secteur des cultures
marchandes : café, canne à
sucre, etc.). Les rapatriements
de fonds ne sont pas pris en
compte dans cette analyse
Facteur déterminant :
disponibilité de ressources
naturelles et accès à celles
ci dans le cadre d’activités
saisonnières telles que la
pêche, la chasse et la cueillette
de plantes sauvages, de
champignons et de fruits)
Facteur déterminant :
disponibilité et accès à des
terres, de l’engrais, des
semences et de l’eau à des fins
d’irrigation ; accès au marché
Achat de denrées
alimentaires (entre autres)
Nourriture prélevée dans
la nature (entre autres)
Agriculture de subsistance
(entre autres)
Oui Non Oui Non Oui Non
Adaptation
Non Oui
Adaptation
Non Oui
Adaptation
Non Oui
Source : Pons, 2021.
Ce diagramme montre par quelles voies la variabilité du climat et le changement climatique peuvent influer sur les
sources de nourriture des ménages pauvres et très pauvres de la région couverte par le « couloir de la sécheresse »
au Guatemala. Il rend compte de la situation des populations qui achètent leur nourriture, la cultivent ou la
prélèvent dans la nature. Il met également en évidence des points d’entrée pour des mécanismes d’adaptation
visant à prévenir l’insécurité alimentaire dans les différents cas de figure. Les ménages pauvres et très pauvres
tirent leur revenu du travail occasionnel, effectué en tant que « main-d’œuvre non qualifiée », par exemple dans
des plantations de café, et ils prélèvent des denrées supplémentaires dans la nature (forêt, étendues d’eau, etc.). La
sécurité alimentaire est assurée par une combinaison des différents moyens.99
99 Pons, 2021.
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 315
Chapitre 9
Appendice A.
Santé (hors COVID-19) Environnement Société Économie Éducation
Suite à la diminution de l’accès au
dépistage du VIH en 2020-2021a,
un autotest de dépistage du VIH
approuvé par l’OMS a été mis en
vente au prix de 1 dollar É.-U. dans les
pays à revenu faible ou intermédiaire,
soit le prix le plus bas à ce jourb.
La production d’équipements de
protection individuelle en plastique à
usage unique, le développement des
achats en ligne et l’emballage des plats
à emporter ont abouti à la production
de 8 millions de tonnes de déchets
dans le monde, ce qui n’est pas sans
conséquence sur nos océansc.
Les Nations Unies ont estimé que la
montée de la violence domestique au
cours de la pandémie de COVID-19
constituait une «pandémie de
l’ombre ». D’après les informations
disponibles, les jeunes femmes, les
femmes ayant des enfants, les femmes
sans emploi et les femmes vivant dans
des zones rurales sont plus vulnérables
aux mauvais traitementsd.
Le nombre d’heures de travail dans
le monde a diminué en 2020, avant
de repartir à la hausse en 2021 dans
les pays à revenu intermédiaire de la
tranche supérieure ou à revenu élevé.
Les pays à revenu faible ou à revenu
intermédiaire de la tranche inférieure
peinent encore à se relever, et ces
pertes creusent encore davantage le
fossé entre les payse.
Dans les plans de relèvement, il est
essentiel de favoriser l’enseignement
en présentiel pour inverser les
pertes d’apprentissage à travers le
mondef. Selon l’UNICEF, à cause de
ces pertes d’apprentissage, jusqu’à
70 % des enfants de 10 ans dans les
pays à revenu faible ou intermédiaire
ne savent pas lire, soit 53 % de plus
qu’avant la pandémieg.
La diminution de la mobilité pendant
la pandémie a fait baisser le nombre
de collisions routières dans le monde,
mais la gravité des traumatismes et
la mortalité se sont accrues, ce qui
s’explique par les excès de vitesse,
la faible fréquentation, les routes
dégagées et la consommation d’alcool
et de droguesh.
La consommation d’énergie a diminué
en 2020, de façon à augmenter la part
des énergies renouvelables dans le
bouquet énergétique, qui a cependant
retrouvé la même composition
qu’avant la pandémiei.
Le risque de mariages d’enfants a
augmenté pendant la pandémie à
cause de la réduction des possibilités
d’éducation, des conditions
de précarité économique, des
perturbations des services sociaux
et des décès de personnes ayant la
charge d’un enfantj.
Selon la Banque mondiale, entre 657
et 676 millions de personnes vivraient
dans des conditions d’extrême
pauvreté en 2022. Cela représente
environ 75 à 95 millions de personnes
de plus que ce que prévoyaient les
prévisions faites avant la pandémiek.
D’après un rapport mondial sur
l’éducation, les filles ont moins de
chances d’accéder à l’apprentissage
à distance. Les normes de genre,
la connectivité et l’accessibilité
des technologies font obstacle à
l’apprentissage à distancel.
Selon l’OMS, la pandémie a entraîné
une augmentation de 25 % des
troubles mentaux tels que l’anxiété et
la dépression, les jeunes et les femmes
étant les plus touchésm.
Le terme « anthropause » est
apparu en 2020 pour désigner la
diminution de l’impact de l’homme
sur l’environnement. La réduction des
perturbations a profité à certaines
espèces sauvages, mais il est possible
que la pause de l’activité humaine
ait entravé, pendant les années en
question, les efforts de protection
d’espèces menacéesn.
Dans l’ensemble, l’augmentation
des tâches de soins résultant de la
pandémie a accru l’écart entre les
hommes et les femmeso. Selon l’OIT,
plus de 2 millions de mères dans le
monde ont quitté le marché du travail
en 2020p.
D’après les estimations formulées
par des experts, les rapatriements
de fonds devraient atteindre 5 400
milliards de dollars É.-U. à l’échelle
mondiale en 2030, grâce à la
numérisation. Les rapatriements de
fonds ont augmenté dans le monde
en 2021 ; ainsi, d’après le rapport
MobileRemit Africa, les virements par
réseau de téléphonie mobile auraient
augmenté de 48 %q.
Les tendances en matière d’inscription
dans l’enseignement supérieur se
sont stabilisées à la suite du retour à
l’enseignement et à l’apprentissage en
présentiel, ce qui laisse supposer que
l’enseignement supérieur ne fera pas
l’objet d’une transformation numérique
complèter.
D’après un rapport de 2021 sur
l’impact de la pandémie au Burkina
Faso, au Kenya, en Éthiopie, au
Malawi et en Ouganda, l’interruption
des services de santé sexuelle
et reproductive a entraîné une
augmentation du nombre de
grossesses, de violences fondées sur le
genre et d’avortements dangereuxs.
Au début de la pandémie de
COVID-19, la qualité de l’air s’est
davantage améliorée dans les
régions où les politiques de mobilité
étaient plus strictest. La pollution
atmosphérique a également été
associée à des taux plus élevés de
mortalité due à la COVID-19u.
En réponse à la limitation des
rassemblements sociaux pendant
la pandémie, les cultes religieux en
ligne se sont popularisés, bien qu’ils
posent des problèmes d’accessibilité
numériquev. D’après une enquête,
les activités de groupe ont diminué
en 2020, mais la pandémie n’a pas
eu d’impact significatif sur l’activité
religieuse ou spirituelle des individusw.
Une étude de l’utilisation des
plateformes de visioconférence au
travail a permis de constater une
fatigue accrue chez les travailleursx. Les
chercheurs s’interrogent également
sur les moyens de transmettre les
valeurs institutionnelles, de nouer des
relations et de résoudre les problèmes
d’inégalité et d’exclusion entre les
genres sur ces plateformesy.
D’après les données recueillies par
l’UNESCO au titre du suivi mondial
des mesures de fermeture des écoles,
c’est dans les pays à faible revenu que
les fermetures les plus longues ont été
signalées entre mai 2020 et juin 2021.
Les pertes d’apprentissage sont aussi
liées à la durée de fermeture des écoles
dans certains pays à revenu faible ou
intermédiaire, ce qui laisse craindre un
élargissement de la fracture éducative
au niveau mondialz.
a DiNenno et al., 2022.
b OMS, 2022b.
c Peng et al., 2021.
d ONU Femmes, 2021.
e OIT, 2021b.
f Ahlgen et al., 2022.
g UNICEF, 2022.
h Yasin et al., 2021.
i Olabi et al., 2022.
j Thangaperumal et al., 2022.
k Mahler et al., 2022.
l UNESCO, UNICEF et Banque mondiale, 2021.
m OMS, 2022c.
n Rutz et al., 2020 ; Yuhas, 2021.
o Forum économique mondial, 2022b.
p OIT, 2022.
q FIDA, 2022.
r Abdrasheva et al., 2022.
s APHRC et al., 2021.
t Zhang et al., 2022.
u Ravindra et al., 2022.
v Edelman et al., 2021.
w Lacasse et Cornelissen, 2022.
x Université technologique de Nanyang, 2022.
y Karl et al., 2021.
z Institut de statistique de l’UNESCO, 2022.
316 Appendices
Appendice B.
Nombre de pays ayant pris différents types de mesures pour réduire au minimum la transmission de la COVID-19
en Afrique, en Asie et en Europe, de janvier 2020 à janvier 2023
Afrique
0
10
20
30
40
50
Janvier 2020
Avril 2020
Juillet 2020
Octobre 2020
Janvier 2021
Apr-2021
Jul-2021
Octobre 2021
Janvier 2022
Avril 2022
Juillet 2022
Octobre 2022
Janvier 2023
Date
Pays
Type de mesure
Mesures de restriction des voyages internationaux
Restrictions de la circulation sur le territoire national
Obligation de connement
Limitation des rassemblements
Fermeture de lieux de travail
Fermeture d’écoles
Asie
0
10
20
30
40
50
Janvier 2020
Avril 2020
Juillet 2020
Octobre 2020
Janvier 2021
Avril 2021
Juillet 2021
Octobre 2021
Janvier 2022
Avril 2022
Juillet 2022
Octobre 2022
Janvier 2023
Date
Pays
Type de mesure
Mesures de restriction des voyages internationaux
Restrictions de la circulation sur le territoire national
Obligation de connement
Limitation des rassemblements
Fermeture de lieux de travail
Fermeture d’écoles
ÉTAT DE LA MIGRATION DANS LE MONDE 2024 317
Europe
0
10
20
30
40
Janvier 2020
Avril 2020
Juillet 2020
Octobre 2020
Janvier 2021
Avril 2021
Juillet 2021
Octobre 2021
Janvier 2022
Avril 2022
Juillet 2022
Octobre 2022
Janvier 2023
Date
Pays
Policy
Mesures de restriction des voyages internationaux
Restrictions de la circulation sur le territoire national
Obligation de connement
Limitation des rassemblements
Fermetures de lieux de travail
Fermeture d’écoles
Source : Hale et al., 2023.
Note : Données au 1er janvier 2023. L’expression « international travel controls » (mesures de
restriction des voyages internationaux) est utilisée par l’Université d’Oxford et désigne
notamment les mesures de dépistage à l’arrivée, la mise en quarantaine des arrivants,
l’interdiction des arrivées ou la fermeture totale des frontières. Il importe également de
noter que ces catégories concernent uniquement la COVID-19 et ne tiennent pas compte
des autres restrictions de voyage qui pouvaient déjà être en place, telles que les restrictions
relatives aux visas, les interdictions d’entrée ciblant des citoyens en particulier et les mesures
de restriction concernant le départ ou la sortie.
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